La fin d’un cycle ?

Département analyse et prévision

Ce texte s’appuie sur les perspectives 2018-2019 pour l’économie mondiale et la zone euro dont une version complète est disponible ici.

La croissance mondiale est restée bien orientée en 2017 permettant la poursuite de la reprise et la réduction du chômage, notamment dans les pays avancés où la croissance a atteint 2,3 % contre 1,6 % l’année précédente. Même s’il reste quelques pays où le PIB n’a pas retrouvé son niveau d’avant-crise, cette embellie permet d’effacer progressivement les stigmates de la Grande Récession qui a frappé l’économie il y a 10 ans. Surtout, l’activité semblait accélérer en fin d’année puisqu’à l’exception du Royaume-Uni, le glissement annuel du PIB continuait de progresser (graphique 1). Pourtant, le retour progressif du taux de chômage vers son niveau d’avant-crise et la fermeture des écarts de croissance, notamment aux Etats-Unis et en Allemagne, qui s’étaient creusés pendant la crise pourraient laisser augurer d’un essoufflement prochain de la croissance. Les premières estimations disponibles de la croissance au premier trimestre 2018 semblent donner du crédit à cette hypothèse.

Après une période d’embellie, la croissance de la zone euro a marqué le pas au premier trimestre 2018, passant de 2,8 % en glissement annuel au quatrième trimestre 2017 à 2,5 %. Si le ralentissement est plus significatif en Allemagne et en France, il est aussi observé en Italie, aux Pays-Bas et dans une moindre mesure, en Espagne (graphique 2). Du côté du Royaume-Uni, le ralentissement se confirme en lien avec la perspective du Brexit mais aussi avec une politique budgétaire plus restrictive que celle des autres pays européens. Au Japon, plus qu’un ralentissement, le PIB – en croissance trimestrielle – a reculé au premier trimestre. Finalement, parmi les principales économiques avancées, seuls les Etats-Unis semblent encore jouir d’une accélération de la croissance avec un PIB en hausse de 2,9 % en glissement annuel au premier trimestre 2018. Le ralentissement témoigne-t-il de la fin du cycle de croissance ? En effet, la fermeture progressive des écarts entre le PIB potentiel et le PIB effectif conduirait progressivement les pays vers leur sentier de croissance de long terme, dont les estimations convergent pour indiquer un niveau plus faible. L’Allemagne ou des Etats-Unis seraient à cet égard représentatifs de cette situation puisque, dans ces pays, le taux de chômage est inférieur à son niveau d’avant-crise. Dans ces conditions, leur croissance serait amenée à ralentir. Force est de constater qu’il n’en n’a rien été aux Etats-Unis. Il faut donc se garder de toute conclusion généralisée. En effet, malgré la baisse du chômage, d’autres indicateurs – le taux d’emploi – apportent un diagnostic plus nuancé sur l’amélioration de la situation sur le marché du travail aux États-Unis. Par ailleurs, dans le cas de la France, cette performance est surtout la conséquence du calendrier fiscal qui a provoqué une baisse du pouvoir d’achat des ménages au premier trimestre et donc un ralentissement de la consommation[1]. Il s’agirait donc plus d’un trou d’air que le signe d’un ralentissement durable de la croissance française.

Surtout, les facteurs qui avaient soutenu la croissance ne vont globalement pas se retourner. La politique monétaire restera effectivement expansionniste même si la normalisation est en cours aux Etats-Unis et devrait être amorcée en 2019 dans la zone euro. Du côté de la politique budgétaire, l’orientation est plus souvent neutre et deviendrait très expansionniste pour les Etats-Unis, ce qui pousserait la croissance au-delà de son potentiel. Enfin, de nombreuses incertitudes entourent les estimations de l’écart de croissance si bien que les marges de manœuvre ne seraient pas forcément épuisées à court terme. De fait, la reprise économique ne s’accompagne toujours pas d’un retour de tensions inflationnistes ou de fortes accélérations des salaires, qui témoigneraient alors d’une surchauffe sur le marché du travail. Nous anticipons le maintien de la croissance dans les pays industrialisés en 2018 et une accélération dans les pays émergents, ce qui porterait la croissance mondiale à 3,7 % en 2018. La croissance atteindrait alors un pic et ralentirait ensuite très légèrement en 2019, revenant à 3,5 %. A court terme, le cycle de croissance ne devrait donc pas s’achever.

