La zone euro en crise

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 8 juin 2012, s’est tenue à Kiel la 9e Conférence EUROFRAME[1] sur les questions de politique économique de l’Union européenne. Son sujet était : « La zone euro en crise : défis pour la politique monétaire et les politiques budgétaires ». Le numéro 127 de la collection « Débats et Politiques » de la Revue de l’OFCE publie des versions révisées de douze des communications présentées[2], rassemblées autour de cinq dossiers : déséquilibres de taux de change, indicateurs de la crise de la dette, règles budgétaires, questions bancaires et financières et stratégies de sortie de crise.

L’analyse des origines de la crise de la zone euro et les recommandations de politiques économiques à mener pour sortir la zone euro de la crise font l’objet de grands débats entre économistes dont la Conférence EUROFRAME a donné une illustration. Ainsi, le lecteur verra apparaître au fil des articles plusieurs lignes de fracture :

–         Pour les uns, ce sont les politiques irresponsables des pays du Sud qui sont la cause des déséquilibres : ceux-ci ont laissé se développer des bulles immobilières et salariales tandis que les pays du Nord pratiquaient des politiques vertueuses d’austérité salariale et de réformes structurelles. Les pays du Sud doivent donc adopter la stratégie des pays du Nord et accepter une longue cure d’austérité. Pour les autres, la monnaie unique a permis le développement de déséquilibres jumeaux et opposés : elle a conduit à la sous-évaluation des économies des pays du Nord, ce qui les a autorisés à compenser leurs politiques excessives d’austérité salariale et sociales par des excédents extérieurs excessifs ; elle a autorisé la persistance de déficits extérieurs au Sud ; il en résulte la nécessité d’une convergence contrôlée où la relance au Nord facilite la résorption des déséquilibres extérieurs du Sud.

–         Pour les uns, chaque pays doit mettre en œuvre des politiques alliant une forte réduction des dépenses publiques – afin de résorber les déficits budgétaires et réduire le poids de la dette publique – et des réformes structurelles (libéralisation des marchés des biens et des services, déréglementation du marché du travail) qui en compenseraient l’effet dépressif sur le marché du travail. Il faut laisser les marchés financiers imposer aux pays la discipline nécessaire. Pour les autres, il faut maintenir les déficits publics tant qu’ils seront nécessaires pour soutenir l’activité, faire garantir les dettes publiques par la Banque centrale européenne (BCE) afin de faire converger les taux d’intérêt nationaux vers le bas et mettre en œuvre une stratégie de croissance à l’échelle de l’UE (en particulier par le financement des investissements nécessaires à la transition écologique).

–         Certains estiment même qu’il faut éviter l’extension de la solidarité européenne qui permettrait à certains pays de retarder les réformes nécessaires, qui rendrait persistants les déséquilibres, qui induirait de la création monétaire et donc de l’inflation. D’autres jugent que des erreurs de politiques économiques ont été commises depuis la création de la zone euro, qu’elles ont abouti à de fortes disparités dans la zone, qu’il faut essayer de résorber aujourd’hui par une stratégie solidaire et cohérente. L’Europe est une grande famille ; il faut manifester de la solidarité et accepter des compromis pour continuer à vivre ensemble.

–         Pour les uns, la fin de la crise des dettes des pays de la zone euro suppose la mise en place d’une union budgétaire, ce qui signifie la mise en place de règles contraignantes inscrites dans le Pacte budgétaire et un certain fédéralisme budgétaire ; la Commission et le Conseil européen doivent avoir un droit de regard sur les politiques budgétaires des États membres. Pour les autres, il faut laisser aux États membres un degré d’autonomie nécessaire pour pratiquer la politique budgétaire de leur choix ; c’est à la fois une question de démocratie et d’efficacité économique : les situations économiques des pays sont trop diverses pour qu’une politique budgétaire uniforme soit possible ; il faut une coordination ouverte des politiques économiques, sans normes préétablies et rigides de finances publiques, ayant pour objectif une croissance satisfaisante et la résorption des déséquilibres extérieurs.


[1] EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne), NIESR (Royaume-Uni).

[2] Dont 10 en langue anglaise et 2 en français.

 




La politique monétaire est-elle devenue inefficace ?

