La zone euro en crise : quelles perspectives pour la politique monétaire et les politiques budgétaires en Europe ?

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 8 juin 2012, s’est tenue à Kiel la 9ème Conférence EUROFRAME[1] sur les questions de politique économique de l’Union Européenne. Son sujet était : « La zone euro en crise : quelles perspectives pour la politique monétaire et les politiques budgétaires en Europe ? ». La conférence a, bien sûr, été dominée par la question de la crise des dettes publiques de pays de la zone euro. Comment est-on arrivé à cette situation ? Faut-il incriminer des erreurs des politiques économiques nationales ? Faut-il mettre en cause la mauvaise organisation de la zone euro ?

Plusieurs lignes de fracture sont apparues (cf. aussi la Note associée) :

–         pour les uns, ce sont des politiques nationales irresponsables qui sont la cause des déséquilibres : les pays du Sud ont laissé se développer des bulles immobilières et salariales tandis que les pays du Nord pratiquaient des politiques vertueuses d’austérité salariale et de réformes structurelles. Les pays du Sud doivent donc adopter la stratégie des pays du Nord et accepter une longue cure d’austérité. Pour les autres, la monnaie unique a permis le développement de déséquilibres jumeaux et opposés : trop d’austérité au Nord, trop de hausses de salaires au Sud ; il faut une convergence où la relance au Nord facilite la résorption des déséquilibres extérieurs au Sud.

–         Pour les uns, chaque pays doit mettre en œuvre des politiques alliant consolidation budgétaire et réformes structurelles. Pour les autres, il faut une stratégie de croissance à l’échelle de l’UE (en particulier par le financement de la transition écologique) et une garantie des dettes publiques pour faire converger les taux d’intérêt nationaux vers le bas.

–         Pour les uns, toute nouvelle solidarité suppose le développement d’une Union budgétaire, ce qui signifie la mise en place des règles contraignantes inscrites dans le Pacte budgétaire ; pour les autres, il faut une coordination ouverte des politiques économiques, sans normes préétablies.

Nous proposons un compte-rendu assorti de brefs commentaires[2] dans une Note longue.


[1] EUROFRAME est un réseau d’instituts économiques européens qui regroupe : DIW et IFW (Allemagne), WIFO (Autriche), ETLA (Finlande), OFCE (France), ESRI (Irlande), PROMETEIA (Italie), CPB (Pays-Bas), CASE (Pologne), NIESR (Royaume-Uni).

[2] La plupart des articles sont disponibles sur : http://www.euroframe.org/index.php?id=7. Une sélection d’articles sera publiée dans un numéro de la Revue de l’OFCE, collection « Débats et Politiques », à paraître fin 2012. Le présent compte-rendu n’engage que ses auteurs.




Le retour à la drachme serait-il un drame insurmontable?

par Céline Antonin

Le 17 juin 2012, le vote des Grecs aux élections législatives a, au moins pour un temps, éloigné le spectre d’une sortie du pays de la zone euro. Cependant, l’idée n’est pas totalement enterrée, et trouve des relais aussi bien en Grèce que chez certaines formations politiques en zone euro. Cela continue de poser la question du coût d’un défaut total de la Grèce pour ses créanciers, au premier rang desquels figure la France. L’analyse publiée dans la dernière  Note de l’OFCE (n°20 du 19 juin 2012) montre que malgré l’ampleur des pertes potentielles, plusieurs facteurs permettent de relativiser les conséquences d’un défaut de l’Etat grec sur les pays de la zone euro.

Une sortie de la Grèce de la zone euro, non prévue par les traités, serait un véritable casse-tête juridique à résoudre, il faudrait notamment gérer le retrait d’un pays de l’Eurosystème[1]. En cas de retour à une nouvelle drachme, qui se déprécierait fortement par rapport à l’euro[2], le fardeau de la dette publique restant à rembourser serait considérablement alourdi, de même que celui des dettes privées qui seraient toujours libellées en euros. Les faillites d’entreprises financières et non financières seraient nombreuses. Légalement, la Grèce ne pourrait pas convertir unilatéralement sa dette publique en nouvelles drachmes. Etant donné la faible soutenabilité de l’endettement public du pays et le fait que la dette soit libellée quasi-exclusivement en euros, le pays ferait certainement défaut (au moins partiellement) sur sa dette publique, voire sur sa dette extérieure[3]. Les principaux détenteurs de dette grecque étant les pays de la zone euro, quel serait l’ampleur du choc en cas de défaut grec ?

