L’euro-isation de l’Europe

par Guillaume Sacriste, Paris 1-Sorbonne et Antoine Vauchez, CNRS et Paris 1-Sorbonne

Dans le dernier article de La Revue de l’OFCE (n° 165, 2019) accessible ici, les auteurs analysent l’émergence d’un nouveau gouvernement européen, celui de l’euro, construit pour une large part à la marge du cadre institutionnel de l’Union. Ce faisant, il rend compte d’un processus de transformation de l’Europe (Union européenne et États membres), qu’on qualifie ici « d’€-isation de l’Europe », autour de trois dimensions : 1) la formation en son cœur d’un puissant pôle des Trésors, des banques centrales et des bureaucraties financières nationales et européennes ; 2) la consolidation d’un système de surveillance européen des politiques économiques des États membres ; 3) la progressive re-hiérarchisation des priorités politiques et des politiques publiques de l’Union européenne comme des États membres autour d’une priorité donnée à la stabilité financière, à l’équilibre budgétaire et aux réformes structurelles. L’article permet ainsi de redéfinir la nature des « contraintes » que la gestion de la monnaie unique fait peser sur les économies des États membres, des contraintes moins juridiques que socio-politiques, moins extérieures et surplombantes qu’immanentes et diffuses, et au final étroitement liées à la position clé désormais occupée par le réseau transnational de bureaucraties financières dans la définition des problèmes et des politiques européennes.




L’impératif de soutenabilité économique, sociale et environnementale

par OFCE[1], ECLM[2], IMK[3], AKW[4]

À l’apogée de la crise de la dette souveraine en zone euro, nous nous sommes engagés dans un examen annuel de la croissance : iAGS -independant Annual Growth Survey. Le projet a fait l’objet d’un premier débat à la fin de l’année 2011 et le premier rapport a été publié en novembre 2011. Notre objectif, en collaboration avec le groupe S & D au Parlement européen, a consisté à discuter et à remettre en question la contribution de la Commission européenne au Semestre européen. Concrètement, il s’agissait de pousser la Commission européenne vers une politique macroéconomique plus réaliste, c’est-à-dire moins axée sur la réduction à court terme de la dette publique, et plus consciente des conséquences sociales de la crise et du parti-pris d’austérité. Pendant 7 ans, nous avons plaidé contre une austérité brutale qui ne permettait pas de contrôler la dette publique, nous avons mis en garde contre le risque catastrophique de la déflation. Nous avons également alerté sur les conséquences sociales de la combinaison mortelle de la crise économique, de la flexibilité accrue du marché du travail et de l’austérité sur les inégalités, en particulier dans la partie basse de la répartition des revenus. Nous ne pouvons pas prétendre avoir changé à nous seuls les politiques de l’Union, mais au moins avoir eu une influence, bien qu’insuffisante et trop tardive pour éviter les cicatrices laissées par la crise.

Aujourd’hui, il est nécessaire de faire de cette initiative un grand pas en avant. L’adoption des ODD (Objectifs de Développement Durable) nécessite une nouvelle approche de la gouvernance économique et de la croissance économique. La mesure de la performance économique doit évoluer vers la mesure du bien-être selon les trois aspects du développement durable – économique, social et environnemental. À cet effet, un large éventail de politiques doit être mobilisé de manière cohérente, ce qui doit faire passer la politique budgétaire d’un rôle dominant à un rôle de facilitation et de soutien. De plus, ces politiques doivent être ancrées dans une stratégie à long terme cohérente et inclusive et doivent être suivies de près pour contrôler qu’elles sont durables.

Jusqu’à présent, l’UE n’a pas adopté cet agenda de manière satisfaisante, et le processus du Semestre européen toujours en vigueur ne permet pas de conduire l’UE vers la réalisation des ODD. De la même manière que l’iAGS a contesté l’orthodoxie dominante dans le domaine macroéconomique, l’iASES 2019 – independant Annual Sustainable Economic Survey, le nouveau nom de l’iAGS – constitue notre contribution au soutien et à la promotion d’une stratégie soutenable.