Par Christophe Blot, Catherine Mathieu et Christine Rifflart

Ce texte résume l’étude spéciale de la prévision d’octobre 2012.

Depuis l’été 2007, les banques centrales des pays industrialisés sont intervenues de façon constante pour contrer les effets négatifs de la crise financière sur le fonctionnement du système bancaire et financier et pour faire redémarrer la croissance. Dans un premier temps, les taux directeurs ont été considérablement abaissés et maintenus ensuite à un niveau proche de 0[1]. Dans un deuxième temps, à partir du début de l’année 2009, les banques centrales ont mis en œuvre des mesures dites non conventionnelles. Si ces politiques peuvent différer d’une banque centrale à l’autre, elles se traduisent toutes par une augmentation de la taille de leur bilan ainsi que par une modification de la composition de l’actif de ce bilan. Néanmoins, trois ans après le creux d’activité observé aux Etats-Unis, dans la zone euro et au Royaume-Uni, force est de constater que la reprise n’est pas au rendez-vous ; le chômage se maintient partout à un niveau élevé. En Europe, une nouvelle récession menace[2]. Ces éléments remettent-ils en cause l’efficacité de la politique monétaire et plus particulièrement des mesures non conventionnelles ?

Depuis presque 4 ans, une abondante recherche se développe pour évaluer l’impact des politiques monétaires non conventionnelles[3]. Cecioni, Ferrero et Sacchi (2011)[4] proposent une revue de littérature récente sur le sujet. La majorité de ces études porte sur l’impact des différentes mesures prises par les banques centrales sur les variables financières et notamment sur les taux du marché monétaire ou les taux obligataires. Etant donné le rôle du marché monétaire dans la transmission de la politique monétaire, la capacité des banques centrales à atténuer les tensions qui ont émergé dès le début de la crise financière constitue un vecteur essentiel de l’efficacité de leurs interventions. Plus récemment, ce fut aussi une des raisons ayant motivé la BCE à proposer une opération de refinancement exceptionnel, en deux temps, pour une maturité de 3 ans. De fait, cette intervention a permis de réduire les tensions sur le marché interbancaire qui étaient réapparues dans la zone euro, et dans une moindre mesure aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, en fin d’année 2011 (graphique). Cet épisode semble confirmer que l’action des banques centrales est efficace lorsqu’il s’agit de faire face à une crise de liquidité. Un autre enjeu essentiel du débat porte sur la capacité des mesures non conventionnelles à faire baisser les taux d’intérêt à long terme et par ce biais à stimuler l’activité. Il s’agit là en effet d’un levier important de la transmission de la politique monétaire. Sur cet aspect, les conclusions sont plus mitigées. Néanmoins, pour les Etats-Unis, une étude réalisée par Meaning et Zhu (2012)[5] suggère que les programmes d’achat de titres de la Réserve fédérale auraient contribué à faire baisser les taux publics américains à 10 ans de 60 points pour le premier programme (LSAP1 Large scale asset purchase) et de 156 points pour le second (LSAP2). Pour la zone euro, Peersman[6] (2011) montre que les effets des mesures non conventionnelles sur l’activité sont globalement assez proches de ceux d’une baisse du taux directeur et Gianone, Lenza, Pill et Reichlin[7] (2012) suggèrent que les différentes mesures prises par la BCE depuis le début de la crise ont permis d’amortir la hausse du taux de chômage, même si l’effet est limité à 0,6 point.

Dans ces conditions, comment expliquer la faiblesse, voire l’absence, de la reprise ? Une première piste évoque l’hypothèse de la trappe à liquidité[8]. L’incertitude est encore présente et le système financier reste fragilisé si bien que les agents expriment toujours une préférence pour la liquidité et la sécurité, ce qui explique leur réticence à s’engager sur des projets risqués. Ainsi, même si les conditions de financement sont favorables, la politique monétaire ne permet pas de stimuler plus fortement l’activité. Cette hypothèse explique probablement la timidité de la reprise aux Etats-Unis. Mais, à cette hypothèse, s’ajoute dans la zone euro et au Royaume-Uni, une deuxième piste qui attribue la faiblesse de la reprise à l’impact des politiques budgétaires restrictives. En effet, les pays de la zone euro comme le Royaume-Uni poursuivent une stratégie de consolidation budgétaire qui pèse sur la demande. Les politiques monétaires sont alors certes expansionnistes mais elles ne parviennent pas à compenser l’effet récessif des politiques budgétaires sur la croissance.