L’objectif ici, dont on trouvera plus de détails dans la Note de l’OFCE (n°20 du 19 juin 2012), est de décomposer l’exposition des pays de la zone euro (et notamment la France) à la dette publique et privée grecque. L’exposition à la dette publique grecque transite par trois canaux principaux :

1) les deux plans d’aide budgétaire de mai 2010 et mars 2012 ;

2) la participation à l’Eurosystème ;

3) l’exposition des banques commerciales.

Si l’on analyse chacun de ces canaux, il apparaît que ce sont surtout les plans d’aide à la Grèce qui exposent les pays de la zone euro à des pertes. Ils exposent les pays de la zone euro à des pertes maximales de 160 milliards d’euros (dont 46 milliards d’euros pour l’Allemagne et 35 milliards d’euros pour la France). Les pays de la zone euro sont également exposés à la dette publique grecque via leur participation à l’Eurosystème : en effet, le bilan de l’Eurosystème a gonflé considérablement pour soutenir les pays fragiles de la zone euro, notamment la Grèce. Cela étant, au vu de la capacité d’absorption des pertes de l’Eurosystème (plus de 3 000 milliards d’euros), nous considérons que les pertes potentielles pour les pays de la zone euro sont peu probables, dans le cas d’un défaut unilatéral de la Grèce sur sa dette publique. Enfin, le système bancaire de la zone euro serait exposé à hauteur de 4,5 milliards d’euros au risque souverain grec et à hauteur de 45 milliards d’euros au secteur privé grec[4].

L’exposition cumulée de la zone euro à la dette grecque, hors Eurosystème, atteindrait au maximum 199 milliards d’euros (2,3 % du PIB de la zone euro, tableau), dont 52 milliards d’euros pour l’Allemagne (2 % du PIB) et 65 milliards d’euros pour la France (3,3 % du PIB). Si l’on inclut l’exposition à l’Eurosystème, l’exposition cumulée de la zone euro à la dette grecque atteindrait 342 milliards d’euros (4 % du PIB de la zone euro), dont 92 milliards d’euros pour l’Allemagne (3,6 % du PIB) et 95 milliards d’euros (4,8 %) pour la France. La France apparaît comme le pays le plus exposé de la zone euro, à cause de l’exposition de ses banques à la dette privée grecque, via des filiales en Grèce. Si l’on ne considère que la dette publique grecque, en revanche, c’est l’Allemagne qui apparaît comme le pays le plus exposé à un défaut grec.


 

Ces montants constituent une borne supérieure : ils représentent le maximum des pertes potentielles dans le scénario le plus défavorable, à savoir le défaut total de la Grèce sur sa dette publique et privée. En outre, il est impossible de prévoir avec certitude l’ensemble des réactions en chaîne liées à une sortie de la Grèce de la zone euro : tout dépend si la sortie est concertée ou pas, si un plan de rééchelonnement des dettes est mis en place, de l’ampleur de la dépréciation de la drachme par rapport à l’euro, …

L’élément « rassurant » de cette analyse est l’ordre de grandeur des pertes éventuelles (tableau): le choc d’une sortie de la Grèce serait absorbable, même si cela induirait un choc sur chacun des pays membres et creuserait leur déficit, sapant leurs efforts pour revenir à l’équilibre budgétaire. En revanche, cette analyse rappelle également combien les économies des pays de la zone euro sont imbriquées, ne serait-ce que via l’Union monétaire, sans parler des mécanismes de solidarité budgétaire. Ainsi, une sortie de la Grèce de la zone euro risquerait d’ouvrir la boîte de Pandore, et si d’autres pays sont tentés d’imiter l’exemple grec, c’est l’ensemble de la zone euro qui risque de sombrer.


