Vers une grande réforme fiscale ?

Sous la direction de Guillaume Allègre et Mathieu Plane

Plus que jamais la fiscalité est au centre de la campagne électorale et du débat public. La crise économique et financière, couplée à l’objectif de réduction rapide des déficits, bousculent nécessairement les discours électoraux et nous obligent à nous confronter à la complexité des mécanismes fiscaux. Comment les impôts interagissent-ils entre eux ? Avec quels effets ? Selon quelles mesures ? Quel consentement et quelles contraintes pour la fiscalité ? Comment répartir la charge fiscale entre les acteurs économiques ? Comment financer notre protection sociale ? Doit-on défendre une  « révolution fiscale » ou des réformes incrémentales ?. « Réforme fiscale », le nouvel ouvrage de la série Débats et politiques de la Revue de l’OFCE, publié sous la direction de Guillaume Allègre et Mathieu Plane, entend éclairer et approfondir le débat sur la fiscalité.

La première partie de l’ouvrage traite des contraintes et des principes de la fiscalité. Dans un article introductif, Jacques Le Cacheux définit du point de vue de la théorie économique, les grands principes qui devraient inspirer une nécessaire réforme fiscale. Nicolas Delalande, dans une analyse historique, souligne le rôle des ressources politiques, des contraintes institutionnelles et des compromis sociaux dans l’élaboration des politiques fiscales. Dans un cadrage budgétaire, Mathieu Plane revient sur les évolutions passées de la fiscalité et analyse la contrainte qui pèse aujourd’hui sur les finances publiques. Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux proposent la mise en place d’une taxe sur le carbone ajouté qui permettrait d’apporter une réponse fiscale face aux émissions de carbone importées.

Dans une deuxième partie, la question du partage de la charge fiscale entre ménages est posée. Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez répondent à l’article critique d’Henri Sterdyniak concernant la « révolution fiscale » qu’ils préconisent. Clément Schaff et Mahdi Ben Jelloul proposent une réforme globale de la politique familiale. Guillaume Allègre tente d’éclairer le débat sur le quotient familial. Enfin, Guillaume Allègre, Mathieu Plane et Xavier Timbeau proposent de réformer la fiscalité pesant sur le patrimoine.

La troisième partie concerne la question du financement de la protection sociale. Dans une vaste revue de littérature, Mireille Elbaum revient sur l’évolution du financement de la protection sociale depuis le début des années 1980 et examine les alternatives en débat et leurs limites. Eric Heyer, Mathieu Plane et Xavier Timbeau analysent plus spécifiquement l’impact de la mise en place de la « quasi-TVA sociale » votée par le Parlement. Frédéric Gannon et Vincent Touzé présentent une estimation du taux de prélèvement marginal implicite du système de retraite français.

 




Working hours and economic performance: What lessons can be drawn from the Coe-Rexecode report?

By Eric Heyer and Mathieu Plane

Do people work less in France than in the rest of Europe? Is France the only country to have reduced working hours in the last decade? Is the 35-hour work week really dragging down the French economy? The report published on 11 January by the Coe-Rexecode Institute provides fresh material for answering these questions.

We have produced a note on the main conclusions of the report, which can be summarized as follows:

1.  People work fewer hours in France than in the rest of Europe.

  • TRUE for full-time employees,
  • FALSE for part-time employees,
  • FALSE for non-salaried employees,
  • UNDETERMINED for the total.

2. Working hours have fallen more in France than in Germany over the last 10 years.

  • FALSE

3.  “The shorter work week has failed to meet the goal of job creation and work-sharing” in France.

  • FALSE

4.  “The shorter work week has undermined per capita purchasing power” in France.

  • FALSE



Durée du travail et performance économique : quels enseignements peut-on tirer du rapport Coe-Rexecode ?

Par Eric Heyer et Mathieu Plane

Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs en Europe ? La France est-elle le seul pays à avoir réduit son temps de travail au cours de la dernière décennie ? Les 35 heures ont-elles réellement « plombé » l’économie française ? Le rapport publié le 11 janvier par l’Institut Coe-Rexecode fournit quelques éléments de réponses à ces questions.

