Chômage : baisse par intérim

Département Analyse et Prévision (Équipe France)

Les chiffres du chômage du mois de juillet 2015 font apparaître un léger recul de 1900 personnes inscrites en catégorie A. L’incertitude qui entoure les évolutions mensuelles des inscriptions à Pôle Emploi ne permet pas pour le moment de conclure à une amélioration durable de la situation sur le marché du travail. Toutefois la hausse constatée depuis janvier 2015 (+50 900 inscrits en catégorie A) est de moindre ampleur que celles constatées au cours des trois dernières années sur la même période (+128 500 en moyenne sur les sept premiers mois des trois années précédentes). Elle est comparable à celles constatées en 2010-2011 (+44 300 en moyenne sur les sept premiers mois de ces deux années), années de reprise de la croissance.

Cette évolution du chômage, dans un contexte de reprise naissante, ne surprend guère. Tout d’abord, le regain de croissance du PIB observé au premier semestre (+0,7 % selon les premiers comptes publiés par l’INSEE) devrait s’accentuer sur les prochains trimestres. Pour l’heure, ce regain se traduit par une hausse de l’emploi salarié du secteur concurrentiel de +26 600 au premier semestre 2015 permettant ainsi de limiter la hausse du chômage sans pour autant le faire reculer, la population active ayant augmenté d’environ 75 000 personnes au premier semestre.

Par ailleurs, la progression des inscriptions en catégories B et C se poursuit[1] de façon plus marquée que pour la seule catégorie A (+145 600 depuis le début de l’année). Elle s’explique en partie par un basculement de certains inscrits en catégorie A vers ces catégories, traduisant une hausse des emplois précaires cohérente avec l’augmentation de l’emploi intérimaire au premier semestre (+11 600) : historiquement, l’amélioration de la situation sur le marché du travail s’enclenche par une hausse des emplois précaires (CDD, intérim). Cela coïncide également avec l’augmentation des offres d’emploi collectées par Pôle Emploi, et avec les sorties de Pôle Emploi pour motif de reprise d’emploi déclarée qui quant à elles reviennent à des niveaux comparables à ceux observés en 2010-2011.

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Enfin, les évolutions par âge sont différenciées : le nombre d’inscrits de moins de 25 ans en catégorie A est inférieur de 4 600 à son niveau en fin d’année 2014. De fait, les jeunes, surreprésentés dans les emplois dits temporaires (34,2 % des jeunes en emploi sont en CDD ou en intérim contre 8,4 % des autres catégories d’âge), bénéficient des créations de ce type d’emplois et de la hausse des emplois aidés particulièrement ciblés sur leur catégorie. A l’inverse, les inscriptions en catégorie A des personnes âgées de 50 ans et plus se poursuivent de façon ininterrompue (+36 100 depuis le début de l’année). 62% des inscrits de 50 ans et plus à Pôle Emploi le sont depuis plus d’un an contre 39% en moyenne pour les autres tranches d’âge.

 


[1] Ces catégories regroupent les personnes ayant exercé une activité réduite au cours du mois, mais restant inscrites à Pôle emploi.




Chiffres du chômage : retour des frimas en avril

Département Analyse et Prévisions (DAP)

Alors que le ralentissement de la hausse des demandeurs d’emplois inscrits à Pôle Emploi au premier trimestre 2015 pouvait être vu comme la prémisse de l’inversion tant espérée de la courbe du chômage, la publication de ce jour fait à nouveau douter de sa possibilité, tout au moins à court terme. L’inscription de 26 200 personnes supplémentaires à Pôle Emploi en catégorie A durant le mois d’avril ramène la hausse des demandeurs d’emplois à des rythmes élevés, bien supérieurs à ceux enregistrés depuis deux ans (13 400 par mois en moyenne) et très loin de la quasi stabilité du premier trimestre (+ 3 000 par mois).

Alors que les perspectives de reprise s’affirment avec la publication d’une forte croissance du PIB au premier trimestre (+0,6 %), on ne peut qu’être déçu d’un tel chiffre. Rappelons toutefois que l’emploi ne répond pas immédiatement aux stimulations de l’activité; les bénéfices de la bonne croissance du début de l’année sur le marché du travail ne seront engrangés qu’avec retard, quand la solidité de la reprise sera avérée et poussera les employeurs à recruter. Pour le moment, les entreprises digèrent encore les sureffectifs hérités de la période de très faible croissance que l’on a observée entre 2011 et 2014. La baisse du chômage, envisageable avec la reprise, ne peut donc s’amorcer que dans la seconde moitié de 2015. Mais l’accélération des inscriptions en avril donne le signal inverse.

La dégradation est générale parmi toutes les composantes des demandeurs d’emploi : hommes, femmes, et toutes les catégories d’âge. Le nombre de chômeurs âgés de moins de 25 ans repart à la hausse depuis deux mois (9 500 personnes). Mais ces évolutions, habituellement volatiles, sont toutefois à considérer avec prudence : elles viennent en contrepoint d’une diminution équivalente au cours de deux premiers mois de 2015. Sur un an, la hausse n’est que de 11 900, et l’interruption de la montée du chômage des jeunes depuis avril 2013 signe un succès de la politique de l’emploi ciblée sur cette catégorie (cf. graphique). L’annonce du Ministre du Travail de la création de 100 000 emplois aidés supplémentaires témoigne de la volonté du gouvernement, peut-être trop tardive, de renforcer ce dispositif au moment où les perspectives conjoncturelles s’améliorent.

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Reprise avortée

Christophe Blot

Ce texte renvoie à l’article « Le piège de la déflation : perspectives 2014-2015 pour l’économie mondiale » rédigé par Céline Antonin, Christophe Blot, Amel Falah, Sabine Le Bayon, Hervé Péléraux, Christine Rifflart et Xavier Timbeau.

