Pouvoir d’achat : une prime pour l’activité … à temps plein

par Pierre Madec et Raul Sampognaro

Dans son allocution du 10 décembre 2018, Emmanuel Macron a annoncé que « le salaire d’un travailleur au SMIC augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus à l’employeur ». Cet engagement a conduit le gouvernement à augmenter la prime d’activité[1] de 90 euros pour un salarié percevant un revenu d’activité équivalent à un SMIC à temps plein, la différence avec l’annonce présidentielle étant couverte par la hausse légale annuelle du SMIC.

Les bénéficiaires de la prime d’activité devraient percevoir dès le début du mois de février les premiers effets de cette mesure. Selon nos estimations, celle-ci a pour conséquence d’augmenter considérablement le nombre de ménages éligibles à la prestation, celui-ci passant de 3,9 à 5,1 millions. Si le taux de non recours des nouveaux éligibles est identique au taux observé avant la revalorisation, c’est-à-dire (21%), le coût budgétaire de la mesure serait de 2,3 milliards d’euros, une estimation inférieure à celle du gouvernement qui est de 2,6 milliards.

Afin de cibler la hausse de la prime d’activité autour des actifs gagnant l’équivalent d’un SMIC à temps plein, la mesure augmente le montant de la bonification individuelle et étend le nombre de bénéficiaires. Désormais, la bonification individuelle sera perçue à partir de la perception de revenus individuels équivalant à 0,5 SMIC mensuel et atteindra un montant maximal à 1 SMIC (alors qu’avant elle atteignait son niveau maximal à 0,8 SMIC). Par ailleurs, le montant maximal de la bonification est augmenté de 90 euros par mois. Ainsi, la décision de revaloriser la bonification individuelle et non le montant forfaitaire réduit, voire élimine, les gains pour les salariés aux durées de travail faibles au cours du mois. Le graphique 1 montre l’évolution de la prime d’activité à la suite des décisions du mois de décembre pour un individu célibataire, sans enfant et sans forfait logement.

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Notons également qu’avant ces annonces, au cours de l’année 2018, la prime d’activité a été l’objet d’évolutions impactant le pouvoir d’achat des bénéficiaires et pour certaines d’entre elles à contresens des mesures annoncées dans le cadre de la Loi de mesures d’urgence économiques et sociales. Si, au mois d’octobre 2018, le montant forfaitaire de la prestation a été revalorisé de 20 euros par mois, des modifications techniques sont intervenues pour réduire l’impact budgétaire de cette revalorisation : indexation ou absence d’indexation à l’inflation ou encore évolution du taux de cumul des revenus d’activité. En cumulant l’ensemble des mesures, les ménages bénéficiaires de la prime d’activité devraient voir le montant de leur prime s’accroître d’en moyenne de 60 euros par mois en 2019 par rapport à 2018 (tableau).

 

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L’augmentation de la prime d’activité devrait augmenter le niveau de vie de nombreux ménages de la première moitié de la distribution. Rapportés aux niveaux de vie des ménages, les gains à attendre ne devraient pas dépasser 1,2% par vingtile. Entre les 2e et 6e vingtile (soit le tiers des ménages les plus modestes hors 5% les plus pauvres), plus d’un quart des ménages devrait être concernés par l’augmentation de la prime d’activité pour un gain moyen compris entre 1% et 1,2% de leur niveau de vie. A contrario, au sein des 30% de ménages les plus modestes, deux ménages sur trois ne devraient pas bénéficier des mesures touchant à la prime d’activité.

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[1] La prime d’activité est un complément de revenus d’activité s’adressant aux travailleurs aux revenus modestes.




Prime d’activité : une ambition varlopée

par Pierre Madec et Raul Sampognaro

La prime d’activité est un complément de revenu s’adressant aux travailleurs aux revenus modestes[1]. Au cours des derniers mois, cette prime a été l’objet de nombreuses évolutions, pour certaines inscrites dans le programme présidentiel[2] d’E. Macron. Celles-ci visaient explicitement à inciter à la reprise d’emploi et à augmenter le pouvoir d’achat des salariés, sans conséquence directe sur le coût du travail pour les entreprises.

Au mois d’octobre 2018, le montant forfaitaire de la prestation a été revalorisé de 20 euros par mois. À partir d’octobre 2019, une deuxième bonification individuelle sera introduite, concentrée sur les salaires proches d’un SMIC à temps plein. Par ailleurs, des modifications techniques se sont ajoutées aux mesures du programme présidentiel : indexation ou absence d’indexation à l’inflation ou encore évolution du taux de cumul des revenus d’activité (Tableau 1). Le cumul de ces mesures rend peu clairs les effets à attendre pour les ménages bénéficiaires. Une fois explicité l’impact des mesures pour un salarié célibataire, nous tenterons d’élargir l’analyse à l’ensemble des bénéficiaires.

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Entre 2018 et 2019, 42 euros de revenu mensuel supplémentaire pour un salarié au SMIC

Globalement, les réformes de la prime d’activité augmentent le montant de l’allocation pour les bénéficiaires percevant des revenus d’activité supérieurs au montant forfaitaire. Le profil de gains tirés des réformes diffère en 2018 et en 2019 (graphique 1). En 2018, les gains associés aux relèvements du montant forfaitaire, intervenus en avril et octobre, sont homogènes parmi les bénéficiaires tandis que la baisse du taux de cumul des revenus pénalise plus fortement les bénéficiaires percevant des revenus plus élevés. En 2019, la nouvelle bonification individuelle est croissante à partir de 0,5 SMIC et atteint son niveau maximum au niveau du SMIC mensuel.

Ainsi, les mesures de revalorisation de 2019, contrairement à celles de 2018, ont un impact plus fort pour les bénéficiaires aux revenus les plus importants (graphique 2).

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Si on se concentre sur les salariés percevant l’équivalent d’un SMIC à temps plein, la prime d’activité était proche de 155 euros fin 2017. La revalorisation du montant forfaitaire de 20 euros, mise en place en octobre 2018, augmente d’autant son revenu mensuel. Parallèlement, la baisse du taux de cumul, entrée en application au même moment, ampute une part de la hausse et porte la prime d’activité pour un salarié travaillant au SMIC à taux plein à 170 euros. Au total, le salarié au SMIC aura vu augmenter sa prime d’activité de 15 euros en 2018. La création de la deuxième bonification individuelle en octobre 2019 augmentera, quant à elle, ses revenus de 20 euros supplémentaires.

Par ailleurs, le montant de la prime d’activité perçu par un salarié rémunéré au SMIC sera aussi affecté par les effets induits par la bascule CSG/cotisations sociales : en augmentant son salaire net, les ressources servant au calcul de la prime d’activité sont modifiées. Cumulé avec l’effet de la plus forte dégressivité de la prime d’activité, un gain de 20 euros de salaire net ampute la prime d’activité de 8 euros. Au final, la prime d’activité de ce salarié s’établirait fin-2019 à un niveau proche de 180 euros. Par rapport au mois de décembre 2017, le gain total de revenu net à attendre des mesures devrait être de 42 euros.

Dans les faits, ce gain dépendra en grande partie de la structure des revenus d’activité des ménages bénéficiaires. A titre d’exemple, les ménages percevant un revenu d’activité inférieur à 0,5 SMIC ne bénéficient ni des revalorisations, qu’elles soient « exceptionnelles » ou non, ni de la création de la seconde bonification individuelle. A contrario, ils sont impactés négativement par la baisse du taux de cumul.

En ne tenant compte ni de la baisse des cotisations salariés ni des effets négatifs sur le montant perçu de prime d’activité, environ 10 % des ménages bénéficiaires de la prime d’activité – soit environ 300 000 ménages – devraient perdre à la mise en place des mesures étudiées. Si ces ménages sont largement minoritaires, l’existence de ces situations interrogent ; bien que celles-ci disparaissent si l’on intègre à l’analyse les effets de la baisse des cotisations salariés.

En moyenne, les gains par ménage resteront modestes à horizon 2019

L’existence d’hétérogénéités importantes dans les situations des salariés bénéficiaires rend nécessaire l’utilisation d’un modèle de micro simulation afin d’évaluer l’impact des différentes mesures sur le revenu disponible des ménages. Pour ce faire, nous utilisons le modèle Ines, développé conjointement par l’Insee et la Drees, et nous concentrons notre analyse sur les quelques 3 millions de ménages bénéficiaires de la prime d’activité.

