La fin d’un cycle ?

Département analyse et prévision

Ce texte s’appuie sur les perspectives 2018-2019 pour l’économie mondiale et la zone euro dont une version complète est disponible ici.

La croissance mondiale est restée bien orientée en 2017 permettant la poursuite de la reprise et la réduction du chômage, notamment dans les pays avancés où la croissance a atteint 2,3 % contre 1,6 % l’année précédente. Même s’il reste quelques pays où le PIB n’a pas retrouvé son niveau d’avant-crise, cette embellie permet d’effacer progressivement les stigmates de la Grande Récession qui a frappé l’économie il y a 10 ans. Surtout, l’activité semblait accélérer en fin d’année puisqu’à l’exception du Royaume-Uni, le glissement annuel du PIB continuait de progresser (graphique 1). Pourtant, le retour progressif du taux de chômage vers son niveau d’avant-crise et la fermeture des écarts de croissance, notamment aux Etats-Unis et en Allemagne, qui s’étaient creusés pendant la crise pourraient laisser augurer d’un essoufflement prochain de la croissance. Les premières estimations disponibles de la croissance au premier trimestre 2018 semblent donner du crédit à cette hypothèse.

Après une période d’embellie, la croissance de la zone euro a marqué le pas au premier trimestre 2018, passant de 2,8 % en glissement annuel au quatrième trimestre 2017 à 2,5 %. Si le ralentissement est plus significatif en Allemagne et en France, il est aussi observé en Italie, aux Pays-Bas et dans une moindre mesure, en Espagne (graphique 2). Du côté du Royaume-Uni, le ralentissement se confirme en lien avec la perspective du Brexit mais aussi avec une politique budgétaire plus restrictive que celle des autres pays européens. Au Japon, plus qu’un ralentissement, le PIB – en croissance trimestrielle – a reculé au premier trimestre. Finalement, parmi les principales économiques avancées, seuls les Etats-Unis semblent encore jouir d’une accélération de la croissance avec un PIB en hausse de 2,9 % en glissement annuel au premier trimestre 2018. Le ralentissement témoigne-t-il de la fin du cycle de croissance ? En effet, la fermeture progressive des écarts entre le PIB potentiel et le PIB effectif conduirait progressivement les pays vers leur sentier de croissance de long terme, dont les estimations convergent pour indiquer un niveau plus faible. L’Allemagne ou des Etats-Unis seraient à cet égard représentatifs de cette situation puisque, dans ces pays, le taux de chômage est inférieur à son niveau d’avant-crise. Dans ces conditions, leur croissance serait amenée à ralentir. Force est de constater qu’il n’en n’a rien été aux Etats-Unis. Il faut donc se garder de toute conclusion généralisée. En effet, malgré la baisse du chômage, d’autres indicateurs – le taux d’emploi – apportent un diagnostic plus nuancé sur l’amélioration de la situation sur le marché du travail aux États-Unis. Par ailleurs, dans le cas de la France, cette performance est surtout la conséquence du calendrier fiscal qui a provoqué une baisse du pouvoir d’achat des ménages au premier trimestre et donc un ralentissement de la consommation[1]. Il s’agirait donc plus d’un trou d’air que le signe d’un ralentissement durable de la croissance française.

Surtout, les facteurs qui avaient soutenu la croissance ne vont globalement pas se retourner. La politique monétaire restera effectivement expansionniste même si la normalisation est en cours aux Etats-Unis et devrait être amorcée en 2019 dans la zone euro. Du côté de la politique budgétaire, l’orientation est plus souvent neutre et deviendrait très expansionniste pour les Etats-Unis, ce qui pousserait la croissance au-delà de son potentiel. Enfin, de nombreuses incertitudes entourent les estimations de l’écart de croissance si bien que les marges de manœuvre ne seraient pas forcément épuisées à court terme. De fait, la reprise économique ne s’accompagne toujours pas d’un retour de tensions inflationnistes ou de fortes accélérations des salaires, qui témoigneraient alors d’une surchauffe sur le marché du travail. Nous anticipons le maintien de la croissance dans les pays industrialisés en 2018 et une accélération dans les pays émergents, ce qui porterait la croissance mondiale à 3,7 % en 2018. La croissance atteindrait alors un pic et ralentirait ensuite très légèrement en 2019, revenant à 3,5 %. A court terme, le cycle de croissance ne devrait donc pas s’achever.

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[1] Voir « Economie française : ralentissement durable ou passager ? ».




La désinflation manquante est-elle un phénomène américain uniquement ?

par Paul Hubert, Mathilde Le Moigne

La dynamique de l’inflation après la crise de 2007-2009 est-elle atypique ? Selon Paul Krugman : « si la réaction de l’inflation (ndlr : aux Etats-Unis) avait été la même à la suite de la Grande Récession que lors des précédentes crises économiques, nous aurions dû nous trouver aujourd’hui en pleine déflation… Nous ne le sommes pas. » En effet, après 2009, l’inflation aux Etats-Unis est demeurée étonnamment stable au regard de l’évolution de l’activité réelle. Ce phénomène a été qualifié de « désinflation manquante ». Un tel phénomène s’observe-t-il dans la zone euro ?

En dépit de la plus grande récession depuis la crise de 1929, le taux d’inflation est resté stable autour de 1,5% en moyenne entre 2008 et 2011 aux Etats-Unis, et de 1% en zone euro. Est-ce à dire que la courbe de Phillips, qui lie l’inflation à l’activité réelle, a perdu toute validité empirique ? Dans une note de 2016, Olivier Blanchard rappelle au contraire que la courbe de Phillips, dans sa version originelle la plus simple, reste un instrument valable pour appréhender les liens entre inflation et chômage, et ce en dépit de cette « désinflation manquante ». Il note cependant que le lien entre les deux variables s’est affaibli parce que l’inflation dépend de plus en plus des anticipations d’inflation, elles-mêmes ancrées à la cible d’inflation de la Réserve fédérale américaine. Dans leur article de 2015, Coibion et Gorodnichenko expliquent cette désinflation manquante aux Etats-Unis par le fait que les anticipations d’inflation sont plutôt influencées par les variations des prix les plus visibles, comme par exemple les variations du prix du baril de pétrole. On observe d’ailleurs depuis 2015 une baisse des anticipations d’inflation concomitante à la baisse des prix du pétrole.

La difficulté à rendre compte de l’évolution récente de l’inflation, au travers de la courbe de Phillips, nous a conduits à évaluer, dans un récent article, ses déterminants potentiels et à examiner si la zone euro a également connu un phénomène de « désinflation manquante ». Sur la base d’une courbe de Phillips standard, nous ne retrouvons par les conclusions de Coibion et Gorodnichenko lorsque l’on considère la zone euro dans sa totalité. Dit autrement, l’activité réelle et les anticipations d’inflation décrivent bien l’évolution de l’inflation.

Cependant, ce résultat semble provenir d’un biais d’agrégation entre les comportements d’inflation nationaux au sein de la zone euro. En particulier, nous trouvons une divergence notable entre les pays du nord de l’Europe (Allemagne, France), exhibant une tendance générale à une inflation manquante, et les pays davantage à la périphérie (Espagne, Italie, Grèce) exhibant des périodes de désinflation manquante. Cette divergence apparaît néanmoins dès le début de notre échantillon, c’est-à-dire dans les premières années de la création de la zone euro, et semble se résorber à partir de 2006, sans changement notable au cours de la crise de 2008-2009.

Contrairement à ce qui s’est produit aux États-Unis, il apparaît que la zone euro n’a pas connu de désinflation manquante à la suite de la crise économique et financière de 2008-2009. Il semble au contraire que les divergences d’inflation en Europe sont antérieures à la crise, et tendent à se résorber avec la crise.