 


[1] Il faut cependant rappeler l’exception de la BCE qui a augmenté prématurément son taux directeur par deux fois en 2011. Elle est depuis revenue sur ces décisions et a baissé le principal taux directeur qui s’établit à 0,75 % depuis juillet 2012.

[2] La première estimation du PIB du Royaume-Uni pour le troisième trimestre 2012 indique un rebond de la croissance après 3 trimestres de baisse. Ce rebond résulte cependant de facteurs exceptionnels (voir Royaume-Uni : l’enlisement) et l’activité reculerait à nouveau au quatrième trimestre.

[3] Les politiques monétaires non conventionnelles avaient déjà fait l’objet de nombreuses analyses appliquées au cas de la Banque du Japon. La mise en œuvre de mesures équivalentes aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et dans la zone euro a contribué à amplifier très largement l’intérêt pour ces questions.

[4] « Unconventional monetary policy in theory and in practice », Banca d’Italia Occasional Papers n°102.

[5] « The impact of Federal Reserve asset purchase programmes :another twist », BIS Quarterly Review, March p.23-30.

[6] « Macroeconomic effects of unconventional monetary policy in the euro area », ECB Working Paper n°1397.

[7] « The ECB and the interbank market », CEPR Discussion Paper n°8844.

[8] Voir OFCE (2010) pour une analyse de cette hypothèse.

 




The euro zone in crisis: challenges for monetary and fiscal policies

By Catherine Mathieu and Henri Sterdyniak

The 9th EUROFRAME conference [1] was held on 8 June 2012 in Kiel on issues concerning the economic policy of the European Union. The topic was: “The euro zone in crisis: challenges for monetary and fiscal policies”. The conference was, of course, dominated by the issue of the sovereign debt crisis in the euro zone. How did it come to this? Should the blame be put on mistakes in national economic policies? Must the way the euro zone is organized be changed?

A number of fault lines appeared (cf. also the related Note in French):

  • Some believe that it is irresponsible domestic policies that are the cause of the imbalances: the southern countries were allowed to develop real estate and wage bubbles, while the northern countries carried out virtuous policies of wage moderation and structural reform. The southern countries must adopt the strategy of the northern countries and accept a prolonged dose of austerity. For others, the single currency has allowed the development of mirror opposite imbalances: too much austerity in the North, and too many wage increases in the South; what is needed is a convergence where stimulus in the North facilitates the absorption of the external imbalances in the South.
  • For some, every country must implement policies that combine fiscal consolidation and structural reform. For others, what is needed is an EU-wide growth strategy (in particular by financing an ecological transition) and a guarantee of public debt so as to promote a convergence of national interest rates at lower levels.
  • Some believe that any new solidarity measures involve developing a Union budget, which means the inclusion of binding rules in the Fiscal Compact; for others, what is needed is the open coordination of economic policies, without pre-established standards.

We provide a report that includes brief comments [2] in a lengthy Note.


[1] EUROFRAME is a network of European economic institutes that includes: DIW and IFW (Germany), WIFO (Austria), ETLA (Finland), OFCE (France), ESRI (Ireland), PROMETEIA (Italy), CPB (Netherlands), CASE (Poland), NIESR (United Kingdom).

[2] Most of the articles are available at: http://www.euroframe.org/index.php?id=7. Selected articles will be published in an issue of the Revue de l’OFCE, in the “Débats et Politiques” collection, at the end of 2012. The report reflects the views of the authors alone.

 




La zone euro en crise : quelles perspectives pour la politique monétaire et les politiques budgétaires en Europe ?

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 8 juin 2012, s’est tenue à Kiel la 9ème Conférence EUROFRAME[1] sur les questions de politique économique de l’Union Européenne. Son sujet était : « La zone euro en crise : quelles perspectives pour la politique monétaire et les politiques budgétaires en Europe ? ». La conférence a, bien sûr, été dominée par la question de la crise des dettes publiques de pays de la zone euro. Comment est-on arrivé à cette situation ? Faut-il incriminer des erreurs des politiques économiques nationales ? Faut-il mettre en cause la mauvaise organisation de la zone euro ?

