La reconstruction japonaise contrainte par la situation dégradée des finances publiques

par Bruno Ducoudré

A la suite du tremblement de terre qui a frappé le Japon en mars 2011, le gouvernement a évalué le coût du sinistre à 16,9 trillions de yens (3,6 points de PIB). Ce choc exogène nécessite en réponse un déficit structurel qui entre en contradiction avec la volonté du gouvernement de mettre en œuvre une politique d’austérité budgétaire afin de réduire ce déficit. Ces besoins de financement additionnels arrivent donc au plus mauvais moment, en pleine crise économique, débutée en 2008, qui s’est accompagnée d’une forte dégradation de la situation des finances publiques rendue nécessaire pour soutenir l’activité.

Sur le front de la croissance, l’année 2011 fut difficile pour le Japon, après un rebond de 4,4% du PIB en 2010 suivant une chute du PIB de 5,5% en 2009. Alors que l’économie avait retrouvé le chemin de la croissance au 3e trimestre 2011 (+1,9% de croissance du PIB en variation trimestrielle) après deux trimestres de baisse du PIB, en fin d’année les inondations en Thaïlande ont à nouveau rompu les chaînes d’approvisionnement des entreprises japonaises, et l’économie a vacillé (croissance nulle au 4e trimestre et -0,7% de croissance pour l’année 2011). En 2012 débute la période de reconstruction.

Dès l’année fiscale 2011, quatre budgets additionnels ont été votés pour un montant total de 3,9 points de PIB afin principalement de faire face aux dépenses d’urgence (pour 1,3 point de PIB) et préparer la reconstruction (pour 2,3 points de PIB). Les services de l’Etat ont estimé le budget total de celle-ci à 23 trillions de yens (4,8 points de PIB). La reconstruction s’étalera sur les dix prochaines années, le principal de l’effort étant concentré sur la période 2012-2016. Le gouvernement a décidé d’allouer 0,8 point de PIB à la reconstruction pour l’année fiscale 2012, financé aux trois-quarts par l’endettement (tableau).

Contrairement à ce qui était attendu, les plans successifs votés en 2011 ne se sont pas rapidement traduits par une forte hausse de la dépense publique : la consommation publique a cru de 2,1% en 2011, soit autant qu’en 2010 et moins qu’en 2009, et l’investissement public s’est contracté de 3,1% en 2011. Les dépenses de reconstruction se sont pour partie substituées à d’autres dépenses. De plus une partie des budgets votés a aussi été mise de côté et commence donc tout juste à être dépensée. Les commandes publiques de travaux de construction ont augmenté de 20% au 4e trimestre 2011 en glissement annuel, et les travaux publics en cours ont fortement progressé en fin d’année. Ainsi, les dépenses additionnelles liées à la reconstruction qui sont déjà votées s’étaleront pour partie sur les prochains trimestres mais aussi au-delà de l’année fiscale 2012.

De fait, la situation budgétaire japonaise apparaît précaire. Ces dépenses nécessaires à la reconstruction des régions dévastées ont été décidées dans un contexte de forts niveaux de déficit et de dette publique liés à la crise. Le déficit budgétaire s’est en effet fortement dégradé depuis le début de la crise, passant de 2,2% du PIB en 2008 à 8,1% en 2010, tandis que la dette progressait de 31,2 points de PIB depuis 2007, pour atteindre 199% du PIB en 2010. En 2011, le déficit public s’est encore creusé, à 9,3% du PIB principalement sous l’effet de la hausse de la charge de la dette, de la hausse des dépenses de sécurité sociale et de la baisse du PIB en 2011. Le gouvernement a donc annoncé qu’une partie des plans serait financée par des restrictions dans d’autres postes de dépenses, des surplus de rentrées fiscales liés à l’amélioration de l’activité en 2010, et par des réserves accumulées sur les budgets passés (pour un quart des budgets dédiés à la reconstruction sur 2011-2012).

A court terme, le gouvernement a néanmoins choisi de privilégier la croissance à la consolidation budgétaire. Nous prévoyons ainsi une impulsion budgétaire de 0,4 point de PIB en 2012 et de 0,5 point de PIB en 2013, et l’économie japonaise devrait croître de 1,9% en 2012 et de 1,5% en 2013 en moyenne annuelle (voir « Japon : le temps de la reconstruction » dans notre dossier de prévision). Dans ces conditions, le déficit budgétaire serait stable à 9,2% du PIB en 2012, et se dégraderait à 9,8% du PIB en 2013.