 




Sur la double nature de la dette

par Mattia Guerini, Alessio Moneta, Mauro Napoletano, Andrea Roventini

Les crises financière et économique de 2008 ont été fortement liées à la dynamique de la dette. En fait, une étude de Ng et Wright (2013) rapporte qu’au cours des trente dernières années, toutes les récessions américaines avaient des origines financières.

La figure 1 montre que les dettes des entreprises privées non financières (ligne verte) et les prêts immobiliers (ligne bleue) ont augmenté régulièrement aux Etats-Unis depuis les années 1960 et jusqu`à la fin du XXe siècle. De plus, dans les années 2000, la dette liée au prêts immobiliers est passée d’environ 60% à 100% du PIB en moins d’une décennie. Cette situation est devenue insoutenable en 2008 avec l’explosion de la bulle des crédits hypothécaires (les subprime). Ensuite les prêts immobiliers ont fortement diminué tandis que le ratio dette publique / PIB des États-Unis (ligne rouge) est passé de 60% à un niveau légèrement supérieur à 100% en moins de 5 ans, comme conséquence de la réponse de la politique budgétaire à la Grande Récession.

IMG1_post24-01La forte croissance de la dette publique a suscité des inquiétudes par rapport la soutenabilité des finances publiques et, aussi, sur les possibles effets négatifs de la dette publique sur la croissance économique. Certains économistes ont même avancé l’idée d’un seuil de 90% dans le rapport dette publique/PIB, en dessus duquel la dette publique nuirait à la croissance du PIB (voir Reinhart et Rogoff, 2010). Malgré un grand nombre d’études empiriques contredisant cette hypothèse (voir Herdon et al., 2013 et Égert, 2015 comme exemples récents), le débat entre les économistes est toujours ouvert (voir Ash et al., 2017 et Chudik et al., 2017).

Nous avons contribué à ce débat dans un document de travail (voir Guerini et al., 2017), qui sera publié prochainement dans la revue Macroeconomic Dynamics. Dans cette contribution, nous étudions conjointement l’impact de la dette publique et privée sur la dynamique du PIB américain en exploitant de nouvelles techniques statistiques que nous permettent d’identifier les relations causales entre les variables reposant seulement sur la structure des données[1]. Cela nous a permis de garder une perspective « agnostique » dans l’identification de la causalité et donc plus robuste par rapport aux possibles restrictions suggérées par telle ou telle théorie économique et donc en « laissant parler les données ».

Les résultats obtenus suggèrent que les chocs de dette publique affectent positivement et durablement la production (voir la figure 2, panneau de gauche)[2]. En particulier, nos résultats apportent des preuves contre l’hypothèse selon laquelle la croissance de la dette publique diminue la croissance du PIB aux États-Unis. En effet, nous trouvons que l’augmentation de la dette publique, entraînée par une augmentation des dépenses publiques en investissements, génère aussi des hausses dans les investissements privés (voir la figure 2, à droite) confirmant à cet égard, les conjectures effectuées par Stiglitz (2012). Cela implique que les dépenses publiques et, plus généralement, la politique budgétaire expansionniste stimulent la production à court et à moyen terme. Il en ressort que les politiques d’austérité ne semblent pas être la réponse politique appropriée pour surmonter une crise.

IMG2_post24-01Au contraire, nous ne trouvons pas des effets positifs significatifs liés à une augmentation de la dette privée, et en particulier lorsque l’on se concentre sur la dette liée aux prêts immobiliers. Plus précisément, nous constatons que les effets positifs des chocs sur la dette privée ont une taille plus faible que ceux sur la dette publique, et qu’ils disparaissent avec le temps. En outre, l’augmentation des niveaux de la dette hypothécaire a un impact négatif sur la dynamique de la production et de la consommation à moyen terme (voir la figure 3), tandis que leurs effets positifs ne sont que temporaires et relativement légers. Un tel résultat semble correspondre pleinement aux résultats de Mian et Sufi (2009) et de Jordà et al. (2014): une croissance excessive des prêts immobiliers alimente les bulles réelles d’actifs, mais lorsque ces bulles éclatent, elles déclenchent une crise financière, qui transmet visiblement ses effets négatifs au système économique réel sur un horizon de temps long.

IMG3_post24-01Un autre fait intéressant qui ressort de nos recherches est que l’autre forme la plus importante de dette privée – à savoir la dette des sociétés non financières (SNF) – ne génère pas d’impacts négatifs à moyen terme. En effet (comme on peut le voir dans la figure 4), l’augmentation du niveau d’endettement des SNF semble avoir un effet positif à la fois sur le PIB et sur la formation brute de capital fixe.

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En conclusion, nos résultats suggèrent que la dette a une double nature : différents types de dettes ont un impact différent sur la dynamique macroéconomique agrégée. En particulier, les menaces possibles sur la croissance de la production à moyen et long terme ne semble pas provenir de la dette publique (qui pourrait bien être une conséquence d’une crise), mais plutôt d’une augmentation excessive du niveau de la dette privée. En outre la croissance de la dette liée au prêts immobiliers semble être beaucoup plus dangereuse que celle liée aux activités d’investissement et de production des entreprises non financières.

 

[1] En particulier, nous utilisons un algorithme de recherche causale basé sur l’analyse ICA (Independent Component Analysis) pour identifier la forme structurelle de la VAR cointégrée et résoudre le problème de la double causalité. Pour plus de détails sur l’algorithme ICA, voir Moneta et al. (2013). Pour plus de détails sur ses propriétés statistiques, voir Gourieroux et al. (2017).

[2] Lors du calcul des fonctions de réponse impulsionnelle, nous appliquons un choc de Déviation Standard (DS) à la variable de dette concernée. Ainsi, par exemple, sur l’axe des y de la figure 2, panneau de gauche, on peut lire qu’un choc de 1 DS à la dette publique a un effet positif de 0,5% sur le PIB à moyen terme.




Climat : Trump souffle le chaud et l’effroi

Par Aurélien Saussay

Donald Trump a donc une nouvelle fois respecté une de ses promesses de campagne. Le retrait des Etats-Unis de l’Accord de Paris ne semblait pourtant pas acquis.

Des personnalités centrales du lobby pétrolier américain comme le Secrétaire d’Etat, Rex Tillerson, ancien patron d’Exxon-Mobil, son actuel PDG, Darren Woods, ou encore le gouverneur du Texas, principal Etat producteur de pétrole aux Etats-Unis, conseillaient au président de maintenir les Etats-Unis au sein de l’accord – ne serait-ce que pour en influencer l’application.

Ce retrait n’est assurément pas une bonne nouvelle. Il n’en constitue pas pour autant la catastrophe que l’on pourrait redouter.

Sur le plan international, la Chine a tout de suite renouvelé son engagement en remplaçant l’ancien axe sino-américain par une nouvelle alliance climatique sino-européenne.

Malgré l’importance du charbon dans son mix énergétique, la Chine est en effet devenue la première puissance mondiale en matière d’énergie solaire, tant en puissance installée qu’en capacité de production de cellules photovoltaïques. Les dirigeants chinois n’ont aucune intention de tourner le dos à ce virage technologique, qui place leur pays dans une position enviable de leadership technologique et industriel.

Par ailleurs, au-delà de la problématique globale du changement climatique, la réduction de la consommation de charbon est d’abord pour la Chine un enjeu majeur de politique locale.

Les émissions de particules fines générées par ses centrales électriques étouffent ses villes et dégradent très sensiblement la qualité de vie de ses habitants. L’exigence environnementale allant croissant au sein de la population chinoise, il serait impensable de renoncer à poursuivre les efforts visant à réduire la consommation de charbon.

Le leadership combiné de la Chine et de l’Europe devrait suffire à isoler la position de Trump sur la scène internationale, et ne pas remettre en cause la participation des autres principaux pays émetteurs à l’accord. Reste que les Etats-Unis représentent encore à eux seuls 15% des émissions mondiales (contre 30% pour la Chine et 9% pour l’Union Européenne).