Les résultats de nos simulations font apparaître des gains réels moyens relativement faibles (Tableau 2). Si les revalorisations décidées en 2018 (indexation à l’inflation en avril et revalorisation de 20 euros en octobre) devraient accroître le revenu disponible des bénéficiaires de la prime d’activité d’en moyenne 15 euros par mois en 2018 et 20 euros en 2019, celui-ci devrait être amputé respectivement de 5 euros et 10 euros du fait de la baisse du taux de cumul. L’absence de revalorisation en avril 2019 et la création d’une seconde bonification à l’automne 2019 devraient quant à elles avoir un impact quasi nul sur le revenu disponible des allocataires.

Au final, le gain réel moyen à attendre des mesures impactant directement la prime d’activité devrait s’élever en 2018 et en 2019 à environ 10 euros par mois et par ménage allocataire, soit 20 euros par mois par rapport à 2017. Ce gain viendrait s’ajouter au gain moyen (net de l’effet sur la prime d’activité) à attendre de la baisse des cotisations salariés (20 euros à l’horizon 2019).

En 2019, les ménages bénéficiaires de la prime d’activité devraient donc voir leur revenu disponible s’accroître en moyenne de 40 euros par mois par rapport à 2017 sous l’effet conjugué des mesures étudiées, soit une hausse de 1,4 % de leur revenu disponible.

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[1] Pour plus de détails, voir « Prime d’activité : quelle efficacité redistributive et incitative ? », Allègre et Ducoudré, Policy Brief de l’OFCE, octobre 2018.

[2] « Tous les smicards qui bénéficient de la prime d’activité toucheront par exemple l’équivalent d’un 13e mois de salaire, soit 100 € nets de plus chaque mois. »




Le montant des recettes publiques en 2018 réserve-t-il une surprise ?

par Raul Sampognaro

En 2017 le déficit public français s’est amélioré de 0,8 point de PIB pour atteindre 2,6 % du PIB et passer sous la barre des 3 %. La baisse du déficit s’explique en grande partie par la hausse de 0,7 point de PIB du taux de prélèvements obligatoires (PO). Cette hausse s’est opérée alors même que les mesures discrétionnaires augmentaient les PO à peine de 0,1 point de PIB[1]. Ainsi, ces prélèvements ont connu un dynamisme bien supérieur à celui du PIB. Ce différentiel explique 0,6 point de PIB de la hausse totale du taux de PO. La question se pose de savoir si ce dynamisme des assiettes fiscales peut se maintenir en 2018.

La sensibilité des recettes fiscales à la croissance dépend des conditions cycliques

À court terme, les élasticités des recettes fiscales au PIB peuvent fluctuer et s’éloigner de leur niveau de long terme[2]. Trois raisons peuvent modifier le lien entre niveau d’activité et recettes publiques :

– La composition de la croissance : toutes les composantes du PIB ne sont pas soumises à la même taxation. Ainsi, une croissance portée par la consommation des ménages aura plus d’impact sur les recettes publiques que si elle l’est par les exportations ;

– Le cycle du prix des actifs : certaines recettes sont liées aux prix des actifs (immobiliers ou financiers) qui ne sont pas toujours corrélés au cycle du PIB. Ceci est notamment vrai pour la fiscalité locale ou les impôts assis sur la valeur du patrimoine ;

– Un effet dynamique sur l’assiette fiscale : certains impôts sont encaissés sur la base d’une assiette correspondant à l’année antérieure. Ainsi, les recettes d’IS de l’année t sont dépendantes des profits déclarés pour l’année t-1. De même, l’IRPP dépend (avant l’instauration du prélèvement à la source) du revenu de l’année précédente. Le décalage entre la dynamique du PIB et de celle des profits ou du RDB peut casser le lien entre PIB et recettes.

Ces facteurs ont joué en 2017 et, en particulier, l’emploi est reparti à la hausse. Dans ce contexte, ce sont surtout les impôts assis sur les revenus et le patrimoine (+5,2 %) et les impôts sur les produits et la production (+4,6 %) qui ont crû plus fortement que le PIB nominal (+2,8 %).

Une estimation de la sensibilité des recettes à la croissance en fonction du cycle pour la France

Évaluer le lien entre l’évolution des recettes et celle du PIB requiert de tenir compte des changements législatifs introduits. Il est possible d’appréhender l’impact des nouvelles mesures à partir des évaluations réalisées dans chaque projet de loi de finances. Nous suivons la méthodologie de Lafféter et Pak (2015)[3] pour obtenir une série des recettes corrigées des changements législatifs sur la période 1998-2017 (notée ). Le lien existant entre l’évolution spontanée des PO et le cycle de l’activité économique est évalué sur la base du modèle suivant, qui sera estimé économétriquement :

EQN_post26-06Où représente le PIB nominal à la date et des variables cycliques qui peuvent modifier à court terme l’élasticité des recettes fiscales au PIB nominal.

La spécification (1), présentée dans le tableau 1, relie simplement les recettes fiscales au PIB nominal à législation constante, sans se soucier du contexte cyclique. Dans ce modèle de référence, l’élasticité estimée est bien unitaire, ce qui traduit bien l’idée que les recettes fiscales, corrigées des mesures fiscales, croient spontanément comme le PIB.

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L’ajout de variables cycliques modifie le diagnostic. En particulier, la spécification (3) couple la croissance du PIB nominal avec le niveau de l’output-gap. En bas de cycle, l’élasticité des recettes serait sensiblement supérieure à l’unité et serait de 1,21.

Les recettes peuvent rester dynamiques en 2018

En 2018, l’output gap resterait ouvert et la reprise devrait se poursuivre en France selon notre dernière prévision. Dans ce contexte, un aléa haussier sur les recettes ne peut pas être exclu. Dans notre scénario de base – prudent – où l’élasticité des PO serait unitaire, le déficit nominal s’établirait à 2,4 %. En revanche, si l’élasticité s’établit à 1,21, un surplus de recettes fiscales de 6 milliards peut être attendu (0,3 point) et le déficit serait de 2,1 % du PIB.

Une telle surprise donnerait de l’air au gouvernement et sécuriserait sa trajectoire de finances publiques. Or, la France affiche une stabilisation de son solde structurel pour 2018. Ceci constitue une déviation de plus de 0,5 point de PIB vis-à-vis de la convergence vers son Objectif de Moyen Terme (OMT) dans le cadre du volet préventif du Pacte de stabilité[4], ce qui pourrait aboutir au renforcement des procédures budgétaires européennes. Or, avec une surprise positive sur les recettes – que l’on peut évaluer à 0,3 point de PIB d’après l’estimation du tableau 1 – l’écart vis-à-vis des obligations en termes de convergence vers l’OMT serait plus faible et dans la marge des déviations annuelles autorisées par le Pacte de stabilité et de croissance (0,25 point de PIB). Ceci, permettrait à la France de préserver sa stratégie de finances publiques et cela sans même jouer la carte des flexibilités existantes dans la gouvernance européenne, comme celles de la clause de réformes structurelles et la clause d’investissement public.

 

[1] Ce chiffre inclut la contribution exceptionnelle sur les bénéfices des grandes entreprises – 0,2 point de PIB – destinée à financer la moitié du remboursement de la taxe sur les dividendes annulés par le Conseil constitutionnel. Cette contribution exceptionnelle constitue un one-off qui ne sera pas reconduit en 2018. Ainsi, les mesures discrétionnaires structurelles peuvent même être évaluées comme une baisse de la fiscalité de 0,1 point de PIB.

[2] Dans un premier temps on peut considérer cette élasticité de long terme comme étant unitaire. La DG Trésor l’évalue à 1,04.

[3] Lafféter Q. et M. Pak, 2015, « Élasticités des recettes fiscales au cycle économique : étude de trois impôts sur la période 1979-2013 en France », Document de travail, INSEE, G. 2015/08.

[4] Le 23 mai 2018 la Commission européenne a publié sa recommandation au Conseil pour acter la fin de la procédure de déficit excessif ouverte à l’encontre de la France en 2009. Cette recommandation sera validée par le Conseil avant la fin du mois de juin 2018.




