Pétrole : du carbone pour la croissance

Par Céline Antonin, Bruno Ducoudré, Hervé Péléraux, Christine Rifflart, Aurélien Saussay

Ce texte renvoie à l’étude spéciale du même nom qui accompagne les Perspectives 2015-2016 pour la zone euro et reste du monde

La chute du prix du Brent de 50 % entre l’été 2014 et janvier 2015 et son maintien à un bas niveau au cours des mois suivants est une bonne nouvelle pour les économies importatrices de pétrole. Dans un contexte de faible croissance, ces évolutions se traduisent par un transfert de richesse au bénéfice des pays importateurs nets via la balance commerciale, ce qui stimule la croissance et alimente la reprise. La baisse du prix des produits pétroliers augmente le pouvoir d’achat des ménages, accélère la consommation et donc l’investissement, dans un contexte où les coûts de production des entreprises sont réduits. Les exportations sont plus dynamiques, le surcroît de demande en provenance des autres économies importatrices de pétrole étant supérieur au ralentissement enregistré du côté des économies exportatrices.

Cependant, cette baisse des prix n’est pas neutre pour l’environnement. En effet, un faible prix du pétrole réduit l’attractivité des modes de transport et de production pauvres en carbone et pourrait bien ralentir la transition énergétique ainsi que la nécessaire réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES).

Ce contre-choc pétrolier n’aura toutefois des effets favorables sur la croissance des pays importateurs nets de pétrole que s’il est durable. A l’horizon de 2016, l’excès d’offre sur le marché pétrolier, alimenté par le développement passé de la production de pétrole de schiste aux États-Unis et le laisser faire de l’OPEP, se tassera. La production de pétrole non-conventionnel aux Etats-Unis, dont la rentabilité n’est plus assurée en deçà de 60 dollars le baril, devra s’ajuster à la baisse des prix mais le repli, attendu à partir du deuxième semestre 2015, sera insuffisant pour ramener les cours vers leur niveau d’avant le choc. Le prix du pétrole Brent pourrait rester autour de 55 dollars le baril avant d’amorcer à la fin de l’année 2015 une remontée vers 65 dollars un an plus tard. Les prix devraient rester donc inférieurs aux niveaux de 2013-début 2014, et malgré la tendance haussière à prévoir, l’impact à court terme restera positif sur la croissance.

Pour mesurer l’impact de ce choc sur l’économie française, nous disposons de deux modèles macroéconométriques e-mod.fr et ThreeMe grâce auxquels nous réalisons différents exercices de simulations. Ces modèles nous permettent également d’évaluer l’impact macroéconomique et les transferts d’activité d’un secteur à un autre ainsi que l’impact environnemental d’une consommation accrue d’hydrocarbures. Les résultats sont présentés en détail dans l’étude spéciale. Il ressort qu’une baisse de 20 dollars du prix du pétrole entraîne, pour l’économie française, un surcroît de croissance de 0,2 point de PIB la première année et de 0,1 point de PIB la deuxième, mais  s’accompagne d’un coût environnemental non négligeable. Ainsi, au terme de 5 ans, cette baisse conduirait à un surcroît d’émissions de GES de 2,94 MtCO2, soit près d’1% du total des émissions françaises en 2013. Ce volume représente pour la France près de 4% de l’objectif européen de réduction des émissions de 20% par rapport à leur niveau de 1990.

En adaptant le modèle français e-mod.fr aux caractéristiques de consommation, d’importations et de production d’hydrocarbures, les simulations sont étendues aux grandes économies développées (Allemagne, Italie, Espagne, Etats-Unis et Royaume-Uni). A l’exception des États-Unis, l’impact positif du contre-choc pétrolier est significatif et assez proche pour tous les pays, l’Espagne étant celui qui en bénéficie un peu plus en raison d’une intensité pétrolière plus élevée. Au final, en considérant les variations passées et prévues des prix du pétrole (hors effet taux de change), le surcroît de croissance attendu en moyenne dans les grands pays de la zone euro serait de 0,6 point en 2015 et de 0,1 point en 2016. Aux Etats-Unis, les effets positifs sont en partie contrebalancés par la crise que traverse l’activité de production de pétrole non-conventionnel[1]. L’impact sur le PIB serait positif en 2015 (de 0,3 point) et négatif en 2016 (de 0,2 point). Il en ressort que si la baisse du prix du pétrole est bien un choc positif pour la croissance économique mondiale, cela n’est malheureusement pas le cas pour l’environnement…

 


[1] Voir le Post L’économie américaine à l’arrêt au premier trimestre : l’impact du pétrole de schiste, d’Aurélien Saussay, du 29 avril sur le site de l’OFCE.




L’économie américaine à l’arrêt au premier trimestre : l’impact du pétrole de schiste

par Aurélien Saussay (@aureliensaussay)

Le Bureau of Economic Analysis vient de livrer son estimation de la croissance américaine au premier trimestre 2015 : à 0,2% en rythme annualisé, ce chiffre est très en-deçà du consensus des principaux instituts américains qui s’accordaient sur une prévision légèrement supérieure à 1% – bien loin déjà des 3% encore espérés début mars.

S’il est encore trop tôt pour connaître les raisons exactes de ce coup d’arrêt, un facteur semble devoir émerger : aux États-Unis, la « révolution » du pétrole de schiste semble au bord de l’implosion.  La baisse brutale des cours du brut au deuxième semestre 2014 a provoqué un effondrement de l’activité extractive : le nombre de foreuses pétrolières en activité aux États-Unis a chuté de 56% de novembre 2014 à avril 2015, pour revenir à son niveau d’octobre 2010 (voir graphique). La rapidité de ce ralentissement souligne la fragilité du boom du pétrole de schiste, et sa dépendance à un prix du baril élevé.

 

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Compte tenu de la durée de vie très brève des puits de pétrole de schiste, inférieure à 2 ans, cette baisse brutale du rythme de forage devrait se traduire par une chute tout aussi rapide de la production dans les mois qui viennent : de fait, l’Agence pour l’Information sur l’Energie américaine (US. EIA) a prévu pour le mois de mai une diminution de la production de pétrole de schiste, pour la première fois depuis le début de leur exploitation en 2010.

Cette contraction rapide de l’industrie du pétrole de schiste pourrait avoir des conséquences significatives sur l’économie américaine. Son impact macroéconomique se décline en deux composantes principales : l’activité de forage et de complétion des puits, et les gains de balance commerciale réalisés grâce à la substitution d’une production domestique à du pétrole importé.

En 2013, le secteur de l’extraction d’hydrocarbures et de services miniers associés représentait 2,1% de l’économie américaine, contre 1,6% quatre ans plus tôt. Au premier ordre, la baisse du rythme de forage pourrait donc amputer la croissance américaine de 0,3 point de PIB. L’indicateur manufacturier de la FED illustre déjà ce repli : l’activité de l’industrie américaine y ressort en baisse de 1% en rythme annualisé au premier trimestre 2015, une première depuis le second trimestre 2009. Le secteur minier apparaît comme le premier contributeur à cette contraction, avec une chute d’activité de 4% au cours du trimestre.
Ce chiffre néglige toutefois l’effet d’entraînement du secteur sur le reste de l’économie – qui dépasse le seul impact sur les industries en amont : par exemple, dans les zones concernées, l’exploitation du pétrole de schiste s’est accompagnée d’un boom immobilier, rendu nécessaire par l’afflux de travailleurs sur les gisements. À titre d’illustration, le Texas et le Dakota du Nord, Etats qui concentrent 90% de la production totale de pétrole de schiste, ont contribué à plus de 23% de la croissance américaine de 2010 à 2013, quand ils ne représentaient que 8% de l’économie du pays en 2010. L’impact négatif de l’effondrement de l’industrie pétrolière pourrait donc être plus important que la seule taille du secteur pétrolier pourrait le laisser supposer.

