Emmanuel Macron signe-t-il une nouvelle politique industrielle pour la France ?

par Sarah Guillou

Le soutien à l’industrie est un sujet économique qui suscite l’adhésion à droite comme à gauche. Toutes les tendances politiques françaises s’accordent sur l’importance de l’industrie pour l’avenir de l’économie. Y fait écho un consensus des économistes qui agrège aussi de nombreuses sensibilités en reconnaissant le rôle moteur de l’industrie pour la croissance à travers les exportations et les innovations principalement – le secteur manufacturier étant responsable de plus de 70% des exportations totales et de plus de 75% de la dépense en recherche et développement. Ce consensus est même international à tel point que, en paraphrasant Robert Reich, on peut remarquer que  « sur les champs de bataille de l’ambition économique nationale, l’industrie est le nouveau fantassin ».

En France, tout le monde s’accorde aussi à déplorer le déclin des emplois industriels et plus généralement la désindustrialisation qui a fait passer la part de l’emploi industriel dans l’emploi total de 25% en 1990 à 10% en 2014. Intensifiée depuis la crise de 2007, la désindustrialisation cristallise toutes les inquiétudes à l’égard de la mondialisation ou tous les reproches faits à l’environnement réglementaire et fiscal français.

Les gouvernements, dans leur ensemble, ont été prompts à soutenir l’industrie et ont mis en place des dispositifs soutenant l’innovation, les PME, les dépenses en R&D. Le Crédit Impôt Recherche né en 1983 a été, gouvernement après gouvernement, renforcé et illustre parfaitement le consensus politique en la matière. Mais se sont additionnées et sédimentées de nombreuses aides aux entreprises créant un enchevêtrement de dispositifs et d’institutions locales et nationales, que l’OCDE, dans un rapport récent, jugeait comme assez incohérent.

Malheureusement, force est de constater que le consensus économico-politique n’a pas conduit à faire de l’industrie française une singularité mondiale en termes de performance. La politique industrielle a été incapable de contrarier l’inexorable recul de l’industrie face aux services.

Mais en jugeant de cette manière la politique industrielle, on se méprend sur les objectifs possibles de cette politique. Pour comprendre l’enjeu d’une politique industrielle, il faut l’écarter des vieux réflexes.

D’une part, opposer l’industrie aux services est suranné et n’est qu’un artefact statistique. Les services sont en passe de prendre le relai de l’innovation et des exportations, mais nos statistiques n’ont pas encore pris la mesure de ces changements. On ne sait toujours pas bien mesurer la productivité dans les services ni appréhender les canaux de l’innovation dans les services qui ne passent pas forcément par les dépenses de R&D. On constate cependant que parmi les entreprises qui bénéficient du Crédit Impôt Recherche, celles appartenant aux services augmentent d’année en année indiquant leur contribution croissante à la dépense de R&D privée. Les services sont une catégorie très hétérogène et le secteur « Information et communication », par exemple, s’éloigne moins du secteur manufacturier que du secteur des activités immobilières. Par ailleurs les exportations de services ne sont pas encore bien mesurées (ni déclarées) et ne se distinguent pas toujours très bien des mouvements de capitaux. Voilée derrière les imperfections statistiques, la globalisation n’épargne cependant pas les services qui vont de plus en plus s’inscrire dans les transactions internationales.

Malgré tout, pour le moment, il est indéniable que le secteur manufacturier gouverne la part de R&D dans le PIB et que le recul des parts de marché françaises révèle les difficultés productives des entreprises. Mais il faut dès à présent anticiper les changements de frontières sectorielles qui se jouent et ne pas s’enfermer dans une lecture des activités économiques qui est incapable de saisir les lieux futurs de la création de valeur ajoutée. La ré-industrialisation au sens de l’augmentation de la part du secteur manufacturier (ou du « retour à l’âge du faire ») n’est pas forcément le salut de l’économie du futur.

D’autre part, la politique industrielle stricto sensu n’est ni responsable de la désindustrialisation, ni le moyen de contrarier le déclin de l’emploi industriel.

Les raisons de la désindustrialisation – au-delà de la part importante causée par le progrès technique – sont à trouver dans les conditions d’exercice de l’activité économique en France relativement au reste du monde : des incitations à innover aux incitations à investir, de la fiscalité à la régulation, des qualifications à la productivité.

Pour le dire autrement, la politique industrielle n’est pas en cause dans les difficultés d’Alstom, d’AREVA, ni dans le rachat d’Alcatel-Lucent par Nokia et encore moins dans le rachat du transporteur Norbert Dentressangle par XPO…

Reconnaissons que la politique industrielle française se confond parfois avec déraison avec ce que d’aucuns appellent le « mécano industriel ». Les entreprises publiques ayant été historiquement les fers de lance de la politique industrielle, celle-ci a la particularité de doubler les logiques industrielles de logiques de pouvoirs économique et politique, ces dernières n’étant pas toujours en cohérence avec les premières. Ces incohérences ont pu participer aux difficultés des entreprises à capitaux publics.

La politique industrielle devrait se contenter d’insuffler les trajectoires technologiques et de promouvoir la croissance des entreprises. Le renouveau de la politique industrielle consistera en une approche globale des technologies d’avenir. Les modalités passeront par le développement des partenariats public-privé et l’externalisation des interventions par des agences administratives indépendantes et pérennes. Il faudrait à cet égard que le consensus politique s’étende aux moyens afin notamment d’assurer la continuité de ces agences, de façon à stabiliser le paysage institutionnel dans lequel évoluent les entreprises.

La politique industrielle est l’expression des orientations technologiques. Elle peut être plus ou moins interventionniste, s’écarter plus ou moins des simples déclarations d’intention selon les budgets qu’on y consacre, selon les contraintes budgétaires qui le permettent. Elle est d’autant plus déterminante qu’elle engage les fonds publics ou oriente les fonds privés afin de financer la demande qui s’adresse aux entreprises. Mais il faut que ce financement public corresponde soit à une vraie demande de l’Etat, comme par exemple le besoin en matériel de défense pour satisfaire la politique étrangère ou la conquête de l’espace, soit à une réelle décision d’engager la société dans certains usages, comme par exemple les énergies vertes. Dans une démocratie, il faut, qui plus est, que la demande de l’Etat soit soutenue par la demande du corps social, qui serait prêt par exemple à financer l’énergie verte en payant plus cher le carbone et l’essence à l’instar de ce qui se pratique en Allemagne.

En ce sens, les orientations de politique industrielle d’Emmanuel Macron témoignent d’une évolution positive. La réduction des 34 projets d’avenir à moins d’une dizaine est pertinente car elle permet de clarifier les engagements de l’Etat et de les rendre davantage crédibles. Aussi, l’engagement dans le numérique est la transcription d’un choix technologique. La « ré-industrialisation » tourne à présent autour des industries du futur, la numérisation et la modernisation de l’outil industriel. Il serait plus honnête de se passer de l’objectif de « ré-industrialisation » puisqu’il s’agit d’engager toute l’économie et de moderniser les moyens de production afin de faire du tissu productif, français une nouvelle étoffe plus solide.

Cependant, les objectifs annoncés ne reposent pas sur des choix technologiques très risqués et engagent peu de moyens : 2,5 milliards d’avantage fiscal pour les entreprises investissant dans leur outil productif au cours des 12 prochains mois (le sur-amortissement annoncé il y a un mois) et 2,1 milliards d’euros de prêts de développement supplémentaires distribués par BPI France aux PME et ETI au cours des deux prochaines années. Ils n’entraînent pas, heureusement, la création d’une instance supplémentaire de médiation de la nouvelle politique. Quant au rôle de l’Etat actionnaire, le discours est plus serein vis-à-vis de la globalisation et plus encourageant à l’égard de la coopération européenne – comme l’aura montré la réaction au processus de fusion de Nokia avec Alcatel-Lucent. Les décisions du Ministre ne semblent cependant pas s’écarter d’une totale neutralité, comme l’aura montré l’affaire des actions à vote double que l’Etat a imposé à Renault.

Le renouveau de la politique industrielle reste cependant modeste eu égard aux moyens et aux objectifs, mais il a le mérite d’assigner à la politique industrielle des objectifs qu’elle peut éventuellement tenir.

 

 

 




Le problème de l’investissement français n’est pas quantitatif

par Sarah Guillou

L’investissement est devenu l’objet prioritaire des politiques européenne et française. Sa relance est devenue même urgente pour le gouvernement qui, en ce début de printemps 2015, souhaite accélérer l’investissement productif. L’investissement est à la fois un acte économique qui dessine la trajectoire de croissance de l’économie et un signal majeur de la vitalité des entreprises pour pérenniser leur capital productif ou l’accroître. Créer un environnement économique favorable à l’investissement doit être une priorité des politiques économiques. Encourager une augmentation des investissements des entreprises dans un contexte de faible croissance est fortement souhaitable. Mais pour bien cibler cet encouragement, il faut faire le bon diagnostic sur la nature de la faiblesse de l’investissement des entreprises françaises : il est moins quantitatif que qualitatif.

A bien y regarder, le comportement d’investissement des entreprises françaises ne montre un recul marqué ni relativement au début des années 2000, ni relativement aux autres économies partenaires. Le taux d’investissement est l’un des plus élevé de la zone euro (graphique).

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Ce qui conduit à une situation assez énigmatique : la désindustrialisation, les pertes de parts de marché à l’exportation, la baisse des taux de marge, la décroissance de la productivité, le positionnement technologique en recul sont autant de signes des difficultés des entreprises françaises. Mais cela est concomitant avec le maintien de l’investissement qui ne souffre pas d’un décrochage majeur par rapport à ses partenaires.[1]

Les hypothèses avancées pour comprendre cette énigme sont au nombre de quatre: 1°) les investissements de remplacement/renouvellement sont dominants et le capital productif français est obsolète; 2°) les investissements ne sont assez pas productifs, la part des investissements en construction est trop importante relativement aux investissements en machines-outils et robots ; 3°) les investissements se substituent au facteur travail en France en raison de la baisse continue du coût du capital relativement au coût du travail ; 4°) ce qui compte pour la compétitivité c’est l’investissement dans les actifs intangibles et c’est là que le bât blesse pour les entreprises françaises.

Ces hypothèses sont discutées dans la Note de l’OFCE, n° 51 du 30 avril 2015 pour apprécier leur poids explicatif respectif.

Au final, les quatre hypothèses concourent à expliquer la résilience de l’investissement en parallèle avec la fragilité des indicateurs de performance des entreprises françaises. On ne peut donc justifier simplement des mesures en faveur de l’investissement par des arguments catastrophistes sur son niveau. L’investissement est une variable qui mérite toutes les attentions. Mais, aujourd’hui, ce n’est pas son niveau qui pose problème (étant donné la faible croissance), c’est sa qualité et sa répartition. Si le renouvellement a jusqu’à présent constitué le motif principal, il importe de cibler les investissements qui augmenteront le capital productif et donc l’intensité capitalistique de l’entreprise. Le recul des investissements en construction est en marche mais la « ré-industrialisation » qui relancerait les investissements en machines-outils et en R&D n’est pas  encore nettement sur les rails.

La politique de soutien à l’investissement énoncée le 8 avril 2015 semble s’orienter vers une différenciation des investissements selon leur nature afin de cibler précisément les investissements productifs, et le gouvernement a établi une liste très précise qui cherche à évincer les investissements de renouvellement (Bulletin Officiel du 25 Avril 2015).[2]

Les difficultés à apprécier l’efficacité de telles mesures de soutien reposent sur la confusion entre la cause et la conséquence : un investissement dynamique est un signal positif de croissance de l’économie, il en est aussi la cause. Le processus d’investissement est un cercle vertueux mais la porte d’entrée d’un cercle en mouvement n’est pas toujours là où on l’attend. Il est possible d’accélérer l’amortissement du capital par des règles comptables et ainsi d’accélérer le renouvellement. Il est beaucoup plus difficile de provoquer une croissance des investissements nets du remplacement du capital existant car ce type d’investissement répond avant tout à l’anticipation de l’augmentation de la demande.

