De la difficulté de mener des réformes structurelles en période de chômage élevé

par Sabine Le Bayon, Mathieu Plane, Christine Rifflart, Raul Sampognaro

Les réformes structurelles visant à flexibiliser le marché du travail sont souvent parées de toutes les vertus pour lutter contre le chômage de masse et limiter la segmentation du marché du travail entre ceux qui y sont intégrés dans des contrats stables (insiders) et ceux qui sont au chômage ou en contrat précaire (outsiders). Si, dans une économie en croissance, ces mesures peuvent faciliter les créations d’emplois au profit des outsiders, les résultats à en attendre peuvent être plus incertains en situation de chômage de masse et de croissance atone. En effet, les réformes structurelles peuvent réduire la dualité du marché du travail liées aux mesures réglementaires mais elles ne peuvent combattre  la dualité du marché du travail inhérente au capital humain qui se renforce en période de chômage de masse : à qualification égale, c’est l’expérience qui fait la différence, et à expérience égale, c’est la qualification qui fait la différence. Le chômage élevé renforcerait donc le phénomène de « file d’attente » pour accéder aux emplois plus stables. Ainsi, les réformes structurelles visant à fluidifier le marché du travail affecteront prioritairement les salariés qui ont les qualifications et l’expérience les moins élevées sans pour autant permettre aux outsiders d’accéder à une situation professionnelle plus stable. De ce fait, une hausse des inégalités entre les actifs est à attendre, sans effet positif sur l’emploi du fait de la faiblesse de l’activité économique. Seul un pilotage macroéconomique intégrant l’objectif du retour au plein-emploi pourrait rendre les réformes structurelles performantes

Comme nous le montrons dans l’étude spéciale « La dévaluation par les salaires dans la zone euro : un ajustement perdant-perdant » (Revue de l’OFCE, n° 136, novembre 2014), la segmentation sur le marché du travail s’est accrue au cours de la crise malgré la mise en place de réformes structurelles dans les pays de la zone euro. Ainsi, depuis 2008, le taux d’emploi[1] des seniors et des plus qualifiés a mieux résisté que celui des autres catégories de population dans les quatre plus grands pays de la zone euro (graphiques 1 et 2).

La forte baisse du taux d’emploi des jeunes depuis 2008 est générale – y compris en Allemagne, pays où le marché de l’emploi est resté dynamique – et contraste avec la hausse du taux d’emploi des seniors (ou leur faible baisse en Espagne). L’écart entre ces deux catégories est compris entre 12 points de pourcentage en France et 21 points en Italie (15 points en Allemagne et 19 en Espagne). L’ajustement du taux d’emploi des 25-54 ans se situe dans une position intermédiaire. La résistance du taux d’emploi des seniors à la crise résulte probablement de la combinaison de deux causes : les réformes des systèmes de retraite introduites au cours des dernières années (allongement des durées de cotisation et/ou recul de l’âge légal de départ en retraite) et le coût relativement plus élevé de licenciement des seniors qui, le plus souvent, occupent des positions hiérarchiques plus élevées. Dans un contexte de crise, il est fort probable que cela ait engendré un effet de substitution de l’emploi des seniors au détriment des plus jeunes.

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Les ajustements des taux d’emploi ont été aussi plus marqués pour les populations sans diplôme du secondaire, à l’exception de l’Italie où le diplôme ne semble pas protéger du chômage ou de l’inactivité. En France, l’ajustement des taux d’emploi a clairement été décroissant avec le type de diplôme. En Allemagne, le taux d’emploi des moins diplômés a baissé pendant la crise alors que celui des autres catégories a augmenté. En Espagne, les diplômés du supérieur ont un taux d’emploi qui résiste mieux que les autres catégories de population. A ces évolutions différentes des taux d’emploi par catégorie de diplôme, s’ajoute le fait que les revenus salariaux en Italie, Espagne et France n’ont baissé que pour les premiers déciles de revenus salariaux. L’ajustement sur les revenus salariaux des premiers déciles s’est opéré vraisemblablement par une réduction de la durée du travail sur l’année (temps partiel, contrats temporaires de plus courte durée ou phases de chômage plus longues entre deux contrats, réduisant la rémunération moyenne sur l’année). Ainsi, dans les pays les plus touchés par la crise, les populations les plus fragiles, présentant le capital humain le plus faible, se sont retrouvées les plus exposées à la dégradation du marché du travail, que ce soit par la baisse des taux d’emploi ou la réduction des rémunérations salariales annuelles.