Plusieurs lignes de fracture sont apparues (cf. aussi la Note associée) :

–         pour les uns, ce sont des politiques nationales irresponsables qui sont la cause des déséquilibres : les pays du Sud ont laissé se développer des bulles immobilières et salariales tandis que les pays du Nord pratiquaient des politiques vertueuses d’austérité salariale et de réformes structurelles. Les pays du Sud doivent donc adopter la stratégie des pays du Nord et accepter une longue cure d’austérité. Pour les autres, la monnaie unique a permis le développement de déséquilibres jumeaux et opposés : trop d’austérité au Nord, trop de hausses de salaires au Sud ; il faut une convergence où la relance au Nord facilite la résorption des déséquilibres extérieurs au Sud.

–         Pour les uns, chaque pays doit mettre en œuvre des politiques alliant consolidation budgétaire et réformes structurelles. Pour les autres, il faut une stratégie de croissance à l’échelle de l’UE (en particulier par le financement de la transition écologique) et une garantie des dettes publiques pour faire converger les taux d’intérêt nationaux vers le bas.

–         Pour les uns, toute nouvelle solidarité suppose le développement d’une Union budgétaire, ce qui signifie la mise en place des règles contraignantes inscrites dans le Pacte budgétaire ; pour les autres, il faut une coordination ouverte des politiques économiques, sans normes préétablies.

Nous proposons un compte-rendu assorti de brefs commentaires[2] dans une Note longue.


[1] EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne), NIESR (Royaume-Uni).

[2] La plupart des articles sont disponibles sur : http://www.euroframe.org/index.php?id=7. Une sélection d’articles sera publiée dans un numéro de la Revue de l’OFCE, collection « Débats et Politiques », à paraître fin 2012. Le présent compte-rendu n’engage que ses auteurs.




Les mesures d’austérité dans la zone euro ralentissent l’économie européenne

Rapport de l’IMK-OFCE-WIFO, 29 mars 2012 (Contact à l’OFCE : Catherine Mathieu) 

Version courte du Communiqué de Presse diffusé par l’IMK, le 29 mars 2012. Le texte original est consultable sur : http://www.boeckler.de/pdf/p_imk_report_71_2012.pdf; et en version anglaise sur http://www.boeckler.de/pdf/p_imk_report_71e_2012.pdf

L’Institut de macroéconomie et de conjoncture (IMK) à la fondation Hans-Böckler, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et l’Institut autrichien de recherche économique (WIFO) ont publié jeudi 29 mars un Rapport soulignant que la crise dans la zone euro et les politiques d’austérité provoquent un ralentissement économique dans de nombreux pays européens et posent un fort défi à l’économie allemande cette année et l’année prochaine.

Le rapport comprend une prévision de court terme centrée sur l’économie allemande, une prévision de moyen terme et des analyses de politique économique portant sur les économies européennes. L’exercice de prévision commune réalisé par les Instituts dans le cadre de ce projet est par principe indépendant des propres prévisions menées par chaque Institut. Cependant, les analyses réalisées, le diagnostic et les conclusions de politique économique sont largement les mêmes, comme l’on peut le constater à la lecture des dernières prévisions de l’OFCE.

Ainsi, les trois instituts soulignent que la crise dans la zone euro et les politiques d’austérité provoquent un ralentissement économique dans de nombreux pays européens et posent un fort défi à l’économie allemande cette année et l’année prochaine. En 2012, l’Allemagne connaitra une stagnation économique. Le PIB n’augmentera que de 0,3 %. En 2013, la situation ne s’améliorerait que légèrement – le PIB devrait croître de 0,7 %. La France, le partenaire commercial le plus important de l’Allemagne, atteindra seulement des taux de croissance de 0,2 % en 2012 et de 0,7 % en 2013. En raison d’une croissance négative dans les pays d’Europe du Sud et même aux Pays-Bas et en Belgique, la zone euro dans son ensemble connaîtrait une récession prolongée : le PIB de la zone euro baisserait de 0,8 % en 2012 ; puis de 0,5 % en 2013.