[1] L’Eurosystème est l’institution européenne regroupant la BCE et les banques centrales des pays faisant partie de la zone euro.

[2] Sur cette question, voir A. Delatte, Quels sont les risques du retour à la drachme encourus par les Grecs, blog de l’OFCE, juin 2012.

[3] La dette extérieure désigne l’ensemble des dettes qui sont dues par tous les acteurs publics et privés d’un pays à des prêteurs étrangers.

[4] On se situe ici dans un cas d’école, où la dépréciation de la drachme serait telle que la monnaie ne vaudrait plus rien.

 




Quels sont les risques du retour à la drachme encourus par les Grecs ?

par Anne-Laure Delatte (chercheure associée au département des Etudes)

Le débat sur le maintien ou non de la Grèce dans la zone euro s’intensifie. La directrice du FMI,  Christine Lagarde, fustige le gouvernement grec. Le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, estime que la zone euro peut désormais supporter une sortie de la Grèce et  maintient que les Grecs n’ont pas le choix. Quels sont les risques pour les Grecs du retour à la drachme ? Cette option conduirait-elle nécessairement le pays au chaos ?  Quelques éléments de réponse peuvent être trouvés dans l’expérience argentine du retour au peso en 2002.

En Argentine, la parité fixe peso/dollar au taux de un peso pour un dollar fut établie par la loi du 1er Avril 1991. Le dollar pouvait être utilisé indifféremment dans les transactions internes. Il en résulta une circulation de dollars dans les transactions courantes et la dénomination des actifs financiers en dollars. Concrètement, en moyenne, dans les années 1990, plus de 70 % des dépôts bancaires et deux tiers des crédits au secteur privé étaient libellés en dollars. Ce montant a culminé au dernier trimestre 2001, la veille de l’abandon du régime, quand 75 % des dépôts privés et 80 % de l’ensemble des crédits étaient libellés en dollars.

Le fort attachement de la population argentine au dollar a été conforté tout au long des années 1990 par la promesse de chaque candidat aux élections présidentielles de maintenir ce régime.  Aussi l’abandon du dollar en janvier 2002 s’est fait dans un contexte politique particulièrement dramatique, marqué par la démission successive de cinq présidents et un désarroi populaire qui a retenti bien au-delà des frontières argentines. Le peso a subi une dévaluation de plus de 70 % par rapport au dollar et l’épargne domestique a fui de façon massive vers des comptes bancaires étrangers. Si le troc est resté marginal, les provinces et l’Etat central ont commencé à émettre leur propre monnaie pour payer les fonctionnaires et leurs fournisseurs. Selon la Banque centrale argentine, ces monnaies parallèles ont représenté 30 % des billets en circulation en moyenne tout au long de 2002.

Ainsi, le contexte dans lequel l’Argentine a rétabli sa monnaie nationale en 2002 était en partie comparable au contexte grec actuel : une forte confusion politique, une grave récession et surtout une monnaie nationale sans réelle crédibilité.

Contre toute attente, malgré l’ampleur de la crise, le désordre social et politique et la fragmentation monétaire qui laissaient prédire une période de 10 ans pour retrouver le niveau de PIB d’avant la crise, la reprise économique s’est amorcée dès le second semestre 2002. Avec une croissance nominale de 9 % par an et une inflation maîtrisée, l’Argentine a finalement  récupéré son niveau d’avant-crise en 2004. Comment l’Argentine est-elle sortie du dollar  « par le haut »?

Le défaut sur 90 milliards de dollars de dette publique, suivi d’un pacte fiscal entre les provinces et l’Etat central et de maîtrise des dépenses ont redressé les finances publiques. Mais ce qui fait l’originalité de l’expérience argentine, c’est la réforme monétaire opérée dès janvier 2002.

