Quelle incidence du CICE sur les salaires et l’emploi ?

Par Bruno Ducoudré, Éric Heyer, Alaïs Martin-Baillon, Mathieu Plane [1]

Le dernier rapport du Comité de suivi du Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi (CICE) rappelle la difficulté d’évaluer l’impact de ce dispositif et propose des conclusions extrêmement prudentes sur son efficacité. Il mentionne également l’importance de mener des études macroéconomiques complémentaires aux travaux existants et la nécessité de poursuivre cette évaluation afin d’allonger la période de temps disponible pour ces analyses économétriques.Ce rapport relance la question de l’efficacité du CICE au moment même où l’exécutif annonce qu’il va le transformer en baisse de cotisations sociales patronales pour 2019. Cette mesure phare du quinquennat Hollande fait ainsi l’objet de multiples évaluations qui n’ont pour l’instant pas atteint de consensus (voir le rapport de France Stratégie : ou encore les évaluations de l’OFCE réalisées à partir d’emod.fr). À ce jour, France Stratégie conclue à un « un effet sur les salaires difficiles à déceler » et, avec un certain nombre de réserves, à un effet modéré sur l’emploi.

Dans notre étude « Quelle incidence du CICE sur les salaires et l’emploi ? Une évaluation sur la période 2014 t1 à 2017 t3 » (publiée dans le dernier Working paper de l’OFCE, n°25 du 26 octobre 2017), nous proposons une évaluation trimestrielle de ce dispositif à l’aide de données issues des comptes de branches. Dans ce billet nous synthétisons les principaux résultats issus de ce travail et présentons les dernières évaluations à notre disposition. Notre méthodologie consiste à estimer les élasticités interbranches au CICE de l’emploi et des salaires, et cela pour chaque trimestre. Cela nous permet de suivre au cours du temps l’évolution de l’impact de cette mesure. Nous présentons ci-dessous deux graphiques résumant l’évolution temporelle de ces élasticités.

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Nos derniers résultats indiquent un effet positif et significatif du CICE sur les salaires au cours de l’année 2016 et qui décline fortement au début de l’année 2017. Nous mettons également en évidence un effet positif et significatif du CICE sur l’emploi depuis le début de l’année 2015, effet qui diminue également au premier trimestre 2017 tout en restant positif.

Ces résultats sont cohérents avec ceux présentés dans les différentes notes d’étape complémentaire aux rapports de 2016 et 2017 du Comité de suivi du CICE dirigé par France Stratégie lorsque nos travaux portent sur la même période de temps. Leur méthodologie s’appuie sur des données d’entreprises, ce qui limite leur analyse à la période 2013-2015, alors que l’utilisation de données de branches, issues des comptes nationaux trimestriels, nous permet d’estimer l’impact de cette mesure jusqu’au deuxième trimestre de l’année 2017 (avec le corollaire que nous travaillons sur des données sujettes à de possibles révisions).

Les rapports du Comité de suivi du CICE concluent à un effet positif modeste « probable » du CICE sur l’emploi en 2014 et 2015 quand nos estimations laissent apparaître un effet extrêmement faible et seulement très légèrement significatif en fin d’année 2014, voire non significatif sur l’ensemble de l’année selon les spécifications retenues[2]. En revanche, nos analyses mettent en évidence un effet positif, significatif et croissant de ce dispositif sur l’emploi entre le premier trimestre de l’année 2015 et le premier trimestre de l’année 2017.

De même, les rapports du Comité de suivi évoquent un effet nul ou très faible du CICE sur les salaires en 2014 et 2015, résultats également mis en avant par nos estimations. Nos travaux laissent apparaître un effet significatif du CICE sur les salaires à la fin de l’année 2015, effet qui perdure en 2016 tout en déclinant fortement jusqu’au premier trimestre de l’année 2017.