Un renoncement complet à toute politique climatique sur le plan domestique aurait des conséquences importantes sur les trajectoires futures d’émissions.

L’annonce, par les gouverneurs des Etats de Californie, New York et Washington de la création d’une Alliance pour le Climat au lendemain même du retrait américain est à cet égard riche d’enseignements.

Tout d’abord il vient confirmer qu’une large part de la politique climatique américaine se décide à l’échelon local (Etat, voire municipalité).

Il révèle ensuite la grande divergence entre Etats face au changement climatique : d’autres Etats côtiers très engagés dans la transition énergétique comme le Massachussetts ou l’Oregon pourraient rejoindre cette Alliance, qui totalisent déjà plus du tiers du PIB américain.

Enfin, il souligne la division profonde du pays sur ce sujet : une enquête récente du Pew Research Center indique que près de 60% des américains souhaitaient un maintien de leur pays au sein de l’Accord de Paris. Trump est en réalité presque aussi isolé à l’intérieur des Etats-Unis qu’à l’international.

Le retrait de l’Accord de Paris est avant tout une décision de politique intérieure pour Trump. Son discours d’annonce, focalisé sur l’industrie du charbon, est destiné principalement à ses électeurs des mines des Appalaches, qui croient leur survie menacée par la transition énergétique.

C’est pourtant bien plus la concurrence du gaz de schistes qui menace à brève échéance l’industrie charbonnière américaine.

La compétitivité nouvelle des énergies renouvelables, même sans subventions, la condamne à plus long terme : le premier producteur d’énergie éolienne aux Etats-Unis est ainsi le Texas, pourtant peu suspect de sympathies environnementalistes.

Donald Trump a donc pris le risque de briser la dynamique internationale de l’Accord de Paris pour tenter de relancer une industrie moribonde – sans grand espoir de succès. Heureusement, son isolement international et domestique devrait limiter la portée de sa décision.




Trump peut-il vraiment réindustrialiser les Etats-Unis ?

Par Sarah Guillou

Calliclès à Socrate : « Ce que tu dis ne m’intéresse pas et je continuerai à agir comme j’agissais auparavant, sans me préoccuper des leçons que tu prétends donner. » Le Gorgias , Livre III

Les Etats-Unis n’ont plus guère que 8% des emplois dans l’industrie. Donald Trump, le nouveau Président des Etats-Unis, veut réindustrialiser l’Amérique et communique contre les ouvertures d’usines à l’étranger ou les fermetures d’usines locales. Existe-t-il une rationalité économique à la communication sans discernement  du nouveau Président des Etats-Unis ?

Ses déclarations relatives à la production à l’étranger de grandes entreprises américaines sont consternantes pour un économiste. Ainsi, il suffirait donc de menacer les multinationales, d’augmenter les droits sur leurs importations, ou de les menacer d’une fiscalité punitive pour qu’elles reconsidèrent leurs décisions de localisation. Au-delà de ce que la méthode de Trump est une antithèse de l’Etat de droit, ce qui surprend l’économiste, c’est que ces déclarations non seulement font fi de tout ce que l’on sait sur la logique de la globalisation des chaînes de valeurs mais également de la nature de l’évolution passée et future de la production industrielle. Elles soulèvent donc plus de perplexité que de ralliements (voir aussi sur la politique macroéconomique le billet de X. Ragot).

La seule vérité de la rhétorique de Trump est l’intense désindustrialisation américaine. Repartons de l’état de l’industrie américaine pour comprendre le terreau de la nostalgie ouvrière sur lequel se fonde cette rhétorique.

Le tissu industriel élimé de l’Amérique, terreau de la nostalgie ouvrière

D. Trump use des ressorts de la nostalgie des électeurs d’une époque où le secteur manufacturier tournait à plein régime. Il faut dire que la désindustrialisation américaine a été intense et ce malgré une ouverture commerciale bien moindre qu’elle ne l’est en Europe. Elle a été brutale pour de nombreux travailleurs sans protection sociale. Les pays où l’on entend le plus de discours en faveur de la ré-industrialisation sont ceux où le recul de l’emploi industriel a été le plus accentué, à savoir les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France. Tous trois ont perdu plus d’un quart d’emplois manufacturiers depuis 1995[1].

Graphique 1 : Evolution de l’emploi manufacturier (base 100 en 1995)

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Source : EU Klems pour les Pays européens. FRED Federal Bank of St Louis pour les Etats-Unis.

Le graphique 1 montre la similarité d’évolution de ces 3 économies depuis la fin des années 1990, la France commence à perdre des emplois un peu après les pays anglo-saxons et l’arrêt de cette tendance qui apparaît aux Etats-Unis et au Royaume-Uni dès 2009, ne  s’observe pas nettement pour la France qui continue à perdre des emplois, certes à un rythme plus ralenti qu’en début de période.

Les Etats-Unis ont perdu plus de 5 millions d’emplois depuis 1995, contre plus de 1,5 million au Royaume-Uni et 900 000 pour la France, soit respectivement 29%, 38% et 24% de pertes sur la période. Bien entendu au début les gains de productivité ont permis un moindre recul de la valeur ajoutée, ce qui est moins vrai à partir de l’année 2000 étant donné le ralentissement des gains de productivité dans le secteur manufacturier. On remarquera aussi que l’emploi manufacturier repart à la hausse depuis 2010 aux Etats-Unis mais ralentit de nouveau à partir de 2015 (voir Bidet-Mayer et Frocain, 2017)

Les causes de la désindustrialisation sont bien identifiées. La désindustrialisation a touché toutes les vieilles puissances industrielles en raison notamment du progrès technique et du déplacement de la production de valeur manufacturière dans les services à l’industrie. Au niveau mondial, la production manufacturière ne représente plus que 16% du PIB et donc les 12% américain sont tout à fait honorables. De plus, les Etats-Unis demeurent un acteur majeur de la production manufacturière mondiale, deuxième derrière la Chine en volume produit.

Enfin, une fois considéré que l’incorporation de technologie dans la valeur ajoutée manufacturière ne va pas ralentir et que la robotisation des tâches répétitives propres à la manufacture de séries va se poursuivre sinon s’accélérer, il est certain que la production industrielle du futur connaîtra un moindre contenu en emplois (lire à ce sujet M. Muro).

A l’échelle de la génération des électeurs de Trump, seule une petite part des électeurs localisés dans une petite partie du territoire du Nord des Etats-Unis a été victime de la désindustrialisation. Mais l’industrie est un secteur symbolique, symbole de la puissance économique d’antan, celles des puissances guerrières et impériales, de la naissance de la société de consommation et ensuite celle de l’émergence des puissances économiques asiatiques, nouveaux lieux des usines du monde. Elle incarne une partie de la classe moyenne-ouvrière qui n’a pas vu s’améliorer son revenu sur les 20 dernières années (comme le suggère le graphique « Elephant » de Branko Milanovic)[2]. Enfin, la désindustrialisation américaine s’identifie comme le symétrique de l’industrialisation chinoise ou d’autres pays émergents comme le Mexique, dont la réussite économique est alors prise comme bouc-émissaire de la classe moyenne. Mais si la globalisation a eu des effets différenciés sur les individus selon leur qualification, elle ne se superpose pas à la désindustrialisation.

Partant de cette nostalgie pour l’industrie d’antan, Trump a choisi de s’impliquer personnellement dans les décisions de localisation des entreprises afin de conquérir le vote de cette classe moyenne ayant souffert de la désindustrialisation. Ses interventions ont consisté à prendre à partie directement les entreprises en se targuant d’infléchir leurs décisions. Revenons sur les divers épisodes les plus marquants afin de saisir les motivations respectives des acteurs.