Le souhait du gouvernement d’entrer dans le cercle vertueux de l’investissement pour en accélérer la rotation repose sur l’hypothèse que les entreprises ont des investissements productifs en attente et que cet attentisme est causé par la faiblesse de leurs marges après impôt. D’où l’idée d’accorder un énième crédit d’impôt aux entreprises après le CIR, le CICE et les autres niches fiscales. Le taux d’imposition effectif français va devenir de plus en plus compétitif ! Mais quelle est la part des entreprises qui entre dans cette configuration ?

Par ailleurs, cette politique comporte des risques d’échec non négligeables : si l’augmentation des investissements en équipements robotiques se traduit par une diminution du facteur travail donc de l’emploi , si la demande en biens d’équipement est satisfaite par l’étranger (on aurait aimé que l’Allemagne se lance dans un tel soutien à l’investissement privé), si les entreprises réalisent par anticipation des investissements qu’elles auraient de toute façon réalisés, si l’avantage fiscal précipite des investissements de capacité sans l’assurance d’une augmentation des carnets de commande, alors le soutien à l’investissement de 2,5 milliards sur 5 ans ne créera pas le surcroît de croissance escomptée.

Le pari le plus risqué reste celui de l’emploi. Si on augmente l’investissement net du renouvellement, on augmente la part du capital dans l’entreprise. Si la valeur ajoutée reste constante, le maintien des marges ne peut se faire qu’avec une baisse des salaires ou de l’emploi. Pour que l’emploi augmente, il faut soit que la demande qui s’adresse à l’entreprise croisse à qualité de ses produits constants, et/ou que l’investissement se traduise par une amélioration de sa compétitivité hors-prix de façon à capturer des parts de marché nouvelles. Mais, ces résultats ne se produiront qu’à moyen terme.

Le gouvernement dépasse ce raisonnement primaire en pariant sur une complémentarité entre les investissements de robotisation et de mécanisation et le travail qualifié. Michaels et Graetz (2015) ont montré, en utilisant des données pour 17 pays et 14 industries, que l’intensité de robotisation se traduit par une hausse de la productivité et des salaires mais sans provoquer, globalement, de diminution du nombre d’heures travaillées. Cependant, l’introduction des robots dans les entreprises aurait un impact négatif sur le travail non-qualifié ou moyennement qualifié. Il faut donc que les travailleurs soient prêts en termes de qualification à participer et à accompagner cette intensification technologique et capitalistique et non à la subir. Ce qui compte donc pour que naissent des gains de productivité, c’est la nature des investissements et la complémentarité entre le travail et le capital.

 

 


[1] Ces constats sont corroborés par diverses notes récentes sur l’investissement : INSEE (2013), Observatoire du financement des Entreprises (2014), France Stratégie (2014).

[2] La mesure met en place un suramortissement de 40% permettant aux entreprises d’amortir les investissements à hauteur de 140% de leur valeur. Cinq catégories d’investissements productifs sont éligibles et devront être réalisés entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016. Cette mesure induit une baisse de l’impôt sur les sociétés en conséquence d’une déduction supplémentaire liée au suramortissement.




Qui des Etats-Unis ou de l’Union européenne sera le meilleur terrain de jeu fiscal des entreprises ?

par Sarah Guillou

En matière de concurrence fiscale, deux événements récents démontrent les divergences de vues américaine et européenne. Il y a tout d’abord l’affaire Boeing, société contre laquelle l’Union européenne (UE) a entrepris une demande de consultation auprès de l’OMC. L’UE conteste les aides fiscales offertes par l’Etat de Washington au constructeur aéronautique américain. Puis, il y a l’enquête de la Commission européenne à l’égard du Luxembourg au sujet des dispositions fiscales dont bénéficient Amazon, le groupe de distribution sur Internet. Boeing et Amazon sont des acteurs intensifs de la concurrence fiscale. Alors que celle-ci est largement répandue et admise aux Etats-Unis, elle est de plus en remise en question dans l’UE, voire exclue de droit, si elle est qualifiée d’aide publique illégale.

Dans l’affaire Boeing, l’UE a demandé en décembre 2014 une consultation à l’OMC au sujet des aides fiscales versées par l’Etat de Washington pour la fabrication du nouveau Boeing 777X. Ces aides s’élèveraient à 8,7 milliards de dollars pour assurer l’assemblage dans l’Etat. Mises en place en novembre 2013 par l’Etat de Washington, son gouverneur a décidé de les prolonger jusqu’en 2040 ! Les aides conditionnent la production à l’usage de produits locaux, autrement dit, le bénéfice des aides fiscales est lié « à des prescriptions relatives à la teneur en éléments locaux ». Or ces prescriptions sont contraires à l’Accord de l’OMC sur les subventions et mesures compensatoires. Nous ne discuterons pas ici de la plainte de l’UE dont on attend la réponse américaine, et qui s’inscrit dans un conflit récurrent entre Boeing et EADS concernant les aides publiques qu’ils reçoivent. Cette affaire offre cependant l’occasion de saisir l’intensité de la concurrence fiscale qui existe aux Etats-Unis entre les Etats.

Si les Etats-Unis ont, comme l’UE, le souci de la non-discrimination qui s’exprime dans la doctrine de la Clause de commerce de la Constitution américaine, en pratique, la jurisprudence, qui est un contrôle a posteriori, a du mal à donner une définition de la discrimination qui conduit à l’interdiction des réglementations discriminantes. Il s’ensuit que les Etats sont libres d’offrir des subventions ou des avantages fiscaux aux entreprises – toutes ou certaines – pour attirer les investissements et les emplois. Rappelons qu’en Europe, le contrôle des aides publiques se fait a priori et qu’il est totalement exclu que des aides puissent être accordées spécifiquement à des entreprises (voir Guillou, 2013, le blog). Aux Etats-Unis, Boeing est un acteur de premier plan de cette concurrence fiscale.

Un bureau d’études américain « goodjobsfirst », qui traque les aides et subventions accordées aux entreprises par les institutions publiques, a mis en évidence que 965 entreprises concentraient 75% de l’aide. C’est Boeing qui reçoit en valeur le plus d’aides. Elles proviennent principalement de deux Etats, l’Etat de Washington et l’Etat de Caroline du Sud, auxquelles s’ajoutent de nombreuses aides (130 contrats) en provenance de tous les Etats-Unis. Le cumul de toutes ces aides – révélées – se monte à 13 milliards de dollars. Boeing est un récipiendaire loin devant les autres entreprises, puisque Alcoa en deuxième position reçoit moins de la moitié (5,6 milliards de dollars). Une autre étude indique que 22 Etats se sont faits concurrence pour accueillir la fabrication du nouveau 777X Airliner. Boeing a finalement décidé de rester dans la région de Seattle et a accepté l’aide de l’Etat de Washington reposant sur un accord fiscal d’une durée de 16 ans estimé à plus de 8,7 milliards de dollars, l’aide la plus importante versée aux Etats-Unis. Le « lobbying » des entreprises aux Etats-Unis est bien plus important qu’en Europe et il explique une grande part de cette concurrence que se font les Etats pour attirer les entreprises. Les Etats-Unis se plaignent de la concurrence fiscale étrangère (notamment vis-à-vis de l’Irlande) mais l’acceptent totalement sur leur territoire. Cette position ne prévaut pas pour l’UE, bien évidemment, parce que l’Union n’est pas fiscalement intégrée.

En effet, en Europe, l’harmonisation fiscale n’est pas encore à l’ordre du jour. Mais la concurrence fiscale est de plus en plus en débat. Ce dernier n’est pas vain puisqu’il a poussé l’Irlande à renoncer à son système du « double Irish » qui permettait à certaines entreprises localisées en Irlande d’être imposées dans des paradis fiscaux. Depuis janvier 2015, un processus de retrait pour les entreprises bénéficiant de ce régime a été entamé. Si le maintien d’une fiscalité différenciée est admis en Europe, ce sont les excès de la concurrence fiscale qui la rendent intolérable dans le marché commun. Quand les stratégies d’optimisation fiscale des entreprises rencontrent les stratégies d’attraction des emplois et des investissements des Etats, l’ingéniosité des administrations fiscales constitue une menace pour le marché commun. Et le plus inquiétant est que se légalise un « contournement » de la règle fiscale commune.

Le contrôle européen des aides publiques est un puissant gardien de l’usage des deniers publics et de la non-discrimination au sein du marché européen. Ce contrôle pourrait bien devenir l’instrument de la lutte contre les « loopholes », ces failles dans le système fiscal qui entraînent des pertes notables de ressources publiques. Ce qui est reproché au Luxembourg est attaché à son système de rescrit fiscal  (ou « tax rulings »). Le rescrit fiscal est une procédure de négociation d’un Etat avec une entreprise de son futur statut fiscal. Qualifié de « commercialisation de la souveraineté étatique », cette procédure est très répandue au Luxembourg et a été mise au jour par une enquête journalistique récente publiée en novembre 2014 (Le Monde) qui montre que le Luxembourg n’est pas le seul pays à procéder à ces « tax rulings ».

Le Luxembourg attire un grand nombre d’entreprises multinationales qui choisissent d’y localiser leur siège européen en conséquence d’une optimisation fiscale. C’est le pays de l’UE pour lequel le rapport entre le PNB (la production des nationaux) et le PIB (la production des résidents) est le plus faible : il est de 64% en 2013 contre un peu plus de 100% pour la France et pour l’Allemagne. Autrement dit, le Luxembourg perd plus d’un tiers du revenu national après versement des revenus aux entreprises étrangères résidentes (nets des revenus reçus). Cela révèle l’opportunisme fiscal des nombreuses entreprises multinationales qui y sont implantées et pour lesquelles le marché luxembourgeois n’est évidemment pas une cible.

Dans le cas d’espèce, le Luxembourg aurait accordé à Amazon une valorisation de ses prix de transfert, que la Commission européenne (CE) juge surestimés conduisant à sous-estimer la base imposable (voir la décision de la CE récemment rendue publique).

Les prix de transfert sont les prix des biens et services échangés entre filiales d’un même groupe. Ces échanges doivent théoriquement être valorisés au prix du marché, c’est-à-dire au prix qui serait payé par une entreprise qui ne serait pas une filiale du groupe. Les décisions sur ces prix peuvent modifier les montants des achats et des recettes et donc les profits des filiales. La logique des groupes est de minimiser les profits là où les taux d’imposition sont élevés et de les reporter là où les taux sont faibles. Ce sont moins les prix des marchandises qui sont manipulés que les prix des biens intangibles comme les brevets, les droits ou autre éléments de propriété intellectuelle (marques, logos, …). Les firmes multinationales qui sont détentrices de capital immatériel, comme le sont les géants de la Silicon Valley, sont les acteurs les plus actifs de cette manipulation.

Un moyen de prévenir ces manipulations de prix de transfert en Europe serait de rendre obligatoire le calcul d’une assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés. C’est ce que propose le projet de directive ACCIS de 2011 toujours en discussion. L’arbitrage entre les différents pays européens serait rendu inutile puisque l’assiette serait consolidée et ensuite répartie entre les Etats selon une formule qui tiendrait compte des immobilisations, de la main-d’œuvre et du chiffre d’affaires. Les Etats resteraient maîtres de leur taux d’impôt sur les sociétés. Il est prévu que ce régime d’assiette commune soit optionnel. Il n’est pas sûr que cette caractéristique suffise à faire adopter la directive qui demande, en matière fiscale, l’unanimité des voix qui sont, pour le moment, très discordantes.

