Renouveler le mix : réaliser la transition énergétique, enfin !

par Aurélien Saussay, Gissela Landa Rivera et Paul Malliet

Le quinquennat qui s’achève aura été marqué par le succès de la COP21, qui a conduit à la signature en décembre 2015 de l’Accord de Paris visant à limiter la hausse des températures mondiales à 2°C d’ici la fin du siècle. Pourtant, les questions climatiques et de politique énergétique ne semblent pas figurer parmi les priorités du débat présidentiel qui s’ouvre.

Cette question mériterait pourtant d’être traitée en profondeur tant les décisions nécessaires engagent la France à long terme.  Afin d’atteindre les objectifs que la France s’est fixée dans la loi relative à la Transition Energétique et pour la Croissance Verte (LTECV), il est nécessaire d’engager au plus vite les transformations nécessaires de notre mix énergétique, et d’en améliorer l’efficacité afin de modérer la demande des principaux secteurs consommateurs d’énergie, résidentiel, tertiaire, des transports et de l’industrie.

Or le récent rapport parlementaire rendu par la Commission des affaires économiques et la Commission du développement durable[1] souligne le retard pris dans la mise en application de la LTECV. En particulier, le rapport souligne le peu d’avancées réalisées pour exploiter le principal gisement d’économie d’énergie, le secteur du bâtiment. Il relève également le retard pris dans l’augmentation de la part des énergies renouvelables au sein de notre mix énergétique, particulièrement en ce qui concerne la production d’électricité.

A cet effet, la Programmation pluriannuelle de l’électricité (PPE) pour la période 2016-2023 ne semble pas permettre, en l’état actuel, d’atteindre l’objectif de l’article I, section 3 (L100-4), alinéa 5 de la LTECV, qui prévoit de réduire la part de l’énergie nucléaire à 50% du mix électrique en France en 2025. Pour ce faire, il sera nécessaire de réviser la PPE dès le début du prochain quinquennat.

La crainte d’une perte de compétitivité de l’économie française – particulièrement en ce qui concerne les industries intensives en énergie[2], la faible acceptabilité d’une taxation du carbone, et le risque d’impacts économiques récessifs restent les principaux obstacles à la mise en place des plans ambitieux d’investissements nécessaires à la réalisation des principaux objectifs de la loi – et partant de la transition de la société française vers une économie bas carbone.

Si l’analyse des impacts redistributifs de la taxation carbone reste un sujet de recherche, les travaux de l’OFCE, menés en partenariat avec l’ADEME, ont montré que les craintes d’impacts macroéconomiques négatifs étaient injustifiées. Loin de peser sur les perspectives de reprise économique, la transition énergétique pourrait au contraire apporter un léger regain de croissance pour l’économie française au cours des trente prochaines années – et ce, dès le prochain quinquennat.

Ce résultat est la traduction macroéconomique de la réduction continue du coût des technologies nécessaires à la transition, dans chacune de ses dimensions : production d’énergie renouvelable, gestion de l’intermittence, amélioration de l’efficacité énergétique. Il ressort de nos analyses que l’évolution du coût complet actualisé de l’électricité d’origine renouvelable (ou LCOE, Levelized cost of electricity) rend possible un changement complet de paradigme énergétique sans surcoût majeur par rapport aux technologies traditionnelles – même dans un pays à forte pénétration nucléaire comme la France.

Un Policy brief récemment publié par l’OFCE, « Changer de mix : urgence et opportunité de la transition énergétique en France », présente les principales conclusions de ces travaux. Il démontre tout d’abord que la réalisation d’une transition énergétique correspondant à la LTECV permettrait de générer près de 0,4% de PIB supplémentaire et plus de 180 000 emplois à l’horizon 2022, à l’issue du prochain quinquennat. Si ces impacts restent modestes, nos projections indiquent à plus long terme un impact expansionniste de 3% de PIB supplémentaire à l’horizon 2050 – soit 0,1% de croissance annuelle supplémentaire sur la période.

Nous avons en outre estimé l’impact d’un exercice prospectif plus ambitieux encore dans la voie de la décarbonation de l’économie française : un accroissement de la part des renouvelables jusqu’à 100% du mix électrique en 2050. Ce scénario suppose une accélération de la construction des infrastructures de production d’électricité renouvelable – éolien en mer et on-shore et solaire photovoltaïque principalement – dès le prochain quinquennat. Cet effort accru permettrait d’obtenir un gain de PIB plus important encore de 1,3% en 2022, pour atteindre 3,9% en 2050.

Ce dernier exercice montre qu’une transition énergétique comparable dans sa magnitude à l’EnergieWende allemande est tout à fait réalisable en France, tant sur le plan technologique qu’économique.

L’accélération de la transition énergétique en France au cours du prochain quinquennat permettrait de répondre à un triple objectif : offrir à l’économie française un relais de croissance complémentaire, atteindre les objectifs de réduction des émissions de CO2 et de consommation d’énergie fixés au sein de la LTECV, et enfin réaliser la contribution de la France à l’objectif entériné lors de la COP21 de limitation du réchauffement planétaire en deçà de 2°C au-dessus des températures préindustrielles.

 

[1] Mission d’information commune sur l’application de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, 26 octobre 2016.

[2] Voir à ce sujet « L’état du tissu productif français : absence de reprise ou véritable décrochage ? », Département Innovation et concurrence, OFCE, 2016.




From the suburbs of London to global conflagration: a brief history of emissions

By Aurélien Saussay

A new interactive map of global CO2 emissions from 1750 to 2010 is helpful in understanding the historical responsibilities of the world’s different regions for the climate crisis.

