Quelle politique de l’emploi dans la crise ?

par Marion Cochard

(Point de vue paru sur le site lemonde.fr, ici)

Après une accalmie d’une année seulement, les chiffres du chômage sont repartis à la hausse depuis avril 2011. On voit se remettre en place l’enchaînement récessif de 2008 : gel des embauches, non-reconduction des contrats d’intérim et des CDD, puis licenciements économiques en fin d’année. En cause bien sûr, le retournement conjoncturel en cours, qui intervient alors que les marges des entreprises françaises sont encore dégradées par le choc de 2008-2009, et particulièrement dans l’industrie. Les entreprises fragilisées n’ont plus aujourd’hui la capacité d’amortir cette rechute comme elles l’avaient fait il y a 4 ans. L’économie française devrait retomber en récession dès le quatrième trimestre 2011, et nous prévoyons une chute de l’activité de 0,2% en 2012. Quand on sait qu’une croissance annuelle de 1,1% est nécessaire pour commencer à créer des emplois, la reprise des destructions d’emplois paraît inévitable. Si l’on ajoute à ce sombre constat une population active toujours dynamique, le nombre de chômeurs franchirait la barre des 3 millions d’ici la fin de l’année.

A l’aube d’un sommet social sous tension, quelles sont donc les options qui permettraient d’amortir l’impact de crise sur le marché du travail ? Dans l’urgence de la crise, le gouvernement dispose de deux principaux leviers très réactifs et peu coûteux : le chômage partiel et les emplois aidés dans le secteur non marchand.

Le chômage partiel, d’abord, permet d’amortir les difficultés conjoncturelles rencontrées par les entreprises et de conserver les compétences au sein de l’entreprise. Il existe des marges importantes pour élargir le dispositif. A titre de comparaison, la durée maximale d’indemnisation au titre du chômage partiel a été portée à 24 mois en 2009 en Allemagne, contre 12 mois en France. En outre, la prise en charge de l’Etat, nettement supérieure en Allemagne, explique en partie le large usage qui y en a été fait : le chômage partiel y a touché 1,5 millions de personnes au pire de la crise, contre 266 000 en France. Une telle orientation pèserait par ailleurs très peu sur les finances publiques, car aux 610 millions d’euros déboursés par l’Etats au titre du chômage partiel en 2009, on peut opposer les indemnités chômage économisées, et la préservation du capital humain.

Mais le chômage partiel profite avant tout aux emplois industriels stables. Or, les premières victimes de la crise sont précisément les emplois précaires et les jeunes. C’est à ces catégories de population que s’adressent les emplois aidés. Là aussi, le gouvernement dispose de marges de manœuvre puisque depuis fin 2010, 70 000 contrats aidés non-marchands ont été détruits –et 300 000 depuis le début des années 2000- et que le dispositif n’est pas très coûteux. La création de 200 000 emplois aidés coûterait ainsi 1 milliard d’euros à l’Etat, à comparer au manque à gagner de 4,5 milliards lié à la défiscalisation des heures supplémentaires, en contradiction avec la logique du chômage partiel. Ciblés sur les catégories de chômeurs les plus éloignées de l’emploi – chômeurs de longue durée, peu qualifiés… – ces dispositifs permettraient de réduire le risque d’éloignement du marché du travail.

Pour autant, si ces outils doivent être mobilisés dans l’immédiat, ils n’en demeurent pas moins des dispositifs de court terme. Le chômage partiel reste circonscrit aux secteurs industriels à 80%, et pour des recours de courte durée. Si la situation économique demeure dégradée, on sait que le dispositif ne fait que retarder les licenciements. De même, les emplois aidés n’ont pas vocation à être pérennisés. Ce sont des emplois faiblement rémunérés, à temps partiel, qui visent la réinsertion sur le marché du travail mais ne doivent pas constituer une perspective durable.

L’enjeu majeur est donc celui du diagnostic de la situation économique actuelle. En concentrant les négociations sur la question du chômage partiel et de l’emploi aidé, le gouvernement semble faire le pari d’une reprise rapide. Pourtant, c’est bien la conjonction des plans de rigueur à l’échelle européenne qui pèsera sur la croissance dans les années à venir. Et cette politique de réduction des déficits publics, qui coûtera 1,4 point de croissance à la France en 2012, devrait perdurer au moins en 2013. Difficile, dans ces conditions, d’espérer sortir assez rapidement de l’enlisement pour éviter la catastrophe sociale qui s’annonce. A moins d’envisager une nouvelle baisse pérenne du temps de travail et des créations d’emplois publics, la meilleure politique de l’emploi reste l’activité. C’est donc avant tout la question de la gouvernance macro-économique qui se pose aujourd’hui, en France comme dans l’ensemble de la zone euro.




