Quelle politique industrielle dans la mondialisation ?

par Sarah Guillou et Lionel Nesta

Dans des économies nécessairement mondialisées et face aux contraintes budgétaires qu’impose la crise économique, y a-t-il encore une place pour la politique industrielle ? Les développements qui suivent (et la note associée) permettent de répondre par l’affirmative, soulignant le besoin pour l’économie française et au-delà, pour l’économie européenne, d’intensifier la valeur ajoutée en services de la production et plus généralement la valeur en savoir des activités économiques.

Les contraintes structurelles nées de la mondialisation économique et les contraintes conjoncturelles imposées par la crise économique créent une situation paradoxale pour la politique industrielle. Ces contraintes motivent la mise en place de politiques industrielles volontaristes en raison des menaces qui pèsent sur l’industrie et du déclin de l’emploi industriel ; mais elles créent aussi de fortes limites à son exercice en termes de faisabilité légale, technique et budgétaire. La marge de manœuvre est donc très étroite. Ce constat impose une redéfinition des objectifs et des moyens de la politique industrielle. Quel est son rôle et quels investissements doit-elle favoriser ? Doit-elle s’orienter vers la modération salariale, gage de compétitivité-coût, comme le suggère l’exemple allemand ? Doit-elle soutenir des secteurs en déclin ou s’orienter vers des secteurs d’avenir ?

Aujourd’hui, les avantages comparatifs des pays occidentaux – et donc de la France – se situent dans la valeur en services de leur production industrielle, qu’il s’agisse de services privés (R&D, marketing, organisation, réseaux d’approvisionnement, réseaux de distribution) ou de services issus des biens publics (infrastructures, sécurité des approvisionnements, coût de transport, homogénéité des normes, durabilité environnementale des processus, sécurité sanitaire, etc.). Plutôt que de maintenir les emplois industriels traditionnels, voués à être délocalisés de toute façon vers des pays aux salaires plus faibles, il faut accentuer la spécialisation dans les emplois industriels du futur qui reposent sur ces services à haute valeur ajoutée.

La prescription de politique est immanquablement l’investissement dans le capital humain et l’éducation, contradictoire avec une politique de modération salariale. Cette politique se justifie prioritairement parce qu’elle inscrit durablement la spécialisation productive vers ces services à haute valeur ajoutée, donc vers une économie du savoir aux déclinaisons multiples : savoir-inventer, savoir-innover, savoir-faire, savoir-vendre, savoir-distribuer. Par ailleurs, l’avantage comparatif des économies européennes se caractérise par un contenu élevé en bien public. La diversité et la qualité du réseau des transports en Europe est indéniablement un atout qu’il faut absolument consolider et renforcer dans certaines régions d’Europe. La qualité de l’accès aux ressources énergétiques sera également un élément clé de l’attractivité des territoires et de l’implantation des entreprises. Concernant la cohérence et la stabilité réglementaire, elles permettent de lever l’incertitude qui freine les décisions d’investissement des entreprises. Les normes font ainsi œuvre de signal institutionnel qui lève une partie du risque accompagnant les investissements dans de nouvelles technologies (exemples : voitures électriques, énergies solaires, éoliennes). De plus, les normes créent un cadre d’exigence qualitative qui répond à la demande citoyenne en termes de respect environnemental et de sécurité et qui renforce la compétitivité hors-prix des entreprises. Le développement de ces services est également un plaidoyer pour une politique industrielle définie à l’échelle européenne.




France : austérité consolidée

par Eric Heyer

Les pays européens se sont engagés dans leur programme de stabilité à retourner en 3 ans à des finances publiques plus équilibrées (déficit des APU en dessous de 3 points de PIB). Contrairement aux années antérieures, le respect de ces engagements apparaît plus probable : dans un contexte financier incertain, être le seul Etat à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire serait sanctionné immédiatement par un renchérissement de ses conditions financières (dégradation de sa note, amende de la part de la Commission européenne, contagion implicite des défauts souverains, prime de risque). Mais en tentant de réduire leurs déficits prématurément, trop rapidement et de façon synchrone, les gouvernements des pays européens prennent le risque d’un nouveau ralentissement de l’activité.

Après avoir revu à la baisse, en août dernier, sa prévision de croissance pour 2012, passant de 2,25 % à 1,75 %, le gouvernement français a décidé de mettre en place un nouveau plan d’austérité afin de pouvoir respecter son engagement d’un déficit de 4,5 points de PIB en 2012. Ce plan de 11 milliards d’euros d’économie vient s’ajouter au plan initial voté il y a un an et devrait amputer directement la croissance de 1 point de PIB l’année prochaine. D’autres pays ont également réajusté à la hausse leur plan de rigueur : c’est le cas notamment de l’Italie qui a multiplié par près de trois son effort budgétaire et de l’Espagne qui s’impose maintenant la plus forte cure d’austérité des grands pays européens (tableau).

