Les mesures d’austérité dans la zone euro ralentissent l’économie européenne

Rapport de l’IMK-OFCE-WIFO, 29 mars 2012 (Contact à l’OFCE : Catherine Mathieu) 

Version courte du Communiqué de Presse diffusé par l’IMK, le 29 mars 2012. Le texte original est consultable sur : http://www.boeckler.de/pdf/p_imk_report_71_2012.pdf; et en version anglaise sur http://www.boeckler.de/pdf/p_imk_report_71e_2012.pdf

L’Institut de macroéconomie et de conjoncture (IMK) à la fondation Hans-Böckler, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et l’Institut autrichien de recherche économique (WIFO) ont publié jeudi 29 mars un Rapport soulignant que la crise dans la zone euro et les politiques d’austérité provoquent un ralentissement économique dans de nombreux pays européens et posent un fort défi à l’économie allemande cette année et l’année prochaine.

Le rapport comprend une prévision de court terme centrée sur l’économie allemande, une prévision de moyen terme et des analyses de politique économique portant sur les économies européennes. L’exercice de prévision commune réalisé par les Instituts dans le cadre de ce projet est par principe indépendant des propres prévisions menées par chaque Institut. Cependant, les analyses réalisées, le diagnostic et les conclusions de politique économique sont largement les mêmes, comme l’on peut le constater à la lecture des dernières prévisions de l’OFCE.

Ainsi, les trois instituts soulignent que la crise dans la zone euro et les politiques d’austérité provoquent un ralentissement économique dans de nombreux pays européens et posent un fort défi à l’économie allemande cette année et l’année prochaine. En 2012, l’Allemagne connaitra une stagnation économique. Le PIB n’augmentera que de 0,3 %. En 2013, la situation ne s’améliorerait que légèrement – le PIB devrait croître de 0,7 %. La France, le partenaire commercial le plus important de l’Allemagne, atteindra seulement des taux de croissance de 0,2 % en 2012 et de 0,7 % en 2013. En raison d’une croissance négative dans les pays d’Europe du Sud et même aux Pays-Bas et en Belgique, la zone euro dans son ensemble connaîtrait une récession prolongée : le PIB de la zone euro baisserait de 0,8 % en 2012 ; puis de 0,5 % en 2013.

La baisse de la demande en provenance des pays voisins ralentit à la fois les exportations et les investissements allemands. En outre, la dynamique économique mondiale diminue également : dans de nombreux pays d’Asie et d’Amérique latine, les taux de croissance ralentissent sensiblement. En 2012, la consommation relativement soutenue sera donc le seul moteur de l’économie allemande. La faiblesse de la croissance mettra aussi fin à la forte reprise du marché de travail mais sans retournement : en 2012, le taux de chômage diminuera à nouveau légèrement. En 2013, l’emploi et le chômage resteront stables.

Par rapport à la prévision de l’IMK de décembre 2011, les chercheurs du réseau ont légèrement revu à la hausse les prévisions de la croissance du PIB allemand en 2012 de 0,4 point.

Selon Gustav A. Horn, le directeur scientifique de l’IMK : « L’idée que l’Allemagne pourrait réorienter ses exportations de la zone euro vers l’extérieur de la zone est une illusion. Les pays de la zone resteront nos partenaires commerciaux principaux. La politique d’austérité excessive d’un bon nombre de ces pays – imposée par le pacte budgétaire à la quasi-totalité de l’UE – nous frappera durement. Bien sûr, les pays de la zone euro en crise doivent réduire leurs déficits. Mais une politique d’austérité généralisée de tous les pays européens va étouffer la croissance et mettre ainsi en question l’amélioration des finances publiques elle-même. Pour trouver une issue à la crise, la stratégie économique de l’Europe doit comporter une politique globalement expansionniste. Toute autre politique déstabiliserait les marchés financiers plutôt qu’elle ne les calmerait ».