L’augmentation de la production américaine de plus 4 millions de barils par jour a par ailleurs permis en 2014 une amélioration de la balance commerciale, pour une contribution de 0,7 point de croissance additionnel. Si la réduction du nombre de forages est suivie d’une baisse de la production équivalente dès le deuxième semestre, et que le prix du baril reste autour de 60 dollars, la production domestique américaine ne contribuerait plus qu’à hauteur de 0,2 point, soit 0,5 point de PIB de moins qu’en 2014.

Enfin, l’exploitation rapide des gisements de pétrole de schiste a principalement été le fait de producteurs dits indépendants, focalisés sur cette activité, et donc particulièrement vulnérables à la volatilité des cours internationaux. Cette exploitation étant très intensive en capital, les indépendants ont eu recours à la dette obligataire pour financer leurs opérations – pour un montant total de 285 milliards de dollars au 1er mars 2015, dont 119 milliards d’obligations à rendement élevé (high-yield)[1]. L’impact de la chute du prix du baril est particulièrement important sur ce dernier segment : la part des obligations  « junk  bonds » est passée de 1,6% en mars 2014 à 42% en mars 2015[2] – soit 50 milliards de dollars. Il est à noter que cette augmentation résulte principalement de la dégradation des obligations existantes, même si de nouvelles émissions obligataires y ont également contribué. Ce mouvement,  s’il se poursuit, pourrait conduire à une crise sur le segment high-yield du marché obligataire américain, ce qui viendrait dégrader les conditions de financement des entreprises américaines alors même que la Fed souhaite entamer cette année un resserrement de sa politique monétaire.

L’implosion de l’industrie du pétrole de schiste va constituer un test pour la solidité de la reprise aux Etats-Unis : si celle-ci s’avère plus fragile qu’anticipée, le choc du ralentissement brutal de l’exploitation du pétrole de schiste pourrait être suffisant pour ramener l’économie américaine à la quasi-stagnation en 2015.

 


[1] Yozzo & Carroll, 2015, « The New Energy Crisis: Too Much of a Good Thing (Debt, That Is) », American Bankruptcy Institute Journal.

[2] Source: Standard & Poor’s.




Qui des Etats-Unis ou de l’Union européenne sera le meilleur terrain de jeu fiscal des entreprises ?

par Sarah Guillou

En matière de concurrence fiscale, deux événements récents démontrent les divergences de vues américaine et européenne. Il y a tout d’abord l’affaire Boeing, société contre laquelle l’Union européenne (UE) a entrepris une demande de consultation auprès de l’OMC. L’UE conteste les aides fiscales offertes par l’Etat de Washington au constructeur aéronautique américain. Puis, il y a l’enquête de la Commission européenne à l’égard du Luxembourg au sujet des dispositions fiscales dont bénéficient Amazon, le groupe de distribution sur Internet. Boeing et Amazon sont des acteurs intensifs de la concurrence fiscale. Alors que celle-ci est largement répandue et admise aux Etats-Unis, elle est de plus en remise en question dans l’UE, voire exclue de droit, si elle est qualifiée d’aide publique illégale.

Dans l’affaire Boeing, l’UE a demandé en décembre 2014 une consultation à l’OMC au sujet des aides fiscales versées par l’Etat de Washington pour la fabrication du nouveau Boeing 777X. Ces aides s’élèveraient à 8,7 milliards de dollars pour assurer l’assemblage dans l’Etat. Mises en place en novembre 2013 par l’Etat de Washington, son gouverneur a décidé de les prolonger jusqu’en 2040 ! Les aides conditionnent la production à l’usage de produits locaux, autrement dit, le bénéfice des aides fiscales est lié « à des prescriptions relatives à la teneur en éléments locaux ». Or ces prescriptions sont contraires à l’Accord de l’OMC sur les subventions et mesures compensatoires. Nous ne discuterons pas ici de la plainte de l’UE dont on attend la réponse américaine, et qui s’inscrit dans un conflit récurrent entre Boeing et EADS concernant les aides publiques qu’ils reçoivent. Cette affaire offre cependant l’occasion de saisir l’intensité de la concurrence fiscale qui existe aux Etats-Unis entre les Etats.

Si les Etats-Unis ont, comme l’UE, le souci de la non-discrimination qui s’exprime dans la doctrine de la Clause de commerce de la Constitution américaine, en pratique, la jurisprudence, qui est un contrôle a posteriori, a du mal à donner une définition de la discrimination qui conduit à l’interdiction des réglementations discriminantes. Il s’ensuit que les Etats sont libres d’offrir des subventions ou des avantages fiscaux aux entreprises – toutes ou certaines – pour attirer les investissements et les emplois. Rappelons qu’en Europe, le contrôle des aides publiques se fait a priori et qu’il est totalement exclu que des aides puissent être accordées spécifiquement à des entreprises (voir Guillou, 2013, le blog). Aux Etats-Unis, Boeing est un acteur de premier plan de cette concurrence fiscale.

Un bureau d’études américain « goodjobsfirst », qui traque les aides et subventions accordées aux entreprises par les institutions publiques, a mis en évidence que 965 entreprises concentraient 75% de l’aide. C’est Boeing qui reçoit en valeur le plus d’aides. Elles proviennent principalement de deux Etats, l’Etat de Washington et l’Etat de Caroline du Sud, auxquelles s’ajoutent de nombreuses aides (130 contrats) en provenance de tous les Etats-Unis. Le cumul de toutes ces aides – révélées – se monte à 13 milliards de dollars. Boeing est un récipiendaire loin devant les autres entreprises, puisque Alcoa en deuxième position reçoit moins de la moitié (5,6 milliards de dollars). Une autre étude indique que 22 Etats se sont faits concurrence pour accueillir la fabrication du nouveau 777X Airliner. Boeing a finalement décidé de rester dans la région de Seattle et a accepté l’aide de l’Etat de Washington reposant sur un accord fiscal d’une durée de 16 ans estimé à plus de 8,7 milliards de dollars, l’aide la plus importante versée aux Etats-Unis. Le « lobbying » des entreprises aux Etats-Unis est bien plus important qu’en Europe et il explique une grande part de cette concurrence que se font les Etats pour attirer les entreprises. Les Etats-Unis se plaignent de la concurrence fiscale étrangère (notamment vis-à-vis de l’Irlande) mais l’acceptent totalement sur leur territoire. Cette position ne prévaut pas pour l’UE, bien évidemment, parce que l’Union n’est pas fiscalement intégrée.

En effet, en Europe, l’harmonisation fiscale n’est pas encore à l’ordre du jour. Mais la concurrence fiscale est de plus en plus en débat. Ce dernier n’est pas vain puisqu’il a poussé l’Irlande à renoncer à son système du « double Irish » qui permettait à certaines entreprises localisées en Irlande d’être imposées dans des paradis fiscaux. Depuis janvier 2015, un processus de retrait pour les entreprises bénéficiant de ce régime a été entamé. Si le maintien d’une fiscalité différenciée est admis en Europe, ce sont les excès de la concurrence fiscale qui la rendent intolérable dans le marché commun. Quand les stratégies d’optimisation fiscale des entreprises rencontrent les stratégies d’attraction des emplois et des investissements des Etats, l’ingéniosité des administrations fiscales constitue une menace pour le marché commun. Et le plus inquiétant est que se légalise un « contournement » de la règle fiscale commune.