IMG1_post18-05IMG2_post18-05

[1] Voir « Economie française : ralentissement durable ou passager ? ».




Comment sauver l’Europe ? Comment changer de paradigme ?

par Xavier Ragot

On assiste à des inflexions nouvelles dans les débats sur la construction européenne. Moins visibles que des déclarations publiques, des conférences essentielles et ateliers se tiennent pour aborder de nouvelles options, sous des angles économiques et politiques différents. Le débat est plus vif en Allemagne qu’en France. En cause probablement le débat caricatural français pendant les élections présidentielles, sur la forme « pour ou contre la monnaie unique », alors que le débat préalable est de discuter comment orienter les institutions de la zone euro au service de la croissance et des inégalités.

Deux conférences ont eu lieu à Berlin à une semaine d’intervalle, considérant les options les plus opposées. La première a abordé les conséquences de la sortie d’un pays de la zone euro ; la seconde la recherche d’un paradigme alternatif pour réduire inégalités en Europe. Autant dire que ces deux conférences couvrent presque tout le spectre des politiques économiques envisageables.

Se faire peur : la fin de la zone euro ?

Première question : Que se passerait-il si un ou plusieurs pays sortaient de la zone euro ? Faut-il le souhaiter ou comment peut-on l’empêcher ? Une conférence a eu lieu le 14 mars avec pour titre « L’euro est-il viable en l’état, et que faire si ce n’est pas le cas ? » a rassemblé des présidents d’instituts influents comme Clemens Fuest, des membres des cinq sages allemands comme Christoph Schmidt et des économistes médiatiques en Allemagne, comme Hans-Werner Sinn, ou encore des économistes comme Jeromin Zettelmeyer. La présence de l’OFCE, en ma personne, a peut-être permis de rappeler des éléments simples, mais utiles.

Cette première conférence a parfois joué sur l’ambiguïté de la question, certaines contributions semblant souhaiter la fin de la zone euro alors que d’autres contributions étaient plus analytiques afin d’en montrer les risques. Dans ces débats la voix de Hans-Werner Sinn est singulière par sa radicalité. Sans aller jusqu’à souhaiter la sortie de l’Allemagne de la zone euro, ce dernier insiste de manière systématique (et biaisée) sur les coûts pour l’Allemagne de la politique monétaire européenne. Sinn insiste en particulier sur le rôle de l’exposition cachée de l’Allemagne à la dette des autres pays par l’intermédiaire de la Banque centrale européenne et de TARGET2, qui enregistre les surplus et déficits des banques centrales nationales vis-à-vis de la Banque centrale européenne. Le solde TARGET2 montre que les pays du sud de l’Europe ont un déficit alors que l’Allemagne a un excédent substantiel de près de 900 milliards d’euros, ce qui représente 30% du PIB allemand. Ces montants sont très importants mais ne sont en aucun cas un coût pour l’Allemagne. Dans le cas le plus extrême d’un non-paiement par une banque centrale nationale (autant dire une sortie de la zone euro), la perte serait partagée par tous les autres États de manière indépendante des surplus. Ces soldes TARGET2 font partie de la politique monétaire européenne pour atteindre un objectif sur lequel on s’était mis d’accord : un niveau d’inflation moyen de 2%. Cette cible n’est pas atteinte depuis de nombreuses années. Par ailleurs, cette politique a conduit à des taux d’intérêt bas dont profitent les Allemands qui paient des charges d’intérêt faibles sur leurs dettes publiques, comme le rappelle Jeromin Zettlemeyer. Enfin, la balance commerciale fortement excédentaire de l’Allemagne montre que l’absence d’ajustement de taux de change dans la zone euro a largement bénéficié à l’Allemagne. Rappelons, que l’Allemagne a exporté plus que la Chine en volume en 2016, selon l’institut allemand Ifo !

Ma présentation s’est basée sur les nombreux travaux de l’OFCE sur la crise européenne. L’OFCE a publié un billet analytique sur les effets d’une sortie de la zone euro en montrant tous les coûts associés. Les travaux de Durand et Villemot fournissent des bases analytiques pour donner des ordres de grandeur. Quelle serait la réduction de la richesse des Allemands en cas d’explosion de la zone euro ? Le résultat n’est, somme toute, pas très surprenant. Les Allemands seraient les premiers perdants avec une perte de richesse de l’ordre de 15% du PIB. Bien sûr, ces chiffres sont extrêmement fragiles, et il faut les interpréter avec la plus grande des prudences. L’explosion de la zone euro nous plongerait dans le domaine de l’inédit, qui nous surprendrait par des déstabilisations que l’on ne soupçonnent pas.

