Et si l’austérité budgétaire avait mieux réussi en France qu’ailleurs ? [1]

par Mathieu Plane

Face à la dégradation rapide et explosive des comptes publics, les pays industrialisés, notamment européens, ont mis en place, pour certains dès 2010, des politiques de rigueur de grande ampleur de façon à réduire rapidement leurs déficits publics. Dans un tel contexte, plusieurs questions concernant la politique budgétaire de la France méritent d’être creusées :

–          Premièrement, est-ce que la France a fait plus ou moins d’efforts budgétaires que les autres pays de l’OCDE pour redresser ses comptes publics ?

–          Deuxièmement, y-a-t-il une singularité dans l’austérité budgétaire menée en France et a-t-elle eu plus ou moins de répercussion sur la croissance et le niveau du chômage ?

A l’exception notable du Japon, tous les grands pays de l’OCDE  ont mis en place des politiques visant à réduire leur déficit structurel primaire[2] entre 2010 et 2013. Selon les derniers chiffres de l’OCDE, ces politiques représentent un effort budgétaire d’environ 5 points de PIB sur trois ans en moyenne dans la zone euro, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. En revanche, au sein de la zone euro, les différences sont très fortes : elles vont de seulement 0,7 point en Finlande à plus de 18 points en Grèce.  Parmi les grands pays industrialisés de l’OCDE, la France est, après l’Espagne, le pays qui a fait le plus d’effort budgétaire d’un point de vue structurel depuis 2010 (5,7 points de PIB sur trois ans).  Depuis la Seconde Guerre mondiale, jamais la France n’avait connu un ajustement aussi brutal et soutenu de ses comptes publics. Pour mémoire, la période précédente de forte consolidation budgétaire, qui a eu lieu de 1994 à 1997,  a représenté un effort budgétaire pratiquement deux fois moins important (impulsion budgétaire négative cumulée de 3,3 points de PIB). Entre 2010 et 2013, le taux de prélèvements obligatoires  (PO) corrigé du cycle augmenterait en France de 3,8 points de PIB et l’effort structurel sur la dépense publique représenterait un gain de 1,9 point de PIB sur quatre ans (graphique 1). Parmi les pays de l’OCDE, c’est en France que la hausse des taux de PO, corrigée du cycle, a été la plus forte sur la période 2010-2013. Au final, de 2010 à 2013, l’effort structurel de réduction du déficit public porte pour deux tiers sur la hausse des prélèvements obligatoires et un tiers sur la dépense publique. Cette répartition est différente de celle que l’on observe en moyenne dans la zone euro où l’effort budgétaire porte, sur la période, 2010-13, à près de 60 % sur la réduction de la dépense publique, atteignant même plus de 80 % en Espagne, Portugal, Grèce et Irlande. A l’inverse, pour la Belgique, l’intégralité de l’effort budgétaire porte sur la hausse des taux de prélèvements. Et dans le cas de la Finlande, la dépense publique primaire structurelle, en points de PIB potentiel, a augmenté sur la période 2010-2013, celle-ci étant plus que compensée par l’augmentation des taux de PO.

Si indéniablement, les efforts budgétaires conséquents de la France ont eu des effets négatifs sur l’activité et l’emploi, il n’en reste pas moins que les choix budgétaires opérés par les différents gouvernements depuis 2010 semblent avoir relativement moins affecté la croissance et le marché du travail que la plupart des autres pays de la zone euro. Au sein de la zone euro à 11, de 2010 à 2013 seuls quatre pays ont connu une croissance moyenne supérieure à 1 % par an et n’ont pas vu leur taux de chômage augmenter, parfois même diminuer : c’est le cas de l’Allemagne, de la Finlande, de l’Autriche et de la Belgique. Or, ces quatre pays sont aussi ceux qui ont le moins réduit leur déficit public structurel sur la période 2010-2013. A l’inverse, la France fait partie des pays qui ont réalisé le plus d’effort structurel depuis 2010 et elle a dans le même temps réussi à contenir relativement l’augmentation du chômage. En effet, par rapport aux Pays-Bas, l’Italie ou la moyenne de la zone euro, la politique budgétaire a été plus restrictive de près de 1 point de PIB de 2010 à 2013 et pourtant le taux de chômage a  augmenté de 40 % de moins qu’aux Pays-Bas, 60 % de moins que dans la moyenne de la zone euro et plus de deux fois moins qu’en Italie. De même la croissance en France a été supérieure en moyenne sur cette période : 0,9 % par an contre 0,5 % aux Pays-Bas, 0,7 % dans la zone euro et -0,2 % en Italie.

Pourquoi la contraction budgétaire française a-t-elle eu moins d’impact sur la croissance et l’emploi que dans la plupart des autres pays ? Au-delà des fondamentaux de l’économie, certains éléments laissent à penser que les choix budgétaires opérés par les gouvernements successifs depuis 2010 auraient permis d’obtenir des multiplicateurs budgétaires plus faibles que les autres pays. Après la Finlande et la Belgique, la France est le pays dont la contribution de la dépense publique à la réduction du déficit structurel est la plus faible. Comme l’illustrent de récents travaux, notamment ceux du FMI ou l’article signé par des économistes issus de banques centrales européennes et américaines, de la Commission européenne, de l’OCDE et du FMI, en ciblant un ajustement budgétaire par la hausse des prélèvements plutôt que par la baisse de la dépense publique, la France aurait un multiplicateur budgétaire à court terme plus faible que ce qu’on observe dans d’autres pays ayant fait le choix inverse (Grèce, Portugal, Irlande et Espagne). Et, dans le cas de la France, près de 50 % de l’ajustement budgétaire a été réalisé par une augmentation de la fiscalité directe sur le revenu des ménages et des sociétés (tableau 1). Or, il semblerait, à l’instar des Etats-Unis, de la Belgique et de l’Autriche qui ont réalisé, entre 50 % et 75 % de leur ajustement budgétaire par la hausse de la fiscalité directe, que ce sont aussi les pays qui ont le mieux préservé leur croissance face à la restriction budgétaire. A l’inverse, les pays qui ont le moins utilisé ce levier pour leur ajustement budgétaire sont les pays d’Europe du Sud et les Pays-Bas.


[1] Ce post reprend certaines parties de l’article publié dans Alternatives Economiques, M. Plane « L’austérité peut-elle réussir en France ? », Hors-Série n°96, 2ème trimestre 2013.

[2] Le déficit structurel primaire permet de mesurer les efforts budgétaires structurels réalisés par les administrations publiques (APU). Il correspond au solde public, hors charges d’intérêts, que dégageraient les APU si le PIB de l’économie se situait à son niveau potentiel. Cette mesure permet donc de corriger le solde public des effets de la conjoncture.




Les 20 milliards d’euros d’allégements de cotisations patronales sur les bas-salaires créent-ils des emplois ?

par Eric Heyer et  Mathieu Plane

Chaque année, l’Etat consacre près d’1 point de PIB, soit 20 milliards d’euros, aux allégements généraux de cotisations patronales sur les bas salaires. La question de l’efficacité d’un tel dispositif est légitime. Un grand nombre de travaux empiriques ont été réalisés pour tenter d’évaluer l’impact de cette mesure sur l’emploi et concluent à des créations comprises entre 400 000 et 800 000.

Effectuées à l’aide de maquettes sectorielles, ces évaluations ne prennent pas en compte l’ensemble des effets induits par une politique de baisse de cotisations sur les bas salaires et notamment les effets de bouclage macroéconomique, id est effet de revenu, de gains de compétitivité et de financement de la mesure.

Dans une étude récente publiée dans la Revue de l’OFCE (Varia, n° 126, 2012) nous avons tenté de compléter ces évaluations en prenant en compte correctement l’ensemble des effets induits par une politique de baisse de cotisations sur les bas salaires. Pour ce faire nous avons réalisé la simulation de cette mesure à l’aide du modèle macroéconométrique de l’OFCE, emod.fr.

