Pourquoi rendre le congé de paternité obligatoire ?

par Hélène Périvier

Le gouvernement engage une réflexion sur une réforme du congé de paternité. Un rapport vient d’être demandé à l’Inspection générale des affaires sociales. Aujourd’hui, les pères salariés[1] ont droit à 11 jours calendaires consécutifs au titre du congé de paternité. Indemnisé par la Sécurité sociale dans les mêmes conditions que celles du congé de maternité, le congé de paternité est optionnel. Un allongement de la durée de ce congé est envisagé alors que l’idée de le rendre obligatoire semble être écartée, au vu des déclarations de Marlène Schiappa, Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de Muriel Pénicaud, Ministre du Travail.

Un levier pour l’égalité professionnelle

Le Policy brief OFCE n°11, publié en janvier 2017, expose les raisons pour lesquelles une réforme du congé de paternité constitue un levier pour réduire les inégalités professionnelles. En matière de partage des congés parentaux, la France est en retard par rapport à d’autres pays européens, et pas seulement les pays nordiques qui ont depuis longtemps mis en place des politiques de congés parentaux obligeant à un partage de ce temps consacré aux enfants. Le Portugal a également innové en la matière : les pères ont droit à un mois de congé de paternité, indemnisé à 100% du salaire, dont deux semaines obligatoires[2].

Obligation et protection des travailleurs

La Ministre du Travail a déclaré le 31 janvier 2018: « Je ne suis pas sûre que l’on change les mœurs d’une société avec une obligation » du recours au congé de paternité. Rappelons que sur les 16 semaines de congé maternité (pour un enfant de rang 1 ou 2), 8 semaines sont obligatoires, dont 6 après la naissance. Cette obligation a été introduite pour protéger les femmes d’une pression que leur employeur pourrait exercer sur elles pour qu’elles ne prennent pas ce congé auquel elles ont droit. Le caractère obligatoire du congé relève donc de la protection des travailleuses[3]. Pourquoi ne pas protéger les pères de la même façon ? Les hommes qui souhaitent consacrer plus de temps à leurs enfants dans le cadre de ce congé peuvent être stigmatisés par leurs collègues ou leurs supérieurs hiérarchiques. L’obligation coupe court à toute négociation. Elle constitue une garantie du respect du droit des travailleurs à prendre le congé de paternité, tout comme l’obligation de congés annuels ou de repos hebdomadaires[4] que personne ne conteste aujourd’hui. Notre histoire sociale montre au contraire que l’obligation est un moyen puissant de changer la norme sociale ; alors pourquoi ne pourrait-elle pas faire bouger les lignes des normes de genre ?

Libre choix individuel et choix de société

Le caractère obligatoire du congé est contesté au nom du libre choix des pères et des couples de s’organiser comme ils l’entendent. La liberté de chacun et de chacune en matière d’organisation familiale est incontestable, mais le caractère sexué de cette organisation au niveau global en fait un problème social et collectif (voir le Policy Brief n°11). Autrement dit, ce qui pose problème, ce n’est pas que des femmes ajustent leur carrière pour consacrer du temps à leurs enfants, c’est que ce soit majoritairement des femmes qui agissent ainsi. De fait, toutes les femmes se trouvent pénalisées par le caractère sexué de la division du travail dans les couples, y compris celles qui optent avec leur conjoint pour une organisation égalitaire. Il s’agit donc d’une externalité négative qu’il convient de corriger.

Indemnisation et perte de revenu

Si le congé de paternité devient obligatoire, alors certains pères verront leurs revenus diminuer pendant la durée du congé. C’est le cas des hommes dont le salaire est supérieur au plafond d’indemnisation de la Sécurité sociale[5] et qui travaillent dans des entreprises ne disposant pas d’une convention collective favorable, qui comporterait une couverture complète par l’employeur. C’est également le cas pour les femmes dans des situations similaires, et pour elles la perte de revenu est plus importante car la durée du congé est plus longue. Revoir l’indemnisation pour qu’elle soit plus généreuse pour les femmes comme pour les hommes est une meilleure réponse à ce problème que de renoncer à l’obligation du recours au congé pour les pères.