De l’autre côté de l’Atlantique, les Etats-Unis ont un système d’assiette consolidée au niveau de la Nation et un taux fédéral commun d’imposition sur les sociétés. Mais les taxes locales, qui peuvent varier entre 1 et 12%, sont en général déductibles du calcul de l’impôt fédéral. La question des prix de transfert entre des filiales de différents Etats peut donc se poser également. Et ce, d’autant plus qu’au taux local d’imposition sur les bénéfices se soustraient des crédits d’impôts divers attribués à certaines entreprises.

L’issue de l’enquête portant sur le Luxembourg et Amazon sera importante pour l’avenir de la directive ACCIS, notamment dans sa version restreinte aux entreprises du numérique. Si le jour n’est pas encore là où l’UE statuera que « le secret bancaire est une forme déguisée de subvention » (G. Zucman, La richesse cachée des nations), l’investigation concernant Amazon signale que l’UE commence à poser certaines limites à la concurrence fiscale que pourraient bientôt nous envier les contribuables américains.

 




La compétitivité française, objet de la politique de l’offre

par Sarah Guillou

Le débat politique opposant ceux qui voudraient donner la priorité à une politique de la demande à ceux qui au contraire placent les conditions de l’offre comme l’objectif premier peut être éclairé par le récent rapport du World Economic Forum sur la compétitivité (The Global Competitiveness Report 2014-2015) [1]. Rappelons que la compétitivité est une dimension clé de la croissance future des économies matures spécialisées dans les hautes technologies ou les produits à forte valeur ajoutée[2].

La France se classe en 23e position au regard de l’indicateur de compétitivité globale calculé par l’organisation « World Economic Forum ». Dépassant la simple mesure traditionnelle des coûts de production relatifs, cet indicateur de compétitivité incorpore de nombreux sous-indicateurs (100 au total) qui couvrent de nombreuses dimensions du fonctionnement des marchés des produits, des marchés du travail, des institutions mais aussi des indicateurs relatifs au capital humain, aux infrastructures et au système d’innovation ainsi que des mesures qualitatives issues d’enquêtes d’opinion. Un ensemble de dimensions qui déterminent in fine le niveau de productivité. L’indicateur de compétitivité proposé est « global » d’une part par l’ampleur des dimensions incluses et d’autre part par le nombre de pays couverts.

La compétitivité est mesurée relativement à 143 pays. La pondération des sous-indicateurs est déduite de l’appartenance des pays à une catégorie de niveau de développement économique : phase 1, gouvernée par la disponibilité des facteurs ; phase 2,  en transition de la phase 1 à  la phase 3 ; phase 3,  gouvernée par l’efficacité des facteurs ; phase 4 en transition de la phase 3 à la phase 5 ; phase 5,  gouvernée par l’innovation. Selon la catégorie, l’importance accordée à chaque sous-indicateur pour la détermination du niveau de compétitivité diffère. Ce qui explique que le classement ne reflète pas tout à fait la hiérarchie traditionnelle des pays selon leur niveau de richesse économique. Par ailleurs, la diversité des indicateurs entrant en jeu peut conduire à rapprocher dans le classement des profils économiques très différents : ainsi la Russie talonne l’Italie classées respectivement aux 49e et 53e rangs ; les Emirats Arabes Unis suivent la Norvège classée 11e.

Au regard du débat sur l’arbitrage offre-demande, il est intéressant de remarquer que l’indicateur de compétitivité globale repose sur un ensemble de sous-indicateurs qui ne relèvent pas tous de réformes structurelles associées à l’offre et nombreux sont ceux qui résultent d’un soutien équilibré de la demande. Ainsi, par exemple, la disposition de capital humain de qualité (qualifié, en bonne santé…) ne nécessite pas seulement un environnement qui valorise le travail et la récompense au mérite, mais un niveau de sécurité et de protection sociale qui participent à la qualité de vie qui attire et retient le capital humain et donc un certain niveau de dépenses publiques. C’est aussi vrai des infrastructures. Plus généralement, l’indicateur de compétitivité est le résultat d’un équilibre entre niveau de dépenses publiques et réformes structurelles, dosage qui permet que les indicateurs se complémentent.

La première place tenue par la Suisse récompense la qualité de son environnement économique – infrastructure, capital humain, institutions, confiance, stabilité macroéconomique – qui compense la faiblesse de la taille du marché, du degré d’ouverture et de spécialisation dans les industries manufacturières de haute technologie[3]. Six pays européens sont dans le top 10, ce qui doit nous rassurer sur le modèle européen[4]. L’économie française stabilise sa position dans le classement relativement à l’année précédente après quatre années de recul – elle était classée 16e en 2008.

Parmi les 144 pays classés, la France doit sa place dans le premier quintile (les premiers 20%, soit les 28 premiers pays) à la qualité de ses infrastructures, la qualité de son système éducatif, son niveau technologique et sa culture entrepreneuriale[5]. La compétitivité est avant tout un concept relatif et dans une économie mondiale où de plus en plus de pays ambitionnent d’appartenir au top 10 des puissances économiques, le jugement sur l’économie française dépend fortement du groupe auquel elle aspire appartenir. Ce qui interroge, c’est que celle-ci a longtemps appartenu à ce top 10 et que ses principaux compagnons historiques y sont toujours (Allemagne, Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas, Etats-Unis). Relativement à ce premier quintile, qui regroupe entre autres 13 pays européens, les Etats-Unis, le Canada, le Japon et la Chine, sa place en queue de peloton n’est pas glorieuse et nécessite qu’on s’interroge sur les indicateurs qui placent l’économie française parmi les moins compétitives. Le fonctionnement du marché du travail, la position budgétaire de l’Etat, sa moindre performance relative en termes d’environnement favorable au travail et à l’investissement expliquent principalement cette position.

Plus précisément, l’analyse des sous-indicateurs – parmi les 100 – pour lesquels la France a une performance la plaçant dans le dernier tiers des 144 pays, avec donc un rang de classement entre la 96e place et la 144e, et en la comparant avec des pays proches (voir graphiques 1 à 3) permet de révéler les faits saillants suivants :

1)      Le poids des réglementations administratives, l’effet des taxes sur les incitations à investir, l’effet des taxes sur les incitations à travailler, la coopération dans les relations employés-employeurs, la pratique à l’embauche et au licenciement et le taux d’imposition en pourcentage des profits sont les dimensions les plus contrastées relativement à l’Allemagne, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.

2)      La contre-performance française est souvent dépassée par la contre-performance italienne.

3)      Les indicateurs relatifs à la politique budgétaire sont problématiques mais pas de façon fortement distincte de ses partenaires.

Le fonctionnement du marché du travail, et plus généralement l’environnement réglementaire qui influence les incitations au travail et à l’investissement, ressortent donc comme les dimensions qui tirent l’indicateur de compétitivité globale vers le bas. Précisons que ces indicateurs sont établis à partir de mesures objectives (nombre de réglementations, niveau des taxes, données macroéconomiques par exemple) mais aussi essentiellement à partir des réponses à une enquête auprès des chefs d’entreprises. Ceux-ci doivent indiquer, sur une échelle de 1 à 7, leur appréciation de différents items sous-jacents aux indicateurs. Les indicateurs révèlent donc principalement une réalité ressentie. Pour la France, la faiblesse du classement dans les dimensions soulignées en 1) révèle la sévérité du jugement des entrepreneurs.

Les enseignements de politiques économiques sont les suivants. La marge de progression la plus large et la singularité de la position française se trouvent dans les dimensions soulignées en 1). Des réformes structurelles sont à mener en priorité sur la lourdeur des réglementations administratives, les incitations au travail et à l’investissement et sur la qualité des relations employés-employeurs. Mais quelles politiques pourraient bien y parvenir ?

La simplification administrative et le Pacte de responsabilité vont dans le bon sens mais on peut se demander si les mesures prises modifieront la perception qu’ont les entreprises des incitations économiques de leur environnement administrativo-légal. Par ailleurs, rien n’est entrepris en ce qui concerne l’amélioration des relations employés-employeurs. Enfin, il serait souhaitable que les gouvernements adoptent une position neutre et stable vis-à-vis des entreprises, position, qui, ni ne méprise leur rationalité économique, ni hypertrophie leur pouvoir sur l’avenir industriel. Et même si le divorce entre l’Etat et les entreprises est en partie « constitutionnel » comme le prétend Jean Peyrelevade[6], on ne peut pas renoncer à améliorer le dialogue social et à réconcilier les entreprises françaises avec leur habitat économique et le pouvoir réglementaire. C’est une des clés de la compétitivité française.

Au final, le triple enseignement de ce rapport est 1°) de rappeler que la compétitivité est la conjonction de nombreux éléments qui ne se résume pas simplement à faciliter l’exercice de l’activité économique (i. e. baisses d’impôt, flexibilité du marché du travail), 2°) que les économies les plus compétitives ne sont pas celles où la puissance publique s’est retirée car de nombreuses dimensions exigent un Etat qui investisse efficacement (dans l’éducation et les infrastructures) et qui oriente les capitaux (dans les énergies renouvelables par exemple) ; 3°) que la marge de progression de la compétitivité française se situe aujourd’hui, non pas dans les investissements publics, mais dans les incitations au dialogue social, à l’emploi, au travail et à l’investissement.

Ce classement procure donc un faisceau de preuves que les conditions de l’offre peuvent être grandement améliorées en France et que des réformes en ce sens sont impératives si l’objectif prioritaire est la compétitivité de l’économie française.

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[1]L‘exercice du calcul de la compétitivité par le World Economic Forum a commencé en 1979 et s’est progressivement élargi à plus de dimensions et plus de pays.

[2] Ces activités productives sont en effet associées à des rendements d’échelle croissants – en raison des coûts fixes d’entrée élevés, R&D notamment – qui impliquent une viabilité économique à grande échelle, c’est-à-dire à une échelle qui dépasse le seul marché domestique.

[3] De même, la transparence politique est plus valorisée que la transparence économique.

[4] Suisse, Finlande, Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède.

[5] Précisément : « the country’s business culture is highly professional and sophisticated » (page 23).

[6] J. Peyrelevade, Histoire d’une névrose, la France et son économie, Albin Michel, 2014.




La dévaluation fiscale française ou quand l’Achille français s’évertue à rattraper la tortue allemande

par Sarah Guillou

Dans les années 1980, dans le cadre du mécanisme de change du SME, la France avait à plusieurs reprises procédé à des réalignements monétaires assimilables à des dévaluations – en 1981, en 1982, en 1983 puis en 1986. L’Allemagne de son côté adoptait une rigoureuse – déjà ! – stratégie de désinflation compétitive qui, disait-on alors, conduisait à discipliner ses entreprises qui ne pouvaient compter sur des avantages temporaires obtenus par la dévaluation monétaire rendant les produits exportés compétitifs. Elles étaient contraintes de procéder aux investissements qui construisaient leur compétitivité hors-prix future. Ce qu’elles ont fait …

La France, au même moment, récoltait de ses dévaluations une inflation importée et les entreprises connaissaient une moindre incitation à investir dans la compétitivité hors-prix. L’arrimage au deutsche mark puis l’Union monétaire furent alors présentés comme les moyens de sortir la France de cette stratégie sans fin de dévaluation inflationniste. Avec retard, la France finissait par se ranger à la stratégie de désinflation compétitive allemande et par renoncer à la dévaluation monétaire. Les années 1990 furent celles de la stratégie du franc fort.

Aujourd’hui, les termes du débat semblent inversés, bien que la position de la France soit toujours celle d’Achille qui court après la tortue allemande. Une nouvelle forme de dévaluation compétitive a la cote : pas celle du taux de change, car l’euro s’inscrit dans un mécanisme de marché qui détermine sa valeur, mais celle qui passe par une baisse du coût du travail supporté par les entreprises, financé en partie par une hausse de la TVA. On parle alors de dévaluation fiscale. Ainsi, P. Aghion, G. Cette et E. Cohen dans « Changer de Modèle » la défendent au motif qu’il faudrait « penser autrement »[1]. Le gouvernement s’y attache également à travers le Crédit Impôt Compétitivité Emploi (CICE) et ses projets de diminution des cotisations sociales incluses dans le Pacte de stabilité 2015-2017.

