Évolution de l’emploi : quel niveau pour les cycles de productivité par branche ?

par Bruno Ducoudré

L’emploi salarié dans les branches marchandes (17,3 millions d’emplois au premier semestre 2019) représente environ 65% de l’emploi total, et sa progression contribue (848 000 emplois créés depuis le dernier trimestre 2014) largement à la baisse du chômage observée depuis 2015. La bonne compréhension des évolutions conjoncturelles de l’emploi salarié dans le secteur marchand nécessite de distinguer les tendances de long terme qui l’affectent (gains de productivité tendanciels, évolution de la durée du travail, coût du travail) des fluctuations conjoncturelles de l’activité. Ces deux dimensions peuvent par ailleurs varier selon les branches d’activité, les branches étant plus ou moins sensibles à la conjoncture internationale ; les cycles de production peuvent également être plus longs dans la construction que dans les autres branches.

Dans une étude récente[1], nous procédons à une analyse tendance/cycle de productivité pour l’économie française en décomposant les demandes de travail par grande branche marchande (industrie, construction, services marchands). À partir d’une estimation économétrique des demandes de travail par branche, nous cherchons à mesurer les tendances de productivité, leur évolution et les cycles de productivité.

Il s’agit d’une part de caractériser le ralentissement de la productivité pour la France et de mettre en évidence la contribution des branches à ce ralentissement[2]. Le ralentissement de la productivité peut provenir de deux effets : 1. un effet provenant du ralentissement partagé par l’ensemble des branches ; 2. un effet de composition : dès lors que les gains de productivité sont plus élevés dans l’industrie, mais que ce secteur voit sa part dans l’emploi et sa VA diminuer au cours du temps[3], les gains de productivité des branches marchandes prises dans leur ensemble diminuent, toutes choses égales par ailleurs. Conformément à la littérature théorique et empirique existante (Duarte et Restuccia, 2010), les gains de productivité sont attendus plus élevés dans l’industrie, là où les tâches routinières conduisent au remplacement des emplois par les machines et où les innovations de produits, managériales et organisationnelles permettent des gains de productivité plus élevés relativement aux autres secteurs. Les estimations indiquent une tendance de productivité croissante à un rythme de 0,9 % par an sur la période récente (1,9 % par an dans l’industrie, 0,8 % dans les services et 0,1 % dans la construction ; graphique 1). Cette tendance a ralenti depuis le début des années 1980. Ce ralentissement des gains de productivité tendanciels s’observe principalement dans l’industrie. Conjugué à la baisse de la part de l’industrie dans l’emploi, cela explique 90 % de la baisse du taux de croissance de la productivité tendancielle depuis les années 1980.

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D’autre part, la méthode permet d’affiner le diagnostic conjoncturel sur l’emploi par branche. De fait, les comportements de demande de travail peuvent différer selon les branches. Ces divergences portent notamment sur le type de main-d’œuvre (travail qualifié/non qualifié) et la sensibilité au coût du travail, ou sur les modalités d’ajustement de la main-d’œuvre aux variations de l’activité (délais d’ajustement, ajustements internes via la modulation de la durée du travail ou ajustement externe via la modification du stock d’emplois). Les cycles d’activité peuvent aussi être de durées et d’ampleurs différentes selon les branches, selon qu’elles sont plus ou moins exposées à la conjoncture internationale ou qu’elles connaissent des spécificités propres, les cycles d’activité dans la construction pouvant être plus longs. Ainsi, à court terme, l’emploi est essentiellement déterminé par les variations de l’activité économique mais l’ajustement est progressif. L’impact de la croissance sur l’emploi est amorti par le comportement des entreprises, conduisant à un cycle de productivité : si les entreprises adaptent très rapidement le volume d’emplois temporaires (CDD courts, intérim) à la conjoncture, elles n’ajustent pas immédiatement leurs effectifs stables aux besoins de la production. Elles préfèrent recourir à la flexibilité interne, en ajustant les rémunérations salariales variables et le temps de travail via les heures supplémentaires, les congés imposés ou le chômage partiel. Les entreprises ne vont ajuster leurs effectifs que si le rebond ou le creux conjoncturel se montre durable. C’est pourquoi la productivité du travail accélère lors des phases de reprise et ralentit lors des ralentissements conjoncturels. La modification du rythme de croissance a donc des effets retardés sur l’emploi, et la croissance de la productivité du travail fluctue à court terme.