Coût de la réforme et financement

Reste la question du coût d’une telle réforme : c’est un point important mais cela ne doit pas couper court à toute discussion. Un congé de paternité allongé à 22 jours et obligatoire impliquerait un surcoût de l’ordre de 500 millions (Policy brief OFCE n°11)[6]. Il doit être pensé à l’aune d’une refonte de l’ensemble des congés et de l’imposition des couples, notamment d’une réforme du quotient conjugal (Allègre et Périvier). Par exemple, un plafonnement du quotient conjugal à 2 500 euros (donc au-dessus du plafond du quotient familial, qui est de 1 500 euros) représenterait un gain pour les finances publiques de 1,35 milliard, ce qui procurait des marges de manœuvre pour ouvrir une réforme des congés et de l’accueil des jeunes enfants. C’est donc l’ensemble des politiques sociales et fiscales qu’il faudrait remettre à plat pour donner plus d’espace aux pères dans la famille et aux femmes dans la sphère professionnelle.

Une réforme du congé de paternité ne saurait suffire à résorber les inégalités persistantes, mais c’est une piste de changement qui permet d’ouvrir un débat sur la place respective des femmes et des hommes dans notre société.

 

 

[1] Pour les travailleurs indépendants, la question dépasse le cas du congé de paternité, c’est l’ensemble du régime de sécurité sociale des indépendants qui est en cause.

[2] Wall Karin, Leitão Mafalda. « Le congé paternel au Portugal : une diversité d’expériences », Revue des politiques sociales et familiales, n° 122, 2016. Exercice de la paternité et congé parental en Europe. pp. 33-50.

[3] Isabel Odul-Asorey, « Congé maternité, droit des femmes ? », La Revue des droits de l’homme [En ligne], 3 /2013,

[4] La date des congés ou le jour de liberté dans la semaine (dimanche ou pas) est le seul sujet de débat, pas l’obligation faite aux entreprises d’accorder un congé à l’ensemble des salarié.e.s.

[5] Le salaire pris en compte ne peut pas dépasser le plafond mensuel de la Sécurité sociale en vigueur lors du dernier jour du mois qui précède l’arrêt, soit 3 311,00 € brut par mois en 2018.

[6] Les indemnités de congés maternité et paternité sont plafonnées. Selon les accords d’entreprises et les conventions collectives, les employeurs peuvent les compléter pour assurer une indemnisation de 100 % à leurs salarié-e-s. Aucune donnée consolidée ne permet d’en évaluer le montant (HCF, 2009). Les coûts présentés ici ne tiennent pas compte du coût que ces réformes entraîneraient pour les employeurs.




Le partage du congé parental : un impératif d’égalité

par Hélène Périvier

Le projet de loi sur l’égalité entre femmes et hommes, voté par le Sénat le 18 septembre 2013, comprend notamment un volet visant à modifier les modalités d’accès à l’allocation de congé parental[1] en introduisant le Complément libre choix d’activité (CLCA). La dernière Note de l’OFCE (n°34 du 26 septembre 2013) analyse les conséquences de ce projet en termes d’égalité femmes-hommes et propose d’autres pistes pour une plus large réforme.

Le droit à l’allocation de congé parental est un droit familial : il est attribué à l’un des deux parents qui réduit ou cesse son activité professionnelle pour s’occuper de l’enfant, et ce pour une durée de 3 ans maximum. Partant du constat que 98 % des allocataires sont des femmes, l’objectif visé par la loi est d’encourager les pères à y recourir : désormais sur les 36 mois de droit à l’allocation de congé parental, 6 devront être pris par l’autre parent. Autrement dit, au terme de 30 mois de congé parental pris par la mère, le père devra prendre le relais pour les 6 mois restant, au risque pour la famille de perdre ces 6 mois. L’Unaf, hostile à cette réforme, a publié sur son site une enquête sur « les pères et le congé parental ». Il en ressort une opposition, au nom de la complémentarité des sexes, au principe instauré dans la loi visant à promouvoir le partage des tâches familiales entre les mères et les pères. De même la pénurie de modes de garde des jeunes enfants est mise en avant comme un rempart à toute modification du congé parental, au motif qu’elle accentuerait la contrainte organisationnelle qui pèse sur les parents de jeunes enfants. Pourtant, le caractère sexué du congé parental fait de ce dispositif un frein à l’égalité, même si une partie des allocataires déclarent y recourir par choix personnel. Réformer les modalités d’accès au congé parental est donc nécessaire pour avancer du point de vue de l’égalité femmes-hommes. Les modifications proposées dans la loi seront-elles suffisantes pour faire bouger les lignes de la division sexuée du travail ?

