Brexit : au bord de la falaise

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 23 juin 2016, les Britanniques avaient choisi de quitter l’Union européenne (UE). Le vote pour sortir avait recueilli 51,9% des voix contre 48,1% pour rester dans l’UE. Près de trois ans après le référendum, la sortie ne s’est toujours pas faite ; ses modalités restent controversées au Royaume-Uni ; les remainers militent encore pour un second referendum, qui annulerait le premier.

Le Royaume-Uni a choisi de respecter l’article 50 du Traité sur l’Union européenne, qui prévoit une sortie négociée de l’UE dans un délai de deux ans après l’activation de l’article, faite par le gouvernement britannique à la fin mars 2017. La négociation s’annonçait forcément difficile car les instances européennes voulaient éviter un accord avantageux pour le Royaume-Uni. Ainsi, le Conseil européen à 27 (article 50) du 27 avril 2017 [1] écrivait : « Un pays non membre de l’Union, qui n’a pas à respecter les mêmes obligations qu’un État membre, ne peut avoir les mêmes droits et bénéficier des mêmes avantages qu’un État membre ». Pour l’UE27, il s’agissait avant tout de préserver la construction européenne et les intérêts des États membres[2] afin que d’autres pays de l’UE ne soient tentés de suivre le chemin des Britanniques.

La négociation avait abouti en novembre 2018 à un accord de retrait et à une déclaration politique commune sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l’UE 27 (voir « Brexit : l’accord du 25 novembre »). La déclaration politique prévoit que de nouvelles négociations s’engageront immédiatement après la sortie pour préciser ces relations futures et que celles-ci mettront en place un « partenariat étroit, spécifique et équilibré ». Par ailleurs, compte-tenu de la nécessité reconnue par les deux parties de ne pas mettre en place de frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, il a été acté qu’un filet de sécurité (le backstop) sera mis en place : le Royaume-Uni restera dans l’Union douanière et le Marché unique tant que n’aura pas été imaginé un dispositif permettant de concilier l’intégrité du Marché unique et l’absence de frontière. Cet accord n’a pas, jusqu’à présent, été ratifié par le Parlement britannique.

Depuis cet accord, les Britanniques sont partagés entre quatre grandes positions, dont la première peut elle-même se diviser en deux sous-groupes : les remainers, qui veulent rester dans l’UE, certains dans une UE libérale, d’autres dans une UE plus sociale ; les hard brexiters, partisans d’une sortie sans accord ; les partisans d’un Brexit négocié, qui acceptent l’accord de novembre 2018 et enfin ceux qui veulent renégocier l’accord. Aucune de ces positions n’a la majorité au Parlement britannique et chacune a une majorité contre elle. La situation est bloquée. Theresa May, qui avait appelé à voter pour rester dans l’UE en juin 2016, essaie de respecter la démocratie, à la fois le résultat du référendum de juin 2016, mais aussi le programme sur lequel le parti conservateur s’est présenté aux élections législatives de juin 2017 : « Brexit means Brexit », la sortie du Royaume-Uni du Marché unique et de l’Union douanière ; le « Take back control », c’est-à-dire la reprise du contrôle des frontières et des lois, que le Royaume-Uni n’ait plus à obéir à des règles définies par les instances européennes et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qu’il puisse en particulier contrôler son immigration. Mais que peut faire Theresa May entre sa volonté de respecter le vote des Britanniques, la position ferme de l’UE (ainsi Michel Barnier écrivait en décembre 2016 [3]: « Le Marché unique, les quatre libertés forment un tout, le « cherry picking » n’est pas une option », ce qui impliquait que la mise en cause de la liberté d’installation des travailleurs impliquait la sortie du Marché unique) et un parlement britannique divisé ?

Les remainers veulent rester dans l’UE ; ils réclament un second referendum, persuadés que les difficultés des négociations du Brexit feront que cette fois, le « remain » l’emportera. Le problème est qu’il serait peu démocratique que de ne pas respecter le vote pour la sortie du 26 juin 2016, de faire revoter les Britanniques jusqu’à ce qu’ils votent pour rester dans l’UE. Par ailleurs, le libellé de la question posée lors de ce referendum pose problème. Serait-ce « Voulez-vous que le Royaume-Uni reste dans l’UE ou en sorte ? » (ce qui ne permettrait pas de trancher sur les modalités de sortie) ? Serait-ce « Approuvez-vous l’accord de novembre 2018 ? » (ce qui ne permettrait pas de trancher entre rester et partir sans accord).

Pour certains remainers, le Royaume-Uni devrait reprendre sa place spécifique dans l’UE, en luttant pour que celle-ci se limite à un grand marché, en refusant toute harmonisation fiscale et sociale. Mais ce départ manqué laissera des traces ; l’influence britannique serait sans doute affaiblie. Il n’est pas certain que le Royaume-Uni pourra continuer à bénéficier du rabais sur sa contribution à l’UE et que puisse demeurer valable l’accord négocié par David Cameron en février 2016, pour un nouveau statut du Royaume-Uni dans une UE réformée, qui accordait aux Britanniques des garanties en matière de souveraineté nationale, de gouvernance européenne, de réformes libérales pour une compétitivité accrue de l’UE et de restriction temporaire de l’immigration des travailleurs en provenance de l’UE. Très vite, de nouveau, les Britanniques se sentiraient mal dans l’UE.

Pour les travaillistes remainers, rester dans l’UE est une garantie contre les libéraux britanniques. Les travaillistes estiment que l’UE assure que le Royaume-Uni maintienne un certain niveau de droits sociaux, insuffisant mais en tout cas plus élevé que si les partisans libéraux d’un Brexit dur l’emportaient. La gauche britannique pourrait participer au combat des forces progressistes pour changer l’Europe. Il y a pourtant une forte contradiction actuellement entre l’orientation de l’UE et le programme des travaillistes britanniques (relance économique, nationalisations dans les secteurs du rail, de l’eau, de l’énergie et des services postaux, développement de l’actionnariat salarié, hausse des salaires, hausse des dépenses de santé, de la construction de logement sociaux et de l’investissement public, reconstitution des droits sociaux, hausse des impôts sur les firmes multinationales et les plus riches, remontée du taux de l’impôt sur les sociétés).  En fait, les partisans du remain sont eux aussi dans l’ambiguïté.

Les hard Brexiters sont prêts à sortir sans accord ; le Royaume-Uni pourra alors négocier ses futures relations avec l’UE sur une base égalitaire, comme l’ont fait la Canada ou le Japon. À court terme, ce ne serait pas le chaos annoncé ; des accords d’urgence (explicites ou implicites) permettront de maintenir la circulation des personnes, des trains, des avions, des marchandises, la reconnaissance mutuelle des diplômes et qualifications, les droits des britanniques résidant dans l’UE et des citoyens de l’UE résidant au Royaume-Uni. Mais le risque est que cette sortie sans accord n’annonce un Brexit dur, une stratégie de dumping salarial, fiscal, social et réglementaire. Le Royaume-Uni pourrait chercher à « s’ouvrir vers le grand large », à négocier des accords commerciaux avec les pays tiers (les membres du Commonwealth), mais ceux-ci ne pourront compenser les pertes sur le Marché unique. Les entreprises étrangères hésiteront à investir au Royaume-Uni si elles ne sont pas certaines de pouvoir y exporter librement dans l’UE27. Le Royaume-Uni étant déjà l’un des pays où les marchés des biens et du travail sont le moins réglementés, un nouveau choc libéral n’aurait sans doute que peu d’impact. Enfin, cette stratégie ne correspondrait pas aux attentes des classes populaires qui ont voté pour le Brexit. L’impact économique de cette stratégie est difficile à prévoir (voir : Brexit : le jeu de la poule mouillée) : d’une part, la livre pourrait baisser, ce qui réduirait les pertes de compétitivité induites par les barrières tarifaires et non-tarifaires ; d’autre part, le Royaume-Uni choisirait sans doute de réduire les droits de douane pour les pays tiers de façon à ne pas avoir à les augmenter fortement sur les produits en provenance de l’UE, de ne pas introduire de barrières non-tarifaires, de ne pas installer de postes douaniers à la frontière avec la République d’Irlande, de sorte que c’est à l’UE27 qui reviendraient ces décisions. La dévaluation de la livre et la baisse des droits de douane sur les produits des pays tiers pourraient faire que les produits européens deviennent moins compétitifs au Royaume-Uni tandis que les produits britanniques exportés vers l’UE souffriraient certes de droits de douane plus élevés et de barrières non tarifaires, mais bénéficieraient de la dévaluation, de sorte que les coûts de l’absence d’accord, No deal seraient partagés entre l’UE27 et le Royaume-Uni.

Enfin, certains, parmi les travaillistes, souhaitent que le Royaume-Uni sorte de l’UE, mais que l’accord soit renégocié : le Royaume-Uni resterait définitivement dans le Marché unique ; il devrait continuer d’accepter la liberté de circulation des travailleurs et l’autorité de la CJUE ; il devrait appliquer les réglementations européennes et contribuer au budget européen, alors qu’il aurait perdu tout pouvoir à Bruxelles. D’autres proposent que le Royaume-Uni reste dans l’Union douanière, ce serait renoncer à l’ambition de s’ouvrir « vers le grand large ».

L’Accord de novembre 2018 reste ouvert ; à court terme, le Royaume-Uni demeure dans le Marché unique. À moyen terme, il devra choisir entre deux stratégies : soit s’abstraire des réglementations européennes, conclure des accords commerciaux avec des pays tiers et perdre l’accès automatique au Marché unique, soit appliquer les réglementations européennes pour garder cet accès. Cela sera tranché par des négociations ultérieures. On comprend mal dans ces conditions la position des travaillistes, en particulier de Jeremy Corbyn, qui votent contre l’accord, alors même que l’accord laisse la porte ouverte au Royaume-Uni pour rester dans le Marché unique ou l’Union douanière. Les travaillistes prétendent être capables de renégocier avec l’UE un meilleur accord que celui obtenu par Theresa May. Ils prétendent que le Royaume-Uni pourrait rester dans le Marché Unique et retrouver sa souveraineté dans les domaines qu’il souhaite, ce que l’UE a depuis le début des négociations explicitement refusé. Alors que l’UE refuse de rouvrir les négociations, les travaillistes votent contre le plan de soft brexit négocié par Theresa May, pour des motifs de politique intérieure : provoquer et remporter des élections générales. Cela n’est pas à la hauteur des enjeux posés par le Brexit. Au parlement britannique, il y a eu une majorité contre l’accord négocié par Theresa May, mais aussi une majorité contre une sortie sans accord, une majorité contre le Remain et une majorité contre tout autre projet compatible avec la position de l’UE. La sortie de l’UE met la démocratie britannique à rude épreuve.

L’UE est très vigilante contre la concurrence déloyale que pourrait faire le Royaume-Uni. Il est dommage qu’elle ne le soit pas contre le dumping fiscal de l’Irlande ou contre le dumping salarial de l’Allemagne. L’UE-27 a soutenu la République d’Irlande, sans rien lui demander en échange, en particulier en matière de lutte contre l’optimisation et la concurrence fiscales. Aucun pays, aucune force politique et sociale n’ont proposé de favoriser une sortie en douceur, pour ouvrir un autre cercle en Europe, de pays qui veulent bénéficier du marché unique, sans perdre leur souveraineté nationale, sans devoir aller vers « toujours plus d’Europe ».

Le Conseil européen du 21 mars 2019 a placé les Britanniques devant une alternative. Soit, accepter, avant le 29 mars l’accord de novembre 2018. Dans ce cas, le Brexit aurait lieu le 22 mai et s’ouvrirait alors une période de transition jusqu’à fin décembre 2020. C’est la solution de la sagesse puisque s’ouvriraient alors des négociations entre le Royaume-Uni et l’UE27 et que le Royaume-Uni pourrait définir sa position entre rester dans l’Union douanière et le Marché unique, s’engager dans un partenariat étroit avec l’UE27 ou conserver plus de liberté en matière d’accords commerciaux et de réglementation, mais ne plus avoir un plein accès au Marché unique. Soit, faire une autre proposition d’ici le 12 avril, sachant que l’UE27 refuse de rouvrir les négociations sur l’accord de retrait et que le RU devrait alors organiser les élections au Parlement européen des 23-26 mai prochains.

Le 27 mars, les parlementaires britanniques ont pris le contrôle de l’agenda parlementaire et voté sur huit propositions qu’ils avaient eux-mêmes élaborées.[4] Toutes ont été rejetées, très nettement pour la sortie sans accord ou pour rester dans l’UE (mais le total des partisans de ces deux solutions suffit à bloquer la sortie avec accord). Les propositions d’adhérer à l’AELE l’Association européenne de libre-échange (AELE) avec Union douanière (le modèle norvégien, présenté comme ‘common market 2.0’) ou sans Union douanière, ont recueilli peu de voix. La proposition d’une union douanière entière et permanente[5] proche de l’accord de novembre 2018, est celle sur lesquels les votes ont été les plus partagés (265 contre 271, tableau). Une proposition des travaillistes y ajoutait la participation du Royaume-Uni aux négociations commerciales de l’UE et l’alignement réglementaire ; elle n’est pas incompatible avec l’accord de novembre 2018, qui ne fait qu’annoncer l’ouverture de négociations pour un partenariat approfondi. Enfin, 268 parlementaires (contre 295) ont voté pour que tout accord de sortie soit soumis à referendum (avec le risque que l’union des partisans du Remain et du No Deal entraîne le refus).