Selon le communiqué d’Eurostat publié le 14 novembre 2014, la croissance du PIB de la zone euro s’élève à 0,2 % au troisième trimestre 2014. Dans le même temps, l’inflation s’est stabilisée en octobre au niveau très faible de 0,4 %. Bien que les perspectives d’une nouvelle récession soient écartées pour l’instant, le FMI évalue en effet la probabilité de récession dans la zone euro entre 35 et 40 %. Ces mauvais chiffres reflètent l’absence de reprise dans la zone euro et ne permettent donc pas une décrue rapide du chômage. Quels enseignements pouvons-nous en tirer ? A court terme, l’atonie de l’activité s’explique par trois facteurs qui ont pesé négativement sur la croissance. Tout d’abord, bien que moindre qu’en 2013, la consolidation budgétaire s’est poursuivie en 2014 dans un contexte où les multiplicateurs restent élevés. Ensuite, malgré la baisse des taux d’intérêt publics à long terme du fait de la fin des tensions sur les dettes souveraines, les conditions de financement appliquées aux ménages et aux entreprises de la zone euro se sont dégradées parce que les banques n’ont pas répercuté systématiquement la baisse des taux longs et parce que la moindre inflation induit un durcissement des conditions monétaires réelles. Enfin, l’euro s’est apprécié de plus de 10 % entre juillet 2012 et le début de l’année 2014. Bien que cette appréciation reflète la fin des tensions sur les marchés obligataires de la zone euro, elle a pénalisé les exportations. Au-delà de ces facteurs de court terme, les chiffres récents pourraient être les prémisses d’une longue phase de croissance modérée et d’inflation basse, voire de déflation dans la zone euro.

En effet, après une période de fort accroissement de la dette (graphiques), la situation financière des ménages et des entreprises en zone euro s’est dégradée depuis 2008 du fait des crises successives – crise financière, crise budgétaire, crise bancaire et crise économique. La dégradation de la santé financière des agents non-financiers a réduit leur capacité à demander des crédits. Par ailleurs, les ménages peuvent être contraints de réduire leurs dépenses de consommation, et les entreprises leurs décisions d’investissement et d’emplois afin de réduire leur endettement. S’ajoute à cela la fragilité de certaines banques qui doivent absorber un montant élevé de créances douteuses, ce qui les conduit à restreindre l’offre de crédit, comme en témoigne la dernière enquête SAFE réalisée par la BCE auprès des PME. Dans ce contexte où les agents privés privilégient le désendettement, le rôle de la politique budgétaire devrait être crucial. Il n’en est rien dans la zone euro en raison du souhait de consolider la trajectoire de finances publiques, au détriment de l’objectif de croissance[1]. En outre, alors que de nombreux pays pourraient sortir de la procédure de déficit excessif en 2015[2], la consolidation devrait se poursuivre en raison des règles du TSCG (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) qui imposent aux pays membres un ajustement budgétaire afin de ramener la dette publique jusqu’au seuil de 60 % en 20 ans[3]. Dans ces conditions, la reprise serait de nouveau retardée et la zone euro pourrait se retrouver enfermée dans le piège de la déflation. L’absence de croissance et le niveau élevé du chômage créent des pressions à la baisse sur les prix et salaires, pressions exacerbées par des dévaluations internes qui sont les seules solutions adoptées pour améliorer la compétitivité et regagner quelques parts de marché. Cette réduction de l’inflation rend encore plus long et plus difficile le processus de désendettement ; elle réduit la demande et renforce le processus déflationniste. L’expérience japonaise des années 1990 montre malheureusement que l’on sort difficilement d’une telle situation.

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[1] Les coûts de cette stratégie ont été évalués dans les deux précédents rapports iAGS (voir ici).

[2] La France et l’Espagne seraient cependant deux exceptions importantes avec un déficit budgétaire qui s’élèverait respectivement à 4 et 4,2 % en 2015.

[3] Voir le post de Raul Sampognaro pour un éclairage concernant le cas précis de l’Italie.




A propos du marché du travail américain

Une lecture de : The causes of structural unemployment, Thomas Janoski, David Luke et Christopher Oliver, Polity Press, Cambridge, RU et Malen, EU, 2014.

Henri Sterdyniak

L’ouvrage, écrit par trois sociologues américains, analyse la montée du chômage structurel aux Etats-Unis, en cherche les causes et propose des mesures de politiques économiques pour le réduire. Pour le lecteur français, cet ouvrage présente deux intérêts majeurs : il montre que les problèmes du marché du travail américain sont très proches de ceux du marché du travail français ; et, bizarrement, il traite du cas américain sans s’intéresser, sauf de façon marginale, à la situation des pays européens et aux analyses qu’ont pu produire les chercheurs de notre continent.

La définition et la mesure du chômage structurel sont problématiques. Théoriquement, le chômage structurel est la part du chômage qui ne s’explique ni par les fluctuations conjoncturelles (le chômage conjoncturel), ni par les inévitables délais d’embauche et de changement d’emploi (le chômage frictionnel), mais par des causes structurelles ; celui donc observé en moyenne sur le cycle économique, moins un certain niveau incompressible. Le point délicat est qu’il est difficile aujourd’hui, après la crise de 2007-09, aux Etats-Unis comme en Europe, de repérer le cycle économique et le niveau normal d’activité, de sorte que le niveau du chômage conjoncturel est difficile à évaluer. Cependant, les auteurs présentent des preuves empiriques de la dégradation du marché du travail américain. Ainsi, le taux d’emploi des 25-65 ans n’est que de 72,3% en 2013 contre 77,5% en 2000. Il est nettement plus faible qu’en Allemagne (78,5%). Le taux de chômage de longue durée comme le taux de temps partiel subi ont fortement augmenté. Surtout, les inégalités salariales se sont accrues. Les emplois stables et correctement rémunérés d’ouvriers ou d’employés qualifiés disparaissent au profit d’emplois précaires.