Le contrôle européen des aides publiques est un puissant gardien de l’usage des deniers publics et de la non-discrimination au sein du marché européen. Ce contrôle pourrait bien devenir l’instrument de la lutte contre les « loopholes », ces failles dans le système fiscal qui entraînent des pertes notables de ressources publiques. Ce qui est reproché au Luxembourg est attaché à son système de rescrit fiscal  (ou « tax rulings »). Le rescrit fiscal est une procédure de négociation d’un Etat avec une entreprise de son futur statut fiscal. Qualifié de « commercialisation de la souveraineté étatique », cette procédure est très répandue au Luxembourg et a été mise au jour par une enquête journalistique récente publiée en novembre 2014 (Le Monde) qui montre que le Luxembourg n’est pas le seul pays à procéder à ces « tax rulings ».

Le Luxembourg attire un grand nombre d’entreprises multinationales qui choisissent d’y localiser leur siège européen en conséquence d’une optimisation fiscale. C’est le pays de l’UE pour lequel le rapport entre le PNB (la production des nationaux) et le PIB (la production des résidents) est le plus faible : il est de 64% en 2013 contre un peu plus de 100% pour la France et pour l’Allemagne. Autrement dit, le Luxembourg perd plus d’un tiers du revenu national après versement des revenus aux entreprises étrangères résidentes (nets des revenus reçus). Cela révèle l’opportunisme fiscal des nombreuses entreprises multinationales qui y sont implantées et pour lesquelles le marché luxembourgeois n’est évidemment pas une cible.

Dans le cas d’espèce, le Luxembourg aurait accordé à Amazon une valorisation de ses prix de transfert, que la Commission européenne (CE) juge surestimés conduisant à sous-estimer la base imposable (voir la décision de la CE récemment rendue publique).

Les prix de transfert sont les prix des biens et services échangés entre filiales d’un même groupe. Ces échanges doivent théoriquement être valorisés au prix du marché, c’est-à-dire au prix qui serait payé par une entreprise qui ne serait pas une filiale du groupe. Les décisions sur ces prix peuvent modifier les montants des achats et des recettes et donc les profits des filiales. La logique des groupes est de minimiser les profits là où les taux d’imposition sont élevés et de les reporter là où les taux sont faibles. Ce sont moins les prix des marchandises qui sont manipulés que les prix des biens intangibles comme les brevets, les droits ou autre éléments de propriété intellectuelle (marques, logos, …). Les firmes multinationales qui sont détentrices de capital immatériel, comme le sont les géants de la Silicon Valley, sont les acteurs les plus actifs de cette manipulation.

Un moyen de prévenir ces manipulations de prix de transfert en Europe serait de rendre obligatoire le calcul d’une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés. C’est ce que propose le projet de directive ACCIS de 2011 toujours en discussion. L’arbitrage entre les différents pays européens serait rendu inutile puisque l’assiette serait consolidée et ensuite répartie entre les Etats selon une formule qui tiendrait compte des immobilisations, de la main-d’œuvre et du chiffre d’affaires. Les Etats resteraient maîtres de leur taux d’impôt sur les sociétés. Il est prévu que ce régime d’assiette commune soit optionnel. Il n’est pas sûr que cette caractéristique suffise à faire adopter la directive qui demande, en matière fiscale, l’unanimité des voix qui sont, pour le moment, très discordantes.

De l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis ont un système d’assiette consolidée au niveau de la Nation et un taux fédéral commun d’imposition sur les sociétés. Mais les taxes locales, qui peuvent varier entre 1 et 12%, sont en général déductibles du calcul de l’impôt fédéral. La question des prix de transfert entre des filiales de différents Etats peut donc se poser également. Et ce, d’autant plus qu’au taux local d’imposition sur les bénéfices se soustraient des crédits d’impôts divers attribués à certaines entreprises.

L’issue de l’enquête portant sur le Luxembourg et Amazon sera importante pour l’avenir de la directive ACCIS, notamment dans sa version restreinte aux entreprises du numérique. Si le jour n’est pas encore là où l’UE statuera que « le secret bancaire est une forme déguisée de subvention » (G. Zucman, La richesse cachée des nations), l’investigation concernant Amazon signale que l’UE commence à poser certaines limites à la concurrence fiscale que pourraient bientôt nous envier les contribuables américains.

 




Le travail aux Etats-Unis : plus longtemps, plus péniblement et … le week end !

par Elena Stancanelli, Ecole d’Economie de Paris, CNRS et Chercheure Associée à l’OFCE[1].

Désormais, les Américains travaillent plus longtemps que les Européens. Daniel Hamermesh et Elena Stancanelli montrent, dans “Long Workweeks at Strange Hours”, que l’allongement de la durée hebdomadaire du travail aux Etats-Unis va de pair avec le fait que les Américains travaillent souvent la nuit et le weekend.

Leurs résultats s’appuient sur l’exploitation d’une base de données originale, celle des emplois du temps d’individus américains et d’un panel d’individus européens, qui mesure de façon précise leur temps de travail (hebdomadaire, week-end, nuit) mais aussi tout un ensemble d’activités (loisirs, soins aux enfants, travaux domestiques, temps de repos, etc.) grâce à un « cahier journalier » [2]. Les individus sont interviewés tout au long d’une journée (24 heures) et par créneaux de dix minutes (144 créneaux de dix minutes sont renseignés pour chaque individu). Ces données sont collectées par les instituts nationaux de statistiques pour des échantillons représentatifs de la population à un rythme annuel aux Etats-Unis mais beaucoup moins fréquemment en Europe. Par exemple, en France, l’enquête Emploi du temps (EDT) n’est collectée par l’INSEE qu’une fois tous les douze ans. [3]

Aux Etats-Unis, plus de 30 % des salariés travaillent plus de 45 heures par semaine, soit beaucoup plus qu’en France, en Allemagne ou aux Pays Bas (tableau 1). On constate une diminution importante des heures travaillées par personne au cours des deux dernières décennies dans presque tous les pays de l’OCDE. Seuls font exception les Etats-Unis où les heures travaillées n’ont baissé que de 2% de 1979 à 2012 contre, par exemple, une réduction de 18% en France (tableau 2). Il est donc assez peu surprenant qu’une personne sur trois y travaille le week-end contre moins d’une sur cinq en France, en Allemagne ou aux Pays Bas (tableau 1). Le travail de nuit, défini comme le fait de travailler entre 22h00 et 6h00, est encore moins répandu en France puisqu’il ne concerne que 7 % des travailleurs contre plus de 25 % aux Etats-Unis et entre 10-15 % en Allemagne et aux Pays Bas (tableau 1). De plus, le travail du week-end est le plus souvent effectué par les individus les moins qualifiés, les immigrés et les femmes, c’est-à-dire par ceux dont le pouvoir de négociation est faible (Kostiuk, 1990 ; Shapiro, 1995). Cela confirmerait donc la pénibilité du travail du week-end et son caractère contraint. En revanche, les individus travaillant la nuit présentent des caractéristiques beaucoup plus variées. Les travailleurs les plus éduqués ont cependant tendance à moins travailler la nuit, ce qui, là encore, en suggèrerait la pénibilité.

Enfin, un exercice de simulation montre que même si on suppose que les Etats-Unis sont identiques aux pays européens en termes de caractéristiques démographiques, ainsi qu’en matière de structures d’emploi (secteur d’occupation, type d’emploi, heures travaillées)[4], on ne parvient pas à expliquer pourquoi les Américains travaillent autant et le week-end et la nuit (Hamermesh et Stancanelli, 2014). Comment expliquer cela ? Par le jeu de différences culturelles entre les Etats-Unis et l’Europe ? Par le jeu de différences institutionnelles ? Par une interaction complexe entre culture et institutions ? Vaste débat, encore non tranché.