Le 1er avril, quatre de ces propositions ont été de nouveau soumises au vote (tableau). Elles ont de nouveau été rejetées, bien que de justesse (3 voix d’écart) pour la proposition d’union douanière entière et permanente. C’est la proposition qui recueille le plus de suffrages chez les parlementaires, mais elle n’est pas majoritaire face aux remainers et aux partisans d’un Brexit plus tranchés

 tabl

Le 29 mars, Theresa May avait annoncé qu’elle démissionnerait si l’accord de novembre était adopté au Parlement, afin d’obtenir le vote à la fois de ceux qui, parmi les conservateurs, souhaite qu’elle démissionne pour la remplacer dans la prochaine phase des négociations, par un hard brexiter et ceux qui peuvent espérer la remplacer par un brexiter plus conciliant. Le vote du 29 mars ne portait que sur l’accord de sortie et non sur la déclaration politique, ce qui aurait pu permettre de rallier aussi des travaillistes favorables à une sortie avec accord mais qui considèrent que la déclaration politique engage trop le Royaume-Uni sur ses relations futures avec l’UE et doit être renégociée. Mais l’accord de retrait a, de nouveau, été rejeté, par 286 voix contre 344. Il n’y a eu que 5 travaillistes pour soutenir l’accord, tandis que 37 conservateurs et les 10 députés du parti unioniste irlandais (DUP) ont voté contre.

Le 2 avril, Theresa May a déclaré qu’un report de la date de sortie au-delà du 12 avril serait nécessaire, mais qu’elle souhaitait que ce report soit de courte durée (avant les élections européennes de mai). Elle a appelé Jeremy Corbyn à discuter pour trouver une solution de compromis d’ici la fin de la semaine et proposer de nouveaux votes au parlement, dont le gouvernement respecterait le résultat. Le Royaume-Uni s’engagerait alors sans doute vers un Brexit doux, le maintien dans l’Union douanière, afin d’éviter une sortie sans accord le 12 avril. Reste à savoir si une majorité se dégagera au Parlement, qui permettrait à Theresa May de faire une proposition lors du Conseil européen exceptionnel du 10 avril. Dans le cas d’une sortie sans accord, tel que prévu dans l’article 50, il faudra organiser les relations entre le Royaume-Uni et l’UE27 par des dispositions unilatérales (pour le statut des résidents, la reconnaissance des normes et qualifications), des accords ponctuels (sur les conséquences financières de la sortie, les transports aériens et ferroviaires), et négocier un accord de libre-échange. L’alternative serait que le Royaume-Uni organise dans l’urgence des élections au Parlement européen et demande un délai pour organiser un referendum (dont nous avons vu les difficultés) ou des élections législatives (dont il n’est pas certain qu’elles dégagent une majorité pour un des projets en présence). Le risque est grand alors que cette situation pénible se prolonge…

 

[1] Voir : https://www.consilium.europa.eu/media/21749/29-euco-art50-guidelines-fr.pdf

[2] « L’avenir de l’Europe est bien plus important que le Brexit », propos de la chancelière allemande Angela Merkel, repris par Michel Barnier dans son discours au Comité économique et social européen le 6 juillet 2017 (http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-17-1922_fr.htm?locale=EN).

[3] Voir : https://ec.europa.eu/info/news/introductory-comments-michel-barnier-2016-dec-06_en

[4] Précisons il s’agit de votes indicatifs, que le gouvernement n’est pas légalement tenu de suivre.

[5] Dans le texte soumis au vote : “A permanent and comprehensive UK-wide customs union with the EU”.




L’investissement des entreprises pénalisé par le Brexit

par Magali Dauvin

À l’heure où les perspectives de commerce mondial demeurent orientées à la baisse[1], la demande intérieure britannique peine à rester dynamique : la consommation des ménages s’est essoufflée en fin d’année tandis que l’investissement chute de 0,2 % en 2018.

Cette dernière baisse est à imputer en quasi-totalité à l’investissement des entreprises non financières[2] (55% de la FBCF en volume) qui a baissé consécutivement durant les quatre trimestres de l’année (graphique 1) : atteignant -2,6 % en 2018.

L’investissement peut être expliqué par un modèle à correction d’erreur[3]. Celui utilisé à l’OFCE pour les prévisions de l’investissement des entreprises non financières au Royaume-Uni bénéficie d’un ajustement pouvant être considéré comme « correct » au regard de son pouvoir explicatif (le coefficient de détermination est de 85%) sur la période pré-referendum (1987T2 – 2016T2). Si nous simulons la trajectoire de l’investissement après le référendum de 2016 (en bleu clair), on remarque que celle-ci dévie des données d’investissement reportées par l’ONS (bleu foncé) de façon systématique[4].

Ce résultat est conforme à ceux que l’on peut trouver dans la littérature récente montrant également que les modèles tendent systématiquement à surévaluer le taux d’investissement des entreprises britanniques depuis 2016[5]. De 0,5 point de PIB en 2017, l’écart n’a cessé de progresser en 2018 pour atteindre un peu plus d’un point de PIB au dernier trimestre.

Graphe_post13-03corrige

Comment expliquer ce décrochage ? Nous interprétons cette déviation comme l’effet de l’incertitude liée au Brexit, en particulier celle sur les modalités commerciales futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Près de la moitié des échanges extérieurs britanniques sont en provenance ou à destination du marché unique. Bien que l’inclusion d’un indicateur d’incertitude (EPU, voir Bloom et al., 2007) dans l’équation d’investissement n’ait pas permis de l’identifier clairement, plusieurs études sur des données d’entreprises britanniques vont dans ce sens. Tout d’abord, les périodes d’incertitude accrue se caractérisent par un investissement significativement plus bas depuis la crise de 2008 (Smietbanka, Bloom et Mizen, 2018). Par rapport à un scénario sans référendum (i.e. sans Brexit), le passage à un régime avec des tarifs douaniers renégociés aurait eu pour effet :

– de diminuer le nombre d’entreprises britanniques entrant sur le marché européen et d’en avoir poussé davantage vers la sortie (Crowley, Exton et Han, 2019) ;

– de peser sur l’investissement des entreprises du fait de perspectives de tarifs douaniers similaires à ceux prévalant sous les règles de l’OMC (Gornicka, 2018).

La baisse de l’investissement « a coûté » 0,3 points de PIB en 2018[6] et ce coût pourrait augmenter à mesure que sont pris en compte les effets de second tour (ce n’est pas notre cas ici). Si les incertitudes ne se lèvent pas, le « Brexeternity » – expression employée pour caractériser la longue période de négociation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne – risquerait d’avoir un effet bien plus déprimant sur la croissance future britannique et le niveau de vie de ses citoyens.

 

[1] L’indicateur composite de l’OMC demeure en-dessous (96,3) de sa tendance de long-terme (100) depuis la mi-2018.

[2] Reporté par l’ONS (Office for National Statistics) comme du « Business Investment ». Les entreprises non financières détenues en partie ou en totalité par l’État sont inclues dans ce champ, mais elles représentent moins de 4% du total. Cette mesure de l’investissement ne tient pas compte des dépenses en logement, terrains, bâtiments existants ainsi que les coûts liés au transfert de propriété d’actifs non produits.

[3] Voir l’article de Ducoudré, Plane et Villemot (2015) dans la Revue de l’OFCE, n° 138, pour plus de détails sur la stratégie adoptée.

[4] Un léger décrochage est constaté à partir de 2015, au moment où la loi sur le référendum a été adoptée.

[5] En particulier les travaux de Gornicka (2018).

[6] Il s’agit de la contribution de l’investissement des entreprises non financières au PIB en 2018.

 

Bibliographie

Bloom N., Bond S. et Van Reenen J., 2007, « Uncertainty and investment dynamics », The review of economic studies, vol. 74, n° 2, 391-415.

Crowley M., Exton O. & Han L. (2019). « Renegotiation of Trade Agreements and Firm Exporting Decisions: Evidence from the Impact of Brexit on UK Exports », CEPR Discussion Paper, 13446.

Ducoudré B., Plane M., & Villemot S., 2015, « Équations d’investissement », Revue de l’OFCE, n° 138, 205-221.

Gornicka L., 2018, « Brexit Referendum and Business Investment in the UK », IMF Working Paper 18/247.

Smietanka P., Bloom N., & Mizen P., 2018, « Business investment, cash holding and uncertainty since the Great Financial Crisis », Bank Of England, Staff Working Paper, 753.




Brexit : le jeu de la poule mouillée

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 29 mars 2019, le Royaume-Uni devrait quitter l’UE. Mais plus de 2 ans et demi après le vote des Britanniques pour une sortie de l’UE, rien n’est réglé. L’accord de retrait et la déclaration politique négociés par l’UE-27 et le gouvernement britannique et approuvés lors du Conseil européen du 25 novembre 2018[1] ont été massivement rejetés par le parlement britannique le 15 janvier 2019 (432 voix contre, 202 voix pour). Le 29 janvier, le parlement britannique a voté deux amendements : l’un refusant une sortie sans accord, l’autre demandant à Theresa May de rouvrir les négociations avec l’UE sur la question de la frontière irlandaise. L’UE-27 a immédiatement répliqué que cela n’était pas envisageable. Face à la menace d’une sortie sans accord, un No Deal, que ni l’UE-27, ni le gouvernement et le Parlement britannique ne souhaitent, qui calera le premier ? L’UE-27, qui accepterait de renoncer à un filet de sécurité irlandais sans date limite de sortie ? Le Royaume-Uni, qui resterait dans l’Union douanière ?

La négociation sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE était obligatoirement difficile puisque l’objectif de l’UE-27 ne pouvait être de trouver un accord avantageux pour le Royaume-Uni, mais, au contraire, de faire un exemple, de montrer que sortir de l’UE a un coût important et ne permet pas de définir une autre stratégie économique. Le Royaume-Uni voulait à la fois pouvoir s’abstraire des réglementations européennes, pouvoir signer des accords commerciaux avec les pays tiers tout en conservant l’accès au Marché unique. Pour l’UE-27, le risque était qu’une fois sorti, le Royaume-Uni devienne un paradis fiscal et réglementaire, qui aurait pu être un cheval de Troie pour les entreprises américaines ou asiatiques.

Mais c’est la question de la frontière irlandaise qui a cristallisé les difficultés du Brexit. L’accord du 25 novembre prévoit en effet que pour éviter le rétablissement d’une frontière physique entre l’Irlande du nord et la République d’Irlande, un filet de sécurité s’appliquera (le backstop) : le Royaume-Uni restera membre de l’Union douanière, si aucun autre accord n’a été conclu avant la fin de la période de transition, et ce, tant qu’un accord n’aura pas été conclu, c’est-à-dire de façon possible pendant une période indéfinie. Le Royaume-Uni n’aura pas le droit d’appliquer une politique commerciale différente de celle de l’Union. Les produits britanniques entreront librement dans le marché unique, mais le Royaume-Uni s’alignera sur les dispositions européennes en matière d’aides publiques, de concurrence, de droit du travail, de protection sociale, d’environnement, de changement climatique et de fiscalité. De plus l’Irlande du Nord continuera de s’aligner sur les règles du marché unique en matière de TVA, droits d’accise, règles sanitaires.

Une majorité de parlementaires britanniques sont opposés à ce backstop, pour deux raisons principales. Tout d’abord, il serait susceptible d’aboutir à un traitement de l’Irlande du Nord différent de celui du reste du Royaume-Uni, ce à quoi s’oppose particulièrement le parti unioniste irlandais (DUP), qui permet au gouvernement conservateur de Theresa May d’avoir la majorité absolue au parlement. De plus, pour les Brexiters, le caractère illimité dans le temps du backstop, qui empêcherait le Royaume-Uni de quitter l’union douanière sans accord de l’UE, pose aussi problème. Car en vertu de l’accord, le Royaume-Uni pourrait rester dans l’union douanière de façon permanente, ce qui interdirait des négociations commerciales avec des pays tiers, de s’éloigner des réglementations européennes, de se lancer dans une politique de dérégulation qui pourrait faire du Royaume-Uni un paradis fiscal et réglementaire. Certains Brexiters, dont Dominic Raab, étaient en faveur de limiter le backstop dans le temps (par exemple jusqu’à la fin de la période de transition). L’intransigeance de l’UE-27 sur le backstop dans le temps avait d’ailleurs conduit Dominic Raab à démissionner de son poste de ministre en charge du Brexit à la mi-novembre.

Le 15 janvier 2019, les parlementaires travaillistes ont voté contre le projet d’accord, même les partisans d’un soft brexit, tel que le Traité l’organise. Les travaillistes espèrent depuis de nombreux mois mettre le gouvernement en minorité et provoquer des élections anticipées qui leur permettraient de revenir au pouvoir. Ils prétendent qu’ils reprendraient ensuite les négociations, se faisant fort de parvenir à un accord meilleur pour le Royaume-Uni, qui lui permette à la fois de bénéficier « des mêmes avantages qu’actuellement en tant que membres de l’union douanière et du marché unique » et de contrôler les flux migratoires, mais l’UE-27 refuse nettement toute reprise des négociations. Rester membre du Marché unique impliquerait d’accepter la souveraineté de la CJUE de renoncer au contrôle des flux migratoires, à la possibilité de conclure des accords commerciaux avec les pays tiers. Le Royaume-Uni devrait se plier aux règles européennes sans avoir la moindre influence à Bruxelles.