Attention à un changement de la politique de la BCE

Cependant, l’IMK, l’OFCE et WIFO ne prévoient pas d’aggravation de la crise de la dette dans la zone euro. Ils estiment que la BCE poursuivra sa stratégie jusqu’à présent efficace : fournir des liquidités à des conditions favorables aux banques et d’acheter des obligations publiques sur les marchés secondaires pour faire baisser les taux d’intérêt. Les chercheurs mettent explicitement en garde contre un changement de cap : « Dans le contexte de la crise, les récentes tentatives pour empêcher la BCE de poursuivre une fourniture abondante de liquidités sont très dangereuses. »

Perte de croissance du fait des politiques budgétaires restrictives

Les instituts du Réseau ont calculé les conséquences des mesures d’austérité dans leurs projections de moyen terme. Entre 2010 et 2013, les pays de la zone euro effectueront des impulsions budgétaires négatives représentant, au total, de 6,7 points du PIB de la zone. Dans les pays en crise comme l’Irlande, l’Espagne, le Portugal et la Grèce, ces impulsions sont encore plus fortes, allant de 12 à 24 points de PIB. Elles provoqueront des pertes de croissance cumulées allant de 10 % du PIB en Irlande à 25,3 % en Grèce : « c’est un effondrement total de l’économie grecque, » écrivent les chercheurs.

La croissance ralentira aussi en Italie, en France et même aux Pays-Bas en raison des fortes impulsions négatives allant de 5 à 9 points de PIB cumulées entre 2010 et 2013. Les pertes de croissance induites entre 2010 et 2013 sont de 4,6 % aux Pays-Bas, de 8 % en France et de  9,6 % en Italie. Par contre, l’impulsion budgétaire négative de 1,5 % en Allemagne est relativement faible. Mais en raison des liens économiques étroits avec les pays en crise, la croissance allemande de la période 2010-2013 subira une baisse de 2,7 % par rapport à un scénario sans austérité.  Dans les pays en crise, les pertes de croissance réduisent fortement les efforts de réduction des déficits publics du fait des baisses de recettes fiscales et de l’augmentation de certaines dépenses, comme celles d’indemnisation du chômage. Dans l’ensemble, « la politique d’austérité généralisée mise en œuvre dans le cadre du pacte budgétaire élargira le fossé au sein de la zone euro entre d’un côté les pays du Sud de l’Europe et de l’autre l’Allemagne et les autres pays d’Europe centrale et du Nord. Par cette politique, la crise ne sera pas résolue mais aggravée », avertissent les instituts.

Les chercheurs ont aussi étudié des stratégies alternatives sans austérité budgétaire. Ainsi ont-ils simulé les effets d’une stratégie de bas taux d’intérêt. Le scénario est basé sur l’hypothèse que les taux d’intérêt à 10 ans pour le financement des états membres de la zone euro pourraient être fixés à 2%, par une garantie collective des dettes publiques soutenue par la BCE. Cela rendrait possible d’abandonner les conditions contraignantes imposées par le pacte budgétaire. Dans ce scénario, la croissance économique serait nettement plus forte – de 0,8 point par an en moyenne entre 2012 et 2016 à l’échelle de la zone euro – et le chômage plus faible que dans le scénario acceptant les contraintes du Pacte budgétaire. Certes, les déficits publics resteraient plus forts, mais, en raison de la plus forte croissance, les ratios de dettes publiques seraient plus bas.




Qui sème la restriction récolte la récession

par le Département Analyse et Prévisions, sous la direction de X. Timbeau

Ce texte résume la note de l’OFCE n°16 donnant les perspectives de l’économie mondiale 2012-2013.

Le paroxysme de la crise des dettes souveraines est passé. La dette publique grecque est restructurée et diminuera, au prix d’un défaut, de 160 à 120 % du PIB. Cette restructuration autorise le déblocage du soutien financier de la troïka à la Grèce et résout pour l’instant le problème de financement du renouvellement de la dette publique grecque. La contagion qui avait frappé la plupart des pays de la zone euro, et qui s’était traduite par une hausse des taux souverains, est interrompue. La détente est sensible par rapport au début de l’année 2012 et le risque d’un éclatement de la zone euro est largement réduit, du moins dans le court terme. Pour autant le processus de transformation de la Grande Récession, amorcée en 2008, en très Grande Récession n’est pas interrompu par le soulagement temporaire apporté à la crise grecque.