La France (presque) « championne du monde » de la dépense sociale et de la baisse de la pauvreté

par Raul Sampognaro et Xavier Timbeau

La France serait « championne du monde » de la dépense (publique) en protection sociale. Selon l’OCDE, les dépenses publiques en protection sociale[1] s’établissaient à 25,7 % du PIB en 2016. Ces dépenses sont proches de celles des pays scandinaves (29 % du PIB en Finlande, 25 % au Danemark, 21 % en Suède), de la Belgique (20 %) ou l’Autriche (24 %). A l’autre extrême, les pays anglo-saxons se caractérisent par de faibles dépenses de protection sociale. En particulier, l’Irlande dépense seulement 10 % de son PIB ­– une exception dans l’Union européenne – et les Etats-Unis 8,7 %.

Ces chiffres masquent des différences sur le domaine couvert par le système de protection sociale public dans les différents pays. En France, les retraites et le système de santé reposent largement sur un financement public, ce qui n’est pas nécessairement le cas ailleurs. Une grande part des droits ouverts en France sont directement liés aux cotisations sociales payées (notamment pour la retraite-survie[2]) ou servent à financer une dépense, a priori contrainte, qui ne devrait pas être limitée par des considérations de ressources individuelles (en santé).

Lorsque l’on exclut ces dépenses (retraites et santé), la France consacre 6,8 % de son PIB à la protection sociale, chiffre inférieur à celui des pays scandinaves (11 % de PIB au Danemark ou 8 % en Finlande). En revanche, les dépenses sociales sont plus faibles dans les pays méditerranéens (3 % du PIB en Italie et en Espagne ou 1 % en Grèce) ou au Japon (3 %). Sur ce champ restreint, incluant notamment les dépenses en « famille et enfants », « chômage », « logement » et « pauvreté et exclusion », la moyenne pondérée (pour les pays où les données détaillées sont disponibles[3]) des dépenses des pays de l’OCDE se situe à 4,5 % du PIB. La France dépense ainsi plus que la moyenne de l’OCDE.

Ainsi restreintes, les dépenses ont presque explicitement pour but la redistribution monétaire et la réduction de la pauvreté[4]. Une corrélation négative est observée entre le taux de pauvreté monétaire et le niveau des dépenses redistributives (graphique 1) au sein des pays membres de l’OCDE[5]. Une moindre dépense de protection sociale se traduit par une prévalence plus forte de la pauvreté monétaire. En France, le taux de pauvreté après transferts sociaux s’établit à 14 %, alors que le taux s’établit à 17 % dans l’ensemble de l’Union européenne.

Graphe-Pauvrete_post21-06Les écarts de taux de pauvreté ne dépendent pas directement et uniquement des dépenses sociales. D’une part, celles-ci poursuivent d’autres objectifs (assurer un revenu au-dessus du seuil de pauvreté aux personnes en situation de handicap, compléter les revenus des ménages médians avec enfants, …). D’autre part, il faut aussi tenir compte du point de départ avant redistribution, c’est-à-dire la distribution qui découle des rémunérations de marché. Selon Eurostat, le taux de pauvreté (primaire, après retraite) en France aurait été de 21 % en absence de redistribution. Le système socio-fiscal réduit donc le taux de pauvreté de 37 %. Au sein de l’Union européenne, la réduction n’est que de 28 % (pour une réduction de 7 points du taux de pauvreté).

En pourcentage du taux de pauvreté avant redistribution, seuls les Pays-Bas et le Royaume-Uni diminuent le taux de pauvreté de façon comparable à ce qui est fait en France alors que les dépenses dans ces deux pays sont plus faibles (5 % de leur PIB en protection sociale hors « retraite-survie » et « santé »), suggérant que le ciblage des dispositifs peut avoir un effet sur le lien pauvreté monétaire dépenses sociales (voir le billet du Blog de l’OFCE : « Aides sociales » : un rôle majeur dans la réduction de la pauvreté monétaire en France).

En tout état de cause, l’analyse de l’efficacité du système de protection sociale ne peut pas se réduire à la comparaison de chiffres globaux mais doit, dans un premier temps, définir les objectifs (réduire la pauvreté, son intensité, la pauvreté des enfants, assurer l’égalité des chances, réduire la persistance de la pauvreté, …), puis entrer dans les complexités causales de chacune des composantes de la redistribution.

 

[1] La notion de protection sociale est celle de la nomenclature internationale COFOG. Elle distingue la protection sociale au sens strict (catégorie 10) des dépenses de santé non individualisables (comme certaines dépenses hospitalières, catégorie 7). La publication « La protection sociale en France et en Europe en 2016 » de la DREES inclue dans la protection sociale la catégorie COFOG 7. Le montant des dépenses de protection sociale (10) plus santé (7) dans les données COFOG 2018 est de 34,2% pour la France. La différence provient de la révision des données opérées par la DREES et des différences de champ mineures.

[2] Il faut noter que le système de retraite français actuel génère une redistribution entre les retraités, au profit des petites retraites. Voir Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak, 2017, « Faut-il une nouvelle réforme des retraites ? », OFCE policy brief 26, 2 novembre, pour plus de détails.

[3] Ce qui exclut notamment les États-Unis.

[4] Défini par la part de la population ayant un niveau de vie inférieur à 60 % du revenu médian.

[5] On observe également une corrélation négative entre taux de pauvreté et dépenses pour lutter contre l’exclusion (COFOG 10.7). Cependant la catégorie 10.7 (1,1% du PIB pour la France) n’épuise pas toutes les mesures destinées à lutter contre la pauvreté.




PLF 2018 : fin d’une procédure, début d’une nouvelle ?

par Raul Sampognaro

Le 22 novembre, la Commission européenne a publié son avis concernant le Projet de Loi de Finances (PLF) 2018. Le PLF 2018 devrait permettre de maintenir le déficit en dessous de la barre de 3 % pour la deuxième année consécutive (2,9 % prévu par les services de la Commission en 2017 et 2018). Dans ce contexte, la procédure de déficit excessif (PDE) ouverte au lendemain de la crise financière devrait être clôturée courant 2018.

Le PLF 2018 étant celui qui assure le passage du volet correctif au volet préventif du Pacte de stabilité et de croissance a un statut ambigu avec les règles de la gouvernance européenne. Il est conforme avec les règles de la PDE, car il assure le maintien sous les 3 % mais il risque de dévier significativement par rapport aux règles du volet préventif.

La Commission pointe des risques significatifs de non-respect des règles du volet préventif…

Les pays de la zone euro sortant d’une PDE ont deux obligations à respecter :

  1. Avoir une cible de déficit structurel (c’est-à-dire après correction des effets de la conjoncture) au moins inférieure à 0,5 point de PIB potentiel. Cette cible est l’Objectif de Moyen Terme (OMT) de l’État membre ;
  2. Avoir une dette publique inférieure à 60 % du PIB, ou qui est en train de converger vers cette cible à un horizon de 20 ans. Ceci est connu comme le respect du critère de dette.

La France sortira de la PDE avec un déficit structurel sensiblement supérieur à son OMT[1]. Au cours des prochaines années, elle devra converger vers sa cible. Les flexibilités introduites dans l’application du Pacte du 13 janvier 2015 permettent d’adapter la vitesse de convergence à la situation conjoncturelle. Compte tenu de la situation française, l’ajustement requis est de 0,5 point par an jusqu’à atteindre la cible.

Par ailleurs, la France sortira de la PDE avec une dette publique supérieure à 60 % et devrait réaliser un sur-ajustement au cours des 3 prochaines années pour faire converger la dette vers cette cible. Cette dernière règle s’est avérée extrêmement difficile à respecter, notamment par des effets non anticipés par le législateur comme le risque déflationniste. Toutefois, ce critère serait moins strict que celui de convergence vers l’OMT.

Selon les services de la Commission, le solde structurel français devrait se dégrader de 0,4 point en 2018, à la faveur des baisses de fiscalité et de la maîtrise limitée de la dépense. Ainsi, la Commission pointe un écart de 0,9 point de PIB entre l’évolution du solde structurel et les règles du volet préventif. Dans son avis, la Commission parle « d’un risque significatif de déviation par rapport aux contraintes du volet préventif en 2018 ». L’évaluation finale du budget 2018 au regard des règles du volet préventif sera faite au moment de la notification du déficit 2018 en mars 2019.