Quoiqu’il en soit, l’un des résultats importants de l’étude est le caractère socialement non désirable du travail du week-end, en raison des nuisances qu’il peut occasionner dans les échanges familiaux (Jenkins et Osberg, 2005) et la vie sociale (Boulin et Lesnard, 2014). De quoi faire réfléchir nos parlementaires dans le cadre du vote de la loi Macron ?

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Bibliographie

Jean-Yves Boulinet Laurent Lesnard, 2014, The social costs of Sunday work, mimeo.

Jonathan Gershuny et Kimberly Fisher, 2014, “Multinational Time Use Study,” in Alex Michalos, ed., Encyclopedia of Quality of Life and Well-Being Research. New York: Springer Science.

Daniel Hamermesh et Elena Stancanelli, 2014, “Long Workweeks and Strange Hours”, Industrial and Labor Relations Review, à paraître.

Daniel Hamermesh et Elena Stancanelli, 2014, Long Workweeks and Strange Hours, NBER Working Paper No. 2044, et Document de Travail OFCE, No.27, December 2014 et VOX CEPR’s Policy Portal.

Kostiuk, Peter, 1990, “Compensating Differentials for Shift Work”, Journal of Political Economy 98(3): 1054-75.

Jenkins, Stephen, et Lars Osberg, 2005, “Nobody to Play With? The Implications of Leisure Coordination”, In Daniel Hamermesh et Gerard Pfann (Eds.), The Economics of Time Use, pp. 113-45. Amsterdam: Elsevier.

Shapiro, Matthew, 1995, Capital Utilization and the Premium for Work at Night. Unpublished paper, University of Michigan.

 


[1] L’auteur tient à remercier Sandrine Levasseur, rédactrice en chef du Blog de l’OFCE, pour ses commentaires très constructifs et ses précieuses suggestions.

[2] Les auteurs utilisent la version harmonisée des données, mise à disposition par un groupe de chercheurs de l’Université de Oxford (voir Gershuny et Fisher, 2014).

[3] Ces données reposent sur la moyenne des années 2010 pour les Etats-Unis et sur différentes années au début des années 2000 pour les pays européens, dont 1998-99 pour la France. Pour ce pays, nous avons décidé d’utiliser l’EDT 1998-99 car l’EDT plus récente, celle de 2009-10, tombe en pleine crise économique, ce qui risque d’avoir affecté les rythmes de travail. De plus, les enseignants y ont été visiblement sur-échantillonnés, ce qui fausserait ultérieurement toute comparaison internationale – les poids ne corrigeant pas parfaitement cette distorsion. Il semble peu probable que la différence entre les Etats-Unis et les pays européens se soit resserrée dans les années plus récentes.

[4] Pour les Etats-Unis, on inclut aussi dans les régressions des effets fixes pour les différents Etats, afin de capturer les différences institutionnelles d’un Etat à l’autre.




A propos du marché du travail américain

Une lecture de : The causes of structural unemployment, Thomas Janoski, David Luke et Christopher Oliver, Polity Press, Cambridge, RU et Malen, EU, 2014.

Henri Sterdyniak

L’ouvrage, écrit par trois sociologues américains, analyse la montée du chômage structurel aux Etats-Unis, en cherche les causes et propose des mesures de politiques économiques pour le réduire. Pour le lecteur français, cet ouvrage présente deux intérêts majeurs : il montre que les problèmes du marché du travail américain sont très proches de ceux du marché du travail français ; et, bizarrement, il traite du cas américain sans s’intéresser, sauf de façon marginale, à la situation des pays européens et aux analyses qu’ont pu produire les chercheurs de notre continent.

La définition et la mesure du chômage structurel sont problématiques. Théoriquement, le chômage structurel est la part du chômage qui ne s’explique ni par les fluctuations conjoncturelles (le chômage conjoncturel), ni par les inévitables délais d’embauche et de changement d’emploi (le chômage frictionnel), mais par des causes structurelles ; celui donc observé en moyenne sur le cycle économique, moins un certain niveau incompressible. Le point délicat est qu’il est difficile aujourd’hui, après la crise de 2007-09, aux Etats-Unis comme en Europe, de repérer le cycle économique et le niveau normal d’activité, de sorte que le niveau du chômage conjoncturel est difficile à évaluer. Cependant, les auteurs présentent des preuves empiriques de la dégradation du marché du travail américain. Ainsi, le taux d’emploi des 25-65 ans n’est que de 72,3% en 2013 contre 77,5% en 2000. Il est nettement plus faible qu’en Allemagne (78,5%). Le taux de chômage de longue durée comme le taux de temps partiel subi ont fortement augmenté. Surtout, les inégalités salariales se sont accrues. Les emplois stables et correctement rémunérés d’ouvriers ou d’employés qualifiés disparaissent au profit d’emplois précaires.

Les auteurs fournissent cinq explications à cette dégradation :

  1. La fonte de l’industrie au profit des services qui entraîne l’inadaptation des anciens ouvriers qualifiés, le déclin des syndicats et le besoin de nouvelles compétences.
  2. Le développement de la sous-traitance (qui permet aux entreprises de se débarrasser de travailleurs permanents correctement rémunérés pour recourir à une main d’œuvre précaire bon marché) et celui de la délocalisation dans les pays à bas salaires.
  3. L’automatisation qui rend inutiles de nombreux emplois, non qualifiés jadis, mais de plus en plus qualifiés maintenant.
  4. La financiarisation de l’économie et la recherche de valeur pour l’actionnaire qui imposent des normes de rentabilité élevées, qui sacrifient l’investissement de long terme, qui font que la croissance est portée par des bulles financières et l’endettement, ce qui augmente l’incertitude et rend l’économie instable.
  5. Le poids grandissant des grandes entreprises multinationales qui brisent les compromis nationaux (en produisant à l’étranger, en détruisant des emplois qualifiés, en développant la sous-traitance et les emplois précaires, en ne payant pas d’impôts).

Avec raison, les auteurs, sociologues, reprochent aux économistes de ne pas étudier les conséquences de ces transformations sur les salariés américains et leurs possibilités d’emploi satisfaisant.

Si la description est convaincante, le lecteur attend les auteurs sur les solutions. En fait, les auteurs proposent essentiellement des réformes du marché du travail. Ils suggèrent de s’inspirer du modèle allemand en orientant beaucoup plus tôt (dès 12 ans) une partie des jeunes vers l’enseignement professionnel, au lieu de les maintenir dans l’enseignement classique. Selon eux, on pourrait professionnaliser et faire monter en gamme certains emplois précaires en formant les jeunes à ceux-ci. Mais, quels enfants seraient les victimes de cette orientation précoce ? Le risque est grand que ce soit ceux des milieux populaires.

Ils proposent d’améliorer le fonctionnement du marché de l’emploi (subvention aux temps partiels temporaires, toujours inspiré du modèle allemand ; remise à niveau des chômeurs, certification de leurs compétences). Durant les périodes de récession, ils proposent de créer des emplois publics temporaires et de subventionner des emplois privés dans des secteurs spécifiques (comme les travaux publics). Ils suggèrent de faciliter l’innovation en fournissant du capital-risque aux jeunes entrepreneurs et en favorisant l’immigration de jeunes entrepreneurs talentueux. Mais l’innovation à tout prix est-elle la solution, quand elle se traduit par le développement de besoins artificiels et par la multiplication de « destructions créatives », sources d’instabilité économique ?