 

La prise en compte de ces nouvelles mesures restrictives, qu’elles soient nationales ou appliquées chez nos pays partenaires, nous a conduits à revoir significativement nos prévisions de croissance pour l’économie française en 2012. En se cantonnant aux seuls pays européens, qui sont par ailleurs nos principaux partenaires commerciaux, la seule surenchère de mesures d’économies annoncée au cours des 6 derniers mois nous a conduits à rabaisser de 0,7 point notre prévision de croissance pour 2012 réalisée en avril dernier pour l’économie française.

Cette stratégie de fort désendettement public nécessiterait un relais puissant de la part de la demande privée afin de ne pas briser l’élan de la reprise intervenu en 2010. Mais cet espoir apparaît fragile face aux nombreuses incertitudes pesant sur la dynamique interne.

Au total, l’économie française devrait croître, en moyenne annuelle, de 1,6 % en 2011 et de 0,8 % en 2012. En s’établissant à un rythme éloigné de son potentiel, la croissance attendue accentuera le retard de production accumulé depuis 2008 et continuera à dégrader la situation du marché du travail. Le taux de chômage augmenterait régulièrement au cours des six prochains trimestres,  pour s’établir à  9,3 % fin 2011 et à 9,7 % fin 2012, après 9,1 % au deuxième trimestre 2010.

Par ailleurs, le gain budgétaire, attendu par le gouvernement, de la mise en place de la stratégie de consolidation – objectif  de déficit des APU à 4,5 % de PIB en 2012 – sera en partie rogné par le manque à gagner du côté des recettes fiscales en lien avec cette faible croissance. Le déficit des administrations publiques devrait s’établir respectivement à 5,8 % du PIB et 5,2 % en 2011 et 2012, après 7,1 % en 2010, portant la dette publique à 85,6 % du PIB en 2011 et à 89 % en 2012, contre 82,3 % en 2010.




Faut-il revenir sur la défiscalisation des heures supplémentaires ?

par Eric Heyer

Parmi les mesures du plan d’économies annoncé le 24 août 2011 par le Premier ministre François Fillon, figure une modification du dispositif  de défiscalisation des heures supplémentaires et son exonération de cotisations sociales[1] en vigueur en France depuis le 1er octobre 2007. A cette occasion il nous semble intéressant de revenir sur les principales conclusions de différents travaux effectués à l’OFCE sur ce dispositif.

1 – Dans un article à paraître dans l’Oxford Review of Economic Policy[2], il est montré que ce dispositif aurait un impact différent sur l’économie selon la conjoncture en vigueur au moment de son application.

  • Dans un contexte économique favorable, la hausse de la durée du travail incitée par la baisse du coût du travail et la suppression des charges salariales semble appropriée. Certes celle-ci n’est pas financée (dégradation du déficit public) et son financement par une hausse des prélèvements en change radicalement la nature mais sans remettre toutefois en cause l’impact positif sur l’emploi et le chômage.
  • En revanche, cette mesure est mal adaptée à une situation conjoncturelle dégradée comme celle que connaît actuellement de l’économie française. Dans une telle conjoncture de chômage de masse, une augmentation de 1% de  la durée du travail a une incidence négative sur l’emploi (-58 000 à 5 ans et -87 000 à 10 ans). Le taux de chômage augmente légèrement (0,2 point à 5 ans, 0,3 point à 10 ans). Cette mesure a un impact faible sur la croissance (0,2 point à 5 ans et 0,3 point à 10 ans) et n’est pas financé : le déficit se dégraderait de 0,5 point à 5 ans (0,4 point à 10 ans).

2 – Cela corrobore les résultats d’une étude récente publiée dans Economie et Statistique[3]. Menée sur des données regroupant 35 secteurs de l’économie française, les auteurs estiment qu’une hausse de 1 % des heures supplémentaires détruirait près de 6 500 emplois salariés du secteur marchand (soit 0,04 % des salariés marchand) dont les ¾ seraient des emplois intérimaires.

Ainsi, dans un contexte de grave crise économique, il semblerait que l’incitation à travailler plus ait nui à l’emploi, et notamment à l’emploi intérimaire.

