« Retrouver l’esprit industriel du capitalisme »: de la recherche d’actionnaires patients à celle d’une gouvernance partagée

par Jean-Luc Gaffard et Maurizio Iacopetta

Le gouvernement, fort de la loi visant à reconquérir l’économie réelle, dite loi Florange, qui institue la possibilité de votes doubles pour les actionnaires patients (conservant leurs actions au moins deux ans), vient de prendre deux décisions significatives en augmentant temporairement sa participation au capital de Renault et d’Air France afin d’éviter qu’en assemblée générale cette possibilité de votes doubles soit rejetée par la majorité qualifiée retenue dans la loi. L’objectif affiché par le Ministre de l’Economie dans une tribune du journal Le Monde est d’aider à « retrouver l’esprit industriel du capitalisme » en privilégiant les engagements à long terme de manière à promouvoir des investissements porteurs d’une croissance solide.

Cette initiative conduit à reprendre la discussion sur les conditions de gouvernance des sociétés par actions (‘corporations’) (Pollin, 2004, 2006), à examiner les dérives dont elle a pu être l’objet et les remèdes qui ont pu et pourraient dans l’avenir y être apportés, impliquant de savoir ce que peut en attendre le gouvernement.

Les sociétés par actions sont indéniablement au cœur du processus d’investissement, en raison de leur capacité à drainer une épargne abondante et de leur pouvoir de choisir dans quelle direction orienter cette épargne. Elles obéissent à des modes de gouvernance variés, répondant à différents contextes institutionnels, auxquels sont associées des différences significatives de productivité et de croissance (Bloom et Van Reenen, 2010 ; De Nicolo’, Laeven, et Ueda, 2008 ; La Porta, Lopez-de-Silanes, Shleifer and Vishny, 2000). Aussi la question se pose-t-elle de l’adoption du mode de gouvernance le mieux à même de favoriser l’activité entrepreneuriale et l’innovation, bref de soutenir in fine la croissance (OECD 2012).

Il est manifeste, en effet, que les grandes entreprises ne souffrent pas d’un manque de financement à long terme. Le développement des marchés d’actions et d’obligations depuis les années 1980 leur a permis de réduire leur dépendance au financement bancaire et à la cyclicité de l’accès à ce financement. De sorte que les problèmes d’investissement reflètent surtout de larges défaillances dans la gouvernance des entreprises, grandes, moyennes ou petites, comme d’ailleurs dans celle des institutions financières (Giovannini et alii, 2015)

Classiquement, l’accent est mis sur les voies et moyens de contrôle des choix des managers par les actionnaires, autrement dit sur les conditions dans lesquelles les détenteurs de capitaux obtiennent le retour sur investissement que justifie leur position particulière de créancier résiduel (Shleifer et Vishny, 1997).  Mais c’est oublier que d’autres acteurs de l’entreprise (créanciers, salariés, fournisseurs, voire clients) supportent des risques et que la performance à long terme de cette entreprise dépend des conditions dans lesquelles l’engagement des actionnaires commande celui des autres parties prenantes (‘stakeholders’)  (Mayer, 2013). Il n’est pas certain, à cet égard, que la répartition des droits de vote entre différentes classes d’actions soit déterminante.

Contrôle et engagement

La question centrale concerne la façon dont la nature de la propriété du capital affecte les choix managériaux. Ainsi, les buts et valeurs des entreprises familiales reflètent-ils les intérêts et les humeurs de la famille propriétaire qui peuvent devenir contraires à l’efficacité productive, notamment quand se développe un capitalisme d’héritiers, quand ce ne sont plus les fondateurs qui sont à la direction des entreprises mais leurs héritiers ou plus subrepticement une caste qui s’auto-reproduit (Philippon 2007). S’il existe une relation positive entre la richesse des millionnaires self-made-men rapportée au PIB et à la croissance, la relation devient négative quand ce qui est rapporté au PIB est la richesse des héritiers millionnaires (Morck, Stangeland et Yeung 2000). Face à cette dérive possible,  l’existence d’un actionnariat dispersé apparaît comme étant bénéfique en permettant que se substitue à des intérêts particuliers ce qui peut s’apparenter à un intérêt collectif.