Heureusement, quelques paragraphes vont au-delà. Les auteurs proposent de renforcer les normes sociales, environnementales et de respect du droit de propriété intellectuelle pour les produits importés (mais la croissance américaine nécessite-elle de freiner le développement des pays émergents ?) ; de réformer la fiscalité des entreprises pour augmenter la taxation de celles qui produisent à l’étranger ; de lutter contre l’optimisation fiscale des firmes multinationales ; de taxer les opérations spéculatives et les transactions financières internationales ; de séparer les banques de dépôts et les banques d’affaires. On le voit, des propositions très proches de celles des économistes européens hétérodoxes. Mais est-ce suffisant ? Ne faudrait-il pas une action résolue des pouvoirs publics pour réduire la domination de la finance, pour abaisser les taux de rentabilité exigés par les marchés financiers ? Ne faudrait-il pas d’importants transferts budgétaires pour taxer les gagnants de la mondialisation et compenser les perdants ? Ne faudrait-il pas mieux gérer l’évolution de la division internationale du travail, en pénalisant les pays ayant des excédents commerciaux trop importants et en subventionnant les emplois non-qualifiés dans les pays riches ?




Ce que cache la baisse du taux de chômage américain

par Christine Rifflart

Malgré la nouvelle décrue du taux de chômage en décembre, les données du Bureau of Labor Statistics publiées la semaine dernière confirment paradoxalement la mauvaise santé du marché du travail américain. Le taux de chômage américain a baissé de 0,3 point par rapport à novembre (-1,2 point par rapport à décembre 2012) pour terminer l’année à 6,7 %. Il a ainsi perdu 3,3 points depuis son plus haut historique d’octobre 2009 et se rapproche de plus en plus du taux de chômage non inflationniste défini par l’OCDE à 6,1 % depuis 2010. Pourtant ces résultats sont loin de refléter un raffermissement de l’emploi. Ils masquent plutôt une nouvelle dégradation de la situation.

Si le taux de chômage est l’indicateur standard pour synthétiser le degré de tensions sur le marché du travail, l’analyse peut également s’appréhender au travers de deux autres indicateurs que sont le taux d’emploi et le taux d’activité de la population et qui, dans le cas américain, donnent une toute autre vision de la situation sur le marché du travail (graphique).

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Ainsi, après avoir baissé de près de 5 points en 2008 et 2009, le taux d’emploi reste constant depuis 4 ans, au niveau du début des années 1980 (soit 58,6 % après un maximum à 63,4 % à la fin 2006). Dès lors, la baisse du taux de chômage reflète la décrue du taux d’activité et les chiffres du mois de décembre confirment cette tendance. Sur la période 2010-2013, ce dernier a perdu un peu plus de 2 points pour revenir fin décembre à son plus bas niveau depuis 1978 (62,8 % après un maximum à 66,4 % à la fin 2006).

Ces mauvaises performances s’expliquent par l’insuffisance des créations d’emplois dont l’effet est triple. Malgré une croissance positive du PIB – qui tranche avec la récession de la zone euro –, la demande est loin d’être suffisante pour rassurer les entreprises et redynamiser le marché du travail. Après quatre années de reprise, l’emploi n’a toujours pas retrouvé à la fin 2013 son niveau d’avant-crise. Les créations nettes d’emplois salariés dans le secteur privé sont même insuffisantes pour absorber l’augmentation démographique de la population en âge de travailler. Résultat : le taux d’emploi ne se redresse pas, il reste à son niveau plancher.

Par ailleurs, la difficulté à trouver un emploi favorise la sortie, ou retarde l’entrée ou le retour d’une partie de cette population en âge de travailler sur le marché du travail. Cet effet, connu en économie, est qualifié d’effet de flexion : les jeunes sont incités à étudier plus longtemps, les femmes à rester à leur domicile après avoir élevé leurs enfants, et des chômeurs découragés cessent de chercher un emploi. Or, malgré la reprise de la croissance économique et des créations d’emploi, cet effet de flexion a continué de jouer à plein en 2013. Car si la baisse du taux d’activité s’était infléchie en 2011 et 2012 – la croissance de la population active était redevenue positive mais restait inférieure à celle de la population en âge de travailler –, elle s’est accélérée en 2013 avec le repli de la population active. Durant le second semestre 2013, 885 000 personnes se sont en effet détournées du marché du travail, en raison notamment du durcissement du contexte économique et social.

La réticence des entreprises à réembaucher s’inscrit dans un contexte économique particulièrement tendu. Le choc fiscal du début de l’année 2013 a pesé sur l’activité : la croissance du PIB est passée de 2,8 % en 2012 à 1,8 % environ attendu pour 2013. Cet ajustement budgétaire va encore se durcir en 2014. Au-delà des coupes drastiques (liées aux séquestrations[1]) dans les dépenses de l’Etat, un certain nombre de mesures exceptionnelles mises en place depuis 2008-2009, destinées aux ménages les plus pauvres et aux chômeurs de longue durée (3,9 millions sur 10,4 millions de chômeurs) arrivent à leur terme et ne sont pas reconduites. Selon les estimations du CPBB, 1,3 million de chômeurs, qui avaient épuisé leur droit aux allocations de base (sur 26 semaines) et qui bénéficiaient d’une extension exceptionnelle, se trouvent sans ressources depuis le 1er janvier 2014 du fait du non renouvellement de la mesure, et presque 5 millions de chômeurs devraient être concernés d’ici à la fin de l’année.

Dès lors, le risque est que cette situation place un nombre croissant de personnes en situation de pauvreté. Selon le Census Bureau, le taux de pauvreté se situe depuis 2010 à 15 %. Or, toujours selon le CBPP, les allocations chômage auraient évité à 1,7 million de personnes de sombrer dans la pauvreté. La fragilisation de la situation des chômeurs de long terme et le désengagement d’une partie de la population du marché du travail sont bien les conséquences directes d’un marché du travail atone, ce que ne reflète pas la baisse ininterrompue du taux de chômage.

 


[1] Voir Le casse-tête budgétaire américain du 9 décembre 2013.




Le casse-tête budgétaire américain

Par Christine Rifflart

Avant le 13 décembre prochain, le Budget Conference Committee doit présenter les résultats de ses discussions lancées à la suite du shutdown et de la crise de la dette du mois d’octobre 2013. L’objectif des négociations : permettre le vote du Budget 2014 au Congrès, dont l’année fiscale a démarré le 1er octobre dernier[1] et trouver une alternative aux coupes automatiques dans les dépenses du gouvernement fédéral qui devraient s’appliquer au 1er janvier 2014. Un accord ne semble pas hors d’atteinte. Même si l’opposition entre républicains et démocrates reste vive, la raison devrait l’emporter et le risque d’une nouvelle crise budgétaire semble exclu. Au pire, une nouvelle Continuing Resolution[2] sera votée permettant le fonctionnement des institutions et laissant l’arbitraire des coupes budgétaires automatiques dans les dépenses structurelles conduire la politique du gouvernement. Au mieux, les négociations aboutiront à des coupes raisonnées sur ces dépenses, voire à des hausses de certaines recettes qui assoupliront alors la violence de l’ajustement, violence amplifiée par l’arrivée à terme de mesures exceptionnelles de soutien aux revenus et à l’activité prises au cœur de la crise.

