Crise sanitaire, emploi, chômage : l’Ile de France en première ligne

Par Bruno Coquet

Les conséquences de la crise sanitaire sur l’emploi et
le chômage s’aggravent et deviennent de plus en plus hétérogènes d’une région à
l’autre, comme nous avons récemment illustré (Blog de l’OFCE du 4 mars 2021).



L’un des faits les plus remarquables réside dans le prix
particulièrement lourd que paie l’Ile de France à cette crise : en 2019, la
région rassemblait 23,4% de l’emploi salarié et 16,9% des chômeurs inscrits à
Pôle Emploi, mais depuis le début de la crise sanitaire elle concentre 30,6% de
la baisse de l’emploi, 40,2% de la chute des embauches, et 32,3% à la hausse
des DEFMabc dans l’ensemble du pays en 2020.C’est donc pour le moment le marché
du travail francilien qui subit l’essentiel des difficultés consécutives à la
situation sanitaire.

Le choc est aussi rude qu’inhabituel, car l’Ile de
France est depuis de nombreuses années une région parmi les plus dynamiques de
métropole, comme l’illustre l’accroissement continu de +1,5% son poids dans l’emploi
salarié du pays au cours des années 2010 (graphique 1). Mais sous l’effet de la
crise sanitaire, deux trimestres ont suffi à effacer les gains des 18 derniers
mois : la région ne pesait plus que 23,3% de l’emploi du pays au 3ème
trimestre 2020, soit son niveau de fin 2018.

A la fin du troisième trimestre 2020 ce sont au total
90 000 emplois qui ont été détruits en 3 trimestres depuis la fin 2019 en
Ile de France. Une légère progression dans les services non-marchands
(+7 000 emplois) dans l’agriculture ou la construction (+6 000, soit
près du tiers des emplois créés par ce secteur dans le pays), compensent un peu
la baisse de -97 000 emplois dans le tertiaire marchand. Ces secteurs de
services marchands subissent en effet fortement la crise du fait des mesures de
confinement sévères dont nombre d’entre eux sont l’objet, directement ou
indirectement (restaurants, tourisme, culture, événementiel, etc.). L’Ile de
France est plus spécialisée dans ces secteurs, puisqu’elle concentrait 29,8%
des emplois tertiaires marchands fin 2019, et que ceux-ci y représentait 63% de
l’emploi en 2019 contre 45% dans le reste de la France. Néanmoins l’intensité
de la crise va encore au-delà de cette forte exposition, puisque l’Ile de
France contribue à 33,6% de la baisse de -289 000 emplois enregistrée en
France dans les services marchands à la fin du 3° trimestre 2020. (A l’image de
la baisse du tourisme, plus marquée en IDF ?)

L’évolution de l’emploi intérimaire confirme ce
diagnostic. La reprise qui a succédé à l’effondrement généralisé d’avril 2020, coïncide
avec une forte disparité des situations régionales et un recul très marqué en
Ile de France. Au niveau national le nombre de contrats a diminué de 4,1
millions (-21%) sur les onze premiers mois de l’année : on comptait
711 000 intérimaires employés fin novembre 2020, soit 83 000 de moins
qu’un an auparavant. L’Ile de France qui représentait 16,8% de l’emploi
intérimaire en 2019, enregistre une baisse de 19,1% l’emploi dans l’intérim, contre
-8,7% pour l’ensemble des dans le reste du pays, si bien qu’elle concentre près
du tiers (31,1%) des pertes d’emploi dans ce secteur.

En amont de cette contraction de l’emploi on observe un tarissement des flux d’embauches : les offres d’emploi collectées chaque trimestre par Pôle Emploi ont été 40% moins nombreuses en 2020 que les années précédentes (graphique 2). Les déclarations d’embauches recensées par l’Acoss ont chuté du même ordre de grandeur entre 2019 et 2020 (graphique 3). La dépression des embauches affecte plus fortement les contrats courts que les contrats longs, mais quel soit le type de contrat le recul est toujours été nettement plus prononcé en Ile de France que dans le reste du pays : au total l’Acoss a recensé 19,2 millions d’embauches hors intérim en 2020 soit 7 millions de moins qu’en 2019, et la part de l’Ile de France est passée de 31,1% à 27,1% de ces déclarations embauches soit une baisse de 8,2 à 5,3 millions de contrats en 2020, soit une chute de -2,9 millions d’embauches dont 80% de contrats de moins de 1 mois. Ces évolutions reflètent la spécialisation de la région Ile de France dans les activités de services marchands à la fois fortement utilisatrices de contrats courts et très impactées par les mesures prophylactiques.

Du côté du chômage, on sait que la mesure du taux de chômage est fortement affectée par la crise (cf. Insee). Néanmoins dans tous les départements de la région le taux de chômage augmentait de 1 à 1,5 point, significativement plus qu’en moyenne en France (+0,9 point), et ce qu’il ait été faible avant la crise, comme à Paris (6,2%) ou élevé comme en Seine Saint-Denis (10,5%) (graphique 4).

La contribution de l’Ile de France à la hausse des inscriptions en DEFMabc à Pôle Emploi est particulièrement forte (32,3%). Dans six des huit départements de la région la contribution à la hausse des DEFMabc observée en France est deux fois plus importantes que leur part dans les DEFMabc fin 2019. Plus en détails on observe également une forte contribution de l’Ile de France à la hausse nationale des DEFMa (37,8%) alors que la région ne pesait que pour 18,4% de cette catégorie en France en 2019. On note aussi que les DEFMc diminuent dans tous les départements franciliens, alors même qu’elles augmentent dans le reste du pays. On note également que le nombre de DEFMc (activité réduite longue) baisse de -7,2% quand il augmente de +1,6% hors Ile de France, tandis que les DEFMb (activité réduite courte) baissent de -5,6 mais de seulement -1,4% dans le reste de la France.

Les évolutions comparées des inscriptions en DEFMabc et celles du taux de chômage, peuvent refléter des comportements d’activité et des réponses aux enquêtes différents d’un département à l’autre. Ces écarts peuvent également être le fruit de la combinaison de répartition sectorielle des emplois, des contrats qui leur sont associés et des mesures d’urgence telle que l’activité partielle pour les salariés en emploi stable et l’éligibilité élargie à l’assurance chômage (accès, prolongation des droits, etc.). Par exemple, si l’on considère que les actifs vivant en Seine Saint-Denis sont fortement exposés aux contrats courts et disponibles pour travailler, on pourrait s’expliquer que le nombre de DEFMabc habituellement élevé dans ce département augmente relativement peu, et qu’à l’opposé le taux de chômage au sens du BIT augmente beaucoup en raison d’un nombre relativement faible d’actifs en CDI susceptibles de bénéficier de l’activité partielle. D’autre part 20,8% des nouveaux inscrits sur les listes de Pôle Emploi a moins de 25 ans, alors que la part des jeunes DEFMabc était de 9,3% avant le déclenchement de la crise sanitaire (ce ratio étant même supérieur à 3 dans les hauts de Seine), ce qui apparaît cohérent avec la forte proportion de jeunes habituellement constatée en contrats courts dans les services marchands. Une analyse détaillée des comportements d’activité est toutefois nécessaire pour asseoir ces hypothèses.

*

Au total la situation de l’Ile de France est
inhabituellement dégradée dans cette crise. Ces constats soulèvent des questions :
ces évolutions présagent-elles ce qui pourrait advenir dans les autres ? Ne
sont-elles que transitoires en attendant un fort rebond de l’emploi dans les
secteurs confinés du tertiaire marchand dès lors que la situation sanitaire
s’améliorera ? Des éléments complémentaires sont nécessaires pour le dire.
A ce stade il est néanmoins sûr que la répartition régionale des moyens
consacrés aux mesures d’urgence, de relance, de soutien aux individus et aux
entreprises, peut d’ores et déjà tenir compte de la situation extrêmement
dégradée de l’Ile de France, d’autant que l’activité a souvent été un moteur essentiel
de la croissance pour l’économie française dans son ensemble.




Crise sanitaire, chômage, inégalités territoriales

par Bruno Coquet

Au printemps 2020, l’activité économique et le marché
du travail se sont figés dans l’ensemble du pays. Dans ce premier temps de la
crise, les nuances entre secteurs, et surtout entre territoires ont été
reléguées au second plan. Puis, tout au long de l’année 2020, le déconfinement,
les restrictions ciblées, les couvre-feux, le deuxième confinement, les
activités partiellement ou totalement mises à l’arrêt selon qu’elles étaient considérées
plus ou moins « essentielles », le tout parfois combiné à la
saisonnalité de l’offre ou de la demande, ont introduit de la complexité et une
grande hétérogénéité des effets de la crise sanitaire.



La situation de différents publics, en particulier les
jeunes, et l’arrêt de l’activité et des embauches dans des secteurs les plus
impactés focalisent l’attention et les craintes. Les déclinaisons territoriales
de la crise suscitent nettement moins d’intérêt[1].
Pourtant de fortes inégalités territoriales commencent à prendre forme sur le
marché du travail : d’un côté la mesure biaisée du chômage BIT tend à
niveler les différences entre régions, et celles-ci apparaissent ni plus ni
moins différenciées que dans un cycle conjoncturel ordinaire ; d’un autre
côté, les déclarations d’embauches à l’Acoss et les inscriptions à Pôle Emploi dessinent
un tableau beaucoup plus hétérogène entre régions et entre départements. La
situation la plus préoccupante est celle de l’Île-de-France qui représentait 23% de l’emploi salarié
et 17% des chômeurs en 2019, mais concentre 30% de la baisse de l’emploi et 40%
de la chute des embauches, et 32% à la hausse des DEFM en France en 2020.

Les données disponibles ne permettent pas encore
d’expliquer précisément ces différences. Notamment il n’y a pas de régularité
directement évidente, ni avec la situation sanitaire ou ni avec la
spécialisation des territoires. L’approche simplement descriptive retenue ici
permet cependant déjà d’identifier des problèmes, et fournit des éléments pertinents
pour prioriser et orienter les interventions publiques en adéquation avec la situation
spécifique du marché du travail au niveau territorial.

Taux de chômage :
biaisé et peu différencié

Le taux de chômage au sens du BIT est connu jusqu’au quatrième
trimestre 2020, où il atteignait 8,0%, légèrement inférieur à son niveau de fin
2019 (8,1%). Mais l’Insee explique parfaitement les perturbations techniques et
comportementales de tous ordres que subit cet indicateur[2],
qui font apparaître son évolution en contrepoint de la chute d’activité
observée.

Les séries complémentaires au sens du BIT (halo, sous-emploi)
donnent une vision plus précise de la complexité contemporaine des situations
d’emplois. Mais, même en incluant ces populations (hors activité partielle) les
différents concepts issus de l’enquête emploi fin 2020 à sont un niveau
équivalent à celui de la fin 2019, avant la crise (graphique 1), cependant que
l’emploi est en baisse et les DEFM en hausse donnent une image plus contrastée
de la réalité.

Au niveau régional les taux de chômage ne sont pour le
moment connus que jusqu’au troisième trimestre 2020, période durant laquelle
une partie des difficultés de mesure étaient moindres en raison de l’important
relâchement des restrictions pesant sur l’activité. En outre les séries
complémentaires que publie l’Insee (halo, sous-emploi) ne sont pas encore
disponibles au niveau régional.

Si l’on met de côté les départements d’outre-mer qui
connaissent une baisse très significative de leur taux de chômage, les régions
métropolitaines enregistrent une hausse plutôt modérée de celui-ci : en
effet, au-delà de la chute observée au niveau national en T2 et du rebond en
T3, les évolutions régionales ne sont pas inhabituelles, et même relativement
homogènes entre régions compte tenu de l’aspect difficilement lisible, de la
situation sanitaire et de ses conséquences. Autour de la moyenne nationale de
+0,9 point (révisée à +1,0 pt en février 2021), l’augmentation dépasse 1 point
en Corse (+1,4 pt), Île-de-France (+1,3 pt), Pays de Loire et Provence Alpes Côte -d’Azur
(+1,1 pt) ; à l’opposé, la hausse est inférieure à 0,8 point dans les
régions Centre Val de Loire (+0,5 pt) et Bourgogne Franche-Comté (+0,7 pt).

Les informations disponibles sont cependant encore
insuffisantes pour déterminer si les écarts observés entre régions proviennent
de biais plus ou moins importants de l’indicateur ou d’une réalité
effectivement différente.

Emploi : recul
modéré, concentré sur quelques régions

Si on se réfère aux destructions d’emplois qui
devraient suivre une contraction de l’activité telle que celle observée en
2020, la situation de l’emploi apparaît presque figée par les mesures de
soutien, puisque la chute de l’emploi salarié marchand n’a été que de
-360 000 emplois à la fin 2020 par rapport à la fin 2019. En miroir, le
recours à l’activité partielle dans les régions est conforme à ce que peut laisser
attendre le poids de chaque région dans l’emploi salarié total (graphique 3).

Les données régionales ne sont disponibles que pour
les trois premiers trimestres 2020. Trois régions (Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Grand-Est), qui représentaient
43% de l’emploi total fin 2019 expliquent à elles seules la moitié de la baisse
de l’emploi jusqu’en octobre 2020 ; si on leur ajoute la région Provence
Alpes-Côte-d’Azur, ces 4 régions qui pèsent la moitié de l’emploi expliquent
60% de sa baisse. Même si elles ont un poids plus modeste, les régions Bourgogne-Franche-Comté
et Corse ont à leur échelle une forte contribution à la baisse de l’emploi (respectivement-5,5%
et -0,9%), soit environ 1,5 fois leur poids dans l’emploi salarié du pays (3,8%
et 0,5%). À
l’opposé les régions de la Bretagne et des Hauts de France pèsent à elles deux
12,8% de l’emploi salarié mais seulement 7,3% de la baisse observée en 2020 (graphiques
3 et 4).

Les dynamiques d’emploi sont donc très hétérogènes au
niveau régional, malgré l’inertie relative du marché du travail national. Il est
cependant difficile, en première approche, de faire un lien direct entre l’incidence
de l’épidémie et ces résultats dans chaque territoire, comme le montrent par
exemple la Bretagne peu touchée et les Hauts-de-France très touchés par les
contaminations. Il est possible que cette différenciation entre régions puisse
résulter de la combinaison de mesures sanitaires homogènes au niveau national
et de spécialisations sectorielles de chaque territoire.

La dynamique de l’emploi intérimaire est assez
analogue à celle de l’emploi total : après l’effondrement généralisé
d’avril 2020, la reprise coïncide avec une dispersion régionale significative.
Proportionnellement, l’Île-de-France est ici encore la région la plus affectée : à
fin novembre 2020, l’emploi intérimaire est 18% inférieur à son niveau moyen de
2019. À
l’opposé en Martinique les emplois en intérim sont 20% plus nombreux que
l’année précédente. L’emploi intérimaire a retrouvé une bonne dynamique en
Corse, contrastant avec l’évolution de l’emploi salarié en général (graphique
5).

La mise sous cloche de l’économie a évidemment une
incidence très différenciée sur les stocks (emploi, chômage) et les flux
(embauches, fins de contrats et licenciements) : si le stock d’emplois
présente une chute modérée relativement à la baisse d’activité, les flux
d’embauches atteignent quant à eux un étiage du fait de la mise à l’arrêt de
certains secteurs fortement utilisateurs de contrats courts, des  effets de l’activité partielle, et par
l’affaiblissement des flux de sorties (démissions, licenciements, etc.) et donc
d’entrées en contrats longs. Les emplois courts, directement soumis aux
fluctuations d’offre et de demande sans que les mesures anti-crise ne les
protègent sont en effet beaucoup plus volatils que l’emploi salarié total.

Au regard des flux d’embauches, les régions les plus
affectées sont celles dont l’emploi chute le plus fortement. L’Île-de-France connaît l’évolution la plus défavorable, et c’est
même la seule région qui enregistre une baisse des flux d’embauches au-delà de
la moyenne nationale, tant pour les CDD de moins de 1 mois (-39,2%) que pour
les contrats plus longs (-23,5%) (graphique 6). La spécialisation productive
des régions explique certainement une partie de ces différences : par
exemple, en Île-de-France 63% des emplois sont dans les secteurs du « tertiaire
marchand » (49% pour l’ensemble du pays), qui comprend des activités très
impactées par la crise (restaurants, tourisme, activités culturelles,
événementiel… où la baisse des embauches dépasse parfois 30% au niveau
national, voire 40% pour les contrats de moins de 1 mois) ; en revanche, la
région Auvergne-Rhône-Alpes où le tertiaire marchand est également important
(49% de l’emploi) subit aussi très fortement la crise alors que sa
spécialisation plutôt industrielle (16% de l’emploi salarié pour 12,4% au
niveau national) aurait pu mieux la prémunir si on la compare par exemple aux
Hauts de France. Toujours au titre d’effets de composition on peut également
supputer que les départements d’outre-mer ont bénéficié de la forte proportion
d’emploi non-marchand dans leurs économies, comprise entre 40 et 45% et dépasse
même 51% pour la Guyane, contre une moyenne nationale de 32%.

On pourrait multiplier les exemples contradictoires,
qui montrent surtout qu’il est prématuré sur la base de ces seules données
d’expliquer les différences territoriales d’évolution des flux de main-d’œuvre
et d’emploi durant la crise. Pour ce faire, une analyse économétrique plus
poussée doit être conduite.

La chute des offres d’emploi collectées par Pôle
Emploi est plus marquée que celle des DUE mais elle confirme une hétérogénéité
régionale dont l’ampleur et la distribution sont pratiquement similaires
(graphique 7).

Inscriptions à Pôle
Emploi : forte hétérogénéité territoriale

La ventilation régionale des inscriptions à Pôle
Emploi est connue jusqu’au quatrième trimestre 2020, donc plus récente que les
données d’emploi et de chômage observées ci-dessus.