La baisse de la demande en provenance des pays voisins ralentit à la fois les exportations et les investissements allemands. En outre, la dynamique économique mondiale diminue également : dans de nombreux pays d’Asie et d’Amérique latine, les taux de croissance ralentissent sensiblement. En 2012, la consommation relativement soutenue sera donc le seul moteur de l’économie allemande. La faiblesse de la croissance mettra aussi fin à la forte reprise du marché de travail mais sans retournement : en 2012, le taux de chômage diminuera à nouveau légèrement. En 2013, l’emploi et le chômage resteront stables.

Par rapport à la prévision de l’IMK de décembre 2011, les chercheurs du réseau ont légèrement revu à la hausse les prévisions de la croissance du PIB allemand en 2012 de 0,4 point.

Selon Gustav A. Horn, le directeur scientifique de l’IMK : « L’idée que l’Allemagne pourrait réorienter ses exportations de la zone euro vers l’extérieur de la zone est une illusion. Les pays de la zone resteront nos partenaires commerciaux principaux. La politique d’austérité excessive d’un bon nombre de ces pays – imposée par le pacte budgétaire à la quasi-totalité de l’UE – nous frappera durement. Bien sûr, les pays de la zone euro en crise doivent réduire leurs déficits. Mais une politique d’austérité généralisée de tous les pays européens va étouffer la croissance et mettre ainsi en question l’amélioration des finances publiques elle-même. Pour trouver une issue à la crise, la stratégie économique de l’Europe doit comporter une politique globalement expansionniste. Toute autre politique déstabiliserait les marchés financiers plutôt qu’elle ne les calmerait ».

Attention à un changement de la politique de la BCE

Cependant, l’IMK, l’OFCE et WIFO ne prévoient pas d’aggravation de la crise de la dette dans la zone euro. Ils estiment que la BCE poursuivra sa stratégie jusqu’à présent efficace : fournir des liquidités à des conditions favorables aux banques et d’acheter des obligations publiques sur les marchés secondaires pour faire baisser les taux d’intérêt. Les chercheurs mettent explicitement en garde contre un changement de cap : « Dans le contexte de la crise, les récentes tentatives pour empêcher la BCE de poursuivre une fourniture abondante de liquidités sont très dangereuses. »

Perte de croissance du fait des politiques budgétaires restrictives

Les instituts du Réseau ont calculé les conséquences des mesures d’austérité dans leurs projections de moyen terme. Entre 2010 et 2013, les pays de la zone euro effectueront des impulsions budgétaires négatives représentant, au total, de 6,7 points du PIB de la zone. Dans les pays en crise comme l’Irlande, l’Espagne, le Portugal et la Grèce, ces impulsions sont encore plus fortes, allant de 12 à 24 points de PIB. Elles provoqueront des pertes de croissance cumulées allant de 10 % du PIB en Irlande à 25,3 % en Grèce : « c’est un effondrement total de l’économie grecque, » écrivent les chercheurs.

La croissance ralentira aussi en Italie, en France et même aux Pays-Bas en raison des fortes impulsions négatives allant de 5 à 9 points de PIB cumulées entre 2010 et 2013. Les pertes de croissance induites entre 2010 et 2013 sont de 4,6 % aux Pays-Bas, de 8 % en France et de  9,6 % en Italie. Par contre, l’impulsion budgétaire négative de 1,5 % en Allemagne est relativement faible. Mais en raison des liens économiques étroits avec les pays en crise, la croissance allemande de la période 2010-2013 subira une baisse de 2,7 % par rapport à un scénario sans austérité.  Dans les pays en crise, les pertes de croissance réduisent fortement les efforts de réduction des déficits publics du fait des baisses de recettes fiscales et de l’augmentation de certaines dépenses, comme celles d’indemnisation du chômage. Dans l’ensemble, « la politique d’austérité généralisée mise en œuvre dans le cadre du pacte budgétaire élargira le fossé au sein de la zone euro entre d’un côté les pays du Sud de l’Europe et de l’autre l’Allemagne et les autres pays d’Europe centrale et du Nord. Par cette politique, la crise ne sera pas résolue mais aggravée », avertissent les instituts.