En revanche, au-delà de 2013, l’incertitude sur les orientations de politique économique du gouvernement demeure. Dans sa stratégie fiscale de moyen terme, décidée en 2010, le gouvernement japonais avait pour objectif de diviser par deux le déficit primaire des administrations centrale et locales à l’horizon 2015 par rapport à celui atteint en 2010 (6,4% du PIB), et d’atteindre l’équilibre à l’horizon 2020. D’après nos calculs, équilibrer le solde structurel primaire impliquerait la mise en œuvre d’une politique de consolidation budgétaire importante, de l’ordre de 1,1 point de PIB par an d’impulsion budgétaire négative à partir de 2014, à un rythme néanmoins plus lent que les politiques de consolidation prévues en zone euro en 2012-2013 (voir « Qui sème la restriction récolte la récession » dans notre dossier de prévision) A cette fin, une hausse de 5 points de la taxe à la consommation doit être débattue lors de la session courante de la Diète, le parlement japonais, session qui s’achèvera en juin. Cette hausse interviendrait en deux temps et rapporterait 2,5 points de PIB de rentrées fiscales. D’après les dernières projections à moyen terme du gouvernement japonais, elle ne suffirait pas à respecter ces objectifs (graphique 1). De plus, les moyens d’atteindre l’équilibre d’ici 2020 n’ont pas été précisés et le gouvernement n’a pas indiqué de quelle façon serait remboursée la dette contractée pour financer la reconstruction. Enfin, étant donné la progression continue de la dette publique, la charge d’intérêt, faible actuellement (1,8 point de PIB en 2011), pèsera à l’avenir de plus en plus sur les finances de l’Etat. Cela accroîtra les difficultés du gouvernement à mettre en œuvre tout ajustement budgétaire ayant pour objectif de stabiliser le ratio de dette publique rapporté au PIB à l’horizon 2020 et de le faire décroître par la suite.

Cependant, une consolidation budgétaire brutale n’apparaît pas nécessaire, le Japon empruntant à des taux d’intérêt bas (0,86% lors de la dernière émission d’obligations à 10 ans). Par ailleurs, la part de la dette détenue par les non-résidents reste faible – elle s’élevait à 6,7% au 4e trimestre 2011 – et l’épargne abondante des ménages japonais, ainsi que le programme d’achats de titres de la Banque centrale du Japon, limitent considérablement les risques d’une crise de dette souveraine telles que celles rencontrées en zone euro.

Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012, disponible sur le site de l’OFCE.




Les infortunes de la vertu*

par Christophe Blot

* Ce texte résume les perspectives 2012-2013 pour l’économie de la zone euro, réalisées par le Département analyse et prévision et disponibles sur le site internet de l’OFCE

La zone euro est toujours en crise : crise économique, crise sociale et crise budgétaire. Le recul du PIB de 0,3 % au quatrième trimestre 2011 rappelle que le mouvement de reprise initié après le grand plongeon de 2008-2009 est fragile et que la zone euro a fait le premier pas vers une récession qui se confirmerait dès le début de l’année 2012.

La baisse du taux d’intérêt public moyen de la zone euro à long terme observée depuis le début de l’année s’est interrompue. Après avoir atteint 3,25 % le 9 mars, il de nouveau augmenté en raison des nouvelles tensions apparues sur les taux italien et espagnol. En effet, malgré l’accord signé pour éviter un défaut de paiement de la Grèce, de nouvelles inquiétudes sont cette fois-ci venues de l’Espagne après l’annonce que le déficit budgétaire avait atteint 8,5 % en 2011 – soit 2,5 points de plus que l’objectif initialement fixé –, et la déclaration que les engagements pour 2012 ne seraient pas tenus, ce qui a renforcé les doutes sur la soutenabilité de la dette. La situation espagnole illustre le lien étroit entre la crise macroéconomique et la crise des dettes souveraines qui frappent l’ensemble de la zone euro. La mise en œuvre des plans d’ajustement budgétaire en Europe, dont l’impact est amplifié par la forte interdépendance des économies, provoque le ralentissement, voire la récession dans les différents pays de la zone euro. Cet impact des restrictions synchronisées est pourtant sous-estimé si bien que les gouvernements se voient assignés des objectifs souvent difficiles à tenir, sauf à accepter une récession toujours plus forte. Les tensions ne manqueront pas de se répéter en 2012 tant que la zone euro continuera à s’enfermer dans une stratégie d’austérité synchronisée qui condamne la reprise de l’activité et la baisse du chômage. Le taux d’intérêt public à long terme de la zone euro devrait rester supérieur à ceux des Etats-Unis et du Royaume-Uni (graphique) bien que le déficit budgétaire moyen de la zone euro soit nettement inférieur en 2011 à celui de ces deux pays : 3,6 % contre respectivement 9,7 % aux Etats-Unis et 8,3 % au Royaume-Uni.