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[1] Le gouvernement a décidé de réintégrer les heures supplémentaires dans le barème des allégements généraux de charges en maintenant les avantages fiscaux et sociaux spécifiques. Concrètement, cette mesure ne changera rien pour les salariés : la rémunération nette ne sera pas réduite et l’imposition ne sera pas alourdie. Quant aux employeurs, ils continueront à bénéficier des exonérations de charges au titre des heures supplémentaires déclarées mais verront leurs allégements de charges rabotés sur les bas salaires. Elle entrera en vigueur le 1er janvier prochain et générera d’après le gouvernement 600 millions d’euros de recettes de cotisations supplémentaires.

[2] Heyer É. (2011), « The effectiveness of economic policy and position in the cycle : the case of taxe reductions on overtime in France », Oxford Review of Economic Policy, à paraître.

[3] Cochard M., G. Cornilleau et É. Heyer (2011) : « Les marchés du travail dans la crise », Economie et Statistiques, n°438-440, juin.




Des contrats courts pour les allocataires du RSA

par Hélène Périvier

Faut-il instaurer une obligation de travail minimum pour les allocataires du RSA ? Ce travail doit-il être non rémunéré comme le suggérait Laurent Wauquiez en mai 2011, ou rémunéré comme le propose la « mission présidentielle sur l’amélioration du RSA et le renforcement de son volet insertion » présentée par Marc-Philippe Daubresse le 14 septembre 2011 ? La note qui suit ainsi qu’une note plus longue visent à éclairer le débat.

Ce dernier propose un nouveau type de contrat aidé : un contrat d’insertion de 7 heures par semaine ciblé sur les allocataires du RSA sans emploi. Ceux-ci se verraient dans l’obligation de l’accepter sous peine de voir leur droit à l’allocation suspendu, comme le prévoit la loi. Contrairement à la proposition de Laurent Wauquiez, il s’agit bien d’un contrat conforme au droit du travail, rémunéré au SMIC, assorti d’un temps de travail très court : « un travail d’utilité sociale ». Ces travailleurs percevront le RSA-activité qui complètera de façon pérenne leur salaire. Que dire de ce nouveau dispositif ?

L’ancien contrat d’avenir proposait des emplois subventionnés de 20 heures par semaine aux allocataires de minima sociaux. Mais le rapport précise à propos de ces contrats aidés qu’ils ne sont pas « accessibles d’emblée pour certains bénéficiaires du RSA, des étapes préalables pouvant être nécessaires. » Le pari est pris qu’en abaissant le niveau de la première marche de « l’escalier » qui mène à l’emploi stable à temps plein, c’est-à-dire en divisant par 3 la durée hebdomadaire de travail, on facilitera  l’accès aux autres formes d’emploi. Or, la marche suivante correspond aux emplois aidés traditionnels, dont on sait déjà qu’ils ne permettent pas de sortir de la précarité. La durée du nouveau contrat est au minimum de six mois et ne peut excéder deux ans. Ainsi en deux ans maximum et en travaillant 1 journée par semaine, le dispositif doit remettre le pied à l’étrier des allocataires du RSA jusque-là sans emploi. On peut s’interroger sur l’efficacité de ces propositions qui cherchent à adosser la solidarité nationale sur la valeur travail au moment même où le taux de chômage est de plus de 9 %, et où le chômage de longue durée ne cesse d’augmenter sous l’effet de la crise économique.  Il ne faut donc pas trop attendre un résultat miracle de ce côté-là.

Le rapport propose la création de 10 000 contrats de ce type dans la phase expérimentale, et 150 000 par la suite. Ce sont autant de personnes en moins qui pouvaient potentiellement venir grossir les chiffres du chômage. Mais 150 000 emplois à 1 journée de travail par semaine ne représentent que 30 000 emplois à temps plein. Le coût total (aide à l’employeur et RSA-activité compris) pour l’Etat s’élèverait, d’après le rapport, à 420 millions d’euros, auxquels il convient d’ajouter la participation des départements de 294 millions d’euros pas an, soit au total 714 millions d’euros pour une réduction non négligeable des chiffres du chômage. Ce calcul ne tient pas compte du coût de l’accompagnement spécifique qu’il conviendrait d’adosser à ces emplois pour permettre aux bénéficiaires de gravir les marches du fameux escalier, le rapport affirme d’ailleurs que « l’activité est mobilisatrice et que, bien accompagnée, elle est le premier pas dans un parcours d’insertion, qui peut être long mais l’essentiel est qu’il soit engagé ».

En créant 150 000 « petits boulots » de 7 heures par semaine, on fait d’une pierre deux coups : on contient les statistiques du chômage et on remet la logique de la contrepartie au cœur de l’aide sociale.