Nous revenons dans une note sur les principales conclusions du rapport qui peuvent se résumer de la manière suivante :

1.  Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs en Europe ?

  • VRAI pour les salariés à temps complet,
  • FAUX pour les salariés à temps partiel,
  • FAUX pour les non-salariés
  • INDETERMINE pour le total

2. La durée du travail a-t-elle plus baissé en France qu’en Allemagne depuis 10 ans ?

  • FAUX

3.  « La baisse de la durée du travail a manqué l’objectif de créations d’emplois et de partage du travail » en France

  • FAUX

4.  « La baisse de la durée du travail a bridé le pouvoir d’achat par habitant » en France

  • FAUX



France 2012 : une austérité à 33 milliards d’euros ?

par Mathieu Plane

Le plan de rigueur français annoncé pour 2012, tel qu’il apparaît pour partie de façon implicite à travers l’objectif de croissance de la dépense publique dans le projet de loi de finances, est de 33 milliards d’euros, soit 1,6 point de PIB. Il devrait amputer d’autant la croissance française.

Après avoir révisé sa prévision de croissance de 1,75 % en 2012, hypothèse retenue dans le PLF 2012, à 1% désormais, le gouvernement n’avait d’autre choix que de renforcer sa politique d’austérité s’il voulait garder le cap sur un déficit public à 4,5 % du PIB pour 2012. Pour compenser la révision de croissance générant environ 7 milliards d’euros de manque à gagner fiscal pour 2012, le gouvernement a annoncé un nouveau plan de rigueur de 7 milliards d’euros pour 2012, avec une montée en charge à 17,4 milliards en 2017.

Cette démarche suppose que ce nouveau plan de rigueur n’affectera pas la croissance, le 1 % prévu n’étant pas révisé à la baisse en raison du durcissement de l’austérité. Cette hypothèse d’un multiplicateur budgétaire à 0 est loin des évaluations empiriques actuelles (voir le billet d’Eric Heyer sur  blog OFCE et celui de Xavier Timbeau). Avec un multiplicateur budgétaire à 1 à court terme, les mesures d’austérité annoncées devraient se traduire par une réduction du PIB de 0,35 %, ramenant ainsi la croissance prévue à 0,7 %. En raison de cette moindre activité, le déficit public ne se réduirait que de 0,17 % du PIB. Donc pour réduire le déficit public ex post de 0,35 % du PIB, comme l’envisage le gouvernement, il faudrait réaliser 14 milliards d’euros de rigueur, ce qui, par le jeu du multiplicateur budgétaire, ramènerait la croissance à 0,3 % pour 2012.

Par ailleurs, au regard des différents éléments fournis par le gouvernement pour 2012 (taux de croissance du PIB potentiel et du PIB effectif, charges d’intérêts, déficit public,  …), il faudrait que le déficit public structurel primaire de la France diminue de 33 milliards d’euros en 2012 (1,6 point de PIB) afin de compenser la hausse des charges d’intérêt (4 milliards) et le creusement du déficit conjoncturel (7 milliards) (tableau).

 

 

Or, pour 2012, le PLF prévoit des mesures d’économies pour 10,4 milliards d’euros, auxquels doivent s’ajouter 2 milliards d’euros décidés dans le cadre du PLF 2011. Si l’on ajoute les 7 milliards d’euros annoncés le 7 novembre, le plan de restriction budgétaire atteint 19,4 milliards d’euros pour 2012. Sur ces 19,4 milliards d’euros d’effort structurel, 16,7 sont des mesures portant sur des recettes nouvelles (notamment la réduction des niches fiscales qui représente environ 9 milliards) et 2,7 sur des dépenses moindres (dont 1,5 sont réalisées sur les dépenses de l’Etat). Pour atteindre 33 milliards d’économies, il faut donc comptablement 14 milliards d’euros de mesures structurelles supplémentaires. Celles-ci sont en partie contenues dans le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux (0,5 milliard), les économies sur les dépenses de santé dans le PLFSS 2012 (2,2 milliards) et la montée en charge de la réforme des retraites de 2010 (environ 4 milliards). Plus généralement, celles-ci sont comprises dans l’objectif drastique de tassement de la croissance de la dépense publique primaire contenu dans le PLF pour 2012. En revanche, l’incertitude est grande quant à la décomposition précise de ces 14 milliards d’économies structurelles du côté de la dépense et la possibilité de les réaliser. Au final, le plan de rigueur annoncé pour 2012, qui cumule l’ensemble des mesures d’économies annoncées ou affichées implicitement à travers l’objectif de croissance de la dépense publique dans le PLF, est bien de 33 milliards d’euros et se répartit de façon égale entre dépenses publiques et prélèvements obligatoires.

