Mesurer l’épargne de précaution liée au risque de chômage

par Céline Antonin

La question du partage du revenu disponible entre épargne et consommation est l’un des arbitrages qui s’opère à l’échelle des ménages et qui a des implications directes au niveau agrégé. Par exemple, si la propension à épargner est plus forte chez les ménages riches, une politique de relance par la consommation sera plus efficace si elle cible les bas revenus. La question de la progressivité de l’impôt sur le revenu constitue un autre exemple : si le taux d’épargne augmente avec le revenu, accroître la progressivité de l’impôt sur le revenu va avoir un effet plus que proportionnel sur la baisse de l’épargne nationale, avec des conséquences sur l’investissement. D’autres questions comme celle des dispositifs fiscaux visant à favoriser l’épargne (assurance-vie, livret A) ou la question de l’assiette pertinente en matière de fiscalité (travail versus consommation, revenu versus patrimoine) dépendent de cet arbitrage. La mesure de l’épargne de précaution est indispensable, notamment pour comprendre les implications de la hausse du chômage lors d’un choc comme lors de la crise de 2008. Ainsi, si la hausse du chômage touche indifféremment tous les ménages, et si les ménages riches ont un motif de précaution plus fort que les autres, alors la récession sera plus violente.

Historiquement, les modèles de cycle de vie et de revenu permanent, dus à Modigliani et Brumberg (1954) et Friedman (1957) ont fourni l’un des premiers cadres théoriques pour penser les comportements d’épargne. Friedman (1957) introduit la notion de revenu permanent, défini comme le revenu constant au cours du temps qui donne au ménage le même revenu actualisé que ses revenus futurs, et montre que la consommation permanente (et donc l’épargne) est proportionnelle au revenu permanent au cours de la vie. Ainsi, les ménages devraient épargner pendant leur vie active, et désépargner à partir de la retraite. Ces modèles ont été enrichis de la théorie de l’épargne de précaution qui montre que l’épargne joue également un rôle d’assurance contre les aléas affectant le ménage, notamment les aléas portant sur le revenu (chômage, perte de salaire, …). Ainsi, les ménages n’épargnent pas seulement pour compenser la baisse des revenus futurs, mais aussi pour s’assurer contre toutes sortes de risques, notamment le risque lié au revenu. La principale difficulté lorsque l’on cherche à évaluer ce comportement de précaution est de trouver une mesure correcte du risque lié au revenu. L’approche la plus convaincante est celle qui consiste à utiliser les données subjectives recueillies par enquête auprès du ménage, sur l’évolution du revenu ou de la probabilité de chômage (Guiso et al., 1992 ; Lusardi, 1997 ; Lusardi, 1998 ; Arrondel, 2002 ; Carroll et al., 2003 ; Arrondel et Calvo-Pardo, 2008). Cette approche permet de quantifier la part de l’accumulation de richesse liée au motif de précaution.

Quelle est l’ampleur du motif de précaution ? Observe-t-on un comportement de précaution chez tous les ménages ou est-il fonction de leur revenu ? Le document de travail intitulé Les liens entre taux d’épargne, revenu et incertitude. Une illustration sur données françaises cherche d’abord à tester empiriquement l’homogénéité des taux d’épargne en fonction du niveau de revenu. Il s’intéresse également à l’existence d’un comportement d’épargne de précaution lié au revenu et tente de le quantifier, à partir de l’enquête française de l’INSEE Budget de famille de 2010-2011. Le motif de précaution est appréhendé à travers la mesure subjective de la probabilité de chômage, anticipée par les membres du ménage pour les cinq années futures.

Le motif de précaution existe chez tous les ménages français : le surplus d’épargne lié au risque de chômage se situe autour de 6-7 %, et la part du patrimoine de précaution attribuable au risque de chômage se situe autour de 7% de la richesse globale. Le motif de précaution est différencié selon le niveau de revenu : ce sont les ménages aux revenus moyens qui accumulent le plus d’épargne de précaution. Cette épargne représenterait 11-12 % du patrimoine total des ménages des deuxième, troisième et quatrième quintiles de revenu, contre environ 5% pour les ménages des quintiles extrêmes de revenu.




France : des marges de croissance

par le Département Analyse et prévision

Ce texte résume les perspectives 2016-2017 pour l’économie française. Cliquer ici pour consulter la version complète.

Après plusieurs années de croissance atone (0,4 % en moyenne sur la période 2012-2014), un mouvement de reprise de l’activité semble enfin émerger en France. Avec 1,2 % en 2015 (1,4 % en glissement annuel à la fin de l’année), la croissance française est restée modeste et inférieure à la moyenne de la croissance européenne. L’année 2015 a été encore marquée par un certain nombre de points noirs, particulièrement concentrés autour du secteur de la construction et de l’investissement des administrations publiques (amputant le PIB de -0,3 point en 2015 après -0,5 point en 2014). Néanmoins, des signaux positifs sont apparus qui sont de bon augure.