Les résultats montrent que le cycle de productivité présente des fluctuations plus importantes dans le secteur de la construction. Le calcul des délais moyens d’ajustement (DMA) de l’emploi à la demande indique un délai d’ajustement de 5,6 trimestres pour cette branche. Le cycle fluctue beaucoup moins pour l’industrie et les services, indiquant une vitesse d’ajustement de l’emploi à l’activité économique plus rapide pour ces deux branches, ce que confirment les délais moyens d’ajustement à la demande (respectivement 4,4 et 4,1 trimestres). Globalement, au quatrième trimestre 2018 les estimations indiquent que le cycle de productivité serait légèrement positif dans les services (+0,2 %), ce qui signifie que le secteur des services est globalement en sous-effectif. Autrement dit, une fermeture du cycle de productivité dans les services se traduirait, toutes choses égales par ailleurs, par une hausse de l’emploi de 0,2 % dans les services. Le cycle de productivité serait plus largement positif dans l’industrie (+0,8 %) tandis qu’il continuerait de se creuser dans la construction (-1,6 % ; graphique 2). Au niveau du secteur marchand non agricole (SMNA), le cycle de productivité serait refermé au quatrième trimestre 2018 (Graphique 3).

 

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[1] B. Ducoudré, « Tendances et cycles de productivité par grande branche marchande pour l’économie française », Revue de l’OFCE, n° 162, avril 2019.

[2] Les économies développées sont confrontées à un ralentissement tendanciel des gains de productivité (Bergeaud, Cette et Lecat, 2016 ; Cette, Fernald et Mojon, 2016 ; Ducoudré et Heyer, 2017). Plusieurs hypothèses ont été avancées pour expliquer ce ralentissement – déclin de l’investissement, mauvaise allocation des facteurs, qualité du travail dégradée, moindre diffusion des technologies entre les entreprises à la frontière de la productivité et les autres, phénomènes de « winner-takes all ».

[3] Du fait des décisions de localisation / délocalisation de la production des firmes à l’étranger, d’une demande intérieure atone, d’un transfert d’une partie l’activité et des emplois des branches industrielles vers les branches des services ou encore de pertes de parts de marché à l’exportation ou sur le marché intérieur face à la concurrence étrangère.

 

Bibliographie

Bergeaud A., Cette G. et Lecat R., 2016, « Productivity Trends in Advanced Countries between 1890 and 2012 », Review of Income and Wealth, vol. 62, n° 3, pp. 420‑444.

Cette G., Fernald J. et Mojon B., 2016, « The pre-Great Recession slowdown in productivity », European Economic Review, vol. 88, pp. 3‑20.

Duarte M. et Restuccia D., 2010, « The role of the structural transformation in aggregate productivity », The Quarterly Journal of Economics, vol. 125, n° 1, pp. 129‑173.

Ducoudré B., « Tendances et cycles de productivité par grande branche marchande pour l’économie française », Revue de l’OFCE, n° 162, avril 2019.

Ducoudré B. et Heyer É., 2017, « Quel nouveau sentier de croissance de la productivité du travail ? Une analyse pour six grands pays développés », Revue de l’OFCE, vol. 152, n° 3.




Quand la construction va …

par Pierre Madec et Hervé Péléraux

Les chiffres du troisième trimestre 2016 publiés le 29 novembre par l’INSEE ont confirmé le redressement du secteur de la construction à l’œuvre depuis plusieurs trimestres : le nombre de logements neufs mis en vente sur un an a atteint 116 900, soit une hausse de 17 % par rapport à l’année précédente. Dans le même temps, le nombre de logements autorisés à la construction ou mis en chantier a poursuivi sa progression. Ainsi, entre octobre 2015 et octobre 2016, 363 500 logements ont été commencés et 427 800 ont été autorisés à la construction, soit respectivement 15,4% et 11,3% de plus que l’année précédente (graphique 1).

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Très dégradée depuis 2012, la confiance des professionnels du secteur s’est fortement améliorée ces derniers mois. Ainsi, au deuxième trimestre 2016, pour la première fois depuis la fin 2011, les perspectives de mises en chantier dépassaient leur moyenne de long terme, quel que soit le segment du parc observé (graphique 2). Notons que l’annonce du plan de relance pour la construction intervenue en août 2014 (nouveau PTZ, assouplissement du dispositif d’investissement locatif, …) a pu avoir un effet sur l’arrêt de la dégradation des perspectives des professionnels. Malgré tout, s’il est probable que ces annonces aient participé au redressement des perspectives des professionnels, il est important de rappeler que les déterminants de la construction de logements reposent pour la plupart sur des facteurs plus structurels : l’évolution du pouvoir d’achat des ménages, des taux d’intérêt mais aussi nombre de variables démographiques.