La nature même de notre travail, qui s’appuie sur des estimations inter-branches, appelle cependant une interprétation prudente de nos résultats. En effet, ces élasticités se lisent comme la différence en termes de créations d’emplois ou de variations de salaire entre deux branches lorsque l’une d’elles reçoit un point de taux de CICE en plus, ce qui ne permet pas d’évaluer l’impact macroéconomique des variations totales. Par ailleurs, rappelons que nous travaillons sur des données susceptibles d’être révisées par l’INSEE, ce qui peut avoir pour conséquence une modification de ces résultats sur la fin de période.

 

[1] Ce travail sera mis à jour tous les trimestres et les résultats seront présentés sous forme de billet de blog à échéance régulière.

[2] Voir le document original : « Quelle incidence du CICE sur les salaires et l’emploi ? Une évaluation sur la période allant du premier trimestre 2014 au deuxième trimestre 2017 », Working Paper de l’OFCE, n°25-2017 pour le détail de ces estimations .




Faut-il aider les PME à embaucher ?

par Sarah Guillou

Dans un regain de mobilisation pour lutter contre le chômage, le gouvernement a annoncé, lundi 18 janvier 2016, de nouvelles mesures qui concernent l’apprentissage, la formation et les PME au sein d’un nouveau « plan emploi ». Concernant les PME –  les entreprises de moins de 250 salariés –, il est prévu le versement de 2 000 euros pour l’embauche d’un salarié payé entre 1 et 1,3 SMIC recruté en CDI ou en CDD de plus de 6 mois. Cette aide sera accordée pour 2 ans et sera relayée en 2018 par la transformation du Crédit Impôt compétitivité emploi (CICE) – pour le moment un crédit d’impôt de 6% de la masse salariale inférieure à 2,5 SMIC – en baisse de charges. Il s’agit ainsi de réduire à zéro les cotisations restant à la charge de l’employeur à proximité du salaire minimum. Bien que réduites à la fois par l’allègement général dit « Fillon » et par les dispositions du Pacte de responsabilité, les charges sociales patronales au niveau du SMIC s’élèvent à un peu moins de 200 euros mensuel (charges dues notamment au titre de l’assurance chômage, de la formation professionnelle, …). Cette disposition devrait donc assurer l’application du « zéro charge » pour les PME.

Cependant, l’aide à l’embauche aux PME risque fort de ne pas être interprétée comme un dispositif qui modifie l’environnement futur du coût du travail et se trouvera donc peu en phase avec la nature des freins à l’embauche (incertitude sur le futur) que ces entreprises rencontrent. En effet, présenter le caractère pérenne de l’aide à l’embauche aux PME en argumentant sur la transformation du CICE en baisse des charges à l’horizon de 2018 est une pirouette politique. Ou alors cela laisse entendre que le CICE sera requalifié en termes de cibles de salaires et de taille d’entreprises comme le montrent les éléments suivants, ce qui serait également un autre élément d’incertitude.

Les PME ne sont pas des grandes !

Selon le rapport de l’INSEE sur les entreprises en 2015, on recense 3,5 millions de PME (non financières et non agricoles) sur un total de 3,56 millions d’entreprises. Ce sont en grande majorité des microentreprises, c’est-à-dire des entreprises de moins de 10 salariés, voire sans salarié. On ne compte en effet que 138 000 PME non microentreprises, soit 4% des PME mais celles-ci emploient 28 % des salariés.

Plus généralement, les PME  sont toutes les entreprises françaises qui ne sont pas des grandes, ce qui représente plus de 95% des entreprises. Le plan est donc très général, il n’exclut en fait que quelques grandes entreprises mais aussi toutes les microentreprises qui n’ont pas de salariés. Avant la loi de modernisation de l’économie (LME), on trouvait parmi ces PME des entreprises qui, de fait, appartenaient à un groupe et dont le périmètre d’activité et de pouvoir économique et financier dépassait celui des PME indépendantes. A présent, la nouvelle définition retenue par l’INSEE exclut, en principe, une entreprise de la catégorie des PME, si elle appartient à un groupe.

En termes de nombre, la répartition des PME par secteur marchand (hors activités agricoles) est donnée dans le tableau 1. Les PME françaises de plus de 9 salariés se concentrent – en ordre décroissant – dans le commerce, la construction, le secteur hébergement et restauration, le secteur des activités scientifiques et techniques (dont les professions libérales) et le secteur manufacturier. La cible des PME est donc très large mais entraîne cependant un coût budgétaire moindre que si la mesure était généralisée à toutes les tailles d’entreprises.