Cette vision de la société par actions se heurte, toutefois, à l’objection formulée par Berle et Means (1932) qui voient dans la séparation entre la propriété et le contrôle une source d’inefficacité. Celle-ci crée des problèmes d’agence signifiant que les managers sont susceptibles d’agir dans leur intérêt propre plutôt que dans celui des actionnaires, comme peuvent le faire des familles ou les castes propriétaires. De facto, le Q de Tobin (le rapport de la valeur de marché au coût de remplacement du capital) augmente, puis diminue avant d’augmenter de nouveau à mesure que la puissance des managers s’accroît (Morck et alii, 1988). Il devient possible que les actionnaires soient moins incités à souscrire de nouvelles actions ou à conserver celles qu’ils détiennent avec pour conséquence une baisse du prix de ces actions et un moindre accès des entreprises au financement externe. Les dispositions qui permettent de protéger les grands groupes peuvent avoir pour conséquence d’entraver l’entrée de nouvelles entreprises et d’introduire de graves distorsions dans les décisions d’investissement des entreprises installées (Iacopetta, Minetti et Peretto, 2015).

La résolution de ces problèmes exige de créer les dispositifs institutionnels pour que les actionnaires puissent devenir actifs dans le management des entreprises.

Ces dispositifs ont consisté à améliorer la qualité des audits, de la gestion des risques et de la communication entre la société et ses actionnaires. Elles ont conduit à davantage de transparence dans la politique de rémunération des dirigeants et à lier cette rémunération aux performances. Ce faisant, elles ont permis le développement de marchés pour le contrôle des sociétés (‘markets for corporate control’) et celui de l’activisme des actionnaires, en fait d’une catégorie particulière d’actionnaires que sont les fonds de placement parmi lesquels les fonds de pension, dont les modes de gestion (la délégation des décisions d’investissement à des gestionnaires de fonds) privilégient les performances immédiates de leurs portefeuilles.

A la lumière de la crise financière, ces dispositifs semblent pour le moins questionnables (Giovannini et alii, 2015). Les institutions financières pourtant assujetties aux ‘meilleures’ règles de gouvernance, celles qui assurent le pouvoir de contrôle des actionnaires, ont été un lieu de conflit entre des actionnaires qui ont tiré parti des bonnes performances et les créanciers (puis les contribuables) qui ont dû assumer les pertes. Ce qui est avéré pour les institutions financières l’est également pour les entreprises industrielles qui sont devenues un lieu de conflit entre les actionnaires et les autres parties prenantes (créanciers, salariés, fournisseurs ou clients).

Le vrai problème est que les dispositifs censés résoudre les problèmes d’agence ont, certes, permis de renforcer le contrôle exercé par les actionnaires sur le management des entreprises, mais ont aussi fait reculer le degré d’engagement de ces mêmes actionnaires (Mayer, 2013).

Nonobstant leurs intérêts particuliers, les familles propriétaires peuvent garantir une stabilité et une durée d’engagement vis-à-vis des autres parties prenantes que ne garantissent pas des actionnaires dispersés. Il en est de même des managers bénéficiant d’une délégation d’autorité et ayant acquis suffisamment d’indépendance vis-à-vis des actionnaires pour être ouverts, certes à leur intérêt propre mais aussi aux intérêts des salariés (et des sous-traitants). Après tout, la constitution d’empires industriels est loin d’être une mauvaise chose dès lors qu’ils sont économiquement viables et ne contreviennent pas aux règles de la concurrence. Or cet avantage prêté aux managers est contrarié par le développement des marchés pour le contrôle des sociétés et par celui de l’activisme des actionnaires dont la conséquence est de juger de l’efficacité du management à l’aune des performances courantes. Il y a bel et bien un arbitrage à effectuer entre les exigences de contrôle et d’engagement. Le problème n’est peut-être pas tant d’aligner l’intérêt des managers avec ceux des actionnaires que de rendre les actionnaires responsables de ce qu’il advient à long terme des entreprises dans lesquelles ils investissent.

La mesure de l’engagement

Le degré d’engagement des financiers, prêteurs ou actionnaires, est décisif dans la mesure où il détermine celui des autres parties prenantes dans l’entreprise. Il est reflété dans l’attitude choisie en réponse aux fluctuations de performance et plus exactement dans le degré de tolérance à de mauvais résultats de l’entreprise. Une faible tolérance est le signe d’un faible degré d’engagement et c’est généralement la marque des prises de contrôle hostiles comme de l’activisme des fonds de pension.