En effet, la dévaluation du peso bouleversait les équilibres financiers à l’intérieur du pays. Avec 80 % des crédits contractés en dollars, la plupart des ménages et des entreprises ont vu la valeur de leur dette multipliée par près de quatre ! Après la dévaluation, le montant des dettes privées atteignait en 2002 120 milliards de dollars tandis que le PIB argentin ne pesait plus que 106 milliards de dollars. Pour éviter la faillite de l’ensemble du secteur privé, les autorités argentines ont alors imaginé une règle de remboursement des dettes.

En effet, pour éviter la faillite, la logique voulait que les revenus des entreprises soient libellés dans la même monnaie que les dettes. C’est ainsi que le 4 février 2002, par le décret 214/02, le gouvernement a imposé la « pesification » de l’ensemble de l’économie : tous les prix, les contrats dans les secteurs réel et financier, salaires et dettes ont été convertis en pesos au taux de un peso pour un dollar alors que le cours du marché atteignait presque 4 pesos pour un dollar. Les contrats dans le secteur financier ont subi une conversion du même ordre : les dépôts ne dépassant pas trente mille dollars ont été convertis au taux de 1,4 peso pour 1 dollar[1]. Comment une telle règle s’est-elle imposée malgré les effets de richesse désastreux sur les créanciers ?

La conversion au taux de un pour un (ou 1,4 pour 1) imposée par les autorités a opéré un règlement du conflit sur les dettes en faveur des débiteurs au détriment des créanciers nationaux et étrangers. Or le principal agent débiteur dans l’économie est le secteur productif, c’est-à-dire les entreprises. En leur offrant une sortie de crise protégée, les nouvelles règles monétaires ont neutralisé les effets de bilan et permis que la dévaluation retrouve des effets expansionnistes classiques. En effet, la balance commerciale est devenue excédentaire et l’économie argentine a pu alors profiter du contexte mondial florissant du début des années 2000. Les exportations sont passées de 10 à 25 % du PIB et dès 2004, le niveau du PIB était de 2 % supérieur à la moyenne des années 1990. Autrement dit la règle monétaire a permis le retour à la croissance et à l’emploi, ce qui explique qu’une majorité de la population y a adhéré.

En fait, les Argentins, comme les Grecs aujourd’hui, étaient pris au piège : avec des contrats de dettes libellés en dollar, le retour au peso, après dévaluation, entraînait une faillite généralisée du secteur privé. Si les Grecs abandonnaient l’euro aujourd’hui, le pays entier serait en faillite. En effet, si la drachme était dévaluée de 50 %, comme certaines prévisions l’indiquent actuellement, la dette privée serait multipliée par deux. Avec des revenus libellés en drachmes et des dettes en euro, les entreprises et les ménages seraient incapables de rembourser leurs créanciers. C’est bien le même phénomène de piège qui paralysait les autorités argentines avant 2002.

Au total, plusieurs enseignements peuvent être tirés de l’expérience argentine. Premièrement, le principal risque pour la Grèce d’une sortie de l’euro est une faillite généralisée du secteur privé. Après le secteur public qui a déjà restructuré 50 % de sa dette, le retour à la drachme, toutes choses égales par ailleurs, fera émerger des conflits financiers entre créanciers et débiteurs privés qui paralyseront le système de paiement. Deuxièmement, pour résoudre la crise, l’Etat doit jouer un rôle central d’arbitre. Dans ces conditions, la nature des règles retenue n’est pas neutre. Les solutions sont multiples, exprimant des orientations politiques et ayant des conséquences économiques divergentes.  En Argentine, le choix de favoriser les débiteurs nationaux est allé à l’encontre des intérêts des détenteurs de capital et des investisseurs étrangers. Aussi, contrairement à ce qu’affirme Wolfgang Schäuble, le gouvernement grec a le choix. C’est le troisième enseignement. La résolution de la crise grecque est plus qu’un projet économique et les options qui s’offrent au peuple grec relèvent de choix politiques. Le choix déterminera des conditions plus favorables à certains groupes économiques (comme les créanciers européens, les salariés grecs, les détenteurs de capital, etc.).