Des cibles industrielles symboliques et communicantes

Il y a eu d’abord l’affaire de l’entreprise Carrier, un équipementier de l’Indiana fabricant de chauffages et climatiseurs, qui avait annoncé en février 2016 sa décision de déplacer 1400 emplois vers le Mexique. S’etant saisi de cette affaire durant sa campagne, une fois élu, Trump partit négocier en novembre avec les dirigeants de l’entreprise. En échange d’allègement d’impôt, de charges et de réglementations, D. Trump demandait le maintien d’une partie des emplois dans l’Indiana. Les autorités locales intervinrent également dans l’accord afin d’amadouer l’entreprise. Le 30 novembre, l’entreprise annonçait son intention de conserver 1000 emplois sur le site. C’est une victoire éminemment symbolique, dans tous les sens du terme, alors que l’économie américaine crée plus de 180 00 emplois par mois. La maison mère de Carrier, United Technologies, concède que ce revirement ne lui coûtera pas si cher surtout si en échange elle obtient une oreille attentive du Président, sans compter que United Technologies est aussi un fabricant de matériel militaire très dépendant de la commande publique (10% des ses ventes selon le New York Times).

Ensuite, il y a eu l’épisode Foxconn, une entreprise d’assemblage taïwanaise des produits d’Apple – son plus gros client — qui décidait de monter une usine d’assemblage aux Etats-Unis, décision que Trump brandit alors comme une victoire personnelle. Foxconn possède déjà des unités de production aux Etats-Unis. Ce n’est pas a priori une relocalisation d’activités car l’entreprise n’envisage pas parallèlement de « désinvestir » à Taïwan. Si l’entreprise décide d’investir aux Etats-Unis, c’est qu’elle a de bonnes raisons de le faire. Parmi ces raisons, les anticipations sur la croissance du marché américain, les obstacles à l’échange que menacent d’instaurer D. Trump et les pressions de son donneur d’ordre (Apple) peuvent jouer.

Enfin, il s’est attaqué aux industries automobiles. Déjà au printemps 2016, Trump avait fustigé le plan de Ford Motors de vouloir construire une usine au Mexique. Le 3 janvier 2017, l’entreprise a bien décidé d’annuler son projet de 1,6 milliard dans l’Etat de San Luis Potosi au Mexique et a annoncé un investissement de 700 millions dans une usine américaine de Flat Rock dans le Michigan afin de construire des voitures électriques et des voitures autonomes. S’agit-il d’un revirement de l’entreprise ? En fait, l’usine mexicaine avait pour vocation de construire des Ford Focus, donc des petits modèles dont la demande a fortement chuté au profit des SUV et autres « crossovers ». La décision de Ford Motors signifie qu’elle cherche à réduire sa production sur ce créneau de véhicules alors que la politique de Trump laisse entrevoir une relance de la demande américaine d’automobiles qui ne se situe pas sur ce créneau. L’entreprise va cependant confirmer sa décision de déplacer ses capacités de production du modèle Focus de Wayne aux Etats-Unis à Hermosillo au Mexique (The Economist, Wheel Spin, 2017). Ces décisions traduisent donc plus un repositionnement de l’entreprise qu’une relocalisation.

La menace d’un droit de douane de 35% pour les véhicules en provenance du Mexique ou bien d’une taxe sur les revenus des importations, est évidemment prise au sérieux par les constructeurs. En 2015, les Etats-Unis importaient plus de 2 millions de véhicules du Mexique. Les constructeurs ont tout intérêt à montrer patte blanche afin par ailleurs d’obtenir d’autres avantages comme le relâchement des réglementations en matière d’émissions par exemple. De plus avec l’ex-président d’ExxonMobil, Rex Tillerson au poste de Secrétaire d’Etat qui assurera la défense des énergies fossiles et le programme économique de relance annoncée, les constructeurs anticipent une reprise des achats.

Les épisodes d’interpellation et de réactions se poursuivent (Hyundai, Toyota, BMW…). Trump passe en revue tous les constructeurs et suspecte toute production à l’étranger d’être un détournement de l’emploi américain. Ce n’est pas un hasard qu’il s’occupe de l’industrie automobile car c’est un secteur symbole de l’« American way of life », symbole de la puissance industrielle américaine au temps où la « rust belt » était encore clinquante. Mais le secteur s’est fortement globalisé et on peut se demander comment Trump peut à ce point méconnaître ou nier l’organisation actuelle de l’industrie et tromper ses électeurs.

Y-a-t-il réellement un vivier d’emplois à relocaliser ?

La globalisation s’est exprimée de deux manières sur l’organisation de la production des entreprises. D’une part, associée au progrès technique, elle a pu se traduire par une disparition de la manufacture à la suite d’une externalisation totale tout en gardant la maîtrise des chaînons où se réalisent les profits. C’est le cas d’Apple, qui ne dispose pas en propre d’usines à l’étranger. On ne peut donc contraindre Apple à relocaliser ce qu’elle n’est pas délocalisé ! Si les droits de douane augmentent, Apple importera des composants plus chers, l’Etat récupèrera une partie de la rente d’innovation et les consommateurs paieront une partie de la taxe. D’autre part, la globalisation a pu aussi se traduire par une délocalisation de la production et dans ce cas, l’entreprise détient des sites productifs à l’étranger, comme dans le secteur automobile mais aussi dans le textile ou le secteur du jouet comme Mattel. Des emplois ont donc bien été déplacés mais parfois aussi les qualifications qu’il n’est pas forcément aisé de retrouver dans le pays domestique.

L’avantage de coût du travail du Mexique ne va pas disparaître : le coût horaire en Indiana est équivalent à ce que touche un travailleur mexicain en une journée. Il en est de même pour le coût chinois. La relocalisation de ce type d’emploi impliquerait de baisser fortement les salaires sauf à ce que les droits de douanes (qui renchérissent les salaires étrangers), la baisse du coût de l’énergie et de la fiscalité et la productivité (qui diminuent les salaires américains) conduisent à un nouvel arbitrage. Mais il faudrait des variations importantes qui ne manqueraient pas d’impacter le reste de l’économie non manufacturière, soit 92% des emplois.

Donc au final, tout le contenu en emplois des importations n’est pas « relocalisable ». De plus, une grande part des importations alimente les exportations : autrement dit une grande part des emplois chinois ou mexicains active des emplois américains dont les productions sont vendues à l’étranger parce le développement des pays émergents a permis la solvabilité de la demande. L’interdépendance est aujourd’hui telle que nul ne sait quelles conséquences un nouvel équilibre des emplois aura sur les prix, les profits, les investissements et les emplois futurs.

Quelles seraient les conséquences d’une relocalisation industrielle ?

Reprenons le cas de Foxconn. Si cette entreprise investit, ce sera pour servir le marché américain. Comme les coûts de production y sont plus élevés, cela implique trois stratégies possibles non exclusives l’une de l’autre. L’entreprise réduit ses marges (ainsi qu’Apple) pour ne pas voir se réduire sa part de marché : Foxconn et Apple acceptent cette réduction des marges pour contrecarrer l’impact négatif sur les ventes de l’opprobre jeté par D. Trump sur l’entreprise. La deuxième stratégie est une augmentation des prix des produits sur le marché américain : à ce moment-là les consommateurs financent les quelques emplois créés. Troisième stratégie : l’entreprise entreprend des procédés de production différents notamment avec une automatisation intensive qui réduit le coût du travail pendant qu’elle réduit aussi les coûts logistiques pour servir le marché américain. En fin du compte, la décision de l’entreprise Foxconn, si elle se confirme, relève d’une rationalité économique assez classique. L’effet Trump s’en mêle dans la mesure où il met Apple en demeure de se justifier sur sa stratégie de localisation. Mais attention si la communication de Trump met en péril la santé financière de l’entreprise (certes, elle a de la marge), alors il met en péril un fleuron de l’économie américaine.