Les chercheurs ont aussi étudié des stratégies alternatives sans austérité budgétaire. Ainsi ont-ils simulé les effets d’une stratégie de bas taux d’intérêt. Le scénario est basé sur l’hypothèse que les taux d’intérêt à 10 ans pour le financement des états membres de la zone euro pourraient être fixés à 2%, par une garantie collective des dettes publiques soutenue par la BCE. Cela rendrait possible d’abandonner les conditions contraignantes imposées par le pacte budgétaire. Dans ce scénario, la croissance économique serait nettement plus forte – de 0,8 point par an en moyenne entre 2012 et 2016 à l’échelle de la zone euro – et le chômage plus faible que dans le scénario acceptant les contraintes du Pacte budgétaire. Certes, les déficits publics resteraient plus forts, mais, en raison de la plus forte croissance, les ratios de dettes publiques seraient plus bas.




Pourquoi les pays développés doivent renoncer à leur AAA

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Par essence, les Etats à monnaie souveraine devraient renoncer à leur AAA : en effet, quelle logique y-a-t-il à voir des agences de notation noter un Etat dont le défaut est rendu impossible par sa capacité à créer sa propre monnaie ? Pour éviter la dépendance envers ces agences de notation et mettre fin à la crise qui sévit en Europe, les Etats membres de la zone euro doivent retrouver leur souveraineté monétaire par la garantie conjointe quasi-intégrale des dettes publiques. 

Depuis 1945, aucun pays développé n’a fait défaut sur sa dette publique. Celle-ci était sans risque, puisque les Etats s’endettaient dans leur propre monnaie et pouvaient toujours se financer auprès de leur banque centrale. Les pays développés jouissaient de la « souveraineté monétaire ». C’est toujours le cas aujourd’hui pour le Japon (qui s’endette à 10 ans à 1% malgré une dette de 210% du PIB), les Etats-Unis (qui s’endettent à 2% avec une dette de 98% du PIB), le Royaume-Uni (qui s’endette à 2,5% pour une dette de 86% du PIB).

Les banques et les assurances ne peuvent fonctionner si elles ne disposent pas d’un actif sans risque et si elles doivent se garantir contre la faillite de leur propre État, ce qui est bien sûr impossible : les montants en jeu sont énormes et les titres publics servent de garantie aux activités bancaires et d’assurances. Les banques et les assurances ne peuvent accumuler suffisamment de fonds propres pour résister à la faillite de leur pays ou de plusieurs pays de la zone euro. Cette exigence, on le voit aujourd’hui, avec la crise des dettes publiques de la zone euro, mène à la paralysie générale du système bancaire.

Il est foncièrement absurde que les agences de notation notent un État à souveraineté monétaire, comme si son défaut était une possibilité à envisager. Les États à monnaie souveraine devraient renoncer à leur AAA : par essence, leur dette est sans risque puisqu’elle est garantie par le pouvoir de création monétaire de leur banque centrale.

Les pays de la zone euro ont perdu leur « souveraineté monétaire » : selon le Traité de l’Union européenne, la BCE n’a pas le droit de financer les États ; les États membres ne sont pas solidaires. Les marchés financiers s’en sont aperçus à la mi-2009. Du coup, une spéculation incontrôlable s’est déclenchée sur les pays les plus fragiles de la zone : Grèce, Portugal, Irlande, ceux qui avaient connu la plus forte croissance avant la crise, mais qui vont devoir changer leur modèle de croissance ; puis, par effet de domino, sur l’Italie, l’Espagne et même la Belgique. Aujourd’hui, la Belgique doit payer un taux d’intérêt de 3,8 %, l’Espagne de 5,2 % et l’Italie de 5,6 % contre 2,6% pour la France, et même 1,8% pour l’Allemagne. La Grèce, l’Irlande, le Portugal sont ramenés dans la situation des pays en développement de jadis : leurs dettes sont devenues des actifs risqués qui subissent d’importantes primes de risque ; ils doivent passer sous les fourches caudines du FMI.