Crispation sur le marché du travail

par Marion Cochard

Quatre ans après le début de la crise économique et financière, ses conséquences sur le marché du travail sont encore plus présentes. Malgré le regain de croissance observé en 2010, la hausse du chômage et la dégradation des conditions de travail ne se sont pas résorbées. Pôle emploi compte aujourd’hui 800 000 demandeurs d’emploi de plus que début 2008, et 300 000 demandeurs d’emplois en activité réduite supplémentaires, signe de la hausse du sous-emploi. C’est dans ce contexte qu’intervient l’inflexion marquée par l’emploi salarié au troisième trimestre – 3 600 emplois créés dans le secteur marchand selon l’INSEE, contre 53 600 au deuxième trimestre. Ce chiffre va dans le sens des multiples signes de retournement du marché du travail, dont le déroulement rappelle l’enchaînement récessif de 2008. Depuis avril 2011, on a ainsi assisté à un retournement de l’intérim (graphique), certes modeste au regard de l’effondrement enregistré en 2008, mais tout de même préoccupant dans la mesure où  l’emploi intérimaire est un indicateur avancé de l’évolution de l’emploi marchand. Par ailleurs, l’ensemble des indicateurs fournis par Pôle emploi – hausse du nombre d’entrées pour fin de CDD, baisse des reprises d’emplois, … – vont dans le sens d’une nouvelle crispation sur le marché du travail, et le chômage au sens du BIT est remonté à 9,3% de la population active au troisième trimestre. On voit se remettre en place le scénario qui a conduit à la destruction de plus de 300 000 emplois en 2009 : gel des embauches, non-reconduction des emplois intérimaires et des CDD, reprise du chômage partiel face à la dégradation des perspectives, …

Cette crispation annonce une reprise des destructions d’emplois dès la fin 2011, et ce d’autant que la récession passée n’a toujours pas été complètement absorbée par le marché du travail. Car l’effondrement de l’activité a entraîné une forte chute de la productivité en 2009, conformément au mécanisme du cycle de productivité : face à la dégradation de la conjoncture, les entreprises ont préféré dans un premier temps réduire le temps de travail – via l’extension des dispositifs de chômage partiel, les congés et RTT imposés, la baisse des heures supplémentaires, … – et supporter une dégradation de leurs marges. Elles ont également supprimé progressivement les emplois intérimaires et les CDD, et ce n’est qu’ensuite qu’elles ont procédé à des suppressions d’emplois plus stables. Par la suite, les entreprises profitent généralement du retour de la croissance pour rétablir leur productivité. Or, les entreprises françaises n’ont à ce jour pas rattrapé le retard de productivité accumulé au cours de la crise, et l’écart par rapport à sa tendance de long terme s’élevait encore à 1,7% au deuxième trimestre 2011. Conséquence de cet affaissement durable du cycle de productivité, les taux de marge des entreprises restent dégradés et n’ont à ce jour pas retrouvé leurs niveaux d’avant-crise (cf. graphique). Ils se situent aujourd’hui à un niveau exceptionnellement bas si l’on considère les niveaux observés dans les années 1990 et 2000. Les entreprises françaises se trouvent donc aujourd’hui dans une situation beaucoup moins favorable qu’en 2008 pour résister à la nouvelle chute d’activité qui s’amorce. La situation est particulièrement critique dans l’industrie, où les taux de marge des entreprises demeurent historiquement bas. Elles ne pourront donc procéder à une baisse de la productivité de la même ampleur qu’en 2008 ; les destructions d’emploi s’annoncent donc plus rapides qu’en 2008-2009.