Premièrement, en 2015, l’économie française a renoué avec les créations d’emplois dans le secteur privé (122 000 sur l’ensemble de l’année). Deuxièmement, l’investissement des entreprises, tiré par les secteurs des biens d’équipements et de l’information-communication, s’est amélioré (+3,2 % en glissement annuel). À cela s’ajoute un certain nombre d’éléments favorables à la compétitivité : le taux de marge des entreprises a fortement augmenté, particulièrement dans les branches industrielles et les secteurs exportateurs, les parts de marché à l’exportation se sont améliorées et la balance courante, déficitaire depuis une dizaine d’années, est quasiment revenue à l’équilibre. Troisièmement, bien que son impact sur la consommation des ménages ait été limité (+0,9 % en glissement annuel), le pouvoir d’achat des ménages s’est redressé (+2 %). Cela s’est traduit par une forte remontée du taux d’épargne en 2015 (près d’1 point), laissant présager des capacités de consommation futures pour 2016. Enfin, le déficit public, à 3,5 % du PIB en 2015, a été inférieur à la cible du gouvernement et aux attentes de la Commission européenne.

L’année 2015 a été marquée par un redressement de la situation financière des agents privés et une amélioration des comptes publics. Les ménages, les entreprises et les administrations publiques abordent ainsi l’année 2016 avec de nouvelles marges de manoeuvre. Dans un contexte où l’environnement macroéconomique extérieur reste relativement porteur (prix du pétrole bas, euro compétitif et taux d’intérêts historiquement faibles), et ce malgré le ralentissement des pays émergents, Chine en tête, ou le risque de Brexit, l’économie française aborde l’année 2016 dans des conditions meilleures que par le passé. Avec une sortie progressive de la politique d’austérité, ces nouvelles capacités financières pourront soutenir la consommation, l’investissement et l’emploi. De plus, le redressement des résultats des enquêtes dans la construction laisse présager une amélioration du secteur pour l’année en cours. Ainsi, la croissance française devrait s’établir à 1,6 % en 2016 (+1,9% en glissement annuel), avec un 1er semestre 2016 relativement dynamique (+1 % sur le semestre) (tableau 3), soutenu par un rebond marqué de la consommation après une faiblesse temporaire au 4e trimestre 2015, due en partie à la douceur climatique et aux effets des attentats. À partir du troisième trimestre 2016, la croissance évoluerait sur un rythme de 0,4 % par trimestre. Au cours de l’année 2016, le nombre total d’emplois créés serait de l’ordre de 230 000 et le taux de chômage reviendrait à 9,5 % en fin d’année, soit une baisse de 0,5 point, dont 0,15 dû à la mise en place du plan de 500 000 formations. L’investissement des entreprises, soutenu par la hausse des taux de marge, la faiblesse du coût du capital et l’amélioration des perspectives d’activité, continuerait à se redresser mais à un rythme modéré (3 %) en raison des taux d’utilisation toujours inférieurs à leur moyenne historique. Le déficit public s’améliorerait de 0,4 point de PIB en 2016 (pour atteindre 3,1 % du PIB), pour moitié grâce à l’effort budgétaire structurel et pour moitié grâce à l’amélioration de la situation conjoncturelle.

En 2017, avec un taux de croissance de 1,6 %, l’économie française continuerait à croître à un rythme légèrement supérieur à son potentiel (1,3 %). Elle créerait 165 000 emplois, ce qui, en raison du rebond de la population active avec le retour progressif sur le marché du travail des personnes ayant bénéficié du plan formation, permettrait tout juste de stabiliser le taux de chômage à 9,5 % en 2017. Enfin, le déficit public atteindrait 2,7 % du PIB en 2017, repassant sous la barre des 3 % pour la première fois depuis dix ans.

Si l’on reste encore loin d’une croissance vigoureuse et du niveau de chômage d’avant-crise, la France semble cependant entamer sa lente convalescence, notamment par le redressement du pouvoir d’achat des ménages, la baisse du chômage, l’amélioration de la compétitivité des entreprises et la réduction du déficit public.

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France : retour sur désinvestissement. Prévisions 2015-2017 pour l’économie française

par  Mathieu Plane, Bruno Ducoudré, Pierre Madec, Hervé Péléraux et Raul Sampognaro

Ce texte résume les perspectives économiques 2015-2017 de l’OFCE pour l’économie française

 

Après un mouvement de reprise hésitant au premier semestre 2015 (avec des taux de croissance respectivement de 0,7 % et 0 % au premier et au deuxième trimestre), l’économie française enregistrerait une faible croissance au second semestre, affichant au final une hausse du PIB de 1,1 % en moyenne sur l’ensemble de l’année. Avec un taux de croissance du PIB de +0,3 % au troisième trimestre et de +0,4 % au quatrième trimestre 2015, rythmes équivalents à ceux de la croissance potentielle, le taux de chômage se stabiliserait à 10 % jusqu’à la fin de l’année. La consommation des ménages (+1,7 % en 2015), favorisée par le redressement du pouvoir d’achat lié en particulier à la baisse du prix du pétrole, soutiendrait la croissance en 2015 mais l’investissement des ménages (-3,6 %) et celui des administrations publiques (-2,6 %) continueraient de freiner l’activité. Dans un contexte de croissance molle et de consolidation budgétaire modérée, le déficit public continuerait sa lente décrue, pour atteindre 3,7 % du PIB en 2015.