L’iASES 2019 dresse les perspectives économiques pour l’UE. Le ralentissement à venir résulte en grande partie de l’atténuation progressive de la reprise après la Grande Récession, et de la convergence des taux de croissance vers une trajectoire de croissance potentielle plus faible. Le ralentissement de la croissance coïncide avec la reprise des turbulences politiques: le Brexit, les finances publiques italiennes, la guerre commerciale et les turbulences dans certains pays émergents. La reprise prendra fin à un moment donné, et la zone euro n’est pas encore préparée à cela, car les déséquilibres persistent et le cadre institutionnel reste incomplet[5]. La zone euro a dégagé un excédent commercial important, qui pourrait ne pas être soutenable. La convergence nominale reste un problème important qui doit être résolu par la volonté politique de coordonner plus activement l’évolution des salaires, à commencer par ceux des pays excédentaires. En outre, l’adoption partielle d’une union bancaire peut s’avérer insuffisante pour assurer la stabilité bancaire en cas de chocs défavorables. La BCE pourrait être contrainte à la mise en œuvre de nouvelles politiques de soutien non conventionnelles, politiques qui pourraient être complétées par des mesures automatiques de stabilisation budgétaire transfrontalières au sein de l’UEM.

La situation sociale s’est légèrement améliorée dans l’Union européenne depuis le pire de la crise et, en moyenne, les taux de chômage dans les pays européens ont retrouvé leur niveau d’avant la crise. Cependant, les différences entre les pays et les couches de la population sont encore importantes. Les responsables politiques doivent être conscients des compromis et synergies possibles entre les objectifs économiques, sociaux et environnementaux en général et les objectifs de développement durable en particulier[6]. Conformément aux ODD et aux objectifs visés par le Socle européen des droits sociaux, iASES vise à promouvoir des politiques -développement des investissements sociaux, politiques industrielles volontaristes, réduction du temps de travail, augmentation de la négociation collective afin de limiter la formation d’inégalités primaires- qui répondent à ces objectifs et permettent de surmonter les conséquences négatives directes et indirectes du chômage.

Le changement climatique est sans doute le défi le plus sérieux auquel nous sommes collectivement confrontés. Il parait donc utile de calculer les budgets carbone pour avertir les décideurs politiques des efforts à fournir pour mettre la société sur la voie de la soutenabilité environnementale. L’iASES évalue la « dette climatique », c’est-à-dire le montant que les pays devront investir ou payer pour qu’ils ne dépassent pas leur budget carbone, ce qui donne lieu à trois informations politiques clés. Il ne reste que quelques années aux grands pays européens avant d’épuiser leur budget carbone sous l’objectif de + 2 ° C. Par conséquent, la dette carbone devrait être considérée comme l’un des problèmes majeurs des décennies à venir car, dans le scénario de référence, elle représente environ 50% du PIB de l’Union européenne pour rester en dessous de + 2 ° C[7]. Il faut délibérément formuler la question du climat en terme de dette, car le concept de déficit excessif s’applique aujourd’hui totalement à la procrastination qui nous caractérise sur ce point.

 

[1] Coordination par Xavier Timbeau. Contributeurs : Guillaume Allègre, Christophe Blot, Jérôme Creel, Magali Dauvin, Bruno Ducoudré, Adeline Gueret, Lorenzo Kaaks, Paul Malliet, Hélène Périvier, Raul Sampognaro, Aurélien Saussay.

[2] Economic Council of the Labour Movement. Contributeurs : Jon Nielsen, Andreas Gorud Christiansen.

[3] Institüt für Macroökonomie und Konjunkturforschung. Contributeurs : Peter Hohlfeld, Andrew Watt.

[4] Chamber of Labour, Vienna. Contributeurs : Michael Ertl, Georg Feigl, Pia Kranawetter, Markus Marterbauer, Sepp Zuckerstätter.

[5] Cf. « Des défis à venir pour l’Union européenne », OFCE Policy Brief, n° 49, 5 février 2019.

[6] Cf. « Soutenabilité sociale : des Objectifs de Développement Durable aux politiques publiques », OFCE Policy Brief, n° 48, 5 février 2019.

[7] Cf. « Une évaluation exploratoire de la dette climatique », OFCE Policy Brief, n° 44, 11 décembre.