Theresa May présentera au parlement britannique les résultats de ses demandes de renégociation du backstop avec l’UE-27 le 13 février prochain. Quatre issues semblent également envisageables aujourd’hui, mais aucune n’est jugée acceptable à la fois par le Royaume-Uni et l’UE-27 :

  • L’UE-27 accepterait de discuter rapidement de nouveaux arrangements pour remplacer le backstop. Il n’y aurait pas de frontière physique, mais des enregistrements des marchandises dans des bureaux de douane en Irlande et Irlande du Nord, des patrouilles de douaniers, des contrôles phytosanitaires à l’arrivée des bateaux dans les ports et aéroports de l’île d’Irlande. Mais le Royaume-Uni n’échappera pas au choix entre libre entrée de ses produits dans le marché unique et libertés douanière et réglementaire.
  • Le Royaume-Uni demanderait un report de la date de sortie de l’UE. L’UE-27 n’y serait pas opposée en principe, mais à condition que les Britanniques envisagent des propositions susceptibles d’être acceptées par l’UE-27, ce qui n’est pas le cas actuellement.
  • Un nouveau référendum pourrait être organisé, susceptible de défaire le premier et de laisser le Royaume-Uni dans l’UE. Jusqu’à présent, le gouvernement britannique reste ferme sur le point qu’un nouveau référendum serait un affaiblissement de la démocratie et ne ferait qu’accroître les divisions entre Britanniques. Il faudrait aussi s’entendre sur la question qui serait soumise aux électeurs entre rester dans l’UE, sortir sans accord, sortir avec l’accord du 25 novembre, renégocier. Par ailleurs, il ne serait guère porteur pour l’UE que le RU y reste finalement de mauvaise grâce.
  • Le No Deal n’est souhaité par personne, mais c’est la solution par défaut. Dans cette situation, les préparations dans la perspective d’une sortie sans accord s’intensifient au Royaume-Uni comme dans l’UE.

No deal : quels impacts macroéconomiques à court terme ?

La non-ratification entraînerait une sortie sans accord. Nous écartons les scénarios catastrophes où les échanges seraient immédiatement paralysés ; où les accords en matière de transports aériens, maritimes ou ferroviaires seraient rompus ; où des visas seraient établis ; où les diplômes et autres permis de conduire ne seraient plus reconnus. Selon le scénario le plus noir envisagé par la Banque d’Angleterre fin novembre (Banque d’Angleterre, 2018), la chute du PIB britannique pourrait atteindre 10,5 % en un an dans le cas d’une sortie sans accord ni période de transition. Mais l’intérêt des deux parties serait un accord minimal de sorte que des dispositifs provisoires évitent ces ruptures brutales. Et depuis plusieurs mois le Royaume-Uni comme les pays de l’UE-27 mettent en place des plans d’action d’urgence qui éviteront une sortie chaotique.

En cas de sortie sans accord, les deux pays devront respecter les principes de l’OMC. L’UE devra appliquer des droits de douane aux produits britanniques et les britanniques aux produits européens, du moins tant qu’un accord de libre-échange n’est pas signé (sinon, tous les pays tiers pourraient demander le même régime). Ces droits de douane seraient faibles en moyenne, de l’ordre de 3 à 4 %, compte tenu de la structure des échanges, mais importants dans certains secteurs (céréales, viande, …).

Jusqu’à présent, les marchés financiers n’envisagent pas non plus de sortie chaotique : l’indice FTSE-All Share a évolué comme les autres grandes bourses européennes (baisse au second semestre 2018 et légère reprise en janvier 2019) ; le taux de change livre-euro fluctue entre 1,10 et 1,15 depuis la fin novembre ; le taux des obligations publiques à 10 ans britanniques a légèrement baissé, passant de 1,4 % fin novembre à 1,3%, soit un écart restant de l’ordre 1,1 point avec le taux allemand.

Dans sa prévision publiée le 6 février, le NIESR (Hantzsche et al., 2019) retient comme scénario central celui d’un soft Brexit, qui conduirait à une croissance de 1,5 % du PIB britannique en 2019, ce qui est similaire à la prévision de l’OFCE d’octobre 2018, et de 1,7 % en 2020 (soit un peu plus que la prévision de l’OFCE, à 1,5 %). En cas de No deal, le NIESR présente deux simulations réalisées à l’aide du modèle NiGEM : dans la première, en l’absence de réaction de politique économique, la croissance du PIB serait de 0 % en 2019 et en 2020 ; dans la deuxième, la politique monétaire et la politique budgétaire interviendraient pour soutenir l’activité, ce qui porterait la croissance du PIB à 0,3% en 2019 et la ramènerait à 1,7% en 2020, soit un coût à court terme du No deal de l’ordre de 1,2%.

Brexit : quels impacts macroéconomiques à long terme ?

De nombreuses études ont cherché à évaluer l’impact à long terme du Brexit (pour une revue de littérature récente, voir par exemple : Tetlow et Stojanovic, 2018, Mathieu, 2018). La plupart des études estiment que l’impact sera négatif pour l’économie britannique, à l’exception notable de celles des économistes libéraux (Leave Means Leave et al., 2017). Le tableau présente les impacts à long terme sur le PIB selon les études les plus souvent citées, l’impact à long terme allant de quasiment 0, dans le cadre d’un accord de libre-échange (Felbermayr et al., 2017) à -13,3% dans le cas d’un accord de type OMC (Dhingra et al., 2017). Les études considèrent généralement que même un accord de libre-échange, sans droits de douane, mettrait des barrières non tarifaires aux échanges, en particulier aux chaînes de production internationales. Leur analyse se déroule généralement en trois étapes. Dans une première phase, elles utilisent un modèle de gravité pour évaluer la réduction des échanges qu’induirait la sortie du Royaume-Uni du marché unique, en tenant compte des barrières tarifaires, des barrières non tarifaires et des gains potentiels d’accords de libre-échange avec des pays tiers. Dans une deuxième phase, elles utilisent un modèle d’équilibre général calculable (MEGC) pour évaluer les pertes d’efficacité, induites par ces barrières, par la réduction des échanges, par la diminution de la taille de la production (pertes de gain d’économies d’échelle), par la moindre intensité de la concurrence. Ces pertes d’efficacité se traduiraient par des pertes de PIB. Dans une troisième phase, certaines études y ajoutent des effets dynamiques : la moindre ouverture économique (en termes d’échanges commerciaux et d’investissements directs étrangers) réduirait l’incitation à innover, la capacité à importer les innovations technologiques, donc la croissance de la productivité du travail, et par conséquent pas seulement le niveau, mais aussi le taux de croissance du PIB.

En règle générale, les effets statiques obtenus avec un MEGC sont relativement faibles puisque ces modèles font les hypothèses de maintien du plein emploi et d’une forte flexibilité entre les secteurs économiques. Par ailleurs, on peut penser que les études surestiment en général l’impact du Brexit dans la mesure où elles supposent une totale symétrie (les pertes à la sortie du marché unique sont évaluées à partir des gains à l’entrée) en oubliant les effets d’hystérèse ; elles prennent mal en compte la volonté des Britanniques de s’ouvrir sur le « grand large », en particulier vers les États-Unis, la Chine et les pays du Commonwealth. Les effets dynamiques inscrits dans les modèles sont toujours très forts mais ils n’ont guère de base empirique : le ralentissement constaté des gains de productivité dans les pays développés affaiblit la vision d’un fort impact de l’ouverture économique sur les gains de productivité.

Tabe_post07-02-2019_Brexit

Durant les négociations, Theresa May a poursuivi un double objectif : celui de faire sortir le Royaume-Uni de l’UE pour respecter le résultat du référendum de juin 2016, tout en maintenant un partenariat étroit avec l’UE. Mais elle n’est pas parvenue à rassembler une majorité autour d’une stratégie forte et crédible. L’UE27 a pour sa part montré son unité et son intransigeance : sortir de l’UE était pénible et coûteux ; ce n’était pas en fait pas un choix possible. Deux ans et demi après le référendum, la question que pose le Brexit demeure : que faut-il laisser à la souveraineté nationale face à la mondialisation et à la construction européenne ? La réponse n’est pas évidente si l’on considère des questions telles que la concurrence fiscale, la lutte contre le changement climatique, l’immigration, le système social…

Bibliographie

Banque d’Angleterre, 2018, EU withdrawal scenarios and monetary and financial stability – A response to the House of Commons Treasury Committee, novembre.

Dhingra S., H. Huang, G. Ottaviano, J. P. Pessoa, T. Sampson et J. Van Reenen, 2017, « The Costs and Benefits of Leaving the EU: Trade Effects », CEP Discussion Paper, 1478, avril.

Felbermayr G., C. Fuest, J. Gröschl et D. Stöhlker, 2017, « Economic effects of Brexit on the European Economy », Econ Pol Policy Report, 04-2017, novembre.

Felbermayr G., J. Gröschl et M. Steininger, 2018, « Brexit through the Lens of New Quantitative Trade Theory”, mimeo.

FMI, 2018a, Long Term Impact of Brexit on the EU, Euro Area Policies Selected Issues, IMF Country Report 18/224, juillet.

FMI, 2018b, Brexit : Sectoral Impact and policies, United Kingdom Selected Issues, IMF Country Report 18/317, novembre.

Hantzsche A., Kara A. et G. Young, 2019, « Prospects for the UK economy », National Institute Economic Review, février.

Hantzsche A., Kara A. et G. Young, 2018, The economic effects of the government’s proposed deal, NIESR Report, 26 novembre.

HM Treasury, 2016, The long-term economic impact of EU membership and the alternatives, avril.

Kierzenkowski, R., N. Pain, E. Rusticelli, et S. Zwart, 2016, « The Economic Consequences of Brexit: A Taxing Decision» OECD Economic Policy Paper 16.

Leave Means Leave, Labour Leave and Economists for Free Trade, 2017, New Model Economy For A Post-Brexit Britain.

Mathieu C., 2018, Brexit : Le prix de la liberté, Mimeo.

Rojas-Romagosa H., 2016, « Trade effects of Brexit for the Netherlands », CPB Background Paper, juin.

Tetlow G. et A. Stojanovic, 2018, Understanding the economic impact of Brexit, Institute for Government, octobre.

Note

[1] Pour une présentation de l’accord, voir : Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak « Brexit : l’accord du 25 novembre », OFCE Le Blog, 30 novembre 2018 – https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/10652-2/




Brexit : l’accord du 25 novembre

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le Royaume-Uni quittera l’UE le 29 mars 2019 à minuit, deux ans après la notification officielle du gouvernement britannique de son souhait de quitter l’UE. Les négociations avec l’UE-27 ont officiellement commencé en avril 2017.

Le 8 décembre 2017, les négociateurs de la Commission européenne et le gouvernement britannique avaient signé un rapport conjoint sur les trois points de l’accord de retrait que la Commission considérait comme prioritaire[1] : les droits des citoyens, le règlement financier de la séparation et l’absence de frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord. Le Conseil européen des 14-15 décembre avait accepté la demande britannique d’une période de transition, en fixant sa fin au 31 décembre 2020 (de façon à coïncider avec la fin de la programmation du budget européen actuel). Ainsi, de mars 2019 à fin 2020, le Royaume-Uni devra respecter toutes les obligations du marché unique (dont les quatre libertés et la compétence de la CJUE), sans plus avoir voix au chapitre à Bruxelles. Cet accord a permis l’ouverture de la deuxième phase des négociations.

Ces négociations ont abouti le 14 novembre 2018 à un accord de retrait[2] (de près de 600 pages) et à une déclaration politique sur les relations futures entre l’UE27 et le Royaume-Uni, finalisée le 22 novembre[3] (36 pages). Ces deux textes ont été approuvés le 25 novembre lors d’une réunion exceptionnelle du Conseil européen[4] (réuni à 27), lequel a, à cette occasion, adopté trois déclarations[5]. L’accord de retrait et la déclaration politique doivent être maintenant soumis à l’accord du Parlement européen, ce qui ne devrait pas poser problème et, ce qui s’avère nettement plus difficile, du Parlement britannique.

L’accord de retrait correspond à l’article 50 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). C’est un accord international précis, qui a une valeur juridique ; il doit être appliqué par les tribunaux britanniques sous l’autorité de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour ce qui concerne les lois de l’UE. Il reprend les points déjà réglés par les négociations en décembre 2017 : les droits des citoyens britanniques dans les pays de l’UE et les droits des citoyens de l’UE au Royaume-Uni ; le règlement financier. Il comprend trois protocoles concernant l’Irlande, Chypre et Gibraltar. Les désaccords sur l’interprétation de l’accord seront gérés par un comité mixte, puis, si nécessaire, par un tribunal arbitral. Celui-ci devra consulter la CJUE s’il s’agit d’une question que l’une des parties juge concerner le droit de l’Union. En juillet 2020, il pourra être décidé de prolonger la période de transition au-delà du 31 décembre 2020 : cela demanderait une contribution financière du RU.