The 21st Conference of Parties (COP 21) ended on 12 December 2015 with a historic agreement. As 195 countries come to an accord on the need to limit global warming to 2 degrees by the end of the century, it is a good time to review the history of CO2 emissions since the beginning of the Industrial Revolution. Right to the end of the negotiations, the question of the historical responsibility of the different countries has remained one of the main obstacles blocking the path to a global climate agreement. The recently industrialized emerging countries and the developing countries that are just beginning their economic take-off rightly refuse to provide efforts comparable to those of the developed countries.

This feeling is confirmed by a new interactive map retracing 260 years of CO2 emissions from fossil fuel combustion and cement production on the surface of the planet[1]. This map can be used interactively to explore the emissions of each country and their distribution in space over the last two centuries, both in their entirety and per capita. It can also be used to follow trends in global emissions and the gradual consumption of the total carbon budget for holding global warming to below 2 degrees.

post aurélien

By combining historical data on emissions per country issued by the CDIAC (from 1750-2010) with decadal data on population density produced by the European HYDE project (also 1750-2010), it is possible to estimate the distribution of emissions over space and time around the planet’s surface – on a grid with a resolution of 5’ of arc (5′ being equal to 1/12th of a degree, i.e. about 10 km by 10 km at the equator).

This interactive map shows the contribution of each of the world’s regions since the mid-18th century – while at the same time offering a gripping account of the gradual spread of the industrial revolution over the last two centuries.

These data illustrate several key points that help to understand the debate about differentiated historical responsibilities:

– Up to the mid-20th century, only Europe and the United States (and to a lesser extent Japan) contributed significantly to global emissions.
– It was only in the last 30 years that, led by China, the rest of the world “turned on”.
– Driven by rapid economic growth in the emerging countries, emissions have taken off in the last fifteen years.
– When weighted by distribution of the world population, emissions are highly concentrated spatially. This conclusion is bolstered when using even finer data, notably the location of power stations and the most energy-consuming manufacturing plants (cement, aluminium, and paper, for example).

This brief history of CO2 emissions across the globe reminds us of the West’s special responsibility in the fight against global warming. The precocity of the Industrial Revolution in the West allowed the economy to take-off much earlier than in the rest of the world, but it also led to the emission of a disproportionate share of the total emissions budget that we are entitled to if we are not to exceed the target of two degrees of warming.

This differentiated historical responsibility, which was recognized by the Paris Agreement, requires Western countries to make a special effort in the fight against global warming. This responsibility must thus be reflected in a greater effort in terms of financial and technological transfers so as to ensure that the emergence of the developing countries minimizes the use of fossil fuels, without hindering their economic take-off.

 


[1] These emissions do not include emissions from changes in land use (LUCLUF) or fertilizer use. Unfortunately, it is very difficult to reconstruct these emissions for the period under consideration.

 




After the Paris Agreement – Putting an end to climate inconsistency

By Eloi Laurent

If the contents of the 32-page Paris Agreement (and the related decisions) adopted on 12 December 2015 by COP 21 had to be summarized in a single phrase, we could say that never have the ambitions been so high but the constraints so low. This is the basic trade-off in the text, and this was undoubtedly the condition for its adoption by all the world’s countries. The expectation had been that the aim in Paris was to extend to the emerging markets, starting with China and India, the binding commitments agreed in Kyoto eighteen years ago by the developed countries. What took place was exactly the opposite: under the leadership of the US government, which dominated this round of negotiations from start to finish right to the last minute (and where the EU was sorely absent), every country is now effectively out of Annex 1 of the Kyoto Protocol. They are released from any legal constraints on the nature of their commitments in the fight against climate change, which now amount to voluntary contributions that countries determine on their own and without reference to a common goal.

In doing this, the Paris Agreement gives rise to a new global variable, which we can accurately track over the coming years: the factor of inconsistency, which compares objectives and resources. At the end of COP 21, this ratio was in the range of 1.35 to 2 (the climate objective chosen, specified in Article 2, lies between 1.5 and 2 degrees, whereas the sum of national voluntary contributions declared to reach this would lead to warming of 2.7 to 3 degrees). The question facing us now is thus the following: how to deal with this climate inconsistency by bringing the resources deployed into line with the ambitions declared (bringing the climate inconsistency factor to 1)?

The answers to this question were actually set out during the two weeks of COP 21, but they did not survive the negotiations between states and therefore were not included in the final text in an operational form. They are three in number: climate justice, the carbon price and the mobilization of territories.

Climate justice, whose decisive importance was rightly highlighted in particular in the opening speech of the French President (“It is in the name of climate justice that I speak to you today”) is actually contradicted in the text of the Agreement: while the text mentions the term “justice” only a single time, it provides that the parties recognize “the importance for some of the concept of ‘climate justice’”. The whole point of climate justice is precisely that its importance is not confined to only a few nations but concerns all the world’s countries. So there is still a huge amount to be done in this field, particularly on the question of the distribution of efforts at mitigation and adaptation.

The need to put a price on carbon (and thus give it social value), which has been gaining in support, as was highlighted from the opening of COP 21 under the aegis of Angela Merkel and the new Canadian government, still appeared in the penultimate version of the text. It disappeared from the final version (under the combined pressure of Saudi Arabia and Venezuela). Yet there is no doubt that it is by internalizing the price of carbon that we will put the economy at the service of the climate transition. But it seems at this point that the world’s governments have decided to outsource this internalization function to the private sector. It is necessary to quickly take this in hand, both internally and globally.

Finally, the way the Agreement deals with the crucial role of decentralized territories, both to compensate for the shortcomings of the nation states and to be laboratories for a low-carbon economy, is too brief and too vague. The summit organized by the Mayor of Paris on December 4 nevertheless showed clearly that towns, cities and regions have become full participants in the fight against climate change, reviving the spirit of the 1992 Rio Summit. It is essential to set up as quickly as possible an organization for genuine cooperation between the territories and the nation states, in France and elsewhere, to breathe life into the Paris Agreement.