Pour sortir de cette spirale récessive, les pays de la zone euro doivent reconnaître que la réduction des déficits budgétaires ne passe pas uniquement par l’austérité. La croissance et le niveau des taux d’intérêt sont deux autres facteurs tout aussi importants pour assurer la soutenabilité de la dette publique. Il est donc urgent de définir une autre stratégie, moins coûteuse en termes de croissance et d’emploi, ce qui serait la seule garantie contre le risque d’éclatement de la zone euro. Premièrement, l’austérité généralisée doit être abandonnée. Le principal problème de la zone euro n’est pas la dette mais la croissance et le chômage. Ensuite, la solidarité doit être renforcée afin de freiner la spéculation sur la dette des pays les plus fragiles. La coordination des politiques budgétaires des Etats membres doit être améliorée afin d’atténuer les effets indirects des restrictions des uns sur la croissance des autres[1]. Il faut d’une part étaler dans le temps la consolidation lorsque celle-ci est nécessaire pour assurer la soutenabilité de la dette. D’autre part, les pays disposant de marges de manœuvre budgétaires doivent engager des politiques budgétaires plus expansionnistes. Enfin, l’action de la BCE devrait être amplifiée et coordonnée avec celles des gouvernements de la zone euro. Elle seule dispose des moyens pour ancrer les taux d’intérêt de court terme et de long terme à un niveau suffisamment bas, ce qui permettrait à la fois de soutenir la croissance et de favoriser le refinancement des déficits budgétaires. En deux opérations de refinancement exceptionnel, la BCE a en effet alloué plus de 1 000 milliards d’euros de refinancement aux banques de la zone euro. Cet apport de liquidité était indispensable pour répondre aux difficultés des banques à trouver des financements de marché. Il témoigne également des capacités d’action des autorités monétaires. Le portefeuille de titres de dette publique de la BCE s’élevait fin mars 2012 à 214 milliards, soit 2,3 % du PIB de la zone euro. A titre de comparaison, aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni, les banques centrales détiennent un portefeuille de titres publics supérieur à 10 % de leur PIB. Les marges de manœuvre de la BCE pour réduire la prime de risque sur le taux d’intérêt de la zone euro en acquérant des titres publics sur les marchés secondaires sont donc importantes. De telles mesures permettraient de garantir la soutenabilité de la dette à long terme à un moindre coût.

 


[1] Voir « Qui sème la restriction récolte la récession », Notes de l’OFCE n° 16, mars 2012.




Equilibrer le solde public doit-il être l’objectif central de la politique économique ?

par Henri Sterdyniak

La crise financière de 2007-2012 a provoqué une forte hausse des déficits et dettes publics puisque les États ont dû intervenir pour sauver les systèmes financiers, pour soutenir l’activité et surtout ont enregistré une forte baisse de leurs recettes fiscales en raison de la chute du PIB. Début 2012, alors qu’ils sont loin d’être rétablis des effets de la crise (qui leur a coûté en moyenne 8 points d’activité par rapport à la tendance d’avant-crise), ils sont confrontés à un choix délicat : faut-il continuer à soutenir l’activité ou tout faire pour réduire les dettes et les déficits publics ?

Une note détaillée développe neuf points d’analyse :

– La croissance des dettes et des déficits n’est pas une spécificité française ; elle a eu lieu dans tous les pays développés.

– Les administrations publiques françaises sont certes endettées mais elles possèdent aussi des actifs physiques. Globalement, la richesse nette des administrations représentait 26,7 % du PIB fin 2010, soit 8 000 euros par Français.  Par ailleurs, il faut considérer l’ensemble de la richesse nationale (actifs physiques moins endettement à l’étranger) : le nouveau-né français est riche en moyenne, à sa naissance, de 202 000 euros (la richesse nationale divisée par le nombre d’habitants).

– En 2010, la charge nette de la dette était de 2,3 % du PIB ; soit un taux d’intérêt moyen sur la dette de 3,0 %, nettement en dessous du taux de croissance nominal potentiel. A ce niveau, le vrai coût de la dette, c’est-à-dire l’excédent primaire nécessaire pour stabiliser la dette, est nul, voire légèrement négatif.

– La vraie « règle d’or » des finances publiques stipule qu’il est légitime de financer les investissements publics par l’endettement public. Le déficit structurel doit donc être égal à l’investissement public net. Cette règle autorise pour la France un déficit de l’ordre de 2,4 % du PIB. Il n’y a aucune raison de fixer une norme d’équilibre des finances publiques. L’État n’est pas un ménage. Immortel, il peut avoir une dette en permanence ; il n’a pas à la rembourser mais seulement à garantir qu’il pourra toujours en servir la charge.