Ces inscriptions auprès de Pôle Emploi donnent une
image encore bien plus contrastée que les précédents de l’impact territorial de
la crise. L’Île-de-France connaît la plus forte progression des DEFMabc (+84 000, soit +8,6%
en 1 an), devant Rhône-Alpes-Auvergne (+38 000, +6,1%) (graphique 8). La
contribution de ces deux régions à la hausse totale des DEFMabc (respectivement
+ 32,3% et +14,7%) est près de deux fois plus forte que leur poids dans le
total des DEFMabc fin 2019. Enfin, quatre régions (Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie, Grand-Est) qui
représentaient 43% du total des DEFMabc à la fin 2019 expliquent deux tiers de
la hausse des inscriptions à Pôle Emploi.

Toutes les autres régions ont une contribution à la croissance
des DEFMabc moins que proportionnelle à leur poids dans cet indicateur fin
2019. La Corse et les départements ultramarins enregistrent une diminution des
DEFMabc, cohérente avec l’évolution du taux de chômage outre-mer, bien que cette
évolution soit plutôt surprenante pour la Corse. L’évolution des DEFMabc dans
les Hauts-de-France, région où le chômage est historiquement à un niveau élevé
et qui a durement subi la crise sanitaire, est particulièrement modérée, et
même la plus faible après la Corse et l’outre-mer.

Au niveau départemental l’hétérogénéité des territoires
en est encore plus marquée. On note que Paris concentrait en 2019 3,5% des
DEFMabc mais contribue à 5,5% de leur hausse en 2020, alors que le département
des Bouches du Rhône, dont le poids dans les DEFMabc était identique à celui de
Paris, contribue pour seulement 1,9% à la hausse de 2020. Le contraste est
encore plus fort avec le département du Nord qui comptait 4,5% des DEFMabc en
2019 mais ne contribue que pour 1,6% à la hausse de ces catégories de demandeurs
d’emploi en 2020 (graphique 9). Les départements d’Île-de-France ont tous une contribution deux fois plus élevée à la
hausse des DEFMabc en 2020 que ne l’était leur poids dans cet indicateur
l’année précédente. D’une dimension moindre, le Tarn-et-Garonne a une
contribution plus de 3 fois plus élevée (1,7%) à la hausse de 2020 que son
poids dans les DEFMabc en 2019 (0,5%). Enfin on note que les départements
limitrophes de la Suisse (Haute-Savoie, Ain, Doubs) ont une contribution très
forte à la hausse des DEFMabc consécutive à la crise sanitaire.

Si l’on détaille les évolutions du chômage des jeunes
au niveau départemental, on observe également une très forte hétérogénéité, et
si la situation est très problématique dans certaines régions du pays, elle s’est
aussi très peu dégradée dans d’autres, y compris dans des territoires
habituellement fragiles (Pas-de-Calais, Nord) sans que le lien avec la
situation sanitaire soit clair (graphique 10).

De manière générale les départements pour lesquels la
contribution à la hausse des DEFMabc était la plus forte sont tout de même
aussi ceux qui contribuent le plus à la hausse des DEFMabc des moins de 25 ans
en 2020. Quelques départements apparaissent cependant ici avec une situation
plus dégradée : Haute-Garonne, Loire-Atlantique, Gironde, et à un degré
moindre Alpes-Maritimes et Bas-Rhin qui ont en commun d’avoir une très grosse
agglomération pour préfecture. Le Nord, et dans une moindre mesure les Bouches-du-Rhône
sont dans la situation opposée, ainsi que des territoires traditionnellement
industriels comme la Seine-Maritime ou le Pas-de-Calais.

La situation des seniors de plus de 50 ans ne s’est
pas moins dégradée que celle des jeunes, mais elle est beaucoup plus homogène
au niveau régional et départemental.

***

Le rapprochement de ces différentes sources montre que
les marchés du travail des régions et des départements subissent très
diversement les conséquences de la crise sanitaire qui frappe la France. Cette
situation est en partie liée à la spécialisation sectorielle, à la structure
d’âge de la population, à l’intensité de l’épidémie dans chaque territoire,
mais pas seulement. En outre les régions habituellement les plus touchées dans
les cycles d’activité usuels, ceux où le taux de chômage est élevé (en
particulier celui des publics fragiles) ne sont pas cette fois-ci les plus
affectées, comme le montre le cas de l’Île-de-France, territoire le plus affecté par la crise en 2020,
quel que soit l’indicateur retenu.

Ces données donnent déjà des informations très utiles
pour cibler et calibrer au mieux les dispositifs d’urgence et de relance. Mais
il est nécessaire d’approfondir l’analyse, notamment pour comprendre les
raisons de cette différenciation inhabituelle, et éventuellement anticiper si
des mesures de soutien complémentaires – et lesquelles – seront nécessaires
lorsque l’économie reprendra son cours, une fois les restrictions sanitaires
levées.


[1]
Un travail en ce sens a été réalisé en juin 2020, juste après le premier
confinement, par Bouvart C., Dherbécourt C., Le Hir B. (2020) « Vulnérabilité
économique des zones d’emploi face à la crise », France Stratégie.
Le rapport du Comité de suivi et d’évaluation des mesures de soutien aux
entreprises a également publié en février 2021 un rapport « Statistiques
sur le recours aux dispositifs de mars à septembre 2020 », qui analyse
certains aspects, notamment l’utilisation de l’activité partielle durant le
premier confinement.

[2]
Cf. Note d’éclairage jointe à la publication (https://www.insee.fr/fr/statistiques/5044459)




Le niveau du PIB est plus important que son taux de croissance

par Éric Heyer

Le 27 janvier 2021, auditionné
par la Commission des finances du Sénat, le ministre de l’Économie et des
Finances, Bruno Le Maire, a indiqué que le scénario d’une croissance à 6 % en
2021, hypothèse retenue pour le budget 2021, « n’est plus le plus
probable » et qu’« il s’éloigne à mesure que la situation sanitaire reste
préoccupante ».

Si envisager une révision à la
baisse de la croissance constitue une mauvaise nouvelle en soi, il convient
toutefois de la relativiser.



Pour interpréter correctement les
conséquences d’une éventuelle révision à la baisse de la croissance en 2021, il
convient :

  • de rappeler la définition de la
    croissance : il s’agit de l’évolution en pourcentage du PIB en euros
    constants anticipée en 2021 par rapport à son niveau observé en 2020. Cette
    croissance est calculée en moyenne sur l’ensemble de l’année ;
  • d’indiquer que c’est le niveau du PIB, et non
    son taux de croissance, qui est déterminant pour évaluer notamment les recettes
    des administrations publiques ou estimer le besoin de main-d’œuvre des
    entreprises et par là prévoir le niveau du solde public ou du chômage ;
  • de démarrer par l’analyse du dénominateur, à
    savoir le niveau du PIB en 2020, et de le comparer notamment avec celui anticipé
    lors de l’élaboration du budget 2021 (PLFR IV).

En 2020, la récession
a été moins forte qu’anticipée par le gouvernement

De cette analyse, il ressort sans
conteste une bonne nouvelle qui trouve son origine dans la surprenante
résilience dont a fait preuve l’économie française en fin d’année 2020,
notamment au cours du second confinement du mois de novembre. Rappelons les
faits : lors du
quatrième et dernier Projet de loi de finances rectificative pour 2020 (PLFR IV)

présenté le 4 novembre 2020, le gouvernement avait abaissé sa prévision
d’évolution du PIB de -10 % à -11 % pour 2020. Cette révision à la baisse était
motivée par l’anticipation d’une incidence significative sur l’activité du second
confinement décidé par le gouvernement à partir du 30 octobre 2020. Pour le quatrième
trimestre 2020, ce dernier prévoyait une chute du PIB de près de 15 %. Or, la
chute finalement enregistrée par la comptabilité nationale pour ce trimestre
n’a été que de 1,3 %. Sur l’ensemble de l’année 2020, la récession a été de
8,3%, moins forte que celle prévue dans le PLFR IV (11%) (graphique 1). 

Une croissance de 6% en
2021 est plus facile et crée plus de valeur qu’au moment du PLFR IV  

Si cela est bien entendu une bonne nouvelle pour l’activité en 2020 − plus de 50 milliards d’euros de PIB supplémentaires par rapport au PLFR IV −, elle en constitue une également pour l’année 2021. En terminant mieux l’année 2020 que prévu, cela a mécaniquement relevé l’acquis de croissance pour 2021, à savoir le taux de croissance du PIB en 2021 qui serait obtenu en stabilisant le PIB au cours de des quatre trimestres à venir au niveau du dernier trimestre 2020.  Alors que celui-ci était anticipé à -3% lors du PLFR IV, il est en fait positif et s’élève à 3,6 %. Les conséquences pour 2021 de cette amélioration significative de l’acquis de croissance s’observent dans le graphique 1 : partant des hypothèses du PLFR IV, une croissance de 6 % en 2021 nécessitait une forte reprise de l’activité tout au long de l’année : le glissement annuel fin 2021, illustré par la pente de la courbe rouge du graphique 1, aurait alors dû être de près de 13 %. Notons au passage que dans de telles conditions, fin 2021, soit deux ans après le début de la crise sanitaire, le gouvernement prévoyait que l’activité se situerait encore 2 % en dessous de son niveau d’avant-crise. Atteindre aujourd’hui cette même situation en fin d’année requiert un moindre rebond, de l’ordre de 3 % en glissement annuel (pente de la courbe bleue).  Par ailleurs, partant d’un dénominateur plus élevé (le PIB de 2020), avec 6% de croissance, le PIB de 2021 s’établirait à 2 254 milliards d’euros, soit près de 57 milliards d’euros de plus qu’envisagé lors du Budget 2021 avec le même taux de croissance (tableau 1).

Mais la situation sanitaire reste
préoccupante et pourrait déboucher sur de nouvelles restrictions en France, ce
qui explique la probable révision à la baisse à laquelle fait référence le
Ministre de l’Économie. Ces dernières pèseront nécessairement sur
l’économie française, notamment au cours du premier semestre, éloignant la
croissance de 2021 des 6 % prévus lors du PLFR IV.

Sans préjuger de l’incidence de
telles mesures prophylactiques sur l’activité ni de la rapidité et de
l’efficacité de la campagne de vaccination en France qui permettraient de les
lever complètement, il apparaît toutefois intéressant de commenter différents
scénarios pour 2021.

Quand 3 % créent
autant de valeur que les 6 % prévus dans le PLFR IV

Le premier scénario (en orange
dans le graphique 2) est celui d’un durcissement significatif des mesures
sanitaires à partir de mars qui se lèveraient progressivement à partir du mois
de juillet 2021. Ce scénario est calibré de manière à retrouver non seulement
une situation économique en décembre identique à celle envisagée lors du PLFR
IV (-2% par rapport à la situation pré-Covid) mais également un même niveau de
PIB sur l’ensemble de l’année 2021 (2 197 milliards d’euros à prix constants).
Ce scénario correspond à un taux de croissance du PIB de 3 % en 2021. Par
conséquent, compte tenu de la meilleure tenue que prévue de l’activité en fin
d’année 2020, une croissance deux fois inférieure à celle prévue dans le Budget
2021, peut aboutir à une création de valeur identique en 2021 (et donc à des
conditions proches pour les finances publiques) ainsi qu’à un état de
l’économie en fin d’année équivalent (et donc un acquis de croissance pour 2022
analogue) (tableau 1).

Dans ce scénario (orange), comme
dans celui figurant dans le PLFR IV (rouge), fin 2021, le PIB se situerait 2 %
en dessous de son niveau d’avant-crise et 4,5 % en-dessous du niveau qu’il
aurait dû atteindre hors crise de la Covid-19.

Le second scénario (en vert dans
le graphique 2) illustre un rebond plus fort au cours du second semestre
2021 que celui décrit dans le premier (orange) : en calibrant celui-ci de
manière à retrouver fin 2021 le niveau de production prévu hors crise de la
Covid-19, on aboutit à un taux de croissance de 4,0 % en moyenne annuelle en
2021 ; malgré un taux de croissance revu également à la baisse, la
situation économique serait cette fois-ci meilleure qu’anticipée lors du PLFR
IV, avec 20 milliards d’euros de PIB supplémentaires et un acquis de croissance
pour 2022 supérieur de 2 points de PIB (tableau 1).

Parce que cette crise est d’une
ampleur et d’une nature inédites et compte tenu du fait que le second
confinement de fin d’année 2020 a moins pesé que prévu sur l’activité,
l’interprétation de la probable révision de la prévision de croissance pour
2021 ne sera pas aussi évidente qu’elle n’y paraîtra au premier abord.

Il sera notamment important de
continuer à analyser les prévisions de croissance du gouvernement non pas
uniquement en variation par rapport à l’année précédente comme à l’accoutumé
mais en niveau du PIB par rapport à celui d’avant-crise ou à celui qu’il aurait
dû atteindre hors crise de la Covid-19 (tableau 1).




Espagne : derrière la crise économique et sociale, des opportunités à saisir

par Christine Rifflart

Marquée par une crise sanitaire
que les autorités peinent à contrôler et une récession économique en 2020 qui
apparaît comme l’une des plus violentes au niveau mondial (le PIB a chuté de 11
% sur l’année selon l’INE), l’Espagne est durement frappée par la crise de la
Covid-19[1].
Le taux de chômage a atteint 16,1 % à la fin de l’année dernière, soit une
hausse de 2,3 points sur un an malgré la mise en place des mesures d’activité
partielle. Le déficit public pourrait dépasser 10 % du PIB en 2020 et la dette
publique s’approcher de 120 % selon les prévisions de janvier 2021 de la Banque
d’Espagne. L’Europe a mis en place des plans de soutien de grande ampleur aux
pays sinistrés, et à ce titre l’Espagne sera le pays le plus aidé au niveau
communautaire puisqu’il bénéficiera d’au moins 140 milliards d’euros dont 80 (soit
6,4 % du PIB 2019) sous forme de transferts directs à travers le programme NextGenerationEU. Cette aide intervient
dans un contexte politique particulier, marqué par les aspirations
progressistes d’un gouvernement de coalition (PSOE-Unidas Podemos) en place
depuis tout juste un an et qui jusqu’à aujourd’hui continue d’afficher sa
solidité. Les engagements pris en décembre 2019 entre les 2 partis dans un
document conjoint ‘Coalicion Progresista – Un nuevo acuerdo
para Espana

sont aujourd’hui inscrits dans le plan de relance envoyé à la
Commission tandis que les premières mesures des réformes annoncées figurent
dans le budget 2021. Derrière une situation sanitaire et économique difficile,
le gouvernement espagnol pourrait donc saisir l’opportunité de cette crise pour
restructurer le pays en profondeur en bénéficiant des fonds européens et faire
passer certaines des réformes sociales annoncées dans le Pacte PSOE-UP. Il faut
dire que les besoins sont importants. En 2018, le taux de pauvreté était de
19,3 % chez les jeunes et 10,2 % chez les plus de 65 ans (contre respectivement
11,7 % et 4,2 % en France). En dépit d’une croissance proche de 3 % l’an en
moyenne sur la période 2015-2019, le taux de chômage est resté à un niveau très
élevé (14,1 % en 2019) et la productivité du travail reste inférieure de près
de 25 % à celle de la France. Les disparités régionales sont très marquées et
l’investissement, notamment public, insuffisant. Un nouveau tournant pourrait
être amorcé en Espagne au cours des prochaines années. Les mesures annoncées répondent
aux aspirations ambitieuses du gouvernement en matière de croissance, d’emploi
et d‘équité sociale. Le risque est probablement davantage du côté de la solidité
du gouvernement et de sa capacité politique à la mettre en œuvre.



Le budget 2021, le
premier depuis juillet 2018 !

Après deux années sans vote de
budget sinon un budget 2018 prorogé 2 fois et amendé à coups de décrets-lois,
le gouvernement espagnol est parvenu à se doter d’un budget 2021 en respectant un
calendrier irréprochable. Envoyé à Bruxelles le 10 octobre 2020, validé le 3
décembre par le Congrès des députés (chambre basse) et le 22 décembre par le
Sénat, le projet de loi de finances a été adopté en moins de 3 mois. Pourtant,
rien n’était acquis. Les dernières élections législatives de novembre 2019 (les
quatrièmes en 4 ans) n’ayant pas dessiné de majorité absolue au Parlement pour
le parti socialiste PSOE arrivé en tête, ni même pour les 2 premiers partis réunis
PSOE-UP (155 députés sur 350), le gouvernement de coalition de Pedro Sanchez a
dû chercher le soutien des petits partis indépendantistes et régionalistes pour
l’adoption de son budget. Après trois mois de négociations sur la base de
plusieurs milliers d’amendements, une large majorité est obtenue. Sur les 350
députés du Congrès, 188 issus de 11 formations politiques différentes ont voté
favorablement (155 de PSOE-UP, 13 de l’ERC et 6 du PNV). Il faut dire qu’un échec
politique aurait été mal venu tant les besoins et les attentes sont élevés et
les opportunités favorables.

Des financements européens
pour mener à bien la modernisation de l’appareil productif inscrite dans le
Pacte PSOE-UP de décembre 2019

Selon la Ministre des Finances
espagnole[2],
l’Espagne devrait recevoir sur la période 2021-2023, 79,8 milliards d’euros de
subventions européennes au titre du programme NextGenerationEU. Ce montant est supérieur de plus de 10 milliards
à ce qui avait été annoncé par la Commission au printemps 2020 (69,4 milliards,
soit une révision de 14,9 %) en raison de prévisions de croissance 2020 réalisées
à l’automne dernier plus pessimistes que celles réalisées six mois plus tôt, et
du passage en prix courants du montant exprimé initialement aux prix de 2018. La
révision concerne la dotation de la Facilité pour la Reprise et la Résilience
(FRR) qui passe de 59,2 milliards à 69,5 milliards, la subvention liée au
programme REACT EU demeurant à 10,3
milliards. L’Espagne devient donc le principal pays récipiendaire des fonds européens.
Il devance désormais l’Italie qui devrait recevoir 79,6 milliards (contre 76,1
milliards initialement annoncés), soit 4,4 % du PIB 2019, 2 points de moins que
l’Espagne. La dotation est garantie à hauteur de 70 % sur 2021-2022 (46,6
milliards)[3].
Le solde sur 2023 devra être réévalué en juin 2022 en fonction de la conjoncture
et la situation des finances publiques au regard des règles du PSC qui seront probablement
rétablies à cette date.