En quoi une baisse du coût du travail est-elle assimilable à une dévaluation, dite « fiscale » ? Pour rappel, une dévaluation monétaire se traduit par une baisse des prix domestiques relativement aux prix étrangers parce que la valeur de la monnaie domestique est diminuée relativement à une unité de monnaie étrangère. Une dévaluation de l’euro, si elle était possible, ce serait un montant d’euros plus élevé pour acheter un dollar et donc, en conséquence, une voiture européenne à 10 000 euros verrait sa contrepartie en dollars plus faible et deviendrait plus attractive pour un acheteur américain détenant toujours la même somme en dollars dans son portefeuille. Plus généralement, une dévaluation assure que le coût de production des entreprises domestiques devient moins cher relativement à leurs concurrentes étrangères et les premières disposent alors d’un avantage de coût et d’un accroissement de compétitivité. D’où le terme de dévaluation compétitive.

En baissant le coût du travail à la charge des entreprises, on suppose que cela baissera les prix des produits exportés (et des produits et services incorporés) – et ceci alors même que le coût du travail ne couvre pas la totalité du coût de production. En augmentant la TVA sur l’ensemble des produits, le prix des produits importés de leur côté augmente. L’effet dévaluation – c’est-à-dire la baisse du prix domestique par rapport au prix étranger – ne se produira que si le prix du concurrent reste constant. Donc, à condition qu’il ne procède pas à la même politique au même moment ! Par ailleurs cela aura vraiment un impact sur la compétitivité si le différentiel de prix, préexistant à la politique de dévaluation fiscale,  est plus que compensé par la baisse du coût du travail.

À cela s’ajoutent deux interrogations. Tout d’abord, on ne connaît pas l’élasticité des prix au coût du travail. En d’autres termes, on ne sait pas dans quelle mesure les entreprises répercutent la baisse des charges patronales sur les prix. Ensuite, les études sur le marché du travail montrent que les salaires ont une élasticité positive au coût du travail. Autrement dit, à moyen terme et surtout pour les salaires élevés, la baisse des charges sociales pesant sur les salaires se traduira par une hausse des salaires.

Des effets de moyen terme sont alors mobilisés pour défendre la politique de dévaluation fiscale. La baisse des charges patronales redonne des marges de manœuvre dans un premier temps, ou plutôt de trésorerie, pour conduire les entreprises à investir, dans un second temps, justement grâce au rétablissement de leurs marges. Au passage, cet effet exclut le précédent – c’est-à-dire la baisse des prix – ou sera maximum si la baisse des prix ne se produit pas. Il est cependant possible que les marges dégagées soient un effet secondaire de la baisse des prix qui augmente les ventes, tout en augmentant le profit unitaire dans une structure de coût à rendements d’échelle croissants, même si cela ne concerne que peu d’entreprises. Supposons à présent que les marges dégagées se traduisent par des investissements. Cela peut améliorer leur compétitivité hors-prix (la qualité intrinsèque des produits) dans le futur. Ce second aspect de la dévaluation fiscale est souvent mis en avant en parallèle avec le constat que les entreprises françaises, et l’industrie manufacturière en particulier, souffrent de conditions fiscale et réglementaire handicapantes dans la concurrence internationale et souffrent d’un déficit de qualité de leurs produits. Mais ici les analyses macroéconomiques ne peuvent plus être mobilisées et on connaît beaucoup moins bien les ressorts microéconomiques en termes de compétitivité hors-prix de l’impact de la baisse des charges.

Terminons à présent avec ses effets attendus à plus long terme. Comme le soulignent en note de bas de page Aghion et alii page 58, les effets de la dévaluation fiscale sont temporaires. En effet, comme la dévaluation monétaire, la dévaluation fiscale conduira à une augmentation des salaires en raison du mécanisme précisé plus haut. Par ailleurs, si le financement de cette baisse des charges se traduit par une baisse du pouvoir d’achat des ménages en raison de la hausse de la TVA, ceux-ci pourraient également exiger une hausse de leurs salaires nominaux. La baisse des prix relatifs gagnée dans un premier temps sera annulée à long terme par la hausse des salaires. Les auteurs pourraient argumenter de la quasi-déflation européenne pour évincer cet effet collatéral de la dévaluation. Ils défendent plutôt l’intervalle qui redonnera du souffle aux entreprises. En fait, les auteurs défendent ce qui ne relève pas de l’effet direct de la dévaluation mais de son effet indirect sur le niveau d’investissement grâce à l’augmentation des marges.

Or, c’est d’ailleurs sans doute l’objectif du CICE puisqu’il vise l’impôt et non les charges patronales directement, au contraire du pacte de responsabilité dont l’objectif est prioritairement l’emploi. En accordant un crédit d’impôt, le CICE cherche à dégager des marges pour l’investissement afin de conquérir une compétitivité hors-prix. Le problème est que l’amélioration de la compétitivité n’a rien d’assurée (voir Guillou et Treibich, Note de l’OFCE, n° 41 du 19 juin 2014 sur le CICE et la compétitivité) et que le double objectif de ce crédit d’impôt (emploi et compétitivité) compliquera la décision des entreprises.

Pour reprendre la suggestion faite par Aghion et alii, le souvenir des dévaluations compétitives françaises des années 1980 peut nous conduire à « penser vraiment autrement », c’est-à-dire à cesser d’appliquer des politiques que les autres ont déjà appliquées. Penser autrement consisterait à anticiper la concurrence du futur plutôt qu’à répliquer une politique que les autres pays ont engagée, ce qui n’est évidemment pas si simple. Et l’intérêt de l’ouvrage de Aghion et alii est d’embrasser un ensemble de réformes qui, simultanément, pourraient bien engager la France dans une autre trajectoire. Mais entamer une dévaluation fiscale alors que tous les pays européens vont potentiellement le faire ou l’ont déjà fait sera largement insuffisant, voire dangereux si elle génère une course au « moins-disant social ». Elle ne se justifie que parce que l’intégration européenne exige un certain alignement des conditions de coût des entreprises, donc en raison de la concurrence fiscale. Un train de retard fiscal dans un marché européen intégré est très coûteux, certes, mais l’Achille français ne rattrapera pas la tortue allemande partie en avance sur le terrain de la compétitivité avec l’arme de la dévaluation fiscale.

Une meilleure stratégie serait de prendre un train d’avance. Il faut anticiper, à défaut de pouvoir harmoniser les conditions fiscales des entreprises. L’Allemagne a anticipé la concurrence des pays émergents et a procédé à la TVA sociale ou dévaluation fiscale. Une politique qui changerait de « modèle » devrait anticiper la concurrence de demain en Europe et dans le monde. Or, cette concurrence ne se fera pas sur le coût du travail. Preuve en sont les orientations des pays à faible coût relatif du travail qui substituent de plus en plus de capital au travail. Ainsi la Chine est devenue déjà le plus gros acheteur mondial de robots industriels (Financial Times, 1er Juin 2014). La concurrence future se construira autour de la poursuite de deux tendances déjà en place : la division des processus de production accélérée par les possibilités technologiques et le remplacement du travail par la technologie. L’essentiel de la valeur ajoutée se concentrera en amont de la production, dans la conception et/ou en aval dans les services associés. Autrement dit, il faut aussi que le gouvernement s’intéresse au coût du capital, notamment en termes de coût d’opportunité de l’investissement.

La question du coût du travail est le problème de l’emploi des moins qualifiés (évidemment absolument important en soi), mais n’est pas au cœur de la question de la compétitivité. A s’efforcer de régler les problèmes du présent, le coût du travail, on risque de manquer les investissements qui assureront le futur. La France cessera-t-elle d’être l’Achille qui court après la tortue allemande ? Une des façons de résoudre le paradoxe de Xénon serait d’inventer un gouvernement qui s’inscrive dans la continuité. A défaut, il nous faut rompre avec une stratégie de rattrapage et opter pour un « modèle » plus conquérant.

 


[1] C’est précisément le titre du premier chapitre du livre de P. Aghion, G. Cette et E. Cohen, Changer de modèle, Ed. Odile Jacob, 2014.




Le contrôle européen des aides publiques : bon ou mauvais pour l’industrie ?

Par Sarah Guillou

A l’issue d’une réunion des ministres de l’Industrie à Bruxelles, le 20 février 2014, Arnaud Montebourg a critiqué le contrôle des aides par la Commission européenne qu’il juge trop strict alors que l’industrie a besoin d’aides. Il souhaite que les aides aux industries qui utilisent l’énergie de façon intensive soient soumises à dérogation en raison de la concurrence d’entreprises américaines qui bénéficient d’un coût de l’énergie bien plus faible (estimé, en moyenne, à un tiers du coût européen). Plus généralement, Arnaud Montebourg est très critique à l’égard de Joaquin Almunia, le Commissaire européen chargé de la concurrence. Le Ministre du Redressement productif a-t-il raison de fustiger le contrôle des aides publiques par la Commission européenne ?

Que sont les aides publiques aux entreprises ?

« Transfert de richesses, direct ou indirect, d’une personne publique vers une entité économique autonome », les aides publiques aux entreprises peuvent prendre des formes variées. En France, les aides d’Etat sont pour moitié constituées de dépenses fiscales (crédit d’impôt ou exonérations diverses), pour un tiers de soutien financier (prêts, garanties, fonds propres), et le reste regroupe les subventions directes ou indirectes.

Un rapport récent de l’Inspection générale des finances (IGF, 2013) a estimé le montant des aides publiques versées par l’Etat central et les collectivités locales bénéficiant aux acteurs économiques à 110 milliards d’euros. Sont incluses dans ce total des mesures comme les taux réduits de TVA (18 Mds), des allègements de cotisations sociales sur les bas salaires (21 Mds), le crédit d’impôt recherche (CIR ; 3,5 Mds) auxquels s’ajoutent plus de 600 dispositifs relevant de l’Etat et bien plus encore des collectivités territoriales.

Le rapport souligne la complexité du système d’aides, résultat de la sédimentation de mesures successives, avec, parfois, un entrecroisement des niveaux d’intervention et de nombreux dispositifs engageant de petits montants. Critiquant la finalité et l’efficacité de ces aides, les auteurs du rapport regrettent que l’industrie soit peu ciblée : au final celle-ci ne reçoit que deux milliards (hors CIR et allègements de charges sociales et de TVA) alors que l’agriculture en reçoit quatre milliards.

Qu‘est ce qui justifie le contrôle des aides publiques par la Commission européenne ?

Conséquence directe de la mise en place du marché unique, le contrôle européen des aides est un outil de la politique de la concurrence européenne pour veiller à l’existence d’une concurrence effective et lutter contre les distorsions induites par des avantages accordés par un Etat membre à ses entreprises. La lutte contre une course au « plus-disant » en termes de subventions est donc l’objet de ce contrôle. C’est ainsi que dès l’article 87, paragraphe 1, du traité instituant la Communauté européenne, les aides d’Etat sont jugées incompatibles avec le marché commun et l’article 88 donne pour mandat à la Commission de contrôler ces aides. Mais l’article 87 précise également les critères qui rendent les aides « contrôlables » par la Commission.

Une politique de soutien relève du contrôle de la Commission si elle implique (i) une aide spécifique (l’aide n’est pas versée à l’ensemble des entreprises ou des ménages, comme une baisse générale des impôts) ; (ii) la politique de soutien engage les finances publiques de l’Etat, qu’il s’agisse de subventions directes, de prêts bonifiés, de crédit d’impôt, de fournitures en matériels… ; (iii) le soutien offre un avantage spécifique à des entreprises, une industrie, ou une région (dont ils n’auraient pas bénéficié sans l’intervention de l’Etat) ; (iv) le soutien crée une distorsion de concurrence et pourrait affecter le commerce entre les Etats membres – la règle de minimis exempte les aides de montants peu élevés.