Dans le cas des constructeurs, la multiplication des investissements, si elle se confirmait, va gonfler à la fois l’offre de travail mais aussi l’offre productive domestique. Cela augmentera la concurrence entre les acteurs. Non seulement les salaires vont augmenter, mais les marges vont se réduire en raison des coûts de production plus élevés, du renchérissement des composants importés et de la concurrence accrue sur le marché domestique. Il n’est pas certain que ce soit les constructeurs américains qui tirent forcément leur épingle du jeu. De là à ce qu’ils soient alors contraints d’accepter des participations au capital d’investisseurs chinois et l’arroseur sera arrosé ! Voire même, l’ensemble des décisions d’investissement des constructeurs automobiles pourraient provoquer une pénurie de main d’œuvre – alors que le marché de l’emploi américain est proche du plein emploi – conduisant à une hausse des salaires (et donc des coûts de production) impliquant soit une robotisation accélérée, soit une entrée de travailleurs étrangers.

Donc au final, si on se demande quel sera l’impact d’investissements supplémentaires sur le territoire américain, tout dépend à quelles incitations ils répondent. S’ils répondent à de nouvelles conditions plus contraignantes pour les entreprises posées par le nouveau gouvernement, alors la théorie microéconomique nous dit que les entreprises produiront moins ou plus chers. Si un événement externe augmente les coûts d’une entreprise, elle produit moins (i) soit tout de suite car elle augmente ses prix, (ii) soit à moyen-long terme parce que ses marges sont réduites (elle n’a pas augmenté ses prix) et elle investit moins, (iii) soit à long terme parce qu’elle sort du marché. S’ils répondent à des anticipations d’un accroissement de la demande, alors il faudra que Trump tienne ses promesses de relance. Enfin, si l’investissement se fait en échange de dépense fiscale (baisse des impôts, aides à l’investissement, aides financières), alors le coût pour les finances publiques se traduira par des dépenses présentes ou futures diminuées. En résumé, l’investissement se réalise s’il profite à l’entreprise : qu’il se localise dans le pays d’origine ou à l’étranger, il est toujours conditionné à la promesse de revenus futurs.

Mais pourquoi défendre des multinationales et renoncer au protectionnisme?

Les partisans des mesures protectionnistes répondent : (i) peu importe si les entreprises produisent moins au total, si la répartition de leur production est plus à l’avantage du territoire domestique ; (ii) peu importe si elles font moins de profits, ces multinationales en font tellement ! C’est oublier que les entreprises ont aussi des stratégies intégrées – c’est-à-dire globale — et si elles ont moins de profits, elles investiront moins, cela finira par impacter leur croissance future. C’est oublier que les multinationales sont aussi celles qui investissent le plus en R&D et si leur valeur boursière augmente, elles ne distribuent pas toutes des dividendes. C’est oublier que les échanges, sans être équilibrés, sont bilatéraux c’est-à-dire que si on réduit les revenus de nos partenaires en réduisant leur exportation, on réduit ses propres exportations. Autrement dit, si le revenu des mexicains est fortement réduit, ils achèteront beaucoup moins de produits américains. Sans compter que le protectionnisme – qui finit toujours par être aussi bilatéral (rétorsion oblige) — ne protège pas les faibles mais les rentiers.

Certains maintiennent que les mesures protectionnistes sont le moyen de la re-localisation des sites de production sur les lieux de consommation (afin d’éviter les barrières) et donc de récupération d’activités qui avaient été externalisées. Il faut souligner que le protectionnisme protège les géants, ceux qui peuvent supporter les barrières tarifaires. Et s’il sauvegarde des emplois non qualifiés un peu plus longtemps, il les maintient dans leur « non-qualification ». Surtout, il entrave le développement de la classe moyenne tant des consommateurs que des entreprises. On ne réduira pas les inégalités par du protectionnisme, on figera la société et l’économie. Le protectionnisme n’est pas la solution aux gains différenciés de la globalisation.

Aux Etats-Unis, les effets de la globalisation ont été plus accentués et malgré un marché de l’emploi dynamique, la répartition des gains de la croissance a été très inégale. Les contraintes d’adaptation des qualifications ont été intenses : ainsi les 12% de valeur ajoutée manufacturière, s’ils sont très honorables, se concentrent essentiellement dans le secteur de l’électronique et des technologies de l’information (voir Baily et Bosworth, 2016). Un récent travail de D. Autor et ses co-auteurs du MIT montrent que l’exposition aux importations chinoise a conduit à polariser les votes vers des candidats aux extrémités de l’offre politique. Cela révèle la forte sensibilité des électeurs aux marques de la globalisation.

Mais si le malaise est réel, des mesures protectionnistes ne pourront pas fondamentalement le réduire parce qu’elles vont diminuer la richesse économique des catégories les moins aisés dont le panier de consommation est relativement plus rempli de produits importés, alors que peu d’emplois seront créés. Reprenons l’exemple du secteur automobile, le consommateur américain va voir le prix des automobiles augmenter : le pouvoir d’achat de l’ensemble des consommateurs sera affecté au bénéfice d’une petite minorité d’ouvriers du secteur automobile. La baisse de la fiscalité qui pèse sur les entreprises réduira les recettes fiscales et les moyens de financement des biens publics qui bénéficient le plus aux catégories modestes. Et il n’est pas certain que cette baisse de la fiscalité ait un impact positif sur les entreprises si par ailleurs elles ont à subir des taxes douanières supplémentaires.

En conclusion, l’emploi industriel ne va pas renaître de mesures protectionnistes. Le malaise économique de la classe moyenne ne sera pas amoindri par ce biais. Avec une politique économique et étrangère qui accentue les déséquilibres présents — isolationnisme, protectionnisme, relance au plein-emploi — Donald Trump engage son mandat volontairement dans l’inconnu et l’instabilité. Le pragmatisme ou le cynisme des acteurs de l’économie mondiale ne sera pas annulé par la rhétorique de Trump. C’est sans doute à un autre cynisme qu’elle conduira: celui de l’horizon d’une mandature inespérée et personnelle et du chacun pour soi.

 

[1] L’industrie manufacturière est un sous-ensemble majoritaire de l’industrie qui exclut les activités énergétiques. Il est commun d’associer l’industrie au secteur manufacturier.

[2] Branko Milanovic « Global Inequality », 2016, HUP.

 




Ce que révèle le programme économique de Donald Trump

par Xavier Ragot

Les élections américaines sont un grand révélateur, au sens photographique du terme, des clichés économiques. Trois perspectives différentes sur ces élections livrent trois éclairages sur l’état de l’économie américaine tout d’abord, sur l’état de la pensée des économistes ensuite, et sur la nature de la relation entre les économistes et les politiques enfin.

Les primaires américaines ont été marquées par la « résistible ascension » de Donald Trump, et l’émergence de Bernie Sanders qui a bousculé Hilary Clinton sur sa gauche sans parvenir à s’imposer.

Le succès de Donald Trump, qui a contourné le parti républicain, repose sur des ressorts politiques qui utilisent une certaine paranoïa quant à la perte d’identité des Etats-Unis face aux concessions économiques faites à la Chine, politiques à l’Iran, militaires en Irak. Le thème du déclassement américain est réel aux Etats-Unis. Le succès de ce thème provient aussi de la réalité de la situation économique des classes moyennes et populaires aux Etats-Unis. Les cicatrices sociales induites par les inégalités aux Etats-Unis, magnifiquement étudiées par Thomas Piketty, se voient dans la rue, tant l’inégalité d’accès au système de santé est réelle (et incompréhensible pour un Européen). Si ce thème des inégalités est l’axe central de la campagne de Bernie Sanders, la colère populaire s’est aussi exprimée dans le camp républicain.