La BCE en terrain neutre ?

par Christophe Blot et Jérôme Creel

L’implication de la Banque centrale européenne (BCE) dans la gestion budgétaire des Etats membres de la zone euro est un sujet régulier de controverse. Depuis la mise en œuvre des programmes d’achats de titres de dette publique, la BCE est tout à la fois accusée de faire des profits sur les Etats en difficulté et de prendre le risque de socialiser les pertes. La naissance de ces controverses résulte de la difficulté à bien appréhender les relations entre la BCE, les banques centrales nationales (BCN), et les gouvernements.L’architecture monétaire européenne se résume à une séquence de délégation de pouvoir. Les décisions relatives à la conduite de la politique monétaire dans la zone euro sont déléguées à une institution indépendante, la Banque centrale européenne (BCE). Mais, en vertu du principe européen de subsidiarité, la mise en œuvre de la politique monétaire est ensuite déléguée aux banques centrales nationales (BCN) des Etats membres de la zone euro : l’ensemble BCE + BCN étant nommé Eurosystème. Alors que cette dimension de l’organisation de la politique monétaire dans la zone euro n’avait jusqu’ici pas vraiment retenue l’attention, un débat a récemment émergé dans le cadre de la mise en œuvre du programme d’assouplissement quantitatif. D’après commentateurs et journalistes, certaines banques centrales nationales profiteraient plus que d’autres de ladite politique pour acheter et soutenir leur dette publique nationale, plus risquée que celle d’autres pays plus « vertueux »[1]. Celles-ci pourraient donc échapper au contrôle de la BCE et ne pas appliquer strictement la politique décidée à Francfort.

Dans un document récent, préparé dans le cadre du dialogue monétaire du Parlement européen avec la BCE, nous montrons que ces inquiétudes ne sont pas fondées pour la simple et bonne raison qu’en moyenne depuis le début de mise en œuvre de cette politique, la clé de répartition théorique a été respectée (graphique). Cette clé de répartition stipule que les achats de titres obligataires par l’Eurosystème se font au prorata de la participation des Etats au capital de la BCE. Rappelons qu’une partie des achats – 10 sur les 60 milliards d’achats mensuels effectués dans le cadre du PSPP – est effectuée directement par la BCE[2]. Les autres achats sont effectués directement par les BCN. Comme chaque banque centrale achète les titres émis par son gouvernement, les acquisitions d’obligations publiques par les BCN ne conduisent pas à un partage des risques entre les Etats membres. Les profits ou les pertes sont conservées au bilan des BCN ou transférées aux gouvernements nationaux selon les accords en vigueur dans chaque pays.

Cette répartition des achats d’obligations publiques qui se veut neutre en termes de gestion de risque ne l’est cependant pas tout à fait, mais pas pour les raisons qui semblent avoir inquiété le Comité des affaires économiques et monétaires du Parlement européen. Cette répartition favorise le maintien de taux de rendement très bas sur les dettes de certains Etats membres. En effet, en ne se basant pas sur les besoins de financement des Etats membres ou sur la taille de leurs dettes publiques, elle peut produire des distorsions en raréfiant l’offre d’obligations publiques disponibles sur les marchés secondaires. Tel peut être le cas en Allemagne, en Espagne et aux Pays-Bas dont les parts dans les dettes publiques européennes sont moindres que leurs parts respectives dans le capital de la BCE (tableau). A l’inverse, les achats d’obligations italiennes sont moindres avec la clé de répartition actuelle qu’avec une clé de répartition qui tiendrait compte de la taille relative de la dette publique. La politique de la BCE a donc moins de répercussions sur le marché de la dette italienne qu’elle n’en a sur le marché allemand.

Ce choix pourrait par ailleurs contraindre les décisions de la BCE sur la poursuite de l’assouplissement quantitatif après décembre 2017. Admettons que la meilleure politique pour la BCE consiste à poursuivre au même rythme la politique actuelle au-delà de décembre 2017, mais à la stopper une bonne fois pour toutes en juillet 2018. En l’état des règles de répartition, cette politique reste conditionnée à la disponibilité d’obligations publiques échangeables jusqu’en juillet 2018 pour tous les pays, y compris ceux dont les émissions de dette sont rares car leurs besoins de financement sont faibles. Il se pourrait que la poursuite de cette politique en l’état des règles adoptées par la BCE soit impossible parce que les dettes disponibles sont en montants insuffisants dans certains pays. Il faudrait alors mettre en œuvre une politique différente en réduisant par exemple drastiquement les achats mensuels de titres à court terme (mettons en janvier 2018), tout en poursuivant éventuellement cette politique plus longtemps (au-delà du premier semestre 2018). Le choix de ne pas recourir à un partage des risques dans la gestion de la politique monétaire européenne est donc loin d’être neutre dans la mise en œuvre effective de cette politique.