Les aides aux PME

De nombreux dispositifs existent. Certains sont liés à l’âge des entreprises – comme celui des jeunes entreprises innovantes ou les exonérations de charges sociales associées aux premières années d’existence d’une entreprise – car naturellement les plus jeunes entreprises sont d’abord des PME. De nombreuses aides existent également au niveau local.

Ce soutien de l’Etat aux PME est compatible avec la réglementation européenne concernant les aides publiques puisqu’il s’agit d’un domaine qui bénéficie du régime d’exemption d’obligation déclarative des aides à la Commission européenne. Ce qui signifie que si les aides publiques aux entreprises sont, en régime général, prohibées par les traités européens, les aides aux PME bénéficient d’un régime d’exemption. Comparativement, la France est bien devant l’Allemagne en matière de soutien aux PME en pourcentage du total des aides publiques dites « horizontales » (non sectorielles). Les statistiques des aides publiques aux entreprises reportées par la Commission européenne montrent que, pour un montant total d’aides comparables entre la France (9,726 milliards d’euros) et l’Allemagne (9,395 milliards d’euros) en 2013, les aides aux PME représentent 12% en France et 3% en Allemagne (EU Scoreboard). Si on retient les statistiques européennes comme une bonne mesure de l’échelle des aides aux entreprises, on conclura que plus d’un dixième des aides horizontales françaises concernent des dispositifs d’aides aux PME.

Quelles sont les caractéristiques salariales particulières des PME ?

Dans les microentreprises, 61% des salariés ont des salaires inférieurs ou égaux à 1,3 SMIC, c’est 48% dans les PME de plus de 9 salariés et 42% dans les grandes entreprises.

Comme le montre le graphe ci-dessous, qui présente la distribution des salaires pour chaque taille d’entreprise, plus la taille des entreprises est grande et plus la distribution des salaires s’écarte du salaire minimum. Les entreprises de plus de 250 salariés ont donc une proportion de salariés au SMIC bien plus faible. On observe également que le gros des salariés des entreprises de plus de 250 salariés se situe autour de 1,3 SMIC, ce qui montre que cette limite inférieure exclut de fait de nombreux salariés des entreprises de taille intermédiaire (entre 250 et 4 999 salariés) et des grandes entreprises.

Mais il ne faut pas en conclure que les inclure dans le dispositif n’aurait pas modifié fondamentalement la dépense budgétaire. Car sur le total des salariés dont les salaires sont inférieurs à 1,3 SMIC (ceux ciblés), 50% se trouvent dans les grandes entreprises. Cela tient à la distribution inégale du poids économique selon la taille des entreprises. Les grandes entreprises sont bien moins nombreuses mais elles rassemblent 56% des salariés tous niveaux de salaires confondus.  De leur côté, les PME concentrent 50% des salariés ciblés dont 13% dans les microentreprises.

 

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Par ailleurs, les données par secteur du tableau 1 montre que c’est effectivement là où se concentrent les PME que l’on trouve un fort pourcentage de salariés payés en-dessous de 1,3 SMIC (à l’exception des services scientifiques et techniques) et que le salaire horaire moyen est le plus faible. Sur l’ensemble de l’économie marchande, les salariés payés en dessous de 1,3 SMIC représentent 46% des salariés, dont environ 13% sont payés au SMIC.

 

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La répartition sectorielle de la capture du CICE montre que les secteurs qui en bénéficient le plus ne sont pas forcément ceux les plus à même d’utiliser (étant donné la structure antérieure de leur emploi) la prime à l’embauche. Cela tient au fait que le CICE concerne les salaires au-delà de 1,3 SMIC et jusqu’à 2,5 et concerne toutes les entreprises. Les deux « aides » vont de toute façon se cumuler pour une année jusqu’en 2018. Il est évident que les deux dispositifs ne sont ni complémentaires et ni substituables. Autrement dit, présenter le caractère pérenne de l’aide à l’embauche aux PME en argumentant sur la transformation du CICE en baisse des charges à l’horizon de 2018 est une pirouette politique. Ou bien cela laisse entendre que le CICE sera requalifié en termes de cible de salaires et de taille d’entreprises.