– Le déficit public est nocif pour les générations futures quand il s’agit d’un déficit déséquilibrant provoqué par des hausses excessives de dépenses publiques ou des baisses excessives des impôts ; il provoque alors une hausse de l’inflation et des taux d’intérêt et nuit à l’investissement et à la croissance. Ce n’est pas le cas du déficit actuel ; celui-ci est un déficit de régulation, nécessaire pour soutenir l’activité, en situation de bas taux d’intérêt, en raison d’un fort taux d’épargne des ménages et d’un refus des entreprises d’investir davantage.

– Pour certains, les 8 points de PIB perdus pendant la crise sont perdus à tout jamais ; il faut se résigner à un chômage durablement élevé, celui-ci étant structurel. Comme l’objectif doit être d’équilibrer le solde public structurel, la France doit encore faire un effort important de l’ordre de 4 points de PIB de son déficit public. Pour nous, le déficit soutenable est de l’ordre de 2,4 points de PIB. Le déficit structurel de 2011 est déjà en dessous de ce chiffre. C’est la croissance qui doit permettre de résorber le déficit conjoncturel. Il n’est pas nécessaire de faire d’effort budgétaire supplémentaire.

– Le 9 décembre 2011, les pays de la zone euro se sont accordés sur un nouveau Pacte budgétaire : le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance de l’UEM. Ce pacte contraindrait fortement les politiques budgétaires à l’avenir. Le déficit structurel de chaque pays membre devra être inférieur à 0,5% du PIB. Un mécanisme de correction automatique devra se déclencher si le déficit est excessif. Cette contrainte et ce mécanisme devront obligatoirement être intégrés de façon contraignante et permanente dans les procédures budgétaires de chaque pays. Les pays dont la dette dépasse 60 % du PIB devront faire diminuer leur ratio de dette d’au moins un vingtième par an de l’écart avec 60 %.

Ce projet est dangereux sur le plan économique. Il impose des objectifs de moyen terme (un solde budgétaire équilibré, une dette revenant en dessous de 60 % du PIB) qui sont arbitraires et ne sont pas compatibles a priori avec les nécessités de l’équilibre économique. De même, il impose une politique budgétaire incompatible avec les nécessités de la régulation conjoncturelle. Il interdit toute politique budgétaire discrétionnaire. Il prive les gouvernements de tout instrument de politique budgétaire.

– Si la croissance des dettes et des déficits publics dans les pays développés a été la réponse au creusement des déséquilibres mondiaux, on ne peut réduire les dettes et les déficits sans s’attaquer aux causes de ces déséquilibres. Sinon, la mise en œuvre simultanée de politiques budgétaires restrictives dans l’ensemble des pays de l’OCDE se traduira par une stagnation de la production, une baisse des recettes fiscales, une dégradation des ratios d’endettement sans parvenir à rassurer les marchés financiers.

– Une économie mondiale plus équilibrée nécessiterait des pays excédentaires qu’ils basent leur croissance sur leur demande intérieure et que leurs capitaux prennent le risque de l’investissement direct. Dans les pays anglo-saxons, de plus fortes progressions des revenus salariaux et sociaux comme la réduction des inégalités de revenus rendraient moins nécessaire le gonflement des bulles financières, des dettes des ménages et des dettes publiques. La zone euro a besoin de retrouver les 8 points de PIB perdus du fait de la crise. Au lieu de se polariser sur les soldes publics, les instances européennes devraient présenter une stratégie de sortie de crise, basée sur la reprise de la demande, tout particulièrement sur les investissements préparant la transition écologique. Cette stratégie doit comporter le maintien de bas taux d’intérêt et des déficits publics tant qu’ils seront nécessaires pour soutenir l’activité.

 




Fallait-il renforcer le Pacte de stabilité et de croissance ?

par Jérôme Creel, Paul Hubert et Francesco Saraceno

 

La crise budgétaire européenne et l’exigence de réduire les niveaux de dette publique qui a suivie ont accéléré l’adoption d’une série de réformes des règles budgétaires européennes à la fin de l’année 2011. Deux règles ont été introduites afin de renforcer le pacte de stabilité et de croissance (PSC). Etant donné que de nombreux Etats membres de la zone euro ont des déficits structurels et des dettes publiques supérieurs aux seuils considérés, il nous a semblé intéressant d’évaluer les conséquences macroéconomiques du respect de ces règles budgétaires par 4 pays, dont la France. 