Pour bénéficier des fonds
européens, l’Espagne doit présenter, comme chacun de ses partenaires, son Plan
National de Reprise, de Transformation et de Résilience visant à stimuler la
croissance à court terme par l’investissement et la consommation[4],
et favoriser une « économie plus
durable, plus résiliente et préparée aux défis à venir »
, selon les
termes de la Commission. À terme, l’objectif du gouvernement est de relever la
croissance potentielle de 0,4-0,5 point pour atteindre plus de 2% par an d’ici
2030.

Alors que le taux d’absorption
des fonds européens est traditionnellement faible en Espagne, le gouvernement
souhaite cette fois accélérer largement les démarches. Aussi, dès le 20 janvier
(pour une date limite fixée au 30 avril), le gouvernement a déposé à Bruxelles
les 30 fiches du plan de relance présentant les projets d’investissements et
les lignes directrices des réformes envisagées dans le domaine de la fiscalité,
du marché du travail et des retraites, et destinés à assurer la transition du
pays. Il envisagerait même d’anticiper le déblocage des fonds de la FRR (prévu après
deux mois d’examen du plan de relance par la Commission) en finançant les
investissements par de la dette. Il faut dire que les besoins sont immenses
dans ce tissu productif marqué par l’importance des PME. Fin 2019, 53,5 % des
entreprises étaient le fait d’autoentrepreneurs, 40 % avaient entre 1 et 9
salariés et 5,5 %, entre 10 et 49 salariés, l’ensemble représentant la moitié
des emplois. Selon les intentions du gouvernement :

  • 37 % des fonds sont destinés à la transition
    écologique (250 000 nouveaux véhicules achetés d’ici à 2023, installation
    de 100 000 bornes de recharge, transformation du système électrique pour
    100 % d’énergie renouvelable en 2050, réhabilitation de plus de 500 00
    logements pour une meilleure efficience énergétique) ;
  • 34 % à la transformation numérique (avec un taux
    de couverture de 80 % de la population dont 75 % par la 5G, développement du
    télétravail pour plus de 150 000 emplois publics, formation pour plus de
    2,5 millions de PME, …) ;
  • 30 % pour la Recherche-Développement,
    l’éducation et formation, l’inclusion sociale et territoriale.

Les grandes lignes des réformes ont
donc également été érigées. La nouvelle orientation de la réforme fiscale,
visant à une plus forte progressivité et davantage redistributivité[5],
est déjà inscrite dans le budget 2021 (voir plus loin). Les réformes sur le marché
du travail, encore très dual, et sur les retraites n’ayant pas encore été
débattues au Parlement ni avec les partenaires sociaux, elles restent à l’état
de principes qui devraient toutefois satisfaire les services européens.
Concernant la réforme du marché du travail, les principales mesures présentées visent
la généralisation de l’usage des CDI et le durcissement du recours aux CDD, le
renforcement de la flexibilité du temps de travail comme alternative aux CDD et
aux licenciements, la modification des politiques actives de l’emploi, la
remise en cause de la réforme de 2012 concernant les négociations collectives, un
programme d’emploi ciblé sur les jeunes (2021-2027) et la modernisation du
service publique de l’emploi (SEPE). La réforme concernant les retraites est
moins avancée, le sujet donnant lieu à davantage de tensions entre partenaires.
Ainsi, le gouvernement n’a pas inscrit dans le plan envoyé à Bruxelles sa
proposition de faire passer de 25 à 35 ans la durée de cotisations pour le
calcul des retraites.

Mais surtout, ce Plan National de Reprise, de Transformation
et de Résilience
présenté à la Commission européenne et qui devrait donner
lieu au déblocage des fonds européens reprend exactement les termes inscrits
dans le Pacte Coalicion Progresista – Un nuevo acuerdo
para Espana
signé en décembre 2019 entre les deux partis de la
coalition au pouvoir PSOE et UP-Podemos. Les premiers chapitres du document
insistent sur l’importance d’investir dans la transformation numérique, la
transition écologique, la R&D, la formation pour moderniser l’économie
espagnole et créer des emplois de qualité. Les subventions européennes
constituent une opportunité immense pour financer ce projet de transformation
de la structure productive espagnole, par le gouvernement de gauche.

Les mesures sociales inscrites
dans le Pacte financées par la hausse de la fiscalité

Au-delà des projets
d’investissements inscrits dans le plan de relance et financés par les fonds
européens, le gouvernement a amorcé dans son budget 2021 la réforme fiscale présentée
dans le Pacte et destinée à financer les mesures sociales annoncées ou déjà
prises. Comme on l’a dit, l’absence de majorité au Congrès des députés et au
Sénat a ouvert le champ aux négociations avec les petits partis indépendantistes
et régionalistes, et donc aux concessions pour obtenir le soutien des voix. Toutes
les mesures n’ont pas pu passer[6].
Au final, la réforme devrait rapporter à l’État 7,7 milliards d’euros[7],
soit 1,4 milliard de moins que ce qui avait été annoncé dans le PLF envoyé à
Bruxelles. Si l’on rajoute le maintien à 0 % de la TVA sur les masques
chirurgicaux, ce sont 3 milliards qui manquent pour respecter l’engagement de
déficit.

La réforme fiscale 2021 est
principalement concentrée sur les grandes entreprises et les hauts revenus.
Elle inclut :

  • La baisse
    de 100 % à 95 % de l’exonération d’impôt sur les sociétés sur les dividendes et
    plus values reçus des filiales à l’étranger
    . Les 5% non exonérés sont
    désormais imposés au taux général de 25% (30% dans le cas des banques et des
    compagnies pétrolières). Cette mesure exclut pour trois ans les PME (entreprises
    dont le chiffre d’affaires est inférieur à 40 millions) (gain attendu de 1 520
    millions d’euros). Par ailleurs, l’État instaure un seuil minimum de l’impôt
    sur les SOCIMI (équivalent aux sociétés d’investissements immobiliers cotées -SIICs-
    en France) à 15 % (+ 25 millions) ;
  • La hausse
    de 2 points de l’IRPP
    sur les revenus supérieurs à 300 000 € et de 3
    points sur les revenus de l’épargne supérieurs à 200 000 € (le taux passe
    de 23 à 26 %) (gains 490 millions). Cette mesure devrait concerner les 36 200
    particuliers aux revenus les plus élevés (soit 0,07 % des contributeurs selon
    le Ministère)[8] ;
  • La baisse de 8 000 à 2 000 euros du seuil
    d’exonération de l’IRPP sur les placements individuels en fonds de pension privés (+ 580 millions) et le relèvement de 8 000
    à 10 000 euros du seuil d’incitation pour les entreprises ;
  • La taxe sur les primes d’assurance passe de 6 à
    8 % (+507 millions d’euros) ;
  • La hausse de la TVA sur les boissons sucrées et édulcorées, hors produits laitiers de
    10 à 21% (le gain attendu est passé de 360 millions) ;
  •  L’introduction d’un impôt sur les transactions
    financières pour les entreprises ayant un capital supérieur à 1 milliard
    d’euros, de 0,2 % (taxe Tobin) ainsi
    que d’une taxe sur l’économie numérique de 3 % (taxe GAFA). Ces taxes devraient rapporter respectivement 850 et 968
    millions d’euros. Adoptées en 2020, elles sont entrées en vigueur le 16 janvier
    dernier ;
  • La fiscalité
    verte
    se met en place avec la création d’un impôt sur les plastiques à
    usage unique (+ 491 millions) combinée à d’autres mesures (impôts sur les déchets,
    …) (+ 861 millions) ;
  • Enfin, des mesures de lutte contre la fraude fiscale sont engagées pour un gain attendu
    de 828 millions.

Ces recettes fiscales supplémentaires
sont destinées à couvrir les dépenses sociales, notamment le Revenu Minimum Vital introduit en juin
2020 pour réduire la pauvreté et favoriser l’insertion sur le marché du travail.
Environ 850 000 familles sont concernées (2,3 millions de personnes, 17 %
de la population). Le montant de l’aide est compris entre 462 euros par mois pour
une personne vivant seule et 1 015 euros pour une famille. Les retraites et
salaires des fonctionnaires seront revalorisés de 0,9 %, les prestations non
contributives de 1,8 % et l’indicateur de référence utilisé pour déterminer
l’éligibilité à de nombreuses prestations sociales (IPREM) de 5% (il était gelé
depuis 2017). L’autre mesure phare concerne l’aide à la dépendance dotée de 600 millions supplémentaires et l’éducation. Par contre, l’objectif de
porter le salaire minimum (SMI) à 60 % du salaire moyen à la fin de la
législature (entre 1100 e 1200 € par mois en 2023) est momentanément suspendu.
Après la hausse de 20 % en 2020, le SMI demeure donc à 950 euros par mois sur
14 mois. Les salaires des membres de l’exécutif sont gelés cette année.

Au final, après de longues années
d’instabilité politique, on peut espérer que le gouvernement de coalition en
place continue de trouver les ententes nécessaires au sein des différentes
formations politiques espagnoles pour profiter des opportunités favorables et
ouvrir des perspectives nouvelles et constructives, dans un contexte
particulièrement difficile.


[1] Pour une
analyse plus fine de la crise, on pourra se reporter au Policy
Brief OFCE de Hervé Péléraux et Sabine Le
Bayon : « Croissance mondiale confinée en 2020 », n° 82 du 14
janvier 2021
.

[2]
L’information doit être validée par le Parlement européen au cours des
prochaines semaines.

[3] Nous ne
disposons pas de la répartition des nouveaux montants sur 2021 et 2022. Nous
savons par contre que sur les 69,437 milliards prévus initialement sur la
période 2021-2023, l’État devait recevoir 26,634 milliards en 2021 dont 2,436
milliards du fonds REACT EU, destinés
à l’achat de vaccins. Sur les 26,634 milliards reçus, l’État reversait 10,8 milliards
aux régions qui doivent recevoir par ailleurs 8 milliards de REACT EU pour renforcer leurs systèmes
sanitaire et éducatif.

[4] Sur la
base d’un multiplicateur moyen de 1,2, le gouvernement a estimé dans le Projet
de loi de finances envoyé à Bruxelles l’impact du plan de relance sur la
croissance à 2,5 points en 2021. Sous des hypothèses moins favorables (rythme
d’absorption plutôt lent des fonds européens passés, complexité dans la gestion
au niveau des régions, …), la Banque d’Espagne l’estime en janvier 2021 à entre
1 et 1,6 point.

[5] En 2018,
le rapport entre le revenu moyen des 20 % les plus riches et celui des 20 % les
plus pauvres est de 5,9 en Espagne contre 4,6 en France selon l’OCDE.

[6] Ainsi,
la hausse de l’impôt sur les institutions privées scolaires et de santé a été
retoquée avant même d’être présentée au Congrès des députés et la hausse de la
fiscalité sur le diesel (+3,8 centimes par litre à 34,5 cts contre 40,07 sur
l’essence) a dû être abandonnée. Ces mesures devaient rapporter respectivement
967 et 500 millions d’euros.

[7] En
concept de caisse, les recettes passent de 6,847 à 5,635 milliards en 2021 et de
2,323 à 2,135 milliards en 2022.

[8] La
mesure marque un recul assez net par rapport aux engagements du Pacte. En effet
était prévue une hausse de 2 points de l’IRPP sur les revenus > 130 000
€ et de 4 points sur les revenus >300 000 €, et de 4 points sur les revenus
de l’épargne > 140 000 €. Une hausse d’1 point sur l’ISF était inscrite
pour les patrimoines supérieurs à 10 millions d’euros.




Chine : la course en tête…

par Catherine Mathieu

Le
23 janvier 2020, le gouvernement chinois décidait de confiner la ville de Wuhan
(11 millions d’habitants), où était apparu le premier foyer du coronavirus. Afin
d’endiguer la progression de l’épidémie, des mesures de restriction drastique
des déplacements étaient mises en place dans la foulée, d’abord dans la
province de Hubei puis au-delà (confinement des villes de la province de Hubei,
interdiction des déplacements interurbains, prolongation de la fermeture des
usines à la fin des vacances du nouvel an chinois, fermeture des frontières
extérieures puis quarantaine stricte pour les Chinois rentrant de l’étranger).



Un
an plus tard, la Chine présente un bilan singulier par rapport au reste du
monde sur le plan sanitaire comme sur le plan économique. Les mesures
sanitaires prises en Chine semblent avoir permis de stopper la progression du
virus sur le sol chinois. En un an, le coronavirus n’aurait causé qu’à peine
plus de 4 800 décès en Chine (soit 35 décès pour 1 million d’habitants) contre
plus de 2 millions dans le monde (340 décès pour 1 million d’habitants, pour la
population mondiale hors Chine, selon les statistiques officielles répertoriées
par l’Université John Hopkins). Si les chiffres des victimes de la COVID-19 publiés
par la Chine sont étonnamment bas, les indicateurs économiques suggèrent
eux-aussi que la Chine a été moins fortement atteinte que la plupart des autres
économies.

Première
touchée par la pandémie, l’économie chinoise est la première à en être sortie
dès le deuxième trimestre[1]. La
Chine sera non seulement la seule grande économie mondiale à afficher une
croissance positive en 2020, +2,3 % en moyenne annuelle, selon l’estimation
publiée par l’Institut de statistique chinois (National Bureau of Statistics of China, NBS) le 18 janvier 2021,
mais aussi la seule à avoir déjà rattrapé au quatrième trimestre 2020 le niveau
d’activité qu’elle aurait eu en l’absence du coronavirus, par rapport à nos
prévisions d’octobre 2019 (comme à celles du FMI de janvier 2020). Le rebond de
l’économie chinoise est même un plus rapide que ce que nous, comme la plupart
des analystes, prévoyions à l’automne dernier. Les indicateurs conjoncturels
publiés au cours des derniers jours, montrent tous un redémarrage rapide de l’économie
chinoise en 2020.  

Malgré
la crise sanitaire, la Chine a poursuivi une politique commerciale active dans
les cinq continents qui devrait lui permettre de compenser les mesures prises
par le gouvernement américain. La Chine continue de faire la course en tête.

2020 : après une forte chute du
PIB, un rattrapage rapide

La
Chine est le premier des grands pays à avoir publié une estimation du PIB au
quatrième trimestre 2020[2]. Parmi
les scénarios que nous avions envisagés depuis l’arrivée du coronavirus, c’est celui
d’un rattrapage rapide qui s’est réalisé.  Après avoir chuté de 9,7 % au premier
trimestre 2020, le PIB a rebondi de 11,6 % au deuxième trimestre, puis de 3 % au
troisième trimestre et de 2,6 % au quatrième, portant la croissance à 2,3
% en moyenne sur un an (contre 6 % en 2019). Le PIB chinois a ainsi rattrapé
dès le quatrième trimestre 2020 le niveau qu’il aurait eu en l’absence de crise
COVID-19 (graphique 1) si la croissance s’était poursuivie en 2020 au rythme de
6 % que nous anticipions dans notre prévision d’octobre 2019.  

La
publication du PIB au quatrième trimestre 2020 comprend des révisions pour les
trimestres précédents, qui relèvent légèrement le niveau du PIB du troisième
trimestre, rapport à l’estimation dont nous disposions lors de notre prévision
d’automne 2020[3].
Mais la dynamique de reprise a été plus soutenue au second semestre que ce que
nous anticipions, avec une croissance annuelle prévue à 1,6 % en 2020, au lieu
de 2,3% publiés par le NBS. Le NBS ne publiant pas les composantes
trimestrielles de la demande associées au chiffre du PIB, on ne peut
précisément savoir quelles composantes ont tiré la demande.  Mais au vu des indicateurs mensuels
disponibles (cf. infra), ce sont sans doute les exportations qui auront été
particulièrement dynamiques au quatrième trimestre, et que nous aurions
sous-estimées, tandis que les importations auraient relativement peu progressé,
au regard des autres composantes de la demande intérieure.

Au quatrième trimestre 2020, dans la plupart des secteurs, la valeur ajoutée était en hausse d’environ 6,5 % en glissement sur un an, comme le PIB lui-même, avec trois exceptions majeures (graphique 2). La valeur ajoutée a fortement progressé dans le secteur des services d’information et de télécommunications (près de 20 % de hausse sur un an) ; à l’opposé, celle du secteur hébergement-restauration était en hausse de 2,7 % seulement sur un an (-13 % en moyenne annuelle), secteur particulièrement frappé par les mesures de confinement en début d’année, mais qui ne représente que 1,8 % de la valeur ajoutée ; enfin la valeur ajoutée était en hausse de 2,2 % sur un an dans le secteur de location, leasing et services aux entreprises (-5,3 % en moyenne annuelle).

Indicateurs mensuels d’activité :
reprise généralisée

Après
avoir chuté de 25 % sur les deux premiers mois de 2020, la production
industrielle avait retrouvé son niveau de décembre 2019 dès le mois de mai et
était 7 % plus élevée en décembre 2020 qu’un an plus tôt (graphique 2).
Quelques secteurs se distinguaient par une hausse nettement plus élevée : production
de médicaments (+16%), production de biens d’équipement (entre 10 et 15 %).

L’investissement
des entreprises avait chuté de plus de 26 % sur les deux premiers mois de
l’année, surtout du fait d’effets d’offre (fermeture des entreprises produisant
des biens d’équipement). L’investissement a redémarré plus
tardivement que la production industrielle, du fait des incertitudes sur la
demande, mais il était, en décembre 2020, 3 %
au-dessus de son niveau de décembre 2019. Sur l’ensemble de l’année, c’est,
comme pour la production, dans le secteur des médicaments que l’investissement
a connu la plus forte hausse (+28 % sur un an). À l’opposé, l’investissement a
baissé de 12 % dans le secteur automobile.

Les
ventes de détail des biens de consommation avaient moins
nettement chuté que la production industrielle et l’investissement au début de
2020 (-11 % sur un mois en janvier), amortissant la chute de la demande. Elles
se sont redressées chaque mois ensuite dépassant de 3 % en décembre 2020 leur
niveau de décembre 2019. Le taux de chômage officiel
(qui sous-estime le niveau du chômage) était de 5,2% en décembre 2019 ; il est
monté à 6,2% en février 2020 pour revenir à 5,2% en décembre. En moyenne sur
l’année 2020, le revenu par tête des ménages a progressé de 2,1 % en volume,
tandis que la consommation par tête était en baisse de 0,7 %, la hausse du taux
d’épargne s’expliquant par les contraintes sur les déplacements et les achats,
particulièrement en début d’année, ainsi que par les incertitudes sur l’avenir.