L’ensemble des mesures de restriction annoncées en France pour 2012 diminuerait l’activité de 1,6[1] point de PIB. Les mesures d’austérité de nos partenaires commerciaux amputeraient la croissance française de 0,8 point via le canal des exportations en raison de la moindre demande adressée. Avec un PIB diminué au total de 2,4 points de PIB en raison des plans de restriction budgétaire, une croissance prévue à 1 % par le gouvernement en 2012 suppose implicitement que la croissance spontanée de l’économie française soit très dynamique (3,4 %).


[1] Calcul réalisé en prenant un multiplicateur budgétaire interne de 1 à court terme.

 




La course perdue au AAA : analyse détaillée du plan d’austérité français du 7 novembre 2011

par Mathieu Plane

Ce plan d’austérité est très différent des deux plans d’économies précédents (loi de finances 2011 et PLF 2012) à la fois dans son « timing » et dans son équilibre entre dépenses et recettes, donc dans la répartition de l’effort au sein des ménages.

Premièrement, contrairement aux précédents plans d’ajustements budgétaires dont la plupart des effets sont concentrés sur une année, celui-ci doit monter en charge : les économies réalisées en 2017 devant représenter 2,5 fois plus que celles attendues pour 2012 (tableau 1).

Deuxièmement, à terme, les économies devraient être reparties également entre dépenses et recettes alors que les mesures découlant des plans antérieurs étaient principalement réalisées par le levier de la fiscalité, notamment celui de la réduction des niches fiscales.

Enfin, si ce plan présente l’avantage d’être modeste par son montant à court terme, ce qui par conséquent limite son impact sur la croissance (0,3 point de PIB) (voir le post associé), en revanche, il reporte une grande partie de l’effort budgétaire sur les prochaines années à travers la montée en charge des économies à réaliser du côté de la dépense publique, ces dernières devant être discutées à travers les futurs projets de loi de finances (2013 à 2017).

Rentrons dans le détail des mesures du nouveau plan d’austérité. Pour 2012, les économies budgétaires devraient représenter 7 milliards d’euros et seraient assumées à 85 % par les ménages.  Les 15 % du plan étant à la charge des entreprises correspondent à une majoration exceptionnelle de l’IS pour les grandes entreprises jusqu’en 2013. A partir de 2014, l’ensemble du plan portera intégralement sur les ménages.

Les réductions de déficit prévues proviennent pour 1,7 milliard d’euros de la dépense publique et 5,3 des nouvelles recettes fiscales. Il est prévu que ce plan monte progressivement en charge pour générer à terme (2017) une économie de 17,4 milliards d’euros, avec une répartition égale entre dépenses et recettes (tableau 1).

 