It can be seen clearly in the light of these three decisive issues, that the most severe criticism that can be levelled at an architectural agreement, which is a programme of intentions rather than an actual plan for action, is not to be progressive and dynamic enough and not to anticipate sufficiently its own shortcomings and its coming outdatedness by opening the way for new principles, new instruments and new players. Moreover, what are we to make of the fact that we have to wait until 2020 for its implementation, while the signs of climate change are visible all around us?

The easing of this time constraint may well come from the big country that proved to be the most constructive before and during COP 21: China. It was China that, five days before the conclusion of the Agreement, was the source of the best climate news since the announcement of the slowing of Amazon deforestation in the 2000s: global CO2 emissions, after almost stabilizing in 2014, should decrease slightly in 2015. This decrease is due to their reduction in China under the combined impact of the economic slowdown (the decision to end hyper-growth) and the de-carbonization of growth (related to lower consumption of coal). This is in turn due to the increasingly strong pressure being placed by the Chinese people on their government, because they have understood that the economic development of their country is destroying the human development of their children. It can thus be hoped that China will contain global emissions over the five years between now and 2020 and thereby make the Paris Agreement more acceptable… on the condition of using this to put an end to climate inconsistency.

 




Our house is on fire and we are only watching Paris

By Paul Malliet

As the 21st Conference of the Parties, COP21, began last week, all eyes were on Paris in the expectation of an ambitious global agreement that would limit the increase in global average temperature to 2°C and lead countries to begin swiftly to decarbonize their economies. But there is another battle taking place right now that is being ignored, even though it could have catastrophic consequences.

The primary forests and peatlands of Indonesia, located mainly on the islands of Sumatra and Kalimantan (and considered one of the Earth’s three green lungs), have been ravaged by fire for months as a result of an unexpectedly long dry season, which was in turn fueled by an extremely large-scale El Niño phenomenon[1], but also and above all by the continuation of slash and burn practices, which, though illegal, are intended to deforest the land needed to expand the cultivation of palm oil.

This led to the release of 1.62 gigatons of CO2 into the atmosphere in the space of a few weeks, tripling Indonesia’s annual emissions and pushing the country up from the planet’s 6th largest emitter to 4th, behind China, the US and India and ahead of Russia[2].  By way of comparison, this represents nearly 5% of global emissions for the year 2015.

Yet the issue of deforestation was central to Indonesia’s contribution to the global effort to reduce greenhouse gas emissions, accounting for more than 80% of the effort agreed[3] up to now. Moreover, under the UN REDD+ (Reduction Emissions from Deforestation and Forest Degradation) mechanism, launched in 2008, Indonesia has benefitted from $1 billion of international funding since 2011 precisely in order to fight against deforestation and to promote the management of sustainable forests.

However, due to the lack of a rapid and substantial response that would undoubtedly have contained the fires, this effort has literally gone up in smoke in recent months. Three reasons for this can be put forward at this stage. The first concerns the material capacities that Indonesia has for responding to disasters like this. For example, the authorities had only 14 aircraft, and relied mainly on the local population to fight the spread of forest fires by building containment basins. The second element concerns regional geopolitical issues. Indonesia has some diplomatic tension with its neighbors, and the fires raged for a number of weeks before the government agreed to accept international aid. Finally, the existence of a culture of corruption at various levels of government has led to years of deforestation, further weakening the ecosystems facing fire hazards.

Nevertheless, it is utterly clear today that discussion about the ways and means for dealing with climate disasters like this are completely missing from the discussions going on in the COP 21 process. It is more urgent than ever that the international community is capable of providing a framework that includes the capabilities for responding to these types of events, which unfortunately are likely to occur with increasing frequency, with consequences liable to profoundly affect regional relations. Strengthening funding for the fight against deforestation is of course paramount, especially since in this case the cost of avoiding a ton of CO2 is very low; but it is mainly at the level of practices that substantial progress can still be made, either by introducing greater transparency in fund management or through greater integration of local communities and NGOs in the implementation of new practices.

In his opening speech at COP 21, Francois Hollande declared that, “what is at stake with this climate conference is peace”. The conditions for peace are indeed likely to depend increasingly on societies’ capacity to adapt to climate risks. The disaster of World War II led the international community to create a body of peacekeepers with a mandate for “the maintenance or restoration of peace and international security”. How many ecological disasters will be required before we see the appearance of green helmets?

 

[1] According to the World Meteorological Organization (WMO), the 2015-2016 El Niño is listed as one of the three most powerful recorded since data began to be collected in 1950, and the coming decades are likely to see extreme events occur with heightened frequency as a result of climate change.

[2] World Resources Institute, With Latest Fires Crisis, Indonesia Surpasses Russia as World’s Fourth-Largest Emitter, 29 October 2015.

[3] In 2009 Indonesia undertook to reduce its greenhouse gas emissions by 29%, or even 41% (with international aid), compared to a baseline scenario (Source: National Action Plan for Greenhouse Gas Emissions Reduction (RAN-GRK)).

 




Notre maison brûle, et nous ne regardons que Paris

par Paul Malliet

Alors que la 21e Conférence des Parties, la COP 21, a débuté la semaine dernière, tous les regards sont braqués sur Paris dans l’attente d’un accord  global ambitieux qui permettrait de limiter la hausse de la température moyenne mondiale à 2°C et de mener les Etats  à s’orienter très rapidement sur le chemin d’une décarbonisation rapide de leurs économies. Toutefois il est une autre bataille qui se mène actuellement et qui est passée sous silence alors que ses conséquences sont d’une ampleur catastrophique.