Pour éviter le rétablissement d’une frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, une clause de sauvegarde s’appliquera (le backstop) : le Royaume-Uni restera membre de l’Union douanière, si aucun autre accord n’était conclu avant la fin de la période de transition, et pendant une période indéfinie, tant qu’un accord n’aura pas été conclu. Cet accord devra être agréé par le comité mixte. L’Union douanière couvrira tous les biens, sauf les produits de la pêche (et de l’aquaculture). Le Royaume-Uni n’aura pas le droit d’appliquer une politique commerciale différente de celle de l’Union. Les produits britanniques entreront librement dans le marché unique, mais le Royaume-Uni s’alignera sur les dispositions européennes en matière d’aides publiques, de concurrence, de droit du travail, de protection sociale, d’environnement, de changement climatique et de fiscalité. De plus l’Irlande du Nord continuerait de s’aligner sur les règles du marché unique en matière de TVA, de droits d’accise, de règles sanitaires… Des contrôles pourront être mis en place sur les produits entrant en Irlande du Nord en provenance du reste du Royaume-Uni (en particulier pour les produits agricoles), mais ces contrôles seront réalisés par les autorités britanniques.

Ainsi, pris au piège de la frontière irlandaise, le Royaume-Uni doit renoncer pour un temps indéfini à toute politique commerciale autonome. Il devra s’aligner sur les réglementations européennes dans beaucoup de domaines, ceci sous la menace d’un recours à la CJUE.

La déclaration politique commune du 22 novembre donne les grandes lignes de ce que pourraient être les relations futures entre le Royaume-Uni et l’UE27. D’un côté, elle correspond bien à l’objectif d’une relation étroite, spécifique et équilibrée, que demandaient les Britanniques. De l’autre, le Royaume-Uni prend un certain nombre d’engagements qui écartent la possibilité d’une stratégie de « paradis fiscal et réglementaire ».

Ainsi, l’article 2 indique que les deux parties entendent maintenir des normes de haut niveau pour la protection des droits des travailleurs et des consommateurs et de l’environnement. L’article 4 indique que seront respectés l’intégrité du marché unique et les quatre libertés pour l’UE27, le droit à mener une politique commerciale autonome et à mettre fin à la libre circulation des personnes pour le Royaume-Uni.

De façon générale, la déclaration stipule que les deux parties chercheront à coopérer, à échanger, à agir de concert ; que le Royaume-Uni pourra participer à des programmes de l’Union en matière de culture, éducation, science, innovation, espace, défense, etc. sous des conditions à négocier.

L’article 17 annonce la mise en place d’un accord de libre-échange ambitieux, étendu, approfondi, équilibré. Les articles 20 à 28 proclament la volonté de créer une zone de libre échange pour les biens, grâce à une coopération approfondie en matière douanière et réglementaire et des dispositions qui mettront tous les participants sur un pied d’égalité pour une concurrence ouverte et loyale. Les droits de douane (ainsi que les vérifications aux frontières des règles d’origine) seront évités. Le Royaume-Uni s’efforcera de s’aligner sur les règles européennes dans les domaines pertinents[6]. Ces coopérations en matière de normes techniques et sanitaires permettront aux produits britanniques d’entrer librement dans le marché unique. Dans ce cadre, la déclaration rappelle l’intention de l’UE 27 et du Royaume-Uni de remplacer le « filet de sécurité » irlandais par un autre dispositif assurant l’intégrité du marché unique et l’absence de frontière physique en Irlande.

En matière de services et d’investissements, les deux parties envisagent des accords de libéralisation des échanges, larges et ambitieux. L’autonomie des réglementations sera préservée, mais celles-ci devront être « transparentes, efficaces, compatibles, dans la mesure du possible ». Des accords de coopération et de reconnaissances mutuelles seront signés en matière de services, en particulier de télécommunications, de transports, de services aux entreprises, de commerce par internet. La liberté de circulation des capitaux et des paiements sera garantie. En matière financière, des accords d’équivalence seront négociés ; une coopération sera instituée en matière de régulation et de supervision. Les droits intellectuels seront protégés, en particulier en matière d’indications géographiques protégées. Des accords seront signés en matière de transports aériens, maritimes, terrestres, en matière d’énergie, de marchés publics. Les pays s’engagent à coopérer en matière de lutte contre le changement climatique, de développement durable, de stabilité financière, de lutte contre le protectionnisme. Les possibilités de voyages pour des raisons touristiques, scientifiques, d’enseignement, d’affaires, ne seront pas affectées. Un accord sur la pêche devra être signé avant le 1er juillet 2020.

Des dispositions devront couvrir les aides publiques, les normes en matière de concurrence, de droit du travail, de protection sociale, d’environnement, de changement climatique et de fiscalité, pour assurer une compétition ouverte et loyale entre des acteurs placés sur un pied d’égalité (level playing field).

Le texte prévoit des instances de coordination aux niveaux techniques, ministériels, parlementaires. Tous les six mois, une conférence de haut niveau dressera un bilan de l’accord.

Les négociations continueront en matière commerciale pour assurer la compatibilité entre l’intégrité du marché unique et de l’Union douanière et le développement d’une politique commerciale autonome du Royaume-Uni.

D’un côté, le texte prévoit bien un partenariat étroit et spécial, comme le demandait le Royaume-Uni ; de l’autre, le Royaume-Uni le paye par l’engagement de respecter les règles européennes ; enfin, les points problématiques restent encore à négocier, que ce soient les droits de pêche ou l’autonomie de la politique commerciale britannique ou la sortie du filet de sécurité irlandais. Le 25 novembre, le Conseil européen a souhaité adopter deux déclarations. La première insiste sur l’importance de trouver un accord sur la pêche, avant la fin de la période de transition et permettant de maintenir l’accès des pêcheurs de l’UE-27 aux eaux maritimes britanniques. Elle lie aussi l’extension de la période de transition au respect par le Royaume-Uni de ses obligations sur le protocole irlandais. Elle rappelle les conditions que l’UE27 avait fixées le 20 mars 2018 pour un accord : « La divergence au niveau des tarifs extérieurs et des règles internes, ainsi que l’absence d’institutions et d’un système juridique communs nécessitent des vérifications et des contrôles pour préserver l’intégrité du marché unique de l’UE et celle du marché du Royaume-Uni. Cela aura malheureusement des conséquences économiques négatives, en particulier au Royaume-Uni… Un accord de libre-échange ne saurait offrir les mêmes avantages que le Statut d’État membre ». La deuxième déclaration précise que Gibraltar ne sera pas inclus dans le futur accord commercial négocié entre le Royaume-Uni et l’UE27 ; un accord séparé sera nécessaire et soumis à l’agrément préalable de l’Espagne. Ces déclarations ne faciliteront pas la tâche de Theresa May pour faire voter l’accord par le Parlement britannique.

Signalons deux points qui n’ont guère été évoqués dans la négociation. Ce partenariat privilégié pourrait servir de modèle pour les relations avec d’autres pays. L’UE a signé de nombreux accords d’union douanière avec ses voisins, les pays de l’espace économique européen (Norvège, Islande, Lichtenstein), la Suisse, l’Ukraine, la Géorgie et la Moldavie. Cinq pays sont candidats à l’entrée (Albanie, Monténégro, Serbie, Kosovo et Macédoine du Nord). Ne pourrait-on formaliser ces partenariats dans un troisième cercle autour de l’UE ?

L’engagement de pratiquer une concurrence loyale n’impose-t-il pas une certaine harmonisation fiscale dans l’UE27, en particulier quant aux taux et aux modalités de l’impôt sur les sociétés ? L’UE27 a-t-elle eu raison de soutenir la République irlandaise sans contrepartie ? On voit mal comment l’UE27 pourrait reprocher au Royaume-Uni de pratiquer de la concurrence déloyale quand elle tolère les pratiques de l’Irlande, des Pays-Bas ou du Luxembourg. De même, l’insistance sur les dispositifs pour empêcher le RU de pratiquer une concurrence fiscale et sociale déloyale contraste avec le laxisme de l’UE tant dans ses relations avec des pays tiers que dans le contrôle des politiques de dévaluation interne de certains pays membres (Allemagne, par exemple).

Au bilan, le Royaume-Uni obtient de retrouver sa souveraineté nationale, de ne plus être soumis à la CJUE, de ne plus avoir à respecter la liberté d’installation des travailleurs des pays de l’UE. En contrepartie, il n’aura plus de voix au chapitre à Bruxelles.

Les milieux d’affaires ont accueilli favorablement le projet dans la mesure où il écarte les risques de No Deal et annonce un accord de libre-échange entre le Royaume-Uni et l’UE, qui n’imposerait que peu de restrictions aux échanges commerciaux.

A ce jour, il n’y a aucune certitude que le parlement britannique validera l’accord proposé par Theresa May et les négociateurs de l’UE-27. Theresa May doit trouver une majorité pour un accord de compromis. Elle rencontrera l’opposition des conservateurs hard brexiters qui sont prêts à une sortie sans accord pour que le Royaume-Uni puisse « reprendre le contrôle », s’engager dans des négociations commerciales avec des pays tiers, sortir des réglementations européennes, se lancer dans une politique de dérégulation qui ferait du Royaume-Uni un paradis fiscal et réglementaire. Mais le Royaume-Uni est déjà l’un des pays où les régulations des marchés des biens et du travail sont les plus souples. Une forte baisse des impôts supposerait de nouvelles baisses des dépenses sociales, contraire aux promesses du parti conservateur. Et le No deal mettrait des barrières à l’accès au marché unique des produits et services du RU. Theresa May se heurtera au parti unioniste irlandais (DUP), opposé à tout traitement différent de l’Irlande du Nord, comme aux nationalistes écossais, qui souhaitent que l’Ecosse reste dans l’UE. Elle se heurtera aussi aux remainers (conservateurs, travaillistes ou libéraux-démocrates) qui, forts de certains sondages récents, réclament un nouveau referendum. Jeremy Corbyn ne remet pas en cause le résultat du referendum, mais beaucoup de parlementaires travaillistes pourraient voter contre le texte, même s’ils sont partisans d’un soft Brexit, tel que le Traité l’organise. Ils espèrent provoquer des élections anticipées qui pourraient leur permettre de revenir au pouvoir. Ils prétendent reprendre ensuite les négociations, se faisant fort de parvenir à un accord meilleur pour le Royaume-Uni, qui lui permette à la fois de bénéficier « des mêmes avantages qu’actuellement en tant que membres de l’Union douanière et du marché unique » et de contrôler les flux migratoires. Mais l’UE-27 a refusé nettement toute reprise des négociations et certains travaillistes souhaitent un nouveau referendum… L’espoir de Theresa May est que la crainte d’un No deal sera suffisamment forte pour que son compromis soit voté.

Si, au départ, le Brexit semblait fragiliser l’UE, en montrant qu’un départ était possible, l’UE a montré son unité dans les négociations. Il est vite apparu que sortir de l’UE était pénible et coûteux. L’UE est une cage, plus ou moins dorée, dont il est difficile, sinon impossible, de sortir.

 

[1] Voir : Joint report from the negotiators of the EU and the UK government on progress during phase 1 of negotiations under Article 50 on the UK’s orderly withdrawal from the EU, 8 décembre 2017. Voir Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak, « Brexit réussir sa sortie », blog de l’OFCE, 6 décembre 2017.

[2] https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/draft_withdrawal_agreement_0.pdf

[3] https://www.consilium.europa.eu/media/37059/20181121-cover-political-declaration.pdf

[4] https://www.consilium.europa.eu/media/37114/25-special-euco-final-conclusions-fr.pdf et

[5] https://www.consilium.europa.eu/media/37137/25-special-euco-statement-fr.pdf

[6] Le flou est dans le texte : “The United Kingdom will consider aligning with Union rules in relevant areas”.

 




Brexit : voies sans issue ?

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le résultat du référendum du 23 juin 2016 en faveur d’une sortie de l’Union européenne a ouvert une période de forte incertitude économique et politique au Royaume-Uni. Il pose aussi des problèmes délicats à l’UE : pour la première fois, un pays choisit de quitter l’UE. Alors que les partis populistes montent en puissance dans plusieurs pays européens, que l’euroscepticisme est de mise dans d’autres (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovénie, Slovaquie), que la crise des migrants divise les États membres, l’UE-27 doit négocier la sortie britannique avec l’objectif d’éviter d’offrir une alternative séduisante aux adversaires de l’intégration européenne. Une négociation satisfaisante pour le RU et l’UE est impossible puisque le but de l’UE ne peut être de trouver un accord avantageux pour le RU, mais, au contraire, de faire un exemple, de montrer que la sortie de l’UE a un coût économique important sans gain financier notable, qu’elle ne permet pas de définir une autre stratégie économique.

Selon le calendrier actuel, le Royaume-Uni quittera l’UE le 29 mars 2019, deux ans après la notification officielle du gouvernement britannique de quitter l’UE, le 29 mars 2017. Les négociations avec l’UE ont officiellement commencé avril 2017.

Jusqu’à présent, sous l’égide de la Commission européenne et de son négociateur en chef, Michel Barnier, l’UE-27 a maintenu une position ferme et unie. Cette position n’a guère donné lieu à des débats démocratiques, ni au niveau national, ni au niveau européen. Ni au Conseil européen, ni au Parlement, les partisans de lignes plus conciliantes ne se sont exprimés, de peur d’être accusés de rompre l’unité européenne.

L’UE-27 refuse de remettre en cause, en quoi que ce soit, le fonctionnement de l’UE pour aboutir à un accord avec le RU ; elle considère que les quatre libertés de circulation (des biens, des services, des capitaux et des personnes) sont indissociables ; elle refuse que le rôle de juge suprême du CJUE puisse être remis en cause ; elle refuse que le RU puisse pratiquer le « cherry picking », choisir les programmes européens auxquels il participe. En même temps, les pays de l’UE-27 saisissent la situation pour mettre en cause le statut de la City, de l’Irlande du Nord (pour la République d’Irlande), de Gibraltar (pour l’Espagne).