Encore faut-il s’entendre sur la signification de mauvais résultats. Ils peuvent être la conséquence d’un mauvais management auquel cas le pouvoir des investisseurs de fournir des moyens de financement conditionnellement à la capacité du management de faire les changements qu’ils exigent n’est pas nécessairement le signal d’un moindre degré d’engagement. Il peut même prévenir les crises financières qui procéderaient de sérieux problèmes d’agence. Du moins si la régularité des performances constitue la norme. Or ce n’est précisément pas le cas quand les activités industrielles concernées ont une dimension cyclique. Les entreprises peuvent y pallier en compensant les résultats de plusieurs activités entre elles pourvu que leurs cycles soient différents. Or l’attitude des fonds de placement consiste à privilégier la diversification de leur portefeuille sur la valorisation de la diversification de leurs activités par les entreprises elles-mêmes, incitant ces dernières à se recentrer sur ce qui est parfois qualifié de leur cœur de métier. Les démantèlements qui s’ensuivent ont été l’un des facteurs de désindustrialisation en France dont témoignent, notamment, les cas d’Alstom, Alcatel ou encore Thomson (Beffa, 2012).

La régularité des performances ne prévaut pas davantage quand les entreprises font le choix d’innover en introduisant de nouveaux produits ou nouvelles techniques de production et en explorant de nouveaux marchés. Dans cette dernière hypothèse, il arrive qu’un surcroît de coûts précède l’augmentation des recettes, en d’autres termes qu’il existe des coûts irrévocables, c’est-à-dire dont la récupération est subordonnée à la réussite du choix d’innover (‘sunk costs’). Toute forme de gouvernance, qui aurait pour effet de privilégier les résultats immédiats et d’éliminer toute tolérance vis-à-vis de performances temporairement faibles ne peut alors que pénaliser l’innovation en pénalisant des investissements longs. Or c’est bien ce à quoi conduisent la possibilité de prises de contrôle hostiles et l’activisme des fonds de placement.

Les prescriptions institutionnelles

Le débat se trouve ainsi ouvert sur les tenants et aboutissants du conflit entre différentes catégories d’actionnaires établies en rapport avec le volume de titres détenu et la durée de cette détention (Bolton et Samama, 2012). De nombreuses entreprises ont adopté des mécanismes qui rémunèrent financièrement la loyauté des actionnaires ou qui leur accordent des droits de vote supplémentaires en récompense de cette loyauté. Des Etats (France, Italie notamment) ont légiféré dans ce sens. Il reste difficile d’en apprécier les conséquences. Théoriquement, le principe ‘une action – un vote’ ne l’emporte pas sur l’existence de plusieurs classes d’action impliquant des droits de vote différents. Il réduit, certes, les problèmes d’agence impliquant les détenteurs de blocs d’action, mais il réduit aussi les effets bénéfiques de la stabilité que ces blocs procurent (Burkart et Lee, 2008). Les études empiriques aboutissent, d’ailleurs, à des conclusions opposées les unes aux autres, ne faisant que signaler la complexité du problème (Adams et Ferreira, 2008).

Reste, cependant, que de nombreuses études empiriques confirment que les entreprises qui bénéficient d’une structure de propriété pérenne et obéissent à des indicateurs de performance qui ne se réfèrent pas uniquement au capital financier, ont de meilleurs résultats à long terme (Clark et alii, 2014). L’existence de blocs d’actionnaires stables ou de restrictions sur les droits de vote pourrait être des mécanismes susceptibles de garantir cette pérennité et de renforcer le degré d’engagement des apporteurs de capitaux justifiant que les autres parties prenantes – salariés, fournisseurs et clients – s’engagent à leur tour.

La difficulté avec les mécanismes de restriction des droits de vote est qu’ils ne permettent pas aux actionnaires d’indiquer la longueur de temps pendant laquelle ils veulent garder leurs actions et de signaler leur degré d’engagement (Mayer 2013). De fait, ceux qui entendent ne conserver leurs actions que peu de temps (éventuellement des millisecondes en cas d’échanges de haute fréquence) ont la même influence sur les décisions des managers que ceux qui entendent garder leurs actions pendant plusieurs années. Les premiers supportent les conséquences de leurs votes très peu de temps contrairement aux seconds, mais les uns et les autres ont la même influence sur décisions courantes qui peuvent affecter la performance de l’entreprise pour longtemps. Au fond, la mise en place de différentes classes d’actions ne se substitue pas forcément à la constitution d’un bloc stable d’actionnaires permettant de faire face à des prises de contrôle hostiles motivées par la recherche de plus-values à court terme.