Ce jeu des marchés financiers risque de paralyser complètement la politique budgétaire. Lorsqu’un pays dispose de la souveraineté monétaire, en période de récession, la banque centrale peut diminuer au maximum son taux d’intérêt et s’engager, si nécessaire, à le maintenir durablement bas ; l’Etat augmente son déficit mais le bas niveau des taux d’intérêt évite que la dette publique ne fasse boule de neige ; il provoque une baisse du taux de change, qui soutient l’activité. La garantie des dettes par la création monétaire fait qu’il n’y a pas de risque de faillite, donc pas de raison de devoir en permanence rassurer les marchés. La banque centrale, en maintenant les taux longs à de bas niveaux en période de récession, garantit l’efficacité de la politique budgétaire. La politique budgétaire n’a pas à se soucier des marchés. C’est toujours la stratégie des États-Unis.

En zone euro, le risque est que demain un pays ne puisse plus augmenter son déficit de crainte que les agences ne dégradent sa notation et que ses taux d’intérêt ne s’envolent. Les pays sont donc condamnés à des concours de vertu pour apparaître aussi sages que l’Allemagne aux yeux des marchés. Ceci rend leur politique budgétaire impuissante, et donc leur conjoncture incontrôlable (voir, par exemple, L’impossible programme des candidats à l’élection présidentielle). La dette publique devient un facteur permanent de risque puisque les États sont à la merci des esprits animaux des marchés. Toute politique économique devrait être évaluée en tenant compte de l’opinion des marchés. Or ceux-ci n’ont pas de compétence macroéconomique particulière. Ils imposent des politiques d’austérité en période de récession, puis se plaignent du manque de croissance. C’est ce qu’ils font aujourd’hui, pour la zone euro en général, pour l’Italie et la Grèce en particulier. Ils favorisent les réformes libérales comme la réduction de la protection sociale ou celle du nombre d’enseignants. Pour que les pays conservent la capacité de réguler leur activité économique, le risque de faillite doit être nul.

La zone euro doit donc choisir entre se dissoudre ou se réformer de façon à garantir les dettes publiques des États membres, qui retrouveraient leur « souveraineté monétaire ». Les dettes publiques européennes doivent redevenir des actifs sans risques, faiblement rémunérés mais totalement garantis (par la solidarité européenne et fondamentalement par la BCE). C’est le seul moyen de maintenir l’autonomie des politiques budgétaires, qui est nécessaire compte tenu des disparités en Europe et de la perte pour chaque pays de l’instrument monétaire et de celui du taux de change.

Le fonctionnement de la zone euro n’a pas été réfléchi au moment de sa création, en particulier l’arbitrage « autonomie des politiques budgétaires/monnaie unique/souveraineté monétaire ». La garantie conjointe crée un problème d’aléa moral puisque chaque pays peut augmenter sa dette sans limite, mais une absence de garantie laisse le champ libre au jeu des marchés financiers, qui seront en permanence à l’affût. La garantie ne peut être réservée aux pays qui respectent les règles automatiques, injustifiables sur le plan économique et non respectables du Pacte de stabilité. Elle doit être automatique et totale. Pour éviter l’aléa moral, le Traité européen doit comporter un dispositif prévoyant le cas extrême où un pays pratiquerait effectivement une politique budgétaire insoutenable ; dans ce cas, la nouvelle dette de ce  pays ne serait plus garantie ; mais ceci ne doit jamais survenir.

N’ayant plus la nécessité de rassurer les marchés, les pays de la zone euro pourraient pratiquer des politiques budgétaires différenciées mais coordonnées, se donnant comme objectif principal le retour à un niveau d’emploi satisfaisant, compatible avec une inflation modérée.




Why the developed countries should renounce their AAA rating

By Catherine Mathieu and Henri Sterdyniak

By their very nature, states with monetary sovereignty should renounce their AAA rating: indeed, what is the logic behind having the rating agencies rate a state whose default is rendered impossible by its ability to create its own money? To avoid dependence on the rating agencies and put an end to the crisis in Europe, the Member States of the euro zone must recover their monetary sovereignty through the joint, virtually complete guarantee of their public debts.

Since 1945, no developed country has defaulted on its debt. There was no risk on the debt, since the states borrowed in their own currency and could always obtain financing from their central bank. The developed countries enjoyed “monetary sovereignty”. This is still the case today for Japan (which enjoys 10-year loans at 1% despite a debt of 210% of GDP), the United States (which borrows at 2% with a debt of 98% of GDP), and the United Kingdom (which borrows at 2.5% with a debt of 86% of GDP).