Selon
les données du CPB World Monitor, les
exportations et les importations de marchandises (en volume), en chute
respectivement de 15 % et 10 % sur les deux premiers mois de 2020, ont ensuite recommencé
à croître et seraient revenues à leur niveau de la fin 2019 à partir de l’été.
Selon les dernières données publiées par les douanes chinoises (en valeur), la
hausse des exportations de marchandises s’est accélérée en fin d’année, pour
atteindre +20 % sur an en décembre, tandis que les importations étaient en
hausse de 6 %.  Les exportateurs chinois
ont bénéficié d’une demande extérieure dynamique dans certains secteurs
spécifiques, liés à la crise du coronavirus, notamment les biens d’équipement informatique
et les équipements médical. Ils ont aussi bénéficié de leur capacité à répondre
à la demande quand ailleurs les entreprises subissaient des contraintes
d’offre.

Ainsi,
la force de la reprise en Chine s’explique essentiellement par la maîtrise de
la pandémie, puis par la capacité de rebond et d’adaptation de ses entreprises.

Janvier 2021 :  le
risque du retour

Alors
que le scénario d’une reprise en V est enclenché en Chine, sa poursuite
pourrait être fragilisée par le retour de l’épidémie de coronavirus. La découverte
de nouveaux cas de coronavirus en janvier 2021, dans la province de Hebei, au
sud de Pékin ; plus au nord dans les provinces de Jilin et de Heilongjiang, et dernièrement à Pékin même, ont conduit les
autorités chinoises à confiner au total une vingtaine de millions de personnes
et à des campagnes de dépistage massif. Les autorités chinoises déclarent depuis
la mi-janvier une centaine de nouveaux cas chaque jour. À l’approche du nouvel
an chinois, qui débutera cette année le 12 février, les autorités incitent les
habitants à limiter leurs déplacements, traditionnellement nombreux lors des
congés du nouvel an (notamment avec le retour des travailleurs migrants dans
leurs familles).

Deux
vaccins ont été élaborés en Chine : Sinopharm et CoronaVac (produit par
l’entreprise Sinovac), mais leur efficacité semble moindre que celles des
vaccins occidentaux, sachant que, dans le cas des vaccins chinois, on ne
dispose que de résultats parcellaires publiés par les fabricants et d’aucune
publication de résultats d’essais de phase 3. L’efficacité serait de 79 %, pour
Sinopharm ; pour CoronaVac, de 90 % pour les essais réalisés en Turquie, mais de
seulement 50 % pour les essais réalisés au Brésil ; contre 95 % pour
Pfizer-BioNtech et 94 % pour Moderna.

La
Chine se lance maintenant dans une campagne de vaccination de masse en
commençant par les actifs en contact avec le public. Au 27 janvier, 1,6 % de la
population avaient été vaccinés (soit 22,8 millions de personnes). On peut
s’étonner de ce démarrage tardif de la vaccination en Chine, mais il faut
rappeler qu’en Chine (comme dans de nombreux pays d’Asie du Sud-Est), dès le
début on s’est appuyé sur une stratégie forte « Tester, Tracer,
Isoler » qui a bien fonctionné en raison de la discipline et du contrôle
social de la population.

…tandis
que l’offensive commerciale se poursuit

La
hausse des exportations chinoises en 2020, plus rapide que celle des
importations, a conduit l’excédent commercial à passer de 420 milliards de
dollars en 2019 (3 % du PIB) à 535 milliards en 2020 (3,6%).

L’arrivée de Joe Biden à la Présidence des États-Unis devrait contribuer à civiliser les relations entre la Chine et les États-Unis, mais elle ne fera pas disparaître les tensions. Le 14 février 2020, la Chine s’était engagée, en signant l’accord commercial « Phase one » avec les États-Unis, à augmenter substantiellement ses importations de produits américains d’ici 2021. Elle n’aurait rempli son engagement qu’à hauteur de 58 % à la fin 2020[4]. En 2020, l’excédent commercial chinois vis-à-vis des États-Unis, qui s’était fortement réduit en début d’année, a recommencé à croître pour retrouver un montant mensuel de 30 milliards de dollars en fin d’année (graphique 4). Certes, la pandémie de Covid-19 a fait des enjeux sanitaires une priorité, mais la question du rééquilibrage des échanges commerciaux de la Chine vis-à-vis des États-Unis se posera de nouveau lors de jours meilleurs.

La crise sanitaire a fait prendre conscience à de nombreux
pays des risques de trop dépendre de la production chinoise. Certains
voudraient retrouver une certaine autonomie économique. Face à ce risque pour
leurs exportations, les leaders chinois, et en particulier Xi Jinping au Davos virtuel de 2021, se font les
partisans résolus de la mondialisation et de l’interdépendance entre les
nations.

En novembre 2020, la Chine a signé le Partenariat
régional économique global (Regional Comprehensive Economic
Partnership,
RCEP)
avec quatorze pays de la zone Asie-Pacifique (les 10 pays de l’ASEAN, ainsi que
le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande), soit le plus
grand accord de libre-échange au monde, alors qu’en janvier 2017, Donald Trump
avait retiré les États-Unis du Partenariat Transpacifique,
dont la Chine était par ailleurs exclue.

Malgré
les tensions résultant du traitement des Ouïghours, la Chine a réussi à
négocier un accord d’investissement avec l’UE : elle s’engage à réduire
ses exigences de contreparties pour les investissements européens en Chine
contre des garanties d’ouverture des marchés européens.

Elle
poursuit son offensive en Europe, en particulier en intensifiant ses liens avec
la Hongrie (point d’arrivée de deux futures lignes ferroviaires reliant la
Chine à l’Europe dans le cadre du projet de la nouvelle route de la soie).

La Chine participe à la « diplomatie du vaccin ». Ainsi, a-t-elle proposé ses vaccins à plusieurs pays émergents, parmi lesquels les Émirats arabes unis, la Serbie, le Maroc (pour Sinopharm), la Turquie, le Brésil (pour CoronaVac).

Le
plan quinquennal 2021-2027, qui sera présenté en mars, reprend les grandes
lignes qui ont déjà été annoncées, l’objectif de lutte contre la pauvreté, celui
de l’amélioration de la qualité et de l’efficacité de la production nationale.
Il affirme la volonté de la Chine de contribuer à la reprise de l’économie
mondiale. Surtout, il met l’accent sur la « double circulation »,
visant un rééquilibrage de la croissance via
la demande intérieure ; la Chine doit à la fois développer ses exportations,
améliorer la qualité des produits destinés au marché chinois et s’ouvrir aux
importations. Le thème de l’innovation technologique, central dans le programme
Made in China 2025, semble passer au
second plan, même s’il est toujours question d’autosuffisance technologique.

L’année
2020 apparaît donc comme une nouvelle étape dans la montée en puissance de la
Chine sur la scène économique mondiale.


[1] Mathieu
C. : Premier entré, premier sorti : le retour de la
croissance en Chine au deuxième trimestre
, OFCE Le Blog, 21 juillet 2020.

[2]
Pour une comparaison internationale allant
jusqu’au troisième trimestre 2020, voir Le Bayon S. et Péléraux H., Croissance mondiale confinée en 2020, Policy
Brief OFCE
, janvier 2021). 

[3] Voir OFCE – DAP, Perspectives 2020-2021 pour l’économie
mondiale , Tour
du monde de la situation conjoncturelle
, Revue de l’OFCE, n° 168, octobre
2020.

[4] Voir Bown C. : US-China phase one tracker: China’s
purchases of US goods
as of December 2020, 27 janvier 2021.




Quel rebond de l’emploi en 2021 ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Fin 2021, selon nos dernières prévisions,
l’activité en France devrait être inférieure de 1,4% par rapport à son niveau
atteint fin 2019, soit près de 5% en dessous de son niveau potentiel. Ce retard
de production aurait dû se traduire par des destructions d’emplois
vertigineuses de plus d’1 million fin 2021 par rapport à fin 2019. Par
ailleurs, compte tenu de la hausse tendancielle de la population active prévue
par l’Insee, l’augmentation du chômage aurait dû être de près de 1,2 million
fin 2021. Nos prévisions décrivent pourtant un marché du travail moins dégradé :
explications.  



Fin 2020, près de 800 000
destructions d’emplois malgré une forte chute de la productivité du travail

Compte tenu de la chute
d’activité inédite en 2020 (-9,5%) et de son hétérogénéité sectorielle, près de
2,7 millions d’emplois auraient dû être détruits en cette fin d’année (Tableau 1).
Or avec une perte de 790 000 emplois salariés, nos prévisions tablent sur
des destructions trois fois moindre.

Trois facteurs expliquent cette meilleure résistance sur le
front de l’emploi :

  • Le premier réside dans la mise en place par le gouvernement d’une politique de l’emploi active (contrats aidés, garantie jeunes, service civique, alternance, prime à l’embauche d’un jeune de moins de 26 ans…) qui a permis de créer environ 80 000 emplois ;
  •  Par ailleurs, si les mesures prophylactiques ont nui à l’activité, elles ont également eu un effet sur la productivité du travail. Pour un niveau donné d’activité, certaines entreprises ont été contraintes pendant la crise de conserver un niveau d’emploi supérieur à celui qu’elles choisiraient en temps normal, du fait des mesures sanitaires : soit parce qu’elles font face à des coûts de production additionnels (matériels de protection sanitaire, jauge de clients maximale…) soit parce que les tâches s’en trouvent affectées (temps de désinfection…). D’après l’enquête Acemo-Covid menée par la Dares en novembre 2020, 33,4% des salariés se trouvaient ainsi dans une entreprise dans laquelle les mesures de protection sanitaire réduiraient la productivité horaire du travail modérément (moins de 10%) et 11,4% des salariés se trouvaient dans une entreprise dans laquelle les mesures de protection sanitaire réduiraient la productivité horaire du travail significativement (de 10% ou plus). Pour 2020, nous avons estimé à 200 000 le nombre d’emplois correspondant à ce type de rétention de main-d’œuvre, qui a vocation à disparaître avec la fin de la crise sanitaire et la levée des mesures de protection ;
  • Enfin et surtout le fort recours à l’activité partielle a permis de préserver plus de 1,6 million d’emplois.

La bonne résistance de l’emploi
observée en 2020 compte tenu de la chute d’activité s’explique donc principalement
par une forte rétention de main-d’œuvre que nous évaluons à plus de 1,8 million
de salariés.

En 2021, une reprise
de l’activité mais une moindre rétention de main-d’œuvre

En 2021, la photographie du
marché de l’emploi sera toute autre : si l’activité devrait selon nous
s’améliorer et permettre de soutenir l’emploi, l’incidence positive des trois facteurs
précités devrait en revanche être considérablement affaiblie l’année prochaine.

Du côté des bonnes nouvelles, par
rapport à la situation pré-crise, les destructions d’emplois potentiellement
liées à la chute de l’activité devraient être ramenées de 2,7 millions fin 2020
à 1,1 million fin 2021, tandis que la politique de l’emploi continuerait d’avoir
des effets positifs en soutenant l’emploi de plus de +130 000 unités en
fin d’année prochaine.

En sens inverse, cette
amélioration de l’activité, liée principalement à la levée progressive des
mesures prophylactiques, devrait se traduire par une forte réduction de la
rétention de main-d’œuvre : celle-ci ne devrait représenter plus que
300 000 salariés fin 2021 contre plus de 1,8 million fin 2020.

D’une part, le retour graduel à un
contexte sanitaire proche de la normale couplée à une adaptation des
entreprises et des salariés à ces conditions se traduiraient par une
récupération partielle des gains de productivité perdus en 2020 : la
rétention de main-d’œuvre due à la mise en place de mesures prophylactiques ne
serait plus que de 50 000 fin 2021, soit une baisse de 150 000 par
rapport à la situation observée fin 2020.

D’autre part, en lien avec la
reprise de l’activité, nous anticipons une baisse significative du nombre de
salariés effectivement placés en activité partielle fin 2021. Dans notre
prévision, nous faisons dépendre le recours effectif à l’activité partielle de la
perte d’activité prévue au sein de chaque branche. Ce taux de recours traduit la
perte d’activité en heures non travaillées, puis en tenant compte de la durée
du travail moyenne dans la branche, nous évaluons le volume d’emplois placés
effectivement en activité partielle. Au quatrième trimestre 2020, ce taux de
recours effectif serait proche, quoique plus faible, de celui observé au deuxième
trimestre 2020, le taux de prise en charge par l’État et l’Unedic ayant diminué
pour une partie des branches. En 2021, ce taux de recours diminuerait sous l’effet
principal d’un retour progressif à un niveau d’activité proche de celui
d’avant-crise (notamment dans la construction et le commerce). Certaines
branches, comme les services aux ménages, ont déjà largement réduit leurs
effectifs, et malgré un niveau de production encore dégradé en 2021, n’auraient
plus besoin de recourir à l’activité partielle. En moyenne sur l’ensemble des
branches, le niveau d’activité prévu pour l’année 2021 se traduirait par un
recours à l’activité partielle de même ampleur que celui observé au troisième
trimestre 2020. Trois branches (hébergement-restauration, services aux
entreprises, transports) concentreraient plus de 50% des heures d’activité
partielle en 2021 (Graphique 1). Au total, fin 2021, près de 250 000
salariés devraient être encore en activité partielle contre plus de 1,6 million
un an auparavant.

… et les faillites
d’entreprises vont augmenter de 180 000 les destructions d’emplois

Par ailleurs, malgré la mise en
œuvre de mesures de soutien aux entreprises, la brutalité de la récession
induite par la pandémie de Covid-19 et les restrictions sanitaires associées
devrait avoir des conséquences importantes sur le tissu productif français.
L’ampleur des séquelles que laissera cette crise sera d’autant plus importante
et durable que la récession d’activité est hétérogène suivant les secteurs. Dans une étude
récente
(Heyer, 2020), nous avons ainsi estimé que l’impact de la crise sur
les destructions d’emplois spécifiquement dues aux défaillances d’entreprises
pourrait atteindre 180 000 destructions d’emplois. Nous avons intégré à
notre scenario d’emploi pour 2021 ces destructions, ce qui aboutit à un niveau
d’emploi globalement stable fin 2021 par rapport à fin 2020[1].

Une évolution du
chômage perturbée par celle de la population active

Enfin, les destructions d’emploi prévues
fin 2021 par rapport à fin 2019 (-822 000 emplois), auxquelles il faut
ajouter l’augmentation tendancielle de la population active (+118 000
personnes en 2020-2021) ne se traduiraient pas par une augmentation correspondante
du chômage. Nous prévoyons en effet un taux de chômage qui atteindrait 10,6% de
la population active fin 2021, soit une hausse de +766 000 chômeurs et non
de +940 000 (cf. Tableau 2).

De fait, l’année 2020 a été marquée par de sorties massives de chômeurs vers l’inactivité. Ces sorties sont liées pour partie aux confinements successifs et à l’impossibilité de chercher un emploi et au découragement face à la situation dégradée de l’emploi. Elles pourraient également être le fait de personnes cherchant à limiter leurs contacts avec d’autres car étant vulnérables à la Covid-19. Il est néanmoins probable qu’une partie de ces personnes privées d’emploi reprennent leur recherche d’emploi en 2021, du fait de la reprise attendue de l’activité économique et de la levée progressive des mesures sanitaires qui l’accompagnerait. Si la population active devait toutefois progresser comme prévu par l’Insee, alors la hausse du chômage s’élèverait fin 2021 à +940 000 personnes par rapport à fin 2019 et le taux de chômage s’établirait alors à 11,2%.


[1] Notons que la prise en compte de ces destructions d’emplois additionnelles dues aux faillites d’entreprises (-180 000 salariés) couplées à l’effet d’une annulation partielle des pertes de productivité dues aux mesures prophylactiques (-150 000 salariés), expliquent près de 80 % de l’écart de nos prévisions d’emplois avec celle du gouvernement. 




Le parachute du renflouement public au secours d’un secteur aérien en chute libre

par Marc-Antoine Faure et Sarah Guillou

Le 16 mars 2020, le Conseil scientifique préconise
d’arrêter toutes les activités qui ne sont pas « strictement nécessaires à
la vie de la Nation »[1].
Le même jour le Président Emmanuel Macron restreint la mobilité des personnes :
fermeture des frontières de l’espace Schengen, suspension des voyages avec les
pays hors d’Europe, interdiction des regroupements non nécessaires ; c’est
le début du « confinement », un coup d’arrêt net pour le transport
aérien, déjà ralenti par les différentes décisions des pays touchés avant la
France. Le 31 mars, l’aéroport d’Orly suspend la totalité de ses vols. L’ensemble
des vols résiduels sont alors concentrés sur l’aéroport Paris-Charles de Gaulle.
Il faut attendre le 26 juin 2020 pour qu’un avion décolle de nouveau d’Orly.



Les mesures de confinement ont eu un impact direct
sur le transport aérien qui fait partie des secteurs les plus impactés par le choc
de la pandémie. Mais l’aéronautique est une victime collatérale dont l’activité
est fortement dépendante du renouvellement de la flotte. Ces deux secteurs ont
été jugés dignes de recevoir une aide de 15 milliards d’euros. Le plan a été élaboré
assez rapidement et est très généreux à l’échelle de l’économie française.
Comparé à ses homologues européens, le plan français est conséquent mais
également assorti de contraintes environnementales fortes.

En chiffres, le
secteur aérien représente 1,1% de la valeur ajoutée marchande, ses pertes
associées à la crise COVID se montent à 17 milliards d’euros et le secteur va
être soutenu par un plan de 15 milliards d’euros (hors recapitalisation).

La générosité du plan est assortie de contraintes
environnementales sur la trajectoire de croissance tant pour le secteur aérien
que pour la construction aéronautique.