Les choses peuvent être différentes quand la loyauté passée est récompensée financièrement par une augmentation des dividendes versés car, dans ce cas, la vente des actions fait perdre l’avantage financier acquis. Une incitation existe donc à conserver plus longtemps encore ces actions. Il reste que le versement de dividendes n’est jamais équivalent à la rétention de profits. Les fonds issus de nouvelles émissions sont sous le contrôle des actionnaires, alors que les profits non distribués restent sous le contrôle des managers. Plus les dividendes sont élevés et plus les entreprises sont dépendantes de leur capacité à recourir au marché d’actions.  La question reste posée d’une trop grande dépendance vis-à-vis de l’éventuelle impatience des actionnaires les conduisant à peser en faveur d’investissements courts.

Dès lors un mécanisme pertinent possible pourrait être de fixer des droits de vote non pas en fonction de la durée passée de détention des actions, mais en fonction de la durée future à laquelle les actionnaires se sont engagés (Mayer, 2013). Suivant cette proposition, les actionnaires devraient pouvoir enregistrer la période pour laquelle ils entendent conserver leurs actions et être rémunérés sous la forme de votes fixés en rapport avec la longueur du temps restant à courir avant qu’ils ne soient en mesure de disposer de leurs actions. Ici « la loyauté et le double droit de vote des actions rémunèrent les actionnaires pour la période passée de leur détention et, par suite, échouent à les rendre davantage responsables des conséquences futures de leurs choix. Vraiment, dans la mesure où les actionnaires qui ont gardé longtemps leurs actions sont plus à même de les vendre, ils rémunèrent potentiellement une absence d’engagement » (Mayer, 2013, pp. 208-9). Convenons, toutefois, que cet arrangement institutionnel est difficile à mettre en œuvre concrètement, ne serait-ce qu’en termes de crédibilité et qu’il reste préférable d’explorer d’autres formes de gouvernance faisant place aux autres parties prenantes dans les processus de décision.

Sur les attentes du gouvernement

Au regard de l’analyse qui vient d’être développée, la question se pose de ce que le gouvernement peut attendre de sa décision d’imposer des droits de vote double. La réponse est que ce pourrait être principalement de diminuer, fut-ce de manière limitée, la dette publique sans perte d’influence dans les entreprises dont il détient des actions. L’intention de renouer avec un capitalisme industriel grâce à cette mesure, pour louable qu’elle soit, resterait sans véritable portée. D’autant que rien ne permet de penser que l’Etat se comporterait, dans le futur, différemment de n’importe quel autre actionnaire en dépit d’un droit de vote double, pouvant imposer ou contribuer à imposer des décisions managériales qui ne sont pas nécessairement dans l’intérêt à long terme des entreprises concernées et de leurs autres parties prenantes.

Aussi sans vouloir négliger ce que peut apporter l’existence de plusieurs classes d’action dans la détermination des choix stratégiques des entreprises notamment en introduisant possiblement une protection contre les OPA hostiles, il apparaît plus fondamental de réviser le modèle d’entreprise dans son ensemble.

Le degré d’engagement des apporteurs de capitaux commande celui des autres parties prenantes. Un financement intermédié est la première source de moyens financiers pour des propriétaires qui souhaitent garder le contrôle de leur entreprise. Il permet aux entreprises d’innover et de croître sans devoir recourir à une dispersion de la propriété. Encore est-il nécessaire que ce financement existe, autrement dit que les banques s’engagent pour une durée longue avec ces entreprises. Or elles sont elles-mêmes particulièrement affectées par des problèmes de gouvernance entraînant un conflit entre les deux principaux investisseurs que sont les actionnaires et les créanciers (Giovannini et alii, 2015). Si avancées institutionnelles il doit y avoir, elles devraient donc concerner le système financier et reposer sur un retour de l’intermédiation (Pollin 2006). Si intervention il doit y avoir sur les conditions de gouvernance des entreprises elles-mêmes, elles devraient s’inspirer des propositions de Mayer (2013) : peut-être, sous réserve de faisabilité, celle d’instituer des droits de vote au prorata du temps de détention futur, mais surtout celle d’instituer des conseils d’administration (‘boards of trustees’) qui fixent de grandes orientations en étant les gardiens de valeurs communes aux différentes parties prenantes (actionnaires, créanciers, salariés, voire fournisseurs ou clients) au lieu d’être seulement les représentants des actionnaires. Ces valeurs communes ne font rien d’autre que traduire la reconnaissance des complémentarités stratégiques, existant entre tous ces acteurs, qui sont à l’origine de la création de valeur.