Des négociations difficiles

Le 29 avril 2017, le Conseil européen avait adopté ses positions de négociations et nommé Michel Barnier comme négociateur en chef. Les Britanniques souhaitaient négocier en priorité le futur partenariat entre l’UE et le RU, mais l’UE-27 a imposé que les négociations ne portent, en premier lieu, que sur trois points : les droits des citoyens, le règlement financier de la séparation et la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord. L’UE-27 a adopté une position dure sur chacun de ses trois points, refusant de discuter du partenariat futur avant que ceux-ci ne soient réglés, interdisant toute discussion bilatérale (entre le RU et un pays membre) et toute pré-négociation entre le RU et un pays tiers sur leurs futures relations commerciales.

Le 8 décembre 2017, un accord a enfin été obtenu entre le Royaume-Uni et la Commission sur les trois points initiaux [1]; cet accord a été ratifié au Conseil européen des 14-15 décembre[2]. Cependant, de fortes ambiguïtés persistent, tout particulièrement sur la question de l’Irlande.

Le Conseil européen accepté la demande britannique d’une période de transition, en fixant sa fin au 31 décembre 2020 (de façon à coïncider avec la fin de la programmation du budget européen actuel). Ainsi, de mars 2019 à fin 2020, le RU devra respecter toutes les obligations du marché unique (dont les quatre libertés et la compétence de la CJUE), sans plus avoir voix au chapitre à Bruxelles.

L’UE-27 a accepté l’ouverture de négociations sur la période de transition et sur le partenariat futur. Ces négociations devaient aboutir lors du sommet européen d’octobre 2018 à un accord fixant les conditions du retrait, les règles de la période de transition et esquissant, par une déclaration politique, le futur traité fixant les relations entre le Royaume-Uni et l’UE-27, de sorte que les instances européennes et britanniques aient le temps de les examiner et de les voter avant le 30 mars 2019.

Cependant, aussi bien l’UE-27 que le RU ont proclamé qu’« il n’y a d’accord sur rien tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout », de sorte que les accords sur les trois points comme sur la période de transition sont conditionnés à l’accord sur le partenariat futur.

Les négociations du côté britannique

Les membres du gouvernement formé par Theresa May en juillet 2016 ont dès le départ été divisés sur les modalités du Brexit : d’un côté, les partisans d’un Brexit dur, dont, Boris Johnson, alors chargé des affaires étrangères et David Davis, alors chargé de négocier la sortie du Royaume-Uni de l’UE ; de l’autre, les membres favorables à un compromis pour limiter l’impact du Brexit sur l’économie britannique, dont Philip Hammond, chancelier de l’Échiquier. Les partisans d’un Brexit dur avaient fait campagne en soutenant que quitter l’UE permettrait d’arrêter de verser une contribution financière à l’UE et de « mieux utiliser » cet argent pour financer le système de santé britannique ; que le Royaume-Uni pourrait signer librement des accords commerciaux avec les pays hors UE et se tourner vers le monde extérieur, ce qui serait porteur pour l’économie britannique ; que sortir du carcan des réglementations européennes permettrait d’impulser l’économie. Pour eux, il ne faut pas céder aux demandes de l’UE-27, quitte à prendre le risque d’une sortie sans accord. L’objectif doit être de s’extraire des contraintes européennes, de « reprendre le contrôle ». Pour les partisans d’un compromis avec l’UE, il faut absolument éviter une sortie sans accord, une « chute de la falaise », qui serait nuisible aux entreprises britanniques et à l’emploi. Au cours des derniers mois, c’est ce camp qui a progressivement fait avancer ses positions au sein du gouvernement, amenant Theresa May à demander à l’UE-27 une période de transition, lors du discours de Florence de septembre 2017, ce qui répondait aussi à la demande des représentants des entreprises britanniques (dont la Confédération des industriels britanniques, CBI). Le 6 juillet 2018, Theresa May a tenu une réunion du gouvernement dans la résidence de Chequers afin de s’accorder sur les propositions britanniques sur la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Les concessions faites au fil des mois par le gouvernement britannique et ces propositions ont conduit David Davis puis Boris Johnson à démissionner le 8 juillet 2018.

Le 12 juillet 2018, le gouvernement britannique a publié un livre blanc sur le futur partenariat[3]. Celui-ci propose un « Brexit basé sur des principes et pratique »[4]. Celui-ci doit « respecter le résultat du referendum de 2016 et la décision du Royaume-Uni de reprendre les commandes de ses lois, de ses frontières et de ses finances ». Il s’agit de construire une nouvelle relation entre le RU et l’UE, « plus profonde que la relation actuelle entre l’UE et aucun pays tiers, tenant compte de l’histoire et des liens étroits actuels ».

Le livre blanc comporte quatre chapitres : partenariat économique, partenariat de sécurité, coopérations intersectorielles et relations institutionnelles. En ce qui concerne le partenariat économique, l’accord doit permettre une « relation vaste et approfondie avec le reste de l’UE ». Le Royaume-Uni propose d’établir une zone de libre échange des biens. Cela permettrait aux entreprises britanniques et européennes de maintenir les chaînes de production et éviterait les contrôles douaniers et réglementaires aux frontières. Cette zone de libre-échange permettrait de « tenir la promesse » de maintien de l’absence de frontière entre l’Irlande du Nord et de la république d’Irlande. Le RU s’alignerait sur les règles pertinentes de l’UE pour permettre un commerce sans friction à la frontière ; il participerait aux agences européennes pour les produits chimiques, la sécurité aérienne et les médicaments. Le livre blanc propose d’appliquer les règles douanières de l’UE aux importations de marchandises qui arriveront au RU en étant à destination de l’UE et de percevoir la TVA sur ces marchandises pour le compte de l’UE.

Pour les services, le RU reprendrait sa liberté réglementaire, acceptant de renoncer au passeport européen en matière de services financiers, tout en évoquant des dispositions de reconnaissance mutuelle des réglementations, qui préserveraient les avantages de marchés intégrés. Il souhaite le maintien de la coopération dans les domaines de l’énergie et des transports. En contrepartie, le RU s’engage à maintenir des dispositions coopératives en matière de réglementation de la concurrence, de droit du travail et d’environnement. La liberté de circulation serait maintenue pour les citoyens de l’UE et du RU.

Le partenariat de sécurité comporterait le maintien de la coopération en matières policière et juridique, la participation du Royaume-Uni à Europol et Eurojust, la coordination en matière de politique étrangère, de défense, de lutte contre le terrorisme.

Le livre blanc propose une coopération étroite pour la circulation et la protection des données personnelles, des accords de coopération scientifique dans les domaines de l’innovation, de la culture, de l’éducation, du développement et de l’action internationale, de la R&D dans le secteur de la défense et de l’aérospatiale. Le RU souhaite continuer à participer à des programmes européens de coopération scientifique, en y apportant une contribution financière suffisante. Enfin, le Royaume-Uni ne participera plus à la politique commune de la pêche, mais propose des négociations sur le sujet.

En matière institutionnelle, le Royaume-Uni propose un accord d’association, avec un dialogue régulier entre les ministres de l’UE et du RU, dans un Comité mixte (Joint Committee). Le RU reconnaît la compétence exclusive de la CJUE pour interpréter les règles de l’UE, mais les litiges entre le RU et l’UE seraient tranchés par le Joint Committee ou par un arbitrage indépendant.

Jusqu’à présent, Theresa May tente de ménager les partisans d’un Brexit dur, les hard Brexiters – le Royaume-Uni quittera l’UE – et ceux d’un Brexit souple – le Royaume-Uni souhaite un partenariat profond et spécial avec l’UE. Theresa May répète régulièrement que le Royaume-Uni quitte l’UE mais non l’Europe, mais sa position de compromis ne satisfait pas les partisans d’un Brexit net. En septembre 2018, Boris Johnson accuse Theresa May d’avoir capitulé devant l’UE : « Dans cette négociation, l’UE a jusqu’à présent remporté toutes les manches importantes. Nous avons placé une veste-suicide sur la Constitution britannique – et donné le détonateur à Michel Barnier. Nous lui avons donné un pied-de-biche avec lequel Bruxelles peut choisir – à tout moment – de séparer le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord »[5]. Selon lui, le plan de Chequers fait perdre tous les avantages du Brexit. Les remainers, partisans de rester dans l’UE, militent eux pour un nouveau referendum. Celui-ci est cependant peu probable. Theresa May l’écarte absolument, comme une « trahison de la démocratie ».

Le congrès annuel des conservateurs qui se tiendra du 30 septembre au 3 octobre pourrait voir la candidature de Boris Johnson ou de Jacob Rees-Mogg[6] à la tête du parti. Néanmoins, leurs positions ne sont pas majoritaires et les sondages accordent à Theresa May une popularité plus forte que celles de ses challengers. Sauf coup de théâtre, Theresa May continuera à porter les négociations sur le Brexit dans les mois à venir.

Le Parlement britannique avait décidé, le 13 décembre dernier, que l’accord conclu avec l’Union européenne devra être soumis à son vote. Aussi Theresa May doit trouver une majorité parlementaire pour un accord de retrait ordonné du Royaume-Uni, malgré l’opposition des remainers et des hard Brexiters, ce qui demande le soutien de certains députés travaillistes et sera délicat.

Les propositions du livre blanc de juillet n’ont pas été jugées acceptables par Michel Barnier. En août, Jeremy Hunt, le nouveau ministre des affaires étrangères estimait les risques de l’absence d’accord à 60%. Le 23 août 2018, le gouvernement a publié 25 notes techniques (sur 80 prévues) qui précisent les mesures prévues par le gouvernement en cas de sortie sans accord en mars 2019. Leur objectif est de rassurer les entreprises et les ménages sur les risques de pénurie de produits importés, notamment de certains produits alimentaires et de médicaments. Lors de la publication de ces notes, Dominic Raab, le nouveau ministre chargé des négociations sur la sortie de l’UE, a pris soin de rappeler que le gouvernement souhaite qu’un accord soit signé et que les négociateurs sont d’accord sur 80 % des dispositions de l’accord de retrait.

Si l’UE-27 reste inflexible, le gouvernement britannique aura le choix entre sortir sans accord, ce que les Brexiters « durs » sont prêts à faire, ou faire de nouvelles concessions. Philip Hammond a rappelé les risques de l’absence d’accord. Mais Theresa May reste sur sa ligne selon laquelle l’absence d’accord serait préférable à un mauvais accord. Le 28 août, elle reprenait les propos du Directeur général de l’OMC, Roberto Azevedo, selon lequel une sortie sans accord ne « serait pas la fin du monde », mais ne serait pas non plus « une promenade dans un parc ». Dans une tribune du Sunday Telegraph du 1er septembre 2018, elle réaffirme sa volonté de construire, en dehors de l’UE, un Royaume-Uni plus fort, plus audacieux, basé sur la méritocratie, adapté au futur.

Les négociations du côté de l’UE

L’UE-27 refuse que le RU reste dans le marché unique et l’union douanière, en choisissant les règles qu’il veut bien appliquer. Elle ne veut pas que le RU bénéficie de règles plus favorables que les autres pays tiers, en particulier les membres actuels de l’Espace économique européen (EEE, Norvège, Islande, Liechtenstein) ou la Suisse. Les membres de l’EEE doivent actuellement intégrer toute la législation du marché unique (en particulier la libre circulation des personnes) et contribuer au budget européen. Le passeport européen des institutions financières leur est aujourd’hui accordé, mais la Suisse n’en bénéficie pas.

En décembre 2017, Michel Barnier avait affirmé clairement qu’il fallait tirer les leçons du refus du Royaume-Uni de respecter les quatre libertés, de retrouver sa souveraineté commerciale, de ne plus reconnaître l’autorité de la Cour de justice européenne. Ceci écarte toute possibilité de participation au marché unique et à l’union douanière. L’accord avec le Royaume-Uni sera un accord de libre-échange, sur le modèle des accords signés avec le Canada le CETA, la Corée du Sud et plus récemment le Japon. Il ne concernera pas les services financiers.

Durant les négociations de 2018, l’UE-27 a été particulièrement peu conciliante sur l’obligation du RU d’appliquer toutes les règles de l’UE et la garantie de la liberté d’installation des personnes jusqu’à la fin de la période de transition, sur la frontière irlandaise (soutenant que l’absence de frontières physiques n’était pas compatible avec le retrait du RU de l’union douanière, demandant que l’Irlande du Nord reste dans le marché unique tant que le RU ne trouve pas une solution garantissant l’intégrité du marché intérieur sans frontière physique en Irlande), sur le rôle de la CJUE (qui devrait être compétente pour interpréter l’accord de retrait), sur l’autonomie de décision de l’UE (refusant la mise en place d’organes permanents de décisions conjointes avec le RU), et même sur Gibraltar et les bases militaires britanniques à Chypre.