Si ces contraintes peuvent apparaître lourdes dans le cadre d’un sauvetage d’urgence, elles s’inscrivent dans un changement de trajectoire du secteur dont l’avenir ne peut reposer que sur des ruptures technologiques en l’absence de retour à la demande pré-crise pour un certain nombre d’années.

Le secteur aérien en chute libre

En avril 2020 le
trafic mensuel passagers résiduel ― c’est-à-dire le trafic 2020 rapporté au
trafic 2019 en pourcentage ― en France a été de 0,9%. Cela signifie que le
trafic du mois d’avril représentait moins de 1% du trafic d’avril 2019. Paris
Orly étant fermé, le trafic aéroportuaire était borné à 0 tandis qu’il
atteignait seulement les 2% à Charles de Gaulle et entre 0 et 1% dans les
autres aéroports français. En septembre, la situation s’est légèrement améliorée,
et alors que les confinements et restrictions de mobilités ont été levés en
France et ailleurs dans le monde, le trafic résiduel s’élevait à 25,2%,
rapporté à celui de septembre 2019. Le mois d’août fut le moins mauvais avec 69,2%
de trafic résiduel intérieur, tandis que les restrictions extra-européennes pesaient
sur le trafic international avec 26,1% de trafic résiduel (et seulement 6,9%
sur l’Amérique et 9,4% sur l’Asie Pacifique).

Les chiffres
pour le trafic mondial sont très semblables au printemps 2020 mais diffèrent
plus en cet automne 2020. Pour l’Europe, les nouveaux épisodes de confinement
qui se répandent sur le continent et sans doute demain aux États-Unis ne vont
pas renverser la tendance pour le dernier trimestre de 2020. À titre d’exemple,
Easy Jet annonce ainsi que son activité pour le reste de l’année sera égale à
1/5e de son activité normale[2].

Selon les
chiffres de l’INSEE, l’indice du chiffre d’affaires du transport aérien de
passagers en base 100 en 2015 en France est passé de 122,56 en septembre 2019 à
39,18 en septembre 2020 (voir graphique 1).

Source : INSEE, https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/010543491#

Il va se
produire en outre un deuxième effet dépressif lié à la sensibilité du transport
aérien aux revenus. La crise économique va impacter durablement les revenus et
réduire la consommation de transport aérien même quand les restrictions de
déplacement seront levées. Selon les estimations réalisées dans le passé
(Direction générale de l’aviation civile), l’élasticité de consommation de
transport aérien au revenu serait supérieure à 1, entre 1,6 et 2,3. En outre,
on peut s’interroger sur le changement de comportement des voyageurs. La
propension à voyager pour un revenu donné ne va-t-elle pas diminuer ? La
contrainte sur les comportements de mobilité, qui a été suffisamment longue,
pourrait entraîner des changements d’habitudes. De nombreux voyages d’affaires
ont été substitués par des communications numériques permettant des gains de
temps et de frais de déplacement que le bénéfice du contact physique ne
compense pas forcément. Et le tourisme a été coupé dans son élan au moment même
où son empreinte carbone commençait à toucher de plus en plus les consciences.
Il est donc très probable que la tendance de l’accroissement de la mobilité des
personnes ne retourne pas à son niveau d’avant pandémie.

Autre
conséquence de ce silence de l’espace aérien, l’usure des avions s’est
fortement ralentie, les besoins de remplacement des flottes vont se tarir. Les
constructeurs aéronautiques ne vont pouvoir compter que sur l’obsolescence pour
comprimer le temps de vie des avions. À moins qu’ils n’accélèrent cette
obsolescence par des innovations. Etant donnée la place de l’aéronautique dans
l’économie française, le gouvernement a donc prévu un plan de soutien au
secteur.

Airbus a enregistré des pertes importantes (-767
millions d’euros, contre un bénéfice de 989 millions d’euros au troisième
trimestre 2019) en raison du recul d’un tiers de ses livraisons. Son carnet de
commande ne s’est pas pour autant vidé puisqu’il contient 7 441 appareils
au 30 septembre 2020. Mais ses clients reportent les achats fermes et les
perspectives futures, au-delà des commandes fermes, s’amenuisent. Boeing est
dans une situation comparable mais semble plus prompte à supprimer des emplois.
Environ 7 000 emplois devraient disparaître pour Boeing alors qu’Airbus
annonçait, en juin 2020, 5 000 emplois pour la France (et près de 15 000
pour le groupe)[3].

Ces deux
secteurs sont parmi les plus impactés par le choc de la pandémie. Le secteur du
transport aérien fait partie avec l’hébergement-restauration et les activités
culturelles des 3 secteurs les plus impactés (INSEE, Note de conjoncture d’octobre 2020 et OFCE, 2020a). Les secteurs
les plus impactés représenteraient 9% de la valeur ajoutée marchande et 15% de
la baisse d’activité issue du premier confinement. Le transport aérien est plus
touché que l’aéronautique, puisqu’on estime que la consommation en services de
transports aurait chuté de 30% par rapport au quatrième trimestre 2019 (OFCE,
2020a, page 15)[4]. Air
France annonce, en cette fin d’année, prévoir 7 580 suppressions de postes
d’ici 2022[5].

Une partie des
coûts du choc de la pandémie a été pris en charge par le Plan d’urgence mais la
menace sur la pérennité de la compagnie française et sur la vitalité du tissu
productif aéronautique a enclenché un plan de soutien de plus long terme. Il
faut dire que les deux secteurs ont une place à part dans l’économie française.

Un parachute public dimensionné à la contribution de
ces secteurs à l’activité économique réelle et symbolique

La contribution du
secteur aérien à l’activité économique est loin d’être négligeable, notamment
en matière d’exportation et de recherche et développement pour l’aéronautique.
Le transport aérien est un secteur clé, voire stratégique, au regard de son
service. Son poids économique reste néanmoins faible.

 Les estimations de la part du secteur aérien dans
le PIB dépend du périmètre qu’on accorde à ces secteurs, selon qu’on inclut les
sous-traitants de second ordre pour l’aéronautique ou les activités dépendantes
du transport aérien (comme la restauration attenante…). Au sens strict, en s’en
tenant à l’activité des entreprises enregistrées dans ces secteurs, la construction
aéronautique et ferroviaire représente 1% de la valeur ajoutée (VA) marchande et
le transport (aérien et ferroviaire) représentent 3% de la VA (soit un tiers
des 9% de VA des secteurs les plus impactés selon l’INSEE). Plus précisément, le
transport aérien et l’aéronautique représentent respectivement 0,3 et 0,8% de
la valeur ajoutée.

La filière aéronautique fait travailler de
nombreuses industries, de nombreuses entreprises de services (bureau d’études,
logiciels). Plus stratégiquement, c’est une industrie qui investit beaucoup
dans la recherche et développement : le secteur aéronautique et spatial
réalise 10% des dépenses de Recherche et développement (soit un peu plus de 3
milliards d’euros en 2017). C’est également un vivier d’innovation : le
domaine technologique des transports est celui dans lequel la France dépose le
plus de brevets.

Il convient de rappeler qu’Airbus, tout comme
Boeing, réalise une part de son chiffre d’affaires sur des commandes
militaires, qui seront honorées[6].
Par ailleurs Airbus est une entreprise européenne dont l’emploi est réparti sur
le territoire de plusieurs États membres. La bonne santé de l’entreprise, sur
ses sites français, dépendra aussi des aides apportées par les autres pays. En
France, en fait, c’est plus la filière aéronautique qui reçoit une aide
qu’Airbus en particulier.

Si la chute des exportations de services de
transport aérien a contribué à l’aggravation du déficit commercial, ces
dernières n’ont jamais été un poste déterminant du solde commercial des
services. C’est le contraire pour l’aéronautique, qu’il s’agisse de sa contribution
au solde mais aussi de son évolution immédiate en réponse au choc. Contrairement
à l’automobile, le solde commercial des produits de l’industrie aéronautique et
spatiale est resté positif au deuxième trimestre de 2020. Il s’améliore encore
au troisième trimestre.  Mais le solde a
beaucoup chuté. Il était de 31 milliards d’euros en 2019. L’industrie
aéronautique dans son ensemble représente 14% des exportations manufacturières
avec une contribution très positive au solde commercial. En 2019, les
exportations de l’industrie aéronautique étaient de 64,1 milliards d’euros sur
460 milliards de produits manufacturés, soit 14%. En glissement annuel, la
chute au troisième trimestre 2020 est de 80%. Les 8 milliards d’euros
d’exportations du troisième trimestre 2020 font pâle figure relativement aux 17
milliards du T3 2019 (source : Douanes, Etudes thématiques, T3 2020).

Un
autre motif d’intervention est probablement lié à la propriété des actifs. L’État
français est propriétaire d’Airbus à hauteur de 12% et d’Air France-KLM à
hauteur de 14,3% (alors que l’État hollandais en détient 14%). La présence des États dans les compagnies aériennes est un
héritage de la nature stratégique et militaire de l’aviation. La dualité
civil-militaire est restée une caractéristique de l’aéronautique mais le
transport aérien s’est lui détaché des missions régaliennes en raison de
l’importance prise par le transport civil qui a accompagné la mondialisation
économique. Cependant, le secteur reste rattaché aux attributs de la
souveraineté, Bruno Le Maire a évoqué la « question de
souveraineté nationale » que représentait le fait d’avoir une
compagnie nationale. En général, les États, actionnaires ou pas, sont tous très
sensibles à l’existence d’une compagnie aérienne domestique, symbole de
souveraineté.

Ce dernier motif très souverainiste est sans
doute ce qui justifie que seule la compagnie Air France soit clairement visée
par les aides, et non pas toutes les compagnies qui contribuent ensemble au
0,3% de la valeur ajoutée du secteur marchand par le transport aérien.

Donc,
en résumé, le secteur aérien (aéronautique plus transport aérien respectivement)
qui représente 1,1% de la valeur ajoutée marchande (0,8 et 0,3% resp.) et 1,4% des
emplois marchands (1% et 0,4% resp.), qui pèse près de 90 milliards
d’euros de chiffre d’affaires (en 2019) dont les pertes ont été évaluées à 17
milliards d’euros, qui investit pour environ 3,5 milliards d’euros dans la
recherche et développement, et dont la capitalisation détenue par l’État se
montait à 13,6 milliards d’euros fin 2019[7]
(13 milliards d’Airbus et près de 600 millions d’Air France) va être soutenu
par un plan de 15 milliards d’euros (hors recapitalisation).

Un plan de soutien français
rapide mais pas inconditionnel

Alors que le transport aérien était à l’arrêt
depuis le confinement qui a débuté le 16 mars, le 25 avril ― 6 semaines plus
tard ― le gouvernement annonça une aide publique de 7 milliards d’euros à Air
France. Elle prenait la forme (1) d’un prêt garanti par l’État (90%) de 4
milliards d’euros et accordé
par 6 banques françaises et étrangères avec une maturité de 12 mois et (2) d’un
prêt actionnaire de l’État français de 3 milliards d’euros d’une maturité de 4 ans (puisé dans le fonds de
l’agence des participations de l’État de 20 milliards d’euros)[8]. Les
négociations avec les Pays-Bas déboucheront le 26 juin sur une aide de 3,4
milliards d’euros. La compagnie envisageait également d’émettre de
nouvelles obligations que les États pourraient acheter.

Le 9 juin 2020,
le Ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, présentait le Plan
aéronautique et transport aérien
qui devait être inscrit dans le Projet
de loi de finances rectificatives. L’enveloppe dédiée à ce plan se monte à 15
milliards d’euros et inclut les 7 milliards pour le transport aérien présenté
en avril. Trois axes sont avancés : (1) le soutien immédiat aux
entreprises en difficulté, (2) l’investissement dans les PME et les ETI pour
rendre la filière plus compétitive et la consolider, (3) l’investissement en
faveur de la R&D et de l’innovation (1,5 milliard d’euros). Il inclut outre
le financement de l’activité partielle, une commande publique militaire de 800
millions d’euros, 2 milliards d’euros pour assouplir les modalités de
remboursement des compagnies aériennes, 1,5 milliard pour reporter les
remboursements des crédits à l’exportations, la création de 2 fonds pour
financer des projets d’investissement des PME et ETI (notamment dans la
robotisation et le numérique) d’une part et un fonds d’investissement en fonds
propres de 1 milliard sur 3 ans (500 millions et levée de 500 millions
d’euros). Le soutien à l’aéronautique est conditionné à la décarbonation de
l’industrie en projetant un avion neutre en carbone à l’horizon 2035.

Dans ce dernier
plan (qui inclut le premier), le transport aérien se taille une belle part du
lion. Est-il justifié d’aider Air France à la même hauteur que l’industrie
aéronautique civile et de la défense ? La justification n’est pas triviale
: la compagnie aérienne n’a pas le poids d’Airbus, Thalès ou Safran dans la
R&D et dans les intérêts militaires français. Quel serait le coût d’une
absence de soutien ? Le coût social de la faillite d’Air France excède son
coût privé (Combe et Bréchemier, 2020). Même en cas de reprise, une faillite
serait très déstabilisante. C’est vrai au plan territorial, avec 80% de ses 52
000 emplois directs situés en Île-de-France, Air France est le premier
employeur privé de la région ; comme du point de vue de l’organisation du
trafic, la disparition de la compagnie déstabiliserait grandement le réseau
domestique ; enfin, cela fragiliserait le hub de Roissy-CDG et Orly. Outre
le motif de souveraineté (et de patriotisme économique), des raisons
budgétaires, sociales et organisationnelles jouent donc contre une approche du
type laissez-faire.

La France n’est pas la seule à renflouer la compagnie qui
porte son drapeau. Ainsi en est-il aussi par exemple de l’Allemagne, du
Royaume-Uni ou de l’Italie (voir Tableau 1). Bien que le montant de l’aide
allemande à Lufthansa soit supérieur à l’aide française, cette dernière est
plus généreuse par emploi (122 000 euros en France par emploi contre 79 000
euros en Allemagne). L’aide du gouvernement allemand prévoit une entrée au
capital de Lufthansa à hauteur de 20% pour 6 milliards d’euros. En France, la
recapitalisation n’a été clairement envisagée que très récemment et pourrait
faire montrer la participation de l’État à 30% (soit 16 % de plus, c’est-à-dire
moins de 1 milliard d’euro au cours actuel).[9] On ne
sait pas encore si le financement annoncé de l’ordre de 4 à 5 milliards d’euros
ne concernera que l’augmentation de capital et comment réagira l’actionnaire
néerlandais.

Pour ce qui
concerne l’aide budgétée au PLF (les 15 milliards d’euros), elle n’est pas
gratuite d’une part parce qu’elle se compose en grande partie de prêts, ensuite
parce que les conditions que pose l’État sur le chemin de la croissance du
secteur aérien ne sont pas négligeables.

Des contreparties de trajectoires environnementales
fortes

La première contrepartie est financière et a été
globalement partagée par l’ensemble des gouvernements quel que soit le secteur
aidé, il s’agit du non-versement de dividendes et bonus. Viennent ensuite les
exigences de rentabilité. Le plan de soutien à l’aéronautique prévoit en page
13 des « réformes structurelles sur la maîtrise des coûts » mais sans
précisions supplémentaires, par exemple sur une réorganisation du trafic
domestique en faveur de sa filière low cost.

Le gouvernement
hollandais a pour sa part exigé une réduction des salaires des pilotes et du
personnel navigant, ce qui a bloqué le versement de l’aide de 3,4 milliards
d’euros dans un premier temps. Cette aide est parallèle avec la
mise en place d’un plan d’économie dont des suppressions de 5 000 emplois pour
KLM.

Enfin, il y a les contraintes environnementales. Les
compagnies historiques avaient déjà pris ces dernières années des engagements
en faveur de la réduction de l’impact environnemental de leurs activités dans
un contexte réglementaire européen menaçant. Air France s’est donné pour
objectif de réduire de 50% ses émissions de CO2 d’ici à 2030 (avec
2005 comme année de référence) ; elle vise 0 émission sur ses opérations
au sol en 2030 et une réduction de 50% des déchets non-recyclés par rapport à
2011. Mais le plan cherche à accélérer la mutation.

Le gouvernement français a exigé l’arrêt des vols
domestiques point à point quand une alternative TGV d’une durée inférieure ou
égale à 2h30 est possible. De
fait ces lignes n’étaient pas extrêmement bénéficiaires mais l’impact sur le
tissu productif pourrait à terme être non négligeable car les infrastructures
de transport sont fondamentales pour l’implantation des entreprises. Des
incitations fiscales en faveur de l’investissement dans des avions plus propres
ont été également envisagées par le législateur. Dans le reste de l’Europe, seule
l’Allemagne est également regardante sur le développement environnemental de sa
compagnie, tout comme l’Autriche vis-à-vis d’Austrian Airlines (une filiale de Lufthansa).

L’industrie
aéronautique a bien sûr un rôle à jouer dans la transition écologique du
secteur aérien. Le fonds de modernisation dédié aux
filières aéronautiques est doté de 100 millions d’euros en 2020 et de 100
millions supplémentaires en 2021 et 2022 et cette modernisation sous-entend
principalement l’optimisation environnementale.

La fabrication de l’avion « plus propre »
est au centre des enjeux actuels. Airbus vise le développement d’un avion à
hydrogène pour 2035[10].
Le 21 septembre, l’entreprise européenne a présenté trois projets d’avion à
hydrogène. D’au moins 100 places, l’appareil décarboné en matière d’émissions
en vol devrait voler d’ici à 2035. Tandis que l’A350 et la famille d’appareils
A320 NEO – les principales réalisations d’Airbus ces dix dernières années –
peuvent être rangés dans la catégorie des innovations incrémentales, le
développement d’un appareil décarboné, doté d’une architecture et
d’infrastructures au sol nouvelles, constitue une innovation de rupture, au
même titre que l’avion à réaction avec la Caravelle ou l’avion supersonique
Concorde. Dans les deux prochaines années, 1,5 milliards d’euros vont être
consacrés au Conseil pour la Recherche Aéronautique civile (CORAC) pour
financer la recherche sur la décarbonation du transport aérien civil.