Nous avons alors pu décomposer les différents effets attendus de ces allégements sur l’emploi en deux grandes catégories :

  1. l’ « effet de substitution » global qui se décompose entre la substitution capital/travail macroéconomique auquel s’ajoute l’effet « assiette » lié au ciblage de la mesure sur les bas salaires ;
  2. l’ « effet  volume » qui se décompose entre la hausse de la demande domestique liée à la baisse des prix et la hausse de la masse salariale, les gains de compétitivité en raison de l’amélioration des parts de marché en interne et en externe et l’effet négatif du financement de la mesure, que ce soit par la hausse des prélèvements obligatoires (PO) ou la réduction de la dépense publique.

Selon notre évaluation, résumé dans le tableau 1, les exonérations de cotisations sociales patronales sur les bas salaires permettent de créer 50 000 emplois la première année et environ 500 000 au bout de cinq ans. Sur les 503 000 emplois attendus à cinq ans, 337 000 seraient dus à l’effet de substitution global dont 107 000 seraient liés à la substitution capital/travail macroéconomique et 230 000 à l’ « effet d’assiette » en raison de la forte baisse du coût du travail sur les bas salaires. A cela s’ajoutent 82 000 emplois générés par le supplément de revenu domestique et 84 000 par les gains de compétitivité et la contribution positive du commerce extérieur à la variation du PIB. En revanche, l’ « effet  volume » sur l’emploi devient négatif si l’on finance la mesure ex post : la hausse d’un mix représentatif de la structure de la fiscalité réduit l’effet global de la mesure de 176 000 emplois à 5 ans ; la baisse d’un mix représentatif de la structure de la dépense publique diminue l’emploi de 250 000 à 5 ans.

Une partie des emplois créés provient des gains de compétitivité liés aux gains des parts de marché sur nos partenaires commerciaux en raison de la baisse des prix de production conséquente de la réduction du coût du travail. Ce mécanisme de compétitivité-prix fonctionne d’une part si les entreprises répercutent les baisses de cotisation sociales dans leurs prix de production et si nos partenaires commerciaux acceptent de perdre des parts de marché sans réagir. Nous avons donc simulé un cas polaire dans lequel nous supposons que nos partenaires commerciaux réagissaient à ce type de politique en mettant en place des dispositifs similaires, ce qui annulerait nos gains sur l’extérieur.

Si cela ne modifie pas l’impact sur l’emploi lié à l’ « effet de substitution », en revanche cette hypothèse modifie l’ « effet volume » de la mesure, supprimant 84 000 emplois liés aux gains de parts de marché et augmentant l’effet négatif du financement ex post en raison d’un multiplicateur du dispositif sur l’activité plus faible. Au total, dans le schéma dans lequel la mesure est financée ex post et ne permet pas de gains de compétitivité, les exonérations de cotisations sociales patronales sur les bas salaires créeraient entre 69 000 et 176 000 emplois au bout de cinq ans selon le mode de financement retenu (tableau 2). Ce résultat conduit à relativiser largement le chiffrage initial de  500 000 emplois créés à terme.




Pourquoi la France a raison (et des raisons) de renoncer à l’objectif des 3% de déficit public pour 2013

par Mathieu Plane

A la suite des déclarations du Ministre de l’Economie et des finances, le gouvernement semble avoir fait le choix de renoncer à atteindre l’objectif de déficit public de 3 % du PIB en 2013. Outre le virement de bord de la politique annoncée jusqu’à présent, qui était celle de ramener « coûte que coûte » le solde public à -3% en 2013, nous pouvons légitiment penser que la France a raison de renoncer à cet objectif et pouvons avancer plusieurs arguments. Si dans ce billet, nous ne revenons pas sur les conséquences économiques liées à la politique budgétaire menée en France et dans la zone euro, dictée par des objectifs de déficit nominaux qui ne tiennent pas compte de la décomposition structurel/conjoncturel et qui présentent un caractère dangereusement pro-cyclique, nous présentons en revanche plusieurs arguments auxquels pourraient être sensibles la Commission européenne :

1 – Selon les derniers chiffres de la Commission européenne du 22 février 2013[1], la France est le pays de la zone euro qui ferait le plus fort ajustement budgétaire en 2013 d’un point de vue structurel (1,4 point de PIB), juste derrière l’Espagne (3,4) et la Grèce (2,6). Et sur la période 2010-2013, la réduction du déficit structurel de la France représente 4,2 points de PIB, ce qui fait de la France le pays de la zone euro, avec l’Espagne (4,6 points de PIB), qui a fait le plus de restriction budgétaire parmi les grands Etats de la zone, devant l’Italie (3,3 points de PIB), les Pays-Bas (2,6) et bien sûr l’Allemagne (1,2) (graphique 1).

2 – En 2007, avant la crise, selon la Commission européenne, la France avait un solde public structurel de -4,4 points de PIB, contre -2,1 pour la moyenne de la zone euro et -0,9 pour l’Allemagne. En 2013, celui-ci atteint -1,9 point de PIB en France, -1,3 pour la zone euro, +0,4 pour l’Allemagne, ce qui représente une amélioration du déficit structurel de 2,5 points de PIB pour la France depuis le début de la crise, soit trois fois plus que la moyenne de la zone euro et deux fois plus que l’Allemagne (tableau 1). Et hors investissement public, le solde public structurel de la France en 2013 est positif et plus élevé que celui de la moyenne de la zone euro (1,2 point de PIB en France contre 0,8 pour la moyenne de la zone euro et 1,9 pour l’Allemagne). Rappelons que la France consacre 3,1 points de PIB à l’investissement public en 2013 (0,2 point de moins qu’en 2007) contre seulement 2 points en moyenne dans la zone euro (0,6 point de moins qu’en 2007) et 1,5 en Allemagne (équivalent à 2007). Or l’investissement public, qui a des effets positifs sur la croissance potentielle, et qui a pour contrepartie d’augmenter les actifs publics, ne modifiant ainsi pas la situation patrimoniale des administrations publiques, peut raisonnablement être exclu du calcul de solde public structurel.

3 – En 2013, le déficit public, même à 3,7 % du PIB selon la Commission européenne, retrouve un niveau proche de celui de 2008, similaire à celui de 2005, inférieur à celui de 2004 et à toute la période 1992-1996. Le chiffre de déficit public attendu pour 2013 correspond à la moyenne observée sur les trente dernières années, ne faisant plus figure de situation exceptionnelle, ce qui desserre la pression que pouvait subir la France vis-à-vis des marchés financiers. A l’inverse, selon la Commission européenne, le taux de chômage de la France en 2013 atteindrait 10,7 % de la population active et devrait être très proche de son pic historique de 1997 (graphique 2). Avec un taux de chômage en 2013 supérieur de 1,3 point à la moyenne des trente dernières années, la situation exceptionnelle se situe désormais plus du côté du marché du travail que du côté du solde public. Si de nouvelles mesures d’austérité permettraient de réduire péniblement le déficit public, en raison de la valeur élevée du multiplicateur budgétaire à court terme, elles conduiraient en revanche à dépasser largement notre pic historique de chômage. En effet, comme nous l’avons montré dans notre dernière prévision d’octobre 2012, si la France cherche à respecter « coûte que coûte » son engagement budgétaire pour 2013, il faut un nouveau tour de vis budgétaire de plus de 20 milliards d’euros, en plus des 36 milliards d’euros programmés, qui conduirait à une récession de -1,2 % du PIB et 360 000 destructions d’emplois (au lieu d’une croissance prévue à 0 % et environ 160 000 destructions d’emplois) débouchant sur un taux de chômage à 11,7 % de la population active fin 2013.

Pour redresser ses comptes publics depuis 2010, la France a donc fait un effort budgétaire historique, bien supérieur à la moyenne de ses partenaires européens, ce qui lui a coûté en termes de croissance et d’emploi. Rajouter une couche d’austérité en 2013 à une austérité déjà historique nous conduirait tout droit vers la récession et une dégradation sans précèdent du marché du travail pour cette année. Si on a le choix, quelques dixièmes de points de déficit public en moins valent-ils un tel sacrifice ? Rien n’est moins sûr. Il paraît donc incontournable de reporter l’objectif de réduction du déficit public à 3 % du PIB au moins à 2014.