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Dans les comptes nationaux, l’investissement des ménages (hors entrepreneurs individuels) se décompose en construction (82 %) et en frais liés à l’immobilier (18 %). Les frais liés aux acquisitions immobilières dans le neuf ou dans l’ancien – frais de notaire, frais d’architecte, d’agence immobilière et TVA – sont ainsi considérés comme des dépenses d’investissement. La formation brute de capital fixe (FBCF) en logements des ménages recouvre à parts équivalentes la construction neuve et les travaux de rénovation et de gros entretien.  Il est à noter que ces chiffres, fortement révisés du fait notamment des délais de remontée d’informations locales, sont difficilement interprétables lors des premières estimations fournies par la statistique publique (voir encadré).

L’investissement en logements des ménages a particulièrement souffert des effets de la crise. Après une chute sévère dans la première phase de la crise (-17 % entre la première moitié de 2008 et le second semestre 2009), il s’est redressé quelque peu à partir de 2009 avant de replonger à nouveau à partir de la fin de l’année 2011 (-14,3 % entre le premier trimestre 2012 et le deuxième trimestre 2015). Au vu de l’importance de sa contribution au PIB (environ 5 points de PIB), cet effondrement a lourdement pesé sur l’économie française. Entre 2008 et 2015, l’investissement des ménages a amputé la croissance française de 0,2 point en moyenne par an, soit 1,2 point de PIB sur la période. Sous l’effet du redressement du pouvoir d’achat des ménages et du dynamisme retrouvé de l’emploi salarié et sous l’hypothèse d’une relative stabilité des prix et des taux immobilier, l’investissement des ménages devrait croître, malgré un deuxième trimestre négatif (-0,3%), de 0,3% en volume en 2016 et de 2% en 2017 (graphique 3). Malgré tout, ce dernier devrait se maintenir à un niveau très inférieur à celui d’avant-crise. Fin 2018, l’investissement des ménages en volume devrait être inférieur de près de 15% à son niveau de fin 2007…

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Encadré : Les difficultés d’estimer à court terme l’activité dans le secteur de la construction

 Nous avons étudié les révisions de compte de la branche « Construction » provenant de la comptabilité nationale et évalué sa contribution à la révision de la valeur ajoutée (VA) totale.

D’une manière générale, il apparaît une sous-estimation chronique du taux de croissance de la VA totale depuis 2010 entre la moyenne annuelle issue du compte trimestriel (une fois connu le quatrième trimestre de l’année fin janvier de l’année suivante) et la dernière version disponible des comptes (la seconde version du troisième trimestre 2016 publiée le 29 novembre). Au total, sur les 14 dernières années, 11 années ont fait l’objet de révisions positives. Les trois années où les révisions de la VA totale ont été négatives sont les années de récession, 2002, 2008 et 2009. Pour la construction proprement dite, les évaluations préliminaires sont très imprécises, en particulier depuis 2010 où l’on observe des révisions beaucoup plus fortes que par le passé, notamment en 2012.

Les révisions de la VA dans la construction, comprises depuis 2002 entre -6,2 et 3,1 points, sont moindres que dans l’agriculture (entre -7,6 et 12,4 points) mais bien plus marquées que dans l’industrie (entre -1,7 et +2,6 points) et dans les services marchands (entre -1,6 et +1,1 point, graphique 4).

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La construction a néanmoins un poids relativement faible dans la VA totale (5,8 % en 2014, contre 13,8 pour l’industrie et 56,6 pour les services marchands). Il est par conséquent utile de pondérer l’impact de ces fortes révisions par le poids du secteur dans la VA totale afin d’évaluer leur contribution à la révision de la VA d’ensemble. Malgré une volatilité moins prononcée que dans l’agriculture, les révisions de la VA dans la construction affectent significativement le calcul de la VA totale, avec une contribution à sa révision comprise entre -0,4 et + 0,2 point (graphique 5). En regard, la volatilité moins prononcée des estimations de la VA dans les services marchands impacte davantage la VA totale compte tenu de son poids 10 fois plus important que celui de la construction.