Les auteurs fournissent cinq explications à cette dégradation :

  1. La fonte de l’industrie au profit des services qui entraîne l’inadaptation des anciens ouvriers qualifiés, le déclin des syndicats et le besoin de nouvelles compétences.
  2. Le développement de la sous-traitance (qui permet aux entreprises de se débarrasser de travailleurs permanents correctement rémunérés pour recourir à une main d’œuvre précaire bon marché) et celui de la délocalisation dans les pays à bas salaires.
  3. L’automatisation qui rend inutiles de nombreux emplois, non qualifiés jadis, mais de plus en plus qualifiés maintenant.
  4. La financiarisation de l’économie et la recherche de valeur pour l’actionnaire qui imposent des normes de rentabilité élevées, qui sacrifient l’investissement de long terme, qui font que la croissance est portée par des bulles financières et l’endettement, ce qui augmente l’incertitude et rend l’économie instable.
  5. Le poids grandissant des grandes entreprises multinationales qui brisent les compromis nationaux (en produisant à l’étranger, en détruisant des emplois qualifiés, en développant la sous-traitance et les emplois précaires, en ne payant pas d’impôts).

Avec raison, les auteurs, sociologues, reprochent aux économistes de ne pas étudier les conséquences de ces transformations sur les salariés américains et leurs possibilités d’emploi satisfaisant.

Si la description est convaincante, le lecteur attend les auteurs sur les solutions. En fait, les auteurs proposent essentiellement des réformes du marché du travail. Ils suggèrent de s’inspirer du modèle allemand en orientant beaucoup plus tôt (dès 12 ans) une partie des jeunes vers l’enseignement professionnel, au lieu de les maintenir dans l’enseignement classique. Selon eux, on pourrait professionnaliser et faire monter en gamme certains emplois précaires en formant les jeunes à ceux-ci. Mais, quels enfants seraient les victimes de cette orientation précoce ? Le risque est grand que ce soit ceux des milieux populaires.

Ils proposent d’améliorer le fonctionnement du marché de l’emploi (subvention aux temps partiels temporaires, toujours inspiré du modèle allemand ; remise à niveau des chômeurs, certification de leurs compétences). Durant les périodes de récession, ils proposent de créer des emplois publics temporaires et de subventionner des emplois privés dans des secteurs spécifiques (comme les travaux publics). Ils suggèrent de faciliter l’innovation en fournissant du capital-risque aux jeunes entrepreneurs et en favorisant l’immigration de jeunes entrepreneurs talentueux. Mais l’innovation à tout prix est-elle la solution, quand elle se traduit par le développement de besoins artificiels et par la multiplication de « destructions créatives », sources d’instabilité économique ?

Heureusement, quelques paragraphes vont au-delà. Les auteurs proposent de renforcer les normes sociales, environnementales et de respect du droit de propriété intellectuelle pour les produits importés (mais la croissance américaine nécessite-elle de freiner le développement des pays émergents ?) ; de réformer la fiscalité des entreprises pour augmenter la taxation de celles qui produisent à l’étranger ; de lutter contre l’optimisation fiscale des firmes multinationales ; de taxer les opérations spéculatives et les transactions financières internationales ; de séparer les banques de dépôts et les banques d’affaires. On le voit, des propositions très proches de celles des économistes européens hétérodoxes. Mais est-ce suffisant ? Ne faudrait-il pas une action résolue des pouvoirs publics pour réduire la domination de la finance, pour abaisser les taux de rentabilité exigés par les marchés financiers ? Ne faudrait-il pas d’importants transferts budgétaires pour taxer les gagnants de la mondialisation et compenser les perdants ? Ne faudrait-il pas mieux gérer l’évolution de la division internationale du travail, en pénalisant les pays ayant des excédents commerciaux trop importants et en subventionnant les emplois non-qualifiés dans les pays riches ?




Salaire minimum en Allemagne : un petit pas pour l’Europe, un grand pas pour l’Allemagne

par Odile Chagny  (Ires) et Sabine Le Bayon

Après plusieurs mois de débats parlementaires, le salaire minimum entrera progressivement en vigueur en Allemagne entre 2015 et 2017.  Ce débat n’a que peu modifié le projet de loi présenté en avril dernier et issu de l’accord de coalition entre le SPD et la CDU. Le montant du salaire minimum s’élèvera en 2017 à 8,5 euros bruts de l’heure, soit environ 53% du salaire horaire médian.  Dans un pays qui garantit constitutionnellement aux partenaires sociaux leur autonomie à déterminer les conditions de travail, la rupture est majeure. Pour autant, l’importance de l’introduction du salaire minimum ne se situera pas tant dans les effets de relance de la croissance en Allemagne et en zone euro que l’on peut en attendre, que dans le tournant opéré du point de vue de la conception de la valeur du travail, dans un pays qui a historiquement toléré que celle-ci pouvait différer selon le statut de celui (ou celle) qui l’exerce[1].

La loi sur le salaire minimum en Allemagne est l’aboutissement d’un long processus initié au milieu des années 2000 et qui a conduit à un relatif consensus sur la nécessité de mieux protéger les salariés du dumping salarial en vigueur dans certains secteurs ou certaines entreprises. Contrairement à la France où le SMIG (puis le SMIC) a été institué dès 1951, l’Allemagne n’avait pas de salaire minimum légal interprofessionnel. La mise en place de ce salaire minimum par l’Etat, pourtant contraire au principe d’autonomie des partenaires sociaux, est le signe que les différents acteurs reconnaissent désormais explicitement que le système de négociations collectives ne permet plus de garantir des conditions de travail décentes pour un nombre croissant de salariés, notamment ceux qui ne sont pas couverts par des conventions collectives mais aussi les salariés travaillant dans des secteurs où l’affaiblissement des syndicats est tel que les minima de branche se situent à des niveaux excessivement bas.

L’intervention de l’Etat constitue donc un vrai bouleversement dans le système de relations professionnelles. Cependant cette dernière se veut seulement ponctuelle. Les partenaires sociaux garderont en effet un rôle prépondérant, et ce pour plusieurs raisons :

  • D’ici la fin de l’année 2014, ils peuvent négocier des accords de branche visant à faire converger d’ici fin 2016 les minima vers 8,5 euros, dans les secteurs où ils sont inférieurs à ce seuil[2].
  • Une fois la loi en vigueur, ce sont eux qui décideront, dans le cadre d’une commission bipartite, de l’évolution de ce salaire minimum tous les deux ans. La commission se réunira pour la première fois en 2016 et la première revalorisation interviendra éventuellement en 2017.
  • De plus, les accords de branche qui fixent les conditions de travail (grilles salariales, congés, horaires maxima…) seront plus facilement étendus à l’ensemble des salariés d’une branche (car la loi sur le salaire minimum vise aussi à renforcer les procédures d’extension des conventions collectives, très rarement utilisées à l’heure actuelle). Le résultat des négociations concernera donc plus de salariés.