 

 

 


[1] Nous avons une évaluation différente de la mesure du déficit public structurel. Par exemple, pour 2013, nous évaluons l’amélioration du solde public structurel de la France à 1,8 point de PIB mais pour ne pas biaiser l’analyse nous retenons les chiffres fournis par la Commission.




Quel impact du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ?

par Mathieu Plane

A la suite de la remise au Premier ministre du Rapport Gallois sur le pacte pour la compétitivité de l’industrie française, le gouvernement a décidé  la création du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). Partant du constat d’un déficit commercial en hausse  au cours de la dernière décennie, de la forte dégradation des marges des entreprises depuis le début de la crise et d’un chômage grandissant, le gouvernement vise,  par la mise en place du CICE, le redressement de la compétitivité des entreprises françaises et de l’emploi. Selon notre évaluation, réalisée à l’aide du modèle e-mod.fr, détaillée dans un article de la Revue de l’OFCE (n°126-2012), le CICE devrait permettre de créer, cinq ans après sa mise en place, environ 150 000 emplois faisant baisser le taux de chômage de 0,6 point et il générerait un gain de croissance de 0,1 point de PIB en 2018.

Ouvert à toutes les entreprises imposées d’après leur bénéfice réel et soumises à l’impôt sur les sociétés ou à l’impôt sur le revenu, le CICE sera égal à 6 % de la masse salariale, hors cotisations patronales, correspondant aux salaires inférieurs à 2,5 SMIC. Sa montée en charge sera progressive, avec un taux de 4 % en 2013. Les effets sur la trésorerie des entreprises liés au CICE se feront avec un décalage d’un an par rapport à l’exercice de référence, ce qui veut dire que le CICE donnera lieu à un crédit d’impôt sur les bénéfices des sociétés à partir de 2014. En revanche, certaines entreprises pourraient bénéficier dès 2013 d’une avance sur le CICE attendu pour 2014. Le CICE devrait représenter 10 milliards d’euros sur la base de l’exercice 2013, 15 milliards en 2014 et 20 milliards d’euros à partir de 2015. Le financement du CICE reposera pour moitié sur des économies supplémentaires sur les dépenses publiques (10 milliards), dont le détail n’a pas été précisé, et pour moitié sur des recettes fiscales : une hausse du taux de TVA normal et intermédiaire à compter du 1er janvier 2014 (6,4 milliards) et un renforcement de la fiscalité écologique.

Cette réforme s’apparente en partie à une dévaluation fiscale et présente, sous certains aspects, des similitudes avec les mécanismes de la « quasi-TVA sociale » (voir Heyer, Plane Timbeau (2012) « Impact économique de la quasi-TVA sociale ») qui avait été mise en place par le gouvernement Fillon et qui a été supprimée avec le changement de majorité dans le cadre de la seconde Loi de finances rectificatives en juillet 2012.

Selon nos calculs réalisés à partir des DADS 2010, le CICE abaisserait en moyenne de 2,6 % le coût du travail du secteur marchand : l’impact sectoriel le plus fort de la mesure sur le coût du travail serait dans la construction (-3,0 %), l’industrie (-2,8 %) et les services marchands (-2,4 %). L’impact sectoriel final de la mesure dépend à la fois de la baisse du coût du travail et du poids des salaires dans la valeur ajoutée de chaque secteur. Le CICE représenterait 1,8 % de la valeur ajoutée des entreprises industrielles, 1,9 % de la valeur ajoutée de la construction et 1,3 % de celle des services marchands. Globalement, le CICE  pèse pour 1,4 % dans la valeur ajoutée des entreprises du secteur marchand. Selon nos calculs, le montant total du CICE serait de 20 milliards d’euros : 4,4 milliards pour l’industrie, 2,2 milliards pour la construction et 13,4 milliards pour les services marchands. L’industrie récupérerait donc 22 % de l’enveloppe globale, soit plus que son poids dans la valeur ajoutée qui n’est que de 17 %. Si cette mesure a vocation à relancer l’industrie en France, en revanche ce secteur n’est pas le premier bénéficiaire du dispositif en valeur absolue mais reste, avec la construction, celui qui y est relativement le mieux exposé en raison de sa structure salariale. De plus, l’industrie peut bénéficier des effets induits liés à la baisse des prix des consommations intermédiaires conséquente à la diminution des coûts de production dans d’autres secteurs.

Les effets à attendre du CICE sur la croissance et l’emploi sont différents à court et long terme (graphique). Ouvrant des droits en 2014 calculés sur l’exercice de 2013, le CICE aurait des effets positifs dès 2013, d’autant plus que les hausses de prélèvements et la réduction des dépenses publiques ne s’appliqueraient pas avant 2014. L’effet sur la croissance est donc positif en 2013 (+0,2 %) mais les effets sur l’emploi (+23 000 en 2013) sont plus lents en raison des délais d’ajustement de l’emploi à l’activité et de la montée en charge du dispositif.

En revanche, l’impact du CICE est légèrement récessif de 2014 à 2016, la perte de pouvoir d’achat des ménages liée aux hausses d’impôt, et la réduction des dépenses publiques (la consommation des ménages et la demande publique contribuant à -0,2 point de PIB en 2014, puis -0,4 point en 2015 et 2016)  l’emportant sur la baisse des prix et le rétablissement des marges des entreprises. En dehors de la première année, les effets positifs du CICE sur la croissance liés aux transferts de revenus apparaissent lentement, les gains de parts de marché liés à la baisse des prix et à la hausse des marges des entreprises étant dépendants d’une mécanique de moyen-long terme rattachée aux effets d’offre, les effets qui passent par la demande étant plus rapides.

La mise en place du CICE engendre progressivement des gains de parts de marché qui contribuent positivement à l’activité  par le bais de l’amélioration du solde extérieur (0,4 point de PIB en 2015 et 2016), que ce soit par l’augmentation des exportations ou la réduction des importations. A partir de 2017, la contribution du solde extérieur à l’activité est moins positive (0,3 point de PIB) en raison de l’amélioration du pouvoir d’achat des ménages entraînant une moindre réduction des importations.  Malgré la hausse des marges améliorant la profitabilité du capital, l’investissement productif diminue légèrement en raison de l’effet de substitution entre le travail et le capital et l’effet négatif d’accélérateur lié à la baisse de la demande.

Avec la baisse du coût relatif du travail par rapport à celui du capital, la substitution du travail au capital accroît progressivement l’emploi au détriment de l’investissement, ce qui enrichit le PIB en emploi et réduit les gains de productivité. Par ce mécanisme, l’emploi augmente régulièrement malgré la légère perte d’activité entre 2014 et 2016. Du fait de la hausse de l’emploi et de la baisse du chômage, mais aussi de possibles mesures de compensation salariale dans les entreprises liées à la hausse de la pression fiscale sur les ménages, les salariés regagnent en partie le pouvoir d’achat perdu, par une augmentation des salaires réels. Ce « rattrapage » du pouvoir d’achat permet de générer de la croissance mais limite les effets sur l’emploi et les gains de compétitivité.




2013 : quel impact des mesures budgétaires (nationales) sur la croissance ?

par Mathieu Plane

Ce texte complète les prévisions pour l’économie française d’octobre 2012 de l’OFCE

Après avoir détaillé les effets multiplicateurs attendus pour les différents instruments de la politique budgétaire, le multiplicateur budgétaire interne moyen associé à la politique d’austérité menée en France en 2013 serait de 0,9. Cette politique amputerait le PIB de 1,7 % pour cette seule année.Après un effort budgétaire cumulé de 66 milliards d’euros en 2011 et 2012, les économies structurelles attendues pour 2013 représentent environ 36 milliards d’euros (1,8 point de PIB) si l’on intègre à la fois les mesures prises dans le cadre du Projet de loi de finances pour 2013 et les différentes mesures décidées précédemment (tableau). Le choc budgétaire résultant du PLF pour 2013 serait de 28 milliards d’euros, dont 20 uniquement sur les taux de prélèvements obligatoires (PO). Parmi les 8 milliards d’euros restant, près de 5 milliards de hausse de PO sont issus de la seconde Loi de finances rectificative de l’été 2012, le reste étant principalement dû à la première Loi de finances rectificative pour 2012 et à la hausse des cotisations qui résulte de la révision de la réforme des retraites de l’été 2012.