Les forêts primaires et les tourbières d’Indonésie, principalement localisées sur les îles de Sumatra et de Kalimantan (et considérées comme l’un des trois poumons verts de la planète) ont été ravagées par le feu pendant plusieurs mois, conséquence d’une saison sèche plus longue que prévue, elle-même alimentée par le phénomène El Niño d’une ampleur rarement observée[1], mais également et surtout par la poursuite des pratiques de culture sur brûlis, pourtant illégales, afin de déboiser des terres nécessaires à l’extension de la culture de l’huile de palme.

Ce sont ainsi 1,62 Gigatonnes de CO2 qui ont été relâchées dans l’atmosphère en l’espace de quelques semaines, triplant les émissions annuelles de l’Indonésie et faisant passer ce pays du 6e au 4e plus gros émetteur mondial derrière la Chine, les Etats-Unis, l’Inde et devant la Russie[2]. A titre de comparaison, cela représente près de 5 % des émissions mondiales pour l’année 2015.

Pourtant la question de la déforestation était centrale dans la contribution de l’Indonésie à l’effort global de réduction des émissions de gaz à effet de serre, puisque elle représente plus de 80 % de l’effort consenti[3] jusqu’à présent. De surcroît, dans le cadre du mécanisme onusien REDD+ (Reduction Emissions from Deforestation and Forest Degradation) lancé en 2008, l’Indonésie bénéficiait d’un financement international depuis 2011 de 1 milliard de dollars pour lutter justement contre la déforestation et pour promouvoir une gestion durable des forêts.

Or, faute d’une réponse rapide et significative qui aurait sans doute pu limiter les incendies, c’est cet effort qui est littéralement parti en fumée ces derniers mois. Trois éléments d’explication peuvent être avancés à ce stade. Le premier relève des capacités matérielles propres à l’Indonésie lui permettant de répondre à une telle catastrophe. Les autorités ne disposaient à titre d’exemple que de 14 avions, et s’appuyaient principalement sur les populations locales pour lutter contre l’extension des feux de forêts en construisant des bassins de rétention. Le deuxième élément relève de questions géopolitiques régionales. Plusieurs tensions diplomatiques émaillent les relations que l’Indonésie entretient avec ses voisins et il a fallu plusieurs semaines d’incendies avant que le gouvernement ne consente à accepter l’aide internationale. Enfin, une culture de la corruption telle qu’elle existe à plusieurs échelons de l’administration a favorisé des années de déforestation, fragilisant encore plus les écosystèmes au risque d’incendie.

Pourtant, il est désormais indéniable que les débats autour des réponses et des moyens à apporter aux situations de catastrophes climatiques sont à l’heure actuelle totalement absents des discussions dans le cadre de la COP 21. Il est aujourd’hui plus qu’urgent que la communauté internationale soit en mesure de fournir un cadre et des moyens d’intervention en réponse à ce type d’événement, qui malheureusement devrait être de plus en plus fréquent, et dont les conséquences seraient sources de profonds déséquilibres régionaux. Le renforcement des financements destinés à la lutte contre la déforestation est évidemment primordiale, surtout que le coût de la tonne de CO2 évité est dans ce cas très faible ; mais c’est principalement au niveau des pratiques que de nombreux progrès restent à faire, que ce soit  par l’introduction de plus de transparence dans la gestion des fonds ou une intégration plus forte des  populations locales et des ONG dans la mise en œuvre de nouvelles pratiques.

François Hollande déclarait lors de son discours d’ouverture de la COP 21 que « ce qui est en cause avec cette conférence sur le climat, c’est la paix ». Effectivement, les conditions de la paix risquent de plus en plus de dépendre des capacités d’adaptation des sociétés face au risque climatique. Le désastre de la Seconde Guerre mondiale a conduit la communauté internationale à créer le corps des casques bleus dont le mandat est « le maintien ou le rétablissement de la paix et de la sécurité internationale ». Combien de désastres écologiques seront-ils nécessaires pour voir apparaître des casques verts ?

 


[1] D’après l’OMM (Organisation météorologique mondiale), le phénomène El Niño 2015-2016 s’inscrit comme étant l’un des trois plus puissants jamais enregistrés depuis que les données sont répertoriées, en 1950,  et les prochaines décennies sont susceptibles de voir une accélération d’épisodes extrêmes sous l’effet du changement climatique.

[2] World Resources Institute, With Latest Fires Crisis, Indonesia Surpasses Russia as World’s Fourth-Largest Emitter, 29 octobre 2015.

[3] L’Indonésie s’était engagée en 2009 à réduire de 29 %, voire 41% (avec un support international), ses émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport à un scénario de référence (Source : National Action Plan for Greenhouse Gas Emissions Reduction (RAN-GRK)).




The end of oil and coal

By Xavier Timbeau

The idea that we must put an end to the use of oil and coal is not new. It has been pushed for a long time by NGOs like 350.org and its gofossilfree campaign. What is more striking is that the Democratic primary candidate Senator Bernie Sanders has put the proposal at the heart of the US presidential election debate. Institutional investors and large fund holders have also announced their intention to limit or terminate their investments in coal (for example, Allianz and ING) and oil (the Dutch pension fund ABP). The urban development policies of some large cities are also leaning in that direction. Asked about this option, the head of the US Environmental Protection Agency (EPA), Gina McCarthy, noted (cautiously) that this option was not irrational.

Figure: Scenarios of CO2 emissions

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  Source: Figure SMP 11, AR5, IPCC, p. 21.