Les marges de négociations sont étroites. Sur l’année fiscale 2013, le déficit de l’ensemble du secteur public atteint 7 % du PIB – après 12,8 % sur l’année fiscale 2009, et le déficit du gouvernement fédéral affiche 4,1 % du PIB – après 9,8 %. La dette fédérale représente actuellement 72,7 % du PIB et continue d’augmenter. Par ailleurs, la croissance reste faible : 2,2 % en moyenne annuelle depuis la reprise de 2010 et 1,8 % attendu en 2013, et surtout insuffisante pour redynamiser le marché de l’emploi. Dès lors, comment mener une politique budgétaire de soutien à la croissance sur fond de rigueur budgétaire, de réduction des déficits et surtout de respect des engagements antérieurement actés par le Congrès[3],notamment du Budget Control Act of 2011 ? A la suite de la crise du plafond de la dette fédérale en juillet 2011, le président Obama signait le 2 août 2011 le Budget Control Act of 2011 qui conditionnait le relèvement du plafond de la dette fédérale à une réduction massive des dépenses publiques sur 10 ans. En plus de l’introduction de plafonds sur les dépenses discrétionnaires[4], 1200 milliards de dollars de coupes automatiques (sequestrations) dans les dépenses ont été prévus sur la période 2013-2021 selon un principe de parité entre les budgets de la défense et hors défense. Ont été exemptés un certain nombre de programmes sociaux (assurance vieillesse, programme Medicaid, garanties de revenu…) tandis que les coupes du programme Medicare, destiné aux personnes âgées, ont été limitées à 2 %. Au total, les coupes s’appliquent sur un peu moins de la moitié des dépenses du gouvernement fédéral et représentent 109 milliards par an d’économies réalisées sur le déficit, soit 0,6 % du PIB.

Sur l’année fiscale 2014, selon le CBO, la combinaison de ces deux mesures (dépenses discrétionnaires plafonnées et coupes automatiques dans les budgets non protégés) ainsi que la reconduction du montant des crédits de 2013 à 2014 (donc un budget constant en nominal), conduisent à des coupes dans les dépenses discrétionnaires de 20 milliards de dollars qui devront être intégralement supportées par le Pentagone. Sur cette base, si les coupes sont maintenues, les dépenses discrétionnaires des budgets de la défense et hors défense auront baissé respectivement de 17 % et 17,8%, en termes réels entre 2010 et 2014.

Mais en plus de ces coupes brutales, d’autres programmes, dont ceux principalement destinés aux ménages à bas revenus, vont connaître en 2014 une réduction de leur budget du fait de l’arrivée à échéance des mesures exceptionnelles dont ils bénéficiaient jusqu’alors. Ainsi, le programme d’extension de l’allocation chômage créé le 30 juin 2008 pour les chômeurs ayant épuisé leurs droits (Emergency Unemployment Compensation) se termine au 1er janvier 2014. Cet arrêt devrait frapper 4 millions de personnes si rien n’est envisagé.

C’est également le cas du programme SNAP (Supplemental Nutrition Assistance Program) qui avait bénéficié dans le cadre de l’American Recovery and Reinvestment Act de 2009 de ressources supplémentaires qui se sont éteintes au 1er novembre dernier. Or,47,7 millions de bénéficiaires (soit 15 % de la population) ont reçu des bons alimentaires cette année. Selon le CBPP, cette baisse de 7 % des ressources du programme devrait se traduire par un recul de 4 millions du nombre de bénéficiaires.

Autre exemple, le programme des aides au logement pour les 2,1 millions de familles qui ne peuvent se loger dignement devrait être affecté lui aussi par l’arrivée à échéance des rallonges budgétaires instituées en 2009 et les coupes automatiques. Si les budgets ne sont pas reconduits, entre 125 000 à 185 000 des familles bénéficiaires à la fin 2012 ne percevront plus les aides à la fin 2014.

Selon les informations actuellement disponibles, un accorda minima du Budget Conference Committee semble se dessiner. Les coupes dans le budget de la défense pourraient être validées[5] tandis que d’éventuelles hausses de redevances de services publics permettraient de financer des rallonges budgétaires pour certains programmes sociaux, et d’alléger l’impact des coupes automatiques. En avril dernier, le Président Obama avait présenté devant le Congrès son Projet de Budget 2014. Il proposait à l’époque de supprimer les procédures de coupes automatiques, de réduire à long terme la dette par une vaste réforme budgétaire, et à plus court terme, de différer une partie des restrictions budgétaires 2014 sur les années fiscales 2015 et 2016 afin de soutenir la croissance. L’accord qui sera vraisemblablement présenté au Congrès d’ici le 13 décembre ne devrait pas avoir cette ambition. Face aux républicains (majoritaires à la Chambre des représentants) partisans d’économies supplémentaires, les démocrates (majoritaires au Sénat) vont avoir du mal à défendre une hausse des dépenses publiques en 2014 et empêcher que la politique budgétaire soit aussi pénalisante pour la croissance cette année qu’elle ne l’a été en 2013.

 


[1] A défaut d’avoir été adopté par le Congrès, le budget 2014 est depuis le 16 octobre financé par une Continuing Resolution (voir note 2) sur la base des montants du budget 2013.La résolution agit rétroactivement à partir du 1er jour de l’année fiscale 2014, soit le 1er octobre 2013, et jusqu’au 15 janvier 2014.

[2] Une Continuing Resolution est une résolution provisoire adoptée par le Congrès qui permet de reconduire les crédits alloués l’année fiscale précédente à l’année fiscale en cours, en attendant que soient votés les nouveaux crédits.

[3] Selon le CBPP, si l’on considère l’ensemble des mesures de réduction du déficit prises depuis 2010 dans le Budget 2011, le Budget Control Act of 2011 et l’American Taxpayer Relief Act de 2012, l’impact cumulé sur le déficit serait de 4000 milliards sur la période 2014-2023, soit l’équivalent de 24 % du PIB de 2013.

[4] Les dépenses discrétionnaires (33 % des dépenses fédérales) sont les dépenses dont les budgets sont votés sur une base annuelle à la différence des dépenses obligatoires (61 %) qui sont assises sur des programmes faisant l’objet d’une loi antérieure. La politique budgétaire du gouvernement, côté dépenses, est principalement assise sur l’évolution des dépenses discrétionnaires, qui sont des dépenses structurelles.

[5] Les dépenses liées à la défense ont déjà baissé de 13,1 % en termes réels, entre le troisième trimestre 2010 et le troisième trimestre 2013.




Pas de surprise du côté de la Fed*

par Christine Rifflart

Sans grande surprise, lors de sa réunion des 29 et 30 octobre, le Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale des Etats-Unis a décidé de maintenir ses mesures non conventionnelles et de laisser inchangé son taux des fonds fédéraux. Depuis la fin de l’année 2012, la Réserve fédérale procède en effet à des achats massifs de titres (obligations publiques et titres de dette hypothécaire) au rythme de 85 milliards de dollars par mois. L’objectif est de faire pression sur les taux longs et soutenir l’activité, y compris sur le marché immobilier.

Par ailleurs, la Réserve fédérale, engagée dans une stratégie de transparence et de communication qui vise à ancrer les anticipations des investisseurs, n’a fait que confirmer le maintien du taux entre 0 et 0,25 % aussi longtemps que le taux de chômage sera supérieur à 6,5 %, que l’inflation anticipée à l’horizon d’ 1 à 2 ans ne sera pas supérieure d’un demi-point à l’objectif d’inflation de long terme, fixé à 2 %, et que les anticipations d’inflation de long terme resteront stables. Selon nos prévisions d’octobre (voir Etats-Unis : la croissance plafonnée), le taux de chômage, de 7,2 % en septembre pourrait atteindre 6,9 % fin 2014. Enfin, l’inflation, à 1,5 % au troisième trimestre 2013, ne dépasserait pas 1,8 % en 2014. Dans ces conditions, aucune hausse n’est attendue avant le deuxième semestre 2015. La politique restera donc particulièrement accommodante.