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[1] Mario Draghi a en effet été interrogé sur la répartition de la politique d’achat de titres publics (PSPP pour Public sector purchase programme) lors de la conférence de presse qu’il a tenu le 8 septembre 2017.

[2] Sur cette somme, il y a un partage des risques : les gains ou les pertes sont partagés par l’ensemble des BCN au prorata de leur contribution au capital de la BCE.




L’Europe est morte. Vive l’Europe !

par Maxime Parodi et Xavier Timbeau

Le choix des Britanniques du Brexit ne fait que renforcer la logique politique qui s’impose. D’un côté, les peuples veulent être consultés, de l’autre, l’Europe est sommée de changer. François Hollande juge que « le vote du Royaume-Uni met l’Europe à l’épreuve » ; Alain Juppé estime « qu’il faut écrire une nouvelle page, un nouveau chapitre de l’histoire de l’Europe » ; les leaders du Front National, mais pas eux seulement, appellent à un référendum sur l’appartenance de la France à l’UE et à l’euro. Partout en Europe, le débat s’engage sur les mêmes termes.

Nous écrivions il y a quelques jours, sur le site de la fondation Terranova : «  Le référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne va induire un choc plus politique qu’économique. Il sera en effet difficile de contenir les demandes de consultation similaire. Répondre à ces demandes par « plus d’Europe » ne fera qu’alimenter la distance entre les peuples et la construction européenne. Penser que des référendums pourraient au contraire légitimer le statu quo serait également une erreur. Nous proposons de répondre au besoin démocratique non pas par un « quitte ou double » mais par un processus d’appropriation démocratique qui permette de légitimer la construction européenne et d’en imaginer les évolutions futures ».

Instruire cette méthode d’appropriation démocratique de l’Europe et de la zone euro est nécessaire. Des référendums « pour ou contre » n’y parviendront pas. Le saut fédéral est un repoussoir pour probablement une grande majorité des Européens. Mais pour autant, il existe une chose publique en Europe. Articuler les lieux actuels de la démocratie que sont les Etats membres de l’UE avec la nécessité, pour certains sujets, d’une légitimité supranationale est l’alternative à l’invention du citoyen européen. Mais c’est la méthode qui compte. Et tous les leviers de la démocratie participative, de grands débats nationaux et transnationaux en passant par des jurys citoyens, doivent être mobilisés pour faire le bilan de l’Europe telle qu’elle est et proposer les réformes qui la rendront plus démocratique. Ceci peut déboucher concrètement sur des avancées comme un parlement de la zone euro ou une extension du pouvoir du Parlement européen. Au-delà, c’est aussi le moyen d’inverser la tendance à la décomposition de l’Europe.

 




Sauver la Grèce par la démocratie

par Maxime Parodi, @MaximeParodi, Thomas Piketty (Directeur d’études à l’EHESS et professeur à l’Ecole d’économie de Paris) et Xavier Timbeau @XTimbeau

Cette tribune a été publiée dans Le Monde daté du mercredi 10 juin 2015.

Le feuilleton grec emplit les journaux depuis l’élection au pouvoir de Syriza, le 25 janvier 2015. Pris dans le nœud coulant de ses créances, le gouvernement grec défend sa position avec comme menace la sortie de la Grèce de la zone euro. Tout est bloqué aujourd’hui, comme si rien n’avait avancé, sauf que la gestion et la trésorerie publiques grecques sont disloquées et que l’économie grecque s’est effondrée. Fuite des dépôts bancaires, incertitude quant à l’avenir monétaire et aux mesures qui seront prises expliquent que plus personne ne puisse vraiment se projeter dans le futur.