That said, Figure SPM 11 of the 5th IPCC report says much the same thing. If global warming is to be kept to 2 degrees, our carbon budget since 1870 amounts to 2900 ± 250 GtCO2e; we have consumed around 1900 GtCO2e up to now. So staying below the 2°C level (relative to pre-industrial times) with a probability of 66% leaves about 1000 GtCO2e. Given an annual flow of emissions of about 50 GtCO2e, a simple rule of three give us 40 years of linearly decreasing emissions. The inclusion of carbon sinks, climate inertia and negative radiative forcings on the climate extends the time horizon to 2090 ± 10 years, but it would be prudent to get down to zero emissions earlier. For the record, there are still about 5000 ± 1400 GtCO2 of recoverable reserves in coal alone, enough to greatly exceed our current carbon budget. Note that stopping the use of fossil fuels does not solve everything. A portion of current greenhouse gas emissions (of CO2, but also of methane and other gases) is not linked to fossil fuels but to farming, deforestation and industrial processes. In the case of a nearly 100% system of renewable energy, the gas would be necessary during consumption peaks. These non-fossil emissions can be cut down, but not eliminated. It is possible to have negative emissions, but the only “technology” available today is reforestation, which can help lower emissions by only 2 GtCO2 annually. Carbon capture and storage is also a way to conserve the use of fossil fuels provided that it works and that it has enough storage capacity (once the storage capacity is depleted, the problem remains).

The principle of “common but differentiated responsibility” would lead the developed countries to apply constraints more quickly (by say around 2050). Some see this prospect as the explanation for the fall in oil prices. Since not all fossil fuel reserves will be burned, the only ones worth anything are those that will be exploited before 2050, meaning that this price is lower than what would result from rising demand. Saudi Arabia therefore has an interest in increasing production rather than keeping worthless reserves. Mark Carney, Governor of the Bank of England and Chairman of the Financial Stability Board, has evoked “stranded reserves” in the same way that a coal plant is a “stranded asset”, i.e. a blocked asset that has to be depreciated prematurely.

The end of oil and coal is no longer just a fad of a handful of green activists. This is also seen in the persistent and nearly convergent calls of many economists about a carbon price. A high and rising price of carbon would force economic agents to disinvest in the capital that emits carbon or even to prematurely depreciate existing facilities. When a high carbon price is demanded (say between 50 and 100 € / tCO2, with the price of carbon steadily increasing over time as the carbon budget runs out), the point is that this sends a strong price signal to economic agents, with the consequence of this price being that emissions are reduced in an amount consistent with warming of less than 2°C compared to pre-industrial times. So, from this viewpoint, saying that “the price of carbon should be 50 € / tCO2 or more” is equivalent to saying “everything must be done so that we stop using coal and oil within the next half century”. The price of carbon thus gives us valuable information about the cost of the transition. It will be on the order of (a few) 1000 billion euros per year (on the scale of the global economy). Proposing a price means proposing the “polluter pays” principle (carbon emitters must pay), even though it is not clear exactly whom the polluters must pay. Hence the debate on the Green Fund and climate justice that is at the centre of COP21.

It would be a shame to focus on the carbon price and make it the central issue of COP21. A zero-carbon economy is our future, and we will have no excuses if we continue to burn fossil fuels. As Oscar Wilde remarked: “Nowadays people know the price of everything and the value of nothing.”

 




La fin du pétrole et du charbon

par Xavier Timbeau

L’idée qu’il faut mettre fin à l’usage du pétrole et du charbon n’est pas nouvelle. Elle est portée par des ONG depuis longtemps, comme 350.org et sa campagne gofossilfree. Ce qui est plus frappant c’est que le candidat démocrate à la primaire, le sénateur Bernie Sanders, en ait fait la proposition à mette au cœur du débat de la présidentielle américaine. Des investisseurs institutionnels ou des détenteurs de grands fonds ont également annoncé leur intention de limiter ou cesser leurs investissements dans le charbon (Allianz, ING par exemple) et dans le pétrole (le fonds de pension néerlandais ABP). Quelques grandes villes penchent dans cette direction pour l’orientation de leurs politiques d’aménagement urbain. Interrogée sur cette option, la directrice de l’Agence environnementale américaine (EPA), Gina McCarthy, a déclaré (prudemment) que cette option n’était pas irrationnelle.

Figure : Scénarios d’émission de CO2

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Source : Graphique SMP 11, AR5, IPCC, p. 21.

Ceci dit, le graphique SPM 11 du 5e rapport du GIEC ne dit pas autre chose. Pour limiter le réchauffement climatique à 2 degrés, nous disposons d’un budget carbone de 2 900±250 GtCO2e depuis 1870 ; nous en avons consommé autour de 1 900 GtCO2e à ce jour. Il nous reste ainsi, pour faire moins que +2°C (par rapport à l’époque préindustrielle) avec une probabilité de 66 %, à peu près 1 000 GtCO2e. Compte tenu d’un flux d’émissions annuelles de l’ordre de 50 GtCO2e, une simple règle de trois nous donnerait 40 années d’émissions décroissantes linéairement. La prise en compte des puits de carbone, des inerties du climat et des forçages radiatifs  négatifs sur le climat étend l’horizon temporel à 2090±10 années, mais la prudence demanderait d’aboutir à l’objectif zéro émission plus tôt. Pour mémoire, il reste dans le sol des réserves exploitables de l’ordre de 5 000 ±1 400 GtCO2en charbon seul, soit de quoi dépasser largement notre actuel budget carbone. Notons que l’arrêt de l’utilisation des combustibles fossiles ne règle pas tout. Une part des émissions actuelles de gaz à effet de serre (du CO2, mais aussi du méthane ou d’autres gaz) n’est pas liée aux fossiles mais à l’agriculture, la déforestation ou aux processus industriels. Dans le cas d’un système énergétique renouvelable à presque 100 %, le gaz serait nécessaire lors des pointes de consommation. Ces émissions non fossiles peuvent être réduites mais pas complètement. Il est possible d’avoir des émissions négatives, mais la seule « technologie » aujourd’hui disponible est celle de la reforestation et ne peut contribuer à abaisser les émissions que de 2 GtCO2 par an. La capture du carbone et son stockage sont également un moyen de conserver l’usage des fossiles à la condition qu’elle fonctionne et que l’on dispose de suffisamment de capacité de stockage (une fois la capacité de stockage épuisée, le problème subsiste).