La limite actuelle de déficit public à 3% du PIB a été complétée par une limite sur le déficit structurel équivalant à 0,5% du PIB, et par une règle de réduction de la dette imposant aux pays fortement endettés de réduire chaque année leur taux d’endettement public d’1/20e de la différence vis-à-vis du niveau de référence de 60% du PIB. De plus, la limite de déficit structurel va au-delà de la règle des 3% car elle est associée à l’obligation d’incorporer une règle de budget équilibré et des mécanismes automatiques de retour à l’équilibre budgétaire dans la Constitution de chaque Etat membre de la zone euro. Par un malheureux abus de langage, elle est désormais souvent qualifiée de « règle d’or » [1]. Afin de distinguer la « règle d’or des finances publiques » appliquée par les régions françaises, les Länder allemands et, de 1997 à 2009, par le Royaume-Uni, nous qualifierons par la suite cette « règle de budget équilibré » de  « nouvelle règle d’or ».

Du fait de la crise financière internationale qui sévit depuis 2007, les Etats de la zone euro sont souvent loin de satisfaire aux exigences des nouvelles règles en vigueur. Cela pose donc la question des conséquences que le respect de ces règles imposerait à ces Etats.  Pour ce faire, nous avons choisi d’étudier les trajectoires de convergence aux différentes règles de quatre pays, représentatifs de la zone euro, à l’aide d’un modèle théorique standard.

Nous avons choisi un grand pays avec un niveau moyen d’endettement public (France), un petit pays avec une dette un peu plus élevée (Belgique), un grand pays avec une dette élevée (Italie) et un petit pays avec une dette comparativement assez faible (Pays-Bas). La taille des pays, grande ou petite, est associée à la taille de leur multiplicateur budgétaire, l’effet des dépenses publiques sur la croissance : les grands pays moins ouverts que les petits pays au commerce international ont un effet multiplicateur plus important que les petits pays. Les quatre pays diffèrent également en fonction de la taille et du signe de leur solde primaire structurel en 2010 : la France et les Pays-Bas ont un déficit, alors que la Belgique et l’Italie dégagent un excédent.

Dans le modèle, l’évolution du déficit public est contracyclique et l’impact d’une hausse du déficit public sur le PIB est positif, mais un endettement excessif augmente la prime de risque sur les taux d’intérêt de long terme payés pour financer cette dette, ce qui nuit in fine à l’efficacité de la politique budgétaire.

Les règles que nous simulons sont : (a) l’équilibre (à 0,5% du PIB) du budget ou «nouvelle règle d’or» ; (b) la règle de 5% par an de réduction de la dette ; (c) le plafond de 3% de déficit total (statu quo). Nous évaluons également : (d) l’effet de l’adoption d’une règle d’investissement dans la veine de la règle d’or des finances publiques qui, de façon générale, impose l’équilibre budgétaire au cours du cycle pour les dépenses courantes, tout en permettant de financer l’investissement public par la dette.

Nous simulons sur 20 ans, i.e. l’horizon de réalisation de la règle du 1/20e, l’effet des règles sur la croissance, le taux d’inflation et le déficit public structurel, ainsi que sur le niveau de la dette publique. Premièrement, nous analysons le chemin suivi par les quatre économies après l’adoption de chaque règle budgétaire à partir de 2010. Nous demandons, en d’autres termes, comment les règles fonctionnent dans un scénario de consolidation budgétaire que l’Europe connaît d’ores et déjà aujourd’hui. Deuxièmement, nous simulons la dynamique de l’économie après un choc de demande et un choc d’offre, partant de la situation de base du Traité de Maastricht, avec l’économie à un taux de croissance nominal de 5% (une croissance potentielle à 3% et un taux d’inflation de 2%), et un niveau d’endettement de 60%. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que la croissance potentielle réelle dans les pays de la zone euro a été constamment inférieure à 3% depuis 1992, ce qui a contribué à rendre encore plus contraignante qu’initialement prévu la règle coercitive pesant sur les finances publiques.

Les résultats de nos simulations sont multiples. Premièrement, l’adoption des règles produit dans tous les cas une récession à court terme, même dans les petits pays avec un multiplicateur budgétaire faible et une faible dette publique initiale comme aux Pays-Bas. Cela complète le diagnostic selon lequel la rigueur généralisée en Europe nuit immanquablement à la croissance (cf. La très grande récession, 2011) en montrant qu’il n’existe pas de règle budgétaire qui, appliquée scrupuleusement à court terme, permet d’échapper à une récession. Cette constatation révèle une incitation, de la part des gouvernants, à dissocier les usages de jure et de facto des règles budgétaires : les annonces ont tout intérêt à ne pas être suivies d’effets, si l’objectif final de la politique économique est la préservation et la stabilité de la croissance économique.