L’application du salaire minimum interprofessionnel se fera par étapes. En 2015, seuls les salariés non couverts par une convention collective seront concernés. Pour les autres, soit ce plancher de salaire s’applique déjà, soit il s’appliquera progressivement dans le cadre des négociations de branche. C’est par exemple le cas dans le secteur de la viande et des abattoirs où, en janvier 2014, les partenaires sociaux ont signé un accord prévoyant l’entrée en vigueur au 1er juillet 2014 d’un salaire minimum de 7,75 euros, et qui sera revalorisé à 8,6 euros en octobre 2015. Dans la branche de l’intérim également, un accord d’octobre 2013 a porté le niveau du salaire minimum à 8,5 euros en janvier 2014 dans les anciens Länder et prévoit de l’introduire en juin 2016 dans les nouveaux Länder.

Les débats concernant les exceptions ont été houleux mais finalement peu de personnes seront hors du champ d’application du salaire minimum : certains jeunes (apprentis, stagiaires en études), les chômeurs de longue durée durant les six premiers mois suivant la reprise d’un emploi. Concernant les travailleurs saisonniers (environ 300 000 emplois), très présents dans le secteur agricole, le salaire de 8,5 euros s’appliquera bien, mais l’employeur pourra déduire le coût de l’hébergement et de la nourriture. Cela devrait tout de même limiter le dumping salarial dans ce secteur, même si le respect de la loi sera plus difficile à contrôler.

La question n’est pas tant celle des exceptions qui sont mises en avant par divers protagonistes (la confédération syndicale DGB, Die Linke et les Verts les critiquent, le patronat et certains conservateurs les jugent trop limitées) que l’application concrète de la loi.

Car l’impact de la loi sur le salaire minimum dépendra tout d’abord de la définition et du champ retenus pour les éléments de rémunération et le temps de travail, deux points laissés jusqu’ici en suspens. Or, selon que l’on prend en compte ou non les heures supplémentaires et d’autres éléments variables de rémunération, que l’on se base sur la durée du travail contractuelle ou effective, les enjeux et la portée de la loi seront très différents. Pour 2012, selon les définitions retenues, la fourchette d’estimation du nombre de personnes potentiellement concernées par le salaire minimum allait ainsi de 4,7 à 6,6 millions, soit un écart de 40%.

Ensuite, les moyens mis en place au niveau de l’inspection du travail pour contrôler l’application de la loi devront être conséquents puisqu’à l’heure actuelle, 36% des salariés percevant moins de 8,5 euros brut par heure n’ont pas de durée du travail fixée dans leur contrat de travail, ou bien effectuent des heures supplémentaires non rémunérées. Les contrôles de l’inspection du travail seront donc primordiaux, d’autant plus que 70% des salariés qui perçoivent moins de 8,5 euros de l’heure travaillent dans des établissements sans conseil d’établissement[3], ce qui rend le contrôle de l’application du droit particulièrement ardu. Enfin, le risque est élevé de voir augmenter le recours au travail indépendant payé à la tâche (i.e. sans durée du travail prévue) au détriment des contrats salariés classiques, ou aux embauches en mini-jobs, emplois pour lesquels il n’est tout simplement pas obligatoire de fixer une durée du travail et dont les salariés ne paient ni cotisations sociales salariés ni impôt sur le revenu.

Sur un plan plus macro-économique, et contrairement à ce qu’espèrent plusieurs partenaires européens de l’Allemagne, l’effet de l’introduction du salaire minimum sur la demande intérieure devrait être limité, non seulement car il est loin d’être établi que la législation s’applique réellement partout, mais aussi du fait d’un impact limité sur le revenu des ménages. A la suite de l’augmentation de leur taux marginal d’imposition et de la baisse de leurs prestations sociales, le revenu effectif des ménages concernés par le salaire minimum n’augmenterait que d’un quart seulement de la hausse initiale de leur salaire. Concernant les 1,3 million d’« Aufstocker », ces personnes qui cumulent revenus du travail et allocation de solidarité destinée aux personnes dans le besoin et aux chômeurs de longue durée (réforme Hartz IV), leur nombre ne baisserait que de 60 000[4].

L’impact sur la compétitivité devrait différer largement selon les secteurs. Selon Brenke et Müller (2013), la masse salariale globale progresserait de 3 %. A l’exception de l’industrie agro-alimentaire, dont la compétitivité reposait sur un dumping salarial important et qui devrait ressentir assez nettement la mise en place d’un salaire minimum (sauf en cas de contournement de la loi sous une forme ou une autre), les entreprises industrielles exportatrices, où les salaires sont globalement élevés (INSEE, 2012), seraient peu affectées par l’introduction d’un salaire minimum. Il n’en reste pas moins qu’elles en subiraient indirectement les effets, puisqu’elles ont externalisé un certain nombre d’activités durant la dernière décennie dans des entreprises de services où les coûts sont plus faibles. Dans beaucoup d’entreprises, le niveau élevé des marges devrait cependant leur permettre de limiter les augmentations des prix de production. Pour les secteurs  intensifs en main-d’œuvre (coiffure, taxi…) non délocalisables, les prix devraient en revanche sensiblement augmenter, ce qui pourrait limiter l’impact positif en termes de pouvoir d’achat sur les salariés bénéficiant du salaire minimum.