Au total, l’effort budgétaire pour 2013 se décompose entre une hausse de prélèvements obligatoires pour environ 28 milliards d’euros (1,4 point de PIB)  et une économie structurelle sur la dépense publique primaire de 8 milliards (0,4 point de PIB). La hausse de la pression fiscale et sociale représenterait près de 16 milliards pour les ménages et plus de 12 milliards pour les entreprises. Cette répartition ne tient pas compte des mesures de compétitivité annoncées le 6 novembre par le premier ministre. Les crédits d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) n’auraient pas d’effet budgétaire en 2013 à l’exception près de la possible mise en place dès 2013 d’une avance, pour certaines entreprises en mal de trésorerie, sur leur futur crédit d’impôt.

A partir des variantes de multiplicateur budgétaire, réalisées avec e-mod.fr selon la position de l’économie dans le cycle, pour les principaux prélèvements fiscaux et sociaux ainsi que les principales composantes de la dépense publique[1] et des différentes évaluations que nous avons pu mener, notamment dans le cadre de l’évaluation du programme économique du quinquennat, nous avons appliqué un multiplicateur budgétaire spécifique à chaque mesure  pour 2013 (tableau). Les multiplicateurs à court terme ne prennent en compte que les effets directs des mesures sur l’activité domestique, indépendamment des politiques budgétaires de nos partenaires commerciaux qui amplifient l’impact de la politique nationale. On suppose par ailleurs que la politique monétaire n’est pas modifiée. Les valeurs à long terme des multiplicateurs sont différentes de celles de court terme et moins élevées sauf à conserver durablement un écart de production négatif.

Sur les 16 milliards d’augmentation de PO sur les ménages en 2013, la hausse discrétionnaire de l’IRPP serait de 6,4 milliards dont 3,2 issus de la Loi de finances pour 2013 (contre 4 dans le PLF car la proposition d’imposition au barème des plus-values mobilières sera largement amendée et le rendement de la mesure pourrait baisser d’environ 0,8 milliard, le manque à gagner pouvant être compensé par le prolongement de la contribution exceptionnelle de 5 % d’IS pour les très grandes entreprises), le reste provenant de la Loi de finances rectificative pour 2012 (dont 1,7 milliard uniquement avec la désindexation du barème de l’IRPP). Si la hausse de l’IRPP liée au PLF 2013 est ciblée sur les hauts revenus, sa contribution (3,2 milliards) représente seulement 11 % de la hausse des PO (20 % si l’on se limite aux seuls ménages) en 2013 et moins de 9 % de l’effort budgétaire total.  Selon nos calculs, le multiplicateur budgétaire moyen lié aux différentes mesures de hausse de l’IRPP serait de 0,7 en 2013.

L’augmentation des PO des ménages proviendrait principalement de la hausse des prélèvements sociaux et des cotisations sociales (8,7 milliards d’euros) prévue dans le Projet loi de finances de la Sécurité sociale pour 2013 (2,9 milliards) et les mesures de la Loi de finances rectificative pour 2013 (5,3 milliards qui incluent la remise en cause de la défiscalisation des heures supplémentaires, la limitation des niches sociales, de l’épargne salariale, la hausse de la CSG sur les revenus du capital, …) et la réforme des retraites avec une hausse du taux de cotisation (0,5 milliard). Le multiplicateur budgétaire moyen lié à ces différentes mesures serait de 0,9. Enfin la réforme des droits de succession augmenterait les PO de 1,1 milliard. En revanche, les recettes de l’ISF, en 2013, seraient inférieures de 1,3 milliard par rapport à celles de 2012. En effet, la contribution exceptionnelle sur la fortune qui avait été mise en place dans le cadre de la Loi de finances rectificative pour 2012 a un  rendement supérieur à celui issu de la nouvelle réforme pour 2013. Le multiplicateur budgétaire pour ces deux mesures est de 0,3.

Au total, selon nos calculs, la hausse des prélèvements sur les ménages en 2013 aurait en moyenne un effet multiplicateur de 0,8 et amputerait la croissance de 0,6 point de PIB.

Pour les entreprises, les mesures prises passent principalement par la hausse de l’impôt sur les sociétés prévue dans le PLF 2013 (8 milliards d’euros dont 4 milliards liés à la réforme de la déductibilité des charges financières). Le multiplicateur moyen de la hausse de l’IS est estimé à 0,7 en 2013. 2,3 milliards d’euros proviennent d’une hausse des cotisations sociales et des prélèvements sociaux avec un multiplicateur budgétaire unitaire. Enfin d’autres mesures, comme les mesures sectorielles sur la fiscalité des assurances ou la contribution exceptionnelle du secteur pétrolier, viendront augmenter la pression fiscale des entreprises de 1,9 milliard en 2013 et le multiplicateur budgétaire moyen est évalué à 0,5.

Selon notre évaluation, la hausse des PO sur les entreprises aurait en moyenne un effet multiplicateur de 0,8 et réduirait le PIB de 0,5 point de PIB en 2013.

Par ailleurs, le multiplicateur budgétaire à court terme associé à la dépense publique, dans une phase de bas de cycle, est, selon notre modèle, de 1,3 ; il est donc supérieur à celui qui est associé aux prélèvements. Ce résultat est conforme aux résultats de la littérature empirique la plus récente (pour plus de détails, voir encadré « Multiplicateurs budgétaires : la taille compte ! ». La perte d’activité estimée résultant de la restriction sur la dépense publique serait de 0,5 point de PIB en 2013.

Au total, le multiplicateur budgétaire interne moyen associé à la politique d’austérité menée en France en 2013 serait de 0,9 et cette politique amputerait le PIB de 1,7 %. Ce résultat est dans la fourchette basse des derniers travaux du FMI qui estime, à partir des données récentes sur 28 pays, que les multiplicateurs réels pourraient s’échelonner de 0,9 à 1,7 depuis le début de la Grande Récession.


[1] Pour plus de détails, voir Creel, Heyer, Plane, 2011, « Petit précis de politique budgétaire par tous les temps », Revue de l’OFCE, n° 116, janvier 2011.

 




Les emplois d’avenir : quel impact sur l’emploi et les finances publiques ?

Éric Heyer et Mathieu Plane

Le projet de loi visant à créer 150 000 emplois d’avenir pour les jeunes au chômage sera soumis au Parlement en octobre 2012. Ces 150 000 emplois d’avenir devraient être réservés en priorité aux jeunes issus des quartiers en difficulté. Quels en seront les effets nets sur l’emploi et sur les finances publiques ?

Ces emplois à temps plein, prévus pour une durée maximale de 5 ans, rémunérés au minimum au SMIC seront financés à 75 % par l’État, le reste étant à la charge des collectivités locales, associations, fondations ou entreprises. Selon le Ministre du Travail et de l’Emploi, Michel Sapin, l’objectif est de mettre en œuvre 100 000 emplois dès 2013.

Le coût ex ante de la mesure

Le coût annuel super brut d’un contrat d’avenir rémunéré au SMIC sur la base d’un temps plein à 35 h est de 24 807 euros. Le coût par emploi pour les finances publiques est de 12 831 euros au titre de l’aide de 75 % sur le salaire brut et de 4 807 euros au titre des exonérations de charges patronales. Il convient d’ajouter le coût restant à la charge de l’employeur, soit 7 276 euros, lorsque cet employeur n’est pas une structure publique. En partant de l’hypothèse que les créations de ces emplois d’avenir seraient réparties pour 2/3 dans le secteur non marchand et 1/3 dans le secteur marchand, le coût total annuel moyen pour les finances publiques est donc de 23 015 € par contrat. Le coût de la création de 150 000 emplois d’avenir est estimé à 3,45 milliards d’euros par an en rythme de croisière.