Ainsi, le 2 juillet 2018, Michel Barnier[7] accepte le principe d’un partenariat ambitieux, mais refuse toute frontière terrestre entre les deux parties de l’Irlande, tout en indiquant qu’une frontière terrestre est nécessaire pour protéger l’UE (ce qui voudrait dire que le seul accord acceptable impliquerait que la frontière passe entre l’Irlande du Nord et le reste du RU, solution inacceptable pour le RU). Il refuse que l’UE « perde le contrôle de ses frontières et de ses lois ». Il refuse donc que le RU soit chargé d’appliquer des règles douanières européennes et de percevoir la TVA pour l’UE. Il insiste sur le fait que la future coopération avec le RU ne pourra s’appuyer sur le même degré de confiance qu’entre les pays membres. Il réclame des engagements précis et contrôlables du Royaume-Uni, en particulier sur les normes sanitaires et la protection des indications géographique. Il souhaite que l’accord se limite à un accord de libre-échange, avec des garanties britanniques quant à la réglementation et les aides d’État, avec une coopération en matière de douane et de réglementation.

Ainsi le Royaume-Uni devra renégocier l’ensemble des traités commerciaux, tant avec l’UE qu’avec les pays tiers. Ces accords seront probablement longs à mettre en place, en tout cas nécessiteront plus de deux ans. Le manque de préparation et la désorganisation avec lesquels le Royaume-Uni a abordé les négociations du Brexit augure mal de sa capacité à négocier rapidement de tels accords. La question du rétablissement de contrôles douaniers est cruciale et délicate, que ce soit en Irlande, à Gibraltar ou à Calais. De nombreuses entreprises multinationales relocaliseront en Europe continentale leurs usines et sièges sociaux. La perte du passeport financier est acquise. C’est sur ce point que les Britanniques risquent de plus perdre, vu le poids des activités de la City (7,5% du PIB britannique). Le Royaume-Uni devra choisir entre se plier aux règles européennes pour conserver un certain accès aux marchés européens ou jouer l’affrontement par une politique de libéralisation. L’UE-27 pourrait saisir l’occasion du départ du RU pour revenir à un modèle financier rhénan, basé sur les banques et le crédit, plutôt que sur les marchés ou, au contraire, essayer de supplanter la City pour les activités de marchés par des mesures de libéralisation. C’est la seconde branche de l’alternative qui l’emportera.

Choisir entre trois stratégies

Jusqu’à présent, les pays de l’UE-27 ont adopté une position dure mais facile à tenir : puisque c’est le Royaume-Uni qui choisit de quitter l’Union, c’est à lui de faire des propositions acceptables pour l’UE-27, pour son retrait comme pour les relations ultérieures. C’est ainsi que l’on est arrivé à une situation d’enlisement. L’UE-27 doit aujourd’hui choisir entre trois stratégies :

– Ne pas faire de propositions acceptables par les Britanniques et se résigner à une sortie sans accord : les relations entre le RU et l’UE-27 seraient gérées selon les principes de l’OMC ; les conditions financières du divorce seraient fixées de façon juridique. Le Royaume-Uni retrouverait sa pleine souveraineté. Deux raisons amènent à redouter ce scénario : le commerce serait obligatoirement perturbé par la réinstallation de barrières douanières dans les ports et en Irlande ; ce « Brexit dur » inciterait le Royaume-Uni à devenir un paradis fiscal et réglementaire, de sorte que l’UE serait devant l’alternative, soit de suivre, soit de prendre des mesures de rétorsion, deux solutions néfastes ;

– Prendre la question à bras le corps et instaurer un troisième cercle pour les pays qui veulent participer à une union douanière avec les pays de l’UE soit, à court terme, en outre le Royaume-Uni et les pays de l’EEE. C’est dans ce cadre que seraient négociés les accords concernant les réglementations techniques et les normes des biens et services. Ainsi, l’aspect « liberté des échanges » serait dissocié des questions de souveraineté politique. Cela pose cependant deux problèmes : ces accords devraient être négociés dans des comités techniques où les opinions publiques, les parlements nationaux comme le parlement européen, n’auraient guère voix au chapitre. Les champs de l’union douanière sont problématiques, en particulier, pour les questions fiscales, les réglementations financières, la liberté de circulation des personnes et des services ;

– Choisir la solution du « partenariat spécial et approfondi », qui suppose des concessions réciproques. Et qui obligatoirement pourra servir de modèle aux relations de l’UE avec d’autres pays. Il comporterait une union douanière limitée aux marchandises, des comités d’harmonisation des normes, des accords au coup par coup pour les services, le droit pour le RU à limiter la circulation des personnes, sans doute une cour d’arbitrage (qui limiterait les pouvoirs de la CJUE), un engagement à éviter la concurrence fiscale et réglementaire. On le voit, cela ne pourrait satisfaire ni les partisans d’un brexit dur, ni les partisans d’une Union européenne autonome et intégrée.

 

[1] Voir : Joint report from the negotiators of the EU and the UK government on progress during phase 1 of negotiations under Article 50 on the UK’s orderly withdrawal from the EU, 8 décembre 2017.

[2] Voir Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak : Brexit, réussir sa sortie, Blog de l’OFCE, 6 décembre 2017.

[3] HM Government : « the future relationship between the United Kingdom and the European Union », juillet 2018.

[4] L’expression étant dans le texte d’origine : « A principled and practical Brexit ». Des traductions de la note de synthèse dans les 25 langues de l’UE sont disponibles sur le site web du Department for Exiting the European Union. La version française utilise le terme de « Brexit vertueux et pratique ».

[5] Tribune de Boris Johnson, Mail on Sunday, 9 septembre 2018.

[6] Favorable à un Brexit dur, mais aussi issu d’Eton-Oxford, catholique traditionaliste, opposé à l’avortement, aux dépenses publiques et à la lutte contre le changement climatique.

[7] Voir : « Un partenariat ambitieux avec le Royaume-Uni après le Brexit », 2 juillet 2018.

 




Banque d’Angleterre : ‘Wait and see’

Par Catherine Mathieu

Le 20 juin 2018, la Banque d’Angleterre a maintenu son taux directeur à 0,5 %, six des neuf membres du Comité de politique monétaire ayant voté pour le statu quo, tandis que trois votaient pour une hausse de 0,25 point. Par ailleurs, les neuf membres ont voté pour maintenir inchangé l’encours des titres détenus par la Banque d’Angleterre dans le cadre de sa politique non conventionnelle (435 milliards de livres sterling de titres publics et 10 milliards de titres privés).

Ce statu quo est en ligne avec le scénario de notre prévision d’avril. Alors que la Réserve fédérale américaine a relevé le taux des fonds fédéraux le 13 juin d’un quart de point dans une fourchette de 1,75 % à 2 % (voir : La Réserve fédérale hausse le ton) et que la Banque centrale européenne a annoncé le lendemain le maintien de son taux directeur à 0, la Banque d’Angleterre garde aussi son taux de base inchangé, alors que la croissance comme l’inflation ont ralenti au premier trimestre 2018, et que les incertitudes autour du Brexit demeurent entières. Le Comité de politique monétaire (CPM) de la Banque d’Angleterre continue d’envisager un « resserrement limité et graduel » du taux directeur. En complément de sa discussion sur le taux directeur, le CPM annonce qu’il ne réduira pas le montant des titres publics figurant dans le bilan de la Banque centrale tant que le taux directeur n’aura pas atteint 1,5 %. Contrairement à la BCE, qui a annoncé qu’elle normaliserait progressivement sa politique monétaire en commençant par réduire ses détentions d’actifs, et qu’elle n’envisageait pas d’augmenter les taux avant l’été 2019, la Banque d’Angleterre annonce qu’elle commencera par augmenter son taux de base.

Les minutes de la réunion du 20 juin 2018 rappellent le mandat de la Banque d’Angleterre : respecter la cible d’inflation de 2% (en termes d’indice des prix à la consommation harmonisé, IPCH), tout en soutenant la croissance et l’emploi. Lors de sa réunion de juin, le CPM s’est appuyé sur les prévisions de la Banque d’Angleterre publiées dans l’Inflation Report de mai dernier, selon lesquelles la croissance du PIB britannique serait d’environ 1,75 % par an en moyenne à l’horizon 2020, sous l’hypothèse d’une remontée progressive du taux directeur tel qu’anticipé par les marchés au vu des courbes de taux en mai dernier (à savoir une hausse graduelle du taux de base qui atteindrait 1,2 % au second semestre 2020), ce qui serait un peu plus rapide que la croissance de l’offre (estimée à 1,5 % par la Banque d’Angleterre) et conduirait à une certaine accélération des salaires et des coûts de production. Toujours selon l’Inflation Report de mai, l’inflation, mesurée par l’IPCH, continuerait cependant de ralentir, sous l’effet de la dissipation des effets de la dépréciation passée de la livre et atteindrait la cible de 2 % au printemps 2020.

Sans le remettre en cause, les minutes de la réunion de juin apportent deux bémols à ce scénario. Premièrement, le PIB britannique n’a augmenté que de 0,1 % au premier trimestre 2018[1]. Le CPM estime que ce ralentissement, en partie dû aux mauvaises conditions climatiques en mars, et qui a surtout touché le secteur du bâtiment, sera temporaire. Mais il note aussi que les indicateurs conjoncturels ont été mitigés aux Etats-Unis et dans la zone euro au premier trimestre. La prévision de croissance de la Banque d’Angleterre parue dans l’Inflation Report (1,75%) est supérieure à celle de notre prévision d’avril (1,4 % en 2018 comme en 2019), ou à la moyenne du consensus des prévisions britanniques en juin (1,4 % en 2018 et 1,5 % en 2019). Jusqu’à présent, le consensus est que le ralentissement du premier trimestre sera temporaire, mais les indicateurs conjoncturels les plus récents suggèrent la poursuite d’une faible croissance en avril et en mai (ainsi, selon l’indicateur mensuel de croissance du PIB du NIESR, la croissance aurait été de 0,2 % au cours des trois mois allant jusqu’à mai, par rapport au trois mois précédents).

Deuxièmement, le CPM envisage désormais une inflation un peu plus forte du fait de la remontée des prix du pétrole (passés de 50 à 75 dollars en un an) et de la baisse de la livre (de l’ordre de 2% depuis mai, du fait de la hausse du dollar). L’inflation mesurée selon l’IPCH, reste supérieure à la cible de 2 % ; après avoir accéléré jusqu’à 3,1 % en novembre dernier, elle est revenue depuis à l’intérieur de la fourchette haute de 3 % et n’était plus que de 2,4 % en avril comme en mai ; dans le même temps, l’indice des prix sous-jacent est passé de 2,7 % à 2,1 %. Si l’objectif de la Banque d’Angleterre est prioritairement de maintenir l’inflation proche de la cible de 2 %, le CPM a cependant répété depuis l’été 2016 que les tensions inflationnistes résultant de la baisse de la livre sterling après le résultat du référendum faveur du « Brexit », seraient temporaires tandis que le ralentissement économique pourrait être plus durable, dans un contexte d’incertitude accrue, mais avait indiqué qu’elle serait prête à durcir sa politique monétaire si les tensions inflationnistes s’amplifiaient plus que prévu. Ceci n’a pas été le cas jusqu’à présent. Bien que le taux de chômage reste historiquement faible à 4,2 %, les salaires n’ont jusqu’à présent pas franchement accéléré : ils n’étaient en hausse que de 2,4 % en mai 2018, soit une stagnation en termes réels.

La prochaine réunion du CPM aura lieu le 2 août. D’ici là, les britanniques et l’UE-27 continueront de négocier l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’UE, en vue d’un accord lors du Conseil européen d’octobre. De grandes entreprises, comme Airbus ou BMW, ont rappelé à l’approche du Conseil européen du 29 juin dernier qu’elles avaient besoin d’être assurées sur l’absence de barrières douanières après la sortie du Royaume-Uni de l’UE à la fin de 2020 pour continuer à investir outre-Manche. La Banque d’Angleterre ne prendra le risque d’augmenter son taux directeur que si la croissance et des tensions inflationnistes s’affirment suffisamment.

 

[1] La croissance du premier trimestre 2018 a été légèrement révisée à la hausse, à 0,2 %, lors de la publication des comptes trimestriels du 29 juin, principalement suite à une révision de la baisse d’activité dans le bâtiment.

 




L’économie européenne 2018 : l’hymne aux réformes

par Jérôme Creel

L’OFCE vient de publier L’économie européenne 2018. L’ouvrage dresse un bilan de l’Union européenne (UE) après une période de fortes tensions politiques mais dans un climat conjoncturel raffermi qui devrait être propice aux réformes, avant que s’enclenche le processus de séparation entre l’UE et le Royaume-Uni.

De très nombreuses questions économiques et politiques cruciales pour mieux appréhender l’avenir de l’UE sont au sommaire de l’ouvrage : l’histoire de son intégration et les risques de désintégration, l’amélioration récente de sa conjoncture, les enjeux économiques, politiques et financiers du Brexit, l’état de la mobilité du travail en son sein, sa politique climatique, la représentativité de ses institutions européennes, et les réformes de sa gouvernance économique, tant budgétaires que monétaires.

L’année 2018 est une année charnière avant les élections au Parlement européen au printemps 2019 mais aussi avant les vingt ans de l’euro, le 1er janvier 2019. La question des performances de l’euro sera centrale. Or, en 2018, la croissance du produit intérieur brut passera enfin bien au-dessus de son niveau d’avant-crise, grâce à la reprise de l’investissement des entreprises et au soutien de la politique monétaire, et désormais sans entrave de la part des politiques budgétaires.