Si les effets de l’introduction du salaire minimum devraient rester relativement limités sur le plan macro-économique, en particulier en termes de relance pour la zone euro, il ne faudrait pas passer à côté du signal fort en termes d’économie politique. Car la mise en place d’un salaire minimum de large portée – les exceptions seront finalement très circonscrites – et interprofessionnel – le plancher s’appliquera à toutes les branches – renvoie avant tout à cette idée qu’un salarié doit pouvoir vivre de son travail et que ce n’est pas nécessairement à l’Etat de subventionner les bas salaires sous forme de prestations sociales pour préserver la compétitivité des salariés peu qualifiés notamment. C’est ainsi que M. Sigmar Gabriel, président du SPD et ministre de l’Economie du nouveau gouvernement de coalition, déclarait en février 2014 au Bundestag, que le salaire minimum n’était pas tant important pour ce qui concerne son niveau ou la date de son entrée en vigueur, que parce qu’il renvoie à cette question centrale de l’économie sociale de marché que « tout travail doit avoir sa valeur».

 

Ce billet paraît parallèlement à la publication d’un article consacré à ce sujet: Chagny O. et S. Le Bayon, 2014 : « L’introduction d’un salaire minimum légal : genèse et portée d’une rupture majeure », Chronique internationale de l’IRES, n°146, juin.

 


[1] Selon le principe qu’un retraité, un étudiant ou une femme au foyer n’ont pas nécessairement besoin de couverture sociale et travaillent essentiellement pour un revenu d’appoint.

[2] Le secteur des livreurs de journaux constitue une exception dans la mesure où c’est l’Etat qui a fixé dans la loi une augmentation progressive des minima vers 8,5€ en 2017.

[3] Les conseils d’établissement assurent la représentation des salariés dans les entreprises d’au moins 5 salariés. Ce sont eux qui déterminent les conditions d’application des conventions collectives.

[4] Ce qui renvoie à différentes caractéristiques du système socialo-fiscal allemand : taux marginaux d’imposition élevés pour le second apporteur de revenu en lien avec le quotient conjugal, taux marginal d’imposition plus élevé qu’en France pour les bas revenus et, pour les bénéficiaires de l’allocation de solidarité Hartz IV taux d’imputation élevé (80 % au-dessus de 100 euros) des revenus du travail sur l’allocation. Pour plus d’informations, voir Brenke et Müller (2013) et Bruckmeier et Wiemers (2014).




Combien d’euros par emploi créé ?

Par Guillaume Allègre, @g_allegre

Pacte de responsabilité, CICE, allégements de cotisations : peut-on réduire l’évaluation de ce type de mesures au coût en euros de chaque emploi créé ? Si l’évaluation est évidemment importante, le chiffre final fait souvent l’objet d’une mauvaise interprétation ou d’une utilisation abusive dans le débat public, et ce par des personnes de parfaite bonne foi. Pour certains commentateurs, un coût par emploi créé très élevé, largement plus élevé que le coût réel moyen d’un emploi public (ou privé), est un gâchis d’argent public qui serait mieux utilisé ailleurs : en crèches, dans l’éducation ou la police nationale.

Ce type de raisonnement s’appuie sur une interprétation erronée des milliards en jeu. Pour le comprendre, faisons l’expérience de pensée suivante : prenons deux mesures fiscales, disons A et B, qui ont pour objet d’alléger le coût du travail afin de créer des emplois. La mesure A crée 200 000 emplois et coûte ex post (c’est-à-dire après prise en compte des emplois créés et interaction avec les autres dispositifs sociaux et fiscaux) 20 milliards et 1 euros à l’Etat et aux administrations publiques. Le coût par emploi créé est ainsi de 100 000 euros, ce qui paraît excessif. La mesure B crée 180 000 emplois et coûte ex post 20 milliards d‘euros, soit 111 111 euros, ce qui est encore moins bien. À première vue, il ne faut mettre en place ni la mesure A, ni la mesure B : le coût par emploi créé est bien trop important. Maintenant, supposons qu’il est également possible de mettre en place –A ou –B qui, inversement à A et B, augmentent le coût du travail (par un accroissement des cotisations) avec des effets symétriques sur l’emploi. Supposons aussi que les effets sur l’emploi et le coût soient additifs lorsqu’on met en place deux mesures en même temps. Alors il paraît évident qu’il faut mettre en place [A-B][1]: alléger le coût du travail par A et l’augmenter par –B  permettrait de créer 20 000 emplois pour un coût de 1 euro, soit 0,00005 euro par emploi créé ! Le ratio de coût d’emploi créé entre la mesure A et la mesure [A-B] est de 1 sur 2 milliards (=100 000/0,00005) ! Un esprit distrait pourrait dire alors : il ne faut surtout pas mettre en place la mesure A…

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Depuis Ricardo, on sait en économie que ce sont bien souvent les avantages relatifs qui comptent et non les avantages absolus : toute seule, A ne paraît pas une mesure intéressante, mais combinée à –B, elle s’avère très puissante, de même qu’au Poker, un 2 de cœur dans une main n’a pas la même valeur avec des Valets ou avec les 2 de pique, de trèfle et de carreau… Les mesures de politiques économiques ne peuvent donc être évaluées seules : il faut les évaluer dans leur interaction avec l’ensemble des instruments déjà mis en œuvre ou simplement disponibles.