… comme l’ont fait quasiment tous les pays soumis au volet préventif

Depuis 2012, quasiment tous les pays de la zone euro ont clôturé leur PDE[2] (tableau 1). L’expérience des différents États Membres nous permet d’évaluer la sévérité avec laquelle les règles ont été appliquées. En 2018, la France sera dans une situation comparable à celle de l’Autriche, la Belgique et l’Italie au moment de leur entrée dans le volet préventif. Parmi ces pays, censés être les plus contraints après la PDE, seule la Belgique s’est approchée de l’ajustement structurel de référence des traités. Ceci masque le fait que la Belgique a réalisé la quasi-totalité de l’ajustement sur la seule année 2017. Au cours des deux premières années hors DPE, l’ajustement structurel mis en place n’a été que de 0,1 point de PIB par an.

L’Autriche et l’Italie ont même relâché leurs efforts budgétaires une fois sortis de leur PDE. Le cas transalpin (impulsion budgétaire de 0,3 point par an en moyenne) est informatif sur la lecture flexible des règles européennes réalisée par la Commission. La Commission a ouvert des rapports en 2015, 2016 et 2017, sans jamais aboutir à l’ouverture d’une nouvelle procédure. En 2015, l’Italie a sensiblement dévié de l’ajustement requis au titre du critère de dette. La Commission a admis que le critère de dette était très dur à tenir dans un contexte conjoncturel défavorable et déflationniste. Puis, en 2016, la Commission a autorisé au gouvernement italien à dévier de l’ajustement structurel nécessaire pour assurer la convergence vers l’OMT. Pour faire cela, elle a appliqué le niveau maximal de déviation autorisée par les nouvelles flexibilités, notamment la clause d’investissement et la clause de réformes structurelles. Finalement, en avril 2017, la Commission a pointé à nouveau des risques de déviation à la suite de la publication du Programme de stabilité. En revanche, la Commission n’a pas imposé de sanctions et a annoncé la réévaluation de la situation à la fin de l’exercice comptable.

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Au final, depuis leur sortie de PDE, seulement trois pays ont tenu les objectifs d’ajustement fixés par le volet préventif : Malte, l’Irlande et la Belgique. Pour le reste des pays étant sortis de la PDE, le solde nominal s’est amélioré malgré la faiblesse des ajustements. Ceci reflète avant tout l’amélioration de la composante conjoncturelle du solde public, possible par la reprise de l’activité. Ainsi, les marges budgétaires données par l’embellie conjoncturelle ont été utilisées pour alléger la consolidation, en contradiction avec le renforcement souhaité des règles du volet préventif au lendemain de la crise des dettes de la zone euro. Le PLF 2018 s’inscrit dans cette logique.

Au vu de la flexibilité affichée par la Commission dans sa lecture des règles budgétaires, il est difficile d’anticiper la réouverture d’une procédure, cette fois-ci pour dette excessive, à l’encontre de la France en lien avec le PLF 2018. Dans un contexte où la conjoncture permettra d’améliorer le solde budgétaire, la France fera le maximum pour utiliser les clauses d’investissement (Grand Plan d’Investissement) et de réformes structurelles (ordonnances, réforme de la formation professionnelle, réforme de la taxation du capital, …) afin de dévier des objectifs budgétaires établis par le volet préventif. Toutefois, au vu de l’ampleur des déviations prévues, il ne restera que des marges de manœuvre budgétaire très limitées pour la deuxième moitié du quinquennat.

 

[1] Les services de la Commission estiment que le déficit structurel français sera à 2,7 points de PIB en 2018 alors que le gouvernement juge que le solde sera de 2,1 points, l’OMT a un objectif de déficit de 0,4 point.

[2] A partir de 2019, cela devrait être le cas de tous les pays de l’union monétaire avec la fin attendue des dernières PDE au Portugal (2017), France (sortie prévue en 2018) et en Espagne (2019).




2010-2017 : un choc fiscal concentré sur les ménages

par Raul Sampognaro

Sous l’effet de la Grande Récession et du jeu des stabilisateurs automatiques, la France a connu un creusement important de son déficit public et de sa dette dans les premières années de la crise. Entre 2007 et 2010, le déficit public en France est passé de 2,5 à 6,8 % du PIB (avec un point haut en 2009 à 7,2 %) et la dette publique au sens de Maastricht a augmenté de 17,3 points, pour atteindre 81,7 % du PIB en 2010. Néanmoins, en 2010, sous la pression des marchés financiers et des règles budgétaires européennes, les gouvernements ont mis en place des politiques de réduction rapide des déficits structurels. Ce virage s’est traduit notamment par le renforcement des règles de la gouvernance budgétaire européenne.

Entre 2011 et 2017, le solde public structurel s’est amélioré de 0,7 point de PIB en moyenne par an. Une grande part de cet ajustement a été réalisée par la hausse des prélèvements obligatoires (PO), particulièrement entre 2011 et 2013. Ainsi, le taux de PO s’établira fin-2017, selon le PLF 2017, à 44,5 % (soit 3,3 points au-dessus de son niveau de 2010) après avoir atteint son maximum historique en 2013 (à 44,8 %). Cette augmentation des PO reflète l’ampleur des mesures nouvelles mises en œuvre pendant la période, y compris celles qui sont prévues dans le PLF/PLFSS 2017[1], pour un montant cumulé de 71,4 milliards d’euros (tableau).

Le choc fiscal a été particulièrement fort sur les ménages[2]. Les prélèvements qu’ils doivent payer s’établissent fin-2017 à un niveau supérieur de 52,5 milliards à celui de 2010 du fait des mesures nouvelles[3]. En revanche, le niveau des PO des entreprises est quasiment inchangée par rapport à 2010 (+0,5 milliard). Par ailleurs, les mesures nouvelles portant sur les prélèvements payés à la fois par les entreprises et les ménages, assises notamment sur la consommation énergétique, qui ne peuvent pas être ventilées, participent à la hausse des PO pour un montant de 15,9 milliards. Si le résultat des contentieux a eu tendance à amputer les recettes (-1,3 milliard), l’amélioration de l’efficacité dans la lutte contre la fraude fiscale devrait augmenter les recettes publiques de 3,8 milliards par an.

Ces résultats doivent être pris avec prudence : la répartition des mesures discrétionnaires entre agents est faite sur une base comptable et non sur la base de l’incidence fiscale qui, elle, est difficile à mesurer. Par exemple, une entreprise peut absorber une hausse du taux de TVA pour éviter une augmentation du prix de vente final de ses produits, afin de préserver ses parts de marché. Ceci impliquerait une baisse de ses marges et finalement la TVA serait « payée » par l’entreprise et non par le ménage, comme il est ici supposé.

Entre 2011 et 2017 des évolutions majeures de politique économique ont eu lieu. Entre 2011 et 2013, l’ajustement a été réparti de façon relativement équilibrée entre les entreprises (+31 milliards) et les ménages (+39 milliards), approximativement à hauteur de leur poids respectif dans les PO. En revanche, l’année 2014 marque un point d’inflexion avec la mise en place de la politique de l’offre. Cette politique a conduit à effacer pratiquement l’ensemble des hausses de PO portant sur les entreprises décidées entre 2011 et 2013, notamment grâce au CICE et au Pacte de responsabilité. Ainsi, depuis 2014 le niveau des PO des entreprises a baissé de 30,8 milliards d’euros. En revanche, afin de financer simultanément la réduction des déficits et la baisse des PO sur les entreprises, la fiscalité portant sur les ménages est restée en hausse (+13,4 milliards depuis 2014).

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Si on se focalise sur les mesures affectant le pouvoir d’achat des ménages, l’essentiel du choc a été réalisé avec la hausse des PO assis sur le revenu et le patrimoine[4] (+22,8 milliards). Par ailleurs, les mesures prises sur la fiscalité indirecte[5] – incluant notamment la TVA – ont augmenté la charge fiscale des ménages de 14 milliards, chiffre comparable à celui de la hausse des cotisations sociales pour 10,5 milliards. La hausse des cotisations sociales reflète essentiellement la réforme des retraites et la suppression de l’exonération de cotisations sociales des heures supplémentaires. Enfin, la fiscalité locale a été relevée de 5,2 milliards.

L’importance du choc fiscal subi par les ménages depuis 2011 a fortement amputé le pouvoir d’achat des ménages. Néanmoins, compte tenu de l’importance des mesures nouvelles concentrées sur les impôts les plus progressifs, la charge du choc a été concentrée sur les ménages les plus aisés (voir « 2010-2015 : un choc fiscal concentré sur les ménages … les plus aisés ? »), même si le poids non négligeable de la hausse de la fiscalité indirecte devrait nuancer cette conclusion.