Deuxièmement, les récessions peuvent engendrer la déflation. En vertu de la contrainte à zéro pesant sur les taux d’intérêt nominaux, une déflation est très difficile à inverser avec une contrainte budgétaire.

Troisièmement, la règle d’investissement aboutit à de meilleures performances macroéconomiques que les trois autres règles : les récessions sont plus courtes, moins prononcées et aussi moins inflationnistes sur l’horizon considéré. In fine, les niveaux de dette publique diminuent certes moins qu’avec la règle du 1/20e mais, sous l’effet de la croissance engendrée, la dette publique française perd 10 points de PIB par rapport à son niveau de 2010, tandis que les dettes belges et italiennes diminuent respectivement de 30 et 50 points de PIB. Seul le pays initialement le moins endetté, les Pays-Bas, voit sa dette stagner.

Quatrièmement, en faisant abstraction de la règle d’investissement qui ne figure pas dans les projets européens, il apparaît que le statu quo est plus favorable que la « nouvelle règle d’or » ou que la règle de réduction de la dette en termes de croissance ; il s’avère cependant plus inflationniste pour les grands pays. En termes de croissance, cela semble signifier que le renforcement du Pacte de stabilité et de croissance, appliqué brutalement, serait préjudiciable aux 4 économies considérées.

Cinquièmement, lorsque l’économie à l’équilibre est frappée par des chocs de demande et d’offre, le statu quo semble approprié. Ceci confirme l’idée que le PSC actuel donne des marges de manœuvre budgétaire. Les simulations montrent néanmoins que le statu quo reste coûteux en comparaison avec la règle de l’investissement.

Pour conclure, il est difficile de ne pas remarquer un paradoxe : des règles visant à empêcher les gouvernements d’intervenir dans l’économie sont discutées précisément après la crise financière mondiale qui a requis des gouvernements qu’ils interviennent afin de contribuer à amortir les chocs découlant de défaillances de marché. Ce travail vise ainsi à réorienter le débat de l’objectif de  stabilisation budgétaire à celui de stabilisation macroéconomique. Les autorités européennes – les gouvernements, la BCE, ou la Commission – semblent considérer la dette et le déficit publics comme des objectifs politiques en soi, plutôt que comme des instruments pour atteindre les objectifs finaux de croissance et d’inflation. Ce renversement des objectifs et des instruments équivaut à nier a priori tout rôle à la politique macroéconomique. De nombreux travaux [2], dont celui que nous avons mené, adoptent plutôt la position opposée : la politique économique joue certainement un rôle dans la stabilisation des économies.

 

 

[1] Cet abus de langage a notamment été dénoncé par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak en 2011, ou par Bernard Schwengler en 2012.

[2] Voir par exemple, en anglais, l’étude transversale parue en 2012 dans American Economic Journal, Macroeconomics, et la bibliographie qu’elle contient, ou, en français, l’étude parue en 2011 de Creel, Heyer et Plane, sur les effets multiplicateurs de politiques temporaires de relance budgétaire.

 

 




L’homme qui valait au mieux 35 milliards

par Henri Sterdyniak

Sarkozy a coûté 500 milliards à la France. Tel est le point central du livre : « Un quinquennat de 500 milliards d’euros » de Mélanie Delattre et Emmanuel Levy. Selon ces auteurs, l’accroissement de la dette de la France de 632 milliards d’euros entre fin 2006 et fin 2011 ne s’expliquerait que pour 109 milliards par la crise ; 523 milliards seraient le prix du quinquennat de Nicolas Sarkozy, dont 370 milliards viendraient d’une mauvaise gestion passée non corrigée et 153 milliards de décisions dispendieuses prises durant le quinquennat. Faut-il prendre ces chiffres au sérieux ?

Commençons par une comparaison internationale. De fin 2006 à fin 2011, la dette de la France a augmenté de 21,4 points de PIB ; celle de la zone euro de 21,5 points, celle du Royaume-Uni de 40,6 points, celle des Etats-Unis de 29,2 points. Il n’y a aucune spécificité française, aucun effet Sarkozy ; la dette de la France a augmenté comme la moyenne de celle de la zone euro, c’est-à-dire de 500 milliards d’euros qui représentent 20 points de PIB. Peut-on soutenir que sans Sarkozy la dette publique de la France aurait été stable en pourcentage du PIB alors qu’elle augmente sans lui partout ailleurs ?