Du côté des dépenses, deux mesures, qui représentent à terme, 40 % des économies du plan de rigueur, passent à la fois par une nouvelle contraction des dépenses de l’Etat (0,5 milliard en 2012) et par une nouvelle réduction du rythme de croissance des dépenses de santé (0,7 milliard en 2012 dont 0,2 lié à un effort d’économie supplémentaire sur les dépenses de gestion des caisses de Sécurité sociale et des fonds de la protection sociale). Au final, selon le gouvernement, si on prend en compte également les mesures adoptées dans la cadre du PLF pour 2012, les dépenses de l’Etat devraient baisser de 1,5 milliard d’euros (hors pensions de retraite et charges d’intérêts) en 2012 et la croissance de l’ONDAM (Objectif national d’ assurance maladie) ne serait que de 2,5 % en valeur. Cela suppose deux impératifs. D’une part, que le gouvernement accélère la réforme de l’Etat. En effet, le PLF 2012 était basé sur un objectif « 0 valeur » des dépenses de l’Etat,  grâce notamment au non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, au gel d’indice fonction publique et à la diminution des interventions discrétionnaires, auxquels il faut désormais rajouter 0,5 milliard d’économies supplémentaires (notamment par l’instauration d’une journée de carence pour les fonctionnaires lors d’un arrêt maladie et le rabotage des dépenses d’intervention…). De plus, la montée en charge de ce plan jusqu’en 2017 suppose que le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux soit au moins maintenu, voire accéléré jusqu’en 2017, que le gel de l’indice fonction publique va se poursuivre et que des économies supplémentaires seront trouvées. D’autre part, selon le PLFSS 2012, les dépenses de l’ONDAM augmenteraient spontanément (hors mesures d’économies) de 4,1 % en valeur.  Un ONDAM à 2,5 % en valeur suppose de réaliser 2,7 milliards d’économies sur les dépenses de santé (2,2 milliards décidées dans le cadre du PLFSS 2012 auxquelles s’ajoutent 0,5 milliard du plan d’austérité). Ce plan oblige donc le gouvernement à aller au-delà de ce que prévoyait le PLFSS 2012 dont les économies prévues étaient ciblées sur une baisse des prix des médicaments et une hausse des déremboursements ainsi que la mise en réserve de crédits pour environ 0,5 milliard. De plus, la montée en charge du plan d’austérité nécessite de maintenir l’ONDAM à 2,5 % en valeur sur la période 2012-2017, ce qui, compte tenu des effets du vieillissement, impose non pas de pérenniser la réforme actuelle mais de réaliser environ 3 milliards d’euros de nouvelles économies chaque année sur les dépenses de santé. Une partie de ces économies se reportera inévitablement sur le prix des mutuelles.

L’accélération de la réforme des retraites a surtout des effets à moyen terme : elle devrait permettre d’économiser 0,1 milliard en 2012 et 1,3 milliard en 2017.  L’âge d’ouverture des droits devait être repoussé progressivement de 60 ans en 2010 à 62 ans en 2018. Dans le plan d’austérité, la transition serait accélérée de façon à atteindre 62 ans en 2017. Dans une période de sous-emploi, cette mesure, en gonflant la population active des seniors, risque de voir une grande partie du gain budgétaire sur les dépenses de retraite rogné par un supplément lié aux dépenses d’allocations chômage.

Enfin, dans le cadre du plan d’austérité, la non-indexation sur l’inflation des prestations familiales et des aides au logement devrait générer une économie de 0,4 milliard en 2012 (0,5 en 2013). C’est la première fois que des mesures d’économies sur les prestations sociales sont prises depuis le début de la crise. Cette mesure concerne environ 6 millions de bénéficiaires d’aides au logement et 7 millions au titre des allocations familiales et des prestations d’accueil du jeune enfant (PAJE). C’est la première fois depuis le plan Juppé de 1996 que le pouvoir d’achat de ces prestations diminue. Comme une part importante de ces prestations est sous conditions de ressources, cette mesure va amputer le pouvoir d’achat des ménages les plus pauvres. Rappelons qu’au cours des dix dernières années, les loyers ont augmenté plus vite que l’inflation, précarisant les ménages dépendant des aides au logement pour payer leur loyer. Cette nouvelle mesure ne devrait que renforcer ce phénomène.