 

[1] Depuis la présentation du PLF/PLFSS 2017, l’Assemblé nationale a voté des nouvelles modifications de PO. Parmi les principales mesures votées, il y a l’exonération de CSG pour 500 000 retraités, le renforcement de la taxe sur les transactions financières et la modification des prélèvements portant sur la distribution d’actions gratuites.

[2] Sont considérés comme des PO sur les ménages, les impôts directs (CSG, CRDS, IRPP, taxe d’habitation, …), certains impôts indirects (TVA, accises, …), les impôts sur le capital (ISF, DMTG, taxe foncière, DMTO, …), les cotisations sociales salariées et non salariées. Sont considérés comme des PO sur les entreprises, les impôts divers sur la production (cotisation sur la VA et cotisation foncière sur les entreprises (ex-TP), taxe foncière, C3S, …), les impôts sur les salaires et la main-d’œuvre, les impôts sur les sociétés et les cotisations sociales patronales. Certains prélèvements ne peuvent pas être distingués entre entreprises et ménages (TICPE, CSPE, …).

[3] Une mesure nouvelle mise en œuvre à la date t modifie de façon permanente le niveau des recettes issues du prélèvement en question.

[4] Incluant notamment l’IR, la  CSG et les droits de succession, correspondant aux poste D5 et D91 de la comptabilité nationale.

[5] Plus largement, ceci correspond aux impôts sur les produits, soit le poste D2 de la comptabilité nationale.




France : croissance malmenée

par le Département Analyse et prévision

Ce texte résume les perspectives 2016-2017 pour l’économie française. Cliquer ici pour consulter la version complète.

 

La publication, le 28 octobre, d’une croissance de l’économie française de 0,2 % au troisième trimestre 2016 constitue un signal conjoncturel conforme à notre analyse de la conjoncture de l’économie française. Ce chiffre, proche de notre dernière prévision (+0,3% prévu au troisième trimestre), reste en ligne avec notre scénario de croissance à l’horizon 2018.

En effet, après trois années de croissance très faible (0,5 % en moyenne sur la période 2012-14), un modeste rebond de l’activité s’est dessiné en France en 2015 (1,2 %), tiré par la baisse des prix du pétrole, la dépréciation de l’euro et une consolidation budgétaire moins forte que par le passé. Pour la première fois depuis 2011, l’économie française a renoué avec les créations d’emplois salariés dans le secteur marchand (98 000 sur l’ensemble de l’année), favorisées par les dispositifs fiscaux réduisant le coût du travail. Cumulées à une hausse des effectifs dans le secteur non-marchand (+ 49 000) et des créations d’emplois non-salariés (+56 000), le nombre de chômeurs au sens du BIT a diminué en 2015 (-63 000, soit -0,2 point de la population active). De son côté, dynamisé par le suramortissement fiscal sur les équipements industriels, l’investissement des entreprises a connu un redémarrage en 2015 (+3,9 % en glissement annuel). 

La moins bonne performance de la croissance française par rapport à celle de la zone euro depuis 2014 s’explique, outre le fait qu’elle ait aussi mieux résisté sur la période 2008-2013, par deux éléments majeurs : d’une part, par un ajustement budgétaire plus conséquent que celui de ses voisins européens sur la période 2014-16, et d’autre part par la maigre contribution de ses exportations à la croissance, alors même que les orientations fiscales de la politique de l’offre visent à redresser la compétitivité des entreprises françaises. Or, il semblerait que les exportateurs français aient fait le choix, à partir de 2015, de redresser leurs marges plutôt que de réduire leurs prix à l’exportation, sans effet sur les volumes exportés. Si ce comportement se traduit par des pertes de parts de marché depuis plusieurs trimestres, il peut en revanche, à travers le rétablissement des situations financières des exportateurs hexagonaux, devenir un atout à plus long terme, notamment si ces marges étaient réinvesties dans la compétitivité hors-coût pour favoriser la montée en gamme des produits fabriqués en France.

En 2016, malgré un premier trimestre dynamique (+0,7 %) tiré par une demande intérieure hors stocks exceptionnellement soutenue (+0,9 %), la croissance du PIB plafonnerait à 1,4 % en moyenne sur l’année (tableau 1). Le trou d’air du milieu d’année, marqué par les grèves, les inondations, les attentats ou la fin initialement programmée du suramortissement fiscal, explique en partie la faiblesse de la reprise en 2016. Sous l’effet du redressement du taux de marge, d’un coût du capital historiquement bas et du prolongement du suramortissement fiscal, l’investissement continuerait cependant à croître en 2016 (+2,7 % en glissement annuel). Les créations d’emplois salariés marchands seraient relativement dynamiques (+149 000), soutenues par le CICE, le Pacte de responsabilité ou la prime à l’embauche. Au total, en tenant compte des non-salariés et des effectifs dans le secteur non-marchand, 219 000 emplois seraient créés en 2016. Le taux de chômage baisserait de 0,5 point sur l’année, dont 0,1 serait lié à la mise en place du dispositif « 500 000 formations », et s’établirait à 9,4 % de la population active en fin d’année. Le déficit public, quant à lui, baisserait à 3,3 % du PIB en 2016, après 3,5 % en 2015 et 4 % en 2014.

En 2017, avec un taux de croissance de 1,5 %, l’économie française continuerait à croître à un rythme légèrement supérieur à son potentiel (1,3 %), la politique budgétaire nationale ne pesant plus sur le PIB pour la première fois depuis sept ans. Par contre, la France doit faire face, par rapport à la prévision de printemps, à deux nouveaux chocs, l’impact négatif du Brexit sur le commerce extérieur et celui des attentats sur la fréquentation touristique. Ces deux chocs amputeraient de 0,2 point de PIB la croissance en 2017 (après 0,1 en 2016). L’économie française créerait 180 000 emplois, dont 145 000 dans le secteur marchand, et le taux de chômage se réduirait de « seulement » 0,1 point, en raison du rebond de la population active avec le retour progressif sur le marché du travail des personnes ayant bénéficié du plan formation. Sous l’effet de la remontée du prix du pétrole et de la baisse de l’euro, l’inflation serait de 1,5 % en 2017 (après 0,4 % en 2016). Enfin, le déficit public atteindrait 2,9 % du PIB en 2017, repassant sous la barre des 3 % pour la première fois depuis dix ans. Après s’être stabilisée à 96,1 % du PIB en 2015 et en 2016, la dette publique baisserait très légèrement, pour revenir à 95,8 % en 2017.

L’économie française, bien que malmenée par de nouveaux chocs et loin d’avoir effacé tous les stigmates de la crise, se redresse peu à peu, comme en témoigne l’amélioration graduelle de la situation financière des agents économiques : hausse du taux de marge des entreprises, rebond du pouvoir d’achat des ménages, baisse du déficit et stabilisation de la dette publique.

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Le CICE est-il le bon instrument pour améliorer la compétitivité française ?

par S. Guillou, T. Treibich, R. Sampognaro, L. Nesta

Le 29 septembre 2016, France Stratégie a remis son rapport d’évaluation des effets du CICE. Le rapport conclut à une absence d’effet de court terme sur les exportations, allant à l’encontre de l’effet attendu du CICE sur la compétitivité des entreprises françaises. Parallèlement, la dégradation du solde commercial français qui se poursuit en 2013 et 2014 ne contredit pas ce résultat.  Faut-il en conclure que le CICE n’est pas un bon outil pour améliorer la compétitivité et augmenter la valeur des exportations ? Nos résultats montrent qu’on devrait s’attendre à terme à un effet positif du CICE sur les exportations compris entre 1,5 et 5,0 milliards d’euros grâce à une baisse du coût du travail équivalente à la créance CICE de 2013, soit 1% de la valeur exportée ou 0,25% du PIB. Cet effet de moyen terme ne contredit pas les résultats des autres équipes évaluant le CICE (TEPP et LIEPP). Nous privilégions en effet la thèse de l’attentisme des entreprises face à cette mesure nouvelle pour expliquer les faibles effets de court terme.

 

Trois équipes de chercheurs (TEPP, LIEPP et OFCE) ont été mandatées par France Stratégie pour réaliser une étude sur données d’entreprises, avec pour mission d’identifier un changement de comportement des entreprises en réponse au CICE. Elles ont bénéficié pour ce faire d’un accès aux créances déclarées (le crédit d’impôt potentiel) et consommées (le crédit d’impôt effectivement reçu, dépendant du montant d’impôt dû par l’entreprise) par les entreprises françaises. L’équipe de l’OFCE s’est focalisée sur le volet « compétitivité » du crédit d’impôt. Précisément, l’objectif a été d’évaluer l’impact potentiel du CICE sur les exportations des entreprises.