C’est donc la seconde phase d’une même crise que l’on aborde aujourd’hui, dont la physionomie sera différente de la première. Reste à décider les moyens que l’on souhaitera mettre en place pour faire face à ce nouveau retournement, et deux options se présentent. La première résiderait, comme en 2008, dans un ajustement du marché du travail via des destructions d’emplois, essentiellement, en faisant d’abord porter le poids de la crise sur les salariés les plus précaires (CDD et intérimaires). La seconde consisterait à partager l’effort entre les salariés, comme cela a été fait en Allemagne, en réduisant le temps de travail. Une telle orientation nécessite une politique économique volontariste et devrait aller bien au-delà du chômage partiel tel qu’il existe aujourd’hui, qui concerne quasi-exclusivement l’industrie. Outre le maintien en emploi de salariés menacés, cela présenterait l’avantage de conserver dans l’entreprise les compétences qui leurs seront nécessaires lors de la reprise de l’activité. Cela permettrait de limiter la progression du chômage de longue durée et les problèmes d’insertion qui en découlent, et qui peuvent peser sur le potentiel de croissance à long terme. Pour autant, le chômage partiel demeure une solution temporaire et la meilleure politique de l’emploi est encore l’activité. C’est en rompant avec la spirale récessive entretenue par des politiques budgétaires à contretemps que les économies européennes retrouveront le chemin des créations d’emplois.




Hausse du chômage : ce n’est qu’un début…

par Marion Cochard

BNP Paribas, Areva, Peugeot-Citroën, … alors que le marché du travail porte encore les stigmates de la crise économique et financière de 2008-2009, une série d’annonces de plans sociaux a repris depuis l’automne. Si ces plans ne sont que la partie émergée de l’iceberg, les chiffres du chômage pour le troisième trimestre confirment que la détente observée en 2010 n’aura été qu’une accalmie passagère. Cette estimation fait état d’une hausse de 37 000 chômeurs sur le trimestre ;  ainsi le taux de chômage remonte à 9,3% de la population contre 9,1% au deuxième trimestre.

Ces chiffres s’inscrivent dans la suite logique des indicateurs qui alimentent, depuis la mi-2011, le scénario d’une nouvelle rechute du marché du travail. Depuis avril 2011, on a assisté d’abord à un retournement de l’intérim, dont la forte baisse au troisième trimestre est préoccupante si l’on voit dans l’emploi intérimaire un indicateur avancé de l’évolution de l’emploi marchand. Par ailleurs, après 4 mois de baisse, le chiffre des demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégories A enregistrés à Pôle emploi a de nouveau bondi de 145 800 personnes entre avril et octobre 2011. Au final, tous les indicateurs vont dans le sens de ce que nous inscrivions dans notre précédente prévision, à savoir une reprise du mouvement de hausse du chômage, au moins jusqu’à la fin 2012 (cf. Tableau). Car à cet horizon au moins, tous les facteurs se conjugueront pour venir alimenter la masse des chômeurs.

En cause en premier lieu, bien sûr, le ralentissement de l’activité économique, qui se traduira nécessairement par de nouvelles destructions d’emplois, dans des entreprises qui demeurent très affaiblies par la récession passée. Si les chiffres du troisième trimestre ont montré une résistance de l’activité (avec une croissance du PIB de 0,4%), les enquêtes actuelles ne prêtent guère à l’optimisme pour les trimestres à venir. Mais au-delà de ce contexte économique morose, la politique économique a joué un rôle majeur dans l’évolution du chômage, comme en atteste l’explosion du chômage des seniors. Car la reprise des destructions d’emplois est d’autant plus douloureuse qu’elle intervient dans un contexte de population active dynamique. Outre la croissance démographique, c’est surtout la suppression des dispositifs de retraits d’activité anticipés des seniors et l’impact de la réforme des retraites entrée en application en juillet 2011 qui sont la cause de la hausse du chômage. Ces réformes impliquent une forte hausse de l’activité des seniors. Elles expliquent en partie la hausse du chômage enregistrée ce trimestre, et viendront encore gonfler la population active de 130 000 personnes en 2011 et 120 000 en 2012. Les seniors en sont les premières victimes : le nombre de demandeurs d’emplois de plus de 50 ans a augmenté de 70 % au cours des 3 dernières années, contre 35 % pour l’ensemble de la population. Après une année de répit, la situation du marché du travail aborde donc une nouvelle phase critique qui se traduira progressivement par une reprise du chômage de longue durée et son lot de conséquences sociales à mesure que les chômeurs perdront leurs droits à indemnisation. Et cet enlisement s’annonce durable dans la mesure où les efforts de consolidation budgétaire s’inscrivent dans le moyen terme et où la hausse de l’activité des seniors perdurera au moins jusqu’en 2017.