L’aide à l’embauche aux PME risque fort de ne pas être interprétée comme un dispositif qui dessine l’environnement futur du coût du travail et se trouve donc peu en phase avec la nature des freins à l’embauche qu’elles rencontrent. Ces freins sont fortement associés à l’incertitude sur leurs carnets de commandes futurs. Alors que les entreprises réclament l’assouplissement des règles contractuelles afin de concilier cette incertitude et l’ajustement à leur besoin conjoncturel, une prime dont la pérennité n’est absolument pas assurée ne répond pas à cette demande. Une suppression complète des charges sociales qui pèsent encore sur le SMIC aurait été interprétée comme une mesure plus pérenne et satisfaisant à la gestion de l’incertitude qui paralyse la création d’emploi. Cette suppression, compensant les effets négatifs du SMIC sur l’emploi des moins qualifiés, aurait pu restaurer la compétitivité-coût au niveau des bas salaires vis-à-vis de l’Allemagne dont le salaire minimum a été mis en place depuis 2015.

Il y a une forte probabilité que cette obole ne soit en fait qu’une belle aubaine, autrement dit que le soutien à l’embauche ne soit saisi que par les entreprises sur le point d’embaucher.




Que nous apprennent les données macro-sectorielles sur les premiers effets du CICE ? Evaluation pour la période 2014-2015t2

Par Bruno Ducoudré, Eric Heyer et Mathieu Plane

A la suite de la remise du Rapport Gallois sur le Pacte de compétitivité pour l’industrie française, le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi (CICE) a été instauré par la loi du 29 décembre 2012. Il s’agit d’un crédit d’impôt qui permet à une entreprise de déduire de son impôt sur les bénéfices une somme égale à 6 % des salaires bruts (hors cotisations sociales patronales) versés aux salariés dont la rémunération est inférieure ou égale à 2,5 fois le SMIC.

Dans une étude que nous venons de publier (Document de travail OFCE, n° 2015-29), nous utilisons l’information contenue dans les comptes nationaux trimestriels jusqu’au deuxième trimestre 2015 pour 16 branches de l’économie française afin d’obtenir une première analyse des effets du CICE sur l’économie.

Les premiers résultats indiquent que le CICE contribuerait depuis sa mise en place à deux effets significatifs concernant les salaires et l’emploi. Les branches ayant reçu le plus de CICE ont vu une augmentation relative de leurs salaires et davantage de créations ou de sauvegardes d’emplois. Nous trouvons également un effet relatif négatif sur les prix de valeur ajoutée (effet compétitivité-coût) mais cet effet nous semble plus fragile à ce stade, car il nécessite pour être significatif d’exclure trois branches de l’estimation (secteur non marchand, services à la personne, services immobiliers).

Ainsi, selon les résultats de nos estimations sur les 16 branches, pour un montant de CICE équivalent à 1% de la masse salariale, l’emploi d’une branche relativement aux autres branches augmenterait de 0,5% et les salaires augmenteraient de 0,7%. Enfin, à partir des résultats des estimations réalisées simultanément, nous pouvons quantifier ces effets relatifs interbranches, qui seraient de 1,1% pour les salaires et de 120 000 pour l’emploi (création ou sauvegarde).

Mais attention, ces effets relatifs ne doivent pas être interprétés comme un impact macroéconomique global du CICE. Plus précisément, la méthode d’évaluation ne permet ni de déterminer les effets macroéconomiques à moyen et long terme du CICE, ni de donner une répartition précise de son affectation entre hausse des salaires et de l’emploi, baisse des prix et restauration des marges des entreprises. En effet, cette méthode ne prend pas en compte l’ensemble des canaux de diffusion du CICE sur l’économie. Or ceux-ci sont de plusieurs ordres : la baisse des prix de valeur ajoutée dans une branche peut se répercuter sur d’autres branches utilisatrices ; les effets positifs du CICE à attendre sur l’activité peuvent se traduire par un surcroît d’emplois et de salaires non mesuré ici (effet de bouclage macroéconomique) ; à contrario, les effets négatifs du financement du CICE via une hausse des impôts et une moindre progression de la dépense publique peuvent peser sur l’activité, l’emploi, les salaires et les prix (effet de financement de la mesure). Plus généralement, l’ensemble des travaux portant sur des données par branche ou microéconomiques ne sera pas à même d’évaluer les effets macroéconomiques du CICE.

