Que nous apprennent les données macro-sectorielles sur les premiers effets du CICE ? Evaluation pour la période 2014-2015t2

Par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite de la remise du Rapport Gallois sur le Pacte de compétitivité pour l’industrie française, le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) a été instauré par la loi du 29 décembre 2012. Il s’agit d’un crédit d’impôt qui permet à une entreprise de déduire de son impôt sur les bénéfices une somme égale à 6 % des salaires bruts (hors cotisations sociales patronales) versés aux salariés dont la rémunération est inférieure ou égale à 2,5 fois le SMIC.

Dans une étude que nous venons de publier (Document de travail OFCE, n° 2015-29), nous utilisons l’information contenue dans les comptes nationaux trimestriels jusqu’au deuxième trimestre 2015 pour 16 branches de l’économie française afin d’obtenir une première analyse des effets du CICE sur l’économie.

Les premiers résultats indiquent que le CICE contribuerait depuis sa mise en place à deux effets significatifs concernant les salaires et l’emploi. Les branches ayant reçu le plus de CICE ont vu une augmentation relative de leurs salaires et davantage de créations ou de sauvegardes d’emplois. Nous trouvons également un effet relatif négatif sur les prix de valeur ajoutée (effet compétitivité-coût) mais cet effet nous semble plus fragile à ce stade, car il nécessite pour être significatif d’exclure trois branches de l’estimation (secteur non marchand, services à la personne, services immobiliers).

Ainsi, selon les résultats de nos estimations sur les 16 branches, pour un montant de CICE équivalent à 1% de la masse salariale, l’emploi d’une branche relativement aux autres branches augmenterait de 0,5% et les salaires augmenteraient de 0,7%. Enfin, à partir des résultats des estimations réalisées simultanément, nous pouvons quantifier ces effets relatifs interbranches, qui seraient de 1,1% pour les salaires et de 120 000 pour l’emploi (création ou sauvegarde).

Mais attention, ces effets relatifs ne doivent pas être interprétés comme un impact macroéconomique global du CICE. Plus précisément, la méthode d’évaluation ne permet ni de déterminer les effets macroéconomiques à moyen et long terme du CICE, ni de donner une répartition précise de son affectation entre hausse des salaires et de l’emploi, baisse des prix et restauration des marges des entreprises. En effet, cette méthode ne prend pas en compte l’ensemble des canaux de diffusion du CICE sur l’économie. Or ceux-ci sont de plusieurs ordres : la baisse des prix de valeur ajoutée dans une branche peut se répercuter sur d’autres branches utilisatrices ; les effets positifs du CICE à attendre sur l’activité peuvent se traduire par un surcroît d’emplois et de salaires non mesuré ici (effet de bouclage macroéconomique) ; à contrario, les effets négatifs du financement du CICE via une hausse des impôts et une moindre progression de la dépense publique peuvent peser sur l’activité, l’emploi, les salaires et les prix (effet de financement de la mesure). Plus généralement, l’ensemble des travaux portant sur des données par branche ou microéconomiques ne sera pas à même d’évaluer les effets macroéconomiques du CICE.

Une prochaine étape consistera à intégrer ces élasticités estimées par branche dans des simulations réalisées à l’aide d’un modèle macro-sectoriel de façon à prendre en compte les effets du bouclage macroéconomique, des interdépendances sectorielles et du financement de la mesure. En utilisant le modèle multisectoriel d’équilibre général dynamique ThreeME développé à l’OFCE, et qui intègre notamment des effets tels que ceux du commerce extérieur ou les relations interbranches, il sera possible de présenter les effets macroéconomiques ex post du CICE sur l’emploi, les salaires et les prix, mais aussi sur l’activité économique, les taux de marge, l’investissement et le commerce extérieur.