L’impact de la mesure

En supposant la création de 100 000 emplois aidés dans le secteur non marchand et 50 000 dans le secteur marchand, nous arrivons aux effets suivants :

Avec des effets d’aubaine et de substitution dans le secteur non marchand assez faibles (20 % selon Fontaine et Malherbet, 2012), les 100 000 emplois d’avenir permettent la création nette de 80 000 emplois sur le mandat. Le coût annuel ex ante sur les finances publiques des 100 000 emplois d’avenir dans le secteur non marchand serait de 0,12 point de PIB mais de seulement 0,07 point de PIB ex post en raison du supplément de revenu et donc de recettes fiscales et sociales générées par les emplois créés.

Les aides de l’État (75 % du salaire brut) permettent une baisse du coût du travail de 52 %  au niveau du SMIC, soit une réduction totale de 71 % du coût réel d’un emploi au SMIC si l’on inclut les allègements de charges. Avec des effets d’élasticités de l’emploi au coût du travail maximum au niveau du SMIC (1,2 selon l’étude de la DGTPE en 2007), les 50 000 emplois d’avenir dans le secteur marchand généreraient 27 300 emplois. Le coût ex ante pour les finances publiques serait de 0,05 point de PIB et de 0,03 point de PIB ex post.

Au final, la mesure permettrait de créer à terme 107 300 emplois (dont environ 25 % dans le secteur marchand), soit un taux de création nette de 72 %. Le coût ex ante pour les finances publiques serait de 0,17 point de PIB mais l’impact de la mesure ex post sur le solde public ne serait que de -0,1 point de PIB en raison du supplément de recettes fiscales et sociales généré par les créations d’emplois et les gains de revenus (tableau 1).

Selon les déclarations du ministre du Travail et de l’Emploi, les 2/3 de ces emplois d’avenir seraient mis en place dès 2013. Pour évaluer l’impact de cette mesure au cours du mandat, nous sommes partis de l’hypothèse que 25 000 emplois d’avenir à temps plein et d’une durée de 5 ans seraient créés chaque trimestre à partir du début de l’année 2013 et ce jusqu’à la mi-2014.

Selon le profil retenu de montée en charge des emplois d’avenir, les créations nettes d’emploi à attendre sont de 71 600 en 2013 et 35 700 en 2014, puis 0 de 2015 à 2017. L’impact sur le solde public ex post serait de 0,04 point de PIB en 2013 et 0,06 en 2014, soit un effet cumulé sur les finances publiques de 0,1 point de PIB à terme.

Bibliographie

DGTPE, 2007, annexes « Évaluation macroéconomique de la TVA sociale » in TVA sociale, sous la direction d’Éric Besson, septembre.

Fontaine F. et F. Malherbet, 2012, « Les effets macroéconomiques du Contrat unique d’insertion », LIEPP policy brief, n° 2.

Fougère D., 2007, « Faut-il encore évaluer les dispositifs d’emplois aidés ? », Économie et Statistique, vol. 408-409.




Du social mais pas de sortie de crise

Evaluation du projet économique du quinquennat 2012-2017

par Eric Heyer, Mathieu Plane, Xavier Timbeau

Les premières décisions du quinquennat s’inscrivent dans un contexte fortement dégradé et très incertain. Dans une récente Note de l’OFCE (n°23 du 26 juillet 2012) nous analysons, dans une première partie,  le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. Nous évaluons à la fois le coût pour les finances publiques mais aussi l’impact sur l’activité économique, l’emploi ou sur la distribution des revenus. Dans une deuxième partie, nous analysons le choix de politiques publiques considérées comme prioritaires par le nouveau gouvernement, qu’elles soient à destination des jeunes (contrats de génération, emplois d’avenir), de certains seniors (refonte de la réforme des retraites), des classes moyennes et populaires (allocation de rentrée scolaire, coup de pouce au SMIC, livret A, encadrement des loyers, refiscalisation des heures supplémentaires), ou qu’elles visent à relancer certaines dépenses publiques jugées indispensables (emplois publics dans l’éducation, la justice et la police dans la section « finances publiques », service public de la petite enfance).

François Hollande a été élu Président de la République Française à un moment où la France et l’Europe traversent une crise sans précédent. Le chômage a augmenté de plus de 2 points depuis le début de la crise en France métropolitaine et approche aujourd’hui (9,6 % de la population active, au sens du BIT au premier trimestre 2012) les niveaux record de 1997 (10,5 %). Le produit intérieur brut par habitant a baissé depuis 2008 en pouvoir d’achat de 3 %. Si la tendance de croissance des cinq années précédant la crise s’était prolongée au même rythme de 2008 jusqu’au début 2012, le PIB par habitant serait aujourd’hui supérieur de 8 % à ce qu’il est. La balance des transactions courantes s’est dégradée dans la crise d’un point et demi de PIB (25,7 milliards d’euro dont 10 milliards au titre de la facture pétrolière) dégradant la position nette extérieure de la France de 7,8 points de PIB. La dette publique a augmenté de 577 milliards (soit près de 30 points de PIB) et atteint au début de l’année 2012 presque 90 % du PIB. L’industrie a payé un lourd tribu à la crise (presque 300 000 emplois perdus) et tout se passe comme si les destructions d’emploi et les fermetures de sites industriels étaient irréversibles.

Pourtant, ce bilan très sombre, à mettre au compte de la crise amorcée en 2008, n’est pas stoppé. La crise des dettes souveraines menace la zone euro d’une récession prolongée en 2012 et en 2013, sous le coup des politiques d’austérité menées dans la panique de voir les financements des dettes publiques se tarir. Et un scénario pire encore, celui de la désagrégation de la zone euro se profile, qui transformerait ces menaces de récession en risque de dépression majeure.

Ces évaluations sont de nature différente suivant les éléments qui sont disponibles. Certains dispositifs ont été mis en œuvre par décret, d’autre sont en cours de discussion par les assemblées, mais les projets de loi permettent une analyse quantifiée. D’autres sont à l’état de projet ; les principaux arbitrages n’ont pas été rendus, et notre évaluation tente d’en explorer les points principaux.

Notre appréciation de la stratégie économique pour le quinquennat ne s’arrête pas là pour autant. Il amorce aujourd’hui les prémisses de la stratégie de sortie de crise. Les engagements de réduction de déficit et les premières mesures prises dans ce sens dans le collectif budgétaire de juillet 2012, comme celle annoncées dans le débat d’orientation budgétaire de juin 2012, indiquent une stratégie dont la première étape est d’aboutir à la réduction, quoiqu’il en coûte, du déficit public à 3 % du PIB à la fin de l’année 2013. Par sa vertu budgétaire, c’est donc une stratégie de sortie de la crise, censée assainir la situation des comptes publics et ainsi rassurer les marchés financiers comme les autres agents économiques, et mettre en place les conditions d’une reprise future vigoureuse. Cette stratégie s’appuie sur une réduction des dépenses publiques et une hausse de la fiscalité (voir la partie « finances publiques », projets fiscaux du gouvernement et taxation des groupes pétroliers).

Cette stratégie de sortie de crise est pour le moins risquée car elle ne prend pas toute la mesure de la crise qui menace l’Europe aujourd’hui. Elle pourrait se justifier si nous étions d’ores et déjà sur une trajectoire de sortie de crise et s’il s’agissait d’en aménager les priorités. Mais l’Europe reste dans une situation de très forte incertitude, vivant dans l’attente d’un défaut massif de tel ou tel Etat membre de la zone euro, craignant la faillite de telle ou telle institution financière, subissant les conséquences d’une spirale d’austérité alimentée par la hausse des taux souverains. Or dans une telle situation, tout concourt à renforcer le piège de la trappe à liquidité et conduit à des multiplicateurs budgétaires élevés. Dès lors, la réduction ex ante du déficit par la hausse des impôts ou la réduction des dépenses pèse lourdement sur l’activité, ce qui limite, voire annule, la réduction effective des déficits. La dynamique d’augmentation de la dette publique ne peut être inversée et la réduction de l’activité accroît le risque de la socialisation de dettes privées insoutenables. La hausse des taux souverains est alimentée par l’incapacité à tenir les objectifs de déficits et par la hausse de la dette publique et contribue à accroître les déficits publics, obligeant à une austérité plus forte encore.

