Que doit-on déduire des chiffres d’inflation ?

par Eric Heyer

En mai, l’inflation en zone euro s’est rapprochée de l’objectif de la BCE. En passant d’un rythme annuel de 1,2% à 1,9% en l’espace d’1 mois, cette nette hausse de l’inflation n’a pourtant suscité aucun émoi, la nature principale de celle-ci étant commune à tous les pays et parfaitement identifiée : la flambée des cours du pétrole. Après avoir dégringolé jusqu’à 30 dollars le baril en début d’année 2016, celui-ci s’établit aujourd’hui autour de 77 dollars, niveau jamais atteint depuis 2014. Même corrigé du taux de change – l’euro s’est apprécié par rapport au dollar – le prix du baril a augmenté de près de 40 % (soit 18 euros) au cours des 12 derniers mois engendrant mécaniquement une accélération des prix dans les pays importateurs nets de pétrole. A cet effet commun vient se greffer pour la France l’incidence de la hausse de la fiscalité indirecte sur le tabac et les carburants entrée en vigueur en début d’année qui, selon nos évaluations, augmenterait de 0,4 point l’indice des prix.

Dans le même temps, l’inflation sous-jacente (ou core inflation) – indice excluant les produits à prix volatils (comme le pétrole ou les produits frais) ainsi que les prix soumis à l’intervention de l’État (électricité, gaz, tabac…) – n’accélère toujours pas et reste en dessous de 1%. L’effet de second tour d’un choc pétrolier transitant par une hausse des salaires ne semble donc pas s’enclencher, le consommateur absorbant l’essentiel du choc par une baisse de son pouvoir d’achat. Cela explique une partie du ralentissement observé de la consommation des ménages en ce début d’année ainsi que le peu de réactions des autorités monétaires à l’annonce des chiffres d’inflation.

Reste alors la question de la faiblesse de l’inflation tendancielle et de son lien avec la situation conjoncturelle. Avons-nous déjà rattrapé le retard de production engendré depuis la Grande crise de 2008 (output gap proche de zéro) ou reste-il encore des capacités de production mobilisables en cas de supplément de demande (output gap positif) ? Dans le premier cas, cela signifierait que le lien entre la croissance et l’inflation est significativement rompu ; dans le second cas, cela indiquerait que le faible niveau de l’inflation n’est pas surprenant et que la normalisation de la politique monétaire doit être progressive.

En 2017, malgré un processus de reprise qui se consolide et se généralise, la plupart des économies développées accusent encore du retard par rapport à la trajectoire d’avant-crise. Seuls certains semblent avoir déjà comblé ce retard de croissance. Ainsi, deux catégories de pays semblent émerger : la première – constituée notamment de l’Allemagne, des États-Unis et du Royaume-Uni – est celle des pays ayant rattrapé leur niveau de production potentielle et se situant en haut de cycle ; la seconde – dans laquelle figure la France, l’Italie et l’Espagne par exemple – est celle des pays connaissant encore un retard de production qui se situerait, selon les instituts de conjonctures économiques, entre 1 et 2 points de PIB pour la France et l’Italie et 3 points de PIB pour l’Espagne (graphique 1).

IMG1_post05-06La présence de pays développés dans les deux catégories devrait en toute logique se traduire par l’apparition de tensions inflationnistes dans les pays figurant dans la première, et par un écart d’inflation avec ceux de la seconde. Or, ces deux phénomènes ne sont pas apparents en 2017 : comme l’illustre le graphique 2, le lien entre le niveau de l’output gap et le taux d’inflation sous-jacent est loin d’être clair, jetant un doute sur l’interprétation que l’on doit avoir du niveau de l’output gap : aux incertitudes relatives à cette notion se rajoute celle associée au niveau de cet écart dans le passé, en 2007 par exemple.

IMG2_post05-06Face à cette forte incertitude, il semble opportun d’établir un diagnostic sur la base de la variation de cet output gap depuis 2007. Une telle analyse aboutit à un consensus plus net entre les différents instituts et à la disparition de la première catégorie de pays, ceux n’ayant plus de marge de croissance supplémentaire au-delà de leur seule croissance potentielle. En effet, selon eux, aucun des grands pays développés n’aurait retrouvé en 2017 son niveau d’output gap de 2007, y compris l’Allemagne. Cet écart se situerait autour de 1 point de PIB pour l’Allemagne, de 2 points de PIB pour le Royaume-Uni et les États-Unis, au-delà de 3 points de PIB pour la France et l’Italie et autour de 5 points de PIB pour l’Espagne (graphique 3).