Du coté des recettes, le plan d’austérité prévoit une hausse des prélèvements de 5,3 milliards d’euros. La principale mesure est la désindexation en 2012 et 2013 du barème de l’IRPP qui devrait rapporter 1,6 milliard d’euros en 2012 et 3,2 milliards en 2013. La désindexation du barème de l’ISF et des droits de donation et succession rapporterait environ 0,1 milliard d’euros en 2012 et 0,2  en 2013. Cette hausse « masquée » de l’IRPP permet au gouvernement d’augmenter l’assiette fiscale sans augmenter les taux des différentes tranches de l’IRPP. Cette décision tranche avec les mesures fiscales décidées depuis 2000 visant à alléger le poids de cet impôt. Quant à l’ISF, la non revalorisation des tranches entraînerait un gain d’environ 40 millions en 2012 et 80 millions en 2013, ce qui compense à hauteur de 5 % la réforme récente de cet impôt dont le rendement baisserait de 1,7 milliards d’euros. Le gouvernement  prolonge la réduction des dépenses fiscales à hauteur de 1 milliard d’euros en 2013, pour atteindre 2,6 milliards en 2017. Ces mesures sont principalement concentrées dans l’immobilier, avec la réforme du nouveau prêt à taux zéro (PTZ plus) et la suppression des aides à l’investissement locatif qui devraient disparaître en janvier 2013.

Une autre mesure du plan d’austérité concerne la hausse du taux de TVA réduit de 5,5 % à 7 % pour un certain nombre de produits et services (hôtellerie, restauration hors cantines scolaires, travaux de rénovation dans les locaux d’habitation, titres de transports en commun, produits culturels et produits à usage agricole). Cette mesure devrait rapporter 1,8 milliards d’euros en 2012. A l’exception des services de transport, la part de la consommation de ces produits dans le revenu augmente avec le niveau de vie (graphique 1).  En effet, hors services de transports, la part de ces produits dans le revenu des ménages représente 7,5 % du Revenu disponible brut (RDB) du 1er décile contre 16,5 % du RDB pour le dernier décile. En revanche, la part des services de transport représente 2,8 % du RDB du premier décile contre 1,6 % du RDB du dernier décile (il représente seulement 1,2 % du RDB du 8e décile et augmente pour les deux derniers déciles en raison de la hausse de la propension marginale à consommer du transport aérien). Cela pose donc la question de savoir si les services de transport doivent être concernés par la hausse de taux de TVA réduit en raison de son effet anti-redistributif mais aussi pour les avantages écologiques qu’ils procurent.

 

 

Ce plan prévoyait une augmentation du taux de prélèvement forfaitaire libératoire de 19 % à 24 % sur les dividendes et intérêts, ce qui devrait permettre une hausse des recettes fiscales de 0,6 milliard en 2012. Mais finalement, dans le cadre de la loi de finances rectificative, le gouvernement est revenu sur sa décision portant le taux sur les dividendes à 21 % (contre 24 % prévu initialement). Dans tous les cas, ces deux mesures concernent les contribuables assujettis aux deux dernières tranches  de l’IRPP (30 % et 41 %), qui se situent donc en haut de l’échelle des revenus. Cela permet de rapprocher la fiscalité des revenus du capital de celle des revenus du travail. En revanche, les plus-values immobilières et mobilières restent taxées à 19 %, ce qui va créer une distorsion fiscale entre les gains en capital et les revenus du capital, les investisseurs étant incités à encaisser des plus-values plutôt que de recevoir un revenu équivalent sous forme de dividendes ou d’intérêts.

Enfin, la seule mesure fiscale du plan d’austérité qui concerne directement les entreprises est la surtaxe temporaire de 5 % sur les bénéfices des sociétés des entreprises dépassant 250 millions de chiffre d’affaires en 2012 et 2013. Cette mesure doit rapporter 1,1 milliard d’euros en 2012 et 2013 aux caisses de l’Etat et concernerait environ 2000 groupes. Or, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, les grands groupes (de plus de 2000 salariés) ont un taux implicite de seulement 13 %. La mesure est donc justifiée mais cette surtaxe devrait s’accompagner d’une réforme de l’optimisation fiscale afin d’éviter que la hausse de la taxe ne porte que sur les entreprises qui délocalisent le moins leurs profits par le jeu des prix de transferts.