L’année 2018 sera aussi celle du début des négociations sur les relations économiques et financières futures entre le Royaume-Uni et l’UE, après qu’en fin d’année 2017, les deux parties ont su trouver un terrain d’accord sur les modalités de sortie du Royaume-Uni. La croissance retrouvée de l’UE réduira les coûts éventuels du divorce d’avec les Britanniques et pourrait aussi accroître le désintérêt des Européens pour cette question.

Le Brexit aurait pu servir de catalyseur pour réformer l’Europe ; que ses modalités puissent désormais sembler moins cruciales au futur fonctionnement de l’UE ne doit pas retentir sur les réformes dont a besoin l’UE, en les faisant apparaître comme superflues. Dans les domaines politiques et monétaires, le besoin est grand de renforcer la représentativité démocratique des institutions (parlement, banque centrale) et d’assurer la légitimité de l’euro. Dans le domaine budgétaire comme dans celui des migrations, l’expérience passée a démontré la nécessité de disposer d’outils coordonnés pour mieux gérer les crises économiques et financières futures.

Il y a donc urgence à revitaliser un projet vieux de plus de soixante ans qui a su assurer la paix et la prospérité en Europe mais qui manque de souplesse face aux imprévus (les crises), qui manque de souffle face aux impératifs de la transition écologique, et qui manque singulièrement de créativité pour renforcer les convergences en son sein.




Brexit : réussir sa sortie ?

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le sommet européen des 14-15 décembre 2017 marquera-t-il le début d’une nouvelle phase de négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) ?

Theresa May souhaite faire du Brexit un succès et que soit mis en place un partenariat spécial entre le Royaume-Uni et l’UE, un partenariat sur mesure qui permettrait aux échanges commerciaux et financiers de se poursuivre avec un minimum de frictions après la sortie du Royaume-Uni de l’UE, tout en redonnant au Royaume-Uni sa souveraineté nationale, en particulier en retrouvant la possibilité de pouvoir limiter l’immigration des travailleurs en provenance de l’UE et en n’étant plus soumis à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Pour les pays de l’UE-27, il faut, au contraire, montrer que sortir de l’UE a un coût économique important, sans gain budgétaire notable, que ceux qui sortent doivent continuer à accepter une partie importante des règles européennes et qu’ils ne peuvent prétendre bénéficier des avantages du marché unique sans en supporter les coûts. Il faut éviter que d’autres États membres soient tentés de suivre l’exemple britannique.

Ce billet fait le point sur les positions de négociation de l’UE-27 et du gouvernement britannique, sur les divisions britanniques à l’approche du sommet européen. Les négociations, en cours depuis près de six mois sont difficiles et recouvrent de nombreux enjeux : droits des citoyens, règlement financier, frontière en Irlande et futur partenariat entre le Royaume-Uni et l’UE-27.

Le sommet européen des 14-15 décembre 2017 marquera-t-il le début d’une nouvelle phase de négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) ? À l’approche de ce sommet, les enjeux sont importants pour les Britanniques. Une majorité de Britanniques avait voté en faveur d’une sortie de l’Union européenne le 23 juin 2016, mais ce n’est que le 29 mars 2017 que Theresa May a notifié officiellement la décision britannique de sortir de l’UE en déclenchant l’article 50 du Traité sur l’Union européenne. Cet article stipule que « L’État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union ». Le déclenchement de l’article 50 ouvre une période de deux ans pour négocier la sortie du Royaume-Uni, le 29 mars 2019.

Ces négociations sont en cours depuis près de six mois. Elles sont difficiles et recouvrent de nombreux enjeux. C’est la première fois qu’un pays demande à sortir de l’UE, et ni le Royaume-Uni ni l’UE-27 ne souhaitent en sortir perdants. Pour le gouvernement britannique, le point clé est celui de la mise en place d’un futur partenariat commercial et financier avec l’UE. Theresa May souhaite faire du Brexit un succès et que soit mis en place un partenariat spécial entre le Royaume-Uni et l’UE, un partenariat sur mesure qui permettrait aux échanges commerciaux et financiers de se poursuivre avec un minimum de frictions après la sortie du Royaume-Uni de l’UE, tout en redonnant au Royaume-Uni sa souveraineté nationale, en particulier en retrouvant la possibilité de pouvoir limiter l’immigration des travailleurs en provenance de l’UE et en n’étant plus soumis à la Cour de justice de l’union européenne (CJUE). Pour les pays de l’UE-27, il faut, au contraire, montrer que sortir de l’UE a un coût économique important, sans gain budgétaire notable, que ceux qui sortent doivent continuer à accepter une partie importante des règles européennes et qu’ils ne peuvent prétendre bénéficier des avantages du marché unique sans en supporter les coûts. Il faut éviter que d’autres États membres soient tentés de suivre l’exemple britannique.

La position de l’UE-27 et les divisions britanniques

Le 29 avril 2017, le Conseil européen a défini ses orientations (des « lignes de négociations ») et a nommé Michel Barnier, négociateur en chef des négociations pour le compte de l’UE. Pour l’UE, les négociations doivent, dans un premier temps, porter sur un « retrait ordonné », soit sur trois points seulement : les droits des citoyens européens au Royaume-Uni, le règlement financier de la séparation et la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord. L’UE-27 a adopté une position dure sur chacun de ces trois points, refuse de discuter des relations futures entre l’UE et le Royaume-Uni avant que ceux-ci ne soient réglés, a interdit toute discussion bilatérale (entre le RU et un pays membre) et bloqué toute pré-négociation entre le RU et un pays tiers sur leurs futures relations commerciales. Cela place le Royaume-Uni dans une situation délicate puisque les entreprises (britanniques ou étrangères) réclament que soit levée l’incertitude sur les conditions des échanges entre le RU et l’UE après mars 2019, menaçant de réduire leurs investissements au RU, voire de délocaliser dans l’UE-27 tant que l’incertitude n’est pas levée.

L’UE est en position de force puisque le commerce avec l’UE est 5 fois plus important pour le RU que le commerce avec le RU ne l’est pour l’UE. De plus, l’UE a marqué son unité dans la sortie britannique (comme dans la crise grecque). Dans les deux cas, des positions fermes l’ont emporté. Ni au Conseil européen, ni au Parlement, les partisans de lignes plus conciliantes ne se sont exprimés, comme s’ils avaient peur d’être accusés de rompre l’unité européenne.

Au contraire, les Britanniques sont partagés en quatre positions qui traversent les rangs des conservateurs et des travaillistes. Parmi les partisans de rester dans l’UE, les remainers, certains, comme Tony Blair ou Michael Heseltine, très minoritaires, espèrent encore que, devant les difficultés, le Royaume-Uni renoncera à sortir de l’UE. Lord Kerr, le rédacteur de l’article 50, rappelle que la décision d’activer cet article est réversible. Mais ce serait contraire à la tradition démocratique britannique que de ne pas respecter le vote populaire. Un nouveau référendum pourrait être organisé, mais au regard des sondages rien n’assure que le vote serait aujourd’hui différent de celui du 23 juin 2016.

Pour une majorité de remainers, le Brexit aura bien lieu, et il s’agit maintenant d’en minimiser les coûts économiques. Certains remainers, en particulier parmi les travaillistes, préconisent maintenant un soft Brexit, qui permettrait au RU de rester dans le marché unique. Mais, compte-tenu des conditions imposées par l’UE-27 (le respect des « 4 libertés fondamentales » – libre circulation des marchandises, des services, du capital et du travail – et le maintien de l’autorité de la CJUE), le Brexit n’aurait finalement abouti qu’à priver le Royaume-Uni de toute voix au chapitre pour des décisions qu’il devrait appliquer. Les partisans d’un soft Brexit sont aussi en faveur d’un délai de transition (prévu par le Traité, sous réserve d’un accord unanime des pays de l’UE), qui repousserait de deux ans la sortie du Royaume-Uni et éviterait le risque que le Royaume-Uni quitte l’UE le 29 mars 2019 sans accord négocié.

Les plus fervents partisans du Brexit sont prêts à prendre le risque d’un hard Brexit, sans accord avec l’UE. Le Royaume-Uni n’aurait plus à contribuer au budget de l’UE (soit environ 0,5 point de PIB par an en termes nets) ; il aurait le statut de pays tiers dans le cadre des règles de l’OMC. Le Royaume-Uni devrait alors renégocier des accords commerciaux avec tous ses partenaires, en particulier les États-Unis. Les contrôles aux frontières devraient être rétablis. Les partisans d’un hard Brexit ne sont pas favorables à une période de transition, qui ne ferait que retarder le moment où le Royaume-Uni « reprendrait le contrôle », et l’empêcherait de négocier des accords avec les pays hors UE. En cas de hard Brexit, le risque serait que les multinationales relocalisent en Europe continentale leurs usines et sièges sociaux, que de façon générale il devienne moins attractif d’investir au Royaume-Uni et qu’une large partie des activités bancaires et financières de la zone euro quittent Londres pour Paris, Francfort, Amsterdam ou Dublin. Londres pourrait cependant jouer la carte de la concurrence fiscale (en particulier par la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés) et du paradis réglementaire, surtout en matière financière. Toutefois, le Royaume-Uni ne pourrait guère s’abstraire des contraintes internationales (les accords de la COP21, ceux de la lutte contre l’optimisation fiscale, ceux sur les échanges d’informations fiscales et bancaires, les accords de Bâle III). Les conditions financières de son départ feraient l’objet d’un règlement judiciaire. Pour les plus libéraux, le Brexit permettrait de renforcer le modèle libéral du Royaume-Uni. Il est cependant peu probable que le Royaume-Uni, dont la législation est déjà très libérale, bénéficie d’un choc important de croissance induit par des réformes encore plus libérales.

La position du gouvernement britannique est intermédiaire et évolutive. Theresa May, qui, lorsqu’elle était ministre du gouvernement Cameron en 2016, avait appelé à voter pour le maintien dans l’UE, se donne comme objectif de faire du Brexit une réussite : le Royaume-Uni doit devenir un champion de la mondialisation (« A global Britain »), un champion du libre-échange commercial, dans la tradition libérale britannique, qui doit se tourner vers le grand large. Le pays affiche d’ailleurs un excédent commercial vis-à-vis de ses partenaires hors UE, avant tout avec les États-Unis, et conserve des liens historiques avec les pays du Commonwealth, tandis qu’il affiche un important déficit commercial avec les pays de l’UE (il est cependant excédentaire en matière de services).

Theresa May a pris acte de la position de l’UE-27 selon laquelle le Royaume-Uni ne pourra pas rester dans le marché unique s’il ne respecte pas les quatre « libertés fondamentales ». Elle souhaite cependant maintenir des relations commerciales et financières privilégiées avec l’UE en signant un partenariat spécifique de libre-échange. Comme le RU souhaite pouvoir reprendre le contrôle sur ses frontières, gérer l’arrivée de travailleurs en provenance de l’UE, ne plus être soumis à la CJUE, et refuse (contrairement aux pays de l’AELE) de se plier, pour accéder librement au marché européen, à des normes sur lesquelles il n’aura pas son mot à dire, Theresa May propose que soit établi un « partenariat spécifique et approfondi » entre le RU et l’UE. Par ailleurs, depuis le discours de Florence de septembre 2017, Theresa May demande qu’une période de transition de deux ans soit mise en place, de mars 2019 à 2021.

Theresa May avait organisé des élections législatives anticipées en juin 2017, afin de renforcer sa majorité au Parlement. En fait, les attaques des travaillistes contre l’austérité et les positions des conservateurs en faveur d’une réduction des aides à la dépendance, ont fait perdre aux conservateurs leur majorité. Theresa May a dû faire un accord avec le DUP, parti Unioniste nord-Irlandais, conservateur en matière de questions de société, mais opposé à l’austérité budgétaire et au compromis avec l’Irlande. Theresa May a donc abordé les négociations sur le Brexit avec une majorité affaiblie et divisée où certains ministres (David Davis, Secrétaire d’État en charge des négociations sur le Brexit, Boris Johnson, Secrétaire d’État aux Affaires Etrangères, Liam Fox, Secrétaire d’État au Commerce International) se déclarent prêts à prendre le risque de l’absence d’un accord.

Le 15 novembre 2017, le parlement britannique a définitivement voté la loi d’abrogation du droit européen, mettant fin à son application au RU et confiant au gouvernement la tâche de transposer (ou non) dans le droit britannique les lois et règlements européens (soit 12 000 textes). Toutefois, il a été acté que l’accord avec l’UE, s’il est signé, sera soumis au Parlement, un refus de celui-ci impliquant une sortie sans accord.

L’état des négociations à la veille du sommet du 14-15 décembre

Cinq rounds de négociation étaient initialement prévus en 2017, de juin à octobre. L’objectif était que lors du sommet européen des 19-20 octobre, les négociations aient suffisamment avancé sur les trois points fixés en avril pour que les pays de l’UE-27 acceptent d’engager la négociation sur le futur partenariat. Dès le round du 19 juin, David Davis avait accepté la demande de séquençages de l’UE-27. Ainsi, seuls les trois points souhaités par l’UE-27 ont été discutés, alors que pour le gouvernement britannique (et les entreprises du pays), c’est le futur partenariat qui est crucial. Lors de la clôture du cinquième round, le 12 octobre 2017, Michel Barnier avait déclaré que les négociations sur les aspects financiers étaient dans une impasse et qu’il ne pourrait pas proposer au sommet européen du 19 octobre d’engager les discussions sur un accord commercial, tout en espérant que des progrès soient faits d’ici le sommet européen du 14-15 décembre. Le 20 octobre, le Conseil européen a cependant ouvert la possibilité d’un accord de transition, proposant que des discussions préparatoires soient menées en vue du sommet de décembre, qui sera donc crucial.