 

 




Les 20 milliards d’euros d’allégements de cotisations patronales sur les bas-salaires créent-ils des emplois ?

par Eric Heyer et  Mathieu Plane

Chaque année, l’Etat consacre près d’1 point de PIB, soit 20 milliards d’euros, aux allégements généraux de cotisations patronales sur les bas salaires. La question de l’efficacité d’un tel dispositif est légitime. Un grand nombre de travaux empiriques ont été réalisés pour tenter d’évaluer l’impact de cette mesure sur l’emploi et concluent à des créations comprises entre 400 000 et 800 000.

Effectuées à l’aide de maquettes sectorielles, ces évaluations ne prennent pas en compte l’ensemble des effets induits par une politique de baisse de cotisations sur les bas salaires et notamment les effets de bouclage macroéconomique, id est effet de revenu, de gains de compétitivité et de financement de la mesure.

Dans une étude récente publiée dans la Revue de l’OFCE (Varia, n° 126, 2012) nous avons tenté de compléter ces évaluations en prenant en compte correctement l’ensemble des effets induits par une politique de baisse de cotisations sur les bas salaires. Pour ce faire nous avons réalisé la simulation de cette mesure à l’aide du modèle macroéconométrique de l’OFCE, emod.fr.

Nous avons alors pu décomposer les différents effets attendus de ces allégements sur l’emploi en deux grandes catégories :

  1. l’ « effet de substitution » global qui se décompose entre la substitution capital/travail macroéconomique auquel s’ajoute l’effet « assiette » lié au ciblage de la mesure sur les bas salaires ;
  2. l’ « effet  volume » qui se décompose entre la hausse de la demande domestique liée à la baisse des prix et la hausse de la masse salariale, les gains de compétitivité en raison de l’amélioration des parts de marché en interne et en externe et l’effet négatif du financement de la mesure, que ce soit par la hausse des prélèvements obligatoires (PO) ou la réduction de la dépense publique.

Selon notre évaluation, résumé dans le tableau 1, les exonérations de cotisations sociales patronales sur les bas salaires permettent de créer 50 000 emplois la première année et environ 500 000 au bout de cinq ans. Sur les 503 000 emplois attendus à cinq ans, 337 000 seraient dus à l’effet de substitution global dont 107 000 seraient liés à la substitution capital/travail macroéconomique et 230 000 à l’ « effet d’assiette » en raison de la forte baisse du coût du travail sur les bas salaires. A cela s’ajoutent 82 000 emplois générés par le supplément de revenu domestique et 84 000 par les gains de compétitivité et la contribution positive du commerce extérieur à la variation du PIB. En revanche, l’ « effet  volume » sur l’emploi devient négatif si l’on finance la mesure ex post : la hausse d’un mix représentatif de la structure de la fiscalité réduit l’effet global de la mesure de 176 000 emplois à 5 ans ; la baisse d’un mix représentatif de la structure de la dépense publique diminue l’emploi de 250 000 à 5 ans.

Une partie des emplois créés provient des gains de compétitivité liés aux gains des parts de marché sur nos partenaires commerciaux en raison de la baisse des prix de production conséquente de la réduction du coût du travail. Ce mécanisme de compétitivité-prix fonctionne d’une part si les entreprises répercutent les baisses de cotisation sociales dans leurs prix de production et si nos partenaires commerciaux acceptent de perdre des parts de marché sans réagir. Nous avons donc simulé un cas polaire dans lequel nous supposons que nos partenaires commerciaux réagissaient à ce type de politique en mettant en place des dispositifs similaires, ce qui annulerait nos gains sur l’extérieur.

Si cela ne modifie pas l’impact sur l’emploi lié à l’ « effet de substitution », en revanche cette hypothèse modifie l’ « effet volume » de la mesure, supprimant 84 000 emplois liés aux gains de parts de marché et augmentant l’effet négatif du financement ex post en raison d’un multiplicateur du dispositif sur l’activité plus faible. Au total, dans le schéma dans lequel la mesure est financée ex post et ne permet pas de gains de compétitivité, les exonérations de cotisations sociales patronales sur les bas salaires créeraient entre 69 000 et 176 000 emplois au bout de cinq ans selon le mode de financement retenu (tableau 2). Ce résultat conduit à relativiser largement le chiffrage initial de  500 000 emplois créés à terme.