Après ces éléments préliminaires, le cœur de ma présentation s’est ensuite concentré sur un point simple. Notre véritable défi est de construire des marchés du travail cohérents au sein de la zone euro, tout en diminuant les inégalités. Après la politique monétaire commune, la coordination des politiques budgétaires qui a été réalisée dans la douleur après 2014 et les errements des politiques fiscales récessionnistes (l’austérité), la question principale pour l’Europe dans les dix ans à venir est de rendre cohérents les marchés du travail. En effet, une puissante force déstabilisatrice en Europe est la modération salariale en Allemagne, fruit de la difficulté de la réunification au début des années 1990, comme on l’a montré dans un article avec Mathilde Le Moigne. Ce que l’on appelle le problème de l’offre en France est en fait le résultat des divergences européennes sur le marché du travail après la modération salariale allemande. J’ai proposé au Parlement européen l’introduction d’une discussion européenne de la dynamique des salaires nationaux afin de faire converger les salaires de manière non déflationniste et en évitant un chômage élevé dans le sud de l’Europe. Cette coordination des politiques économiques sur le marché du travail est désignée par l’anglicisme wage stance. Coordination de l’évolution des salaires minimums et des salaires réglementés, indication de l’orientation des évolutions salariales pour les négociations sociales, autant d’outils de coordination des marchés du travail.

Un second outil est bien sûr la constitution d’une assurance chômage européenne, qui est bien moins complexe que l’on pourrait le penser. Cette assurance-chômage européenne a vocation à être complémentaire des assurances chômage nationales et non un substitut. En effet, les systèmes nationaux d’assurance chômage sont hétérogènes car, d’une part les marchés du travail sont distincts, et d’autre part les préférences nationales sont différentes. Les systèmes d’assurance chômage sont le fruit de compromis sociaux historiques pour la plupart.

Comment interpréter cette relative radicalité allemande contre l’Europe actuelle ? Peut-être représente-elle le mécontentement d’économistes perdant de l’influence en Allemagne. Cela peut sembler paradoxal, mais nombre d’économistes et d’observateurs allemands évoluent pour reconnaître la nécessité de construire une Europe différente, non assise sur des règles, mais laissant la place à des choix politiques au sein d’institutions fortes. Des institutions agiles et respectées plutôt que des règles. Cette position est associée à la France dans le débat européen : le choix plutôt que la règle. L’accord de coalition allemand qui a rendu possible un gouvernement SPD/CDU place la question européenne au centre de cet accord mais avec un grand flou sur le contenu. Quelques évolutions permettront de tester la pertinence de cette hypothèse, notamment la question d’un ministre de la zone euro, de la nature des règles de décision au sein de l’institution-clé pour résoudre les crises, le mécanisme européen de stabilité.

Europe : Changer de logiciel/modèle/paradigme/narration

Une seconde conférence plus confidentielle s’est avérée plus passionnante encore. Avec la présence de l’European Climate Foundation sur la question du climat, la présence de l’institution INET sur l’évolution de la pensée économique, de l’OFCE sur les déséquilibres européens ; le but de la conférence étant de réfléchir à un changement de paradigme, ou de narration, pour penser une articulation nouvelle entre politique et économie, État et marché, afin de penser une croissance soutenable, sur le plan climatique mais aussi social. Une narration est une vision du monde véhiculée par un langage simple. Ainsi la narration « néolibérale » se construit-elle sur des mots positifs : « concurrence », « marchés », « liberté », et des mots négatifs : « rentes », « interventionnisme », « égalitarisme », qui ont permis de créer un langage. Donald Trump produit une narration tout aussi efficace : « giving power back to the people », « America first » ; cette narration marque le retour du politique sur le mode d’un nationalisme assumé.