Quant aux autres Européens, ils s’interrogent sur ce qui a conduit à cette situation. L’incomplétude institutionnelle de la zone euro a été diagnostiquée et on propose (comme prochainement le rapport des 5 présidents au sommet européen du 25 juin) de renforcer la construction de la zone euro. Mais ce qui se profile à ce stade n’est guère satisfaisant. Mais ce qui se profile n’est pas à la hauteur de l’enjeu européen. Continuer de proposer plus de technocratie avec un vernis démocratique ne ferait que répéter les recettes qui ont fabriqué ce désastre.

Prenons donc le problème dans l’autre sens en donnant à la démocratie européenne une chance d’émerger. Confions à un organe représentatif des parlements nationaux de la zone euro, c’est-à-dire un embryon d’une véritable chambre parlementaire de la zone euro, la résolution de la question de la dette grecque. L’assemblée arbitrerait le conflit entre les créanciers et le gouvernement grec, en déplaçant le débat et les décisions vers les questions importantes : quelle est la responsabilité des jeunes générations quant à la dette de leurs aînés ? Quid du droit des créanciers ? Comment ont été réduites les autres dettes publiques importantes dans l’histoire, et quelles leçons peut-on en tirer pour l’avenir ? Que vaut la sauvegarde de l’euro dans cette affaire ? Comment empêcher que demain de nouvelles accumulations de dettes insoutenables ne se produisent ?

En étant légitimé par une assemblée solennelle et qui en sera la gardienne, l’accord qui serait trouvé ne risquerait pas, une nouvelle fois, d’être dénoncé demain. Puisqu’il s’agit de résoudre une question de dette, et également pour éviter qu’un accord soit obtenu par la force il faudra, d’une part, suspendre les créances de la Grèce le temps qu’il faudra (disons une année au vu du chantier qui s’annonce). Cette procédure de bon sens est appliquée dans tous les cas de résolution de dette privée dans presque tous les pays du monde. Cela demandera d’isoler le FMI de la discussion en laissant la Grèce rembourser cette institution. D’autre part, il faudra évacuer la possibilité de la sortie de la Grèce de la zone euro. En acceptant le principe de la négociation, la Grèce et les autres pays européens s’interdiraient cette option et s’engageraient à accepter les termes de l’accord trouvé. L’embryon d’assemblée aurait la possibilité d’en réexaminer les conditions périodiquement pour suivre les contingences de l’économie grecque. C’est en pratique ce qui est fait aujourd’hui, mais ce serait là explicité et légitimé.

Les institutions techniques (la Commission, la BCE) continueraient d’instruire et d’appuyer les réformes envisagées. Elles informeraient l’assemblée et répondraient devant elle. L’assemblée serait un organe identifié pour, le cas échéant, arbitrer des conflits. Rien n’empêche non plus d’introduire dans le jeu le Conseil européen ou le Parlement. Mais en clarifiant la légitimité, on ouvrirait la porte à une solution à la fois plus constructive envers la Grèce et les autres pays lourdement endettés et plus juste envers les contribuables de la zone euro. On expérimenterait un schéma de résolution des défauts souverains à l’intérieur de la zone euro en bâtissant une union politique. En se rappelant une chose : l’Europe s’est reconstruite à partir des années 1950 en investissant dans l’avenir et en oubliant les dettes du passé, notamment celles de l’Allemagne.

Au-delà, cette assemblée serait compétente pour établir un fonds commun des dettes de la zone euro, engager une restructuration d’ensemble et fixer des règles démocratiques encadrant à l’avenir le choix du niveau commun de déficit et d’investissement public, dans l’esprit des propositions faites dans le Manifeste pour une union politique de l’euro, par exemple. De quoi sortir du bricolage qui secoue notre zone euro aujourd’hui.




iAGS, un rapport annuel indépendant

par Christophe Blot, Jérôme Creel et Xavier Timbeau

L’austérité budgétaire dans la zone euro est un échec retentissant. Après deux années successives de restrictions budgétaires, la zone euro se prépare à engager, en 2013, une nouvelle phase d’austérité. Sur la base d’un travail collectif ayant abouti à la publication du premier rapport iAGS 2013, les instituts économiques ECLM au Danemark, IMK en Allemagne et l’OFCE montrent que cette stratégie mène à une situation dramatique : la zone euro sera en récession en 2013, comme en 2012, et le chômage va continuer d’augmenter, pour atteindre près de 27 millions d’Européens résidant dans la zone euro à la fin 2013.