En fait, selon le dernier rapport économique du gouvernement, de fin 2006 à fin 2012, la dette publique française augmenterait de 620 milliards d’euros. Cette hausse peut être décomposée  ainsi : 275 milliards proviennent des intérêts versés, 310 milliards proviennent de la crise économique, 30 milliards des politiques de relance mises en œuvre en 2009-2010, 60 milliards des politiques de baisse d’impôts; mais en sens inverse les politiques de restriction des dépenses publiques (baisse du nombre de fonctionnaires, non-revalorisation de leur salaire, gestion rigoureuse des prestations sociales, etc.) ont permis d’économiser 55 milliards. La responsabilité de Sarkozy est donc fortement réduite, au mieux de 35 milliards d’euros.

Le point délicat est la mesure de l’impact de la crise. Pour l’évaluer, il faut mesurer l’écart entre le PIB tel qu’il a évolué et le PIB tel qu’il aurait évolué sans la crise. Pour nous, sans la crise, le PIB aurait continué sa croissance à un taux de l’ordre de 2 % par an. Avec cette estimation, la perte de production due à la crise était en 2009 de 6,8 %, ce qui aurait provoqué une perte de recettes fiscales de 4,4 % du PIB.  Les auteurs reprennent une estimation de la Cour des comptes, qui elle-même, provient d’une évaluation de la Commission européenne : la perte de production due à la crise n’aurait été en 2009 que de 2,8 % et la perte de recettes fiscales n’aurait été que de 1,4 %. Selon ce calcul, la part du déficit causé par la crise est  relativement faible. Mais celui-ci suppose que le PIB structurel a subi en 2007-2009 un recul de 4% par rapport à sa tendance. Pourquoi cela ? Comment ne serait-ce pas lié à la crise ? Selon le calcul de la Cour des comptes, ce recul du PIB structurel a provoqué une forte hausse de notre déficit structurel que les auteurs mettent sur le compte de Nicolas Sarkozy. Est-ce légitime ?  Selon la logique de la Commission, ces 4 % sont perdus à jamais ; il faut s’y résigner et s’ajuster en baissant le déficit public. A notre avis, il vaut mieux les récupérer en menant des politiques expansionnistes.

En 2006, l’année précédant l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, le déficit public était de 2,3 %, entièrement structurel. Ce déficit était normal puisqu’il permettait la stabilité de la dette à 60 % du PIB et correspondait au montant des investissements publics. En 2012, le déficit devrait être de 4,5 % du PIB, mais le déficit conjoncturel est de 4,3 % du PIB, le déficit structurel n’est plus que de 0,2 % du PIB. Au total, de 2006 à 2012, Nicolas Sarkozy aura augmenté le taux des prélèvements obligatoires de 0,7 point (car les fortes hausses de 2011-12 font plus que compenser les baisses de début de période) et baissé la part des dépenses publiques dans le PIB potentiel de 1,2 point.

Surtout, durant toute cette période, la France était en crise, en déficit de demande. Une politique budgétaire expansionniste était nécessaire pour éviter l’effondrement économique. Peut-on reprocher à Nicolas Sarkozy les 30 milliards d’euros qu’a coûtés le plan de relance ? Peut-on lui reprocher de n’avoir pas fait une politique budgétaire restrictive pour « corriger la mauvaise gestion du passé » ?  Non, ce que l’on peut mettre en cause, ce sont des baisses d’impôts peu utiles pour la croissance (droits de succession, bouclier fiscal, heures supplémentaires) et des baisses de certaines dépenses publiques (diminution des effectifs dans les écoles et les hôpitaux, par exemple), dépenses sans doute nécessaires.




Plus rien ne s’oppose à la nuit

par Xavier Timbeau

Le 7 novembre 2011, le gouvernement a  annoncé un plan de restriction budgétaire qui prend acte d’un « ralentissement de la croissance mondiale ». Il  fait suite à la révision fin octobre 2011 du scénario de croissance utilisé dans le projet de loi de finance 2012, présenté fin septembre aux assemblées. Au lieu d’anticiper 1,75 % de croissance annuelle du PIB en 2012, l’hypothèse retenue aujourd’hui est de 1 %. La logique semble claire : face à des vents mauvais, soumis à un objectif de réduction des déficits publics (4,5 % du PIB en 2012 après 5,2 % en 2011) le gouvernement réagit rapidement en amendant sa stratégie de finances publiques afin d’éviter le scénario catastrophe que l’Italie est en train de vivre. La crise des dettes souveraines européennes impose de conserver la confiance des marchés financiers.

Une combinaison de hausse de l’imposition et de restriction de dépenses devrait réduire ex ante le déficit public de 7 milliards d’euros en 2012 qui s’ajoutent à ceux annoncés en août 2011, 10,4 milliards d’euros en 2012, soit au total 17,4 milliards d’euros (0,9 % du PIB). L’impulsion (i.e. la variation du déficit public primaire structurel) serait en 2012 de -1,5 % du PIB en 2012 après avoir été de -1,4 % en 2011, ce qui constitue un effort sans précédent dans l’histoire budgétaire de la France.