Avec une croissance du PIB de 1,8 %, l’année 2016 serait celle de la reprise, marquée par la hausse du taux d’investissement des entreprises. En effet, tous les facteurs d’une reprise de l’investissement sont réunis : d’abord le redressement spectaculaire du taux de marge depuis la mi-2014 grâce à la baisse des coûts d’approvisionnement en énergie et à la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité ; ensuite le niveau historiquement bas du coût du capital, favorisé par la politique monétaire non conventionnelle de la BCE ; enfin l’amélioration des perspectives d’activité. Ces facteurs permettraient une accélération de l’investissement des entreprises en 2016, qui  augmenterait de 4 % en moyenne sur l’ensemble de l’année. La consommation des ménages resterait soutenue en 2016 (+1,6 %), tirée par les créations d’emplois dans le secteur marchand et par une légère baisse du taux d’épargne. Alimenté par la remontée des mises en chantier et des permis de construire, l’investissement en logement repartirait (+3 %), après quatre années successives de contraction. Sous l’effet de la dépréciation passée de l’euro et des politiques de compétitivité poursuivies par le gouvernement, le commerce extérieur contribuerait positivement à la croissance (+0,2 point de PIB en 2016, soit une contribution identique à celle de 2015). Une fois les effets du contrechoc pétrolier épuisés, l’inflation reviendrait à un rythme positif mais toujours faible en 2016 (+1 % en moyenne annuelle après deux année de quasi-stagnation), soit un rythme proche de l’inflation sous-jacente. Le rythme de croissance trimestriel du PIB en 2016 serait compris entre 0,5 et 0,6 %, déclenchant la fermeture progressive de l’écart de production et la lente baisse du taux de chômage qui finirait l’année à 9,8 %. Le déficit public se réduirait de 0,5 point de PIB, sous l’effet des économies réalisées sur la dépense publique, au travers notamment de la contraction de l’investissement public (-2,6 %), de la faible croissance de la consommation des administrations publiques (+0,9 %), et sous l’effet de la remontée des recettes fiscales avec la reprise de l’activité.

Sous l’hypothèse d’un environnement macroéconomique durablement favorable, la fermeture de l’écart de production devrait se poursuivre en 2017. Avec une croissance du PIB de 2 %, le déficit public atteindrait 2,7 % du PIB et repasserait sous la barre des 3 % pour la première fois depuis 10 ans. Grâce aux politiques de l’emploi et la résorption des sureffectifs effectuée dans les entreprises, le taux de chômage continuerait à baisser pour atteindre 9,4 % de la population active à la fin de l’année 2017.




France : la reprise, enfin !

par Mathieu Plane, Bruno Ducoudré, Pierre Madec, Hervé Péléraux et Raul Sampognaro

Les perspectives 2015-2016 pour l’économie française de l’OFCE sont disponibles.

Jamais depuis le début de la crise des subprime l’économie française n’avait connu un contexte aussi favorable à l’enclenchement d’une reprise. La chute des prix du pétrole, la politique volontariste et innovante de la BCE, le ralentissement de la consolidation budgétaire en France et dans la zone euro, la montée en charge du CICE et la mise en place du Pacte de responsabilité (représentant un transfert fiscal vers les entreprises de 23 milliards d’euros en 2015 et près de 33 en 2016) sont autant d’éléments permettant de l’affirmer. Les principaux freins qui ont pesé sur l’activité française ces quatre dernières années (austérité budgétaire sur-calibrée, euro fort, conditions financières tendues, prix du pétrole élevé) devraient être levés en 2015 et 2016, libérant ainsi une croissance jusque-là étouffée. La politique de l’offre impulsée par le gouvernement, dont les résultats se font attendre sur l’activité, gagnerait en efficacité grâce au choc de demande positif provenant de l’extérieur, permettant un rééquilibrage économique qui faisait défaut jusqu’à présent.

L’année 2015 connaîtrait une hausse du PIB de 1,4 % avec une accélération du rythme de croissance au cours de l’année (2 % en glissement annuel). Le second semestre 2015 marquerait le tournant de la reprise avec la hausse du taux d’investissement des entreprises et le début de la décrue du taux de chômage qui finirait l’année à 9,8 % (après 10 % fin 2014). 2016 serait quant à elle l’année de la reprise avec une croissance du PIB de 2,1 %, une hausse de l’investissement productif de 4 % et la création près de 200 000 emplois marchands permettant au taux de chômage d’atteindre 9,5 % à la fin 2016. Dans ce contexte porteur, le déficit public baisserait significativement et s’établirait à 3,1 % du PIB en 2016 (après 3,7 % en 2015).

Evidemment, le déroulement de ce cercle vertueux ne sera rendu possible que si l’environnement macroéconomique reste porteur (pétrole bas, euro compétitif, pas de nouvelles tensions financières dans la zone euro, …) et si le gouvernement se limite aux économies budgétaires annoncées.




L’« effet ricardien » : à prendre avec précaution !

par David Ben Dahan et Eric Heyer

La dégradation des finances publiques influence-t-elle le comportement de consommation des ménages ? Une étude récente de l’Insee tente d’y répondre en estimant économétriquement les déterminants du taux d’épargne sur des données annuelles allant de 1971 à 2011. Les résultats mènent les auteurs de cette étude à attribuer les variations récentes du taux de consommation des ménages français à la politique budgétaire et à l’état des finances publiques. Ainsi leur modèle conclut-il à l’existence significative d’un « effet ricardien » : constatant la dégradation des finances publiques au cours de la crise, les ménages auraient anticipé une hausse future des impôts, les conduisant à épargner davantage au cours de la période récente. Notons que cet effet n’est que temporaire : les résultats économétriques de l’Insee indiquent que ce dernier aurait pesé sur la consommation des ménages à court terme mais s’estomperait rapidement et disparaîtrait à long terme. Les ménages seraient donc « ricardiens » … mais à court terme uniquement !