Une réponse à cette dynamique qui est en train de provoquer la désagrégation de l’euro serait sous une forme ou une autre la mutualisation des dettes publiques en Europe. Cette mutualisation impliquerait un contrôle plus ou moins complet des budgets publics des pays membres par une instance fédérale à la légitimité démocratique forte. Cette réponse serait donc celle de plus d’Europe et permettrait alors de définir une austérité « bien tempérée », pour la France comme pour ses principaux partenaires commerciaux, qui ferait de la sortie du chômage de masse involontaire et de la trappe à liquidité les préalables à un ajustement des finances publiques. Cette réponse permettrait de maintenir la soutenabilité des finances publiques sans impliquer les décennies perdues qui sont en train de se préparer.

Dans une première partie, nous analysons le contexte macroéconomique dans lequel s’inscrit le projet du quinquennat de François Hollande et de la XIVe législature. Cette analyse détaille les conséquences probables pour les cinq années de la stratégie actuelle conduite en Europe. La valeur du multiplicateur budgétaire en est un paramètre critique et nous montrons que la stratégie actuelle ne vaut que si les multiplicateurs sont faibles (i. e. de l’ordre de 0,5). Or un faisceau d’éléments empiriques nous indique que dans la situation exceptionnelle où nous nous trouvons les multiplicateurs budgétaires et fiscaux peuvent être supérieurs à 0,5 (entre 1 et 1,5, voir infra). Nous détaillons dans une deuxième partie les mesures prises dans la Loi de finances rectificative de juillet 2012 (pour l’année 2012), les éléments exposés dans le débat d’orientation budgétaire en préparation de la Loi de finance pour l’année 2013 et pour la période 2012-2017. Pour arriver à réduire le déficit public à 3 %, il apparaît qu’il faudrait une recette fiscale ou une économie de dépense supplémentaire de plus de 10 milliards d’euros, ex ante.

Nous présentons ensuite l’évaluation de onze mesures. Guillaume Allègre, Marion Cochard et Mathieu Plane ont ainsi estimé que la mise en œuvre du contrat de génération pourrait créer entre 50 000 et 100 000 emplois au prix d’un fort effet d’aubaine. Eric Heyer et Mathieu Plane rappellent qu’à court terme, les contrats aidés du type « emplois avenir » peuvent contribuer à faire baisser le chômage. Eric Heyer montre que la re-fiscalisation des heures supplémentaires permet de réduire le déficit public de 4 milliards d’euros sans pour autant dégrader le marché du travail. Guillaume Allègre discute des conséquences de la hausse de l’Allocation de rentrée scolaire et montre qu’elle profite essentiellement aux cinq premiers déciles de niveau de vie. Henri Sterdyniak analyse les possibilités de réforme fiscale. Il ne s’agit pas d’une évaluation des projets du gouvernement en matière de réforme fiscale mais d’un panorama complet sur les marges d’évolution et les incohérences du système actuel. Henri Sterdyniak et Gérard Cornilleau évaluent l’élargissement des possibilités de départ à la retraite à 60 ans et analysent les voies d’une possible réforme de plus grande ampleur du système de retraite. Hélène Périvier évalue ce que pourrait être un service public de la petite enfance dont le coût à terme de presque 5 milliards d’euros pourrait être couvert en partie par un surcroît d’activité générant plus de 4 milliards d’euros. Eric Heyer et Mathieu Plane analysent les conséquences du coup de pouce au SMIC et concluent que compte tenu de la faible diffusion des hausses de SMIC au reste de la distribution des salaires, l’impact sur le coût du travail est limité par de plus fortes réduction des charges sur les bas salaires. Si l’effet sur l’emploi est faible, sur les finances publiques il provoquerait une dégradation de 240 millions d’euros. Sabine Le Bayon, Pierre Madec et Christine Rifflart évaluent l’encadrement de l’évolution des loyers. Hervé Péléraux discute la question de la rémunération du livret A et du doublement de son plafond. Céline Antonin et Evens Salies évaluent la nouvelle taxation des groupes pétroliers qui pourrait apporter 550 millions d’euros de recettes fiscales en 2012 avec le risque que cette taxe soit in fine payée par le consommateur final.




Le coup de pouce au smic va-t-il détruire des emplois ?

par Eric Heyer et Mathieu Plane

Le 26 juin, le gouvernement Ayrault a annoncé une hausse du SMIC de 2 %. Cette augmentation discrétionnaire, qui a pris effet au 1er juillet 2012, n’est pas un coup de pouce permanent de 2 % car il intègre en partie un à-valoir sur la prochaine hausse légale prévue le 1er janvier 2013. Avec une revalorisation automatique prévue à 1,4 % en janvier 2013, le coup de pouce permanent serait donc de 0,6 %. Dans une note détaillée de l’OFCE (n°22 du 17 juillet 2012), nous montrons qu’un coup de pouce permanent de 0,6 % détruirait finalement très peu d’emplois (1 400 postes) mais augmenterait légèrement le déficit public de 0,01 point de PIB.

Le financement de cette mesure entraînerait des pertes d’emplois supplémentaires : selon le mode de financement retenu, les pertes d’emplois seraient finalement comprises entre 1 900 et 2 800 postes (tableau 1).

Des effets complexes sur le coût du travail…

Le SMIC, à l’instar des autres salaires, a un statut ambivalent : il peut être considéré comme une variable de demande si l’on se place du côté des salariés mais constitue une variable d’offre pour l’entrepreneur. Par conséquent, une hausse du SMIC correspond à un choc de demande favorable pour les salariés et à un choc d’offre défavorable pour les chefs d’entreprise hors effet allègement de charges.

Dans un contexte de faible diffusion[1], ces deux effets de sens inverse ne se compensent pas :

  1. l’aspect « soutien de la demande » se limite aux seuls salariés proches du SMIC. Ceux-ci ont certes une propension marginale à consommer forte – le taux d’épargne n’augmente pas avec cette mesure – mais le nombre restreint de bénéficiaires limite les effets sur la consommation des ménages au niveau macroéconomique. Le supplément de revenu lié à cette augmentation du SMIC génèrerait 6 900 emplois ;
  2. L’aspect « hausse du coût du travail » est fortement destructeur d’emplois : l’élasticité de l’emploi au coût du travail étant décroissante[2] avec le salaire, la faible diffusion du SMIC sur les autres salaires augmentera peu le coût du travail au niveau macroéconomique mais, étant concentrée sur les bas salaires, l’élasticité moyenne sera forte (0,9). La hausse du coût du travail liée à la hausse du SMIC détruirait 26 000 emplois

Au total, selon notre simulation, une hausse de 0,6 % du SMIC, hors effet liés aux baisses de charges, entraînerait une destruction de 8 700 emplois au cours de la première année (tableau 2).  Ce résultat, intermédiaire, se situe dans la fourchette basse de celui observé par Francis Kramartz qui l’évalue entre 15 000 et 25 000 postes détruits pour une hausse du SMIC de 1% (soit entre 9 000 et 15 000 pour un coup de pouce de 0,6 %).

Mais cette estimation ne prend pas en compte les baisses de charges supplémentaires liées à la hausse du SMIC et à sa diffusion sur les autres salaires. Les salaires n’étant pas indexés sur le SMIC, un coup de pouce ne se répercute donc pas automatiquement sur la grille des salaires. Des travaux récents réalisés sur le sujet[3] et dont une synthèse est présentée dans le rapport du groupe d’experts sur le SMIC de décembre 2011, concluent à une faible diffusion du SMIC. Selon notre estimation, une hausse de 1 % du SMIC entraînerait une hausse moyenne des salaires de l’ensemble du secteur marchand de seulement 0,1 %. Or, les allègements de charges liés à la hausse du SMIC sont d’autant plus forts que la diffusion est faible. Plus la baisse du salaire relatif (en pourcentage du SMIC) est importante, plus le taux moyen d’allègement de charges augmente en raison du profil dégressif des allègements de cotisations sociales patronales.