Le programme économique de Donald Trump a le charme poétique et inquiétant d’un inventaire à la Prévert. Il est difficile de l’identifier de droite, d’extrême droite ou de gauche, selon les critères européens. Le programme fiscal formel est ici, mais des interventions médiatiques l’ont considérablement « enrichi ». Donald Trump est en faveur de l’investissement dans les infrastructures et dans les dépenses militaires, pour la réduction des impôts, pour une hausse du salaire minimum, pour la fin de l’Obamacare et une totale privatisation de la santé, pour la taxation des riches, pour la réduction de l’immigration notamment provenant du Mexique (construction d’un mur entre les Etats-Unis et le Mexique), pour une agressivité commerciale envers la Chine accusée de dumping et, plus récemment, pour un défaut partiel sur les dettes publiques américaines. Ce dernier point fait des remous assez profonds chez les républicains. Les Etats-Unis étant un des rares pays au monde à n’avoir jamais fait défaut sur leurs dettes publiques, que le candidat républicain évoque publiquement cette possibilité est un choc.

Sur ce dernier point, l’auteur de ces lignes pense que le défaut sur les dettes publiques est une très mauvaise idée. Cela revient à une taxe non-assumée politiquement et non-maîtrisée avec un effet d’instabilité bancaire additionnelle. Autant assumer une taxe après un débat démocratique. Par ailleurs, pour soulager les dettes publiques, il est toujours possible de faire baisser les taux réels sur les dettes publiques pendant de nombreuses années, ce qui est possible avec une politique monétaire accommodante et sans répression financière (voir ce texte de Blanchard et co-auteurs).

Peu d’économistes défendent ce programme, même sur sa partie la plus strictement économique. Récemment une interprétation assez positive du programme de Donald Trump a été remarquée car émanant d’un économiste reconnu et respecté, Narayana Kocherlakota. Le texte est ici. Avant de préciser les raisons d’un soutien (très relatif) à Trump, il faut revenir sur la trajectoire de Narayana Kocherlakota, afin de penser comment la crise change la pensée des économistes. Kocherlakota est un économiste formé à l’Université de Chicago, et on lui doit des contributions fondamentales et très techniques en théorie financière, théorie monétaire, et en théorie dynamique des finances publiques, qui reposent sur l’application des outils de la théorie des contrats intertemporels. Du très sérieux académique! Kocherlakota a écrit un texte sur l’état de la pensée macroéconomique après la crise qui est très intéressant car reposant sur une vision large d’un chercheur qui ne reconnaît pas sa discipline dans les manuels d’économie (pour ne pas parler des livres grands publics). Kocherlakota est devenu président de la Réserve fédéral de Minneapolis en 2009 (pour quitter ce poste le premier janvier 2016). La FED de Minneapolis est connu comme étant un noyau dur et actif intellectuellement de la pensée « anti-keynésienne », pour aller vite. A ce poste Kocherlakota a vécu une profonde évolution intellectuelle et il a réalisé un tournant keynésien assez radical (Voir ici une contribution théorique originale), qui a entraîné des conflits avec ses collègues. Qu’est-ce qui manquait aux productions académiques de Kocherlakota? Quels sont les faits économiques qui l’ont à ce point déstabilisé?

La réponse à ces questions est évidemment difficile. Cependant, on peut avancer l’idée que ses propres travaux ne permettaient pas de penser l’efficacité des politiques monétaires non-conventionnelles et l’effet des plans de stimulation budgétaire d’Obama. En effet, le gouvernement américain a mené une politique monétaire et budgétaire très keynésienne (baisse d’impôt et création monétaire massive), qui a eu des effets positifs que les modèles de la Fed de Minneapolis ne permettaient pas de penser. L’ingrédient important qui manquait était les rigidités nominales qui donnent un rôle potentiellement important à la demande agrégée. La question des rigidités nominales en macroéconomie n’est pas un détail. J’ai écrit un texte sur le retour de la pensée keynésienne autour de la question des rigidités nominales.

Ainsi, l’indulgence de Kocherlakota pour le programme de Trump n’est pas celle d’un libéral dur, mais au contraire celle d’un keynésien converti, dont la foi semble un peu extrême. Kocherlakota vente la relance keynésienne de Trump par les dépenses publiques, par la baisse des impôts. La seule inquiétude de Kocherlakota est qu’il voudrait être sûr que Trump accepte une inflation plus élevée de l’ordre de 4% plutôt que 2%…

Ainsi, le programme de Trump contribue à brouiller les repères entre politique économique de gauche et de droite. Le thème des inégalités et de l’appauvrissement domine les débats dans les classes moyennes et populaires. Le problème mondial de manque de demande et de sous-emploi préoccupe les économistes sous le nom de stagnation séculaire. L’émergence de Bernie Sanders, le boubiboulga du programme économique de Trump (la violence de ses propos sur l’immigration n’est pas l’objet de ce texte), et à une autre échelle, l’évolution de Kocherlakota, révèlent la difficulté de l’émergence d’un paradigme économique cohérent et assis sur une base sociale large. Le politique (du côté républicain ou démocrate) cherche à tâtons une articulation différente entre l’Etat et le marché, un retour cohérent et efficace de la politique économique (monétaire et budgétaire) pour stabiliser les économies de marché et réduire les inégalités. Ce débat sera identique, mais avec une forme différente du fait de la question européenne, dans les élections présidentielles en France.




A propos du marché du travail américain

Une lecture de : The causes of structural unemployment, Thomas Janoski, David Luke et Christopher Oliver, Polity Press, Cambridge, RU et Malen, EU, 2014.

Henri Sterdyniak

L’ouvrage, écrit par trois sociologues américains, analyse la montée du chômage structurel aux Etats-Unis, en cherche les causes et propose des mesures de politiques économiques pour le réduire. Pour le lecteur français, cet ouvrage présente deux intérêts majeurs : il montre que les problèmes du marché du travail américain sont très proches de ceux du marché du travail français ; et, bizarrement, il traite du cas américain sans s’intéresser, sauf de façon marginale, à la situation des pays européens et aux analyses qu’ont pu produire les chercheurs de notre continent.

La définition et la mesure du chômage structurel sont problématiques. Théoriquement, le chômage structurel est la part du chômage qui ne s’explique ni par les fluctuations conjoncturelles (le chômage conjoncturel), ni par les inévitables délais d’embauche et de changement d’emploi (le chômage frictionnel), mais par des causes structurelles ; celui donc observé en moyenne sur le cycle économique, moins un certain niveau incompressible. Le point délicat est qu’il est difficile aujourd’hui, après la crise de 2007-09, aux Etats-Unis comme en Europe, de repérer le cycle économique et le niveau normal d’activité, de sorte que le niveau du chômage conjoncturel est difficile à évaluer. Cependant, les auteurs présentent des preuves empiriques de la dégradation du marché du travail américain. Ainsi, le taux d’emploi des 25-65 ans n’est que de 72,3% en 2013 contre 77,5% en 2000. Il est nettement plus faible qu’en Allemagne (78,5%). Le taux de chômage de longue durée comme le taux de temps partiel subi ont fortement augmenté. Surtout, les inégalités salariales se sont accrues. Les emplois stables et correctement rémunérés d’ouvriers ou d’employés qualifiés disparaissent au profit d’emplois précaires.