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Cette analyse rapide met en exergue les difficultés pour élaborer des estimations préliminaires robustes de l’activité du secteur de la construction. Ces difficultés, illustrées ici par la mesure de la VA par branche, se présentent également lorsqu’il s’agit d’estimer le niveau des mises en chantier, des permis de construire ou encore l’évolution de l’investissement en logement des ménages. De fait, les premières publications de ces nombreuses données quantitatives doivent être interprétées avec la plus grande prudence, tant pour mesurer leur impact sur le calcul des comptes nationaux que pour caractériser la conjoncture du secteur à court terme.

 




Chômage à contre-emploi

par OFCE, Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois d’août 2016 publiés par Pôle Emploi font apparaître une forte augmentation du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A[1] (+50 200 personnes en France métropolitaine). Cette forte progression efface en grande partie les améliorations observées depuis le début de l’année. Sur un an, le nombre de demandeurs d’emploi n’exerçant aucune activité reste en légère baisse  (- 10 900 personnes). La hausse des inscrits en catégorie A au mois d’août a touché toutes les catégories d’âge. Si on ajoute les inscrits ayant réalisé une activité réduite au cours du mois, la hausse mensuelle est encore plus prononcée (+76 100 personnes). Les attentats qui ont frappé la France, et notamment celui du 14 juillet à Nice, ont eu un impact négatif sur l’activité touristique venant de l’étranger (hébergement-restauration, activités de loisir) avec des conséquences négatives sur l’emploi des secteurs concernés mais dont l’ampleur n’est à ce stade pas chiffrable.

Ces évolutions, franchement négatives, doivent être cependant prises avec prudence. Selon Pôle Emploi, elles reflètent en partie la modification des règles d’actualisation d’inscription décidée au mois de janvier 2016. Au mois d’août, le nombre de sorties pour défaut d’actualisation a atteint un point bas depuis l’instauration de la nouvelle règle. Ceci s’expliquerait par le nombre de jours ouvrés où il était possible de s’inscrire, particulièrement fort au mois d’août.

Ceci doit nous rappeler que les chiffres publiés par Pôle Emploi sont soumis à des aléas propres à la pratique administrative. Ces aléas ne sont pas nécessairement corrélés avec les évolutions sous-jacentes de l’emploi. En effet, l’analyse des tendances de l’emploi et du chômage nécessite la prise en compte d’autres indicateurs qui capturent mieux les évolutions du marché du travail.

Focus : l’évolution de l’emploi au sens de la comptabilité nationale depuis un an

Malgré un chiffre de croissance décevant au deuxième trimestre 2016, publié vendredi dernier par l’Insee, et la forte augmentation du nombre de DEFM au mois d’août (dont l’évolution est souvent très volatile au mois le mois), il n’en reste pas moins que l’économie française reste créatrice d’emplois dans le secteur marchand depuis le deuxième trimestre 2015. Les créations d’emplois salariés ont ainsi atteint ou dépassé le chiffre de 40 000 par trimestre depuis 1 an, rythme légèrement plus dynamique que fin 2010-début 2011 et qui n’avait plus été observé depuis l’année 2007 (graphique 1).

La reprise molle entamée en 2015 (+1,2 % de croissance) et qui se poursuit en 2016 (+1,1 % d’acquis à la fin du deuxième trimestre) aurait à peine permis de stabiliser le chômage, compte tenu de la croissance de la population active (+0,5 % par an) et des gains de productivité tendanciels (estimés à +0,8 % par an). Toutefois, les créations d’emplois salariés dans le secteur marchand sont stimulées par les mesures de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité, prime à l’embauche) qui enrichissent la croissance en emplois. Depuis quatre trimestres, les créations d’emplois salariés dans le secteur marchand ont contribué à 75 % des créations d’emplois, le reste se répartissant entre les créations d’emplois dans le secteur non-marchand[2] (pour 17 %) et les emplois non-salariés marchands (pour 8 %).

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La panne de croissance observée au deuxième trimestre, les attentats et le Brexit ne semblent pas remettre en cause la dynamique de l’emploi salarié marchand. Au-delà des derniers chiffres positifs portant sur le nombre d’intérimaires en fin de mois (+0,7 % en juillet), et sur les déclarations d’embauche de plus d’un mois (hors intérim) qui augmentent de 3,7 % en août après une hausse de 0,6 % au mois de juillet, les intentions d’embauches déclarées dans les enquêtes de conjoncture indiquent une poursuite des créations d’emplois dans les services marchands au troisième trimestre, ainsi qu’un net ralentissement des destructions d’emplois dans le secteur de la construction (graphique 2). Concernant les industries manufacturières, les intentions d’embauches sont plus hésitantes au premier semestre, après cependant une nette amélioration en 2015.