Selon la nature de l’ordre politique, l’Etat pourra chercher à conserver la matrice des rapports de force ou au contraire à la bousculer. Une réforme peut en effet entraîner une rupture et être l’occasion d’une définition de nouveaux rapports de force. L’option poursuivie jusqu’ici a consisté à répartir le coût de la résolution de la crise grecque sur les créanciers d’une part, via la restructuration de la dette publique, et sur les débiteurs d’autre part, via les efforts structurels (réduction des salaires et transferts sociaux) et l’augmentation de la pression fiscale. A contrario, une sortie de la zone euro accompagnée d’une restructuration des dettes privées et publique « façon Argentine » imposerait le coût de la résolution davantage aux créanciers, principalement le reste de l’Europe. Cela explique le regain de tension dans les propos de certains pays européens créanciers à l’égard de la Grèce, ainsi que la confusion qui règne dans le débat européen actuel : en l’absence d’une solution optimale aux effets neutres, chaque partie défend ses propres intérêts au risque d’y laisser la peau de l’euro.


[1] Les dépôts de montants supérieurs étaient au choix convertis dans les mêmes conditions ou transformés en obligations du Trésor libellées en dollars.




Retour en enfer ?

par Xavier Timbeau

A propos des perspectives de l’économie mondiale pour 2011-2012

Si la Grèce venait à faire défaut, même partiellement, sur sa dette souveraine, il pourrait se produire un évènement de nature au moins aussi grave que celui qui a suivi la chute de la banque Lehman Brothers à l’automne 2008.

Le choc initial, une fraction (60% ?) des 350 milliards d’euros de dette publique grecque, frapperait directement les agents qui détiennent cette dette. Quelques centaines de milliards d’euro (210 M€ ?) seraient inscrits en moins au bilan de ménages ou de banques grecs, mais aussi d’agents économiques d’autres pays européens. Il faudrait alors recapitaliser le système bancaire européen (quelques dizaines de milliards d’euros), probablement quelques assureurs ou fonds de pension (on ne sait pas combien) et espérer que le reste, c’est-à-dire les pertes financières des ménages se limiteraient à un simple effet richesse.

La Grèce ne serait pas sortie d’affaire pour autant, puisque son déficit primaire (hors charge d’intérêt) sera en 2011 supérieur à 2,5 % de son PIB. Même dans le cas d’un défaut partiel sur sa dette souveraine, la Grèce serait probablement exclue des marchés financiers et devrait à nouveau réduire, brutalement, son déficit public, à moins que le FESF ne s’y substitue. Mais tout comme dans l’enchaînement qui a conduit de la faillite de la 5eme banque d’affaire américaine à la plus grande crise financière, bancaire et économique de l’après-guerre, l’affaire ne s’arrêterait pas là (nous décrivons ce scénario en détail dans notre analyse de la conjoncture d’octobre 2011).

Il serait alors démontré que les titres publics de la zone euro ne sont plus des titres sûrs. N’étant plus sûrs, ces titres souverains seraient moins recherchés et ne serviraient plus de valeur refuge comme ils le sont aujourd’hui. Le taux d’intérêt souverain deviendrait plus élevé, mesure supposée du risque qu’il y aurait à en détenir désormais. Plus le pays serait susceptible de suivre la Grèce dans le défaut, plus son taux s’envolerait. Partant de niveaux de dettes publiques égales au PIB – conséquences en partie de la phase I de la grande récession de 2008 – la hausse des taux creuserait les déficits publics plus qu’ils ne le sont. Elle accroîtrait le risque de défaut, jusqu’à le provoquer.  Les pays qui le peuvent tenteraient d’échapper à ce cercle vicieux par une vertu budgétaire encore plus exemplaire.