Pour faire face à la reprise du chômage, le gouvernement dispose aujourd’hui de deux leviers principaux : l’extension du chômage partiel et la réactivation du traitement social du chômage. L’assouplissement des règles du chômage partiel semble d’ores et déjà sur les rails. Mais cela ne saurait suffire puisque le dispositif concerne le secteur de l’industrie à 90% et profite essentiellement aux emplois stables. Or, ce sont précisément les emplois d’intérimaires et les CDD qui se trouvent aux premières loges de ce retournement conjoncturel. Reste donc la possibilité d’un recours accru aux emplois aidés dans le secteur marchand, pour faire face au risque d’éloignement du marché du travail de certaines catégories de la population. Mais le gouvernement semble pour l’instant écarter cette option. Car si dans la première phase de la crise – entre 2008 et 2010 –, le nombre de contrats aidés dans le secteur non marchand a augmenté d’un peu plus de 80 000, celui de l’année 2011 se situe à ce jour bien en-deçà de l’objectif de stabilité affiché par le gouvernement, et cela devrait perdurer en 2012. Ainsi la politique de l’emploi a plutôt amplifié la hausse du chômage en 2011. En effet, les rallonges budgétaires successives votées dans le courant de l’année 2011 ne devraient pas être maintenues dans un contexte de resserrement de la politique budgétaire, et les destructions de contrats aidés viendraient donc s’ajouter à la baisse de l’emploi marchand. Dans ce contexte, l’expérimentation en 2012 de nouveaux contrats aidés de 7h par semaine – soit 3 fois moins que les contrats actuels – pourrait cependant annoncer la direction qu’est tenté de prendre le gouvernement : des contrats très faiblement rémunérés, dont l’efficacité en matière d’insertion sera probablement extrêmement réduite, mais dont le coût sera divisé par 3. La généralisation de ce type de contrats permettrait donc, à budget constant, de limiter sensiblement la hausse du chômage. Quoi qu’il en soit, l’expérimentation de ce type d’emplois aidés devrait être limitée à 10 000 contrats en 2012 : en l’absence d’annonces du gouvernement, nous tablons à l’heure actuelle sur une baisse du nombre de contrats aidés à cet horizon. Le taux de chômage atteindrait ainsi 10,5 % de la population active fin 2012.




France : austérité consolidée

par Eric Heyer

Les pays européens se sont engagés dans leur programme de stabilité à retourner en 3 ans à des finances publiques plus équilibrées (déficit des APU en dessous de 3 points de PIB). Contrairement aux années antérieures, le respect de ces engagements apparaît plus probable : dans un contexte financier incertain, être le seul Etat à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire serait sanctionné immédiatement par un renchérissement de ses conditions financières (dégradation de sa note, amende de la part de la Commission européenne, contagion implicite des défauts souverains, prime de risque). Mais en tentant de réduire leurs déficits prématurément, trop rapidement et de façon synchrone, les gouvernements des pays européens prennent le risque d’un nouveau ralentissement de l’activité.

Après avoir revu à la baisse, en août dernier, sa prévision de croissance pour 2012, passant de 2,25 % à 1,75 %, le gouvernement français a décidé de mettre en place un nouveau plan d’austérité afin de pouvoir respecter son engagement d’un déficit de 4,5 points de PIB en 2012. Ce plan de 11 milliards d’euros d’économie vient s’ajouter au plan initial voté il y a un an et devrait amputer directement la croissance de 1 point de PIB l’année prochaine. D’autres pays ont également réajusté à la hausse leur plan de rigueur : c’est le cas notamment de l’Italie qui a multiplié par près de trois son effort budgétaire et de l’Espagne qui s’impose maintenant la plus forte cure d’austérité des grands pays européens (tableau).

 

La prise en compte de ces nouvelles mesures restrictives, qu’elles soient nationales ou appliquées chez nos pays partenaires, nous a conduits à revoir significativement nos prévisions de croissance pour l’économie française en 2012. En se cantonnant aux seuls pays européens, qui sont par ailleurs nos principaux partenaires commerciaux, la seule surenchère de mesures d’économies annoncée au cours des 6 derniers mois nous a conduits à rabaisser de 0,7 point notre prévision de croissance pour 2012 réalisée en avril dernier pour l’économie française.