Tout pousse à se résigner à cette logique météorologique et ménagère de la conduite de la politique économique. La croissance nous fait défaut, il faut être moins prodigue et réduire le train de vie de l’Etat et des administrations publiques. Mais, ce faisant on s’enferme dans une spirale récessive particulièrement dangereuse. La réduction de la croissance par rapport aux estimations initiales ne tombe pas du ciel. Elle résulte d’abord de la restriction budgétaire déjà engagée en 2011. C’est le jeu du multiplicateur budgétaire qui impose sa logique, au moins à court terme. Une restriction budgétaire amoindrit la croissance du PIB, dans une proportion égale au multiplicateur budgétaire. C’est pourquoi le scénario de croissance à 1 % était parfaitement prévisible (et aurait dû être intégré dans le projet de loi de finance 2012, voir la prévision de l’OFCE). On retient habituellement un multiplicateur budgétaire à un an de l’ordre de 0,7 (qui varie cependant selon les mesures prises) parce que la France est une « petite » économie ouverte (voir nos analyses ou les travaux du FMI).

Dans une situation de trappe à liquidité et de cycle bas, le multiplicateur budgétaire peut être plus élevé, mais c’est en limitant l’analyse à une petite économie que l’on commet l’erreur la plus grave. Au niveau de la zone euro ou de l’Union européenne, le multiplicateur budgétaire n’est plus celui d’une « petite » économie ouverte (0,7), mais celui d’une grande économie « peu » ouverte (supérieur à 1). Or tous, ou presque tous les pays de l’Union européenne s’engagent dans des plans de restriction budgétaire, suivant la même logique imparable de la rigueur ; ainsi lorsqu’on fait le bilan de ces politiques à l’échelle européenne et non plus nationale, on comprend pourquoi la croissance en Europe sera faible voire négative. En effet, comme empêché par des œillères, chaque pays européen constate que son scénario de croissance ne se réalisera pas et rajoute de la restriction à la restriction. Mais, lorsque le multiplicateur est élevé, la réduction du déficit public est très inférieure à sa baisse ex ante, du fait d’une croissance économique moins forte : en Europe, pour un multiplicateur budgétaire de 1,3, un point de réduction des déficits ex ante induit une réduction ex post de 1/3 point du déficit public. Une autre manière de le dire : pour tenir un objectif donné de déficit, il faut  faire un effort trois fois plus important que ce que l’arithmétique simple indique.

Après le plan de rigueur supplémentaire de novembre  2011, on peut s’attendre à ce qu’il y en ait d’autres. Pour tenir les engagements des gouvernements européens annoncés aujourd’hui, il faudra une récession en Europe en 2012. Tant que l’on fixera comme objectif des réductions de déficit public, tant que l’on « oubliera » les effets sur la croissance et donc sur les déficits publics de ces restrictions, on ira de mauvaises nouvelles en mauvaises nouvelles. En continuant de se référer aux rares exemples de restrictions qui ont fonctionné – le Canada ou  les pays scandinaves des années 1990 –, on se trompe radicalement de diagnostic : l’Union européenne est une grande économie peu ouverte ; une dévaluation compétitive ne viendra pas compenser les restrictions budgétaires ; la politique monétaire ne stimulera pas suffisamment l’économie pour éviter le pire. La politique macroéconomique ne se conduit pas régionalement, mais globalement.

Sans croissance, les dettes publiques paraîtront insoutenables à des marchés financiers qui sont à la fois juges et victimes de l’insécurité des dettes publiques. Pourtant, les pays européens s’engagent dans une phase sans précédent de contrôle de ses finances publiques (avec succès, comme l’attestent les impulsions négatives en 2011, réalisées et celles annoncées pour 2012). De plus, l’Europe est dans une situation budgétaire globale préférable à celle des autres pays développés, ce qui donne à cette crise des dettes souveraines un parfum de renoncement catastrophique. L’alternative est de relâcher la pression des marchés sur le financement des Etats européens en  franchissant le pas de la solidarité européenne sur les dettes publiques. Cette solidarité pourrait être garantie par la Banque centrale européenne ou n’importe quelle institution ad hoc. Au final, il faudrait « monétiser » les obligations souveraines lorsque cela est nécessaire, sans limite, afin que chacun soit sûr que jamais un titre public ne fera défaut. Alors, la stratégie budgétaire de retour à l’équilibre pourrait être conduite avec un objectif de moyen terme, et non plus de court terme et on pourrait espérer sortir d’une récession, dont pour l’instant on ne voit pas la fin.