Plusieurs obstacles doivent être surmontés pour
rendre réalisable un transport aérien alimenté par l’hydrogène : (1) le
stockage de ce carburant, trois à quatre fois plus volumineux que le kérosène,
dans les appareils et les aéroports, (2) l’architecture de l’appareil, (3) le
coût (un objectif à 4/5 € du kilo), (4) les infrastructures aéroportuaires et
(5) la certification et la sécurité[11].
Le « plan hydrogène » français comprend 7 milliards d’euros jusqu’à
2030, contre 9 milliards du côté allemand. Ces investissements visent à rendre
possible la production de masse des composants, électrolyseurs, réservoirs etc.
nécessaires à la production d’hydrogène[12].

Les industriels membres du GIFAS, visés par ce plan
de soutien, ont signé une « Charte d’engagements » dans laquelle ils
s’engagent à « préserver les savoir-faire et les compétences présents en
France » ainsi qu’à transformer la filière « en faveur de la
transition écologique ». Cela inclut la prise en compte de critères environnementaux
plus stricts, de favoriser l’offre de fournisseurs français et européens à
compétitivité équivalente à une offre extra-européenne, de relocaliser des
savoirs technologiques et des chaînes de production.

Ce n’est pas la première
fois que le transport aérien obtient le soutien de l’État. L’intervention se
justifie en raison des externalités positives du bon fonctionnement du marché
aérien, mais aussi au motif de l’emploi 
et de la souveraineté. Ce dernier motif n’est pas strictement économique
mais, comme on l’a dit plus haut, le transport aérien est associé à des
missions de sécurité et de défense voire de réquisition pour
l’approvisionnement qui en fait un secteur politiquement stratégique en
prévision de situations exceptionnelles. Durant ces vingt
dernières années, plusieurs événements sont venus frapper violemment le
transport aérien : les attentats du 11 septembre 2001, la pandémie du SRAS
en 2002-2003, la crise financière de 2008-2009 (avec notamment la création du
fonds stratégique d’investissement doté de 20 milliards d’euros). Il apparaît
que ce plan à destination de l’industrie aéronautique et du transport aérien
est d’une ampleur inédite et ce sera clairement confirmé si le gouvernement
décide de monter au capital d’Air France.

Contrairement au soutien de 2009, le plan de 2020
visait, au départ, essentiellement Air France. Il existe pourtant des petites
compagnies françaises comme Air Austral, Air Caraïbes ou Corsair qui ont été
très impactées par l’arrêt des vols hors métropoles sur lesquels elles opèrent et
dont les actionnaires se sont plaints d’être négligés. Elles ont finalement
obtenu des aides qui se chiffrent en quelques dizaines de millions d’euros. Du
côté des compagnies étrangères opérant sur le sol français, elles sont aidées
par la gouvernance de leur siège social.À la suite du premier
confinement, les low cost n’ont pas été oubliés. Ryanair et EasyJet ont
reçu des prêts du Royaume-Uni, pour un montant de 600 millions de livres
(environ 675 millions d’euros) chacune, WizzAir, un prêt de 344 millions
d’euros du Royaume-Uni également.

Un
parachute public, de secours ou ascensionnel ?

L’aide suffira-t-elle à sauver Air France ?
Sans doute, oui. La question est évidemment à quel prix. Si les prêts
sont entièrement accordés, ils subventionnent l’emploi d’Air France à hauteur
de 122 000 euros par emploi. Mais cette perspective par emploi est incorrecte
car le soutien public est un prêt qui sera remboursé et il soutient outre
l’emploi, le capital de l’entreprise. La subvention nette du remboursement
relève de la prise en charge du risque et de l’immédiateté de l’apport de
liquidité à taux faible. Il en est différemment de l’augmentation de capital
qui est à présent envisagé. Cette dernière se traduirait par une prise de
participation de 16% additionnel pour un montant de 4 à 5 milliards d’euros.

Mais l’aide ne lèvera pas les menaces qui pèsent sur
les compagnies historiques et qui existaient avant la crise. La croissance des low
cost
depuis vingt ans les a rendues incontournables : leaders du
marché italien, compagnies de premier plan en Angleterre et en Espagne, concurrents
sérieux en France et en Allemagne. La continuité de leur progression,
bénéficiant de mutations organisationnelles (la généralisation du connecting par exemple, ce mécanisme qui
offre aux passagers la possibilité d’aller sur un autre vol à partir d’un vol low
cost
avec le minimum de coordination possible), menace Air France, dans un
contexte de réduction conjoncturelle de sa voilure, doublée de difficultés
structurelles (faible rentabilité, défaillances organisationnelles…)
persistantes. Combe et Bréchemier (2020) notent au contraire que les grandes
compagnies low cost européennes ont assez de liquidités pour passer la
crise.

La concentration peut être bénéfique à ses acteurs
et à la qualité du service aérien. Mais la conséquence sur les prix est
évidemment à prendre en compte. Comme le montre Philippon (2019), alors qu’à la
fin des années 1990 les billets d’avions étaient bon marché aux États-Unis relativement
à l’Europe, la tendance s’est inversée[13].
Les concurrents low cost ont poussé les prix à la baisse tandis que la
forte concentration du marché étasunien[14]
a renchéri le déplacement par avion.

Tout l’enjeu résidera dans la dynamique de
réallocation des places laissées vides. En Europe, plusieurs compagnies low
cost
ont atteint la taille critique et sont viables à long terme. Si elles
s’en sortent mieux que les compagnies historiques, elles pourront (1) se
positionner dans les aéroports non congestionnés sur les créneaux vacants et
(2) racheter des compagnies en difficulté pour récupérer des créneaux dans les
aéroports où ils sont une ressource rare.

Donc l’aide peut être vue comme participant au
maintien d’un certain niveau de concurrence sur le marché français. Mais la
rationalité du plan repose surtout sur une perspective assez sombre du
transport aérien éloignée de son état pré-pandémie en supposant un changement
de comportement et en intégrant les contraintes environnementales, notamment
l’objectif de neutralité carbone. Pour dépasser cet avenir sombre, et veiller à
la vitalité d’un secteur clé de l’économie française comme l’aéronautique, le
plan fait le choix de l’innovation afin de créer de l’obsolescence et relancer
les achats d’appareils et placer l’opérateur historique au premier rang des
acteurs capables de respecter les contraintes environnementales.

Dans le cas d’un avion à hydrogène deux forces vont
pousser à la transformation mondiale des flottes. La première, d’ordre
économique, se rattache à un gain d’efficacité énergétique lié à
l’hydrogène : des innovations qui permettraient d’obtenir un carburant
moins cher, et non dépendant des cours de pétrole. La seconde force est reliée
aux aides actuelles : pour remplir pleinement les contraintes
environnementales imposées par les aides – et plus généralement par la société
– les compagnies seront incitées à acheter ces avions à hydrogène. La deuxième
force pourrait être renforcée par un effet de levier, si les grandes compagnies
achètent massivement ce type d’appareil, les petites suivront.[15]

C’est ainsi que se justifient des contraintes
environnementales fortes qui peuvent apparaître handicapantes dans une
situation de fragilité financière.

Le pari du plan est risqué mais il en va de l’avenir
du secteur aérien. Sa réussite dépend des engagements européens dans un même
sens.


[1] https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_16_mars_2020.pdf

[2] Financial Times, 17 novembre 2020, « EasyJet slimps to first loss in 25 years and extends
rescue loan ».

[3] https://www.ladepeche.fr/2020/06/30/airbus-annonce-la-suppression-de-pres-de-15-000-emplois-dici-2023-dont-5-000-en-france,8957801.php

[4]
OFCE
(2020), Prévision Economiques, Policy Brief 78, 14 octobre 2020.

[5] https://www.boursorama.com/actualite-economique/actualites/air-france-l-etat-francais-s-apprete-a-remonter-sa-part-au-capital-de-la-compagnie-ac3eb08ebac2ff8923c2786fb758adad

[6] Voire accélérées, tel qu’énoncé dans le plan de
soutien à l’aéronautique et au transport aérien (pp. 11-13).

[7] La capitalisation a été divisée par 2 pour Air France
et a perdu 60% du côté d’Airbus entre 2019 et 2020.

[8] « Air France-KLM obtient une aide de 7 milliards
d’euros de l’Etat français ». Air Journal. 25 avril 2020. URL :
https://www.air-journal.fr/2020-04-25-air-france-klm-obtient-une-aide-de-7-milliards-deuros-de-letat-francais-5219757.html

[9] https://www.rtl.fr/actu/economie-consommation/air-france-l-etat-va-injecter-4-a-5-milliards-d-euros-en-plus-et-doubler-sa-part-dans-le-capital-7800935650

[10] « Aéronautique : les cinq grands défis à
surmonter pour un avion à hydrogène en 2035 ». La Tribune. 25
novembre 2020. URL : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/aeronautique-les-cinq-grands-defis-a-surmonter-pour-un-avion-a-hydrogene-en-2035-863087.html

[11]  Ibid.

[12] « L’hydrogène décarboné, l’audacieux pari
industriel de la France ». L’Usine Nouvelle. 10 septembre 2020. URL :
https://www.usinenouvelle.com/article/naissance-d-une-filiere-hydrogene-decarbone-made-in-france.N1002164

[13] Outre le faible nombre d’acteurs, le problème du
marché étasunien réside dans la nature de ces firmes : il n’y a que Southwest
qui est une middle cost, c’est-à-dire qu’il n’y a qu’une firme dont on peut
attendre une concurrence par les prix (Combe et Bréchemier, 2020).

[14] Quatre compagnies (American Airlines, Southwest,
Delta, United) contrôlent 68% du marché domestique, contre 57% pour les quatre
premières européennes.

[15] Elles n’ont pas intérêt à apparaître comme les seuls
agents pollueurs, a fortiori s’il y a un gain économique à la clé.




L’aide exceptionnelle de solidarité a-t-elle permis de couvrir les coûts du confinement pour les familles?

Par Muriel Pucci, Hélène Périvier et Guillaume Allègre

Les mesures de confinement prises pour lutter contre la diffusion du virus de la covid-19 ont eu des répercussions à la fois sur l’activité des parents et leurs revenus, sur la scolarisation des enfants, et sur les coûts supportés par les familles. Ainsi, selon la situation professionnelle et familiale, certains parents ont télétravaillé, d’autres ont été mis au chômage partiel par leur employeur, d’autres encore ont pu bénéficier du dispositif d’indemnisation de l’arrêt d’activité pour garde d’enfant et une dernière catégorie de parents ont perdu leur emploi (voir le Policy brief OFCE n°65[1]). Seuls les premiers ont conservé leur salaire mais ils ont dû concilier à domicile les exigences de leur employeur et le temps à consacrer à leurs enfants, notamment sur le plan pédagogique. Les deux catégories suivantes ont bénéficié d’un maintien partiel de leur rémunération, le maintien était intégral pour ceux dont le salaire horaire est au niveau du smic. Enfin, les parents ayant perdu leur emploi, ont accédé au chômage indemnisé (allocation d’aide au retour à l’emploi, ARE) ou non en fonction de leur situation au regard de l’assurance chômage.



L’analyse menée dans cette note est centrée sur les effets du confinement sur les familles au RSA, qui ont subi une forte augmentation du coût de l’alimentation, et sur les familles ayant vécu le chômage partiel ou le congé pour garde d’enfant, qui ont supporté une baisse plus ou moins importante de leur revenu. Les calculs considèrent la situation des familles parisiennes qui peuvent bénéficier d’une tarification sociale particulièrement généreuse pour lesquelles la municipalité a mis en place une aide exceptionnelle complémentaire à l’aide nationale. Une annexe permet de comparer la situation de ces familles avec celles vivant à Dijon où la cantine est plus onéreuse. La situation des familles dans lesquelles un parent a perdu son emploi pose des questions complexes qui seront étudiées dans une note dédiée.

Beaucoup
de familles d’actifs ont vu leurs revenus d’activité diminuer durant le
confinement, et c’est particulièrement le cas des ménages des premiers déciles
de niveaux de vie ayant des enfants à charge. En effet, alors que les mesures
de confinement ont conduit à fermer les écoles, collèges, lycées et modes de
garde pour la plupart des enfants (à l’exception de ceux dont les parents
travaillent dans les secteurs d’activité essentielles), la capacité
d’adaptation des parents dépend du type d’emploi occupé (cadre, employé ou
ouvrier) et du secteur. Dans les couples d’employés et certains couples de
cadres, les conjoints ont le plus souvent pu opter pour le télétravail et jongler
sur les deux emplois du temps pour s’occuper des enfants. Mais pour d’autre
catégories professionnelles ou d’autres secteurs, les possibilités de
télétravail étaient plus rares. En outre, lorsqu’un des parents travaillait à
l’extérieur du domicile (grande distribution, transport, propreté…) ou dans le
cas des parents isolés, le recours à l’arrêt de travail pour garde d’enfant était
la seule option.

Au-delà
de ces baisses de revenu d’activité[2] liées à l’impossibilité de
télétravail ou à la nécessité de garder les enfants, certaine familles sans
revenu d’activité ont supporté des coûts spécifiques liés à l’alimentation. Les
ménages qui perçoivent le RSA ont souvent recours à des aides alimentaires en
temps normal (restos du cœur, autres formes de solidarités locales) et le
confinement a réduit considérablement l’accès à ces aides. En ce qui concerne
les enfants, de nombreuses villes prennent en charge une partie importante du
coût des repas des enfants des ménages à bas revenu. Cette tarification sociale
de la cantine conduit à ce qu’un repas à domicile soit plus coûteux qu’un repas
à la cantine pour ces ménages dont les enfants n’étaient plus scolarisés. En
effet, seuls les enfants de soignants ont été pris en charge par les écoles et
les centres de loisir mais ce dispositif d’accompagnement des familles n’a pas
été étendu aux autres catégories de « premiers de corvée » (agent de
caisse, livreurs, éboueurs, agents d’entretien …). A l’inverse, pour
certaines familles de travailleurs, le confinement a pu être associé à une
baisse des dépenses à la fois parce que les repas des enfants étaient moins
onéreux qu’à la cantine et parce que les adultes eux-mêmes économisaient
certains frais professionnels (transport, repas à l’extérieur).

  1. Dispositif d’aide exceptionnelle et
    estimation des coûts liés au confinement

Pour
compenser la baisse de niveau de vie liée au confinement et soutenir les
ménages les plus en difficulté, les collectivités locales ont pu mettre en
place des aides (tablette pour assurer la continuité pédagogique, aide
alimentaire …) et ceci de façon inégale sur le territoire et par conséquent
difficile à estimer globalement.

Parallèlement, le gouvernement a mis en place une aide exceptionnelle de solidarité versée le 15 mai aux ménages éligibles au RSA, à l’ASS et aux ménages avec enfant(s) bénéficiaires d’aides au logement (tableau 1). Cette décision fait suite à l’allocution présidentielle du 13 avril 2020, elle a été prise en conseil des ministres le 15 avril 2020. L’éligibilité étant calée sur des prestations déjà existantes, le versement par les CAF a été automatique ce qui a permis d’éviter un non-recours, au-delà du non-recours aux prestations existantes, mais cela n’a pas permis de tenir compte des variations de revenu liées aux mesures de confinement et à ses conséquences économiques et sociale à plus long terme. Ainsi, 4.1 millions de foyers, dont près de 5 millions d’enfants, en ont bénéficié pour une enveloppe totale de 900 millions d’euros (Cnaf). Cette aide a particulièrement été ciblée pour aider le surcroît des dépenses liées aux enfants dû au confinement : les trois quarts de cette enveloppe a concerné des ménages avec enfants. Environ 60% des familles monoparentales ont perçu cette aide, 15% des couples avec deux enfants et 35% des couples avec trois enfants (calculs réalisés via le modèle de microsimulation INES – voir INSEE). Verser l’aide aux bénéficiaires du RSA, de l’ASS ou des aides au logement permet de cibler l’aide sur les plus pauvres : 72% des bénéficiaires des aides au logement, appartiennent aux trois premiers déciles de niveau de vie.

La ville de Paris a complété cette aide nationale par un dispositif de soutien aux familles éligibles aux plus bas tarifs de cantine (jusqu’à 1,62€ par repas) pour lesquelles la Caf de Paris a versé 150€ pour le premier enfant et 50€ par enfant supplémentaire.

Ces
dispositifs exceptionnels ont-ils permis de couvrir les coûts du confinement ?
Pour répondre à cette question nous évaluons deux types de coûts :

  1. le
    coût potentiel lié au fait que l’alimentation a pu coûter plus cher pour les
    familles à bas revenu en raison d’un recours plus difficile aux solidarités
    locales (associations, voisinage) et du fait que dans les villes pratiquant une
    tarification sociale, les enfants ne déjeunaient plus à moindre coût à la
    cantine[3]. Au-delà des dépenses
    alimentaires, les familles ont dû faire face à d’autres types de coûts
    spécifiques liés au suivi scolaire des enfants (équipement ordinateur et
    connexion internet…). Là encore le rôle des collectivités locales a été
    important pour soutenir les familles, mais de façon inégale sur le territoire. Mais
    ce type de coût n’est pas pris en compte dans l’analyse.
  • la potentielle
    perte de revenu liée au basculement dans le dispositif de chômage partiel (ou
    congé pour garde d’enfant). Les parents au chômage partiel ont en effet pu
    subir une baisse de leur revenu d’activité mais ils ont également économisé des
    frais professionnels. En outre, la baisse du revenu primaire a pu entraîner une
    variation positive ou négative de la prime d’activité qui a donc, selon les
    cas, partiellement compensé ou au contraire accentué la baisse du revenu
    primaire.

Pour estimer le coût des repas à domicile, nous utilisons les budgets de référence construits par le Credoc et l’Ires pour l’Onpes[4] en les adaptant à la situation parisienne qui sera retenue pour les cas types (voir tableau 2).

Les coûts des repas à domicile[5] estimés pour les budgets
de référence supposent que les ménages achètent l’intégralité de leurs denrées
aux prix en vigueur (avec un recours plus important aux grandes surfaces en
ville moyennes) qu’à Paris. Or, en réalité, les familles qui touchent le RSA
peuvent en temps normal bénéficier de paniers repas ou autres aides
alimentaires locales réduisant le poste de dépenses d’alimentation. Nous
supposerons que le coût des repas à domicile pour ces familles est réduit relativement
aux estimations du tableau 2 en temps normal, mais pas durant le confinement
qui a limité l’accès aux solidarités alimentaires.