Comment construire une autre narration qui place au centre l’évidence de la lutte contre le réchauffement climatique, l’augmentation des inégalités, l’instabilité financière ? Pendant une journée des économistes renommés en Europe ont parlé de l’intelligence artificielle, du réchauffement climatique, des formes actuelles de politiques économiques et industrielles, de la dynamique du crédit et des bulles financières, etc. Des travaux empiriques à la pointe de la recherche et des réflexions sur la possibilité d’un discours cohérent se sont mélangés dans la promesse d’un discours (narration) alternatif. Ce n’est qu’un début. On perçoit là la possibilité d’un renouvellement de la pensée au-delà des clivages politiques pour parler au fond que de l’essentiel : comment mettre l’économie au service d’un projet politique qui ne vise pas à reconstruire des frontières pour exclure mais à penser notre humanité commune ?

Ces deux conférences montrent la vitalité du débat européen, qui est présenté sous un angle trop technique en France. La raison d’être de l’euro, c’est un projet commun. C’est à ce niveau qu’il faut amener le débat avant les échéances électorales européennes de 2019.

image XR

 

 




Petite reprise après grande crise

par le Département Analyse et prévision

Ce texte résume les perspectives 2016-2017 pour l’économie mondiale et la zone euro. Cliquer ici pour consulter la version complète.

La croissance mondiale traverse à nouveau une zone de turbulences. Si la dynamique de croissance n’est pas remise en cause, elle est néanmoins révisée à la baisse pour 2016 et 2017, où elle devrait atteindre respectivement 2,9 et 3,1 %. Le ralentissement touche en premier lieu les pays émergents avec une baisse de la croissance chinoise qui se confirme et s’accentue (6,1 % anticipé pour 2017 contre plus de 7,6 % en moyenne sur 2012-2014). Le ralentissement de la demande chinoise pèse sur le commerce mondial et contribue à la faiblesse du prix du pétrole, ce qui accroît en retour les difficultés des pays producteurs de pétrole et de matières premières. Enfin, la perspective de normalisation de la politique monétaire américaine se traduit par un reflux des capitaux. Le dollar s’apprécie et les monnaies des pays émergents d’Asie et d’Amérique latine se déprécient. Si les pays industrialisés pâtissent également du ralentissement chinois par un effet de demande adressée, leur croissance reste soutenue grâce à la baisse du prix du pétrole. Le soutien de la politique monétaire s’atténue aux États-Unis mais s’amplifie dans la zone euro, ce qui maintient l’euro à un faible niveau. Quant aux politiques budgétaires, elles ne sont plus systématiquement restrictives. Dans ces conditions, la croissance ralentirait aux États-Unis, passant de 2,4 % en 2015 à 1,9 % puis 1,6 % en 2016-2017. La reprise s’accélérerait légèrement dans la zone euro, portée notamment par le dynamisme de l’Allemagne et de l’Espagne et l’amélioration des perspectives en France et en Italie. Sur l’ensemble de la zone euro, la croissance atteindrait 1,8 % en 2016 et 1,7 % en 2017. Cette dynamique permettra de réduire le taux de chômage ; mais, en fin d’année 2017, il serait néanmoins encore 2 points au-dessus de son niveau d’avant-crise (9,3 % contre 7,3 % en fin d’année 2007). Alors que le risque déflationniste semble écarté pour les États-Unis, il reste prégnant dans la zone euro. L’inflation est proche de zéro et le niveau très bas des anticipations d’inflation à long terme témoigne des difficultés de la BCE à reprendre le contrôle de l’inflation. La persistance du chômage indique que la politique de gestion de la demande en zone euro reste largement déficiente. De fait, elle repose entièrement sur la politique monétaire. Si les actions de la BCE sont une condition nécessaire à l’accélération de la croissance, elles ne sont pas suffisantes et doivent être complétées par des politiques budgétaires plus actives. Au niveau de l’ensemble de la zone euro, la politique budgétaire est en effet globalement neutre (expansionniste en Allemagne ou en Italie en 2016 mais restrictive en France et plus encore en Grèce) alors qu’elle devrait être plus expansionniste pour engager une baisse plus rapide du chômage et permettre d’écarter le risque déflationniste. Par ailleurs, cette situation de croissance modérée se traduit également par l’accumulation d’excédents courants de la zone euro (3,2 % en 2015). De fait, s’il y a bien eu une correction des déséquilibres intra-zone euro, elle s’explique surtout par l’ajustement des pays qui étaient en situation de déficit avant la crise. Dès lors, l’excédent de la balance courante de la zone euro fait peser des risques à terme sur le niveau de l’euro qui pourrait s’apprécier une fois que le stimulus monétaire prendra fin, freinant alors la croissance.

tab_inter_post2604