Outre la non-prise en compte du bouclage macroéconomique ou du financement, une autre limite du raisonnement en termes de coût par emploi créé est qu’il ne prend pas toujours bien en compte les questions : qui paie la note et qui reçoit quoi ? Une dépense de l’Etat (en termes de crèches, d’éducation ou de police nationale) n’est pas équivalent à une dépense fiscale : si elles sont financées, la première réduit le revenu disponible des ménages alors que la seconde non (c’est un transfert entre ménages, entre entreprises, ou entre ménages et entreprises). Par conséquent, il est trompeur de comparer les deux types de dépenses seulement en termes d’emplois créés. En effet, les emplois créés ne sont qu’une conséquence indirecte d’une dépense fiscale (l’effet direct est le transfert de l’Etat vers les ménages et les entreprises) ; si elle est financée, comme dans [AB], les emplois créés sont un effet de second ordre lié à une réponse comportementale différente à A et –B. Au contraire, l’augmentation structurelle des dépenses de l’Etat (et donc des prélèvements obligatoires) a pour effet premier d’augmenter la consommation de biens publics et de réduire la consommation de biens privés. Si on ne raisonne qu’en termes d’emplois, on risque de se retrouver avec le plein-emploi mais au sein d’une économie entièrement socialisée. Pour évaluer ce type de transferts, il faut rajouter des paramètres au-delà de la création d’emplois. Il faut notamment tenir compte du bien-être (quelle est l’utilité des crèches, des dépenses d’éducation et de police nationale par rapport aux dépenses privées ?) et des effets d’incitation (quel est l’effet de l’augmentation des prélèvements sur les incitations à répondre aux besoins économiques des consommateurs ?). Il est aussi nécessaire de réfléchir en termes d’incidence fiscale. [AB] ne peut créer des emplois qu’en organisant des transferts au sein des ménages et/ou des entreprises. Les questions pertinentes sont donc : qui sont les gagnants et les perdants ex post (en tenant compte des emplois créés et de l’évolution des prix et des salaires) ? Ces transferts réduisent-ils ou augmentent-ils les inégalités ? Contreviennent-ils à l’équité horizontale (à faculté contributive égale, impôt égal) ? Sont-ils susceptibles de modifier la croissance à long-terme (via la structure de l’emploi, les effets substitution capital-travail etc.) ?

Pour contacter l’auteur : guillaume.allegre@sciencespo.fr

Pour suivre l’auteur sur Twitter : @g_allegre

 


[1] Par exemple, on peut financer une baisse ciblée des cotisations sociales patronales (A) par une hausse générale de ces cotisations (-B).




Doit-on se réjouir de la baisse du taux de chômage en fin d’année 2013 ?

par Bruno Ducoudré et Eric Heyer

Chaque trimestre, l’Insee publie le taux de chômage au sens du Bureau International du Travail (BIT) : pour le 4ème trimestre 2013, en France métropolitaine, celui-ci est en baisse de 0,1 point, soit 41 000 chômeurs en moins. Parallèlement, chaque mois paraît le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à Pôle Emploi : au cours du 4e trimestre 2013, cette source indique une hausse de 23 000 du nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie A. Dans un cas le chômage baisse, dans l’autre il augmente, ce qui ne permet pas de poser un diagnostic clair quant à l’évolution du chômage sur la fin d’année.

A quoi doit-on attribuer la différence de diagnostic entre l’Insee et Pôle emploi ?

Outre les différences liées à la méthodologie (enquête Emploi pour le BIT, source administrative pour Pôle emploi), rappelons que pour être comptabilisé comme chômeur au sens du BIT, il faut remplir trois conditions : être sans emploi, disponible pour en occuper un et effectuer une recherche active d’emploi. La seule inscription à Pôle emploi n’est cependant pas suffisante pour remplir cette dernière condition. Ainsi, les inscrits en catégorie A à Pôle emploi qui n’ont pas effectué de recherche active ne sont pas comptabilisés comme chômeurs au sens du BIT. Le critère du BIT est donc plus restrictif. Historiquement le nombre de chômeurs inscrits à Pôle emploi est plus élevé que celui calculé au sens du BIT pour les personnes âgées de 25 ans et plus. Pour les moins de 25 ans, l’intérêt de s’inscrire à Pôle emploi est généralement plus faible[1] sauf en période d’activation du traitement social du chômage comme ce fut le cas lors du dernier trimestre 2013: pour bénéficier d’un emploi aidé, il est nécessaire d’être préalablement inscrit à Pôle emploi.

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Comme l’indique le tableau 1, quelle que soit la classe d’âge, la situation semble moins favorable dans les chiffres de Pôle emploi que dans ceux au sens du BIT : le découragement face à la dégradation continue depuis plus de 2 ans du chômage a provoqué l’arrêt de la recherche active d’emploi pour un certain nombre de chômeurs qui ne sont plus comptabilisés comme tel au sens du BIT mais qui continuent pourtant à actualiser leur situation à Pôle emploi et donc restent inscrits dans la catégorie A.

La baisse du taux de chômage au sens du BIT est-elle une bonne nouvelle ?

Le taux de chômage peut baisser pour deux raisons : la première, vertueuse, résulte d’une sortie du chômage liée à l’amélioration du marché de l’emploi ; la seconde, moins réjouissante, s’explique par le découragement de certains chômeurs qui basculent alors dans l’inactivité. Les dernières statistiques du BIT soulignent que la baisse de 0,1 du taux de chômage s’explique intégralement par la baisse du taux d’activité – qui mesure le pourcentage de personnes actives dans la population âgée de 15 à 64 ans – et non par la reprise de l’emploi qui est resté stable. La baisse du taux de chômage n’est donc pas attribuable à une reprise de l’emploi, mais à un découragement des chômeurs, qui cessent de rechercher activement un emploi (tableau 2).

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Dans le détail, la politique de l’emploi menée par le gouvernement – emplois d’avenir, contrats uniques d’insertion – a eu un effet positif sur l’emploi des jeunes, le taux d’emploi augmentant de 0,3 point au cours du dernier trimestre 2013. Chez les seniors, le taux d’emploi continue toujours d’augmenter (de 0,2 point) du fait du recul de l’âge de départ effectif à la retraite. Certes, le chômage au sens du BIT baisse chez les seniors, mais la forte hausse des inscriptions à Pôle emploi dans cette classe d’âge (tableau 1) traduit certainement une modification dans leur comportement de recherche d’emploi : de plus en plus de seniors ne font plus acte de recherche d’emploi. Ils sont désormais classés dans le« halo » du chômage, qui lui poursuit sa hausse.

Finalement, la baisse du taux de chômage au sens du BIT, marquée par l’absence de reprise de l’emploi et le découragement des chômeurs, n’est pas une si bonne nouvelle.


[1]Pour ouvrir un droit à indemnisation au titre du chômage et percevoir l’allocation d’aide au retour à l’emploi, il faut justifier de 122 jours d’affiliation ou de 610 heures de travail au cours des 28 mois qui précèdent la fin du contrat de travail.