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[1] Les inscrits en catégorie A n’ont exercé aucune activité, pas même réduite, à la différence des inscrits en catégories B et C.

[2] Dans le secteur non-marchand, les créations d’emplois sont tirées notamment par les contrats aidés (emplois d’avenir, contrats d’accompagnement dans l’emploi).




L’investissement en logements des ménages sur la voie du redressement

par Pierre Madec

La publication récente des derniers résultats trimestriels du secteur de la construction laisse à penser que la reprise enclenchée dans le secteur industriel et sur le marché de l’emploi est à même de se transmettre, dans les mois à venir, au secteur de la construction. Au troisième trimestre 2015, le nombre de permis de construire a augmenté de 4,3 % pour s’établir à 98 700, après une hausse de 3,8 % lors du trimestre précédent. Les mises en chantier se sont également redressées de 0,5 % après une baisse de 0,4 % au deuxième trimestre. L’amélioration des perspectives, tant en termes de demande de logements neufs que de mises en chantier (graphique 1), observée le mois dernier semble donc se traduire dans les faits et l’investissement logement, fortement dégradé depuis plusieurs semestres, devrait de nouveau croître dès la fin de l’année 2015.

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Rappelons que l’investissement en logements des ménages a particulièrement souffert des effets de la crise. Après une chute sévère dans la première phase de la crise (-17 % entre la première moitié de 2008 et le second semestre 2009), il s’est redressé quelque peu à partir de 2009 avant de replonger à nouveau à partir de la fin de l’année 2011 (-14,3 % entre le premier trimestre 2012 et le deuxième trimestre 2015). Au vu de l’importance de sa contribution au PIB (environ 5 points de PIB), cet effondrement a lourdement pesé sur l’économie française.

Dans  notre exercice de prévision d’automne, nous avons modélisé l’investissement logements des ménages à court terme en nous appuyant sur un modèle à correction d’erreurs (MCE) faisant dépendre le taux d’investissement en logements (l’investissement rapporté au revenu disponible brut des ménages) de variables retardées que sont les mises en chantier (-1 trimestre), les permis de construire (-4), l’opinion des promoteurs immobiliers à la fois sur la demande de logements neufs (-3) et sur les mises en chantiers futures (-1). La simulation dynamique de cette équation retrace de manière satisfaisante l’investissement des ménages sur la période d’estimation qui commence en 1995. Le jeu des variables retardées laisse à penser que l’investissement en logements serait à même de se redresser significativement à partir du second semestre de l’année 2015.

Sous l’hypothèse, retenue dans notre prévision, d’une stabilité des dernières valeurs connues  des variables exogènes introduites dans la modélisation (permis, mises en chantier, enquêtes), l’investissement en logement des ménages, après une baisse de 2 % en 2015, progresserait de 5 % en 2016 et 2017 (graphique 2), retrouvant ainsi à la fin de l’année 2017 son niveau du milieu d’année 2013.

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Le problème de l’investissement français n’est pas quantitatif

par Sarah Guillou

L’investissement est devenu l’objet prioritaire des politiques européenne et française. Sa relance est devenue même urgente pour le gouvernement qui, en ce début de printemps 2015, souhaite accélérer l’investissement productif. L’investissement est à la fois un acte économique qui dessine la trajectoire de croissance de l’économie et un signal majeur de la vitalité des entreprises pour pérenniser leur capital productif ou l’accroître. Créer un environnement économique favorable à l’investissement doit être une priorité des politiques économiques. Encourager une augmentation des investissements des entreprises dans un contexte de faible croissance est fortement souhaitable. Mais pour bien cibler cet encouragement, il faut faire le bon diagnostic sur la nature de la faiblesse de l’investissement des entreprises françaises : il est moins quantitatif que qualitatif.

A bien y regarder, le comportement d’investissement des entreprises françaises ne montre un recul marqué ni relativement au début des années 2000, ni relativement aux autres économies partenaires. Le taux d’investissement est l’un des plus élevé de la zone euro (graphique).