 

Références

Adams, R. and and D. Ferreira (2008), “One Share-One Vote: The Empirical Evidence”,

Review of Finance 12, 51-91.

Beffa J-L (2012): La France doit choisir, Paris: Le Seuil.

Berle A. and G.C. Means (1932) : The Modern Corporation and Private Property, New York : Harcourt, Brace & World, Inc.

Bloom, N. and  J. Van Reenen (2010) ‘Why Do Management Practices Differ across Firms and Countries?’ Journal of Economic Perspectives 24, 203-24.

Bolton, P. and F. Samama (2012), “L-Shares: Rewarding Long-Term Investors”,

ECGI Working Paper, No. 342/2013.

Burkart M. and S. Lee. (2008), ‘One Share-One Vote: The Theory’,

Review of Finance 12, 1-49.

Clark, G., A. Feiner and M. Viehs (2014), ‘From the Stockholder to the Stakeholder’,

Smith School of Enterprise and the Environment, Working Paper.

De Nicolò, G., L. Laeven and K. Ueda (2008) ‘Corporate Governance Quality: Trends and Real Effects’, Journal of Financial Intermediation 17, 198-228.

Giovannini A., Mayer C., Micossi S., Di Noia C., Onado M., Pagano M., et A. Polo (2015): Restarting European Long-Term Investment Finance. A green paper discussion document, CEPR Press. http://reltif.cepr.org/restarting-european-long-term-investment-finance

Iacopetta, M., R. Minetti and P. F. Peretto (2014) ‘Financial Markets, Industry Dynamics, and Growth’, Duke University Working Paper Series (ERID), 172

La Porta, R., F. Lopez-de-Silanes, A. Shleifer and R. Vishny (2000) ‘Investor Protection and Corporate Governance’, Journal of Financial Economics 58, 3-27.

Mayer C. (2013) : Firm Commitment, Oxford : Oxford University Press

Morck, R.,  A. Shleifer and R. Vishny (1988) : ‘Management Ownership and Market Valuation: An empirical analysis’, Journal of Financial Economics 20 : 293-315.

Morck R., Stangeland D. and B. Yeung (2000) : ‘Inherited Wealth, Corporate Control, and Economic Growth, in R. Morck ed. Concntrated Corporate Ownership, Chicago : University of Chicago Press.

OECD (2012) Corporate Governance, Value Creation and Growth. The Bridge between Finance and Enterprise, OECD, Paris. http://www.oecd.org/corporate/ca/corporategovernanceprinciples/50242938.pdf ).

Philippon T. (2007) : Le capitalisme d’héritiers : la crise du travail en France, Paris : Le Seuil.

Pollin J-P (2004) : ‘A propos de quelques ouvrages sur la gouvernance des entreprises’, Revue Economique 55 (2) : 333-346.

Pollin J-P (2006) : Essais sur la Gouvernance HAL Archives ouvertes https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00081933

Shleifer A. and R. Vishny (1997) : ‘A Survey on Corporate Finance’, Journal of Finance 52 (2) : 737-783.




Vers une meilleure gouvernance dans l’UE ?

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Vers une meilleure gouvernance dans l’UE ? Tel était le sujet de la 10e Conférence EUROFRAME sur les questions de politique économique dans l’Union européenne, qui s’est tenue le 24 mai 2013 à Varsovie. « Towards a better governance in the EU? »,  le numéro 132 de la collection « Débats et Politiques » de la Revue de l’OFCE, publie des versions révisées de douze des communications présentées à cette conférence, rassemblées autour de quatre thèmes : gouvernance budgétaire, analyse des politiques budgétaires, gouvernance bancaire, questions macroéconomiques.

La crise financière mondiale de 2007 et la crise des dettes souveraines de la zone euro à partir de 2009 ont mis en lumière des défauts de la gouvernance dans l’UE. L’analyse de ces défauts et les propositions d’amélioration de la gouvernance font l’objet d’intenses débats entre économistes, dont la Conférence EUROFRAME a donné une illustration.

Comment renforcer l’Union Economique et Monétaire entre des pays qui restent foncièrement différents ? Comment sortir par le haut de la crise financière et économique, de la crise des dettes publiques, de l’austérité budgétaire et de la dépression ? Peut-on mettre en place une gouvernance de la zone euro, qui garantisse la solidité de la monnaie unique, qui évite le creusement des disparités entre Etats membres, qui leur donne les marges de manœuvre nécessaires, tout en leur interdisant les politiques non-coopératives, que ce soit la recherche excessive de compétitivité et d’excédents extérieurs ou le gonflement irresponsable de leurs dettes publiques ou extérieures ?