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Dans un contexte de marché du travail dégradé, en acceptant un faible déclassement, ce serait d’abord le chômeur le plus qualifié qui retrouverait un emploi, chassant celui qui aurait pu l’avoir, qui lui-même, ferait la même chose à un échelon inférieur. Ceci pourrait expliquer qu’en bout de file, les moins qualifiés soient, quelle que soit la législation du travail, victimes du chômage ou de précarité dans l’emploi.

Ainsi, l’existence d’une segmentation « spontanée » sur le marché de l’emploi et d’un phénomène de « file d’attente » peut limiter la réussite d’une stratégie de réformes structurelles et de dévaluation salariale. Dans ce cas, une plus grande flexibilité du marché du travail conjuguée à une réduction de la protection sociale pourrait accroître les inégalités entre les catégories d’actifs sans augmenter les créations d’emplois en équivalent temps plein.

 


[1] Il s’agit du ratio : emploi/population en âge de travailler.




La jeunesse, génération sacrifiée ?

par Guillaume Allègre

La jeunesse serait-elle sacrifiée par la génération des baby-boomers ? Dans cette note de l’OFCE, nous faisons le point sur les inégalités entre âges et générations et montrons comment la thèse du conflit de génération s’appuie sur une analyse partiale de la situation des jeunes qui occulte les avantages dont bénéficie au moins une partie de la jeunesse. Loin de la spoliation des jeunes par les baby-boomers, c’est à la transmission intergénérationnelle des inégalités, via le diplôme scolaire et les solidarités familiales, que l’on assiste.

La jeunesse fait face à des conditions d’insertion dans la vie active dégradées : le taux de chômage des 16-25 ans est passé de 9,7 % en 1976 à 17,9 % en 2007 pour atteindre 22,1 % en 2009. Cette montée du chômage s’est accompagnée d’un développement important de l’emploi temporaire, entraînant des écarts de salaires entre les jeunes et les moins jeunes nettement plus importants que dans les années 1970. La forte augmentation du prix des logements depuis 1998 s’est faite au détriment des non-propriétaires et donc des générations les plus jeunes. Alors que la montée en charge du système de retraites a permis la forte diminution du taux de pauvreté des plus de 60 ans, la pauvreté a rajeuni : en 2008 le taux de pauvreté des 18-29 ans s’élevait à 16,7 % contre 13 % pour l’ensemble de la population et 8 % pour les 60 à 74 ans.

Pourtant, si le constat d’une ‘génération sacrifiée’ part de faits avérés, l’approche consistant à évaluer ces phénomènes exclusivement sous le prisme de l’âge ou de la génération est trompeuse. En effet, l’approche générationnelle masque les inégalités au sein des générations. Les difficultés liées à l’entrée dans la vie active ne sont en effet pas partagées par l’ensemble des jeunes. Clerc et al. (2011) montrent que les non-diplômés sont particulièrement exposés à la conjoncture lors de leur entrée sur le marché du travail, alors que les diplômés accèdent toujours rapidement à l’emploi stable. Ce constat corrobore celui fait par le Cereq. Or, diplôme et origine sociale restent liés. Le logement constitue une autre voie de la transmission intergénérationnelle des inégalités : à terme, les gains liés à l’augmentation des prix de l’immobilier seront transmis aux enfants. Dès aujourd’hui, on peut constater une forte augmentation de l’écart d’accès à la propriété entre catégories sociales. Outre les aides liées à l’accès au logement, les jeunes issus des familles les plus aisées bénéficient de fortes solidarités familiales. Loin de la spoliation des jeunes par les baby-boomers, c’est bien à la transmission intergénérationnelle des inégalités, via le diplôme scolaire et les solidarités familiales, que l’on assiste.

Les politiques s’appuyant sur un diagnostic purement générationnel risquent de rater leur cible. Une CSG allégée pour les jeunes bénéficierait à ceux qui s’en sortent déjà alors que l’alourdissement de la CSG sur les pensions de retraite toucherait les petits retraités et les locataires autant que les bénéficiaires de retraites-chapeau et les propriétaires. Les retraités sont plus aisés que les jeunes actifs : la taxation progressive des revenus réduirait cette inégalité sans en créer une autre. Ils sont plus souvent propriétaires que les plus jeunes : il faut alors imposer les revenus du patrimoine qui échappent à l’impôt, les plus-values immobilières réelles et la valeur locative des logements occupés par leurs propriétaires (ou, à l’inverse, permettre aux locataires de déduire leur loyer de leur  revenu imposable et augmenter pour tous le barème de l’impôt sur le revenu). Les non-diplômés s’insèrent difficilement sur le marché du travail : c’est aux sorties sans diplôme du système scolaire et au chômage des non-diplômés qu’il faut prioritairement s’attaquer.