Les mécanismes par lesquels le CICE peut améliorer la compétitivité reposent à court terme (i) sur la baisse des prix induite par une baisse du coût du travail, (ii) l’augmentation des moyens de financement pour faire face aux coûts d’entrée sur les marchés étrangers (par exemple, coûts de distribution, adaptation des produits), et à plus long terme (iii) sur l’impact des investissements d’amélioration de la qualité (compétitivité hors-prix) permis par l’augmentation des marges due au CICE. Ainsi, sur la période d’observation disponible – l’année la plus récente à ce jour étant 2014 – c’est-à-dire à court terme, seul le canal de la compétitivité-prix pouvait être attendu.

L’usage des données d’entreprises et de salariés pour réaliser cet exercice d’évaluation est exigé par l’hypothèse d’hétérogénéité des réponses. La meilleure réponse des exportateurs au CICE (baisse des prix ou hausse du taux de marge) peut être spécifique à chaque entreprise. Elle dépendra de l’élasticité-prix de sa demande extérieure, du degré de différenciation de son produit, ainsi que de la part du travail dans son coût de production. Utilisant les informations sur l’hétérogénéité des entreprises, notamment sur la distribution des salaires par entreprise, mais aussi sur les produits exportés, il est possible de solliciter plusieurs dimensions qui vont singulariser la réponse des entreprises à une variation exogène des coûts du travail, et déterminer la sensibilité de leurs exportations au coût du travail. Cette sensibilité – dite directe – est attendue négative (une baisse du coût du travail augmentant les exportations) mais elle peut être hétérogène parmi les entreprises exportatrices. Afin d’évaluer l’amélioration de la compétitivité-prix des entreprises induite par le CICE, nous avons exploré par ailleurs le canal dit indirect, c’est-à-dire le comportement de transmission des baisses de coût vers les prix des exportations.

La difficulté de l’exercice d’évaluation (déjà souligné dans Guillou, 2015) tient en 1) la disponibilité des données d’observations, limitées à 2014, soit à peine deux ans après la mise en place de la politique ; 2) l’impossibilité d’établir un solide contrefactuel (ou groupe de contrôle), c’est-à-dire un groupe d’entreprises très semblables à celles recevant le CICE mais ne le recevant pas. En effet, la quasi-totalité des entreprises sont éligibles au CICE, et celles qui ne le reçoivent pas ont un profil très particulier puisqu’elles n’ont que des salariés au-dessus de 2,5 SMIC. Selon nos calculs, 96% des entreprises juridiquement éligibles sont concernées par le CICE et elles rassemblent 97% des salariés. Les entreprises non traitées – celles dont le salaire de l’ensemble des salariés est supérieur à 2,5 SMIC – sont plutôt une exception statistique dans le paysage français.

Face à ces difficultés, l’équipe de l’OFCE a choisi d’évaluer ex ante la sensibilité des exportations à des variations exogènes du coût du travail. Notre approche a consisté à estimer les élasticités des exportations à des variations exogènes du coût du travail unitaire (c’est-à-dire corrigé de la productivité du travail) à partir d’une relation d’équilibre issue d’un modèle de concurrence monopolistique. Le modèle théorique attend des exportations qu’elles varient de façon inverse au coût du travail. Il s’agit d’une relation d’équilibre, c’est-à-dire qu’elle devrait se produire une fois l’ensemble des ajustements réalisés, et n’est donc pas forcément une relation immédiate.

L’élasticité des exportations au coût du travail unitaire a été estimée sur la période 2009-2013 pour l’ensemble des exportateurs français. L’identification repose sur l’hétérogénéité des entreprises en termes des variations exogènes de leur coût du travail unitaire, en contrôlant des effets sectoriels et temporels, et des évolutions des exportations propres à l’entreprise. L’exogénéité des variations du coût du travail est obtenue en l’instrumentant par le coût du travail de la zone d’emploi de l’entreprise, à secteur donné.

En termes d’évaluation de l’amplitude de l’effet sur les exportations qu’on est en « droit » d’attendre du CICE, nous trouvons un effet non négligeable malgré de faibles élasticités. Comme décrit dans notre contribution, mise à disposition par France Stratégie en toute transparence, cet effet, non négligeable, repose sur l’hypothèse que la créance CICE se transmet intégralement à la baisse des coûts salariaux unitaires (CSU). Nos résultats montrent qu’on devrait s’attendre à un effet positif du CICE sur les exportations compris entre 1,5 et 5,0 milliards d’euros grâce à une baisse du coût du travail équivalente à la créance CICE de 2013, soit 1% de la valeur exportée ou 0,25% du PIB. Si la créance CICE de 2014 se transmet intégralement à la baisse des CSU, la hausse permise des exportations devrait s’établir, à terme, entre 2,9 et 7,6 milliards d’euros, soit 1,3% des exportations et 0,3% du PIB. Ces estimations constituent vraisemblablement les valeurs hautes de la fourchette de réponse. L’effet agrégé cache une hétérogénéité de réponses : la réaction de la marge intensive des exportateurs au CICE est d’autant plus importante que leur taux de marge est faible et/ou qu’elles sont plus exposées au CICE.

Il faut rappeler que nos résultats reposent sur l’hypothèse que le CICE constitue une baisse du coût du travail, et donc, toutes choses égales par ailleurs, du coût de production. Cependant, quel en a été l’usage ? A la suite de cette baisse du coût de production, l’entreprise peut décider de réduire ses prix, augmenter ses marges ou embaucher. Au-delà de l’évaluation globale sur les exportations, notre étude a donc eu pour objectif d’évaluer l’arbitrage prix-taux de marge choisi par les entreprises.

Assimiler le CICE à une baisse du coût du travail, est-ce une hypothèse valable ? Si le CICE est en pratique une baisse d’impôt, le calcul du CICE par l’entreprise ne dépend que de la masse salariale sous le seuil de 2,5 SMIC. Par conséquent, les instances qui régissent la comptabilité tant nationale (INSEE) que privée (Autorité des Normes Comptables) interprètent le CICE comme une baisse des charges d’exploitation associées au travail. Cette hypothèse serait contrariée si le CICE avait permis des augmentations de salaires à postes et qualifications constants, ce qui n’a pas été observé avec robustesse.

Ces résultats ne sont pas contraints par une hypothèse sur le montant de transmission de la variation du coût du travail vers les prix. En effet, cette baisse du coût du travail a pu se traduire par une transmission incomplète vers les prix, et par conséquent par une transmission vers les marges des entreprises ou leur trésorerie. Nos résultats montrent que la transmission de la variation des coûts du travail au prix est loin d’être complète. De fait notre second exercice d’estimation (le canal indirect décrit ci-dessus) indique qu’en moyenne seul un tiers d’une baisse des coûts se traduirait en baisse des prix. Cela laisse entendre que les marges ont automatiquement répercuté environ 70% du gain du CICE. Plus généralement, nos estimations révèlent que les exportations sont sensibles au coût du travail en raison d’une faible différenciation des produits en moyenne. L’absence d’effet constaté en 2013 et en 2014 par des évaluations en double différence (voir LIEPP) et correspondant à la conclusion générale du rapport de France Stratégie ne contredit pas forcément nos résultats. Notre travail permet notamment d’inférer sur les causes d’absence de réaction. Les exportations ne sont pas insensibles par nature à une baisse du coût du travail (l’élasticité estimée aurait alors été nulle). L’absence de réaction au CICE à court terme pourrait s’expliquer de trois manières : 1)    Si les entreprises ont augmenté les salaires, elles n’ont pas connu de baisse du coût du travail. Notre hypothèse de travail serait contredite (comme l’objectif de la politique) et les effets sur les exportations seraient plus faibles ;2)    Si les entreprises ont substitué du capital par du travail (afin d’augmenter leur créance CICE) et ainsi diminué leur productivité, alors leur coût du travail unitaire a pu être stable ou a pu augmenter[1] ;3)    Si les entreprises doutent de la pérennité de la mesure, elles peuvent avoir un comportement attentiste et réagiront en différé. Par exemple, elles ne vont pas changer leur catalogue de prix sans être sûres de pouvoir bénéficier durablement de la mesure dans les années suivantes. Cette phase d’attentisme pourrait expliquer l’absence de réaction des exportations à la variable CICE dans le court terme. Nous privilégions la dernière hypothèse, ce qui nous conduit à dire que dans le moyen terme, les exportations devraient répondre positivement au stimulus du CICE. Notre contribution montre qu’au-delà de la nécessaire évaluation empirique ex-post, il reste fondamental de comprendre les mécanismes théoriques par lesquels le CICE peut agir sur la trajectoire économique. En particulier, ceci permet de mieux appréhender pourquoi ses effets se sont matérialisés ou pas en 2013 et 2014.