Cet oxymore peut être dû au fait que, sur la période étudiée par l’Insee, les déterminants standards de la consommation que sont l’inflation, les taux d’intérêt et le taux de chômage n’ont pas d’effet. Ainsi donc, pour l’Insee, les ménages français formeraient des anticipations rationnelles de court terme, mais ne constitueraient pas d’« épargne de précaution » contre les risques liés à la dégradation du marché du travail. Or, en période de récession, la dégradation des finances publiques allant de pair avec une hausse conséquente du chômage, l’ « effet ricardien » et l’ « épargne de précaution » entrent en concurrence, rendant leur distinction délicate (graphique 1).

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Il est à noter à cet égard que la stabilité des paramètres estimés par l’Insee n’est pas assurée sur la période 1970-2011 : la non-significativité du taux de chômage est levée lorsque l’on débute la période d’estimation plus tard, à compter de 1975, et cette variable devient fortement significative à partir de 1978. C’est la raison pour laquelle nous avons reproduit l’analyse de l’Insee en débutant l’estimation en 1978. Les résultats issus de la modélisation du taux de consommation des ménages par un modèle à correction d’erreurs (MCE), selon trois spécifications différentes synthétisées dans le tableau 1, peuvent être résumés de la manière suivante :

  1. A l’instar des résultats de l’Insee, aucun « effet ricardien » ne ressort significativement à long terme sur la période 1978-2011. A court terme, cet effet sort très légèrement significatif (à 10 % dans l’équation 1) ;
  2. Lorsque l’on intègre dans l’analyse le taux de chômage, ce dernier sort significativement à court et long terme (équations 2 et 3) ;
  3. Lorsqu’ils sont mis en parallèle avec l’épargne de précaution, l’ « effet ricardien » perd son pouvoir explicatif de court terme (équation 2).

 

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Nos estimations montrent que l’augmentation des déficits n’entraîne pas de baisse de la consommation et que la hausse du taux d’épargne observée entre 2008 et 2011 s’expliquerait par une « épargne de précaution » due à la forte dégradation du marché du travail.

Ce résultat conforte par ailleurs l’analyse menée dans d’autres travaux de l’OFCE sur l’importance des multiplicateurs budgétaires.




Une compétitivité durable grâce à la fiscalité écologique

par  Jacques Le Cacheux

« Choc » ou « Pacte » ? Le débat sur la perte de compétitivité française s’est récemment focalisé sur le rythme de mise en œuvre d’un basculement de cotisations sociales patronales vers un autre financement, laissant entendre que le principe en était acquis. Face à la situation dégradée de l’emploi et du solde commercial de la France, alors que les éléments étayant la thèse d’une perte de compétitivité des entreprises françaises par rapport à celles de la plupart de nos partenaires s’accumulent[1], et que le taux de marge des entreprises affiche une faiblesse alarmante pour l’avenir, la nécessité d’une baisse du coût du travail semble s’imposer. Mais le rythme et les modalités font débat. Faut-il augmenter la CSG, la TVA, ou un autre prélèvement, au risque d’amputer le pouvoir d’achat des ménages dans un contexte conjoncturel déjà plus que morose ?

La conjoncture doit être gérée au niveau de la zone euro

L’opportunité du basculement d’une partie des cotisations patronales – le chiffre de 30 milliards est souvent évoqué – sur un autre prélèvement est souvent contestée au nom des risques qu’une telle stratégie ferait peser sur une croissance déjà atone : affaiblir la consommation réduirait encore davantage les débouchés des entreprises, pesant ainsi sur l’activité donc sur l’emploi et sur les marges.

Mais la France n’est dans cette situation déprimée que parce que l’Union européenne s’est engagée dans un ajustement budgétaire à marche forcée dont tout le monde – ou presque … – reconnaît aujourd’hui qu’il est contreproductif et voué à l’échec : comme l’illustre de manière navrante la situation espagnole, la quête d’une réduction du déficit budgétaire lorsque l’économie est en récession est vaine, et les efforts « vertueux » – coupes claires répétées dans les dépenses publiques et augmentations d’impôts – ne font qu’affaiblir un peu plus l’économie et aggraver le chômage, car les multiplicateurs budgétaires sont alors très élevés, comme l’avait montré Keynes, voilà plus de 70 ans !

Le soutien budgétaire à l’activité est la seule voie de sortie. Mais l’expérience des premières années du premier gouvernement socialiste reste dans toutes les mémoires : l’échec fut à la hauteur des illusions et le « tournant de la rigueur » rendit le gouvernement impopulaire. Ce qui ne pouvait fonctionner dans le contexte des premières années 1980, avec une économie moins ouverte, une politique monétaire autonome et une parité externe de la monnaie alors ajustable, le pourrait encore moins dans le contexte d’intégration plus poussée et de monnaie unique. Tenter de maintenir le pouvoir d’achat des ménages français, alors que le reste de la zone euro est en récession et que les entreprises françaises ont perdu de la compétitivité ne pourrait que creuser davantage le déficit extérieur, sans soutenir la croissance ni l’emploi.