Les auteurs fournissent cinq explications à cette dégradation :

  1. La fonte de l’industrie au profit des services qui entraîne l’inadaptation des anciens ouvriers qualifiés, le déclin des syndicats et le besoin de nouvelles compétences.
  2. Le développement de la sous-traitance (qui permet aux entreprises de se débarrasser de travailleurs permanents correctement rémunérés pour recourir à une main d’œuvre précaire bon marché) et celui de la délocalisation dans les pays à bas salaires.
  3. L’automatisation qui rend inutiles de nombreux emplois, non qualifiés jadis, mais de plus en plus qualifiés maintenant.
  4. La financiarisation de l’économie et la recherche de valeur pour l’actionnaire qui imposent des normes de rentabilité élevées, qui sacrifient l’investissement de long terme, qui font que la croissance est portée par des bulles financières et l’endettement, ce qui augmente l’incertitude et rend l’économie instable.
  5. Le poids grandissant des grandes entreprises multinationales qui brisent les compromis nationaux (en produisant à l’étranger, en détruisant des emplois qualifiés, en développant la sous-traitance et les emplois précaires, en ne payant pas d’impôts).

Avec raison, les auteurs, sociologues, reprochent aux économistes de ne pas étudier les conséquences de ces transformations sur les salariés américains et leurs possibilités d’emploi satisfaisant.

Si la description est convaincante, le lecteur attend les auteurs sur les solutions. En fait, les auteurs proposent essentiellement des réformes du marché du travail. Ils suggèrent de s’inspirer du modèle allemand en orientant beaucoup plus tôt (dès 12 ans) une partie des jeunes vers l’enseignement professionnel, au lieu de les maintenir dans l’enseignement classique. Selon eux, on pourrait professionnaliser et faire monter en gamme certains emplois précaires en formant les jeunes à ceux-ci. Mais, quels enfants seraient les victimes de cette orientation précoce ? Le risque est grand que ce soit ceux des milieux populaires.

Ils proposent d’améliorer le fonctionnement du marché de l’emploi (subvention aux temps partiels temporaires, toujours inspiré du modèle allemand ; remise à niveau des chômeurs, certification de leurs compétences). Durant les périodes de récession, ils proposent de créer des emplois publics temporaires et de subventionner des emplois privés dans des secteurs spécifiques (comme les travaux publics). Ils suggèrent de faciliter l’innovation en fournissant du capital-risque aux jeunes entrepreneurs et en favorisant l’immigration de jeunes entrepreneurs talentueux. Mais l’innovation à tout prix est-elle la solution, quand elle se traduit par le développement de besoins artificiels et par la multiplication de « destructions créatives », sources d’instabilité économique ?

Heureusement, quelques paragraphes vont au-delà. Les auteurs proposent de renforcer les normes sociales, environnementales et de respect du droit de propriété intellectuelle pour les produits importés (mais la croissance américaine nécessite-elle de freiner le développement des pays émergents ?) ; de réformer la fiscalité des entreprises pour augmenter la taxation de celles qui produisent à l’étranger ; de lutter contre l’optimisation fiscale des firmes multinationales ; de taxer les opérations spéculatives et les transactions financières internationales ; de séparer les banques de dépôts et les banques d’affaires. On le voit, des propositions très proches de celles des économistes européens hétérodoxes. Mais est-ce suffisant ? Ne faudrait-il pas une action résolue des pouvoirs publics pour réduire la domination de la finance, pour abaisser les taux de rentabilité exigés par les marchés financiers ? Ne faudrait-il pas d’importants transferts budgétaires pour taxer les gagnants de la mondialisation et compenser les perdants ? Ne faudrait-il pas mieux gérer l’évolution de la division internationale du travail, en pénalisant les pays ayant des excédents commerciaux trop importants et en subventionnant les emplois non-qualifiés dans les pays riches ?




Le casse-tête budgétaire américain

Par Christine Rifflart

Avant le 13 décembre prochain, le Budget Conference Committee doit présenter les résultats de ses discussions lancées à la suite du shutdown et de la crise de la dette du mois d’octobre 2013. L’objectif des négociations : permettre le vote du Budget 2014 au Congrès, dont l’année fiscale a démarré le 1er octobre dernier[1] et trouver une alternative aux coupes automatiques dans les dépenses du gouvernement fédéral qui devraient s’appliquer au 1er janvier 2014. Un accord ne semble pas hors d’atteinte. Même si l’opposition entre républicains et démocrates reste vive, la raison devrait l’emporter et le risque d’une nouvelle crise budgétaire semble exclu. Au pire, une nouvelle Continuing Resolution[2] sera votée permettant le fonctionnement des institutions et laissant l’arbitraire des coupes budgétaires automatiques dans les dépenses structurelles conduire la politique du gouvernement. Au mieux, les négociations aboutiront à des coupes raisonnées sur ces dépenses, voire à des hausses de certaines recettes qui assoupliront alors la violence de l’ajustement, violence amplifiée par l’arrivée à terme de mesures exceptionnelles de soutien aux revenus et à l’activité prises au cœur de la crise.

Les marges de négociations sont étroites. Sur l’année fiscale 2013, le déficit de l’ensemble du secteur public atteint 7 % du PIB – après 12,8 % sur l’année fiscale 2009, et le déficit du gouvernement fédéral affiche 4,1 % du PIB – après 9,8 %. La dette fédérale représente actuellement 72,7 % du PIB et continue d’augmenter. Par ailleurs, la croissance reste faible : 2,2 % en moyenne annuelle depuis la reprise de 2010 et 1,8 % attendu en 2013, et surtout insuffisante pour redynamiser le marché de l’emploi. Dès lors, comment mener une politique budgétaire de soutien à la croissance sur fond de rigueur budgétaire, de réduction des déficits et surtout de respect des engagements antérieurement actés par le Congrès[3],notamment du Budget Control Act of 2011 ? A la suite de la crise du plafond de la dette fédérale en juillet 2011, le président Obama signait le 2 août 2011 le Budget Control Act of 2011 qui conditionnait le relèvement du plafond de la dette fédérale à une réduction massive des dépenses publiques sur 10 ans. En plus de l’introduction de plafonds sur les dépenses discrétionnaires[4], 1200 milliards de dollars de coupes automatiques (sequestrations) dans les dépenses ont été prévus sur la période 2013-2021 selon un principe de parité entre les budgets de la défense et hors défense. Ont été exemptés un certain nombre de programmes sociaux (assurance vieillesse, programme Medicaid, garanties de revenu…) tandis que les coupes du programme Medicare, destiné aux personnes âgées, ont été limitées à 2 %. Au total, les coupes s’appliquent sur un peu moins de la moitié des dépenses du gouvernement fédéral et représentent 109 milliards par an d’économies réalisées sur le déficit, soit 0,6 % du PIB.

Sur l’année fiscale 2014, selon le CBO, la combinaison de ces deux mesures (dépenses discrétionnaires plafonnées et coupes automatiques dans les budgets non protégés) ainsi que la reconduction du montant des crédits de 2013 à 2014 (donc un budget constant en nominal), conduisent à des coupes dans les dépenses discrétionnaires de 20 milliards de dollars qui devront être intégralement supportées par le Pentagone. Sur cette base, si les coupes sont maintenues, les dépenses discrétionnaires des budgets de la défense et hors défense auront baissé respectivement de 17 % et 17,8%, en termes réels entre 2010 et 2014.

Mais en plus de ces coupes brutales, d’autres programmes, dont ceux principalement destinés aux ménages à bas revenus, vont connaître en 2014 une réduction de leur budget du fait de l’arrivée à échéance des mesures exceptionnelles dont ils bénéficiaient jusqu’alors. Ainsi, le programme d’extension de l’allocation chômage créé le 30 juin 2008 pour les chômeurs ayant épuisé leurs droits (Emergency Unemployment Compensation) se termine au 1er janvier 2014. Cet arrêt devrait frapper 4 millions de personnes si rien n’est envisagé.

C’est également le cas du programme SNAP (Supplemental Nutrition Assistance Program) qui avait bénéficié dans le cadre de l’American Recovery and Reinvestment Act de 2009 de ressources supplémentaires qui se sont éteintes au 1er novembre dernier. Or,47,7 millions de bénéficiaires (soit 15 % de la population) ont reçu des bons alimentaires cette année. Selon le CBPP, cette baisse de 7 % des ressources du programme devrait se traduire par un recul de 4 millions du nombre de bénéficiaires.