Cette stratégie de fort désendettement public nécessiterait un relais puissant de la part de la demande privée afin de ne pas briser l’élan de la reprise intervenu en 2010. Mais cet espoir apparaît fragile face aux nombreuses incertitudes pesant sur la dynamique interne.

Au total, l’économie française devrait croître, en moyenne annuelle, de 1,6 % en 2011 et de 0,8 % en 2012. En s’établissant à un rythme éloigné de son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader la situation du marché du travail. Le taux de chômage augmenterait régulièrement au cours des six prochains trimestres,  pour s’établir à  9,3 % fin 2011 et à 9,7 % fin 2012, après 9,1 % au deuxième trimestre 2010.

Par ailleurs, le gain budgétaire, attendu par le gouvernement, de la mise en place de la stratégie de consolidation – objectif  de déficit des APU à 4,5 % de PIB en 2012 – sera en partie rogné par le manque à gagner du côté des recettes fiscales en lien avec cette faible croissance. Le déficit des administrations publiques devrait s’établir respectivement à 5,8 % du PIB et 5,2 % en 2011 et 2012, après 7,1 % en 2010, portant la dette publique à 85,6 % du PIB en 2011 et à 89 % en 2012, contre 82,3 % en 2010.




La jeunesse, génération sacrifiée ?

par Guillaume Allègre

La jeunesse serait-elle sacrifiée par la génération des baby-boomers ? Dans cette note de l’OFCE, nous faisons le point sur les inégalités entre âges et générations et montrons comment la thèse du conflit de génération s’appuie sur une analyse partiale de la situation des jeunes qui occulte les avantages dont bénéficie au moins une partie de la jeunesse. Loin de la spoliation des jeunes par les baby-boomers, c’est à la transmission intergénérationnelle des inégalités, via le diplôme scolaire et les solidarités familiales, que l’on assiste.

La jeunesse fait face à des conditions d’insertion dans la vie active dégradées : le taux de chômage des 16-25 ans est passé de 9,7 % en 1976 à 17,9 % en 2007 pour atteindre 22,1 % en 2009. Cette montée du chômage s’est accompagnée d’un développement important de l’emploi temporaire, entraînant des écarts de salaires entre les jeunes et les moins jeunes nettement plus importants que dans les années 1970. La forte augmentation du prix des logements depuis 1998 s’est faite au détriment des non-propriétaires et donc des générations les plus jeunes. Alors que la montée en charge du système de retraites a permis la forte diminution du taux de pauvreté des plus de 60 ans, la pauvreté a rajeuni : en 2008 le taux de pauvreté des 18-29 ans s’élevait à 16,7 % contre 13 % pour l’ensemble de la population et 8 % pour les 60 à 74 ans.

Pourtant, si le constat d’une ‘génération sacrifiée’ part de faits avérés, l’approche consistant à évaluer ces phénomènes exclusivement sous le prisme de l’âge ou de la génération est trompeuse. En effet, l’approche générationnelle masque les inégalités au sein des générations. Les difficultés liées à l’entrée dans la vie active ne sont en effet pas partagées par l’ensemble des jeunes. Clerc et al. (2011) montrent que les non-diplômés sont particulièrement exposés à la conjoncture lors de leur entrée sur le marché du travail, alors que les diplômés accèdent toujours rapidement à l’emploi stable. Ce constat corrobore celui fait par le Cereq. Or, diplôme et origine sociale restent liés. Le logement constitue une autre voie de la transmission intergénérationnelle des inégalités : à terme, les gains liés à l’augmentation des prix de l’immobilier seront transmis aux enfants. Dès aujourd’hui, on peut constater une forte augmentation de l’écart d’accès à la propriété entre catégories sociales. Outre les aides liées à l’accès au logement, les jeunes issus des familles les plus aisées bénéficient de fortes solidarités familiales. Loin de la spoliation des jeunes par les baby-boomers, c’est bien à la transmission intergénérationnelle des inégalités, via le diplôme scolaire et les solidarités familiales, que l’on assiste.