Une prochaine étape consistera à intégrer ces élasticités estimées par branche dans des simulations réalisées à l’aide d’un modèle macro-sectoriel de façon à prendre en compte les effets du bouclage macroéconomique, des interdépendances sectorielles et du financement de la mesure. En utilisant le modèle multisectoriel d’équilibre général dynamique ThreeME développé à l’OFCE, et qui intègre notamment des effets tels que ceux du commerce extérieur ou les relations interbranches, il sera possible de présenter les effets macroéconomiques ex post du CICE sur l’emploi, les salaires et les prix, mais aussi sur l’activité économique, les taux de marge, l’investissement et le commerce extérieur.

 

 




Le travail à temps partiel

Par Françoise Milewski

La part des emplois à temps partiel dans l’emploi total a fortement progressé. Si cette hausse était encore limitée dans les années 1970, elle s’est accélérée dans les années 1980 et surtout 1990. Durant les années 2000 et au début des années 2010, les fluctuations ont été moins marquées au regard de la longue période. La part du temps partiel a plus que doublé depuis quarante ans et il représente désormais près d’un cinquième de l’emploi.

Ces évolutions sont le résultat de plusieurs tendances économiques et sociales. Elles reflètent à la fois les transformations du marché du travail – croissance du secteur tertiaire au détriment de l’industrie et multiplication des statuts d’emplois – et les inégalités entre les femmes et les hommes. Elles sont aussi le produit des politiques publiques.

Les emplois à temps partiel sont pour l’essentiel occupés par des femmes. Ils sont aussi majoritairement occupés par des salariés de 25 à 49 ans, mais une tendance au développement du temps partiel chez les seniors apparaît. Les emplois à temps partiel sont surtout occupés par des salariés peu qualifiés. Si les durées du travail sont le plus souvent comprises entre 15 et 29 heures, la dispersion est importante, et l’on note une tendance à l’accroissement de la part des courtes quotités. Les salariés à temps partiel sont majoritairement employés à durée indéterminée ; il s’agit donc d’une forme d’emploi stable. Les salaires sont inférieurs, qu’ils soient mensuels ou horaires, et les salariés à temps partiel sont surreprésentés parmi les smicards et les bas salaires. Lorsque les horaires sont atypiques, que l’amplitude est étendue par de multiples coupures, que l’organisation du temps est fluctuante et sans prévisibilité, les conditions de travail sont dégradées.

Le temps partiel est hétérogène aussi bien dans les raisons invoquées par les salarié-e-s, lorsqu’elles ou ils en font la demande, que dans les formes d’organisation des entreprises selon les secteurs d’activité. Les temps travaillés relèvent de logiques multiples. Cela conduit à parler des temps partiels pour rendre compte de cette multiplicité.

Le développement du secteur tertiaire a porté celui des temps partiels. Les emplois à temps partiel dans les secteurs tels le commerce-distribution, l’hôtellerie-restauration, le nettoyage, les services à la personne et certains services publics sont majoritairement occupés par des femmes. Cela résulte des types de formation qu’elles acquièrent, des stéréotypes sur les compétences naturelles qu’elles auraient pour s’occuper d’autrui, de leur surreprésentation dans les emplois peu ou non qualifiés. Les arbitrages qu’elles font entre tâches professionnelles et familiales renforcent ces évolutions, soit parce qu’un plein temps leur paraît incompatible, soit parce qu’après un congé parental elles prolongent la réduction d’activité qu’elles ont expérimentée. Après un congé de longue durée, les difficultés de réinsertion sont parfois importantes.