Important changement de cap à l’Elysée. La priorité n’est plus accordée à l’austérité

par Xavier Timbeau, compte Twitter : @XTimbeau

(paru dans Le Monde daté du jeudi 16 janvier 2014, p. 17)

Dès son élection, François Hollande avait fait de la discipline budgétaire son objectif principal. La crise de 2008 n’avait pas fini de manifester ses conséquences sur les économies développées que se mettait en place en Europe, sur fond de crise des dettes souveraines, une austérité qui devait provoquer une seconde récession, un ” double dip ” pour employer la langue des économistes. Par exemple, lorsque François Hollande arrivait au pouvoir, la situation de la France paraissait désastreuse : déficit public à 5,2 %, plus de 600 milliards de dette publique en plus depuis 2008 mais également une hausse de 2 points du chômage (à 9,6 % de la population active). La pression était forte et, après la Grèce, le Portugal ou l’Irlande, le domino des Etats de la zone euro risquait d’entraîner l’Espagne ou l’Italie. Dans ce contexte, seule la discipline budgétaire semblait pouvoir aider l’Allemagne à soutenir une zone euro chancelante.

Pourtant le pire était à venir. En sous-estimant l’ampleur des multiplicateurs budgétaires (l’impact de la politique budgétaire sur l’activité), comme ont fini par le reconnaître le Fonds monétaire international (FMI) ou la Commission européenne, et comme nous le pointions en juillet 2012, on s’est mépris sur les conséquences d’un effort budgétaire sans précédent généralisé à toute l’Union européenne.

Ce qui devait, pour François Hollande, n’être qu’un redressement dans la douleur avant un rebond ouvrant à nouveau le champ des possibles, s’est révélé être un enlisement où la hausse du chômage faisait écho aux mauvaises nouvelles budgétaires. Lorsque le multiplicateur budgétaire est élevé, rien n’y fait. Les efforts budgétaires pèsent lourdement sur l’activité et les déficits publics ne se résorbent pas vraiment. Si ce fameux multiplicateur avait été faible, la stratégie de François Hollande – et celle de la zone euro – aurait fonctionné. Mais un multiplicateur ne se commande pas; il résulte d’une situation économique dans laquelle les bilans des agents sont dégradés, les banques étouffées et les anticipations délétères.

La seconde partie du quinquennat de François Hollande, que la conférence du 14 janvier 2014 pourrait avoir ouverte, est un exercice autrement plus compliqué que prévu. Au lieu de finances publiques rétablies, la dette est à peine stabilisée au prix d’un effort démesuré. Au lieu d’une reprise vigoureuse, on a, suivant la litote même de l’Insee, une ” reprise poussive “ qui se trouve être une récession qui continue : le chômage augmente encore et encore. Nos entreprises sont exsangues, et pour essayer de restaurer leurs marges, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), inspiré du rapport Gallois, ne parvient pas à nous sortir de l’impasse.

Pour baisser le coût du travail sans accroître le déficit public, il faut à nouveau ponctionner des ménages à bout de souffle. Le multiplicateur budgétaire est toujours élevé et la croissance comme l’inversion de la courbe du chômage sont remises à plus tard. Pire, les engagements de réduction de déficit public, pris auprès de Bruxelles (0,8 point d’effort structurel jusqu’à la fin du quinquennat, 50 milliards au total) reportaient la baisse du chômage à après 2017. Le malade risque bien de mourir guéri et, au mieux, c’est le successeur d’une élection en 2017 déjà perdue qui pourrait espérer tirer les fruits de cette politique qui a privilégié la baisse du déficit au plus mauvais moment.

Le pacte de responsabilité proposé par François Hollande dessine une voie différente, un autre choix. Au lieu de l’austérité, c’est une baisse du coût du travail financée non plus par l’impôt mais par la dépense fiscale, pour 1 point de PIB. Le pari est que la croissance ainsi stimulée apportera les recettes supplémentaires pour tenir les engagements de déficit public. Trente milliards d’euro de baisse de charges sont annoncés, se substituant à l’actuel CICE (20 milliards). Ce sont 10 milliards de plus qui peuvent être obtenus par les entreprises qui se lanceront dans les négociations collectives surveillées par l’observatoire des contreparties. Si cela ne simplifie pas le complexe CICE, cela poussera au dialogue social.

D’autre part, François Hollande a confirmé que l’objectif de baisse des dépenses publiques reste de 16 milliards d’euros en 2015, 18 en 2016 et 2017, soit 50 milliards d’euros au total, et n’est pas augmenté par rapport aux annonces précédentes. Le CICE a été partiellement financé par la hausse de la TVA (6 milliards d’euros à partir de 2014) et les taxes environnementales (4 milliards d’euros). En remplaçant le CICE par des baisses de cotisations sociales, il s’ajoute une finesse : si les entreprises profitent de la baisse du coût du travail pour accroître leurs bénéfices, alors la taxation de ces bénéfices réduira la facture pour l’Etat de 10 milliards d’euros (1/3 de 30 milliards). Si en revanche, elles accroissent l’emploi et les salaires, baissent leurs prix ou investissent, alors il y aura plus d’activité et le financement passera par la croissance.

Par rapport aux engagements budgétaires de la France notifiés à Bruxelles (0,8 point de réduction du déficit structurel par an), ce sont 20 milliards de stimulation budgétaire qui sont engagés sur la baisse du coût du travail d’ici à 2017. Ce point de PIB pourrait induire la création de 250 000 emplois d’ici à 2017 et permettre une baisse d’un point du chômage. C’est un changement de cap important par rapport à la priorité donnée jusqu’à maintenant à la réduction des déficits. Le choix a été fait de privilégier les entreprises en les poussant à la création d’activité ou d’emploi par un pacte. C’est un pas significatif mais il en reste d’autres à faire pour en finir avec l’austérité, en réparer les dommages sociaux et s’atteler radicalement à la réduction du chômage.




Le travail à temps partiel

Par Françoise Milewski

La part des emplois à temps partiel dans l’emploi total a fortement progressé. Si cette hausse était encore limitée dans les années 1970, elle s’est accélérée dans les années 1980 et surtout 1990. Durant les années 2000 et au début des années 2010, les fluctuations ont été moins marquées au regard de la longue période. La part du temps partiel a plus que doublé depuis quarante ans et il représente désormais près d’un cinquième de l’emploi.