Les politiques s’appuyant sur un diagnostic purement générationnel risquent de rater leur cible. Une CSG allégée pour les jeunes bénéficierait à ceux qui s’en sortent déjà alors que l’alourdissement de la CSG sur les pensions de retraite toucherait les petits retraités et les locataires autant que les bénéficiaires de retraites-chapeau et les propriétaires. Les retraités sont plus aisés que les jeunes actifs : la taxation progressive des revenus réduirait cette inégalité sans en créer une autre. Ils sont plus souvent propriétaires que les plus jeunes : il faut alors imposer les revenus du patrimoine qui échappent à l’impôt, les plus-values immobilières réelles et la valeur locative des logements occupés par leurs propriétaires (ou, à l’inverse, permettre aux locataires de déduire leur loyer de leur  revenu imposable et augmenter pour tous le barème de l’impôt sur le revenu). Les non-diplômés s’insèrent difficilement sur le marché du travail : c’est aux sorties sans diplôme du système scolaire et au chômage des non-diplômés qu’il faut prioritairement s’attaquer.




Des contrats courts pour les allocataires du RSA

par Hélène Périvier

Faut-il instaurer une obligation de travail minimum pour les allocataires du RSA ? Ce travail doit-il être non rémunéré comme le suggérait Laurent Wauquiez en mai 2011, ou rémunéré comme le propose la « mission présidentielle sur l’amélioration du RSA et le renforcement de son volet insertion » présentée par Marc-Philippe Daubresse le 14 septembre 2011 ? La note qui suit ainsi qu’une note plus longue visent à éclairer le débat.

Ce dernier propose un nouveau type de contrat aidé : un contrat d’insertion de 7 heures par semaine ciblé sur les allocataires du RSA sans emploi. Ceux-ci se verraient dans l’obligation de l’accepter sous peine de voir leur droit à l’allocation suspendu, comme le prévoit la loi. Contrairement à la proposition de Laurent Wauquiez, il s’agit bien d’un contrat conforme au droit du travail, rémunéré au SMIC, assorti d’un temps de travail très court : « un travail d’utilité sociale ». Ces travailleurs percevront le RSA-activité qui complètera de façon pérenne leur salaire. Que dire de ce nouveau dispositif ?

L’ancien contrat d’avenir proposait des emplois subventionnés de 20 heures par semaine aux allocataires de minima sociaux. Mais le rapport précise à propos de ces contrats aidés qu’ils ne sont pas « accessibles d’emblée pour certains bénéficiaires du RSA, des étapes préalables pouvant être nécessaires. » Le pari est pris qu’en abaissant le niveau de la première marche de « l’escalier » qui mène à l’emploi stable à temps plein, c’est-à-dire en divisant par 3 la durée hebdomadaire de travail, on facilitera  l’accès aux autres formes d’emploi. Or, la marche suivante correspond aux emplois aidés traditionnels, dont on sait déjà qu’ils ne permettent pas de sortir de la précarité. La durée du nouveau contrat est au minimum de six mois et ne peut excéder deux ans. Ainsi en deux ans maximum et en travaillant 1 journée par semaine, le dispositif doit remettre le pied à l’étrier des allocataires du RSA jusque-là sans emploi. On peut s’interroger sur l’efficacité de ces propositions qui cherchent à adosser la solidarité nationale sur la valeur travail au moment même où le taux de chômage est de plus de 9 %, et où le chômage de longue durée ne cesse d’augmenter sous l’effet de la crise économique.  Il ne faut donc pas trop attendre un résultat miracle de ce côté-là.

Le rapport propose la création de 10 000 contrats de ce type dans la phase expérimentale, et 150 000 par la suite. Ce sont autant de personnes en moins qui pouvaient potentiellement venir grossir les chiffres du chômage. Mais 150 000 emplois à 1 journée de travail par semaine ne représentent que 30 000 emplois à temps plein. Le coût total (aide à l’employeur et RSA-activité compris) pour l’Etat s’élèverait, d’après le rapport, à 420 millions d’euros, auxquels il convient d’ajouter la participation des départements de 294 millions d’euros pas an, soit au total 714 millions d’euros pour une réduction non négligeable des chiffres du chômage. Ce calcul ne tient pas compte du coût de l’accompagnement spécifique qu’il conviendrait d’adosser à ces emplois pour permettre aux bénéficiaires de gravir les marches du fameux escalier, le rapport affirme d’ailleurs que « l’activité est mobilisatrice et que, bien accompagnée, elle est le premier pas dans un parcours d’insertion, qui peut être long mais l’essentiel est qu’il soit engagé ».

En créant 150 000 « petits boulots » de 7 heures par semaine, on fait d’une pierre deux coups : on contient les statistiques du chômage et on remet la logique de la contrepartie au cœur de l’aide sociale.