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Ce qui conduit à une situation assez énigmatique : la désindustrialisation, les pertes de parts de marché à l’exportation, la baisse des taux de marge, la décroissance de la productivité, le positionnement technologique en recul sont autant de signes des difficultés des entreprises françaises. Mais cela est concomitant avec le maintien de l’investissement qui ne souffre pas d’un décrochage majeur par rapport à ses partenaires.[1]

Les hypothèses avancées pour comprendre cette énigme sont au nombre de quatre: 1°) les investissements de remplacement/renouvellement sont dominants et le capital productif français est obsolète; 2°) les investissements ne sont assez pas productifs, la part des investissements en construction est trop importante relativement aux investissements en machines-outils et robots ; 3°) les investissements se substituent au facteur travail en France en raison de la baisse continue du coût du capital relativement au coût du travail ; 4°) ce qui compte pour la compétitivité c’est l’investissement dans les actifs intangibles et c’est là que le bât blesse pour les entreprises françaises.

Ces hypothèses sont discutées dans la Note de l’OFCE, n° 51 du 30 avril 2015 pour apprécier leur poids explicatif respectif.

Au final, les quatre hypothèses concourent à expliquer la résilience de l’investissement en parallèle avec la fragilité des indicateurs de performance des entreprises françaises. On ne peut donc justifier simplement des mesures en faveur de l’investissement par des arguments catastrophistes sur son niveau. L’investissement est une variable qui mérite toutes les attentions. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas son niveau qui pose problème (étant donné la faible croissance), c’est sa qualité et sa répartition. Si le renouvellement a jusqu’à présent constitué le motif principal, il importe de cibler les investissements qui augmenteront le capital productif et donc l’intensité capitalistique de l’entreprise. Le recul des investissements en construction est en marche mais la « ré-industrialisation » qui relancerait les investissements en machines-outils et en R&D n’est pas  encore nettement sur les rails.

La politique de soutien à l’investissement énoncée le 8 avril 2015 semble s’orienter vers une différenciation des investissements selon leur nature afin de cibler précisément les investissements productifs, et le gouvernement a établi une liste très précise qui cherche à évincer les investissements de renouvellement (Bulletin Officiel du 25 Avril 2015).[2]

Les difficultés à apprécier l’efficacité de telles mesures de soutien reposent sur la confusion entre la cause et la conséquence : un investissement dynamique est un signal positif de croissance de l’économie, il en est aussi la cause. Le processus d’investissement est un cercle vertueux mais la porte d’entrée d’un cercle en mouvement n’est pas toujours là où on l’attend. Il est possible d’accélérer l’amortissement du capital par des règles comptables et ainsi d’accélérer le renouvellement. Il est beaucoup plus difficile de provoquer une croissance des investissements nets du remplacement du capital existant car ce type d’investissement répond avant tout à l’anticipation de l’augmentation de la demande.

Le souhait du gouvernement d’entrer dans le cercle vertueux de l’investissement pour en accélérer la rotation repose sur l’hypothèse que les entreprises ont des investissements productifs en attente et que cet attentisme est causé par la faiblesse de leurs marges après impôt. D’où l’idée d’accorder un énième crédit d’impôt aux entreprises après le CIR, le CICE et les autres niches fiscales. Le taux d’imposition effectif français va devenir de plus en plus compétitif ! Mais quelle est la part des entreprises qui entre dans cette configuration ?

Par ailleurs, cette politique comporte des risques d’échec non négligeables : si l’augmentation des investissements en équipements robotiques se traduit par une diminution du facteur travail donc de l’emploi , si la demande en biens d’équipement est satisfaite par l’étranger (on aurait aimé que l’Allemagne se lance dans un tel soutien à l’investissement privé), si les entreprises réalisent par anticipation des investissements qu’elles auraient de toute façon réalisés, si l’avantage fiscal précipite des investissements de capacité sans l’assurance d’une augmentation des carnets de commande, alors le soutien à l’investissement de 2,5 milliards sur 5 ans ne créera pas le surcroît de croissance escomptée.

Le pari le plus risqué reste celui de l’emploi. Si on augmente l’investissement net du renouvellement, on augmente la part du capital dans l’entreprise. Si la valeur ajoutée reste constante, le maintien des marges ne peut se faire qu’avec une baisse des salaires ou de l’emploi. Pour que l’emploi augmente, il faut soit que la demande qui s’adresse à l’entreprise croisse à qualité de ses produits constants, et/ou que l’investissement se traduise par une amélioration de sa compétitivité hors-prix de façon à capturer des parts de marché nouvelles. Mais, ces résultats ne se produiront qu’à moyen terme.