Au fil des articles de ce numéro, le lecteur verra apparaître plusieurs points de vue qui sont autant de voies possibles pour l’Europe :

–          Certains pensent qu’il faut revenir au Traité originel, supprimer les mécanismes de solidarité, interdire à la Banque centrale d’acheter les dettes des pays membres, imposer à ceux-ci de se financer sur les marchés financiers, qui, échaudés par l’expérience grecque, seront maintenant plus vigilants et imposeront des primes de risques aux pays qu’ils jugent laxistes. Mais ceci est-il compatible avec l’unicité de l’euro ? Les marchés sont-ils compétents en matière macroéconomique ? Les pays de la zone euro peuvent-ils accepter d’être abaissés au rang de pays sans souveraineté monétaire, dont la dette publique est considérée comme risquée et qui ne contrôlent pas leur taux d’intérêt ?

–          D’autres estiment qu’il faut aller progressivement vers une Europe fédérale, où les pouvoirs européens auraient en charge la politique budgétaire de chacun des Etats membres ; ceci devrait s’accompagner d’une démocratisation des instances de l’Union allant jusqu’à une certaine forme d’union politique. Mais peut-on gérer de façon centralisée des pays dont les conjonctures, les structures économiques et sociales diffèrent, qui ont besoin de stratégies différenciées ? La zone euro n’est-elle pas trop hétérogène ? Chaque pays peut-il accepter de soumettre ses choix sociaux et économiques à des arbitrages européens ?

–          D’autres estiment que la monnaie unique entre pays trop hétérogènes est impossible, que la garantie inconditionnelle des dettes publiques sera refusée par les pays du Nord, alors qu’elle est indispensable pour maintenir l’unité de la zone euro, que l’Europe est incapable d’organiser une stratégie commune mais différenciée, que les différentiels accumulés en matière de compétitivité nécessitent de forts réajustements de parité en Europe. Il faut laisser les taux de change refléter les situations différenciées des pays membres : forte baisse des monnaies des pays du Sud, forte montée des taux de change des pays du Nord, en retournant au SME, ou même à la flexibilité des change. Chaque pays sera alors placé devant ses responsabilités : les pays du Nord devront relancer leur demande intérieure, ceux du Sud devront utiliser leurs gains de compétitivité pour reconstruire un secteur exportateur. Mais aucun pays ne demande ce saut dans l’inconnu, dont les conséquences financières pourraient être redoutables.

–          Certains enfin, dont nous sommes, estiment qu’il faut que les dettes publiques redeviennent des actifs sans risques, garanties par la BCE, dans le cadre d’une coordination ouverte des politiques économiques des pays membres, visant explicitement le plein-emploi et la résorption concertées des déséquilibres de la zone. Mais cette coordination n’est-elle pas un mythe ? Un pays peut-il accepter de modifier ses objectifs de  politique économique pour améliorer la situation de ses partenaires ? Les méfiances entre pays européens ne sont-elles pas trop fortes aujourd’hui pour que chacun accepte de garantir les dettes publiques de ses partenaires ?

Telles sont les questions qui traversent ce numéro, lequel nous l’espérons, apporte une contribution utile aux débats sur la gouvernance de l’UE à l’approche des élections européennes.

 

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[1] EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne) et NIESR (Royaume-Uni).

[2] Ce numéro est publié en langue anglaise.




De Trichet à Draghi : bilan et perspectives

par Christophe Blot et Eric Heyer

Au cours des huit années passées à la tête de la BCE, nous avons connu deux J-C. Trichet (JCT), l’un dogmatique, l’autre pragmatique. Quel sera le visage de son successeur l’Italien Mario Draghi, confronté dès son entrée en fonction à une crise sans précédent de la zone euro ?