Une augmentation du SMIC de 0,6 % entraîne ex ante une hausse du coût du travail de 0,4 % pour le 1er décile de salaire mais une baisse de 0,2 % pour le 2e décile et une diminution de 0,1 % pour les salaires allant du 3e au 5e décile. Au-delà du 6e décile, les effets sur le coût du travail sont nuls. Par ce mécanisme, pour les salaires compris entre le 2e et le 5e décile, l’augmentation des allégements de charges serait supérieure au supplément de salaires versé par l’employeur, ce qui entraînerait une baisse du coût du travail pour ces catégories.

Au final, la baisse du coût du travail liée au supplément d’allègements de charges permettrait la création de 7 300 emplois.  Au total, comme le résume le tableau 2, à l’horizon d’1 an, l’effet d’une hausse de 0,6 % du SMIC détruirait 1 400 emplois et dégraderait de 0,012 point de PIB les finances publiques.

 

…avec des effets différenciés selon la pyramide des salaires

Une hausse de 0,6 % du SMIC conduirait à détruire 4 700 emplois au niveau du SMIC mais à en créer 2 000 pour les salaires du 2e décile, 900 pour ceux du 3e décile et environ 500 au-delà.


[1] L’effet de diffusion rend compte de l’impact d’une hausse du SMIC sur la grille des salaires. Une faible diffusion a pour conséquence un écrasement de l’échelle des salaires.

[2] Selon la DGTPE, l’élasticité de l’emploi au coût du travail (DGTPE, annexes Rapport Besson, 2007) passe de 1,2 au niveau du SMIC à 0,3 pour les salaires à 1,4 SMIC puis est constante au-delà.

[3] Aeberhardt R, P. Givord et C. Marbot (2012), « Spillover effect of the minimum wage in France: An unconditional quantile regression approach », Document de travail de l’INSEE, n° G 2012 / 07 et Goarant C, L. Muller (2012), « Les effets des hausses du Smic sur les salaires mensuels dans les entreprises de 10 salariés ou plus de 2006 à 2009 », document de travail de la DARES .




Taxes on wealth: what kind of reform?

By Guillaume Allègre, Mathieu Plane and Xavier Timbeau

Why and how should wealth be taxed? Are France’s wealth taxes fair and efficient? In an article entitled, “Reforming the taxation of wealth?”, published in the special Tax Reform issue of the Revue de l’OFCE [in French], we examine these issues and propose some possible ways to reform the taxation of wealth.

We show that in recent years real economic income from capital has been very substantial. The visible income from capital (interest, dividend, rents received, etc.) exists alongside less visible income (capital gains net of the consumption of fixed capital and inflationary tax). As only a portion of potential capital gains are realized, this less visible income forms a significant part of average personal income. Between 1998 and 2010, despite two financial crises, capital gains increased real per capita income by an annual average of 12% (33% on average from 2004 to 2007). This growth was due in large part to the sharp rise in property prices.

We also show that the actual tax rate on income from wealth is low, even though the nominal interest rates on capital income are high, and the tax rate on income that is actually taxed is even higher due to not taking into account inflationary tax in the calculation of taxes [1]. After taking into account all taxation based on household wealth, including wealth which is held (“ISF” wealth tax, property tax) or which is passed on (property transaction taxes i.e. “stamp duty”) and income from wealth (income tax, “CSG” wealth tax, etc.), the actual rate of taxation on economic income from capital [2] comes to an average of 11.1%. This low rate for the actual taxation of capital income is due to the fact that a large portion of this income fully or partially escapes taxation: real property gains on principal residences are totally exempt, and secondary residences are partly exempt; the housing enjoyed by owner-occupiers (“imputed rent”) is not taxable, even though, net of interest, it constitutes income; gifts serve to “purge” any capital gains, even when these are not taxed (there is a tax allowance of 159,000 euros per child for gifts to direct heirs, which is renewable every ten years); and some financial income avoids income tax (life insurance, tax-exempt bank accounts, etc.).

Next we discuss possibilities for reform that would lead to taxing all income from wealth. We believe that income from wealth (net increased income from wealth) should be taxed in the same way as labour income. This principle is fair (in the sense that households are then taxed on their contributory capacity, regardless of the source of their income), and it would also help to combat tax avoidance. In an increasingly financialized economy, the interface between labour income and capital income has become porous. Taxing capital income differently opens the door to tax schemes. Any reform of wealth taxation should make it a priority to tax all real capital gains, in particular real property gains, which currently are subject to specific rules. In addition, since property is a fixed asset, the existing rules cannot be justified as due to tax competition in Europe. They are occasionally defended based on the need to take account of inflation or due to the unique character of the principal residence. But taking inflation into account cannot justify the total exemption of real property gains on secondary residences after they have been held for a certain time (currently 30 years, previously 22 years): not only does the exemption on capital gains seem unfair, but it can also prompt some households to keep their property, in particular during speculative bubbles. Furthermore, the specific character of property cannot be invoked once there has been a definitive withdrawal from the market. The taxation of realized capital gains, net of inflation, of the consumption of fixed capital and of renovation costs, would thus be preferable to a system of allowances based on the period of ownership. This could take place when the sale is not followed by another purchase – so as not to penalize mobility – and during inheritance (taxation of unrealized gains, before calculating inheritance tax). The taxation of real property gains upon a definitive withdrawal from the market could gradually replace the system of property transaction taxes or “stamp duty”, which would promote mobility and greater horizontal fairness.

In light of these arguments, what do we make of the proposals by the new French President François Hollande with regard to the taxation of wealth? He proposes (1) to tax capital income at the same rate as labour income is taxed; (2) to roll back the tax breaks on the ISF wealth tax and to raise the rate of taxation on the top income brackets; and (3) to reduce the inheritance tax allowance from 159,000 euros per child to 100,000 euros (it was raised from 50,000 euros to 150,000 euros in 2007).

(1) The first point would also involve eliminating the flat-rate withholding tax and the various tax loopholes that permit tax avoidance. It is similar to our proposals, so long as the income subject to tax takes into account inflationary tax and the consumption of fixed capital. This kind of proposal would involve taxing imputed rent, which constitutes an imputed income from capital. Nevertheless, given the difficulty of estimating the tax base, imputed rent has not been taxed since 1965 (see the article by Briant and Jacquot). One solution to this difficulty is to permit renters and first-time buyers to deduct their rent or loan interest payments from their taxable income, while increasing the average income tax rate to offset this.

(2) The second point departs from our proposals, but the ISF tax offers one solution for taxing large estates bit by bit, even when they do not procure any taxable income (when there are unrealized capital gains but an absence of dividends or earned rent, for example). In a situation like this, the ISF tax makes sense only if it is not capped based on the taxable income (or a similar notion). The ISF tax on wealth makes even more sense when the actual yields, including the unrealized gains on the assets, are not very heterogeneous (but it is then equivalent to a tax on the income from the assets) or when the supervision of the asset owners can improve their yields (taxation based on holding the wealth, and not on income, then serves as an additional incentive “to owners to ‘activate’ their estate,” in the words of Maurice Allais). In contrast, if the asset yields are heterogeneous and strong incentives to optimize the wealth already exist, then a tax on the income from the wealth is preferable from the viewpoint of fairness and not undermining economic efficiency.

(3) Higher inheritance taxes seem legitimate from the perspective of equal opportunity. We feel, however, that this should go further, at least by eliminating the purge of capital gains, in particular when the goods have been exempted from inheritance tax.

* This text is taken from the article Reforming the taxation of wealth? published in the special Tax Reform issue of the Revue de l’OFCE, available on the OFCE website.


[1] As Henri Sterdyniak points out: “It is thus erroneous to claim that capital income is taxed at a lower rate. When it is actually taxed, this is at higher rates.”

[2] Defined as the ratio between the sum of taxes based on wealth and the net increased income from the wealth after having subtracted the consumption of fixed capital and inflationary tax.