Le principe de « responsabilité commune mais différenciée » conduirait les pays développés à s’appliquer la contrainte plus rapidement (disons aux alentours de 2050). Certains voient dans cette perspective l’explication de la baisse du prix du pétrole. Puisque toutes les ressources fossiles ne seront pas brulées, seules celles qui le seront d’ici à 2050 valent quelque chose et ce prix est inférieur à celui qui découle d’une demande toujours croissante. L’Arabie saoudite a donc intérêt à produire davantage plutôt que de garder des réserves sans valeur. Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du Conseil de la stabilité financière a ainsi évoqué les « stranded reserves », de la même façon qu’une centrale au charbon est un « stranded asset », soit un actif bloqué que l’on est obligé de déprécier prématurément.

La fin du pétrole et du charbon n’est plus seulement une lubie de quelques activistes verts. Cela rejoint d’ailleurs les appels persistants et presque convergents de nombreux économistes à un prix du carbone. Un prix élevé et croissant du carbone obligerait en effet les agents économiques à désinvestir dans le capital qui émet du carbone, voire à déprécier prématurément celui qui est installé. Lorsqu’un prix du carbone élevé est réclamé (disons entre 50 et 100€/tCO2, le prix du carbone augmentant dans le temps et au fur à mesure que le budget carbone s’épuise), c’est pour qu’il envoie un fort signal-prix aux agents économiques et que la conséquence d’un tel prix soit la réduction des émissions jusqu’au point compatible avec un climat restant en deçà de +2°C par rapport à l’époque préindustrielle.  C’est donc, de leur point de vue, équivalent de dire « le prix du carbone doit être de 50€/tCO2 et plus » que de dire « il faut tout faire pour que l’on cesse d’utiliser le charbon et le pétrole dans le prochain demi-siècle ». Le prix du carbone nous donne d’ailleurs une précieuse information sur le coût de cette transition. Il sera de l’ordre de (quelques) 1 000 milliards d’euros par an (à l’échelle de l’économie mondiale). Proposer un prix c’est également proposer le principe pollueur-payeur (les émetteurs de carbone doivent payer), bien qu’il ne soit pas clair de savoir à qui les pollueurs doivent payer. C’est tout le débat sur le fonds vert et la justice climatique qui est au centre de la COP21.

Il serait dommage de se focaliser sur le prix du carbone et d’en faire l’enjeu central de la COP21. L’économie zéro carbone est notre avenir et nous n’aurons pas d’excuse si nous continuons à brûler les combustibles fossiles. Oscar Wilde ne disait-il pas : « Aujourd’hui les gens connaissent le prix de tout et la valeur de rien » ?

 

 




Investir dans l’économie zéro carbone pour échapper à la stagnation séculaire

par Xavier Timbeau

Ce que les révisions à la baisse des différentes prévisions (FMI, OCDE, OFCE) présentées en ce début d’automne 2015 nous disent sur la zone euro n’est pas très réconfortant. Une reprise est en cours, mais elle est à la fois poussive et fragile (voir : « Une reprise si fragile »). Or le taux de chômage de la zone euro est encore très élevé (presque 11 % de la population active au deuxième trimestre) et une reprise poussive signifie une baisse si lente (0,6 point par an) qu’il faudra plus de 7 années pour revenir au niveau de 2007. Dans l’intervalle, la politique monétaire non-conventionnelle de la Banque centrale européenne peine à ré-ancrer les anticipations d’inflation. L’annonce du Quantitative Easing en début d’année 2015 avait fait remonter l’inflation à 5 ans dans 5 ans[1], mais depuis le mois de juillet 2015 le soufflé est à nouveau retombé et les anticipations à moyen terme sont de 0,8 % par an, en deçà de la cible de la BCE (2 % par an). L’inflation sous-jacente s’installe dans un territoire bas (0,9 % par an) et le risque est élevé que la zone euro se bloque dans une situation d’inflation basse ou de déflation, ressemblant étrangement à ce qu’a connu le Japon du milieu des années 1990 à aujourd’hui. Peu d’inflation n’est pas une bonne nouvelle parce qu’elle est enclenchée par un chômage élevé et des salaires nominaux encore moins dynamiques. Résultat, les salaires réels progressent moins vite que la productivité. Peu ou pas d’inflation, c’est à la fois des taux d’intérêt réels qui restent élevés, qui renchérissent les dettes et paralysent l’investissement, mais c’est aussi une politique monétaire non-conventionnelle qui bloque la capacité de valoriser les risques et qui perd peu à peu sa crédibilité à maintenir la stabilité des prix, à savoir tenir l’inflation dans la cible annoncée. Mario Draghi l’avait annoncé en août 2014 au symposium de Jackson Hole, face à un chômage persistant, la politique monétaire ne peut pas tout. Il faut des réformes structurelles (que peut dire d’autre un banquier central ?) mais il faut aussi une politique de demande. Ne pas le faire c’est courir le risque de la stagnation séculaire, formulée par Hansen à la fin des années 1930 et remise au goût du jour très récemment par Larry Summers.