Quelles aides doivent être notifiées à la Commission européenne ?

Les aides aux entreprises sont soumises au visa de la Commission européenne dès lors qu’elles dépassent 200 000 euros sur trois ans et qu’elles n’entrent pas dans l’ensemble des dispositifs dérogatoires décidés par l’Europe. En théorie, les aides ne peuvent être octroyées qu’une fois obtenue l’approbation de la Commission. Cela est contraignant dans le cadre de mesures d’urgence et constitue indéniablement un détour de souveraineté économique. Entre la notification et la décision, le délai peut aller de 2 mois à 20 mois, voire plus en cas d’investigations. La Commission a le pouvoir d’exiger le remboursement des aides déjà versées et jugées illégales, la Direction de la concurrence exerce ce contrôle, à l’exception des aides concernant l’agriculture et la pêche qui sont sous le contrôle de leur direction respective. La législation est en permanence ajustée à la conjoncture économique. Cela a été le cas au moment de la crise financière pour soutenir le secteur bancaire.

Dans un souci de simplification du contrôle et de réduction des lourdeurs administratives, le règlement général d’exemptions par catégorie, adopté en 2008, a clarifié les cas où aucune notification n’est nécessaire. Les exemptions sont nombreuses. Elles gravitent autour des cinq thèmes suivants : la stratégie de Lisbonne, le développement durable, la compétitivité de l’industrie de l’UE, la création d’emplois et la cohésion sociale et régionale. Nous voyons là que, par le régime des exemptions, le contrôle est également l’expression de choix politiques européens orientant les aides publiques, et donc les ressources publiques, vers des utilisations en conformité avec ces choix.

Les aides sont-elles souvent refusées ?

Selon M. Almunia, 95 % des aides examinées seraient autorisées. Les statistiques fournies par le tableau de bord de 2000 à 2013 (DC, Europa Scoreboard) montrent qu’en effet 88 % des notifications relevant de l’industrie et des services conduisent à la conclusion selon laquelle la mesure de soutien en question ne relève pas de la définition d’aide publique ou ne soulève aucune objection. A celles-ci s’ajoute 5 % de décisions positives et 1 % de décisions conditionnelles. On atteint presque les 95 % cités. Les 5 % restant regroupent des mesures de soutien qui ont été refusées par la Direction de la concurrence dont une partie (4 %) fera l’objet d’un recouvrement. Depuis 2000, cela correspond, pour l’ensemble des Etats membres, à 251 refus équivalant, en moyenne annuelle, à 22 refus de 2000 et 2007 et 12 refus de 2008 à 2013.

Les notifications de l’Etat français concernent en grande majorité des aides régionales, notamment pour les DOM-TOM, des aides sectorielles pour certaines filières agricoles, des aides à la R&D. Par exemple,  l’aide de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie au projet HYDIVU de Renault  notifiée en mars 2013 a donné lieu à une décision en octobre 2013 selon laquelle la mesure ne soulevait pas d’objections. Les aides à la R&D des Jeunes entreprises innovantes notifiées en décembre 2013 a conduit à une décision de la Direction de la concurrence en février 2014 selon laquelle la décision ne soulevait pas d’objections et entrait dans le régime d’exemption des politiques de soutien  à la R&D.

Plus récemment, la Commission a accordé l’entrée de l’Etat au capital de PSA, après avoir accepté l’aide à la restructuration de l’entreprise en juillet 2013 (décision SA.35611). L’entrée au capital n’a pas été jugée comme constituant une aide d’Etat. L’Etat français est considéré comme un investisseur privé au même titre que l‘entreprise chinoise Donfeng.

En 2013, le gouvernement français a procédé à 47 notifications qui ont toutes été jugées comme des mesures n’entraînant pas d’objections. Une seule est en cours d’investigation à ce jour :  les subventions présumées aux transports publics en Ile-de-France.

Quelle est la position de la France en matière d’aides d’Etat ?

Sur le total des notifications des Etats membres adressées à la Direction de la concurrence de 2000 à 2013 – soit 4 765 dans le domaine de l’industrie et des services –, la France en a adressé 8,8 % contre 10 % pour l’Italie et l’Espagne, 17 % pour l’Allemagne et 6,4 % pour le Royaume-Uni. L’Etat français, si souvent accusé d’un fort penchant colbertiste, a donc notifié, en moyenne sur la période, deux fois moins d’aides que l’Allemagne. Les statistiques fournies par le « Tableau de bord des aides publiques » (DC, Aides en volume et en % PIB) permettent de positionner la France dans l’UE15 en termes de volumes d’aides octroyées relativement au PIB. Le tableau 1 montre que la France se situe plutôt dans la moyenne : au-dessus du groupe des pays de tradition libérale (Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique, Autriche, Luxembourg) mais en dessous des pays de tradition social-démocrate (Danemark, Finlande, Suède, Allemagne). Si on observe le volume des aides en fonction de leur finalité, il est d’usage de distinguer les aides sectorielles qui bénéficient à un secteur en particulier, marque de la politique industrielle « vieille version », des aides horizontales qui s’adressent à toutes les entreprises, marque de la politique industrielle « moderne » comme le soutien à la R&D. Là encore, la France a une position médiane en termes de pourcentage d’aides sectorielles relativement au groupe de l’EU15.

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Tant le volume d’aides que les notifications sont très sensibles à l’environnement économique et institutionnel des pays et aux chocs sur cet environnement (réunification allemande, restructuration industrielle…). La France figure parmi les pays ayant octroyé davantage d’aides sur la période récente (2010-2012) que sur la période de début de crise (2007-2009). Les pays qui lui sont comparables (Allemagne, Italie, Espagne) ont en revanche diminué leur versement d’aides. Les graphes suivants décrivent l’évolution de l’aide en volume (euros constants). Si on constate bien une augmentation du montant des aides en 2007, la crise ne semble pas avoir fondamentalement modifié les comportements en termes de notifications. Les aides destinées au secteur bancaire ont fait l’objet d’un régime légal spécifique et d’une comptabilité séparée. Les montants décrits n’incluent donc pas les aides au secteur bancaire.

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Source : DC, Europa State Aid Scoreboard Statistics.

Rien ne démontre que le contrôle des aides par la Commission européenne est préjudiciable à l’industrie

Venons-en à la question qui préoccupe notre Ministre. Si le niveau des aides publiques est positivement corrélé avec la part du secteur manufacturier dans l’économie (voir Guillou S., 2014), c’est surtout parce que les caractéristiques de l’industrie manufacturière – déséquilibres régionaux, R&D, investissements écologiques – correspondent mieux aux critères de versement d’aides autorisées. Le secteur manufacturier est aussi historiquement le lieu du lobbying, potentiel déclencheur des aides, mais aussi le secteur le plus exposé à la concurrence internationale. Rien ne permet de conclure que la causalité irait des aides publiques vers la part du secteur manufacturier dans la valeur ajoutée. L’inverse est nettement plus probable.

Par ailleurs, une analyse attentive du contrôle des aides par la Commission européenne montre que les décisions négatives sont assez rares. Mais, nous ne pouvons exclure un fort effet inhibiteur, au sens où le gouvernement s’autocontrôlerait étant donné sa connaissance de la jurisprudence de la Direction de la concurrence européenne. Cette autocensure est difficile à quantifier mais elle est décelable pour l’ensemble des Etats membres dans la décroissance des notifications depuis la mise en place du contrôle.

Il existe cependant de nombreux espaces dérogatoires dans lesquels les aides à l’industrie peuvent être autorisées. Si effectivement, il n’est pas possible d’envisager un « CICE » qui serait réservé aux entreprises de la seule industrie manufacturière, car trop sélectif, toutes les mesures qui entrent dans le soutien à l’innovation et à la R&D, au développement des énergies renouvelables, aux traitements des déséquilibres régionaux et sectoriels majeurs, ou à la création d’emploi, sont acceptables.

Par ailleurs, le jugement de la légalité des aides repose sur une analyse coûts et avantages économiques, qui n’est pas exempte de critiques ou de débats parfois, mais s’appuie incontestablement sur une évaluation économique de l’allocation des deniers publics et des distorsions de concurrence que cette allocation pourrait créer. Il existe des règles a priori de refus ou d’acceptation, mais la plupart des aides font l’objet d’une analyse économique argumentée. Elle consiste en une « mise en balance » entre « la contribution à la réalisation d’un objectif d’intérêt commun bien défini », qu’il s’agisse d’un objectif d’efficacité ou d’équité, et « la distorsion de la concurrence et des échanges en résultant ». Un examen de la mesure pour juger de son caractère approprié, de son efficacité incitative et de sa proportionnalité est également réalisé. Enfin un scénario comparatif, sorte de contrefactuel de la situation sans la mise en place de l’aide, contribue à l’établissement de la décision.

Sur la question du soutien aux industries consommatrices d’énergie, les entreprises intensives en consommation d’électricité ont en général négocié des tarifs préférentiels avec les fournisseurs d’énergie. Cela a été le cas en France avec le consortium d’entreprises Exeltium mais c’est aussi le cas en Allemagne. Qu’il s’agisse de tarifs préférentiels accordés par une entreprise à capitaux publics (fournisseur historique) ou d’exemption ou de réduction de taxes, ces mesures ont fait l’objet d’une analyse par la Direction de la concurrence. A ce jour, ces tarifs préférentiels n’ont pas rencontré d’opposition systématique, mais le processus de libéralisation du marché de l’électricité européen  et la nouvelle régulation en matière d’aides à l’environnement et à l’énergie – prévue pour le premier semestre 2014 — ne devraient pas leur être forcément favorables. Il reste que le meilleur soutien aux industries consommatrices d’énergie, et pas seulement d’électricité, est sans doute à l’heure actuelle l’appréciation de l’euro vis-à-vis du dollar qui diminue le prix des énergies importées, appréciation par ailleurs plutôt handicapante pour les exportateurs, comme le souligne fréquemment notre Ministre. De plus, le coût de l’énergie constitue une incitation (parmi d’autres) à investir dans des techniques économes en énergie. Cela illustre parfaitement l’adage économique selon lequel tout choix (une aide) est également un renoncement (une autre utilisation des ressources). Compétitivité des industries énergivores ou politique de réduction des énergies fossiles, l’arbitrage est au cœur des décisions de la Commission européenne.

Le contrôle des aides répond à des objectifs d’une autre nature

C’est parce que le contrôle des aides publiques est cohérent avec les objectifs européens (Objectifs de Lisbonne, Paquet énergie-climat de 2008 et, à présent, le « Cadre pour l’énergie et le climat à l’horizon 2030 ») qu’une possible cohésion des politiques économiques européennes peut voir le jour.

Le système réglementaire et la jurisprudence des aides publiques se sont avérés assez flexibles et adaptifs. Cela ne doit pas nous garder de toujours discuter et commenter les décisions de la Direction de la concurrence, tant la politique de la concurrence ne doit pas ressembler à une doctrine pour être efficace. Il induit, certes, une perte de souveraineté économique.  Mais il faut reconnaître que le contrôle des aides est un élément majeur de la cohésion économique européenne, de la convergence des niveaux économiques et avant tout de la démocratie. Par cette obligation déclarative, émerge une information précieuse pour les citoyens concernant l’utilisation de l’argent public. Il offre, par ailleurs, une lisibilité de la politique industrielle et plus généralement des aides publique des Etats que les citoyens et les médias auraient intérêt à valoriser en cette veille des élections européennes.