Les incertitudes portaient davantage sur le retrait effectif des mesures non conventionnelles qui maintiennent les taux longs à des niveaux artificiellement bas. Annoncé en mai dernier, l’arrêt ou la réduction de ces mesures est attendu par les marchés, ces mesures n’ayant pas vocation à durer. Entre mai et septembre 2013, les investisseurs privés ou publics étrangers avaient anticipé le début du retrait et s’étaient défaussés d’une partie de leurs titres. Cet afflux de titres avait fait chuter les prix et entraîné une hausse d’un point des taux longs publics en quelques semaines. Mais la fragilité de la croissance, l’insuffisance des créations d’emploi et surtout l’exercice de communication dans lequel se sont lancées les Banques centrales pour rassurer les marchés financiers ont éloigné au fil des mois, la date d’application de ce retrait des achats. Les taux longs ont à nouveau baissé, et encore plus ces dernières semaines après la crise budgétaire d’octobre.

Si, rétrospectivement, il apparaît que l’anticipation d’un retrait des mesures non conventionnelles était prématurée, il n’en demeure pas moins que la question du timing se pose. Dans son communiqué, le Comité précise que la décision dépendra des perspectives économiques tout autant que de l’évaluation coût / bénéfice du programme. Or, le paysage économique ne devrait pas s’améliorer dans les prochains mois. Si le Congrès parvient à un accord budgétaire avant le 13 décembre, celui-ci se fera assurément sur la base de coupes dans les dépenses publiques. Ce nouveau choc budgétaire viendra freiner encore la croissance et pénaliser davantage le marché du travail. L’émission de nouveaux titres de dette, contrainte en 2013 par le plafond légal de la dette, progresserait alors très lentement en 2014 du fait des ajustements budgétaires. Face à cette modération de l’offre de titres, la Réserve fédérale pourrait réduire ses achats au profit des autres investisseurs. L’équilibre sur le marché des titres pourrait alors être maintenu sans baisse brutale du prix des actifs.

Cette normalisation des instruments de politique monétaire ne devrait pas tarder. Mais elle n’est pas sans risque car une brusque hausse des taux longs n’est pas exclue. Les marchés sont volatiles et l’épisode des mois de mai et juin l’a rappelé. Mais une grande partie du mouvement est déjà intégré par les marchés. La Réserve fédérale devra donc amplifier sa stratégie de communication (en annonçant à l’avance par exemple la date et l’ampleur du retrait) si elle veut réussir le difficile exercice d’équilibriste de maintien d’une politique monétaire très accommodante tout en levant progressivement ses mesures exceptionnelles de bas taux d’intérêt. On fait l’hypothèse que l’exercice sera réussi. Les taux longs publics de 2,7 % au troisième trimestre 2013, ne devraient pas dépasser 3,5 % à la fin de 2014.

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*Ce texte s’appuie sur l’étude « Politique monétaire : est ce le début de la fin ? » à paraitre prochainement dans les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie mondiale.




La crise sur un plateau

par Xavier Timbeau

Ce texte résume les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie mondiale.

Six années après le début de la crise financière et économique, l’accélération attendue de la croissance mondiale en 2014 (tableau 1) aurait pu laisser espérer la fin du marasme. Certes, la crise des dettes souveraines en zone euro est terminée, ce qui constitue une étape importante, mais, au-delà de quelques chiffres positifs, rien n’indique que la crise est finie. L’activité en zone euro a atteint un plateau et les mécanismes à l’origine de la crise des dettes souveraines dans la zone – la crainte du défaut sur les dettes publiques ou privées – peuvent faire replonger à tout instant les économies, des États-Unis comme de l’Europe, du Royaume-Uni comme celle du Japon.

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La crise est globale et présente des caractéristiques peu ou jamais observées dans le passé. Ainsi, les taux d’intérêt souverains sont exceptionnellement bas, sauf dans les pays dont les marchés financiers doutent, mais dont le poids dans la masse globale de dette publique est faible. Cela indique une situation de trappe à liquidité où la politique monétaire conventionnelle a atteint ses limites et où la capacité des institutions monétaires à énoncer un avenir auto-réalisateur est cruciale. Or, comme pendant la crise de 1929, le débat fait rage sur cette capacité et suscite beaucoup d’interrogations quant à la sortie de crise. La politique monétaire est au cœur de cette incertitude : les mesures extraordinaires mises en place retiennent-elles les économies au bord du gouffre ? Les retirer est-il opportun ? Ou bien n’a-t-on fait qu’improviser un pis-aller dont les conséquences inflationnistes seront la source d’une prochaine crise ?

L’activité économique, mesurée par le PIB de l’ensemble de la zone euro, ne se contracte plus. Pour autant, la situation de sous-activité ne se résorbe pas. Or, tant que les économies restent en situation de sous-activité, les effets de la crise persistent et se diffusent au cœur des sociétés. Que l’on observe le PIB par tête, les écarts de production ou le chômage, les indicateurs nous décrivent un plateau, largement en deçà de 2007. Ainsi, la persistance du chômage au-dessus de son niveau d’équilibre gonfle-t-elle les cohortes de chômeurs non-indemnisés ou de longue durée. Le niveau élevé du chômage pèse sur la cohésion sociale et menace les sociétés bâties sur l’intégration par le travail. Les chômeurs sont renvoyés vers les solidarités familiales ou vers les filets de protection sociale, eux-mêmes soumis à la consolidation budgétaire. Les jeunes entrant sur le marché du travail retardent leur accès à l’emploi et porteront longtemps les stigmates de ce chômage initial sur leurs salaires ou leurs carrières.

Mais le chômage a une incidence plus large. La peur de perdre son emploi, de voir son entreprise fermée ou délocalisée se diffuse à ceux qui ont un emploi et dont les salaires finissent par être affectés ou qui sont contraints d’accepter des conditions de travail dégradées. C’est ainsi que l’Europe du Sud s’engage dans la déflation salariale et, par le jeu de la concurrence, y entraînera les pays voisins.

Cette absence de reprise ne doit pas surprendre. Un programme généralisé et massif de consolidation budgétaire a été conduit dans les pays développés. Le cumul des impulsions de 2008 à 2013 permet de faire le bilan de la stimulation des économies pendant la récession de 2008/09 puis de la consolidation qui a suivi (tableau 2).

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Le débat sur les multiplicateurs budgétaires, à partir des analyses empiriques basées sur des modélisations structurelles ou l’examen systématique des épisodes historiques, valide la causalité allant des impulsions budgétaires vers les écarts de production. Une grande part de l’écart de production en 2013 résulte de la consolidation budgétaire. Il n’y a pas d’effet permanent de la crise sur l’activité, mais la conséquence d’une austérité budgétaire sans précédent.

Les pays développés se sont engagés dans cet effort de consolidation sous la pression des marchés financiers, relayée par les autorités européennes. La crainte de difficultés pour financer la dette publique (dont le renouvellement se fait dans des proportions importantes chaque année et dont la maturité  est de l’ordre de 10 ans dans les pays développés), voire la crainte de perte de l’accès au financement, s’est matérialisée par une hausse des taux souverains et n’a pas laissé beaucoup de possibilités aux États. Pour regagner du crédit, il fallait prouver sa capacité à réduire son déficit, quel qu’en soit le prix. La consolidation qui en a résulté n’a été faite que de façon préventive. Les exemples grec, mais aussi portugais, espagnol ou italien illustreraient le risque à ne pas avoir des finances publiques ordonnées. Pour certains, dont les économistes de la Commission européenne, c’est en fait la consolidation massive engagée dans les pays membres qui a permis de mettre fin à la crise de la zone euro. Il existe pourtant une explication alternative et lourde de sens quant à l’opportunité de la consolidation budgétaire : le rôle pris par la Banque centrale européenne et les engagements solidaires implicites des pays de la zone euro ont été plus convaincants que les politiques économiques qui ont prolongé et aggravé la récession.