Il faut donc poursuivre le combat européen pour obtenir que l’on ralentisse partout le rythme de réduction des déficits publics ; mettre en œuvre, dans la zone euro, une politique monétaire plus accommodante, qui aurait le double avantage de réduire les coûts des dettes, publiques et privées, les rendant ainsi plus soutenables, et d’exercer une pression à la baisse sur le taux de change de l’euro, favorisant la compétitivité externe à un moment où les banques centrales américaine et japonaise cherchent à faire baisser la valeur de leur monnaie, ce qui, mécaniquement, poussera l’euro vers le haut ; et s’engager conjointement dans une politique européenne coordonnée de soutien à la croissance, combinant financement de la recherche, investissements dans les réseaux transeuropéens de transport et d’électricité, et investissement dans l’éducation et la formation.

L’offre productive nationale doit être soutenue et stimulée

Le défaut de compétitivité de l’industrie française n’est pas réductible à un problème de coût de travail. Et l’on sait bien qu’une surenchère de modération salariale et de moins-disant social, dont on voit déjà aujourd’hui les ravages en Europe, ne peut qu’entraîner la zone euro dans une spirale déflationniste, comparable à celle que ces mêmes pays avaient vainement enclenchée dans les années 1930 pour tenter de sortir, chacun pour soi, de la Grande dépression.

La baisse des dépenses sociales ne peut donc pas être une réponse, alors que les besoins augmentent de toute part en raison de la montée du chômage et de la précarité de la situation d’un nombre croissant de ménages, salariés et retraités. Baisser les salaires, comme le font certains pays (Grèce et Irlande, notamment), soit directement, soit par le biais d’une augmentation du temps de travail sans accroître la rémunération, n’est pas non plus une solution, car cette déflation salariale déprimerait un peu plus la demande et nourrirait un nouveau cycle de moins-disant salarial en Europe.

Améliorer la compétitivité-coût en allégeant les charges sur les salaires peut faire partie de la solution. Mais cette option n’enverra pas forcément aux entreprises les bons signaux et n’entraînera pas nécessairement une baisse de leurs prix de vente ou une augmentation des embauches : des gains d’aubaine sont inévitables, et la plus grande aisance financière est susceptible de profiter aux actionnaires autant qu’aux clients ou aux salariés. Les allègements de cotisations sociales peuvent être ciblés, sur certains niveaux de rémunération, mais ils ne peuvent pas être sectoriels, ni conditionnels, au risque de violer les règles européennes de la concurrence.

Il convient également d’inciter et d’aider les entreprises françaises à moderniser leurs capacités d’offre. La nouvelle Banque publique d’investissement peut y contribuer, en finançant des projets prometteurs. Mais on peut également jouer sur la fiscalité des bénéfices des sociétés, notamment en recourant aux incitations à l’investissement et à la recherche que permettent les crédits d’impôt et règles d’amortissement : c’est un moyen de jouer plus directement sur les incitations des entreprises et de conditionner les soutiens publics à des comportements susceptibles d’améliorer leur compétitivité.

La fiscalité écologique, levier de compétitivité soutenable

Sur quels prélèvements basculer le coût de ces allègements au profit des entreprises ? Les discussions sur les mérites et inconvénients respectifs de la TVA et de la CSG abondent. Contentons-nous de rappeler ici que la TVA a été créée pour anticiper la baisse des protections tarifaires, à laquelle elle se substitue très efficacement sans discriminer sur le marché national entre produits nationaux et importations, mais en exonérant les exportations : une hausse de TVA ne diffère donc guère d’une dévaluation, avec des avantages et des inconvénients très similaires, notamment en ce qui concerne le caractère non coopératif au sein de la zone euro. Mais rappelons aussi (voir notre post de juillet 2012) que la consommation est aujourd’hui relativement moins taxée en France qu’il y a quelques années, et moins que chez nombre de nos partenaires européens.

Recourir à une véritable fiscalité écologique aurait, au regard des autres options de financement des allègements, le grand avantage de favoriser les secteurs les moins polluants et les moins dépendants des énergies fossiles – amoindrissant du même coup nos problèmes de soldes extérieurs, pour partie imputables à nos importations d’énergie – et de mettre en place les bonnes incitations de prix et de coûts, tant pour les entreprises que pour les consommateurs. En particulier, engager sérieusement la transition énergétique suppose que l’on institue une fiscalité carbone ambitieuse, mieux conçue que celle qui, en 2009, a fait l’objet d’une censure du Conseil constitutionnel. Sa création, et son entrée en vigueur progressive, doivent être accompagnées d’une réforme des prélèvements directs sur les revenus des ménages et des principales allocations sous conditions de ressources, pour éviter les « usines à gaz » de compensation (cf. l’article dans l’ouvrage « Réforme fiscale », avril 2012).

Un « choc de compétitivité » donc, mais surtout un « pacte de compétitivité soutenable », qui incite les entreprises française à s’engager sur les bons sentiers, ceux des choix d’avenir.


[1] Voir notamment le post du 20 juillet 2012.