Désormais, le gouvernement est confronté à des choix budgétaires cornéliens : soit il décide d’aller beaucoup plus loin dans la rigueur de façon à respecter ses engagements budgétaires (pour atteindre 4,5 % du PIB de déficit public en 2012, le gouvernement doit faire encore un effort supplémentaire de rigueur proche de 30 milliards d’euros, ce qui porterait l’austérité budgétaire totale à 63 milliards d’euros pour 2012), ce qui conduirait à plonger automatiquement le pays dans une profonde récession. Soit il renonce à de nouveaux plans d’austérité pour éviter que le pays ne s’enfonce dans la récession mais, dans ce cas, il s’expose à la foudre des marchés financiers.  Dans tous les cas, ces deux stratégies ne garantissent pas de conserver le AAA sur notre dette publique. La raison économique invite donc à choisir  la  politique qui est la mieux adaptée à la situation économique actuelle, c’est-à-dire celle qui consiste à ne pas renforcer la rigueur quand l’économie risque d’entrer en récession. Par ailleurs, seule une remise en cause au niveau européen de la stratégie budgétaire actuelle, de façon à rendre soutenable économiquement et socialement le rééquilibrage des finances publiques à moyen terme, permettrait d’amorcer une perspective de sortie de crise.  Cette stratégie qui vise à renouer avec la croissance est envisageable uniquement si la BCE annonce clairement qu’elle joue le rôle de prêteur en dernier ressort dans la zone euro de façon à éviter la spéculation sur les dettes souveraines et stopper le risque de contagion.

 

 




Fin de la prime à la casse : les effets négatifs sont à venir

par Hervé Péléraux et Mathieu Plane

Dans une note parue au début de l’été 2011, nous expliquions pourquoi le contrecoup de la fin de la prime à la casse interviendrait au deuxième trimestre 2011. Nous estimions à -0,4 % sa contribution au PIB français durant ce trimestre. L’épisode de la prime “Fillon” ne se démarque guère des expériences passées : en créant des effets d’aubaine temporaires, les primes provoquent des coups d’accordéon dans un volume de marché stationnaire sur longue période.

Un secteur automobile sinistré

Le secteur automobile a traversé une crise sans précédent lors de la récession de 2008/09. La production de la branche « matériels de transport » a reculé de plus de 20 % entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2009. A titre de comparaison, au cours de la crise de la  première moitié des années 1990, la production avait reculé de 17 % entre le premier trimestre 1990 et le quatrième trimestre 1993, soit moins en quatre années à l’époque qu’en un an en 2008/09.

La baisse de la production n’a été que la réponse des constructeurs à l’effondrement des marchés intérieurs et extérieurs. Au plus fort de la récession, la consommation de matériels de transport par les ménages a reculé de 11 % sur un an en 2008, les achats des entreprises de 28,5 % et les exportations de 27 %, soit au total une contraction des débouchés du secteur de 18,5 % (contre 14 % en quatre ans lors de la crise de la première moitié des années 1990). C’est dire l’ampleur du choc auquel a été confronté le secteur automobile.

La crise financière, qui a démarré à l’été 2007, s’est dangereusement aggravée avant la mise en place, dans le dernier trimestre de 2008, de plans de sauvetage visant à soutenir les établissements de crédit en difficulté et à restaurer la confiance au sein du système financier. Cette crise a paralysé l’activité de crédit des banques aux entreprises et aux particuliers. L’investissement productif, mais aussi les segments de la consommation des ménages qui dépendent du crédit, comme les achats d’automobiles majoritairement financés par emprunt, ont été les vecteurs de transmission de la crise de la sphère financière vers la sphère réelle.