Les énergéticiens voient rouge avec le vert

par Sarah Guillou et Evens Salies [1]

 

Le marché commun de l’énergie fait-il la part trop belle aux sources d’énergies renouvelables (SER) ? C’est ce que pensent les neuf énergéticiens auditionnés au Parlement européen en septembre dernier. Selon eux, atteindre 20% d’énergie d’origine renouvelable dans la consommation finale d’énergie de l’UE d’ici 2020 aurait des répercussions négatives sur le secteur de l’énergie électrique : détérioration des résultats financiers des énergéticiens et de la sécurité d’approvisionnement en électricité. On ne peut nier que depuis la fin des années 1990, la politique de l’UE en faveur des SER est très active dans ce secteur. Les instruments suggérés par la Commission européenne (CE) aux Etats membres pour atteindre l’objectif des 20% sont nombreux (voir la Directive 2009/28/CE) : tarifs d’achat garantis de l’électricité produite à partir de SER, crédit d’impôt, … Aussi, en 2011, l’ensemble de ces mesures a-t-il permis à l’UE-27 d’atteindre 22% d’électricité produite à partir de SER, hydroélectricité incluse (Eurelectric, 2012)[2].

En quoi cette politique porte-t-elle préjudice aux producteurs historiques et à la sécurité d’approvisionnement ? Rappelons quelques faits stylisés de la consommation et du pilotage de la production d’électricité. La consommation est en moyenne plus faible la nuit (période dite de « base ») qu’en journée où elle passe par un ou deux pics (périodes appelées « pointes »). L’électricité n’étant pas stockable, le moyen le moins coûteux de répondre au passage base-pointes est d’utiliser les centrales selon leur « ordre de mérite ». Un producteur faisant appel à plusieurs sources d’énergie les sollicite ainsi de la moins flexible (démarrage lent, coût marginal faible) à la plus flexible (démarrage rapide, coût marginal élevé). En théorie, l’empilement est/était le suivant : nucléaire-charbon pour la base, nucléaire-charbon-gaz en pointe[3]. C’est durant les pointes, où les prix de gros peuvent s’envoler, que les producteurs gagnent le plus d’argent. De son côté, la production des centrales à SER est contingente aux aléas météorologiques (« l’intermittence ») : ces centrales ne produisent que lorsque la ressource primaire associée (vent, soleil, etc.) est suffisante ; elles sont alors prioritaires pour satisfaire la consommation d’électricité.

L’intégration des SER dans le parc de production modifie l’ordre de mérite. L’empilement précédent devient éolien-nucléaire-charbon pour la base, éolien-nucléaire-charbon-gaz en pointe ; du vent est donc substitué à un peu d’uranium, de charbon et de gaz. Sachant que le coût marginal de production des centrales à SER est proche de zéro, leur intégration, pourtant minime dans le mix énergétique, fait baisser le prix moyen sur les marchés de gros. Par conséquent, avec l’intégration des SER, les centrales à énergies fossiles sont moins bien rémunérées. De leur côté, les centrales à SER bénéficient toujours d’un tarif d’achat garanti (en France, 8,2 c€/kWh pour l’éolien, entre 8 et 32 c€/kWh pour le photovoltaïque, …)[4]. Le manque à gagner est plus grand durant les périodes de pointe de consommation. Les producteurs sont moins incités à investir dans la construction de centrales à énergie fossile qui sont pourtant nécessaires pour produire durant ces périodes. D’où un risque pour la sécurité d’approvisionnement : avec un écart potentiellement réduit entre les capacités disponibles et la demande en pointe, le risque que l’écart réel entre la production et la consommation soit négatif est alors plus grand.

Une solution possible est la création d’un « marché de capacités ». Sur ce marché, la mise à disposition bien à l’avance de la capacité de production d’une centrale entraîne une rémunération, même s’il n’y pas de production effective. Ce type de marché intéresse les neuf énergéticiens, dans la mesure où ils sont dotés en centrales électriques à gaz et/ou sont vendeurs de gaz, qui sont celles sollicitées en période de pointe. En France, la loi de NOME de 2010 prévoit la mise en place d’un tel marché pour la fin 2015.

Notons par ailleurs qu’une part significative des centrales à énergie fossile n’étant pas en fin de vie physique, l’intégration des SER ajoute des capacités à un marché européen de l’énergie électrique déjà en état de surcapacité. Cette situation de surcapacité est aggravée par la crise économique qui touche la demande d’énergie. Elle concerne surtout les centrales à gaz déjà concurrencées par les centrales à charbon devenues plus rentables depuis l’importation du surplus de charbon américain, évincé par le gaz de schiste. L’excès d’offre contribue cependant à contenir les prix de l’électricité.

Au final, l’audition des neuf énergéticiens au Parlement européen révèle deux difficultés majeures de toute politique de transition énergétique. La première est le coût de l’ajustement au nouveau mix énergétique. Les énergéticiens, tels les neuf, se plaignent (à juste titre) que ce coût met en péril leur rentabilité et certains seront contraints de fermer des sites de production, voire de les démanteler, pour y faire face (Eon en Allemagne). Les consommateurs, de leur côté, financent entre autres l’obligation de rachat – en France, via la contribution au service public de l’électricité (700 millions d’euros en 2010). Le coût de l’ajustement est incontournable et même nécessaire à l’ajustement : c’est parce qu’elles ont à supporter un coût supplémentaire que ces entreprises modifieront leur portefeuille énergétique. La deuxième difficulté se résume en une question : comment concilier le soutien aux SER et la sécurité d’approvisionnement ? Si la politique énergétique participe bien d’une amélioration de la qualité de l’air, elle semble encore inefficace dans la gestion de la sécurité d’approvisionnement qui constitue tout autant un bien public.

La CE s’oriente vers des solutions de coopération. À l’instar du développement coordonné de l’interconnexion des réseaux nationaux mené par les gestionnaires des réseaux de transport, elle s’interroge sur la faisabilité d’un marché commun d’échanges de capacité de productions d’électricité. La CE souhaiterait également que les Etats membres se coordonnent pour la fixation des tarifs d’achat garantis. En effet, ces tarifs peuvent créer des effets d’aubaine, notamment pour les équipementiers (voir Guillou, S., 2013, Le crépuscule de l’industrie solaire, idole des gouvernements, Note de l’OFCE No. 32). Il reste à trouver des mécanismes qui entraîneraient une gestion coordonnée de la sécurité d’approvisionnement électrique de l’UE tout en faisant une place aux SER. L’audition des énergéticiens au Parlement européen devrait susciter une réflexion plus générale sur la sécurité d’approvisionnement dans l’UE, toutes sources d’énergie confondues.

 


[1] Nous remercions Dominique Finon, Céline Hiroux et Sandrine Selosse. Toute erreur est de notre seule responsabilité.

[2] Le chiffre des 20% couvre un nombre de secteurs plus grand que le secteur de l’énergie électrique.

[3] Ce principe était surtout valable avant la libéralisation des marchés de gros, où un producteur verticalement intégré décidait des centrales à démarrer pour répondre à une demande nationale.

[4] Les tarifs d’achat garantis ont été mis en place afin que les technologies de production de l’électricité à partir de SER qui n’étaient pas encore matures ne soient pas désavantagées.




Le solaire refroidit les relations sino-européennes

par Sarah Guillou

Début juillet 2013, c’est encore une entreprise de l’industrie du solaire, Conergy, qui est déclarée en faillite. La sortie de cette entreprise allemande, créée en 1998, illustre la fin d’un cycle pour l’industrie solaire. Cette faillite s’ajoute à une série de fermetures et de liquidations, tous pays confondus, qui ont ponctué la montée de la tension commerciale entre les Etats-Unis et l’Europe d’un côté et la Chine de l’autre au sujet des panneaux solaires (voir La Note de l’OFCE : « Le crépuscule de l’industrie solaire, idole des gouvernements », n° 32 du 6 septembre 2013). Au sommet de cette tension, en mai, la Commission européenne a décidé de menacer la Chine de droits de douanes de plus de 45 %. La guerre commerciale conclut une décennie d’engagements des gouvernements comme s’il s’agissait de sauver les deniers publics investis. Mais, elle signe surtout l’échec industriel d’une politique énergétique mondiale non coopérative.

Des débuts industriels prometteurs mais chaotiques

Amorcée au début des années 2000, l’idolâtrie gouvernementale en faveur du solaire, partagée des deux côtés de l’Atlantique, mais aussi dans les économies émergentes (et singulièrement la Chine) a certes propulsé l’énergie solaire au premier rang des énergies renouvelables, mais a aussi alimenté de nombreux déséquilibres de marché et de fortes turbulences industrielles. Alors que le prix du pétrole ne cessait d’augmenter de 2000 à 2010, la nécessité d’accélérer la transition énergétique et les engagements du protocole de Kyoto ont poussé les gouvernements à soutenir la production d’énergie renouvelable dont l’énergie solaire a été la grande bénéficiaire. De fait, l’industrie mondiale a connu une croissance gigantesque depuis 2004 : elle a crû de plus de 600 % de 2004 à 2011.

Le soutien public, accompagné d’investissements privés, a suscité des entrées massives sur le marché qui ont déstabilisé le prix de la ressource principale, le silicium, dont la quantité ne pouvait s’ajuster aussi rapidement. Les fluctuations du prix du silicium au gré des déséquilibres sur le marché des panneaux photovoltaïques ont créé une grande instabilité d’approvisionnement de la ressource principale s’ajoutant à l’incertitude technologique des entreprises qui cherchaient à innover dans le secteur (comme l’entreprise américaine Solyndra qui a finalement déposé le bilan en 2013).

La guerre commerciale pour une étoile

L’accélération de la domination chinoise sur l’industrie a pour sa part affecté  l’incertitude concurrentielle. La Chine est aujourd’hui le premier marché mondial et l’implication du gouvernement chinois dans le développement de l’industrie est sans égal. Aujourd’hui troisième pays au classement en termes de capacités installées (après l’Allemagne et l’Italie), la Chine est également le premier producteur mondial de panneaux solaires. Elle totalise aujourd’hui la moitié de la production mondiale de panneaux alors qu’elle en produisait seulement 6 % en 2005. Les producteurs chinois ont bénéficié d’un soutien massif des gouvernements central et locaux, ce qui a aussi participé à saturer le marché chinois.

La Chine, au-delà du soutien public, bénéficie d’un indéniable avantage de coût du travail qui rend l’activité de fabrication de panneaux solaires très compétitive – les étapes plus intenses en technologie se situent en amont dans cette industrie au niveau de la cristallisation du silicium et du découpage en tranches. Outre cet avantage compétitif, les producteurs chinois sont accusés de dumping, c’est-à-dire de vendre en dessous du coût de production. Leur compétitivité est donc sans égal mais … de plus en plus contestée. Les Etats-Unis ont décidé en octobre 2012 d’imposer des droits de douane sur les importations de cellules et de modules chinois faisant varier les taxes anti-dumping de 18,3 à 250% (pour les nouveaux entrants) selon les entreprises.

L’Europe, qui importe beaucoup plus d’éléments photovoltaïques de Chine que les Etats-Unis, a tout d’abord décidé de s’orienter vers l’imposition de droits anti-dumping et a ouvert une enquête en septembre 2012, déclenchée par une plainte d’EU ProSun – une association sectorielle de 25 fabricants européens de modules solaires – concernant les importations de panneaux et de modules en provenance de Chine. La Commission a finalement décidé en juin 2013 d’imposer un droit de douane de 11,2% sur les panneaux solaires tout en menaçant de le faire grimper à 47% si la Chine ne modifiait pas sa position en termes de prix d’ici le 6 août .

La contre-attaque de l’Empire

La contre-attaque n’a pas tardé : la Chine a décidé en juillet 2013 d’instaurer des droits anti-dumping sur les importations de silicium en provenance des Etats-Unis et de la Corée du Sud. La menace plane aussi sérieusement sur les acteurs européens : la Chine est un des plus gros marchés pour les exportateurs de silicium européen (870 millions de dollars en 2011).

Cette guerre commerciale révèle essentiellement une position défensive des concurrents industriels de la Chine face à une politique de soutien qu’ils jugent disproportionnée et déloyale et ceci alors que la Chine n’a cessé ces dix dernières années de grignoter les emplois industriels de ses concurrents. Mais on peut évidemment s’interroger sur la logique industrielle de cette politique commerciale.