D’une part, l’économie mondiale, et singulièrement la zone euro, restent dans une zone de risque où, à nouveau, une crise systémique menace et d’autre part, la stratégie choisie par l’Europe, à savoir la réduction rapide de la dette publique (qui suppose la réduction des déficits publics et leur maintien en deçà des déficits qui stabilisent la dette) compromet l’objectif annoncé. Or, puisque la crédibilité de cette stratégie est perçue, à tort ou à raison comme une étape indispensable en zone euro pour rassurer les marchés financiers et permettre le financement à un taux acceptable de la dette publique (entre 10 et 20 % de cette dette étant refinancés chaque année), la difficulté à atteindre l’objectif oblige à une rigueur toujours plus grande. La zone euro apparaît comme courant après une stratégie dont elle ne maîtrise pas les leviers, ce qui ne peut qu’alimenter la spéculation et l’incertitude.

Nos prévisions pour la zone euro concluent à une récession de 0,4 point en 2012 et une croissance de 0,3 point en 2013 (tableau 1). Le PIB par tête baisserait en 2012 pour la zone euro et serait stable en 2013. Le Royaume Uni échapperait à la récession en 2012, mais la croissance du PIB resterait en 2012 et en 2013 en deçà de 1% par an. Aux Etats-Unis, la croissance du PIB accélèrerait à 2,3% par an en 2012 après une année 2011 à 1,7%. Bien qu’il soit supérieur à celui de la zone euro, ce taux de croissance peine à enclencher une hausse du PIB par tête et ne permet pas une décrue significative du chômage.

L’épicentre de la crise se déplace ainsi vers le Vieux continent et compromet la sortie de crise pour les pays développés. Confrontés plus encore que la zone euro à une situation budgétaire dégradée et donc à l’alourdissement de la dette, les Etats-Unis et le Royaume-Uni redoutent l’insoutenabilité de leur dette publique. Mais parce que la croissance compte tout autant pour assurer la stabilité de la dette, la restriction budgétaire en zone euro qui pèse sur leur activité ne fait qu’accroître leurs difficultés.

En privilégiant la réduction rapide des déficits et de la dette publique, les responsables politiques de la zone euro révèlent qu’ils croient que le futur sera celui du pire scénario. S’en remettre à la soi-disant discipline des marchés pour rappeler à l’ordre les pays dont les finances publiques sont dégradées ne fait qu’aggraver, par le renchérissement des taux d’intérêts, le problème de soutenabilité. Par le jeu du multiplicateur, toujours sous-estimé dans l’élaboration des stratégies ou des prévisions, les politiques d’ajustement budgétaire entraînent une réduction d’activité qui valide la croyance résignée dans un “new normal” dégradé. In fine, elle ne fait que s’auto-réaliser.




Taxe carbone aux frontières européennes : attachons nos ceintures !

par Éloi Laurent et Jacques Le Cacheux

Comment contourner l’impasse actuelle des négociations climatiques internationales ? Par un dosage optimal d’incitations et de contraintes. Dans l’affaire qui l’oppose actuellement aux compagnies aériennes mondiales, l’Union européenne applique de manière justifiée cette combinaison gagnante pour imposer ce qui s’apparente à une taxe carbone à ses frontières. Elle brandit la menace de la contrainte de sanctions financières pour encourager un accord sectoriel qui n’a que trop tardé entre les compagnies aériennes en vue de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES).