L’insolente santé des industries du luxe : un faux paradoxe

par Jean-Luc Gaffard

Les industries du luxe échappent à une crise qui semble s’étendre, suscitant une interrogation des medias qui y voient un paradoxe. Pourtant, voilà un constat qui corrobore le diagnostic qui désigne le creusement des inégalités comme le véritable ferment de la crise.

LVMH, numéro un mondial du secteur du luxe, a vu ses ventes bondir de 26 % au premier semestre 2012. Richemont, numéro deux mondial et propriétaire des marques Cartier, Montblanc, Van Cleef & Arpels ou Jaeger-LeCoultre, devrait avoir un résultat opérationnel en hausse de 20 % au cours du deuxième semestre clôt le 30 septembre. L’italien Prada a annoncé une progression de son chiffre d’affaires de 36,5 % au premier semestre 2012 (37,3 % en Europe). Le pôle luxe de PPR, l’autre français du secteur, a vu ses ventes augmenter de 30,7 % au premier semestre.

Ces résultats contrastent évidemment avec ceux enregistrés dans les autres industries. Ils sont le fruit d’une hausse des prix qu’il faut bien qualifier de faramineuse. L’indice des prix des biens de luxe calculé depuis 1976 (le « Forbes Cost of Living Extremely Well » a grimpé de 800 % en 35 ans contre 300 % pour l’indice des prix des biens de consommation.

Le journal Le Monde, dans un article consacré au sujet (« Plus le produit est coûteux, plus il est désirable », édition du 8 août 2012) rapporte que le prix d’un imperméable gabardine Burberry a été multiplié par 5,6 ou encore que le prix d’une montre Rolex Yach-Master est passé de 5 488 à 39 100 euros. Cette hausse des prix pratiqués indique simplement la très forte et croissante disponibilité à payer des plus riches pour qui le prix n’est autre qu’un critère de différenciation et de désirabilité.

Il n’est pas étonnant dans ces circonstances d’observer le succès en Bourse de ces entreprises de l’industrie du luxe. Il n’est pas davantage étonnant d’observer, toujours en Bourse, le succès de ces entreprises, situées à l’autre bout du spectre, qui fabriquent des produits de bas de gamme, bon marché. Cet effet, qualifié d’effet sablier, sert de révélateur quant à la réalité de la crise, manifestement ancrée dans le creusement des inégalités de revenus et de patrimoine.

Certes, il faut se réjouir de la santé des industries du luxe qui sont créatrices d’emplois dans un moment de hausse du taux de chômage. Mais s’arrêter à ce constat sectoriel risque fort de nous faire passer à côté de l’essentiel. D’abord, il faut bien reconnaître que les industries en question réagissent à la hausse de la demande bien davantage en augmentant les prix que les quantités produites pour la raison simple que le nombre de riches, même s’il augmente significativement avec l’arrivée des nouveaux fortunés de Chine ou d’ailleurs, reste limité. Nous restons bien loin de ce mécanisme fondamental de la croissance, quand la hausse des gains de productivité fait baisser les prix et déclenche des effets de revenu propres à stimuler la demande sur une échelle toujours plus grande. Il faut aussi reconnaître le revers de la médaille du creusement bien réel des inégalités, en l’occurrence la chute du revenu médian, l’affaiblissement corrélatif d’une classe moyenne nombreuse dont la demande pour des produits ou des services de moyenne gamme était le support de la croissance.

Sans doute faut-il évoquer l’évolution de l’industrie du luxe qui s’est essayée avec succès à la production de marques qui sont les versions à moindre prix de biens traditionnellement réservés aux riches. Il est possible, comme en attestent certaines études, que la diversification de l’industrie du luxe s’accompagne d’une évolution sociologique impliquant pour les ménages de la classe moyenne une préférence accrue pour ce type de biens (voir J. Hoffmann et I. Coste-Manière 2012, Luxury Strategy in Action, Palgrave Macmillan). Cette évolution est pérenne si l’on se souvient que les préférences ne sont pas homothétiques, autrement dit que la baisse des revenus n’induit pas de revenir à la carte des préférences telle qu’elle existait auparavant (avant que le revenu n’ait augmenté). Les ménages tentent bien de maintenir un certain type de consommations auquel ils s’étaient habitués, éventuellement au prix d’un endettement accru, si d’aventure celui-ci est permis par le système financier. Toutefois, le segment d’activité ainsi préservé pourrait s’avérer fragile et les performances de l’industrie du luxe pourraient continuer d’être tirées par la consommation ostentatoire des vrais objets de luxe. Il n’est pas étonnant, alors, d’observer qu’avec la persistance de la crise et de son impact sur la consommation des ménages de la classe moyenne, une entreprise comme PPR envisage de se séparer de certaines enseignes, en l’occurrence la FNAC, pour se concentrer sur le luxe.

La santé insolente des industries de luxe n’a rien de paradoxal. Elle va de pair avec les difficultés croissantes des industries et des entreprises dont les produits et services sont destinés aux bénéficiaires de revenus moyens. La divergence sans cesse accentuée des performances entre industries et entreprises suivant leur positionnement de gamme n’est rien d’autre que le signe d’une aggravation de la crise.