Dans les cinq premières années, période d’avant-crise, nous avons connu JCT le dogmatique : banquier central très appliqué, il a respecté à la lettre le mandat qui lui avait été confié, à savoir de maintenir l’inflation proche de 2 %. A l’aune de cet unique critère, considéré comme essentiel par les Allemands, le bilan de JCT est bon puisque qu’au cours de cette période l’inflation moyenne en zone euro fut de 2,1 %. Mais plusieurs critiques peuvent être formulées à l’encontre de son action post-crise : la première réside dans le fait qu’en voulant incarner la monnaie unique et la rendre crédible, JCT a choisi de la rendre « forte » – ce qui est différent de « stable ». Il n’a donc rien mis en place pour piloter le taux de change et s’est satisfait de voir l’euro passer de 1,10 dollar en 2003 à près de 1,50 dollar fin 2007, soit une appréciation de 37 %. Ce dogme de l’euro fort, de la désinflation compétitive, l’a certes aidé à contenir l’inflation mais au détriment de la compétitivité et de la croissance européenne. Une interprétation moins stricte de la stabilité des prix aurait accru l’attention de la BCE portée au taux de change de l’euro, ce qui aurait favorisé le dynamisme de la croissance et de l’emploi dans la zone euro. Ainsi, entre 2003 et 2007, la croissance annuelle moyenne en zone euro aura été 0,6 point inférieure à celle enregistrée aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni (2,1 % contre 2,7 %) et le taux de chômage a été supérieur de plus de 3 points (8,4 % en zone euro contre 5,1 % aux E. U. et au R. U.) avec des performances d’inflation comparables. La seconde critique est en lien avec une interprétation stricte de sa politique de lutte contre l’inflation et qui a conduit JCT a une grave erreur de jugement : à l’été 2008, quelques semaines avant la faillite de Lehman Brothers, alors que l’économie américaine était déjà entrée en récession et que les craintes pour l’Europe s’accentuaient, la BCE a décidé une augmentation des taux d’intérêts, par crainte d’un regain de tensions inflationnistes alimenté par les prix des matières premières énergétiques et alimentaires. Or, à l’évidence il n’était pas très lucide de redouter des tensions inflationnistes au moment où l’économie mondiale se préparait à sombrer dans la plus grande crise depuis les années 1930.

Pendant les trois dernières années, période de crise, ce fut JCT le pragmatique : en l’absence de gouvernance européenne, JCT a été un pilier de la réaction européenne face à la crise en discutant d’égal à égal avec des chefs d’Etats et en œuvrant significativement au sauvetage du système financier. A cet égard, et contrairement aux quatre années précédentes, il a pris certaines libertés par rapport au mandat et aux statuts de la BCE en agissant de façon non conventionnelle, notamment au moment de la crise des dettes souveraines. Mais en actionnant des hausses des taux directeurs depuis le début de l’année dans un contexte de chômage de masse et de nette sous-utilisation des capacités de production en zone euro, JCT le pragmatique a commis la même erreur d’interprétation que JCT le dogmatique trois ans auparavant : le regain d’inflation n’étant pas lié à un risque de surchauffe de l’économie européenne mais trouvant son origine dans l’augmentation des prix des matières premières alimentaires et énergétiques, les hausses des taux n’ont aucune incidence sur celui-ci mais, en revanche, fragilisent un peu plus la croissance européenne.

De fait, la BCE a rapidement révisé son diagnostic laissant ainsi la porte ouverte à une baisse rapide des taux d’intérêt. Il est d’ailleurs probable que Jean-Claude Trichet aurait agi plus rapidement s’il n’avait pas été à la fin de son mandat. Ce faisant il a évité d’enfermer son successeur dans un scénario donné, lui laissant donc toutes les possibilités dans ses premiers pas à la tête de la BCE. Mario Draghi a d’ailleurs rapidement mis fin au suspense sur ses intentions puisqu’une baisse des taux d’un quart de point a été annoncée dès sa première réunion le 3 novembre. S’il a bien pris soin de rappeler que la BCE ne s’engageait pas sur les décisions futures, le contexte macroéconomique et financier amène à anticiper au moins une baisse des taux supplémentaire.

Pourtant si la question de la politique des taux d’intérêt est un élément central de la politique monétaire et donc du mandat de Mario Draghi, les défis qui s’ouvrent à lui dépassent largement cet enjeu. Dans le contexte de crise de la zone euro, le programme d’achats de titres de la BCE est au cœur de toutes les attentions et pose la question du rôle de la BCE dans la gouvernance européenne. Cette question recouvre de fait de multiples enjeux cruciaux et interdépendants : le rôle de prêteur en dernier ressort, la coordination entre politique budgétaire et politique monétaire ainsi que les compétences de la BCE en matière de stabilité financière.