Le bras de fer engagé par les compagnies aériennes de plusieurs grands pays, avec l’appui plus ou moins ouvert de leurs gouvernements, contre l’application de cette nouvelle réglementation sur les émissions de gaz à effet de serre des appareils desservant le territoire de l’Union européenne (UE) constitue, dans cette perspective, un test crucial et un enjeu symbolique considérable, car c’est une grande première : toutes les compagnies aériennes desservant les aéroports de l’UE sont assujetties à la nouvelle mesure, de quelque nationalité qu’elles soient. Les responsables européens ont, le 9 mars dernier, réaffirmé leur détermination à maintenir cette réglementation, aussi longtemps qu’une solution satisfaisante n’aura pas été proposée par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) ; or 26 des 36 Etats membres du Conseil de l’OACI, dont la Chine, les Etats-Unis et la Russie, se sont déclarés hostiles aux nouvelles contraintes européennes, enjoignant leurs compagnies aériennes de ne pas s’y soumettre. Et le gouvernement chinois menace à présent de bloquer, voire d’annuler, les commandes de 45 appareils Airbus, dont 10 gros porteurs A380, si la décision européenne n’est pas abrogée.

Des émissions aériennes en forte hausse

Les émissions de GES imputables au transport aérien ne représentent qu’environ 3 % des émissions mondiales et européennes (de l’ordre de 12 % des émissions totales issues des transports dans l’UE). Mais, en dépit des progrès accomplis par les avionneurs en matière d’intensité énergétique, ces émissions, qui sont encore modestes au regard du transport routier, connaissent une croissance explosive depuis 20 ans, beaucoup plus rapide que celle de tous les autres secteurs, y compris le transport maritime (graphique). Il faut donc les maîtriser.

En outre, les carburants utilisés par les compagnies aériennes ne sont, dans la plupart des pays et notamment dans l’UE, pas soumis à la taxation habituelle qui frappe les produits pétroliers, ce qui constitue une évidente distorsion de concurrence par rapport aux autres modes de transport.

Un cadre juridique robuste

Entrée en vigueur le 1er janvier 2012, la nouvelle réglementation européenne oblige toutes les compagnies aériennes desservant les aéroports de l’UE à acquérir des permis d’émission pour un montant correspondant à 15 % des émissions de CO2 engendrées par chaque trajet à destination ou en provenance de ces aéroports. Non discriminatoire, puisqu’elle concerne indistinctement toutes les compagnies desservant l’espace européen, quelle qu’en soit la nationalité ou la résidence, cette obligation fondée sur la protection de l’environnement est dès lors parfaitement conforme à la Charte de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Elle est également bien entendu conforme aux traités européens mais aussi aux diverses dispositions du droit international en matière d’aviation civile, comme l’a rappelé, dans son arrêt du 21 décembre 2011, la Cour de justice de l’Union européenne saisie par plusieurs compagnies aériennes américaines qui en contestaient la légalité. Le cadre juridique de cette nouvelle disposition est donc robuste.

Vers la mort du transport aérien ?

Les compagnies aériennes et les gouvernements des principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre hostiles à cette mesure justifient leur opposition frontale par son inopportunité, dans la conjoncture actuelle de faiblesse de la croissance et de hausse du coût des carburants, et par son coût excessif : la hausse induite des tarifs aériens passagers serait de nature à déprimer davantage une industrie déjà fragilisée.

En réalité, la mesure est largement symbolique et son coût presque insignifiant. Que l’on en juge : selon le calculateur Air France agréé par l’ADEME, les émissions par passager pour un aller-retour sont d’un peu plus d’une tonne de gaz carbonique pour un Paris-New-York, et d’environ 1,4 tonne pour un Paris-Pékin. Le prix actuel de la tonne de carbone sur l’ETS – le marché européen du carbone sur lequel les compagnies doivent acquérir les permis d’émission – étant d’un peu moins de 8 euros, le surcoût par billet s’établit respectivement à 1,2 euro pour un Paris-New-York et 1,7 euro pour un Paris-Pékin ! (le calculateur de l’OACI donne des estimations encore inférieures).

Vers la guerre commerciale ?