Tout d’abord, elle contredit les précédentes politiques des gouvernements en matière de promotion de l’énergie solaire. L’arbitrage entre les objectifs du changement climatique (disposer des outils de transition énergétique à bas coût) et la rentabilité et pérennité de l’industrie semble avoir été tranché en faveur du second. Ensuite, elle soutient cette fois-ci les producteurs directement mais pourrait handicaper les installateurs, les cabinets d’études préalables à l’installation et les fabricants de panneaux à partir de composants chinois. Enfin, elle expose sérieusement à des représailles commerciales qui pourraient coûter cher, que ce soit aux exportateurs de silicium poly-cristallin, de machines servant à l’industrie solaire ou encore d’autres industries comme le vin ou les voitures de luxe.

Par crainte d’une probable non approbation d’une majorité des pays membres ou pour « fouetter d’autres dragons » plus librement (le conflit des télécoms à venir), l’accord obtenu fin juillet par le Commissaire Karel De Gucht et validé par la Commission européenne le 2 août, ne devrait pas entraîner de représailles commerciales ni perturber trop fortement l’approvisionnement du marché. Il engage près de 90 producteurs chinois à ne pas vendre en dessous de 56 centimes d’euro par watt de puissance. Ce prix est un compromis entre ce qui est jugé cohérent avec le coût de production chinois et le prix moyen actuel sur le marché d’un côté et ce qui est acceptable par les concurrents européens de l’autre.

Au final, au cours de cette décennie (2002-2012), l’industrie du solaire photovoltaïque est indéniablement devenue globale et fortement concurrentielle, et ceci en dépit d’un net  interventionnisme des gouvernements. En réalité, même les gouvernements se sont fait concurrence. A présent, ils règlent leurs conflits en jouant avec les règles du commerce international. Le soutien coûteux de l’Etat aura propulsé le développement de la filière de manière inespérée : en créant un excès d’offre, le prix du panneau solaire a fortement chuté et a accéléré l’incroyable boom du solaire. Le solaire représente en 2013 plus de 2 % de l’électricité consommée dans l’Union européenne. Cette percée du solaire s’est accompagnée de nombreuses sorties du marché mais aussi d’entrées, sans qu’une concentration significative des acteurs ne se soit pour le moment produite. Le choix du retrait public en faveur de la politique commerciale est une nouvelle page de l’histoire de cette industrie dont les motivations ne relèvent plus de la politique énergétique et guère davantage de la politique industrielle. Evidemment il n’y a pas de crépuscule sans une prochaine aube. Mais l’aube de demain sera certainement faite d’un autre « solaire ». L’avenir européen de la fabrication de panneaux solaires passera par l’innovation technologique non pour en réduire le coût mais pour en augmenter les performances.




La ré-industrialisation ou le retour de l’âge du “faire”

par Sarah Guillou et Lionel Nesta

« Faire ou faire faire ? » pourrait bien être la nouvelle question existentielle des anciennes puissances industrielles. De David Cameron à François Hollande, les appels à la ré-industrialisation expriment l’inquiétude causée par les pertes d’emplois industriels, comme chez PSA,  mais également l’angoisse de la disparition de nos savoir-faire dans la fabrication elle-même.

Les Etats-Unis ne sont pas en reste et s’inquiètent également de leur devenir industriel devant la désolation que manifestent certains territoires, comme par exemple l’Etat du Michigan ( New York Times, August 24 2011, Does America need Manufacturing ? Les experts alimentent le désarroi, tels Patrick Artus et Marie-Paule Virard qui questionnent ce que serait « La France sans ses usines » (Edition Fayard, 2011), ou Dani Rodrick qui vante les mérites de l’industrie manufacturière (The Manufacturing Imperative – Dani Rodrik – Project Syndicate ). S’il fallait caricaturer la pensée dominante en cours en matière de politique industrielle, on pourrait sans forcer le trait la qualifier de retour à l’âge du « faire ».

Nous mettons en débat la désindustrialisation et la ré-industrialisation pour mieux questionner les objectifs du ministère du Redressement Productif.

La désindustrialisation s’illustre d’abord par les pertes d’emplois manufacturiers

La désindustrialisation désigne la diminution des emplois manufacturiers ainsi que la baisse de la part de l’industrie dans le Produit Intérieur Brut. En 1980, la France comptait plus de 5,1 millions d’emplois alors qu’elle en compte 3,1 millions en 2008, avant la crise récente. Entre 1980 et 2008, la France a donc perdu presque 2 millions d’emplois manufacturiers[1], soit une diminution relative de 38%. De même en 1980, la part de la valeur ajoutée manufacturière dans le PIB s’élevait à 19,2% diminuant à 14,7% en 2008, soit une baisse de 23%. Toutefois, la baisse de la part de la valeur ajoutée dans le PIB ne doit pas être confondue avec la baisse de la valeur ajoutée elle-même. Entre 1980 et 2008, la valeur ajoutée manufacturière en volume a augmenté de 36%, ce qui avec la baisse concomitante de l’emploi manufacturier, révèle des gains de productivité du travail tout à fait substantiels.

La désindustrialisation n’est pas plus sévère en France qu’ailleurs

Les discours sur le « déclin » de la France des uns et des autres suggèrent une exposition singulière de la France à la désindustrialisation structurelle. Il n’en est rien. Si on prend la période 1992-2008, la France comme l’Allemagne observe une baisse de 21% de l’emploi manufacturier, le Royaume-Uni et le Japon une diminution de 31 et 28% respectivement. Les Etats-Unis connaissent une baisse de 18% et l’Italie de 6%. Ces pourcentages cachent des volumes d’emplois perdus très importants. Alors que la France détruit ainsi presque 900 000 emplois, l’Allemagne en perd plus de 2 millions, les Etats-Unis 3,3 millions et le Japon 4,3 millions.

Tertiarisation, productivité, et nouvelle division internationale du travail sont les causes principales de la désindustrialisation

La désindustrialisation des années 1980 et 1990 s’explique avant tout par la tertiarisation qui découle du développement des activités au service de l’industrie et qui est elle-même alimentée par deux moteurs : l’externalisation des activités de services des entreprises manufacturières et le changement qualitatif de la production qui incorpore de plus en plus de contenu en services. Ce double mouvement est le propre des économies technologiquement avancées et est amené à se poursuivre. Ensuite, la désindustrialisation est plus fondamentalement la conséquence du progrès technique. Ce dernier entraîne immanquablement des gains de productivité qui eux-mêmes diminuent le contenu en travail de l’unité de production. Le même niveau de production demande moins de travail. Enfin et plus récemment, la globalisation de l’économie a accéléré la mutation industrielle en cours en raison de l’arrivée de nouveaux producteurs comme la Chine (sans une augmentation équivalente de la demande pour le moment) et en raison de l’intensification des opportunités pour les entreprises de division internationale du travail.

La désindustrialisation résulte de l’interaction de ces trois causes ­– tertiarisation-productivité-globalisation – dont il faut rappeler qu’elles participent a priori à une dynamique positive pour la croissance économique. Toutefois les changements induits ne sont pas neutres sur la nature des emplois et les qualifications « employables ». Les emplois de fabrication disparaissent au profit d’emplois de gestion de la fabrication – de la conception à la distribution. En théorie, cela s’accompagne d’une diminution de la pénibilité des tâches productives et d’une libération de ressources en emplois susceptibles de générer des richesses par ailleurs. Mais le redéploiement de ces ressources se heurte à des barrières à la mobilité du travail, principalement en raison de la spécificité des compétences et des qualifications.

Toute politique de croissance ne devrait a priori pas empêcher le mouvement de fond de désindustrialisation qui traduit en fait une mutation du système productif, mais elle ne peut se soustraire à considérer très sérieusement les conséquences sur la nature des emplois. Cette préoccupation devient même critique en temps de crise.

La crise a révélé la fragilité du système productif français

La crise a indéniablement constitué un choc négatif sur l’emploi manufacturier. La dynamique de l’emploi dans l’industrie connaît depuis 2007 deux phases bien distinctes : une accélération des destructions d’emplois jusqu’en 2010 puis une stabilisation de son niveau (voir graphique 2). Cette stabilisation, sur la dernière période, rétablit le rythme de désindustrialisation à son niveau antérieur. Précisément, les statistiques sur l’emploi de l’INSEE montrent qu’entre le premier trimestre 2008 et le premier trimestre 2012, l’industrie a détruit 301 000 emplois. Sur une période identique, mais de croissance économique plus soutenue, entre le premier trimestre 2003 et le premier trimestre 2007, l’industrie avait détruit 325 000 emplois.

La surprise vient davantage du marché de l’emploi dans les services marchands. Alors que durant la période de croissance 2003-2007, les services créaient plus d’un million d’emploi, largement de quoi absorber les emplois perdus dans l’industrie, ces mêmes services n’en créent pas plus de 180 000 sur la dernière période. Le rôle des services comme pourvoyeur essentiel des emplois est rompu dès le premier trimestre 2008 (graphique 2). Cela explique peut-être pourquoi aujourd’hui plus qu’auparavant, la désindustrialisation est devenue bien plus difficile à tolérer.

On pourrait se satisfaire de l’augmentation de la production industrielle depuis fin 2008 et de la stabilisation de l’emploi manufacturier depuis 2010. Mais le tassement de l’indice de la production industrielle ne présage rien de bon. On peut en effet craindre que les entreprises aient joué sur la dualité du marché du travail en se séparant d’abord de leur main-d’œuvre précaire. De plus, les fermetures d’usines et les annonces récentes de plans sociaux laissent penser qu’une reprise de la désindustrialisation est en cours et que la stabilisation de la période précédente reflète plutôt un report de décisions de licenciements. Ces évolutions révèlent l’attentisme des acteurs dans le contexte électoral récent mais aussi la fragilité du système productif français et sa dépendance à la conjoncture européenne incertaine.

L’évolution récente a ainsi accentué l’inquiétude sur la vitalité de nos industries. Cette inquiétude naît du rôle central de l’industrie manufacturière dans la croissance économique.  Représentant moins d’un emploi sur sept, l’industrie manufacturière concentre cependant 75% des exportations et 80% de l’effort de recherche national privé. Renouveler l’industrie française, c’est donc encourager les activités de R&D, promouvoir à terme les exportations et enfin espérer créer des emplois nouveaux.  D’où la question suivante : faut-il réindustrialiser, et revenir à l’âge du « faire » ?

La ré-industrialisation est-elle un moyen d’équilibrer la balance commerciale ?

Plus de 75% des exportations sont constituées de produits manufacturés. Autrement dit, 12% de notre production est responsable directement de 75% des exportations. Donc, il semblerait qu’à défaut de produire des produits manufacturés, on serait condamné au déficit commercial. Mais attention, il ne faut pas produire forcément un grand volume de produits, il faut : (1) surtout produire une grande valeur de produits, ce qui peut se faire avec beaucoup de R&D et moins d’emplois ; (2) en consommer moins que l’on en produit. Cela signifie qu’un pays peut très bien avoir un excédent commercial avec une forte valeur ajoutée industrielle, une consommation intérieure atone relativement au reste du monde, et une forte désindustrialisation. Autrement dit, il n’existe pas de relation bijective entre déficit commercial et désindustrialisation. Une augmentation des exportations n’assurerait pas nécessairement une création nette d’emplois, si par exemple elle résultait d’innovation de procédés économes en travail, ou si encore elle s’accompagnait en retour d’un accroissement des importations de biens intermédiaires.

Ceci posé, soutenir l’industrie avec succès pourrait-il permettre une relance des exportations ? Oui, à condition que ce soutien renforce l’attractivité des produits domestiques et réponde à la demande mondiale. Mais vouloir un haut niveau d’exportation est une conséquence de l’amélioration préalable des gammes produites. C’est parce que les produits de nos industries seront attractifs qu’ils satisferont la demande mondiale et augmenteront les exportations.

La ré-industrialisation est-elle nécessaire au maintien des investissements en R&D ?