Cette situation n’est pas soutenable, socialement et économiquement, et elle ne l’est pas non plus du point de vue des finances publiques : les cures d’austérité ont des effets réels si néfastes que les déficits et les dettes publics ne peuvent pas durablement baisser. La stratégie européenne doit donc être discutée et une alternative proposée. Celle-ci consiste, en respectant les traités européens en vigueur, à atténuer dès 2013 l’effort d’austérité budgétaire : il faut passer d’une baisse programmée du déficit corrigé de la conjoncture de 1,4% du PIB pour l’ensemble de la zone euro à une baisse de 0,5% du PIB. Et en invoquant les circonstances exceptionnelles que traverse la zone euro – qui prétendra qu’une troisième année de récession anticipée, après celles déjà bien effectives de 2009 et 2012, n’est pas exceptionnelle ? -, il faudrait même décaler dans le temps les efforts d’ajustement. Le rapport iAGS montre que cette stratégie permettrait effectivement de converger vers un ratio de dette publique conforme aux traités européens et à l’horizon de 20 ans qu’imposent ces mêmes traités, tout en limitant considérablement les coûts sur l’emploi et la croissance.




Retrouver la confiance dans l’euro : trois urgences

par Jérôme Creel

Dans une communication devant la Commission ECON du Parlement européen, lundi 17 octobre 2011, à propos de la gouvernance économique européenne, trois urgences sont recensées pour sauver l’euro et améliorer sa gestion.

Sauver l’euro sans délai supplémentaire est la priorité : pour cela, il faut doter suffisamment le FESF et requérir de la BCE qu’elle poursuive ses interventions sur les marchés d’obligations publiques, afin que se résorbe l’écart entre les taux longs des pays périphériques et ceux des pays du coeur de la zone euro (Allemagne, France, Pays-Bas), où les seconds baissent, au bénéfice donc de l’Allemagne, de la France et des Pays-Bas, tandis que les premiers augmentent et font peser un lourd fardeau sur les finances publiques de la Grèce, certes, mais aussi du Portugal et de l’Espagne.

Deuxièmement, il faut appliquer au plus vite les nouvelles dispositions législatives  modifiant le Pacte de Stabilité et de Croissance et créant un dispositif symétrique de surveillance des déséquilibres macroéconomiques. Cette seconde priorité est urgente, elle aussi : elle doit permettre à la zone euro d’échapper à l’avenir à une nouvelle crise, du moins de s’en prémunir par des instruments et une surveillance adéquats. Dans ce cadre, le Parlement européen est invité à “contrôler les contrôleurs” afin que la confiance des Européens dans leurs institutions s’améliore sensiblement.

Enfin, il faut s’assurer du bon fonctionnement de la gouvernance européenne. Rien n’est perdu, des règles intelligentes existent : elles  doivent être appliquées après concertation. Le ciblage d’inflation pour le versant monétaire et l’authentique règle d’or des finances publiques pour le versant budgétaire doivent émerger.

Communication devant la Commission ECON, Parlement européen, 17 octobre 2011

Without trust, no thrust: some reflections on the new EU agenda for policy reforms (first version here)

Dear Madame Chair,

Dear Honorable Members,

After almost two years of European turmoil related to the bad management of public finances in a few Eurozone countries, and more than four years after a deep worldwide crisis, time is certainly ripe for reaching European solutions to cure the crisis. Two emergencies are at stake: first, stopping distrust’s contagion vis-à-vis Eurozone members; second, stopping misbehaviors’ contagion among Eurozone members in the future. By the way, this second emergency certainly necessitates a separation between two periods: the short run and the longer run.

1. Short run emergency 1: improving trust in the Euro

In order to cope with the first emergency, Eurozone countries need a more automatic solidarity mechanism. There have been different options discussed and implemented so far at the Eurozone level, from the EFSF (then future ESM) to Eurobonds, or the intervention of the ECB on secondary markets. They all need to be enforced and implemented as soon as possible without limitations, otherwise discrepancies in long-term yields on public bonds will continue to grow across Eurozone members, at the expense of countries with twin deficits and at the benefit of countries which are closer to twin balance. Without strong automatic interventions, Eurozone countries take the risk of feeding distrust in their ability to support the Euro. The consequence might be distrust in the future of the Euro, distrust in the future of the EU project.