Tout ceci conduirait à de nouvelles moins-values pour les imprudents qui auraient acquis des titres souverains portugais, espagnols, irlandais ou italiens. Au lieu de quelques centaines de milliards d’euros perdus sur la dette publique grecque, ce sont là quelques milliers de milliards d’euros de moins-values qui appelleraient à la fois de sérieuses recapitalisations du secteur bancaire européen (on évoque jusqu’à 300 milliards d’euros) et une perte de richesse des ménages européens qui devrait se traduire par un sérieux ralentissement de leur consommation. Combiné à l’effet des restrictions budgétaires impliquées par l’arrêt du financement des déficits publics, par les restrictions  budgétaires dans les pays « vertueux », la phase II de la récession ferait passer la phase I pour une aimable plaisanterie.

Un plan audacieux de recapitalisation vigoureuse des banques européennes, de refinancement à long terme de la Grèce et de vertu budgétaire affichée et partagée par les Etats membres de l’Union Européenne pourrait retarder le scénario du pire pendant quelques mois. On pourrait ainsi entretenir l’illusion que les titres publics sont sûrs, à l’exception de ceux émis par la Grèce. Mais, lorsqu’on s’apercevra que les engagements budgétaires de certains étaient optimistes et avaient sous-estimé les possibilités d’une nouvelle mauvaise fortune, qu’elle soit tombée du ciel ou simplement la conséquence des plans de restrictions sur l’activité en Europe et donc sur les recettes fiscales, alors, la certitude de la sûreté des titres publics s’effondrera à nouveau. Et aux exceptions, on ajoutera le Portugal à la Grèce. Mais l’exception devenant règle, la digue cèdera à nouveau et plus facilement à chaque nouveau pays. L’Allemagne sera le dernier pays à faire défaut, triste consolation pour avoir été le plus vertueux, ce que les marchés financiers semblent anticiper par des CDS à plus de 70/10 000 sur les titres souverains allemands.

Pour éviter ce scénario du pire, il nous reste peu de solutions. Quatre principes doivent être suivis. Le premier est qu’il ne faut aucun défaut sur des titres souverains. La Banque Centrale Européenne (BCE) multiplie les déclarations dans ce sens, à juste titre. En second lieu, la Grèce doit payer sa dette publique. C’est à la fois pour des raisons morales (personne ne doit payer à la place des grecs), pour des raisons économiques (la perte sur les titres souverains grecs est une perte pour quelqu’un) mais aussi parce que les grecs le peuvent. Leur économie connaît depuis 2008 une récession comme peu d’économies développées en ont traversé, l’ajustement budgétaire sera brutal, mais les ménages ou institutions grecs détiennent un patrimoine important. De plus, par la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale, la Grèce a un potentiel de recettes à la hauteur de sa dette publique. Il est, en revanche, indispensable que la dette publique grecque puisse être financée à un taux suffisamment bas pour que l’effet boule de neige, démultiplié dans la récession, ne l’emporte sur le reste. En troisième lieu, et c’est là que les choses se compliquent, les titres de dette publique doivent être des actifs parfaitement liquides. Pour ce faire, il faut une institution qui peut acquérir, sans aucune limite, les dettes publiques lorsque cela s’impose. La BCE peut techniquement remplir ce rôle, comme le font aujourd’hui toutes les grandes banques centrales (FED, BoE, BoJ). La BCE le fait depuis quelques mois, même si le montant des titres qu’elle détient reste faible (voir « L’histoire sans fin » dans notre dossier de prévision). Mais pour avoir un dispositif crédible, il faut en démultiplier les moyens, en assumer le fonctionnement et s’attacher au quatrième point : la stratégie budgétaire à moyen terme. Car, en effet, pour que les titres publics soient sûrs, il faut qu’ils soient non seulement liquides mais aussi solvables. Les règles d’or constitutionnelles répondent maladroitement à cette nécessité. Il reste à inventer une meilleure approche, applicable dans la structure institutionnelle actuelle de l’Europe, pour assurer la solvabilité dans le moyen terme des finances publiques des Etats membres.

Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012 que le département analyse et prévision a présentées le vendredi 14 octobre 2011. Les analyses sont disponibles sur le site internet de l’OFCE et dans la revue de l’OFCE n°119.