L’industrie manufacturière est le lieu majeur des investissements en Recherche et Développement. Faut-il alors s’inquiéter du recul de l’industrie manufacturière au regard du niveau des investissements dans la R&D ? L’inquiétude ne serait sérieuse que si la valeur ajoutée manufacturière diminuait. Car comme on l’a vu, la désindustrialisation est elle-même en partie causée par les conséquences en termes de productivité des investissements de R&D. En conséquence, il existe une certaine contradiction à vouloir une augmentation des investissements en R&D – et donc une augmentation de la productivité – et à refuser  le processus de désindustrialisation. La seule manière de réconcilier l’investissement en R&D et la création d’emplois dans l’industrie est de créer de nouvelles activités, de favoriser les innovations en produits afin d’augmenter le niveau de la production à productivité du travail constante. Mais cela suppose une modification de la spécialisation productive, comme nous l’expliquons ci-dessous.

La ré-industrialisation est-elle créatrice d’emploi ?

Retrouver les emplois perdus de l’industrie semble être le motif principal d’une politique de ré-industrialisation pour l’économie française, si marquée par le chômage. Deux cas de figures sont à alors envisager : le ré-industrialisation s’opère sur des activités existantes, la structure de la spécialisation productive restant identique (autrement dit, on conserve les mêmes parts dans le PIB des industries/produits) ; le ré-industrialisation est basée sur des activités nouvelles, nécessairement innovantes, la structure de la spécialisation étant alors modifiée.

Le premier cas est selon nous le plus délicat. Il consiste à persévérer dans des activités existantes en soutenant la création d’emplois. Pour ce faire, on peut diminuer l’intensité capitalistique (le rapport capital sur travail) et substituer du travail au capital. Mais il faut reconnaître que remplacer des machines par des ouvriers revient à accepter une forme de régression technologique, rendant nos activités encore moins compétitives. Une autre solution consisterait à accroître la production pour augmenter les facteurs consommés (capital et travail). Cela suppose un surcroît de demande (mais dans ce cas-là, d’où viendrait-elle ?) et/ou une amélioration des conditions de l’offre (baisse du coût du travail, baisse des barrières à l’entrée). Mais attention, toute amélioration des conditions de l’offre n’est pas forcément créatrice d’emploi. Une stratégie d’externalisation à l’étranger, par exemple, peut diminuer et les coûts de production, et l’emploi.

Dans le deuxième cas, il s’agit de conduire une politique industrielle qui modifie la structure de la spécialisation du pays. Cette ré-industrialisation doit s’effectuer autour d’activités nouvelles, créatrice de croissance, plus adaptée à la demande interne et mondiale. Ces activités nouvelles doivent être génératrices d’externalités positives et d’effets de diffusion dans l’ensemble du tissu industriel. Il ne s’agit pas d’envisager une politique industrielle dirigiste qui décide ex ante des activités futures, mais plutôt de définir une politique qui autorise et incite à la création d’activités et de gammes nouvelles. C’est en effet en dégageant une valeur ajoutée (par travailleur) plus importante que les termes de l’échange deviendront plus favorables. Une telle politique, menée avec succès, ne peut cependant pas garantir un solde net d’emplois créés positif. Rien ne dit que les nouvelles activités auront un contenu en emplois supérieur aux activités sur le déclin.

Le retour à l’âge du « faire » n’est pas simplement un jeu de mot

Cette expression suggère que la ré-industrialisation risque d’aller à rebours du changement technique, de la croissance de la productivité, de l’extension du libre-échange et de la division internationale du travail qui sont des moteurs de la croissance économique.

La ré-industrialisation du pays ne peut se décréter ex nihilo. Elle doit procéder d’une politique de formation de la main-d’œuvre, seule garante d’une production à haute valeur ajoutée, d’une exigence de qualité via des normes ambitieuses, de programmes de recherche et de développement de technologies hautement génériques. C’est sur le maintien ou le développement de cette compétitivité que le gouvernement doit travailler et qu’une politique industrielle doit être définie. S’il faut en attendre la création d’emplois, alors ces derniers ne peuvent résulter que d’un regain de compétitivité.

Nous pensons enfin que ré-industrialisation et redressement productif ne sont pas synonymes. Le premier terme définit un résultat, en termes d’emploi, mais ne s’exprime pas sur les conditions de sa mise en œuvre. Le redressement productif implique des politiques créant les conditions de la croissance des entreprises françaises que les nombreux rapports économiques n’ont cessé de réclamer[2]. Il importe donc que la politique industrielle ne se confonde pas avec l’objectif de ré-industrialisation.


[1] Exactement 1 970 000, source OCDE 2012, base de données OCDE-STAN.

[2] Rapport Cahuc-Kramarz, 2004 ; Rapport Attali, 2008 ; Rapport Aghion et al., 2006 et 2010.




The citizen must be the foundation of any industrial policy — even a free market one

By Sarah Guillou

The purpose of industrial policy is to direct productive specialization towards sectors that are deemed strategic for well-being or economic growth. This means recognizing that productive specialization is important for growth. But what criteria should be used to determine the importance of a given sector? The argument developed here is that there are no sound criteria that do not refer to the collective preferences of present and future citizens.

There are a limited number of theoretical principles for justifying an industrial policy and demonstrating its effectiveness. From the defence of nascent industries (List, 1841) to support for basic industries that generate externalities for growth, the theoretical arguments set out very limited conditions for the exercise of policy. The international legal framework is also very stringent, especially for European Union countries whose authorities are concerned primarily with creating a level playing field for all EU companies and keeping control over payments by the State.

The limited space for industrial policy

In this limited space, the exercise of industrial policy has struggled to find reasons to exist. Even though a movement of “normalization”, dear to Dani Rodrik, currently seems to be affecting the study of industrial policy (see Aghion et al., 2011), it is still not part of “normal” policy in the same way as monetary, fiscal, or trade policy, for example. Industrial policy is exceptional policy resulting from exceptional circumstances. It is in the definition of this term “exceptional”, of its nature and its temporality, that industrial policy derives its legitimacy. Even recently, exceptional circumstances, both political and economic, have served as strong grounds for industrial policy, whereas they actually conceal policies to promote employment and satisfy electoral objectives. Illustrations of this include businesses set up to rescue factories, from Lejaby lingerie units to SeaFrance, as well as announcements of regulations on plant closures when a buyer exists. Even though these interventions have the benefit of reducing information asymmetries between the players by offering mediation that is often useful, they are not really part of industrial policy.

The only “authorized” industrial policy today that is consistent with the institutional and legal framework of Europe and America is one that meets the conditions inherited from liberal doctrine on state intervention in the functioning of the economy. One may wish that the rules on intervention were re-defined – which by the way, would bring a little more transparency into state practices – but the ambition of this note is both more modest and broader. This note aims to show that, even within the minimalist framework of the free market approach, industrial policy must be defined in accordance with a social project that engages the productive specialization of the economy.

As a general principle, liberal doctrine considers competition to be the most efficient process for allocating resources. In other words, competition is the best system for maximizing wealth creation. Indeed, it is supposed to foster emulation between the players and motivate them to increase their productivity and performance; to allow the eviction of inefficient activities that waste poorly exploited resources; and, finally, to ensure equality and freedom among the players with respect to market entry, and thus the free exercise of economic activity. Liberal economic theory thus envisages only very specific situations for the exercise of industrial policy.

In this framework, state intervention is justified (i) to restore competitive conditions concerning transparency of information; (ii) to support investment in activities that generate positive externalities, such as R&D, or conversely to discourage activities that generate negative externalities, such as pollution, and (iii) to support activities that are considered strategic. Note that these are precisely the three justifications that underpin the European Union’s policy on industry and competition. It should be noted above all that while the last two reasons do indeed call for an industrial policy, they demand a higher principle of a political nature that invokes the collective preferences of present and future generations.

Encouraging the externalities that arise from R&D spending does not of course necessarily reflect a political choice. Indeed, the underlying economic logic might be sufficient: the externalities from R&D include a boost in productivity induced by the diffusion of knowledge, which benefits society as a whole. This increased productivity provides additional growth that fuels the creation of jobs and wealth. It is indeed this economic dynamic that is emphasized by the European authorities, including the European Commission (see Buch-Hansen and Wigger, 2010; EC, 2011), just as it underpins American policy on subsidies for R&D (Ketels, 2007). The policy decision to support R&D and more generally investment in human capital can thus be based simply on economic logic.

Any policy that is intended to guide specialization involves society’s future

Nevertheless, this logic is not enough: once we have accepted that investment in R&D is needed, then it is necessary to decide how to ensure that public resources, which are scarce and whose opportunity cost is rising as debt mounts, are invested in the wisest way. The definition of industrial policy must be based on a set of political (and legal) guidelines that are precise enough to lead business to invest in technology whose returns are inherently uncertain. For example, companies do not spontaneously tend to invest in clean technologies. Incentives need to be created that induce them to adopt sustainable development pathways, as is shown by the results of Acemoglu et al. (2011).

In general, any policy that aims to guide specialization involves the future of society: directing the production process towards sustainable development and environmental protection is a decision that will ensure the sustainability of resources, the quality of life and technological innovation. Directing capital towards strategic technologies, such as biotechnology, nanotechnology or space, is a necessity in light of the heavy investments – the fixed costs – that are associated with their development, given that mastering these technologies is essential to society’s future well-being. Finally, investing in human capital, a prerequisite to any policy to support R&D, is a way not only to improve people’s living standards and quality of life and to qualitatively strengthen their ability to adapt to technological change, but also to ensure the strength and sustainability of democracy (Glaeser et al., 2007).

A commitment to a policy of support for investment in research and education is of course widely shared by political leaders, as it is a general feature of a progressive vision of society, or, in short, a certain vision of social welfare. And a package of measures to meet the objectives of a policy to support R&D in France does clearly exist: the research tax credit for the country’s “competitive clusters”; in this respect, France is often seen as a driving force in terms of its industrial policies. But the purpose evoked to justify these measures is to ensure competitiveness, and not specifically economic growth per se.

Nevertheless, the selection of promising technologies and investment in the specializations of the future demands that politics takes precedence, as it must take a stand on the technological future of society, including in matters of protection, security, health and the environment. Ultimately, even a free market industrial policy assumes political choices that correspond to a vision of society. And it is in the name of this social vision that the expenditure associated with industrial policy can be justified. The justifications related to the economic mechanisms set the constraints, but policy choices must set the goals. The expression of collective preferences during the forthcoming electoral processes requires that the technological implications of policy proposals be expressed as clearly as possible.

References:
Acemoglu, D., Aghion, P., Bursztyn, L. and Hemous, D. (2011), “The environment and directed technical change”, MIT WP, June 28, 60 pages.

Aghion, P., M. Dewatripont, L. Du, A. Harrison & P. Legros (2011), “Industrial Policy and Competition”, CEPR Discussion Paper Series No.8691, June 28.

Buch-Hansen, H. and Wigger, A. (2010), “Revisiting 50 years of market-making: The Neoliberal transformation of European competition policy”, Review of International Political Economy 17(1), 20-44.

Commission Européenne (2011), Industrial policy: Reinforcing competitiveness, COM (2011) (642).

Glaeser, E.L., Ponzetto, G. and Shleifer, A. (2007), “Why does democracy need education?”, Journal of Economic Growth 12(2), 77.

List, F. (1841), National System of Political Economy, New York & London: Garland Publishing, Inc., 1974, pp. 70-82.

Rodrik, D. (2008), “Normalizing Industrial Policy”, Commission on Growth and Development Working Paper No.3

Ketels, C.H.M. (2007), “Industrial policy in the United States”, Journal of Industry Competition and Trade 7,147-167.

Pack, H. and K. Saggi, 2006. “Is There a Case for Industrial Policy? A Critical Survey” The World Bank Research Observer, 21:267–297 www-wds.worldbank.org/…/436150PUB00BOX0327375B01PUBLI