La crise actuelle illustre les difficultés inhérentes au fonctionnement d’une union monétaire sans union budgétaire puisque, de fait, cela revient pour tout membre de l’Union à s’endetter dans une monnaie qu’il ne contrôle pas. Même si en temps normal les opérations de politique monétaire aux Etats-Unis conduisent la Réserve fédérale à détenir des titres publics,  – principalement de court terme – la crise a conduit la Banque centrale américaine à amplifier ses achats de titres et à modifier la structure de son bilan en achetant des obligations publiques sur les marchés secondaires. La Banque d’Angleterre a mené des actions similaires en achetant près de 200 milliards de livres de titres obligataires publics[1]. Quant à la Banque du Japon, elle a amplifié ces mesures non conventionnelles qui étaient déjà mises en place pour lutter contre la déflation qui sévit dans l’Archipel depuis la fin des années 1990. Ce faisant, ces banques centrales ont fait pression sur la baisse sur les taux d’intérêt à long terme et elles ont garanti la liquidité de ces marchés, se portant implicitement prêteuses en dernier ressort. Si la BCE s’est également engagée sur ce terrain en achetant plus de 170 milliards d’euros de titres publics (italiens, grecs, portugais et irlandais), l’ampleur du programme d’achat d’actifs (2,1 % de l’ensemble de la dette publique totale des pays de la zone euro) reste inférieur à celui mis en œuvre par la Réserve fédérale et la Banque d’Angleterre qui détiennent respectivement plus de 10,5 % et 16 % de la dette publique émise par leur gouvernement. Surtout, la BCE a pris soin de préciser que ce programme était temporaire, d’un montant limité et destiné à restaurer l’efficacité de la politique monétaire. Dans une tribune récente, Paul de Grauwe compare la stratégie de la BCE à celle d’un chef des armées partant à la guerre tout en déclarant qu’il n’utiliserait jamais tout son potentiel militaire et qu’il rapatrierait les troupes le plus tôt possible, c’est-à-dire sans s’assurer que la victoire finale serait acquise. Une telle stratégie est nécessairement vouée à l’échec. Seul un engagement illimité pourrait mettre fin à la contagion qui frappe les pays de la zone euro en proie à des difficultés budgétaires. Et seule une banque centrale, par la création monétaire, peut offrir une telle garantie. Pourtant, jusqu’ici, les pays européens ont écarté cette voie lors du sommet du 25 octobre tandis que Mario Draghi n’a fait que réitérer la stratégie de la BCE lors de sa première conférence de presse ajoutant même qu’il ne pensait pas qu’un prêteur en dernier ressort soit la solution à la crise que traverse la zone euro. La dimension du FESF restant insuffisante pour enrayer la contagion, tout porte à croire que le rôle de la BCE sera de nouveau au centre des débats. Il faut alors espérer que Mario Draghi et les membres du Conseil des gouverneurs sauront faire preuve de plus de pragmatisme à cette occasion. Il est urgent de reconnaître le rôle de prêteur en dernier ressort de la BCE en faisant de la stabilité financière de la zone euro un objectif explicite de politique monétaire.

Par ailleurs, au-delà du rôle de prêteur en dernier ressort, c’est plus généralement la question de la coordination des politiques économiques qui doit être reposée. L’articulation du policy-mix est en effet un élément central des performances en matière de croissance. Aux Etats-Unis, la complémentarité entre politique monétaire et budgétaire est aujourd’hui évidente puisqu’en faisant pression sur les taux longs, la Réserve fédérale met en œuvre une politique qui assure la soutenabilité de la politique budgétaire en même temps qu’elle favorise son impact sur la croissance. La principale critique à l’égard d’une telle politique souligne qu’elle remettrait en cause l’indépendance de la Banque centrale. Pour autant, rien ne permet aujourd’hui d’affirmer que la Réserve fédérale aurait abandonné la conduite de la politique monétaire au profit du gouvernement. La question ne se pose pas puisque la Banque centrale américaine, comme le gouvernement, poursuivent les mêmes objectifs : croissance, emploi, stabilité des prix et stabilité financière[2]. Ces objectifs sont interdépendants et la zone euro ne pourra retrouver le chemin de la croissance qu’à la condition que les autorités de décisions rament dans la même direction.

Si tous ces enjeux ne sont pas uniquement du ressort de Mario Draghi – une réforme du Traité pourrait renforcer et légitimer ses décisions –, sa position sera néanmoins déterminante. La crise de la zone euro appelle des décisions urgentes et révèlera très rapidement les ambitions et les capacités de son nouveau président.


[1] La BoE vient cependant d’annoncer que son programme d’achat de titres serait progressivement porté à 275 milliards de livres.

[2] Voir « La Fed, la BCE et le double mandat ».