Des mesures de soutien efficaces…

Pour tenter de relancer l’activité du marché, le gouvernement a institué en décembre 2008 un système de « primes à la casse » visant à stimuler les achats d’automobiles et calqué sur celui déjà mis en place dans le passé (primes Balladur en 1994, Juppé en 1996 ((Ce système avait déjà été expérimenté lors du creux conjoncturel des années 90. Pour soutenir la consommation, le gouvernement Balladur avait mis en place entre février 1994 et juin 1995 une subvention de 762 euros (5000 francs) pour la mise au rebut de véhicules vieillissants contre l’achat d’un véhicule neuf. Ce dispositif a été institué à nouveau peu de temps après entre octobre 1995 et octobre 1996, avec les primes Juppé comprises entre 5000 francs (762 euros) et 7000 francs (1067 euros) selon la catégorie du véhicule. )). Ce système consistait à offrir une prime, 1000 euros jusqu’au 31 décembre 2009 (prime « Fillon 1 ») ramenée à 700 euros jusqu’au 1er juillet 2010 (prime « Fillon 2 ») et enfin à 500 euros jusqu’au 31 décembre 2010 (prime « Fillon 3 »), pour l’achat d’une automobile neuve en remplacement d’un véhicule de plus de 10 ans. Ce mécanisme vise à inciter les ménages concernés à anticiper le renouvellement de leur véhicule. Il a pour effet de concentrer, sur un intervalle de temps limité à sa durée d’application, des achats qui autrement auraient été étalés dans le temps. La vague de ventes qui en résulte pour les constructeurs permet ainsi de soutenir ponctuellement le secteur automobile quand il traverse des difficultés temporaires. Une partie des ventes supplémentaires suscite un courant d’importations de voitures qui profite bien sûr aux constructeurs étrangers et pas aux constructeurs nationaux, mais la plupart des partenaires commerciaux de la France ont aussi mis en place simultanément de tels dispositifs qui ont en retour bénéficié aux exportations françaises d’automobiles.

L’effet de la mesure s’est développé tout au long de 2009 (graphique 1), avec, comme en 1994 et 1996, une montée en charge progressive qui a culminé à la veille de la diminution du bonus de 1000 à 700 euros au 1er janvier 2010. Beaucoup d’acheteurs, c’est en tout cas ce que l’expérience suggère, ont en effet tendance à « attendre la dernière minute » pour profiter de l’avantage. Il en a résulté une poussée des immatriculations en fin d’année 2009, qui s’est d’ailleurs reproduite à l’identique en fin d’année 2010 avant la disparition complète de l’avantage au 1er janvier 2011 ((Le passage de la prime de 700 à 500 euros au 1er juillet 2010 n’a par contre pas provoqué la même ruée en juin, probablement parce que le marché « digérait » encore la poussée des achats de 2009. )).

Le secteur automobile a rapidement profité de ce dispositif de soutien, avec une reprise de la production de la branche « matériels de transport » de 15 % en quatre trimestres depuis le point bas du premier trimestre 2009, une hausse de la consommation des ménages en matériels de transport de 13 % et, grâce au même type de mesure mis en place chez les partenaires, un regain d’exportations de 22 %. Même si les niveaux d’avant-crise ne sont pas dépassés, – et le retour à la croissance ne doit pas faire oublier que sur trois ans l’activité du secteur est encore en recul au début 2011 – au moins la spirale baissière a-t-elle été enrayée.

1. Immatriculation de véhicules de tourisme neufs

 

En milliers, cvs

Source : INSEE.

… qui n’ont qu’un caractère temporaire

La contrepartie de ces vagues d’achat a été un reflux massif du marché une fois minoré, ou éteint, le dispositif. Les primes ne permettent pas, et c’est ce que montre aussi l’expérience passée, d’accroître durablement les ventes. Le passage en creux des immatriculations sous la moyenne de longue période après les primes « Balladur » et « Juppé » en témoigne. Les primes créent un effet d’aubaine temporaire qui pousse les ménages concernés à anticiper le renouvellement de leur véhicule. Mais il ne s’agit bien ici que d’accélérer la prise de décision d’un renouvellement. L’épuisement du stock de véhicules pouvant prétendre au bénéfice de la mesure, ou l’arrivée à échéance du dispositif, provoque par la suite un contrecoup à la baisse à la mesure de l’engouement précédent. Par exemple, durant l’intervalle de trois mois qui a séparé les primes « Balladur » des primes « Juppé », les immatriculations mensuelles moyennes ont reculé de 13 % par rapport à la moyenne mensuelle observée pendant la période d’application du dispositif. De même, dans les trois mois qui ont suivi la fin de la prime « Juppé », la moyenne mensuelle des immatriculations a chuté de 24 % par rapport à la moyenne de la période pendant laquelle la mesure a été effective.