2. Short run emergency 2: enforcing the “6-pack” with improvement in its democratic content

In order to cope with the second emergency, the European Commission, the President H. van Rompuy and the European Parliament have dealt with the EU governance of the near future through a “6-pack” of legislative amendments which were adopted on 25 September 2011.

A major step has been made in the good direction: macro imbalances are no longer automatically related to deficits as they may also refer to surpluses; and a macro imbalance can be considered “excessive” only to the extent that it “jeopardizes or risks jeopardizing the proper functioning of the EMU”. This is clear understanding that provided Eurozone countries are primarily partners rather than competitors, their trade links shall not be automatically confounded with risky imbalances for they do not impinge on the common currency, the Euro.

The “6-pack” also deals with the better enforcement of the Stability and Growth Pact, introducing earlier sanctions, and a more comprehensive fiscal surveillance framework. This is certainly necessary to make sure that the risk of moral hazard in the Eurozone is reduced to a minimum. However, the overall ‘6-pack’ must pass beforehand criteria for the effectiveness of a fiscal rule.

There have been different ways to assess reform proposals for economic policies. A well-known and convenient one is a set of criteria first developed by George Kopits and Steven Symansky at a time when both were working at the IMF. According to them, a fiscal rule is effective if it is well-defined, transparent, simple, flexible, adequate relative to goal, enforceable, consistent and efficient. In an amendment by the European Parliament related to macro imbalances, one can read that the indicators in the scoreboard must be relevant, practical, simple, measurable and available; moreover, flexibility is advocated in the assessment of macro imbalances. The Kopits-Symansky criteria are thus still relevant, and only their seventh criterion, consistency, seems to have been forgotten from the list. Does it reveal that through the current reform proposals, no one wishes to deal with monetary policy, which consistency with fiscal policies might well be assessed, and the other way round?

I have written elsewhere my own views on Kopits and Symansky’s set of criteria (Creel, 2003; Creel and Saraceno, 2010), but I think I need to insist on the simplicity one. I fear the existence of a so-called “simplicity” criterion when complex problems are arising. For instance, a strong public deficit may be due to ‘bad times’ (recession, slow GDP growth), interest rates hikes, wrong policies, a non-existing tax system, etc. A simple rule cannot handle the multiplicity of the causes for a deficit. I also fear that such a criterion is simply disrespectful towards the people: well-informed people can certainly approve complex rules if they believe that those who implement them target the common interest.

It leads me to propose that the “simplicity” criterion is changed into a “democratic” criterion. That change would not be substantial as regards Kopits and Symansky’s justification of their criterion: simplicity is required, they say, to enhance the appeal of the rule to the legislature and to the public. Changing “simplicity” into “democratic” would thus be consistent with their view. It would add two advantages. First, there would be no need to target simple or simplistic rules, if more complex ones are required. Second, to enhance their appeal to the public, these rules should be endorsed and monitored by a Parliament: as their members are the representatives of the public, the latter would be fully informed of the nature and properties of the rule.

What would be the main consequences of assessing reform proposals through the lens of democratic content in the current context? First, the now-complex setting of fiscal rules in the EU, under the amendments of 25 September 2011, is well-defined but it is no longer simple. That should not lead us to assume that these rules will not be efficient. Second, if all European authorities, including the European Parliament, approved a stricter surveillance mechanism for fiscal policies, macro imbalances, and employment guidelines, control over the misbehaving countries should be shared with all these authorities, hence also including the European Parliament. The implication of the latter, with that of the European Council, would enhance the appropriation of rules by the public, and the trust of the public in their institutions. Third, another consequence would be that automaticity in sanctions should not be an option for automaticity is contradictory with the essence of a democracy: contradictory debates.