 

[1] On rappelle que le coût du travail unitaire est défini comme le ratio du salaire horaire sur la productivité horaire du travail. Ainsi, toutes choses égales par ailleurs, si la productivité du travail diminue, le coût du travail unitaire augmente.




PLF 2016 : la longue route vers les 3 %

par Raul Sampognaro

Le Projet de loi de Finances 2016 (PLF 2016) poursuit l’ajustement budgétaire entamé en 2010. Cet ajustement a permis notamment de réduire le déficit public de 3,3 points de PIB en l’espace de cinq ans, passant de 7,2 points de PIB en 2009 à 3,9 points en 2014, alors même que les conditions conjoncturelles ont pesé sur les finances publiques[1]. La baisse du déficit devrait se poursuivre au cours de la période 2015-2017. Notre dernière prévision table sur un déficit à 3,7 % en 2015 puis à 3,2 % en 2016 et 2,7 % en 2017, année où le déficit passerait en-dessous de la « barre des 3 % ». Cette trajectoire est légèrement plus favorable à celle retenue par le gouvernement[2] dans le PLF 2016 en raison d’une reprise de l’activité que nous attendons un peu plus dynamique. Au final, il se sera écoulé dix ans entre le moment où la France a franchi le seuil des 3 % et le moment où elle serait revenue en-dessous.

Ce nouveau PLF 2016 s’inscrit dans la continuité de la stratégie budgétaire mise en œuvre depuis 2014 : l’effort structurel est réalisé essentiellement sur la dépense publique et cet effort permet la réduction des déficits et de la fiscalité des entreprises.

Depuis 2014 un effort conséquent est réalisé sur la dépense publique. Au cours l’année 2014, la dépense publique hors crédits d’impôts[3] a connu sa progression la plus faible depuis 1959[4] (graphique 1), c’est-à-dire l’année du début des comptes des administrations publiques publiés par l’Insee. Cette stratégie a été renforcée lors du vote de la Loi de programmation des finances publiques (LPFP) de 2015, qui prévoyait la mise en œuvre d’un plan de 50 milliards d’euros d’économies de dépenses publiques au cours de la période 2015-2017. Le PLF 2016 concrétise cet effort : l’Etat et ses opérateurs réaliseront une économie de 5,1 milliards, les concours financiers de l’Etat envers les collectivités territoriales seraient réduits de 3,5 milliards d’euros et le système de protection sociale devrait contribuer à hauteur de 7,4 milliards d’euros, soit un total d’économies pour l’année 2016 qui s’élève à 16 milliards d’euros. Hors crédits d’impôts, en valeur, la dépense publique devrait augmenter de +1,3 % en 2015, en 2016 et en 2017 (entre 2000 et 2007, elle a augmenté de 4,0 % par an en moyenne). L’effort, mesuré en volume, est encore plus marqué : après la quasi stabilisation attendue pour 2015 (+0,1 %), la dépense publique devrait accélérer progressivement à partir de 2016 (+0,3 % puis +0,6 % en 2017), des rythmes de progression qui restent historiquement faibles. Cette progression de la dépense publique, bien inférieure à la croissance potentielle française marquerait un vrai effort de baisse à long terme du ratio des dépenses publiques sur le PIB.

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En ce qui concerne la fiscalité, les nouvelles mesures mises en œuvre devraient faire reculer les prélèvements obligatoires (PO) de 0,1 point de PIB (soit une baisse de –2,4 milliards d’euros ou de −4,4 milliards si l’effet de la suppression de la prime pour l’emploi est neutralisé[5]). La baisse globale des PO de 2016 resterait proche de celle de 2015 et serait ciblée sur les entreprises, qui bénéficieront toujours de la montée en charge du CICE, du plan investissement et du plan TPE/PME, et des nouvelles mesures du Pacte de responsabilité[6] (tableau 1). En revanche, les nouvelles mesures pesant sur les ménages feraient augmenter leurs prélèvements de 2,1 milliards d’euros[7], en dépit de la baisse de l’IRPP inscrite dans le PLF 2016 car elle serait compensée par des mesures préalablement votées. Enfin, les mesures discrétionnaires connues pour 2017, qui incluent notamment la montée en charge du CICE et les dernières mesures du Pacte de responsabilité, restent ciblées sur les entreprises.

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La stratégie budgétaire décrite ci-dessus cherchant à réduire simultanément les déficits publics structurels et la fiscalité des entreprises, financée par la maîtrise de la dépense publique et la hausse des prélèvements sur les ménages pèsera sur la croissance. L’ajustement structurel est estimé, selon nos calculs, à 0,5 point de PIB pour l’année 2015 et à 0,3 point pour les années 2016 et 2017. Cet ajustement pénalise d’autant plus la croissance que les politiques d’offre n’auront un impact positif qu’à moyen et à long terme. Leur effet sera modeste à court terme, alors que la baisse des dépenses publiques et la hausse des prélèvements sur les ménages ont un impact plus rapide sur le PIB et plutôt élevé à court terme, notamment dans un contexte où l’activité reste morose[8]. Ainsi, au total, la politique budgétaire amputerait la croissance du PIB de 0,4 point en 2016 et en 2017 (tableau 2).

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Notre prévision a été finalisée fin-septembre avant les attentats du 13 novembre et du discours de F. Hollande devant le Parlement réuni en Congrès, où il a prononcé « le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité ». Sur la base de notre prévision et des annonces réalisées depuis le 13 novembre, il apparaît a priori que les cibles de déficit nominal seraient toujours conformes aux engagements européens de la France. En outre, les nouvelles dépenses liées à la réponse faite aux attentats de novembre seraient exclues du calcul de déficit dans le cadre de la procédure de déficit excessif. Pour rappel, les augmentations de dépenses liées à des événements extraordinaires, non contrôlés par le gouvernement, rentrent dans le cadre des flexibilités existantes dans l’application des règles du Pacte de stabilité et de croissance. Dans ce contexte, la France devrait sortir de la procédure de déficit excessif à l’horizon 2017, conformément à la recommandation du Conseil du 10 mars 2015.

 


[1] La réduction du déficit structurel est en fait plus marquée, de 4,3 points de PIB.

[2] Selon le gouvernement ; le déficit public baisserait de 0,1 point de PIB en 2015 (3,8 % du PIB), de 0,5 point en 2016 (3,3 %) et de 0,6 point en 2017.

[3] Les crédits d’impôts restituables – essentiellement le CICE et le CIR – sont comptabilisés en dépenses publiques par la base 2010 des comptes nationaux. Afin, de rester plus proches des concepts économiques, les dépenses publiques seront analysées hors crédits d’impôts ; ces derniers seront analysés comme une composante de la fiscalité.

[4] Elle a augmenté de 0,9 % en valeur et de seulement 0,3 % en volume (déflaté par les prix du PIB).

[5] La fusion de la PPE et du RSA se traduit par une hausse de l’IR de 2 milliards (hausse des PO), compensée à l’identique par une hausse de la prime d’activité qui, elle, est comptabilisée en dépenses. Cette mesure est donc neutre sur le revenu des ménages.

[6] Avec notamment l’extension de la baisse des cotisations sociales employeurs, la poursuite de la baisse de la C3S  et l’élimination de la contribution exceptionnelle sur l’impôt sur les sociétés.

[7] Ce chiffre neutralise l’impact de la fusion de la PPE et du RSA.

[8] Voir Creel, Heyer et Plane (2011), « Petit précis de politique budgétaire par tous les temps. Les multiplicateurs budgétaires au cours du cycle », Revue de l’OFCE, n° 116, janvier 2011.