La flexibilisation du travail au cours des dernières décennies a renforcé ces tendances. L’éclatement des formes d’emploi a concerné surtout les femmes, à la fois parce qu’elles travaillent majoritairement dans les secteurs qui en ont été à l’origine et parce que les femmes, étant en situation d’infériorité sur le marché du travail, acceptent plus facilement des emplois peu valorisés.

Les politiques publiques ont à certaines périodes favorisé le temps partiel et, à d’autres, cherché à en limiter les effets. Au carrefour d’objectifs en termes d’emploi et/ou de mesures concernant les familles, elles ont parfois souffert d’incohérences.

Au sein de l’Union européenne, les écarts entre pays sont importants, résultant d’évolutions historiques spécifiques, de consensus sociaux différents et de réglementations du marché du travail particulières.

Analyser la situation actuelle et déceler les changements en cours permet d’entrevoir les changements potentiels à venir et donc d’ouvrir des débats sur ces évolutions et ce qu’elles impliquent pour les décideurs publics. Temps partiels et temps pleins ont-ils des logiques de développement autonomes ? Au sein même des temps partiels, va-t-on vers davantage de flexibilité ou d’encadrement ? Dans quelle mesure l’autonomie des femmes est-elle mise en cause par le développement du temps partiel comme une forme d’emploi stable ? Le temps partiel est-il une forme de sous-emploi ou un mode d’intégration au marché du travail, vers le temps plein ? Autant de questions qui conditionnent l’élaboration des politiques publiques[1].

Pour en savoir plus, lire la Note de l’OFCE, n° 38 du 13 décembre 2013.

 

 


[1] Ce texte résume l’étude du Conseil économique, social et environnemental, section du Travail et de l’emploi : « Le travail à temps partiel », Françoise Milewski, Les Editions des Journaux officiels, décembre 2013, à paraître.

 




Le coup de pouce au smic va-t-il détruire des emplois ?

par Eric Heyer et Mathieu Plane

Le 26 juin, le gouvernement Ayrault a annoncé une hausse du SMIC de 2 %. Cette augmentation discrétionnaire, qui a pris effet au 1er juillet 2012, n’est pas un coup de pouce permanent de 2 % car il intègre en partie un à-valoir sur la prochaine hausse légale prévue le 1er janvier 2013. Avec une revalorisation automatique prévue à 1,4 % en janvier 2013, le coup de pouce permanent serait donc de 0,6 %. Dans une note détaillée de l’OFCE (n°22 du 17 juillet 2012), nous montrons qu’un coup de pouce permanent de 0,6 % détruirait finalement très peu d’emplois (1 400 postes) mais augmenterait légèrement le déficit public de 0,01 point de PIB.

Le financement de cette mesure entraînerait des pertes d’emplois supplémentaires : selon le mode de financement retenu, les pertes d’emplois seraient finalement comprises entre 1 900 et 2 800 postes (tableau 1).

Des effets complexes sur le coût du travail…

Le SMIC, à l’instar des autres salaires, a un statut ambivalent : il peut être considéré comme une variable de demande si l’on se place du côté des salariés mais constitue une variable d’offre pour l’entrepreneur. Par conséquent, une hausse du SMIC correspond à un choc de demande favorable pour les salariés et à un choc d’offre défavorable pour les chefs d’entreprise hors effet allègement de charges.

Dans un contexte de faible diffusion[1], ces deux effets de sens inverse ne se compensent pas :

  1. l’aspect « soutien de la demande » se limite aux seuls salariés proches du SMIC. Ceux-ci ont certes une propension marginale à consommer forte – le taux d’épargne n’augmente pas avec cette mesure – mais le nombre restreint de bénéficiaires limite les effets sur la consommation des ménages au niveau macroéconomique. Le supplément de revenu lié à cette augmentation du SMIC génèrerait 6 900 emplois ;
  2. L’aspect « hausse du coût du travail » est fortement destructeur d’emplois : l’élasticité de l’emploi au coût du travail étant décroissante[2] avec le salaire, la faible diffusion du SMIC sur les autres salaires augmentera peu le coût du travail au niveau macroéconomique mais, étant concentrée sur les bas salaires, l’élasticité moyenne sera forte (0,9). La hausse du coût du travail liée à la hausse du SMIC détruirait 26 000 emplois