 




Fin de la prime à la casse : les effets négatifs sont à venir

par Hervé Péléraux et Mathieu Plane

Dans une note parue au début de l’été 2011, nous expliquions pourquoi le contrecoup de la fin de la prime à la casse interviendrait au deuxième trimestre 2011. Nous estimions à -0,4 % sa contribution au PIB français durant ce trimestre. L’épisode de la prime “Fillon” ne se démarque guère des expériences passées : en créant des effets d’aubaine temporaires, les primes provoquent des coups d’accordéon dans un volume de marché stationnaire sur longue période.

Un secteur automobile sinistré

Le secteur automobile a traversé une crise sans précédent lors de la récession de 2008/09. La production de la branche « matériels de transport » a reculé de plus de 20 % entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2009. A titre de comparaison, au cours de la crise de la  première moitié des années 1990, la production avait reculé de 17 % entre le premier trimestre 1990 et le quatrième trimestre 1993, soit moins en quatre années à l’époque qu’en un an en 2008/09.

La baisse de la production n’a été que la réponse des constructeurs à l’effondrement des marchés intérieurs et extérieurs. Au plus fort de la récession, la consommation de matériels de transport par les ménages a reculé de 11 % sur un an en 2008, les achats des entreprises de 28,5 % et les exportations de 27 %, soit au total une contraction des débouchés du secteur de 18,5 % (contre 14 % en quatre ans lors de la crise de la première moitié des années 1990). C’est dire l’ampleur du choc auquel a été confronté le secteur automobile.

La crise financière, qui a démarré à l’été 2007, s’est dangereusement aggravée avant la mise en place, dans le dernier trimestre de 2008, de plans de sauvetage visant à soutenir les établissements de crédit en difficulté et à restaurer la confiance au sein du système financier. Cette crise a paralysé l’activité de crédit des banques aux entreprises et aux particuliers. L’investissement productif, mais aussi les segments de la consommation des ménages qui dépendent du crédit, comme les achats d’automobiles majoritairement financés par emprunt, ont été les vecteurs de transmission de la crise de la sphère financière vers la sphère réelle.

Des mesures de soutien efficaces…

Pour tenter de relancer l’activité du marché, le gouvernement a institué en décembre 2008 un système de « primes à la casse » visant à stimuler les achats d’automobiles et calqué sur celui déjà mis en place dans le passé (primes Balladur en 1994, Juppé en 1996 ((Ce système avait déjà été expérimenté lors du creux conjoncturel des années 90. Pour soutenir la consommation, le gouvernement Balladur avait mis en place entre février 1994 et juin 1995 une subvention de 762 euros (5000 francs) pour la mise au rebut de véhicules vieillissants contre l’achat d’un véhicule neuf. Ce dispositif a été institué à nouveau peu de temps après entre octobre 1995 et octobre 1996, avec les primes Juppé comprises entre 5000 francs (762 euros) et 7000 francs (1067 euros) selon la catégorie du véhicule. )). Ce système consistait à offrir une prime, 1000 euros jusqu’au 31 décembre 2009 (prime « Fillon 1 ») ramenée à 700 euros jusqu’au 1er juillet 2010 (prime « Fillon 2 ») et enfin à 500 euros jusqu’au 31 décembre 2010 (prime « Fillon 3 »), pour l’achat d’une automobile neuve en remplacement d’un véhicule de plus de 10 ans. Ce mécanisme vise à inciter les ménages concernés à anticiper le renouvellement de leur véhicule. Il a pour effet de concentrer, sur un intervalle de temps limité à sa durée d’application, des achats qui autrement auraient été étalés dans le temps. La vague de ventes qui en résulte pour les constructeurs permet ainsi de soutenir ponctuellement le secteur automobile quand il traverse des difficultés temporaires. Une partie des ventes supplémentaires suscite un courant d’importations de voitures qui profite bien sûr aux constructeurs étrangers et pas aux constructeurs nationaux, mais la plupart des partenaires commerciaux de la France ont aussi mis en place simultanément de tels dispositifs qui ont en retour bénéficié aux exportations françaises d’automobiles.

L’effet de la mesure s’est développé tout au long de 2009 (graphique 1), avec, comme en 1994 et 1996, une montée en charge progressive qui a culminé à la veille de la diminution du bonus de 1000 à 700 euros au 1er janvier 2010. Beaucoup d’acheteurs, c’est en tout cas ce que l’expérience suggère, ont en effet tendance à « attendre la dernière minute » pour profiter de l’avantage. Il en a résulté une poussée des immatriculations en fin d’année 2009, qui s’est d’ailleurs reproduite à l’identique en fin d’année 2010 avant la disparition complète de l’avantage au 1er janvier 2011 ((Le passage de la prime de 700 à 500 euros au 1er juillet 2010 n’a par contre pas provoqué la même ruée en juin, probablement parce que le marché « digérait » encore la poussée des achats de 2009. )).

Le secteur automobile a rapidement profité de ce dispositif de soutien, avec une reprise de la production de la branche « matériels de transport » de 15 % en quatre trimestres depuis le point bas du premier trimestre 2009, une hausse de la consommation des ménages en matériels de transport de 13 % et, grâce au même type de mesure mis en place chez les partenaires, un regain d’exportations de 22 %. Même si les niveaux d’avant-crise ne sont pas dépassés, – et le retour à la croissance ne doit pas faire oublier que sur trois ans l’activité du secteur est encore en recul au début 2011 – au moins la spirale baissière a-t-elle été enrayée.