L’année 2010 ne se démarque pas des expériences passées en montrant que les primes provoquent des coups d’accordéon dans un volume de marché stationnaire sur longue période. Simplement le recul des immatriculations en 2010, à la suite du passage de la prime « Fillon 1 » à la prime « Fillon 2 » pendant les six premiers mois de l’année, a-t-il été moins prononcé que dans les années 90 du fait du maintien d’un bonus.

La disparition complète de l’avantage, laissait attendre, après une dernière ruée chez les concessionnaires à la fin de 2010, un repli massif des ventes au premier trimestre. De fait, après s’être accrues de respectivement 18 et 11 % en novembre et en décembre 2010, les immatriculations se sont repliées de 13,7 % en janvier. Mais elles ont rebondi en février, 8,5 %, avant de rendre le terrain regagné en mars, -8,9 %. Au total, la moyenne des immatriculations sur les trois mois qui ont suivi la date de fin de la prime « Fillon 3» est supérieure de 6,6 % à la moyenne qui prévalait pendant la période d’application des dispositifs « Fillon » (2009 et 2010), ce qui n’avait été le cas ni dans l’intervalle entre les dispositifs « Balladur » et « Juppé », ni à la fin des primes « Juppé », ni même à la fin de la prime « Fillon 1» en janvier 2010.

Un reflux différé… mais qui se dessine

Contrairement à ce que l’expérience pouvait laisser augurer, l’ajustement attendu semble donc cette fois avoir tardé. Selon les comptes nationaux, la croissance de la consommation des ménages en matériel de transport s’est maintenue au 1er trimestre (+2,3 %), alors qu’elle avait chuté de 6 % au 1er trimestre 2010 à la fin du dispositif « Fillon 1 », de 16 % à la fin de la prime Balladur au troisième trimestre 1995, et de 18 % au quatrième trimestre 1996 à la fin des primes « Juppé » (tableau 1). Il semble donc bien y avoir une spécificité dans le cas présent, qui peut tenir à deux raisons majeures. D’abord le délai entre la prise de commande et l’immatriculation ou la livraison du véhicule introduit un retard dans la comptabilisation de l’achat effectif. Si davantage de commandes supplémentaires que dans les exemples antérieurs ont été passées dans les tous derniers jours d’existence de la mesure, davantage d’immatriculations et de livraisons qu’à l’accoutumé ont été reportées au premier trimestre, ce qui a maintenu la croissance de la consommation d’automobiles. Ensuite, il semble que les constructeurs se soient dans une certaine mesure substitués aux pouvoirs publics pour prolonger les bonus afin d’éviter un choc négatif trop violent.

Mais cette stratégie à finalité commerciale n’aurait, quoi qu’il en soit, qu’un caractère temporaire. De même, le stock de commandes hérité de la fin du dispositif « Fillon », probablement épuisé à l’heure actuelle, ne pourra plus s’opposer au reflux des ventes effectives. Tout laisse à penser donc que le contrecoup de la fin de la prime à la casse interviendra au deuxième trimestre 2011. Premièrement les chiffres du mois d’avril 2011 montrent une chute brutale de la consommation en automobiles, celle-ci reculant de plus de 10 % en l’espace d’un mois et renouant avec les niveaux de juin 2010 ou de décembre 2008. Deuxièmement, les immatriculations de véhicules neufs, qui ont chuté de près de 14 % au mois d’avril 2011 ont très faiblement rebondi au mois de mai 2011 (0,9 %). Au final, si la consommation en automobiles se stabilisait en mai et juin à son niveau d’avril 2011, celle-ci baisserait de 11 % au deuxième trimestre 2011, contribuant pour -0,7 % à la croissance de la consommation des ménages et pour -0,4 % à la croissance du PIB (voir tableau). Au moins pour sa composante consommation des ménages, la forte croissance du PIB enregistrée au 1er trimestre 2011, n’est donc pas reproductible au deuxième.