Pour les familles
d’actifs, nous supposons que les coûts des repas à domicile en temps normal
sont ceux du tableau 2 mais que ce coût a été accru durant le confinement en
raison de difficultés à accéder aux grandes surfaces et de l’impossibilité de
déjeuner dans les cantines d’entreprise. Les économies éventuelles liées à
l’absence de déjeuners au restaurant les jours de travail ne sont pas prises en
compte ici mais elles sont intégrées dans les économies de frais professionnels
qui incluent également celles associées aux frais de transport (remboursement
du Pass Navigo). Ces économies de frais professionnels sont sans doute très
variables et sont très difficile à estimer. Nous retiendrons pour nos calculs
l’hypothèse faite par le trésor public en les valorisant par 10% du salaire.

Le tarif de la cantine est calculé à l’aide des barèmes de la ville de Paris qui pratique une tarification sociale particulièrement généreuse (tableau 3). Dans d’autres villes, la cantine peut coûter plus cher aux parents que l’alimentation à domicile (voir annexe).

Nous
supposons que les parents isolés ont un ou deux enfants écoliers et que les couples
ont 2 enfants écoliers ou 3 enfants dont 2 écoliers et un collégien[6]. Nous étudions pour
différentes configurations l’évolution du revenu et des coûts pour ces ménages durant
la période de confinement du 16 mars au 19 juin (date de réouverture des
écoles).

  • Hypothèses retenues pour les cas types

Pour
évaluer l’effet de l’aide exceptionnelle sur différentes catégories de ménages,
nous nous appuyons sur des cas types, en retenant les types de ménages qui ont
été particulièrement ciblés par l’aide (graphiques 1a et 1b) :

  • un
    parent isolé ayant un enfant : 61 % des parents isolés ayant un
    enfant à charge ont perçu l’aide, et cette catégorie représente 16 % des
    ménages éligibles selon nos simulations;
  • un
    parent isolé ayant deux enfants : 64 % des parents isolés ayant deux enfants
    à charge ont perçu l’aide, et cette catégorie représente 11 % des ménages
    éligibles ;
  • un
    couple ayant deux enfants : 14 % d’entre eux ont perçu l’aide, et ils
    représentent 10 % des ménages éligibles ;
  • un
    couple ayant trois enfants : 35 % d’entre eux ont perçu l’aide, et
    ils représentent 11 % des ménages éligibles.

A côté de ces 4 catégories de ménage, nous étudions le cas des personnes seules et couples sans enfant pour mettre en lumière la particularité des familles avec enfant(s). Ces ménages représentent 36% des ménages éligibles et 25% de l’aide versée.

Pour les personnes seules ou couples sans enfant, les couples avec 2 ou 3 enfants et les parents isolés avec 1 ou 2 enfants, nous estimons l’impact du confinement sur le revenu net du coût de l’alimentation lorsque leurs revenus d’activité sont faibles (inférieurs à 1,5 smic) voir nuls, ce qui correspond aux bénéficiaires potentiels des aides exceptionnelles. Nous supposons que les familles n’ont pas eu accès à la cantine durant 3 mois (du 16 mars au 19 juin) et du subir un surcoût de l’alimentation à domicile durant cette même période, en considérant que le nombre de jours de cantine « perdus » dépend de l’activité des parents (centre de loisir du mercredi s’ils travaillent à plein temps uniquement). L’ensemble des hypothèses est présenté de manière détaillée dans l’annexe 1. 

  • Evaluation de la situation des ménages
    selon leur configuration

Les graphiques
2 – cas types 1 à 4- illustrent les pertes supportées par les ménages ainsi que
la compensation plus ou moins importante par les aides exceptionnelles. Le
montant de ces aides versées en une seule fois pour 3 mois de confinement a été
divisé par trois pour être comparable aux revenus mensuels.

Pour les
ménages sans enfant bénéficiaires du RSA avant le confinement (Graphique 2, cas
type 1), l’aide exceptionnelle de l’Etat a permis de couvrir une grande partie
du surcoût de l’alimentation pour les personnes seules mais le niveau de vie
des couples ont été moins protégés puisque le montant de l’aide était le même
pour un ou deux adultes sans enfant. Notons toutefois que le reste à charge a
été estimé en supposant que l’aide alimentaire issue de solidarités
associatives et locales couvrait en temps normal 30% du coût de l’alimentation.
Dans le cas des ménages aux RSA ayant des enfants, l’aide exceptionnelle
nationale n’a pas suffi à compenser le surcoût de l’alimentation dans une ville
comme Paris où la cantine est très peu chère pour ces enfants. Mais l’aide
additionnelle accordé par la ville de Paris a comblé l’écart, les couples avec
enfant restant perdants, au même titre que les couples sans enfant.

Pour les
ménages dans lesquels le ou les adulte(s) gagnai(en)t le smic avant le
confinement, l’aide nationale a pu être versée aux parents isolés et aux
couples avec 3 enfants bénéficiant d’une aide au logement mais pas aux autres
ménages. Seules les familles monoparentales avec 2 enfants pouvaient prétendre
à l’aide de la ville de Paris.

La variation
du revenu liée au confinement dépend du taux de compensation du salaire par
l’indemnité de chômage partiel. En effet, lorsque le salaire horaire est égal
au smic (cas type 2), la compensation est totale alors qu’à revenu mensuel
égal, si le salaire horaire est supérieur au smic, l’indemnité de chômage
partiel ne compense que 84% du salaire (cas type 3 où le parent travaillait à
80% au taux horaire de 1,25 smic). Dans les deux cas, on considère que le
travailleur au chômage partiel a économisé environ 122€ de frais professionnels
(10% de sa rémunération).

A revenu
d’activité inchangé (cas type 2), l’aide nationale a relativement bien compensé
le surcoût de l’alimentation, relativement faible pour les familles
monoparentales avec un enfant et les couples avec deux ou trois enfants pour
lesquels un repas à la cantine est plus cher qu’à domicile pour ce niveau de
revenu (2,28€ contre 1,78€). Les familles monoparentales avec deux enfants qui
doivent quant à elles supporter un coût du repas des enfants plus élevé à
domicile bénéficient de l’aide de la ville de Paris ce qui leur permet, au
total, de ne pas y perdre sur le budget alimentation. Ces familles ayant pu
économiser les frais professionnels pour le travailleur au chômage partiel,
leur revenu net des frais professionnels et du coût de l’alimentation a pu
augmenter dans toutes les configurations familiales. Ce résultat est toutefois
à nuancer par notre hypothèse que les frais professionnels représentent 10% du
salaire, ce qui est probablement une estimation haute pour les ménages gagnant
le smic.

En revanche,
lorsque l’indemnité de chômage partiel était inférieure au salaire (cas type 3)
toutes les configurations étudiées ont vu leur revenu disponible net des frais
professionnels et du coût de l’alimentation diminuer, à l’exception des
familles monoparentales avec deux enfant. Cela laisse penser que les
dispositifs exceptionnels ont été conçus pour compenser une augmentation
exceptionnelle du coût de l’alimentation plutôt que des pertes de revenu
professionnels nets. On peut noter qu’au niveau du smic mensuel, la variation
de la prime d’activité a pu, selon les configurations, soit compenser en partie
la baisse du revenu soit l’amplifier. Cela s’explique par le profil « en
chapeau » de cette aide : elle est d’abord croissante avec le salaire
puis décroissante, avec un point de maximum dépendant de la configuration
familiale.

Avec un
salaire de 1,5 smic mensuel, seules les familles monoparentales ont pu recevoir
une aide nationale, car elles seules peuvent bénéficier d’une aide au logement
avec ce salaire. Aucune des configurations étudiées n’était éligible à l’aide
de la ville de Paris ce qui s’explique par le fait qu’à ce niveau de revenu,
les repas à la cantine sont plus chers qu’à domicile. (Graphique 2, cas type 4).
Dans la plupart des cas, une augmentation de la prime d’activité a en partie
compensé la baisse du revenu d’activité, mais ce n’est pas le cas pour les
couples sans enfant ou avec 3 enfants qui ne sont pas éligibles à la prime
d’activité à ce niveau de salaire[7].
Malgré la baisse des frais professionnels (estimée à 183e à ce
niveau de salaire), le revenu net des frais professionnels et alimentaires a
baissé dan toutes les configurations familiales, à l’exception des familles
monoparentales avec deux enfants.

Au total, les aides nationale et locale ont permis de compenser l’augmentation du coût des repas pour les ménages modestes, ce qui était en partie l’objectif. L’aide nationale a plutôt compensé la hausse du coût de l’alimentation durant le confinement (moindre recours aux aides alimentaires et augmentation du prix en magasin) tandis que l’aide de la ville de Paris compensait plutôt le surcoût des repas à domicile pour les enfants bénéficiant de tarifs de cantine très avantageux (l’aide était explicitement ciblée sur les ménages bénéficiant des tarifs de cantine scolaire les plus bas). Par contre, les aides nationale et locale n’ont pas compensé la perte de revenus pour les individus subissant un chômage partiel lorsque leur rémunération était supérieure au Smic horaire. Il semble donc que les aides exceptionnelles étaient plutôt destinées à compenser des coûts exceptionnels que des pertes temporaires de revenu nets des frais professionnels. Toutefois, l’indemnité de chômage partiel étant traitée comme un revenu d’activité pour le calcul de la prime d’activité, cette prestation de soutien aux bas salaires a pu dans certain cas compenser en partie la perte due au chômage partiel. Cette possibilité de cumuler partiellement l’indemnité de chômage partiel et la prime d’activité ne s’applique pas à l’allocation chômage classique (ARE). Pour les travailleurs qui ont perdu leur emploi lors de la crise sanitaire que nous traversons, la baisse, voire la perte, de la Prime d’activité pour les chômeurs indemnisés a pu exacerber l’impact de la crise économique sur la pauvreté. Cette question fera l’objet d’une note spécifique.

Annexe 1 : Hypothèses retenues pour les cas types

Les hypothèses retenues
en termes de revenus, de recours aux solidarités et de recours à la cantine
sont les suivantes

Cas
types 1 : des ménages sans revenu primaire

  • S’il n’y avait pas eu de confinement,
    • le coût des repas à domicile aurait été réduit
      de 30% grâce aux solidarités associatives ou de voisinage ;
    • les enfants auraient été à la cantine 4 jours
      par semaine, y compris pendant les vacances scolaires (centre de loisir) pour
      les écoliers mais pas pour les collégiens.
  • Avec le confinement,
    • le coût des repas à domicile est augmenté du
      fait de l’impossibilité de  recourir aux
      solidarités associatives ou de voisinage ;
    • tous les repas des enfants sont pris à domicile
      durant 14 semaines.

Cas
types 2 : des ménages dont les adultes travaillent à temps complet au Smic

  • S’il n’y avait pas eu de confinement,
    • les écoliers auraient été à la cantine 5 jours
      par semaine, y compris pendant les vacances scolaires et les collégiens 4 jours
      par semaine hors vacances scolaires ;
    • Les parents auraient supporté des frais
      professionnels à hauteur de 10% de leur rémunération.
  • Avec le confinement,
    • un adulte passe au chômage partiel sans perte
      de revenu car le dispositif couvre l’intégralité de la perte de revenu pour une
      rémunération au smic horaire ; il n’a plus de frais professionnels ;
    • le coût des repas à domicile accru de 10% du
      fait d’un moindre accès à des grandes surfaces ;
    • Tous les repas des enfants sont pris à domicile
      durant 14 semaines.

Cas
types 3 : des ménages dont les adultes gagnent l’équivalent d’un Smic à
temps plein, l’un d’eux travaille à 80% (au taux horaire de 1,25 Smic) et se
trouve au chômage partiel durant le confinement.

  • S’il n’y avait pas eu de confinement,
    • les enfants auraient été à la cantine 4 jours
      par semaine, y compris pendant les vacances scolaires (centre de loisir) pour
      les écoliers mais pas pour les collégiens ;
    • Les parents auraient supporté des frais
      professionnels à hauteur de 10% de leur rémunération.
  • Avec le confinement,
    • l’adulte travaillant à temps partiel passe au
      chômage partiel avec une perte de revenu car le dispositif ne couvre que 84% de
      la rémunération pour ce niveau de salaire horaire mais il n’a plus de frais
      professionnels ;
    • le coût des repas à domicile accru de 10% ;
    • tous les repas des enfants sont pris à domicile
      durant 14 semaines.

Cas
types 4 : des ménages dont les adultes travaillent à temps complet pour un
salaire horaire de  1,5 Smic

  • S’il n’y avait pas eu de confinement,
    • les écoliers auraient été à la cantine 5 jours
      par semaine, y compris pendant les vacances scolaires et les collégiens 4 jours
      par semaine hors vacances scolaires ;
    • Les parents auraient supporté des frais
      professionnels à hauteur de 10% de leur rémunération.
  • Avec le confinement,
    • un adulte est au chômage partiel avec une perte
      de revenu car le dispositif ne couvre que 84% de la rémunération pour ce niveau
      de salaire horaire mais il n’a plus de frais professionnels ;
    • le coût des repas à domicile accru de 10% ;
    • tous les repas des enfants sont pris à domicile
      durant 14 semaines.

Annexe 2 : Coût du repas des enfants sur 3 mois et aides locales à Paris et Dijon

La situation de la ville de Paris étudiée dans cette note est spécifique en raison d’une part du coût des repas à domicile, qui peut être plus élevé qu’en province, et d’autre part de la tarification de la cantine très avantageuse pour les familles à bas revenu. Les graphiques ci-dessous permettent d’illustrer cette spécificité par comparaison avec la ville de Dijon. A Dijon, l’alimentation à domicile est moins chère qu’à Paris mais la tarification de la cantine est un peu plus chère pour les écoliers (voir tableau ci-dessous) et beaucoup plus chère pour les collégiens (tarif unique de 3,7€).

La ville de Dijon a mis en place une aide pour les familles consistant à exonérer de frais de cantine scolaire de janvier à juin. 


[1]
Selon le Département
Analyse et Prévision
, durant le confinement, le télétravail a concerné 9,3
millions de salariés, l’activité partielle, 7,1 millions dont 1,1 pour garde
d’enfants ; 0,6 million d’emplois ont été détruits.

[2]
Jusqu’au 30 avril, les salariés bénéficiant d’un arrêt de travail dérogatoire pour
garde d’enfant étaient indemnisés à hauteur de 90% de leur salaire.

[3]
Dans les collectivités locales qui
appliquent une tarification sociale généreuse des frais de cantine, la perte a
pu être substantielle. En revanche pour les villes dans lesquelles le tarif de
la cantine reste élevé même pour les familles modestes, le confinement a pu
mécaniquement conduire à une baisse des dépenses sur ce poste de consommation.

[4]
Voir https://onpes.gouv.fr/les-budgets-de-reference-618.html
pour les budgets de 2014 en ville moyenne. Ces budgets ont été actualisé comme
l’inflation jusqu’en mars 2020 et un coefficient de 1,065 a été appliqué pour
passer du coût des repas en ville moyenne à celui observé à Paris, conformément
à la méthodologie adoptée par le Credoc pour les budgets de référence dans la métropole
du Grand paris (rapport à paraître).

[5] Ces
coûts sont ensuite corrigés dans les budgets de référence pour tenir compte de
repas pris à l’extérieur du domicile (restaurant, cantine scolaire…).

[6] Dans l’annexe comparant les villes de Paris et de Dijon, on ajoute une variante avec un écolier et un collégien dans les ménages avec 2 enfants.

[7]
Pour les couples avec 3 enfants, cela s’explique par le fait que les
allocations familiales et le complément familial sont déduits de la prime.




L’emploi des femmes et des hommes pendant la période de confinement du 17 mars au 10 mai 2020

Bruno Ducoudré et Hélène Périvier

Les mesures prises pour lutter contre la diffusion du virus de la covid-19, fermetures administratives des commerces non essentiels, fermeture des écoles et des modes d’accueil des jeunes enfants notamment, confinement de la population du 17 mars au 10 mai 2020, ont limité les possibilités de travailler pour de nombreuses personnes. Selon le secteur d’activité et le poste occupé, certaines ont pu télétravailler, d’autres ont été prises en charge par le dispositif d’activité partielle, les fonctionnaires et assimilés étant couverts pas une autorisation spéciale d’absence. Le confinement a fortement affecté l’activité et conduit à des destructions d’emplois. L’OFCE a produit plusieurs évaluations portant sur les conséquences économiques et sociales de la période de confinement, en particulier sur l’emploi (voir Policy Brief, n°67). En mobilisant la même méthode, nous précisons ici l’effet différencié attendu sur l’emploi des femmes et des hommes. En effet, la ségrégation sexuée du marché du travail par secteur et selon les professions implique que les femmes et les hommes n’ont pas été dans des situations similaires durant la période de confinement. Les femmes sont légèrement sur-représentées parmi les personnes pouvant potentiellement télétravailler (55,7 %). Au total, 38 % des femmes actives occupées occupent un poste pour lequel le télétravail serait possible contre 28 % des hommes. Les femmes ont dans le même temps continué à assumer la plus grande partie des tâches familiales et domestiques accrues durant cette période (Lambert et al., 2020[1]), combinant télétravail et éducation des enfants.



Pour toutes celles et ceux qui n’ont pas pu télétravailler, trois situations sont possibles : soit ils ou elles ont perdu leur emploi durant la période de confinement, soit ils et elles ont été placés en chômage partiel, avec une indemnité compensatrice (100 % pour un salaire horaire au smic et de 84 % au-delà, versée par l’entreprise et compensée par l’Etat et l’Unedic jusqu’à 4,5 smic horaire via de dispositif d’activité partielle) ; soit ils et elles ont bénéficié de l’arrêt pour garde d’enfant. Afin de détailler l’effet de la période de confinement sur l’emploi des femmes et des hommes, certaines hypothèses sont nécessaires en particulier s’agissant du parent qui recourt à l’arrêt pour garde d’enfant. Ne disposant d’aucune donnée permettant d’identifier qui sont les parents qui ont bénéficié de ce dispositif, nous supposons que si la personne élève seule son enfant, elle est concernée par un arrêt pour garde d’enfant (sauf si elle peut télétravailler, ou si elle travaille dans une entreprise concernée par les fermetures obligatoires), si elle vit en couple et que son conjoint doit continuer son activité, alors cette personne est concernée par ce dispositif. Enfin si les deux peuvent prendre l’arrêt pour garde d’enfant, selon l’hypothèse 1 nous supposons que c’est la mère qui recourt au dispositif, selon l’hypothèse 2 nous supposons que c’est le père. La réalité se situe entre les deux, mais avec certainement un recours beaucoup plus élevé pour les mères que pour les pères, au regard de l’état du partage des tâches dans la famille. En effet, les femmes réalisent encore aujourd’hui 70 % du travail domestique et 65 % du travail familial (Champagne et al, 2015[2]). 