Au total, selon notre simulation, une hausse de 0,6 % du SMIC, hors effet liés aux baisses de charges, entraînerait une destruction de 8 700 emplois au cours de la première année (tableau 2).  Ce résultat, intermédiaire, se situe dans la fourchette basse de celui observé par Francis Kramartz qui l’évalue entre 15 000 et 25 000 postes détruits pour une hausse du SMIC de 1% (soit entre 9 000 et 15 000 pour un coup de pouce de 0,6 %).

Mais cette estimation ne prend pas en compte les baisses de charges supplémentaires liées à la hausse du SMIC et à sa diffusion sur les autres salaires. Les salaires n’étant pas indexés sur le SMIC, un coup de pouce ne se répercute donc pas automatiquement sur la grille des salaires. Des travaux récents réalisés sur le sujet[3] et dont une synthèse est présentée dans le rapport du groupe d’experts sur le SMIC de décembre 2011, concluent à une faible diffusion du SMIC. Selon notre estimation, une hausse de 1 % du SMIC entraînerait une hausse moyenne des salaires de l’ensemble du secteur marchand de seulement 0,1 %. Or, les allègements de charges liés à la hausse du SMIC sont d’autant plus forts que la diffusion est faible. Plus la baisse du salaire relatif (en pourcentage du SMIC) est importante, plus le taux moyen d’allègement de charges augmente en raison du profil dégressif des allègements de cotisations sociales patronales.

Une augmentation du SMIC de 0,6 % entraîne ex ante une hausse du coût du travail de 0,4 % pour le 1er décile de salaire mais une baisse de 0,2 % pour le 2e décile et une diminution de 0,1 % pour les salaires allant du 3e au 5e décile. Au-delà du 6e décile, les effets sur le coût du travail sont nuls. Par ce mécanisme, pour les salaires compris entre le 2e et le 5e décile, l’augmentation des allégements de charges serait supérieure au supplément de salaires versé par l’employeur, ce qui entraînerait une baisse du coût du travail pour ces catégories.

Au final, la baisse du coût du travail liée au supplément d’allègements de charges permettrait la création de 7 300 emplois.  Au total, comme le résume le tableau 2, à l’horizon d’1 an, l’effet d’une hausse de 0,6 % du SMIC détruirait 1 400 emplois et dégraderait de 0,012 point de PIB les finances publiques.

 

…avec des effets différenciés selon la pyramide des salaires

Une hausse de 0,6 % du SMIC conduirait à détruire 4 700 emplois au niveau du SMIC mais à en créer 2 000 pour les salaires du 2e décile, 900 pour ceux du 3e décile et environ 500 au-delà.


[1] L’effet de diffusion rend compte de l’impact d’une hausse du SMIC sur la grille des salaires. Une faible diffusion a pour conséquence un écrasement de l’échelle des salaires.

[2] Selon la DGTPE, l’élasticité de l’emploi au coût du travail (DGTPE, annexes Rapport Besson, 2007) passe de 1,2 au niveau du SMIC à 0,3 pour les salaires à 1,4 SMIC puis est constante au-delà.

[3] Aeberhardt R, P. Givord et C. Marbot (2012), « Spillover effect of the minimum wage in France: An unconditional quantile regression approach », Document de travail de l’INSEE, n° G 2012 / 07 et Goarant C, L. Muller (2012), « Les effets des hausses du Smic sur les salaires mensuels dans les entreprises de 10 salariés ou plus de 2006 à 2009 », document de travail de la DARES .




Journée des droits de la femme

À l’occasion de la journée du 8 mars, nous rappelons à nos lecteurs que l’OFCE développe avec Sciences Po le Programme de Recherche et d’Enseignement des SAvoirs sur le GEnre (PRESAGE).

Dans ce blog nous avons, à plusieurs reprises, abordé le thème de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.