Pourtant, les opportunités d’investissements ne manquent pas en Europe. Les engagements à la COP21, bien que timides, supposent de réduire les émissions de CO2 (équivalent) par tête de 9 tonnes à 6 tonnes en 15 ans et demanderont une sérieuse accélération pour que l’anomalie de température globale ne dépasse pas 2°C. D’ici à 35 ans, c’est en pratique la fin de l’utilisation du pétrole et du charbon (ou le développement à grande échelle de la capture et du stockage du carbone) qu’il faut viser. Pour y arriver, un volume massif d’investissements est nécessaire (estimé à plus de 260 milliards d’euros  (soit presque 2 % du PIB) par an d’ici à 2050 dans la Energy Road Map de la Commission européenne). La rentabilité sociale de ces investissements est considérable (puisqu’elle permet d’éviter la catastrophe climatique et qu’elle permet de tenir les engagements de l’UE vis-à-vis des autres pays de la planète) mais, et c’est bien le problème de notre reprise poussive, leur rentabilité privée est basse, les incertitudes sur la demande future et une coordination défectueuse peuvent faire vaciller les esprits animaux de nos entrepreneurs. La stagnation séculaire découle en effet d’une profitabilité trop basse des investissements, une fois pris en compte les taux réels anticipés et les risques d’une dépression encore plus grave. Pour sortir de ce piège, il faut que les rendements sociaux des investissements dans une économie zéro carbone soient une évidence pour tous et en particulier coïncident avec des rendements privés. Les outils pour ce  faire sont nombreux. On peut utiliser un prix du carbone et des marchés d’échange des droits à émettre, on peut utiliser une taxe carbone, on peut valoriser des certificats pour des investissements nouveaux (à supposer que l’on sache assurer qu’ils réduisent les émissions de CO2 par rapport à un contrefactuel opposable) ou imposer des normes (si elles sont respectées !). La difficulté de la transition et de l’acceptation d’un changement de prix relatif douloureux peut être accompagnée par des mesures de compensation (qui ont un coût budgétaire, voir le chapitre 4 de l’iAGS 2015, mais qui font partie du package de stimulation). On peut aussi vouloir mobiliser la politique monétaire pour amplifier le stimulus (voir cette proposition de Michel Aglietta et Etienne Espagne). La mise en œuvre d’une telle artillerie pour réduire les émissions et relancer l’économie européenne n’a rien de simple et oblige à tordre le cadre institutionnel. Mais c’est le prix à payer pour éviter de sombrer dans une interminable stagnation qui, par les inégalités et l’appauvrissement qu’elle engendrerait, briserait certainement le projet européen.

Ce texte a été publié sur Alterecoplus le 22 octobre 2015

 


[1] L’inflation à 5 ans dans 5 ans est un indicateur parmi d’autres des anticipations d’inflation, très suivi par les banques centrales. Il résulte du prix de marché d’un contrat d’échange (un swap) contingent à la réalisation de l’inflation future.




COP 21 : la nécessité du compromis

Par Aurélien Saussay

La Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) a rendu publique, mardi 6 octobre 2015, une version préliminaire du projet d’accord qui formera la base des négociations lors de la Conférence de Paris en décembre prochain. Six ans après l’accord de Copenhague, présenté comme un échec, le secrétariat français met tout en œuvre pour assurer le succès de la COP 21 – au prix d’un certain nombre de compromis. Si elle réduit l’ambition du texte, la stratégie des « petits pas » permet seule d’arriver à un accord.

Le projet renonce à l’approche contraignante, où les contributions de chaque pays étaient négociées simultanément, pour la remplacer par un appel aux contributions volontaires, où chaque pays s’engage séparément. Cet abandon était nécessaire : le protocole de Kyoto, pour ambitieux qu’il fût, n’a jamais été ratifié par les Etats-Unis, principal émetteur mondial de carbone à l’époque – et la tentative d’élaborer son successeur sur le même modèle s’est soldé par une absence d’accord à Copenhague.

Les engagements, ou Contributions Prévues Déterminées au Niveau National (INDC), se répartissent en trois grandes catégories : la réduction des émissions par rapport au niveau d’une année donnée – généralement utilisée par les pays développés –, la réduction de l’intensité en émissions du PIB (la quantité de GES émise pour chaque unité de PIB produite), et enfin la réduction relative des émissions par rapport à un scénario de référence, dit « business-as-usual », qui représente la trajectoire projetée des émissions en l’absence de mesures spécifiques.

La plupart des pays émergents ont choisi d’exprimer leurs objectifs en intensité (Chine et Inde en particulier) ou en relatif à une trajectoire de référence (Brésil, Mexique et Indonésie notamment). Ce type de définition présente l’avantage de ne pas pénaliser leur développement économique – au prix certes d’une incertitude sur le niveau de l’objectif visé : si la croissance économique est supérieure aux projections retenues, l’objectif pourrait être rempli tout en obtenant une réduction des émissions plus faible qu’attendue. Par ailleurs, une partie de l’objectif est souvent indexée sur la disponibilité de financements et de transferts de technologie en provenance des pays développés – une condition à nouveau parfaitement légitime. Par sa contribution à la juste répartition des efforts entre pays développés, émetteurs de longues date, et pays au développement plus récent, la pluralité des objectifs est une source essentielle de compromis.

En ce qui concerne le niveau des cibles d’émissions visées à l’horizon 2030, si certaines sont triviales – on notera le cas de l’Australie qui propose d’augmenter ses émissions par rapport au niveau de 1990 – beaucoup impliquent une accélération des efforts en cours. Pour respecter ses engagements, l’Europe devra ainsi réduire ses émissions deux fois plus vite de 2020 à 2030 par rapport à la décennie précédente, les Etats-Unis une fois et demi ; la Chine devra réduire son intensité carbone trois fois plus rapidement qu’elle ne l’a fait ces cinq dernières années, l’Inde deux fois et demi.

A titre indicatif, si les INDCs rendues publiques à ce jour étaient pleinement réalisées, le réchauffement atteindrait, d’après le consortium de recherche Climate Action Tracker[1], 2,7°C au‑dessus des températures préindustrielles à la fin du siècle. Ce simple calcul doit toutefois être relativisé, puisqu’il est prévu que les engagements soient révisés tous les cinq ans et qu’il ne soit possible que de les durcir. Ce mécanisme de négociations itérées doit permettre progressivement de se rapprocher de l’objectif, toujours officiellement affiché, des 2°C.