IMG3_post05-06Cette analyse est davantage en ligne avec le diagnostic de reprise d’inflation basée sur le concept du sous-jacent : le fait que les économies des pays développés n’aient pas retrouvé en 2017 leur niveau cyclique de 2007 explique des taux d’inflation inférieurs à ceux observés au cours de la période pré-crise (graphique 4). Ce constat est corroboré par une analyse basée sur d’autres critères que l’output gap, notamment la variation du taux de chômage et du taux d’emploi depuis le début de la crise ou du taux de croissance de la durée du travail durant cette même période. Le graphique 5 illustre ces différents critères. Sur la base de ces derniers, le diagnostic qualitatif porté sur la situation cyclique des différentes économies est celui de l’existence de marges de rebond relativement élevées en Espagne, en Italie et en France. Ce potentiel de rebond est faible en Allemagne, aux États-Unis et au Royaume-Uni : seule l’augmentation du temps de travail pour le premier et du taux d’emploi pour les deux suivants pourrait le permettre.

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Compétitivité et développement industriel : les difficultés du couple franco-allemand

Jean-Luc Gaffard

L’obsession de la compétitivité revient sur le devant de la scène avec la campagne électorale. Elle traduit une réalité : les entreprises françaises souffrent effectivement d’une perte de compétitivité qui explique la dégradation du commerce extérieur depuis presque une décennie. Cette perte est manifeste vis-à-vis des pays émergents et explique les délocalisations. Elle est également effective vis-à-vis d’entreprises appartenant à d’autres pays développés, principalement au sein de la zone euro et, singulièrement, vis-à-vis des entreprises allemandes. Cette dernière est d’autant plus grave qu’elle met en cause la cohérence de la construction européenne (cf. OFCE, note n°19  : Compétitivité et développement industriel : un défi européen).

L’écart de compétitivité qui s’est créé avec l’Allemagne est, à l’évidence, un écart de compétitivité-hors prix dont l’une des raisons d’être est la supériorité de son modèle industriel caractérisé par le maintien d’un tissu local fait d’entreprises de toutes tailles centrées sur leur cœur de métier et la fragmentation internationale de la production. Ce modèle est particulièrement adapté au développement d’entreprises s’adressant à des marchés mondiaux et prémunit largement le pays d’origine de ces entreprises du risque de désindustrialisation.

Ce serait, cependant, une erreur que d’ignorer qu’il s’est également produit une évolution défavorable de la compétitivité-prix du fait, à la fois, des réformes du marché du travail en Allemagne, qui ont abaissé relativement le coût salarial, et des stratégies de segmentation de leur production et de délocalisation des segments intermédiaires qui ont également permis une baisse des coûts de production.

Ainsi l’Allemagne est parvenue à la quasi stabilisation de ses parts de marché à l’exportation au niveau mondial grâce à leur augmentation réalisée dans l’Union européenne (+1,7% au cours des années 2000) et plus encore dans la zone euro (+2,3%), quand la France a perdu des parts de marché dans ces mêmes zones (respectivement 3,1% et 3,4%).

La France a subi deux évolutions peu favorables à son industrie. Le tissu des PME industrielles s’est délité. Celles-ci ont souffert moins de barrières à l’entrée que de barrières à la croissance.  Leurs managers ont trop souvent été enclins ou incités à les céder à de grands groupes plutôt que d’en assurer la croissance. L’absence de partenariat véritable avec ces groupes en est l’une des causes en même temps que les difficultés rencontrées auprès des banques et des marchés pour obtenir un financement pérenne. De leur côté, les grandes entreprises industrielles, qu’elles soient présentes sur une multitude de marchés locaux ou sur des marchés internationaux, ont fait le choix de la croissance externe et d’un éparpillement territorial de leur implantation ainsi que de celle de leurs fournisseurs d’équipements ou de services. Cette stratégie, conçue pour répondre au déplacement géographique de la demande, mais aussi pour faire droit à des impératifs de rentabilité immédiate exigée par un actionnariat volatile, s’est faite, en partie, au détriment du développement de tissus productifs locaux. Elle a été réalisée grâce un vaste mouvement de fusions et acquisitions mobilisant des compétences avant tout financières. Les institutions financières se sont, de leur côté, converties au modèle de banque universelle, délaissant en partie leurs métiers traditionnels de banque de crédit mais aussi de banque d’affaires. Ces évolutions concomitantes  se sont révélées désastreuses pour la compétitivité de l’ensemble, d’autant que dans le même temps les coûts salariaux horaires dans l’industrie augmentaient.

Rétablir la compétitivité des entreprises françaises et favoriser, ainsi, une ré-industrialisation du territoire repose alors sur une double exigence. La première est de permettre une maîtrise immédiate des coûts salariaux et le rétablissement des taux de marge, notamment au moyen de mesures fiscales impliquant de réviser le mode de financement d’une partie de la protection sociale. La deuxième exigence est de peser en faveur d’une réorganisation industrielle impliquant la constitution d’un tissu de relations stables entre les différents acteurs du processus industriel, notamment au moyen d’aides conditionnées à la coopération entre grandes et petites entreprises au sein des pôles de compétitivité.

Cet effort à moyen terme restera largement vain si des politiques coopératives ne sont pas mises en œuvre à l’échelle de l’Europe, qui relèvent aussi bien de la stimulation de l’offre grâce à la mise en œuvre de programmes de développement technologique que du soutien des demandes internes là où elles sont manifestement insuffisantes au regard des capacités de production.