Répartir la contrainte sur les mères et les pères

Ne pas réformer le CLCA serait introduire le libre choix de recourir au congé de certaines mères et le libre choix de ne pas y recourir pour l’ensemble des pères, devant la lutte contre les discriminations qui affectent la plupart des femmes. Certes, le congé parental n’est pas à lui seul responsable des inégalités femmes-hommes, mais il en est un moteur et les inégalités professionnelles en retour renforcent son caractère sexué.

Une politique visant l’égalité professionnelle ne peut donc pas faire l’impasse sur une réforme du congé parental. Renverser ce cercle vicieux exige des modifications majeures de ce type de congé. Un congé plus court, reposant sur un droit individuel, non transférable entre conjoints et dont l’indemnisation serait reliée au salaire du bénéficiaire, serait sans aucun doute plus attractif pour les pères et porteur d’égalité (Méda et Périvier, 2007). A défaut d’être immédiatement paritaire, ce dispositif aurait l’énorme avantage de garantir l’autonomie des femmes par rapport à leur conjoint et donc d’intégrer l’émancipation économique comme un principe de l’action publique. Mais le raccourcissement de la durée du congé parental ne peut se faire sans avoir, au préalable, comblé le déficit des modes d’accueil des jeunes enfants, estimé aujourd’hui à 350 000 places[2]. Ce congé renouvelé devrait donc s’insérer dans une refonte du parcours d’accueil des jeunes enfants. Dans le cas contraire, raccourcir le congé parental conduirait à serrer davantage l’étau qui pèse sur les parents et en particulier les mères. Une politique ambitieuse d’accueil de la petite enfance, dans laquelle intégrerait un congé parental court et rémunéré en proportion du salaire, serait favorable à l’égalité. Elle exige une dépense publique importante, environ 5 milliards d’euros par an (Périvier, 2012). Or les arbitrages pris par le gouvernement en matière d’ajustements budgétaires vont dans le sens d’une réduction des dépenses publiques.

De fait, par manque de moyens, la réforme proposée dans la loi est modeste et ne va pas permettre de rééquilibrer le partage des tâches familiales entre femmes et hommes. Mais elle a le mérite de mettre en exergue les contradictions qui traversent notre société en matière d’égalité : sans une contrainte de partage du congé parental, ce dernier restera une affaire de femme. L’introduction d’une durée de congé parental affectée au père ne va pas directement accroître la contrainte liée à la pénurie des modes d’accueil : le droit à l’allocation de congé parental reste de 36 mois pour la famille. Elle va simplement en répartir la charge entre les mères et les pères. L’arbitrage auquel les pères vont devoir faire face est celui auquel les mères sont confrontées depuis longtemps. Étant donné le caractère forfaitaire et faible du montant de l’indemnisation, il est probable que peu de pères soient tentés par ce congé. Néanmoins si les orientations en matière budgétaire ferment la porte à toute réforme ambitieuse de l’accueil de la petite enfance, les femmes ne peuvent pas être les seules à en assumer les conséquences.

Réformer le congé parental est donc un impératif d’égalité.


[1] Il convient de distinguer l’allocation de congé parental en tant que telle, du congé parental du point de vue du droit du travail (c. trav. art.L. 122-28-1), qui garantit, sous certaines conditions, à une personne qui travaille de retrouver son emploi au terme d’un congé parental d’une durée d’un an renouvelable 3 fois. La première est versée par la CAF dans le cadre plus général de la politique familiale, sous certaines conditions (rang de l’enfant, activité passée, …). Les conditions d’accès en termes d’activité passées sont plus souples pour l’éligibilité à l’allocation qu’au congé parental stricto sensu. De fait, seulement 60% des allocataires du CLCA bénéficient d’une garantie de retour à l’emploi (Legendre et Vanovermeir, 2011).

[2] Voir notamment, Rapport Tabarot, Périvier 2012.