En ce qui concerne les droits des citoyens, en particulier des 3,2 millions de citoyens de l’UE résidents au Royaume-Uni, Theresa May a proposé que tous les citoyens de l’UE, installés au Royaume-Uni avant le 29 mars 2017, puissent obtenir un statut de résident qui leur garantisse les mêmes droits que les citoyens britanniques en matière d’emploi et de droits sociaux. Ceci serait automatique pour ceux qui y résident depuis plus de 5 ans et, quand ils atteindront 5 années de résidence pour les autres. Les négociations ont achoppé sur la date de référence (mars 2017 ou 2019 ?), sur le maintien du droit au regroupement familial et surtout le contrôle de l’application de l’accord par la CJUE, que l’UE-27 réclame pour éviter que le RU ne puisse durcir sa réglementation, mais que le RU ne peut accepter (toutefois, il pourrait consentir à la mise en place d’un tribunal d’arbitrage).

Sur la question de la frontière irlandaise, les deux parties sont d’accord pour préserver l’accord de paix en Irlande du Nord et pour maintenir l’absence de frontière terrestre, afin de ne pas mettre d’obstacles aux intenses échanges entre les deux parties de l’île et à la liberté de circulation entre les deux zones (30 000 personnes par jour franchissent la frontière), ce qui est difficile si le Royaume-Uni n’est plus ni dans le marché unique ni dans l’Union douanière. La République d’Irlande refuse toute frontière dure, et menace d’apposer un veto à tout accord qui mettrait des barrières supplémentaires entre l’Irlande et l’Irlande du Nord. Elle demande un statut spécial pour l’Irlande du Nord, qui maintiendrait celle-ci dans l’union douanière. En sens inverse, le DUP refuse le maintien de l’Irlande du Nord dans l’union douanière après le Brexit, du moins tout accord qui ne s’appliquerait pas à l’ensemble du Royaume-Uni ; le gouvernement britannique souhaite maintenir l’intégrité du Royaume-Uni, refuse que l’Irlande du Nord reste soumise à la réglementation de l’UE et que la frontière passe entre l’Irlande du Nord et le reste du RU. Il propose de mettre en place une frontière invisible, ce qui va demander une grande créativité. Sur ce point, l’UE-27 estime que c’est au Royaume-Uni de faire des propositions acceptables. Devant les difficultés de concilier des exigences inconciliables, les deux parties pourraient s’accorder pour reporter la question à la fin des négociations sur leur partenariat futur.

Sur la question du règlement financier, les positions semblent s’être rapprochées. Du côté de l’UE, on évoquait des montants de 60 à 100 milliards d’euros comme contribution britannique aux dépenses européennes déjà engagées, tandis que le Royaume-Uni ne souhaitait pas aborder la question du règlement financier indépendamment de la négociation du futur accord. En septembre 2017, Theresa May a cependant affirmé clairement que le Royaume-Uni honorerait ses engagements financiers envers l’UE, à savoir sa part dans les dépenses de 2017-19, ses engagements pour 2020, les dépenses d’investissements engagés au-delà, sa part des retraites des fonctionnaires européens. Le Royaume-Uni devrait devoir débourser entre 45 et 50 milliards d’euros. Dans le cadre des négociations sur le futur partenariat, le gouvernement britannique pourrait s’engager sur une éventuelle future contribution au fonctionnement du marché unique.

Bien qu’aucun des trois points de négociation initiaux ne soit aujourd’hui vraiment réglé, il semble que l’UE-27 acceptera que des négociations sur le partenariat futur puissent s’ouvrir en 2018. Ceci nécessitera que les pays de l’UE-27 s’entendent sur une position commune, ce qui reportera à mars 2018, le début d’une nouvelle série de négociations. Il est probable, et souhaitable, que le Conseil européen des 14-15 décembre accepte la demande britannique d’une période de transition de deux ans de sorte que le risque d’une sortie sans accord en mars 2019 serait levé.

Il faudra alors trouver un accord sur le futur partenariat entre l’UE-27 et le Royaume-Uni. L’UE-27 ne doit pas céder à la tentation de punir un pays sortant, en ne lui appliquant plus que les règles de l’OMC, ce qui nuirait aussi aux exportations européennes vers le Royaume-Uni, d’autant que l’UE affiche un excédent courant de 130 milliards d’euros vis-à-vis du pays. De même, les accords de coopération industrielle (Airbus, armement, énergie, …) pourront difficilement être remis en question. Il parait impossible que l’UE-27 accepte que le RU reste dans le marché unique, en choisissant les règles qu’il veut bien appliquer. Mais le minimum serait un accord commercial, sur le modèle du CETA. Le plus porteur pour les deux parties serait sans doute d’aboutir à un accord équilibré de partenariat commercial qui servirait de modèle pour créer un troisième cercle en Europe, ce qui pourrait à terme permettre d’intégrer la Norvège, l’Islande la Suisse, l’Ukraine, la Turquie, le Maroc et d’autres pays, et éviterait de placer les pays tiers dans l’alternative entre maintien de la souveraineté nationale et bienfaits de la libéralisation commerciale.

 

 




L’économie européenne 2017, ou l’UE après le Brexit

par Jérôme Creel

L’économie européenne 2017 permet de faire un large tour d’horizon des questions que pose aujourd’hui le projet d’Union européenne. Brexit, migrations, déséquilibres, inégalités, règles économiques rigides et souples à la fois : l’UE reste une énigme. Elle donne aujourd’hui l’impression d’avoir perdu le fil de sa propre histoire et d’aller à rebours de l’Histoire. Celle, récente, de la crise financière internationale. Celle, plus ancienne, de la Grande Dépression.

Quelques mois après la faillite de la banque Lehman Brothers, les chefs d’Etat et de gouvernement réunis à Londres pour le sommet du G-20 en avril 2009 avaient établi une liste de recommandations pour relancer l’économie mondiale. Parmi celles-ci figuraient la mise en œuvre de politiques budgétaires et monétaires actives, le soutien aux banques assorti d’une meilleure réglementation bancaire, le refus de la tentation protectionniste, la lutte contre les inégalités et la pauvreté et le soutien au développement durable.

Ces recommandations s’opposaient aux politiques mises en œuvre peu après la Grande Dépression, dans les années 30. A l’époque, les politiques économiques avaient commencé par être restrictives, et avaient donc alimenté la crise et la montée des inégalités. A l’époque aussi, le protectionnisme n’avait pas juste été une tentation mais une réalité : des barrières tarifaires et non tarifaires avaient été levées pour tenter de protéger les entreprises locales de la concurrence internationale. On sait ce qui arriva par la suite : une montée des populismes et des extrémismes qui a plongé l’Europe, puis le monde, dans une guerre épouvantable. Les enseignements économiques tirés de la gestion catastrophique de la crise des années 30 ont donc contribué aux recommandations du sommet de Londres.

Que reste-t-il aujourd’hui de ces enseignements en Europe ? Peu de choses finalement, si ce n’est une politique monétaire résolument expansionniste et la mise en place d’une union bancaire. La première a vocation à atténuer la crise actuelle tandis que la seconde a vocation à éviter que survienne une crise bancaire en Europe. Ce n’est pas rien, certes, mais cela repose sur une seule institution, la Banque centrale européenne, et ne répond pas, loin s’en faut, à toutes les difficultés qui traversent l’Europe.

Le Brexit est l’une d’entre elles : premier cas de désintégration européenne, la sortie du Royaume-Uni pose notamment la question des conditions du futur partenariat avec l’Union européenne (UE) et voit resurgir la question du protectionnisme entre Etats européens. La tentation du repli sur soi est également manifeste dans la gestion de la crise des réfugiés qui en appelle pourtant aux valeurs de solidarité qui ont longtemps caractérisé l’UE. Les divergences entre les Etats membres de l’UE en termes d’inégalités, de compétitivité et de fonctionnement des marchés du travail réclameraient des politiques différenciées et coordonnées entre les Etats membres plutôt que les politiques très homogènes et sans vision d’ensemble menées jusque-là. C’est le cas notamment des politiques visant à résorber les déséquilibres commerciaux et de celles s’attachant à réduire les dettes publiques. La gestion des finances publiques par l’application de règles budgétaires, même imparfaitement respectées, et la gestion des déséquilibres économiques et sociaux par le respect de critères quantitatifs font perdre de vue les interdépendances entre les Etats membres : l’austérité budgétaire pèse aussi sur les partenaires, tout comme la recherche d’une meilleure compétitivité-prix. Est-ce bien utile et raisonnable dans une Union européenne prochainement à 27 qui peine à retrouver la voie d’une croissance durable et qui a vu augmenter ses inégalités ?

L’économie européenne 2017 dresse un bilan de l’Union européenne dans une période de fortes tensions et de fortes incertitudes, après une année de conjoncture moyenne et avant que ne s’enclenche véritablement le processus de séparation entre l’UE et le Royaume-Uni. Au cours de cette période, plusieurs élections majeures en Europe serviront aussi de tests de résistance pour l’UE : moins, plus ou « mieux » d’Europe, il va falloir choisir.

 




Exit la croissance ?

Département analyse et prévision (équipe internationale)

Ce texte s’appuie sur les perspectives 2016-2018 pour l’économie mondiale et la zone euro dont la version intégrale est disponible ici.

Après avoir évité le Grexit pendant l’été 2015, les Européens devront faire face au Brexit. Au-delà de l’impact qui devrait être significatif sur l’économie du Royaume-Uni se pose la question des effets de ce choc sur les autres pays. Alors que tous les clignotants semblaient s’être mis au vert permettant à la zone euro de sortir d’une double récession liée à la crise financière de 2007-2008 puis à la crise des dettes souveraines, la perspective du Brexit ne risque-t-elle pas d’interrompre ce mouvement de reprise ? Cette crainte est d’autant plus fondée que la reprise tardive n’a pas permis de résorber l’ensemble des déséquilibres qui ont résulté des années de crise. Le taux de chômage de la zone euro dépassait encore 10 % au deuxième trimestre 2016. Un coup d’arrêt sur la croissance ne ferait qu’accentuer la crise sociale et alimenterait en retour les doutes – et donc la défiance – sur la capacité de l’Europe à satisfaire ses ambitions inscrites en préambule du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne et rappelées à Lisbonne en  2000.

Pourtant, alors que l’on pouvait craindre un nouveau choc financier, force est de constater que celui-ci ne s’est pas produit. Certes, le Brexit sera le fruit d’un long processus qui n’a pas encore démarré, mais il semble que le pire a été évité pour l’instant. L’économie britannique verrait sa croissance divisée par deux en 2017. Mais les effets négatifs à court terme sur les autres pays de la zone euro seraient assez limités, sauf peut-être en Irlande où l’interdépendance avec le Royaume-Uni est plus forte. La reprise mondiale poursuivrait donc sa route. Néanmoins, la croissance ralentirait dans la zone euro et passerait de 1,9 % en 2015 à 1,3 % en 2018. En effet, les nombreux facteurs qui avaient permis d’amorcer la reprise[1] vont en partie s’essouffler. Le prix du pétrole a déjà entamé une hausse après un point bas à moins de 30 dollars en janvier 2016. Il dépasse aujourd’hui à nouveau les 50 dollars le baril. Quant à l’euro, il fluctue depuis le début de l’année autour de 1,1 dollar alors qu’en 2014 et 2015, il s’était déprécié de 12,5 et 11,3 % respectivement. Par contre, La politique monétaire de la BCE reste expansionniste et les politiques budgétaires sont beaucoup moins restrictives qu’entre 2011 et 2014. En 2015 et 2016, l’impulsion agrégée a même été légèrement positive. Enfin, le commerce mondial connaît un fort ralentissement, qui va bien au-delà du changement de modèle de croissance de l’économie chinoise qui se traduit par une décélération de ses importations. On espérait cependant qu’après l’amorçage de la reprise, une dynamique vertueuse de croissance s’enclencherait dans la zone euro. L’accélération de la croissance liée à des facteurs en partie exogène permettrait des créations d’emplois, la hausse des revenus et de meilleures perspectives pour les ménages et les entreprises. Ces éléments devaient être propices au retour de la confiance et stimuler en retour l’investissement et la consommation. Les dynamiques de l’investissement productif en France ou en Espagne au cours des derniers trimestres donnaient du crédit à ce scénario. La reprise ne serait certes pas avortée mais un tel rythme de croissance semble bien insuffisant pour réduire les déséquilibres induits par de longues années de récession ou de faible croissance. A la fin de l’année 2018, le taux de chômage de la zone euro serait encore près de 2 points supérieur à celui de la fin 2007 (graphique). Pour les cinq principaux pays de la zone euro, cela représente près de 2,7 millions de chômeurs en plus. Dans ces conditions, bien plus que le Brexit, c’est sans doute la situation sociale de la zone euro qui met à mal le projet européen. L’Europe ne peut certainement pas être tenue seule responsable du faible dynamisme de la croissance et du niveau de chômage dans chacun de ses pays mais les perspectives actuelles témoignent que nous n’avons sans doute pas atteint les objectifs qui avaient été fixés à Lisbonne en 2000, c’est-à-dire faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».

choimage

[1] Voir la précédente synthèse d’avril 2016 sur  la conjoncture internationale de l’OFCE.