Le gouvernement dépasse ce raisonnement primaire en pariant sur une complémentarité entre les investissements de robotisation et de mécanisation et le travail qualifié. Michaels et Graetz (2015) ont montré, en utilisant des données pour 17 pays et 14 industries, que l’intensité de robotisation se traduit par une hausse de la productivité et des salaires mais sans provoquer, globalement, de diminution du nombre d’heures travaillées. Cependant, l’introduction des robots dans les entreprises aurait un impact négatif sur le travail non-qualifié ou moyennement qualifié. Il faut donc que les travailleurs soient prêts en termes de qualification à participer et à accompagner cette intensification technologique et capitalistique et non à la subir. Ce qui compte donc pour que naissent des gains de productivité, c’est la nature des investissements et la complémentarité entre le travail et le capital.

 

 


[1] Ces constats sont corroborés par diverses notes récentes sur l’investissement : INSEE (2013), Observatoire du financement des Entreprises (2014), France Stratégie (2014).

[2] La mesure met en place un suramortissement de 40% permettant aux entreprises d’amortir les investissements à hauteur de 140% de leur valeur. Cinq catégories d’investissements productifs sont éligibles et devront être réalisés entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016. Cette mesure induit une baisse de l’impôt sur les sociétés en conséquence d’une déduction supplémentaire liée au suramortissement.




Quelles entreprises investissent en France ?

par Sarah Guillou

Au moment où l’investissement est devenu l’objet prioritaire de l’Union européenne, du FMI et de la France, à l’heure où le gouvernement français s’apprête à légiférer pour relancer l’investissement des entreprises, il est urgent de s’interroger sur les acteurs de l’investissement en capital physique en France[1].

Les investissements matériels du secteur marchand en France sont concentrés dans certains secteurs : manufacturier, commerce, transport, immobilier, information et communication, production d’électricité et de gaz. Ces « gros contributeurs » totalisaient 72% de l’investissement corporel en 1997, ils en totalisent 70% en 2011. Cette stabilité temporelle cache deux évolutions majeures : les secteurs manufacturier et de l’immobilier ont vu leur contribution à l’investissement se modifier profondément. Le recul de la part du manufacturier dans le PIB s’est traduit par une baisse de la part des investissements en machines et outils. Or, ce type d’investissement comprend notamment les investissements de robotisation et d’informatisation qui sont un important vecteur d’accroissement de la productivité. Ce recul n’a pas été compensé par l’investissement du secteur de l’information et communication qui investit aussi beaucoup en machines-outils.

Le dynamisme du secteur immobilier et des prix de la construction a gonflé la part de l’investissement en construction. Il est notamment remarquable que l’augmentation des prix de la construction ait capturé une part importante des dépenses d’investissement en capital des entreprises détournant ainsi le capital financier des destinations productives. Si le dynamisme des investissements en construction a bien influencé positivement l’évolution des investissements en actifs physiques, il est surtout explicatif de la dynamique de l’investissement du secteur immobilier. Le prix de la construction n’a pas diminué depuis la crise, mais les volumes investis ont fortement baissé.

La résilience du taux d’investissement des entreprises non-financières françaises s’explique en partie par les investissements en construction mais cela est surtout vrai pour le secteur immobilier et le secteur des transports.

Les taux d’investissement les plus élevés proviennent des plus grandes entreprises et de celles dont les taux de marge sont les plus élevés. Par ailleurs, le taux d’investissement est positivement corrélé avec le taux d’endettement, le statut d’exportateur, l’intensité d’exportation et l’intensité de R&D. En revanche, les indicateurs de capital humain comme la productivité du travail ou le salaire horaire moyen sont plutôt corrélés négativement avec le taux d’investissement.

La poursuite de la désindustrialisation et les délocalisations de la production manufacturière pourraient accélérer le recul de l’investissement en machines-outils-équipement. Le développement des TIC, et donc du secteur de l’information et des communications, pourrait compenser le déclin du secteur manufacturier. Si une source de l’amélioration de la productivité se situe dans l’investissement en machines-outils, le maintien d’une forte activité dans le secteur manufacturier et du secteur de l’information et des communications est impératif.

 

 


[1] La Note de l’OFCE n° 50 du 22 avril 2015 se propose de caractériser les secteurs et les entreprises qui investissent en France.