 




Quelle réforme de la fiscalité du patrimoine ?

par Guillaume Allègre, Mathieu Plane et Xavier Timbeau

Pourquoi et comment taxer le patrimoine ? La fiscalité française sur le patrimoine est-elle équitable et efficiente ? Dans un article, « Réformer la fiscalité du patrimoine ? », publié dans le numéro spécial « Réforme Fiscale » de la Revue de l’OFCE, nous examinons ces questions et proposons des pistes pour réformer la fiscalité pesant sur le patrimoine.

Nous montrons que dans la période récente les revenus économiques réels du capital sont très importants. En effet, aux revenus visibles du capital (intérêts, dividendes, loyers reçus, etc.), il faut ajouter des revenus peu visibles (les gains en capital nets de la consommation de capital fixe et de la taxe inflationniste). Ces revenus peu visibles, car seule une partie des plus-values latentes est réalisée, constituent en moyenne une part importante des revenus des individus. Entre 1998 et 2010, malgré deux crises financières, les gains en capital ont augmenté en moyenne de 12 % par an le revenu réel par adulte (33 % en moyenne de 2004 à 2007). Cette progression est en grande partie due à la forte croissance des prix de l’immobilier.

Nous montrons également que l’imposition effective des revenus du patrimoine est faible bien que les taux d’imposition apparents sur les revenus du capital soient souvent élevés et que les taux d’imposition sur les revenus effectivement taxés soient encore plus élevés du fait de la non-prise en compte de la taxe inflationniste dans le calcul de l’impôt[1]. Lorsque l’on tient compte de l’ensemble de la fiscalité assise sur le patrimoine des ménages, qu’elle soit assise sur sa détention (ISF, taxe foncière), sa transmission (droits de mutation) ou ses revenus (Impôt sur le revenu, CSG, etc.), il apparaît que le taux d’imposition effectif sur les revenus économiques du capital[2] est de 11,1 % en moyenne. Cette faiblesse de l’imposition effective des revenus économiques du capital s’explique par le fait qu’une grande partie de ces revenus échappent, totalement ou en partie, à l’impôt : les plus-values immobilières sur la résidence principale sont totalement exonérées et partiellement sur les résidences secondaires ; le service de logement reçu par les propriétaires occupants (« loyers fictifs ») n’est  pas imposable alors que, net des intérêts, il constitue un revenu ; les donations servent à purger les plus-values, même lorsqu’elles ne sont pas imposées (il existe pour les donations en ligne directe un abattement de 159 000 euros par enfant renouvelable tous les dix ans) ; et certains revenus financiers échappent à l’imposition au barème (assurance-vie, livrets exonérés, etc.).

Nous discutons ensuite de pistes de réforme permettant d’imposer l’ensemble des revenus du patrimoine. Nous pensons que le revenu économique du patrimoine (ou revenu augmenté net du patrimoine), devrait être imposé au même titre que les revenus du travail. Une telle règle respecte l’équité (dans le sens où les ménages sont alors imposés selon leur capacité contributive, quelle que soit la source de leurs revenus), et permet de lutter contre l’optimisation fiscale. En effet, dans une économie de plus en plus financiarisée, il existe une porosité entre les revenus du travail et ceux du capital. Imposer différemment les revenus du capital ouvre alors la voie aux montages fiscaux. La priorité d’une réforme de la fiscalité assise sur le patrimoine devrait être d’imposer l’ensemble des plus-values réelles, notamment les plus-values immobilières qui aujourd’hui sont soumises à des règles spécifiques. En outre, parce qu’il s’agit d’un patrimoine immobile, ces règles ne peuvent être justifiées par la concurrence fiscale en Europe. Elles sont parfois défendues par l’argument de prise en compte de l’inflation ainsi que par le caractère spécifique de la résidence principale. Mais la prise en compte de l’inflation ne peut justifier l’exonération totale des plus-values immobilières pour les résidences secondaires après une certaine durée de détention (30 ans actuellement, 22 ans précédemment) : non seulement l’exonération sur les plus-values paraît inéquitable mais, de plus, elle peut inciter certains ménages à conserver des biens, notamment lors de bulles haussières. Et le caractère spécifique des biens immobiliers ne peut être invoqué lors de la sortie définitive du marché. L’imposition des plus-values réelles, nettes de l’inflation, de la consommation de capital fixe et des travaux d’amélioration serait donc préférable aux systèmes d’abattement selon la durée de détention. Elle pourrait avoir lieu lorsque la vente n’est pas suivie d’un rachat – pour ne pas pénaliser la mobilité – et lors des successions (taxation des plus-values latentes, avant le calcul des droits de succession). L’imposition des plus-values immobilières réelles lors de la sortie définitive du marché pourrait remplacer progressivement les droits de mutation à titre onéreux, ce qui serait favorable à la mobilité et à une plus grande équité horizontale.

Au vu de ces arguments, que penser des propositions contenues dans le projet présidentiel de François Hollande à propos de la fiscalité du patrimoine ? Il propose (1) d’imposer les revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu au même titre que ceux du travail ; (2) de revenir sur les allégements de l’Impôt sur la fortune et de relever les taux d’imposition des plus hauts revenus ; (3) de ramener l’abattement sur les successions de 159 000 euros par enfant à 100 000 euros (il avait été porté de 50 000 à 150 000 euros en 2007).

(1) Le premier point nécessite en outre de supprimer les prélèvements forfaitaires libératoires et les multiples niches fiscales permettant d’échapper à l’impôt. Il rejoint nos propositions à condition que les revenus imposés au barème prennent en compte la taxe inflationniste et la consommation de capital fixe. Une telle proposition implique d’imposer les loyers fictifs qui constituent un revenu implicite du capital. Cependant, devant la difficulté d’estimation de la base imposable, les loyers fictifs ne sont plus imposés depuis 1965 (voir l’article de Briant et Jacquot). Une solution à cette difficulté est de permettre aux locataires et accédants de déduire de leur revenu imposable leurs loyers ou intérêts d’emprunt, en augmentant le taux moyen de l’impôt sur le revenu en compensation.

(2) Le deuxième point s’écarte de nos propositions, mais l’ISF est une solution pour imposer les gros patrimoines au fil de l’eau, même lorsqu’ils ne procurent pas de revenu imposable (en présence de plus-values latentes et en absence de dividendes ou de loyers perçus par exemple). Dans ces conditions, l’ISF n’a de sens que s’il n’est pas plafonné selon le revenu imposable (ou une notion proche). L’imposition sur la fortune est d’autant plus justifiée que les rendements réels, y compris les plus-values latentes des actifs sont peu hétérogènes (mais elle est alors équivalente à une imposition sur le revenu des actifs) ou que lorsque la supervision des  propriétaires peut améliorer le rendement des actifs (l’imposition assise sur la détention de patrimoine, et non le revenu, est alors une incitation supplémentaire «aux propriétaires à ‘activer’ leur patrimoine », comme le proposait  Maurice Allais). Au contraire, si les rendements des actifs sont hétérogènes et que les incitations à optimiser son patrimoine sont déjà élevées, l’imposition des revenus du patrimoine est préférable du point de vue de l’équité sans nuire à l’efficience économique.

(3) La plus forte imposition des successions paraît légitime du point de vue de l’égalité des chances. Il faudrait, selon nous, aller plus loin, au minimum en supprimant la purge de plus-value, notamment lorsque les biens ont été exonérés de droits de succession.

* Ce texte est issu de l’article « Réformer la fiscalité du patrimoine ? » publié dans le numéro spécial « Réforme fiscale » de la Revue de l’OFCE, disponible sur le site internet de l’OFCE.


[1] Comme le souligne Henri Sterdyniak : « Il est donc erroné de prétendre que les revenus du capital sont taxés à des taux réduits. Quand ils sont effectivement taxés, ils le sont à des taux élevés. »

[2] Défini comme le ratio entre la somme des impôts assis sur le patrimoine et les revenus augmentés du patrimoine nets de la CCF et de la taxe inflationniste.