1. Immatriculation de véhicules de tourisme neufs

 

En milliers, cvs

Source : INSEE.

… qui n’ont qu’un caractère temporaire

La contrepartie de ces vagues d’achat a été un reflux massif du marché une fois minoré, ou éteint, le dispositif. Les primes ne permettent pas, et c’est ce que montre aussi l’expérience passée, d’accroître durablement les ventes. Le passage en creux des immatriculations sous la moyenne de longue période après les primes « Balladur » et « Juppé » en témoigne. Les primes créent un effet d’aubaine temporaire qui pousse les ménages concernés à anticiper le renouvellement de leur véhicule. Mais il ne s’agit bien ici que d’accélérer la prise de décision d’un renouvellement. L’épuisement du stock de véhicules pouvant prétendre au bénéfice de la mesure, ou l’arrivée à échéance du dispositif, provoque par la suite un contrecoup à la baisse à la mesure de l’engouement précédent. Par exemple, durant l’intervalle de trois mois qui a séparé les primes « Balladur » des primes « Juppé », les immatriculations mensuelles moyennes ont reculé de 13 % par rapport à la moyenne mensuelle observée pendant la période d’application du dispositif. De même, dans les trois mois qui ont suivi la fin de la prime « Juppé », la moyenne mensuelle des immatriculations a chuté de 24 % par rapport à la moyenne de la période pendant laquelle la mesure a été effective.

L’année 2010 ne se démarque pas des expériences passées en montrant que les primes provoquent des coups d’accordéon dans un volume de marché stationnaire sur longue période. Simplement le recul des immatriculations en 2010, à la suite du passage de la prime « Fillon 1 » à la prime « Fillon 2 » pendant les six premiers mois de l’année, a-t-il été moins prononcé que dans les années 90 du fait du maintien d’un bonus.

La disparition complète de l’avantage, laissait attendre, après une dernière ruée chez les concessionnaires à la fin de 2010, un repli massif des ventes au premier trimestre. De fait, après s’être accrues de respectivement 18 et 11 % en novembre et en décembre 2010, les immatriculations se sont repliées de 13,7 % en janvier. Mais elles ont rebondi en février, 8,5 %, avant de rendre le terrain regagné en mars, -8,9 %. Au total, la moyenne des immatriculations sur les trois mois qui ont suivi la date de fin de la prime « Fillon 3» est supérieure de 6,6 % à la moyenne qui prévalait pendant la période d’application des dispositifs « Fillon » (2009 et 2010), ce qui n’avait été le cas ni dans l’intervalle entre les dispositifs « Balladur » et « Juppé », ni à la fin des primes « Juppé », ni même à la fin de la prime « Fillon 1» en janvier 2010.

Un reflux différé… mais qui se dessine

Contrairement à ce que l’expérience pouvait laisser augurer, l’ajustement attendu semble donc cette fois avoir tardé. Selon les comptes nationaux, la croissance de la consommation des ménages en matériel de transport s’est maintenue au 1er trimestre (+2,3 %), alors qu’elle avait chuté de 6 % au 1er trimestre 2010 à la fin du dispositif « Fillon 1 », de 16 % à la fin de la prime Balladur au troisième trimestre 1995, et de 18 % au quatrième trimestre 1996 à la fin des primes « Juppé » (tableau 1). Il semble donc bien y avoir une spécificité dans le cas présent, qui peut tenir à deux raisons majeures. D’abord le délai entre la prise de commande et l’immatriculation ou la livraison du véhicule introduit un retard dans la comptabilisation de l’achat effectif. Si davantage de commandes supplémentaires que dans les exemples antérieurs ont été passées dans les tous derniers jours d’existence de la mesure, davantage d’immatriculations et de livraisons qu’à l’accoutumé ont été reportées au premier trimestre, ce qui a maintenu la croissance de la consommation d’automobiles. Ensuite, il semble que les constructeurs se soient dans une certaine mesure substitués aux pouvoirs publics pour prolonger les bonus afin d’éviter un choc négatif trop violent.

Mais cette stratégie à finalité commerciale n’aurait, quoi qu’il en soit, qu’un caractère temporaire. De même, le stock de commandes hérité de la fin du dispositif « Fillon », probablement épuisé à l’heure actuelle, ne pourra plus s’opposer au reflux des ventes effectives. Tout laisse à penser donc que le contrecoup de la fin de la prime à la casse interviendra au deuxième trimestre 2011. Premièrement les chiffres du mois d’avril 2011 montrent une chute brutale de la consommation en automobiles, celle-ci reculant de plus de 10 % en l’espace d’un mois et renouant avec les niveaux de juin 2010 ou de décembre 2008. Deuxièmement, les immatriculations de véhicules neufs, qui ont chuté de près de 14 % au mois d’avril 2011 ont très faiblement rebondi au mois de mai 2011 (0,9 %). Au final, si la consommation en automobiles se stabilisait en mai et juin à son niveau d’avril 2011, celle-ci baisserait de 11 % au deuxième trimestre 2011, contribuant pour -0,7 % à la croissance de la consommation des ménages et pour -0,4 % à la croissance du PIB (voir tableau). Au moins pour sa composante consommation des ménages, la forte croissance du PIB enregistrée au 1er trimestre 2011, n’est donc pas reproductible au deuxième.