Semestre européen : évaluer l’orientation agrégée de la politique budgétaire c’est bien, débattre de son impact économique c’est encore mieux

par Raul Sampognaro

Le 26 novembre, la Commission européenne a lancé le Semestre Européen avec la publication du Rapport Annuel sur la Croissance (2016 AGS selon son acronyme en anglais) et de la recommandation de politique économique pour l’ensemble de la zone euro. La Commission juge, en raison des externalités générées par la politique budgétaire entre les Etats membres et des contraintes pesant actuellement sur la politique monétaire, qu’il est nécessaire de renforcer l’attention portée sur l’orientation agrégée de la politique budgétaire dans la zone euro. Le jugement porté sur cette orientation doit tenir compte notamment des facteurs cycliques, mettant ainsi en avant le rôle de stabilisation macroéconomique de la politique budgétaire. Les services de la Commission considèrent qu’une politique globalement neutre est appropriée au contexte actuel, en raison des risques qui pèsent sur la reprise et du niveau toujours élevé du taux de chômage.

L’ouverture du débat sur la politique budgétaire d’ensemble de la zone euro constitue indéniablement un pas dans la bonne direction pour améliorer le cadre d’élaboration de la politique macroéconomique dans la zone euro. La crise de la zone euro, déclenchée en 2012, s’explique en grande partie par les fragilités dans la construction de l’Union monétaire. L’inadaptation du cadre de coordination des politiques macroéconomiques a été l’une des principales failles dévoilées par la crise. Avant-crise, la BCE devait gérer seule les chocs communs à l’ensemble de l’Union alors que les politiques budgétaires nationales étaient censées contrecarrer les chocs asymétriques. En outre, la politique budgétaire devait aussi assurer la soutenabilité de la dette publique afin d’éviter la montée des taux d’intérêt et le risque de contagion. Le respect de ce double objectif pour la politique budgétaire était supposé garanti par le respect des règles du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Ce cadre a échoué pendant la crise. D’une part, les règles du PSC se concentrent quasi-exclusivement sur un seul des objectifs assignés à la politique budgétaire : la réduction de la dette publique. D’autre part, la décentralisation du processus de décision concernant la politique budgétaire a eu pour conséquence un résultat d’ensemble inadéquat. Ainsi, les règles du PSC ont généré un ajustement structurel très fort et mal calibré dans les pays ayant subi plus fortement la crise de la zone euro alors que les pays disposant de marges fiscales ne les ont pas mobilisées pour soutenir la croissance.

Dans la gouvernance européenne, l’indicateur préféré pour mesurer l’orientation de la politique budgétaire est la variation du solde structurel. Ainsi, l’orientation d’ensemble de la politique budgétaire est calculée en faisant la somme pondérée (par le poids du PIB en valeur) des variations du solde structurel de chacun des Etats membres. Cet indicateur permet d’évaluer les évolutions du déficit à long terme, une fois les effets du cycle conjoncturel purgés. Si cet indicateur est attrayant théoriquement, il est largement tributaire des hypothèses faites sur la croissance potentielle et le PIB potentiel : même en partant d’hypothèses de finances publiques identiques, l’évolution du solde structurel sera différente (voir les lignes 2 et 3 du tableau 1). Sur la base de cet indicateur et en utilisant les hypothèses de finances publiques réalisées par la Commission européenne, la politique budgétaire serait globalement neutre, voire légèrement expansionniste, dans la zone euro en 2015 et en 2016, jugement qui est partagé par le rapport iAGS 2016. Suivant les annonces des gouvernements dans les Programmes de stabilité du mois de mai, l’équipe iAGS prévoit le retour de la consolidation budgétaire en 2017. Ce résultat diffère de celui de la Commission européenne, qui tient compte exclusivement des mesures pour lesquelles les mesures législatives sont déjà mises en œuvre.

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Dans le rapport iAGS 2016, nous proposons une nouvelle façon de calculer l’orientation agrégée de la politique budgétaire, d’une façon qui tienne compte des avancées de la théorie économique. Selon la littérature, le multiplicateur des dépenses publiques – qui pèsent dans la plupart des principales économies de la zone euro – est supérieur, au moins à court terme, à celui associé aux mesures fiscales qui sont orientées à la baisse et devraient soutenir l’activité. Ceci est particulièrement vrai en période où l’activité est sensiblement inférieure à son niveau potentiel. L’indicateur proposé pondère l’impact macroéconomique des politiques budgétaires nationales[1].

Une fois que la composition et la localisation des impulsions budgétaires sont prises en compte, l’évaluation de la politique budgétaire mise en place dans la zone euro est modifiée. Selon nos calculs, la politique budgétaire pèsera légèrement sur la croissance du PIB en 2016 (-0,1 point de PIB, tableau 2) malgré la dégradation anticipée du solde structurel. Ce paradoxe peut s’expliquer à la fois par la localisation de l’impulsion – elle aura peu d’impact sur le PIB car elle sera largement concentrée en Allemagne (où les multiplicateurs sont bas car l’output gap est quasiment fermé), et par sa composition en Italie et en Espagne (où l’impulsion est faite à partir des baisses d’impôts avec un faible impact expansionniste à court terme, et partiellement compensée par des économies en dépenses à fort multiplicateur).

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Ce paradoxe entre une politique budgétaire légèrement expansionniste avec des effets récessifs montre que le débat ne doit pas se focaliser exclusivement sur l’orientation de la politique budgétaire mais doit inclure les modalités de sa déclinaison. Ainsi, deux nouveaux sujets semblent importants dans les débats européens : celui de l’utilisation des marges budgétaires – l’expansion budgétaire pourrait être plus importante dans les pays non contraints – et celui du besoin de flexibilité dans l’application du PSC – les règles budgétaires doivent tenir compte de la taille des multiplicateurs et concentrer la relance dans les pays où celle-ci sera plus efficace. L’analyse précise de la position de chaque pays vis-à-vis du PSC montre que très peu de pays auraient de l’espace fiscal dans le cadre actuel de la gouvernance européenne. Selon l’analyse des Projets de Lois de Finances (DBP, selon son acronyme en anglais) réalisé par la Commission européenne, seule l’Allemagne disposerait des marges de manœuvre pouvant influencer la croissance dans l’ensemble de l’Union monétaire. Toutefois, on peut questionner l’efficacité d’une relance budgétaire en Allemagne, surtout au regard d’un objectif de fermeture de l’output gap et de baisse du chômage dans la zone euro. Ceci soulève une nouvelle question si on veut réaliser une politique budgétaire contra-cyclique sans dégrader la soutenabilité des dettes publiques des Etats membres plus affectés par la crise. Ainsi, il faut se questionner sur la nécessité d’un budget fédéral consacré à la stabilisation macroéconomique surtout quand la politique monétaire est contrainte – comme dans une situation de déflation et de trappe à liquidité. Cette réflexion aurait motivé la mise en place du Plan Juncker, cherchant à augmenter le niveau de l’investissement dans la zone euro. Toutefois, l’efficacité de ce plan peut être remise en question. Ce plan repose sur des hypothèses irréalistes sur les effets de levier du financement public ; et la modalité de sélection des projets, suivant leur rentabilité économique, peut engendrer un biais pro-cyclique, le contraire de ce qui devrait être recherché. Ainsi, le Plan Juncker, qui d’ailleurs n’a pas vocation à être pérennisé, peut s’avérer insuffisant pour générer le choc de demande dont a besoin la zone euro pour sortir de la trappe à liquidité dans laquelle elle est embourbée.

Tout compte fait, l’impulsion fiscale prévue pour 2016 (+0,1 point de PIB selon la mesure plus optimiste) ne sera pas à la hauteur de la situation. Une hausse coordonnée de l’investissement public dans les pays de la zone euro, concentrée sur les objectifs fixés par la stratégie Europe 2020, constituerait indéniablement une meilleure politique à celle qui est actuellement proposée. Elle serait plus équilibrée et permettrait de satisfaire à la fois les objectifs de court terme (baisse du chômage) et de long terme (hausse de l’investissement en R&D, lutte contre le réchauffement climatique, amélioration des infrastructures). L’introduction d’une règle d’or dans la gouvernance budgétaire européenne, permettant d’exclure du calcul du déficit les projets d’investissement public jugés utiles pour l’ensemble de la zone euro, permettrait de réaliser ce stimulus dans le respect des règles de la bonne gestion budgétaire et en préservant la soutenabilité des dettes publiques.

 


[1] Un indicateur construit sur le même principe est publié trimestriellement aux Etats-Unis par la Brookings Institution http://www.brookings.edu/research/interactives/2014/fiscal-barometer