Autre exemple, le programme des aides au logement pour les 2,1 millions de familles qui ne peuvent se loger dignement devrait être affecté lui aussi par l’arrivée à échéance des rallonges budgétaires instituées en 2009 et les coupes automatiques. Si les budgets ne sont pas reconduits, entre 125 000 à 185 000 des familles bénéficiaires à la fin 2012 ne percevront plus les aides à la fin 2014.

Selon les informations actuellement disponibles, un accorda minima du Budget Conference Committee semble se dessiner. Les coupes dans le budget de la défense pourraient être validées[5] tandis que d’éventuelles hausses de redevances de services publics permettraient de financer des rallonges budgétaires pour certains programmes sociaux, et d’alléger l’impact des coupes automatiques. En avril dernier, le Président Obama avait présenté devant le Congrès son Projet de Budget 2014. Il proposait à l’époque de supprimer les procédures de coupes automatiques, de réduire à long terme la dette par une vaste réforme budgétaire, et à plus court terme, de différer une partie des restrictions budgétaires 2014 sur les années fiscales 2015 et 2016 afin de soutenir la croissance. L’accord qui sera vraisemblablement présenté au Congrès d’ici le 13 décembre ne devrait pas avoir cette ambition. Face aux républicains (majoritaires à la Chambre des représentants) partisans d’économies supplémentaires, les démocrates (majoritaires au Sénat) vont avoir du mal à défendre une hausse des dépenses publiques en 2014 et empêcher que la politique budgétaire soit aussi pénalisante pour la croissance cette année qu’elle ne l’a été en 2013.

 


[1] A défaut d’avoir été adopté par le Congrès, le budget 2014 est depuis le 16 octobre financé par une Continuing Resolution (voir note 2) sur la base des montants du budget 2013.La résolution agit rétroactivement à partir du 1er jour de l’année fiscale 2014, soit le 1er octobre 2013, et jusqu’au 15 janvier 2014.

[2] Une Continuing Resolution est une résolution provisoire adoptée par le Congrès qui permet de reconduire les crédits alloués l’année fiscale précédente à l’année fiscale en cours, en attendant que soient votés les nouveaux crédits.

[3] Selon le CBPP, si l’on considère l’ensemble des mesures de réduction du déficit prises depuis 2010 dans le Budget 2011, le Budget Control Act of 2011 et l’American Taxpayer Relief Act de 2012, l’impact cumulé sur le déficit serait de 4000 milliards sur la période 2014-2023, soit l’équivalent de 24 % du PIB de 2013.

[4] Les dépenses discrétionnaires (33 % des dépenses fédérales) sont les dépenses dont les budgets sont votés sur une base annuelle à la différence des dépenses obligatoires (61 %) qui sont assises sur des programmes faisant l’objet d’une loi antérieure. La politique budgétaire du gouvernement, côté dépenses, est principalement assise sur l’évolution des dépenses discrétionnaires, qui sont des dépenses structurelles.

[5] Les dépenses liées à la défense ont déjà baissé de 13,1 % en termes réels, entre le troisième trimestre 2010 et le troisième trimestre 2013.




Pas de surprise du côté de la Fed*

par Christine Rifflart

Sans grande surprise, lors de sa réunion des 29 et 30 octobre, le Comité de politique monétaire de la Réserve fédérale des Etats-Unis a décidé de maintenir ses mesures non conventionnelles et de laisser inchangé son taux des fonds fédéraux. Depuis la fin de l’année 2012, la Réserve fédérale procède en effet à des achats massifs de titres (obligations publiques et titres de dette hypothécaire) au rythme de 85 milliards de dollars par mois. L’objectif est de faire pression sur les taux longs et soutenir l’activité, y compris sur le marché immobilier.

Par ailleurs, la Réserve fédérale, engagée dans une stratégie de transparence et de communication qui vise à ancrer les anticipations des investisseurs, n’a fait que confirmer le maintien du taux entre 0 et 0,25 % aussi longtemps que le taux de chômage sera supérieur à 6,5 %, que l’inflation anticipée à l’horizon d’ 1 à 2 ans ne sera pas supérieure d’un demi-point à l’objectif d’inflation de long terme, fixé à 2 %, et que les anticipations d’inflation de long terme resteront stables. Selon nos prévisions d’octobre (voir Etats-Unis : la croissance plafonnée), le taux de chômage, de 7,2 % en septembre pourrait atteindre 6,9 % fin 2014. Enfin, l’inflation, à 1,5 % au troisième trimestre 2013, ne dépasserait pas 1,8 % en 2014. Dans ces conditions, aucune hausse n’est attendue avant le deuxième semestre 2015. La politique restera donc particulièrement accommodante.

Les incertitudes portaient davantage sur le retrait effectif des mesures non conventionnelles qui maintiennent les taux longs à des niveaux artificiellement bas. Annoncé en mai dernier, l’arrêt ou la réduction de ces mesures est attendu par les marchés, ces mesures n’ayant pas vocation à durer. Entre mai et septembre 2013, les investisseurs privés ou publics étrangers avaient anticipé le début du retrait et s’étaient défaussés d’une partie de leurs titres. Cet afflux de titres avait fait chuter les prix et entraîné une hausse d’un point des taux longs publics en quelques semaines. Mais la fragilité de la croissance, l’insuffisance des créations d’emploi et surtout l’exercice de communication dans lequel se sont lancées les Banques centrales pour rassurer les marchés financiers ont éloigné au fil des mois, la date d’application de ce retrait des achats. Les taux longs ont à nouveau baissé, et encore plus ces dernières semaines après la crise budgétaire d’octobre.

Si, rétrospectivement, il apparaît que l’anticipation d’un retrait des mesures non conventionnelles était prématurée, il n’en demeure pas moins que la question du timing se pose. Dans son communiqué, le Comité précise que la décision dépendra des perspectives économiques tout autant que de l’évaluation coût / bénéfice du programme. Or, le paysage économique ne devrait pas s’améliorer dans les prochains mois. Si le Congrès parvient à un accord budgétaire avant le 13 décembre, celui-ci se fera assurément sur la base de coupes dans les dépenses publiques. Ce nouveau choc budgétaire viendra freiner encore la croissance et pénaliser davantage le marché du travail. L’émission de nouveaux titres de dette, contrainte en 2013 par le plafond légal de la dette, progresserait alors très lentement en 2014 du fait des ajustements budgétaires. Face à cette modération de l’offre de titres, la Réserve fédérale pourrait réduire ses achats au profit des autres investisseurs. L’équilibre sur le marché des titres pourrait alors être maintenu sans baisse brutale du prix des actifs.

Cette normalisation des instruments de politique monétaire ne devrait pas tarder. Mais elle n’est pas sans risque car une brusque hausse des taux longs n’est pas exclue. Les marchés sont volatiles et l’épisode des mois de mai et juin l’a rappelé. Mais une grande partie du mouvement est déjà intégré par les marchés. La Réserve fédérale devra donc amplifier sa stratégie de communication (en annonçant à l’avance par exemple la date et l’ampleur du retrait) si elle veut réussir le difficile exercice d’équilibriste de maintien d’une politique monétaire très accommodante tout en levant progressivement ses mesures exceptionnelles de bas taux d’intérêt. On fait l’hypothèse que l’exercice sera réussi. Les taux longs publics de 2,7 % au troisième trimestre 2013, ne devraient pas dépasser 3,5 % à la fin de 2014.

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*Ce texte s’appuie sur l’étude « Politique monétaire : est ce le début de la fin ? » à paraitre prochainement dans les perspectives 2013-2014 de l’OFCE pour l’économie mondiale.