Banks and insurance companies cannot function if they do not have risk-free assets and if they have to guard against the failure of their own state, which is of course impossible: the amounts involved are enormous, and government securities serve to guarantee banking and insurance activities. The banks and insurance companies could not accumulate enough capital to withstand the bankruptcy of their own country or multiple euro zone countries. As we can see today with the sovereign debt crisis in the euro zone, such a requirement would lead to the general paralysis of the banking system.

It is fundamentally absurd that the rating agencies rate a state with monetary sovereignty, as if its default were an option worth considering. States with monetary sovereignty should renounce their AAA rating: by their nature, their debt is risk-free because it is guaranteed by the central bank’s power to create money.

The euro zone countries have lost their “monetary sovereignty”: under the Treaty of the European Union, the European Central Bank has no right to finance Member States, and the States are not bound by joint liability. The financial markets noticed this in mid-2009, and suddenly uncontrollable speculation erupted, targeting the most fragile countries in the zone: first Greece, Portugal, and Ireland, which had the fastest growth before the crisis, but will have to change their growth pattern, and then, like dominos, Italy, Spain, and even Belgium. Today, Belgium has to pay an interest rate of 3.8%, Spain 5.2% and Italy 5.6%, compared with 2.6% in France and just 1.8 % for Germany. Greece, Ireland, and Portugal are now in the situation that the developing countries faced yesteryear: their debts have become risky assets subject to high risk premiums, and they are being brought under the yoke of the IMF.

The workings of the financial markets could completely paralyze fiscal policy. When a country enjoys monetary sovereignty, then in a recession the central bank can lower its maximum interest rate and if necessary commit to keeping it low in the long term; the state increases its deficit, but the low interest rates prevent the debt from snowballing; and it pushes exchange rates lower, which boosts activity. Since the debt is guaranteed by the creation of money, there is no risk of bankruptcy, and thus no reason to have to constantly reassure the markets. The central bank, by maintaining long-term rates at low levels in a recession, ensures that fiscal policy is effective. Fiscal policy does not need to worry about the markets. This is still the strategy of the United States today.

In the euro zone, the risk is that in the future a country could no longer increase its deficit for fear that the agencies might downgrade its rating and interest rates would then soar. The countries are therefore condemned to prove their virtue so as to appear as wise as Germany in the eyes of the markets. This renders their fiscal policy impotent, and their economic situation spins out of control (see, for example, The impossible programme of the candidates for the presidential election). The public debt becomes a permanent risk factor, since the states are at the mercy of the markets’ insatiable appetite. Any economic policy should of course be assessed while taking into account the views of the markets. Yet the markets have no special competence in macroeconomics. They impose austerity policies during a recession and then turn around and complain about the lack of growth – which is exactly what they are doing today with respect to the euro zone in general, and Italy and Greece in particular. They are promoting free market reforms such as cutting social welfare programs or the number of teachers. For countries to retain the ability to regulate their economic activity, the risk of default needs to be zero.

The euro zone must thus choose between dissolution and a reform that would guarantee the public debt of the Member States, which would re-gain their “monetary sovereignty”. European public debts should become risk-free assets, compensated at low rates but guaranteed in full (by European solidarity and fundamentally by the ECB). This is the only way to maintain the independence of fiscal policy, which is essential given the disparities in Europe and the loss by each country of its monetary and exchange rate instruments.

The functioning of the euro zone was not thought through at the time of its creation, particularly with respect to the trade-off between “autonomy of fiscal policy / single currency / monetary sovereignty”. Joint liability creates a moral hazard problem, as each country can increase its debt without limit, but a lack of a guarantee leaves the field open to the play of the financial markets, which are constantly on the lookout. The guarantee cannot be limited to countries that meet the automatic rules, which is unwarranted economically and fails to comply with the Stability Pact. It should be automatic and total. To avoid moral hazard, the European Treaty should include a provision for the extreme situation where a country carries out an unsustainable fiscal policy, in which case the new debt of the country would no longer be guaranteed – but this should never come to pass.

Freed of the need to reassure the markets, the euro zone countries could engage in differentiated but coordinated fiscal policies, with their main objective being to ensure a return to a satisfactory level of employment consistent with low inflation.