Au total les femmes et les hommes ont été affectés dans des proportions comparables par les mesures de confinement : sous l’hypothèse 1 (respectivement l’hypothèse 2), les femmes représentent 52 % (43%) des 7,95 millions (7,8 millions) de personnes affectées. La ventilation par sexe des emplois dans les trois situations indique des différences entre les femmes et les hommes. Sous l’hypothèse 1 (respectivement l’hypothèse 2), les femmes ont représenté 38 % (35 %) des emplois détruits pendant la période ; 45 % (50 %) de l’activité partielle et 90 % (17 %) des arrêts pour garde d’enfants. Ces chiffres ne prennent pas en compte les fonctionnaires et assimilés, qui comportent une part importante de femmes.

Les hommes ont été, au regard de nos hypothèses, plus affectés par les destructions d’emploi, les femmes ont été davantage concernées par les arrêts pour garde d’enfants, le chômage partiel ayant affecté les hommes légèrement plus que les femmes. La ségrégation sectorielle par sexe explique une partie des effets sexués des mesures de confinement, de même que la division sexuée du travail dans les couples. 

Les graphiques 1 et 2 montrent la part des femmes affectées par des destructions d’emploi et l’activité partielle selon le secteur sous l’hypothèse 1. Le secteur de la construction a été particulièrement affecté par les destructions d’emplois (21 % des destructions d’emploi ont eu lieu dans ce secteur), les femmes ont été moins concernées que les hommes : elles représentent 6 % des destructions d’emploi de ce secteur contre 11 % de l’emploi du secteur. La ségrégation sectorielle se double d’une ségrégation des professions. Ainsi les femmes occupent plus souvent des postes administratifs que des emplois impliquant une présence sur le terrain, ce qui explique en partie qu’elles soient moins affectées par les destructions d’emploi dans ce secteur.  Dans le secteur du commerce, les femmes ont été un peu plus affectées par les destructions d’emploi que les hommes (elles représentent 47 % de l’emploi dans ce secteur et 54 % des destructions d’emplois), et elles ont été sensiblement plus touchées par l’activité partielle (58 % des emplois en activité partielle étaient occupés par des femmes). Le secteur des administrations publiques et de l’éducation et santé humaine comprend des emplois qui ne sont pas du ressort de la fonction publique, notamment ceux dans les organisations à but non lucratif. Ce secteur a été affectés par des destructions d’emploi dans lesquels les femmes représentent 71 % de l’emploi, a fortement contribué à affecter l’emploi des femmes : elles y ont représenté 86 % des destructions d’emploi et 95 % de l’activité partielle.  Le sous-secteur des organisations à but non lucratif utilisent des contrats courts ont été détruits du fait des fermetures administratives pendant le confinement (en particulier le secteur associatif). Ces destructions d’emplois représentent moins de 0.5 % de l’emploi total du secteur. 

Les secteurs du transport ou de la fabrication d’autres produits industriels, les hommes ont été concernés par les destructions d’emploi et l’activité partielle au prorata de leur représentation dans ces secteurs soit environ 75 %.

S’agissant des emplois affectés par un arrêt pour garde d’enfant, les résultats dépendent de l’hypothèse retenue. Sous l’hypothèse 1, les femmes sont mécaniquement beaucoup plus affectées que les hommes par cette mesure alors que sous l’hypothèse 2 ce sont les hommes qui sont plus affectés (graphique 3). Néanmoins, l’écart entre les deux n’est pas symétrique car les parents isolés sont à 80 % des femmes. Il est probable au regard de l’inégal répartition des tâches familiales entre les deux conjoints de façon structurelle, que les femmes aient dû davantage recourir à ce dispositif que leur conjoint. 

Les graphiques 4 et 5 indiquent l’ensemble des emplois affectés durant cette période de confinement. Les secteurs du commerce (1,3 million d’emploi affectés) et de l’hébergement et de la restauration (910 000 emplois concernés), les femmes et les hommes ont été affectés dans des proportions comparables. En revanche les hommes ont été beaucoup plus touchés que les femmes dans le secteur de la construction (sur 1,2 million d’emplois concernés, les hommes en occupaient plus d’un million).   A l’opposé dans le secteur Administration publique, enseignement, santé humaine et action sociale, les femmes ont été particulièrement touchées : sur 1 million d’emplois touchés, elles en occupaient 960 000. La moitié de ces emplois sont des « Assistantes maternelles, gardiennes d’enfants, familles d’accueil » et des « Aides à domicile, aides ménagères, travailleuses familiales ». Durant le confinement, nous avons supposé que ces deux types de profession étaient soumis aux fermetures obligatoires.  

La ségrégation sexuée des emplois explique une grande partie le fait que la crise qui touche le marché du travail affecte différemment les femmes et les hommes. Mais contrairement à la crise de 2008 qui était concentrée sur des secteurs particulièrement masculins (construction et industrie) (Revue de l’OFCEn°133), celle que nous traversons aujourd’hui est répartie dans plusieurs secteurs dont certains sont dominés par les femmes. Les effets durables sur le marché du travail et leur dimension sexuée restent encore incertains à ce jour. 


[1] Lambert A., J. Cayouette-Remblière, E. Guéraut, Guillaume Leroux, C. Bonvalet, V. Girard et L. Langlois, « Le travail et ses aménagements : ce que la pandémie de covd19 a changé pour les français », Population et Sociétés, n°579. 

[2] Champagne C., A. Pailhé, A. Solaz, 2015, « 25 ans de participation des hommes et des femmes au travail domestique : quels facteurs d’évolution ? », Economie et Statistique, n°478-479-480.




Premier entré, premier sorti : le retour de la croissance en Chine au deuxième trimestre

Catherine Mathieu

Le 16 juillet, l’Institut statistique chinois (NBS) a publié la première estimation de la croissance du PIB chinois au deuxième trimestre 2020 : celui-ci est en hausse de 11,5 % par rapport au trimestre précédent, après -10 % au premier trimestre. La Chine, premier pays à avoir été frappé par le Coronavirus, avait mis en place des mesures de confinement d’une partie de sa population et de fermeture des commerces et des usines à partir de la fin janvier. Les indicateurs conjoncturels suggéraient un redémarrage progressif de l’activité à partir de la fin février et le retour à une croissance positive du PIB dès le deuxième trimestre. L’inconnue résidait dans l’ampleur de ce rebond, qui s’avère rapide.



La reprise est enclenchée, particulièrement dans l’industrie (41 % de la valeur ajoutée en 2018) : la production y est en hausse de 4,7 % sur un an au deuxième trimestre. Le taux des capacités d’utilisation dans l’industrie, de 77,5 % au quatrième trimestre 2019, avait chuté de 10 points au premier trimestre 2020 et est revenu à 74,4 % au deuxième trimestre. La production automobile, après une chute record de 80 % sur un an en février, affichait une hausse de 22 % sur un an en juin, indiquant un redémarrage d’un secteur par ailleurs en crise depuis 2018 : la production y reste encore 24 % en deçà de son point haut de la fin 2017. Dans l’agriculture (7 % de la valeur ajoutée), la production est en hausse de 3,3 % sur un an au deuxième trimestre et de 1,9 % seulement dans les services (52 % de la valeur ajoutée). 

Du côté de la demande, on ne dispose pas à ce jour d’informations trimestrielles détaillées. Les dépenses d’investissement étaient en baisse de 3,8 % sur an au premier semestre 2020. Sur le premier semestre 2020, le revenu par tête des ménages est en hausse de 1,5 %, par rapport au premier semestre 2019, tandis que la consommation par tête des ménages est en baisse de 8 % en valeur : les dépenses d’habillement (-19,5 %), de transport et communications (-13 %), d’éducation et d’activités culturelles (-37 %) ont le plus chuté. Les ventes de détail des biens de consommation restaient en baisse de 1 % sur un an en juin, signe d’un certain redémarrage, mais lent, de la consommation des ménages. 

En ce qui concerne le commerce extérieur, la situation semble s’être moins dégradée depuis le début de l’année pour la Chine (et l’Asie émergente) que pour les économies avancées (hors Japon). L’indicateur de commerce mondial du CPB (CPB world trade monitor), dans sa version publiée le 25 juin, indique que le commerce mondial de marchandises en volume a chuté de 16 % entre décembre 2019 et avril 2020, mais que la baisse n’a été que de l’ordre de 8 % pour les exportations, comme pour les importations, de la Chine. Ce sont des évolutions proches de celles des autres pays émergents d’Asie, et nettement plus faibles que dans les pays avancés, hors Japon : la chute des importations a été de 17 % aux États-Unis et de 24 % dans la zone euro. L’Asie du sud-est a été moins fortement touchée par a pandémie que la plupart des zones de l’économie mondiale, ce qui se reflète dans l’évolution des flux de commerce mondial. 

Incertitudes sur la poursuite de la reprise 

Au-delà de la vigueur de la reprise au deuxième trimestre, se pose la question de sa poursuite, qui dépendra avant tout de l’évolution de la pandémie, tant en Chine qu’à l’échelle mondiale. Tous les pays ont pris dès le début de la crise des mesures de confinement, qui ont fait chuter la production, puis des mesures de soutien budgétaire et monétaire massif pour soutenir la production et l’emploi et favoriser la reprise (voir OFCE, Policy Brief 69), mais le virus circule dans beaucoup de zones (Amériques, Inde, …) et une deuxième vague est toujours à craindre en Asie ou en Europe. 

La Chine semble avoir réussi, en ayant pris des mesures fortes, à stopper la propagation du coronavirus à l’intérieur du pays. Mais les autorités chinoises craignent l’arrivée d’une deuxième vague de COVID-19 et restent très vigilantes pour l’éviter. Des cas de COVID-19 continuent d’apparaître localement : en avril à la frontière russe, où parmi les arrivées de Chinois de retour de l’étranger, une cinquantaine de cas de COVID-19 avaient été diagnostiqués, conduisant à la mise en place de mesures de confinement strict dans les villes-frontière. Plus récemment, le 11 juin, à Pékin, un nouveau foyer de coronavirus a été détecté sur un marché conduisant les autorités chinoises à le fermer et à confiner les populations vivant dans les alentours (fermeture des écoles, restrictions de circulation). Sauf disparition spontanée du coronavirus, la liberté de circulation intérieure comme celle avec le reste du monde ne pourra pas être rétablie en l’absence d’un vaccin, qui ne serait dans le meilleur des cas pas disponible avant 2021. Ces mesures pèseront obligatoirement tant sur l’offre que sur la demande, mais les autorités chinoises ont montré qu’elles ont la capacité de réagir avec vigueur et de prendre des mesures fortes pour éviter une deuxième vague généralisée.

Les scénarios publiés par les organisations internationales avant l’été comportaient tous un rebond de l’économie chinoise au deuxième trimestre, plus ou moins rapide, et par la suite une croissance qui serait au plus de l’ordre de celle d’avant la crise, laissant en 2021 le niveau de PIB en deçà de celui qu’il aurait atteint si la croissance s’était maintenue à son rythme d’avant crise. Compte tenu des chiffres du deuxième trimestre, une croissance annuelle de l’ordre de 1 % en 2020, comme l’envisageaient avant l’été le FMI et la Banque mondiale, semble atteignable. Et si la croissance se poursuivait au rythme envisagé par le FMI en 2021, le PIB chinois serait plus bas de 2,6 % à fin 2021 au niveau qu’il aurait eu en l’absence de crise, si la croissance avait progressé à un rythme annuel de 5,8 %, comme nous l’anticipions dans notre prévision d’octobre 2019 (graphique). 

Dans un scénario en V, où le PIB chinois rejoindrait dès la fin 2020 le niveau qu’il aurait atteint si la croissance s’était poursuivie à un rythme proche de 6 % en 2020 et progresserait ensuite de 1,4 % par trimestre, la croissance du PIB serait de l’ordre de 10 % en 2021 (tableau). Ceci supposerait la poursuite du rattrapage tout au long de 2020 et l’absence d’une deuxième vague de contamination et l’absence de toute séquelle en 2021. Compte tenu de l’incertitude créée par la crise sanitaire pour les ménages et les entreprises, compte tenu aussi de la dégradation induite des dégradations financières et des bilans il apparait aujourd’hui que la crise mettra du temps à se résorber et que l’activité mondiale ne retrouvera pas à l’horizon de fin 2021 le niveau qu’elle aurait eu sans la crise, ce qui affectera les exportations chinoises. 

Une deuxième vague de contamination conduirait à un scénario de reprise en W. C’est ce que l’on pouvait craindre, au vu des précédentes épidémies. C’était le premier des scénarios retenus par l’OCDE dans sa prévision de juin : la croissance chutait de 7,6 % cette année à l’échelle mondiale et de 3,7 % en Chine ; en 2021, la croissance serait de 2,8 % à l’échelle mondiale et de 4,5 % en Chine. Ce scénario était le plus pessimiste publié à l’approche de l’été.  

C’est aussi ce qu’avait par exemple suggéré Hughes (2020), en comparant les impacts économiques des épidémies passées : grippe espagnole (1918-19), SRAS (2003) et Ebola (2014-16). Hughes soulignait que la pandémie du coronavirus se rapprochait davantage de l’épidémie de grippe espagnole que de celle du SRAS. Lors de l’épidémie du SRAS, après une chute brutale, le PIB était revenu à son niveau d’avant le démarrage de l’épidémie en quelques mois : un scénario en V s’était réalisé. Mais, suite à l’épidémie de grippe espagnole, les pays n’ont en général pas retrouvé leur PIB d’avant crise avant trois ans, ce après deux ou trois vagues de contamination.  

Au risque d’une deuxième vague de contamination en Chine, s’ajoute celui d’une chute de la demande extérieure : l’évolution de la pandémie conduit désormais la quasi-totalité des pays à être sévèrement touchés, et le pic ne semble pas près d’être atteint, si l’on en juge notamment l’accélération de cas de COVID-19 aux États-Unis, dans le reste du continent américain et en Inde. La Chine ne pourra guère compter au cours des prochains mois sur une demande extérieure dynamique pour tirer ses exportations et sa croissance. 

Les mesures de soutien budgétaire prises par la Chine, initialement d’une ampleur limitée, ont été progressivement étendues, jusqu’à représenter 4,1 % du PIB selon le FMI (voir Policy tracker). Elles portent principalement sur une hausse des dépenses de santé (prévention et contrôle de l’épidémie), de production d’équipement médical ; des dépenses d’assurance chômage, dont le bénéfice a été élargi aux travailleurs migrants ; des allégements d’impôts et des suppressions de paiements de cotisation sociale ; des investissements publics. Il semble que la Chine souhaite éviter de creuser trop fortement un déficit public, qui était, selon le FMI, de 6,3 % du PIB en 2019 et passerait à 12,1 % cette année selon les prévisions du FMI de juin 2020. La dette publique passerait de 52 % du PIB en 2019 à 64 % du PIB en 2020. 

Du côté de la politique monétaire, les principales mesures ont consisté à injecter des liquidités dans le système bancaire, via des opérations d’open-market, à étendre les capacités de prêts à de bas taux d’intérêt à destination des fabricants de matériel médical, des très petites, petites et moyennes entreprises, ainsi que du secteur agricole. S’y ajoutent une baisse de 30 points de taux directeur de la Banque centrale, et des baisses de taux de 50 à 100 points de base des taux d’intérêt pour une grande partie des entreprises. Il s’agit d’alléger le poids des remboursements des emprunts (notamment pour les PME) et de limiter les mises en faillite des entreprises. La situation est complexe : l’endettement des entreprises non financières chinoises a atteint fin 2019 un niveau record de près de 260 % du PIB. La crise du coronavirus a surgi alors que le gouvernement chinois souhaitait progressivement faire baisser progressivement l’endettement des entreprises, sans créer de choc majeur. Les marges de manœuvre de la politique monétaire sont nettement plus faibles que lors de la crise de 2008-09.

Au-delà de l’évolution de la pandémie, la crise résultant de l’apparition du coronavirus remet en cause la mondialisation, déjà ébranlée par la politique commerciale agressive des États-Unis. La pandémie amènera sans doute beaucoup d’entreprises à repenser la fragmentation de leurs chaînes de production et de nombreux pays à prendre des mesures pour être moins dépendants de fournisseurs étrangers. La Chine, grande gagnante de la mondialisation, risque d’être une des principales victimes de cette crise. Le gouvernement chinois devra tirer les leçons de cette crise pour orienter le modèle de croissance chinois sur un mode plus soutenable. La réorientation de la croissance chinoise vers la demande intérieure, engagée depuis plusieurs années, et la forte réduction de l’excédent extérieur chinois qui en a résulté, vont dans ce sens. Dans une perspective de plus long terme, la définition d’une stratégie tenant compte des contraintes écologiques est nécessaire, en Chine comme à l’échelle de la planète. 

Références

Banque mondiale, 2020 : Global economic prospects, juin. 

FMI, 2020 : Mise à jour des Perspectives de l’économie mondiale, juin.

Hughes Richard, 2020 : Safeguarding governments’ financial health during coronavirus: What can policymakers learn from past viral outbreaks?, Resolution Foundation, mars.

OCDE, 2020 : Perspectives économiques, juin. 

OFCE, 2020 : « Évaluation de l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de confinement sur l’économie mondiale en avril 2020 », OFCE Policy Brief 69, 6 juin. 

OFCE, 2019 : « Perspectives économiques 2019-2021 », Revue de l’OFCE 163, octobre.