Are the current reform proposals respecting the “democratic” criterion? The implication of the EP in these reforms already calls for a positive answer. Nevertheless, the implication of the EP in “checking the checkers” is necessary to achieve a definite positive answer. This implication might be very productive in reassessing the effectiveness of the policies which are undertaken in a country where suspicion of misbehavior is developing. The implication of the Economic Dialogue and the European Semester should also be used to improve trust in the EU institutions and the Eurozone governments, with due respect to the subsidiarity principle. Sharing information, analyses, data should be viewed by all partners as a way to achieve cooperation, keeping in mind that John Nash showed through his solutions that cooperative equilibria always lead to a win-win situation.

“Checking the checkers”, as I mentioned above, involves an informed assessment of the effectiveness of fiscal policies. Such an assessment is not dealt with in the current Stability and Growth Pact. During the procedure of fiscal surveillance, and before sanctioning a country, it is of the highest priority to gauge the effectiveness of a fiscal policy which has led to higher deficits and debts.

Discussions about fiscal policies are usually very pessimistic nowadays, as far as their effectiveness is concerned, but those endorsing these discussions take the risk that the people have finally no trust in their governments, for they are said to follow the wrong policies, and in the European institutions that are not able to stop these policies.

It may be useful to recall (once again?) that a consensus exists in the economic literature about the sign of the fiscal multiplier: it is positive. And because of that, the Chinese, US, German, French, etc. governments decided to increase their deficits through discretionary policies during the worldwide crisis: these governments were conscious that their policies were helpful. Why shouldn’t they during other ‘bad times’? Why should we all think that a contagion of fiscal restrictions in the EU will help us thrust again? Good policymaking requires that policies are contingent to the economic situation (GDP growth, inflation rate, level of unemployment, etc.).

In my view, at this stage, there are two important prerequisites to a rapid improvement in the EU governance, and I do not think they require a new Treaty. We all know that at the ECB and beyond, some argue that political pressures led this institution to buy public bonds, in contrast, they add, with the EU Treaty. Its independence would have been at stake. For this reason, the first prerequisite is in recalling the independence and mission of the ECB. The ECB is a young institution and it needs confidence in itself, as a teenager does. Once definitely adult, after full confidence is reached, the ECB will not fear coordination or cooperation with governments and the EP that fully respect its independence but may wish to improve the consistency of their policies with its.

The second prerequisite is in recalling the objectives of the EU, growth and stability, and in admitting that there is not a single way to achieve these objectives, for countries are still so different within the EU, even within the Eurozone. The ‘one size fits all’ is no longer an option, hence the necessity to complement fiscal rules with an assessment of macro imbalances and with regular, transparent, and democratically-controlled assessments of the relevance of the underlying analyses by governments on the one hand, and controllers on the other. There is a strong role for the EP in acknowledging and managing this no ‘one size fits all’ way of dealing with fiscal rules.

3. Longer run emergency 2: more intelligent rules?

In the longer run, if improvements by the ECB in cooperating with governments have not materialized, a binding commitment to follow a cooperative behavior could be included in the statutes of the ECB. A change in its statutes might also be considered, with a view to adopting, for instance, a dual mandate similar to that of the Fed. That way, it would be clear that “if 5% inflation would have (Central bankers’) hair on fire, so should 9% unemployment” (Ch. Evans, 2011). Another possibility would be to urge the ECB to implement full inflation targeting. That would require the ECB to make public its forecasts and minutes of decisions, thus enhancing information and potentially influencing the private sector.

Lastly, the most important debate on fiscal policymaking is in wondering what governments are doing with tax and spending, and how they finance them. The European Semester and the monitoring of indicators of macro imbalances certainly go in the good direction, but rather than a global view on the evolution of deficits and debts, Eurozone countries should think about circumscribing the good and bad parts of taxes and spending and make sure they all target the good policy, at their benefit and at the benefit of others. Of course, this is not an easy task, but it is a task that would make the EU fiscal rules ever more “intelligent”.

Having common objectives within Europe 2020, it could be thought of having common tools to reach them: a higher EU budget? Or an authentic but modified golden rule of public finance where some expenditures proved to be productive, with the agreement of all EU member states, would be left out of the scope of binding rules? That is not the hot topic of the day, but had it been before the SGP reform of 2005 that the stability of the Eurozone might not have been at stake the way it has been since the worldwide crisis.

I thank you for your attention.