Pour être efficace, la réalisation des engagements doit en outre être vérifiée et faire l’objet d’un suivi indépendant. Sur ce plan, si des lignes directrices sont mises en avant dans la version actuelle du projet d’accord, les négociations finales devront préciser les dispositions retenues. En l’absence d’un mécanisme de vérification efficace, les réévaluations successives des engagements pourraient se muer en une partie de poker menteur mondiale, et desservir au final la lutte contre le changement climatique.

Par ailleurs, l’existence d’engagements relativement ambitieux ne doit surtout pas retarder la mise en place de nécessaires mesures d’adaptation, qui font pour l’heure l’objet d’un unique article du projet provisoire, sans référence aux moyens financiers qui y seront consacrés. C’est l’une des principales faiblesses du projet, avec la question du financement –  le Fonds Vert pour le Climat, qui devait être doté de 100 milliards de dollars dès 2010 et n’a levé que 10,2 milliards à ce jour, y est à peine mentionné.

En tournant la page de Copenhague, le projet d’accord de Paris peut constituer un grand pas en avant pour la préservation du climat. Il résulte d’un changement de méthode et d’une série de compromis qui, s’ils réduisent son ambition, sont absolument nécessaires à son existence même. Une plus grande exigence quant aux objectifs du texte pourrait conduire à l’échec des négociations, et serait autrement plus dommageable. Dans sa version actuelle, le projet d’accord fournit une base robuste pour la coordination future des efforts contre le changement climatique.

 


[1] Consortium des organismes de recherches suivant : Climate Analytics, Ecofys, NewClimate Institute, Postdam Institute for Climate Impact Research




La justice climatique, sésame de la COP 21

par Eloi Laurent

Les négociations climatiques ne peuvent pas se limiter à une discussion technique entre experts sur la foi de données scientifiques : elles doivent prendre la forme d’un dialogue politique ouvert nourri par une réflexion éthique qui implique les citoyens. Sur quoi doit porter ce dialogue ? Alors que la COP 21 s’ouvre dans deux mois à Paris, il apparaît de plus en plus clairement que la clé d’un possible accord n’est pas l’efficacité économique mais la justice sociale. La « croissance verte » est une ambition du siècle passé qui n’a qu’un faible pouvoir mobilisateur dans un monde rongé par les injustices. Il importe bien plutôt de souligner le potentiel d’égalité d’une action résolue contre le changement climatique, au plan national et global.

Trois enjeux permettent de comprendre que la justice sociale se trouve au cœur des négociations climatiques. Le premier tient au choix des critères de répartition du budget carbone entre les pays en vue d’atténuer le changement climatique (environ 1 200 milliards de tonnes de carbone qu’il nous reste à émettre dans les trois à quatre prochaines décennie pour limiter la hausse des températures terrestres autour de 2 degrés d’ici à la fin du 21e siècle). Divers indicateurs peuvent être utilisés à la fois pour estimer ce budget carbone et pour le répartir équitablement entre les pays, et ces indicateurs doivent être débattus, mais on ne pourra pas, en tout état de cause, faire l’impasse sur cet enjeu à Paris. On peut montrer que l’application d’un critère hybride, mais relativement simple de justice climatique, aboutit à diviser par presque deux les émissions mondiales dans les trois prochaines décennies, ce qui permet de garantir l’objectif des 2 degrés et même de viser une hausse des températures proche de 1,5 degré, renforçant ainsi le caractère juste de cette règle commune à l’égard des pays et des groupes sociaux les plus vulnérables.

Le deuxième enjeu est celui de l’adaptation au changement climatique, c’est-à-dire à la fois l’exposition et la sensibilité différenciée, selon les pays et les groupes sociaux, à l’égard des phénomènes climatiques extrêmes et la hausse des températures planétaires. Il importe ici aussi de choisir des indicateurs pertinents de vulnérabilité climatique pour répartir justement les financements disponibles (qui devront être portés à 100 milliards de dollars par an dès 2020). Mais, il sera très difficile de mobiliser les sommes nécessaires sans faire évoluer les négociations climatiques de la logique quantitative actuelle vers une logique de prix (version anglaise ici).

Enfin, le combat contre les inégalités apparaît comme le moyen le plus efficace d’impliquer les citoyens dans le dialogue climatique. La lutte contre le changement climatique doit être comprise non pas comme une menace sociale ou une opportunité de profit mais comme un levier d’égalité : une chance de réduire les disparités de développement humain entre les pays et au sein des pays.

Le cas de la Chine montre comment la contrainte de la réduction des émissions de CO2 peut se transformer en instrument de réduction des inégalités : la limitation de la consommation de charbon réduit, simultanément, les émissions de gaz à effet de serre du pays et les dégâts des particules fines sur la santé des Chinois, ceux-ci étant répartis de manière très inégale sur le territoire et donc au sein de la population. Il en va de même de la souhaitable régulation du trafic automobile dans les zones urbaines françaises, qui représenterait à la fois un gain sanitaire et une réduction des émissions liées à la mobilité. Ce double dividende climat-santé (réduire les émissions afin de contenir le réchauffement a un effet indirect, l’amélioration de la santé) doit donc être mis au cœur des négociations de Paris. La lutte contre le changement climatique est une chance de réduire des inégalités qui s’annoncent ravageuses : en croisant la carte « sociale » et la carte « climatique », nous pouvons ainsi prévoir que l’impact des canicules sera le plus fort dans les régions où l’exposition climatique est importante et où la part des personnes âgées isolées est élevée. Le risque climatique est un risque social-écologique. L’inégalité face à ce risque est une inégalité environnementale. La COP 21 n’a pas pour but de « sauver la planète » et encore moins de « sauver la croissance » mais de « sauver notre santé » en protégeant les plus vulnérables du pire de la crise climatique.