Le désendettement public et privé des économies est la clef de la sortie de la crise. Il nécessite une stratégie claire et raisonnable combinant retour de l’activité et réduction du chômage, maintien des taux d’intérêt souverains à un niveau bas et consolidation budgétaire à un rythme bien tempéré. Cette stratégie demande une maîtrise du calendrier, une constance dans la politique suivie, une coordination entre États et entre agents économiques au sein des États. En zone euro, elle repose sur un engagement crédible des Etats membres vers l’assainissement budgétaire à moyen terme et un engagement de la Banque centrale européenne pour que les écarts de taux soient réduits au maximum. La discipline budgétaire par les marchés ne fonctionne pas, il faut lui opposer la volonté politique de la stabilité économique.




Shut down : l’Amérique sur la sellette

par Christine Rifflart

Un Etat qui demande à plus d’un tiers de ses fonctionnaires de rester chez eux parce qu’il ne peut plus les payer est dans une situation critique. Quand il s’agit des Etats-Unis, c’est le monde entier qui s’inquiète.

L’absence d’un accord sur le budget 2014, dont l’exercice légal a débuté mardi 1er octobre 2013, illustre le bras de fer au Congrès entre démocrates et républicains. Ces tensions budgétaires ne sont pas nouvelles : aucun budget n’a été voté depuis 2011 et l’administration fédérale a fonctionné jusqu’alors à coup de continuing resolutions qui permettent de débloquer, de façon provisoire, les financements nécessaires à son fonctionnement et à ses opérations. Aujourd’hui, le blocage est d’une autre ampleur et une partie de l’administration doit fermer ses portes, faute de financement. Cette situation exceptionnelle n’est pas inédite : 17 shut downs ont eu lieu depuis 1976, les deux derniers sous l’administration Clinton avaient duré respectivement une semaine (du 13 au 18 novembre 1995) et trois semaines (du 15 décembre 1995 au 6 janvier 1996).

Selon l’Office of Management and Budget, sur les 2,1 millions de salariés du gouvernement fédéral, plus de 800 000 sont interdits de service pendant que d’autres doivent venir travailler, sans garantie d’être payés. Par exemple, sont concernés par l’interdiction de travailler 97 % des salariés de la NASA, 93 % de l’agence de protection de l’environnement, 87 % du Ministère du Commerce, 90 % des services des impôts… Chacun d’eux a pu recevoir une lettre du Président disant son amertume. Concrètement, cela signifie aussi qu’une partie des services sociaux n’est plus assurée, les plateformes téléphoniques des administrations sont fermées, les monuments et les 368 parcs nationaux ne sont plus ouverts au public, les nouvelles demandes de prêts subventionnés, d’aides au logement, de garanties de prêts ne sont plus examinées, les services du gouvernement sont fermés :

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Sont épargnés néanmoins les services vitaux et les programmes dont le financement n’est pas lié au vote du budget annuel (mandatory spending) qui comptent pour plus de 60 % des dépenses hors charges d’intérêt et représentent 12,7 % du PIB. Certains programmes de sécurité sociale (Medicare, Medicaid), le service postal, la sécurité nationale, les opérations militaires sont ainsi protégés du shut down, dans la limite néanmoins où ceux-ci ne sont pas affectés par les restrictions de leur personnel  dont les salaires sont pris sur le budget 2014.

Une autre crise politico-budgétaire se profile : le gouvernement pourrait être mis en défaut de paiement à partir du 17 octobre si le plafond de la dette autorisé n’est pas relevé.  Cette situation d’attentisme attise la nervosité des marchés financiers et la dureté du climat politique au sein du Congrès ne laisse pas présager d’une fin honorable dans ce que les médias qualifient de chicken game[1]. En 1995, pourtant, Clinton était sorti vainqueur de cette crise contre les républicains et avait été réélu en 1996, malgré la majorité des républicains au Congrès.

En attendant la sortie de crise, l’économie pourrait être durement touchée. En cas de non-paiement des salaires et traitements des fonctionnaires fédéraux, le manque à gagner serait en moyenne de plus de 1 500 dollars par semaine pour chaque famille concernée. Pour l’ensemble des 2,1 millions de fonctionnaires fédéraux, cela représente 0,08 % du PIB trimestriel. Sur trois semaines, cela fait 0,25 % du PIB de revenus en moins dans l’économie au quatrième trimestre. Le Congrès pourrait cependant voter le paiement rétroactif des salaires. C’est ce qui a été généralement exécuté lors des précédents shut downs.

Mais surtout, cela est sans compter la désorganisation de l’économie. En considérant sur une base annuelle que la moitié des dépenses discrétionnaires du gouvernement fédéral (soit 37 % des dépenses fédérales ou 7,6 % du PIB)[2] est  affectée par le blocage car financée sur le budget 2014, ce manque à dépenser représente 0,15 point de PIB par semaine. Compte tenu de la désorganisation impliquée par la fermeture des administrations (on applique un multiplicateur budgétaire de 1,5), l’effet sur la croissance pourrait alors avoisiner au moins 0,22 point de PIB par semaine. Si la crise dure 3 semaines, l’impact sur le PIB du quatrième trimestre serait d’au moins 0,7 point de PIB. De quoi faire passer l’économe américaine en récession à la fin de l’année !

D’autres estimations existent. L’Office of Management and Budget avait évalué le coût des shut downs de 1995 (du 13 au 18 novembre 1995 puis du 15 décembre au 6 janvier 1996) à 1,4 milliard de dollars d’alors (soit 0,5 % du PIB trimestriel). Sur la base des shut downs de 1995, Goldman Sachs évalue à 8 milliards de dollars le coût hebdomadaire pour l’économie américaine, soit un impact de 0,2 % sur le PIB du quatrième trimestre. L’agence Moody’s Analytic Inc. estime un impact de 0,35 % point de PIB trimestriel par semaine de shut down.

Si la crise budgétaire ne dure que quelques jours, les répercussions sur l’économie française seront minimes : on évalue à 0,17 % la baisse de la croissance française si la croissance américaine se réduit d’1 %. Mais si le blocage dure plusieurs semaines et se superpose à la crise sur le plafond de la dette publique dont la date butoir est proche, les conséquences pourraient alors être tout autres.  Les deux crises (blocage budgétaire et défaut de paiement de la dette publique) se combineraient et s’alimenteraient l’une l’autre, comme le souligne ce post du New York Times. On imagine à peine la panique sur les marchés financiers, la hausse des taux d’intérêt qui en résulterait et la dégringolade du dollar. Ce serait alors une toute autre histoire…

 


[1] Dans la théorie des jeux, le chicken game (ou jeu de la poule mouillée) est un jeu d’influence entre deux joueurs dans lequel aucun ne doit céder. Ainsi, dans le cas d’une course automobile frontale, la poule mouillée est le conducteur  qui sort de sa trajectoire pour éviter la mort due à la collision des deux voitures.

[2] Une grande partie des dépenses du Ministère de la Défense sont votées sur une base pluri-annuelle et ne sont pas soumises à restriction du fait de ce blocage. Or, les dépenses du Ministère de la Défense comptent pour plus de la moitié de ces dépenses discrétionnaires. Par ailleurs, les autres dépenses (mandatory outlays) ne sont pas financées sur des crédits soumis au vote du Budget.