Ces évolutions sont le résultat de plusieurs tendances économiques et sociales. Elles reflètent à la fois les transformations du marché du travail – croissance du secteur tertiaire au détriment de l’industrie et multiplication des statuts d’emplois – et les inégalités entre les femmes et les hommes. Elles sont aussi le produit des politiques publiques.

Les emplois à temps partiel sont pour l’essentiel occupés par des femmes. Ils sont aussi majoritairement occupés par des salariés de 25 à 49 ans, mais une tendance au développement du temps partiel chez les seniors apparaît. Les emplois à temps partiel sont surtout occupés par des salariés peu qualifiés. Si les durées du travail sont le plus souvent comprises entre 15 et 29 heures, la dispersion est importante, et l’on note une tendance à l’accroissement de la part des courtes quotités. Les salariés à temps partiel sont majoritairement employés à durée indéterminée ; il s’agit donc d’une forme d’emploi stable. Les salaires sont inférieurs, qu’ils soient mensuels ou horaires, et les salariés à temps partiel sont surreprésentés parmi les smicards et les bas salaires. Lorsque les horaires sont atypiques, que l’amplitude est étendue par de multiples coupures, que l’organisation du temps est fluctuante et sans prévisibilité, les conditions de travail sont dégradées.

Le temps partiel est hétérogène aussi bien dans les raisons invoquées par les salarié-e-s, lorsqu’elles ou ils en font la demande, que dans les formes d’organisation des entreprises selon les secteurs d’activité. Les temps travaillés relèvent de logiques multiples. Cela conduit à parler des temps partiels pour rendre compte de cette multiplicité.

Le développement du secteur tertiaire a porté celui des temps partiels. Les emplois à temps partiel dans les secteurs tels le commerce-distribution, l’hôtellerie-restauration, le nettoyage, les services à la personne et certains services publics sont majoritairement occupés par des femmes. Cela résulte des types de formation qu’elles acquièrent, des stéréotypes sur les compétences naturelles qu’elles auraient pour s’occuper d’autrui, de leur surreprésentation dans les emplois peu ou non qualifiés. Les arbitrages qu’elles font entre tâches professionnelles et familiales renforcent ces évolutions, soit parce qu’un plein temps leur paraît incompatible, soit parce qu’après un congé parental elles prolongent la réduction d’activité qu’elles ont expérimentée. Après un congé de longue durée, les difficultés de réinsertion sont parfois importantes.

La flexibilisation du travail au cours des dernières décennies a renforcé ces tendances. L’éclatement des formes d’emploi a concerné surtout les femmes, à la fois parce qu’elles travaillent majoritairement dans les secteurs qui en ont été à l’origine et parce que les femmes, étant en situation d’infériorité sur le marché du travail, acceptent plus facilement des emplois peu valorisés.

Les politiques publiques ont à certaines périodes favorisé le temps partiel et, à d’autres, cherché à en limiter les effets. Au carrefour d’objectifs en termes d’emploi et/ou de mesures concernant les familles, elles ont parfois souffert d’incohérences.

Au sein de l’Union européenne, les écarts entre pays sont importants, résultant d’évolutions historiques spécifiques, de consensus sociaux différents et de réglementations du marché du travail particulières.

Analyser la situation actuelle et déceler les changements en cours permet d’entrevoir les changements potentiels à venir et donc d’ouvrir des débats sur ces évolutions et ce qu’elles impliquent pour les décideurs publics. Temps partiels et temps pleins ont-ils des logiques de développement autonomes ? Au sein même des temps partiels, va-t-on vers davantage de flexibilité ou d’encadrement ? Dans quelle mesure l’autonomie des femmes est-elle mise en cause par le développement du temps partiel comme une forme d’emploi stable ? Le temps partiel est-il une forme de sous-emploi ou un mode d’intégration au marché du travail, vers le temps plein ? Autant de questions qui conditionnent l’élaboration des politiques publiques[1].

Pour en savoir plus, lire la Note de l’OFCE, n° 38 du 13 décembre 2013.

 

 


[1] Ce texte résume l’étude du Conseil économique, social et environnemental, section du Travail et de l’emploi : « Le travail à temps partiel », Françoise Milewski, Les Editions des Journaux officiels, décembre 2013, à paraître.

 




France-Allemagne : y-a-t-il un dividende démographique ?

par Vincent Touzé

Grace à un taux de natalité élevé, la France vieillit moins vite que l’Allemagne. Selon Eurostat, la population française devrait dépasser la population allemande à partir de 2045. La France pourrait ainsi devenir une championne européenne. Mais dans quelle mesure faut-il parler d’un dividende démographique ?

Certes, le renouvellement des générations est important. Il permet de maintenir une taille de population active suffisante pour faire face au coût social (retraite, santé et dépendance) des personnes âgées qui vivent de plus en plus longtemps. En ce sens, la France devrait faire mieux que l’Allemagne. Mais la croissance démographique porte également son lot d’inconvénients. En effet, dans un contexte de rareté des ressources, la taille de la population est avant tout un diviseur des quantités disponibles par tête. Par exemple, sur un marché du travail rationné qui peine à conserver les postes offerts en raison de problèmes de débouchés et de coûts de production insuffisamment compétitifs au niveau international, la dynamique de la population active se compte aussi en nombre de chômeurs. Pour éviter un tel écueil, un marché du travail plus efficient assis sur une économie prospère devient indispensable. Le dividende démographique dépend autant de la capacité productive des nouvelles générations de travailleurs que de leur taille.

La dernière Note de l’OFCE (n°35 du 11 octobre 2013) compare les performances relatives de la France par rapport à l’Allemagne sur la période 2001-2012. Cette étude montre que les évolutions économiques récentes ont été nettement favorables à l’économie allemande. Malgré un avenir démographique radieux, la France s’est embourbée dans une croissance faible et un chômage de masse qui frappe massivement les jeunes. Le dividende démographique tarde donc à venir.