Les menaces d’annulation de commandes d’Airbus ou d’autres représailles commerciales sont évidemment sans commune mesure avec l’incidence économique de la taxe sur le ciel européen en l’état actuel de la législation. Craindre que celle-ci ne déclenche une « guerre commerciale », c’est en outre oublier que cette guerre est déjà déclarée dans l’industrie, en particulier dans le secteur aérien (avec la multiplication des subventions publiques plus ou moins déguisées, y compris en Europe et l’usage du taux de change, véritable arme de politique industrielle). De plus, les accords ou les annulations de commande dans ce secteur sont de toute façon très souvent influencés par le contexte politique, parfois pour des motifs douteux (comme dans le cas de rapprochements diplomatiques avec des régimes peu fréquentables). Ici, le motif est légitime, puisqu’il s’agit de défendre l’intégrité de la politique climatique européenne.

Relayées par les groupes de pression ciblés – en l’occurrence les avionneurs –, les menaces et chantages de tous ordres sont destinés à faire fléchir les gouvernements pour obtenir des gains à courte vue. Ils visent notamment les pays, au premier rang desquels l’Allemagne et la Pologne, qui traînent aujourd’hui des pieds pour accepter la proposition de la Commission d’accélérer le rythme de réduction des émissions européennes, en passant de 20 % à 30 % l’objectif de réduction des émissions en 2020 (par rapport au niveau de 1990). L’Allemagne et la Pologne agissent, comme c’est au demeurant leur droit, sur le dossier climatique, respectivement, conformément à une stratégie de croissance fondée sur les exportations et une stratégie énergétique fondée sur le charbon. Dans les deux cas, il s’agit de choix nationaux qui ne doivent pas prévaloir sur les orientations européennes. Il n’y a donc, du point de vue de l’intérêt européen, aucune raison valable de céder à ces pressions, même relayées par certains Etats membres.

En confirmant sa détermination, l’UE peut administrer la preuve que son leadership par l’exemple sur le plan climatique dépasse l’enjeu de l’exemplarité morale pour aboutir à des changements effectifs de comportements économiques. L’UE peut donner à voir toute l’efficacité d’une stratégie climatique régionale dans un contexte global bloqué. S’il devait se confirmer, le succès de la stratégie européenne, consistant à inciter à des stratégies coopératives sous la menace crédible de sanctions, indiquerait la voie pour sortir de l’impasse des négociations climatiques.

L’Union européenne va, dans les prochaines semaines, traverser une zone de turbulences (une de plus) sur le dossier de sa taxe carbone aux frontières. Il serait juridiquement absurde et politiquement très coûteux de faire machine arrière maintenant : attachons plutôt nos ceintures et attendons tranquillement l’extinction du signal lumineux.

 

 




Fallait-il renforcer le Pacte de stabilité et de croissance ?

par Jérôme Creel, Paul Hubert et Francesco Saraceno

 

La crise budgétaire européenne et l’exigence de réduire les niveaux de dette publique qui a suivie ont accéléré l’adoption d’une série de réformes des règles budgétaires européennes à la fin de l’année 2011. Deux règles ont été introduites afin de renforcer le pacte de stabilité et de croissance (PSC). Etant donné que de nombreux Etats membres de la zone euro ont des déficits structurels et des dettes publiques supérieurs aux seuils considérés, il nous a semblé intéressant d’évaluer les conséquences macroéconomiques du respect de ces règles budgétaires par 4 pays, dont la France. 

La limite actuelle de déficit public à 3% du PIB a été complétée par une limite sur le déficit structurel équivalant à 0,5% du PIB, et par une règle de réduction de la dette imposant aux pays fortement endettés de réduire chaque année leur taux d’endettement public d’1/20e de la différence vis-à-vis du niveau de référence de 60% du PIB. De plus, la limite de déficit structurel va au-delà de la règle des 3% car elle est associée à l’obligation d’incorporer une règle de budget équilibré et des mécanismes automatiques de retour à l’équilibre budgétaire dans la Constitution de chaque Etat membre de la zone euro. Par un malheureux abus de langage, elle est désormais souvent qualifiée de « règle d’or » [1]. Afin de distinguer la « règle d’or des finances publiques » appliquée par les régions françaises, les Länder allemands et, de 1997 à 2009, par le Royaume-Uni, nous qualifierons par la suite cette « règle de budget équilibré » de  « nouvelle règle d’or ».

Du fait de la crise financière internationale qui sévit depuis 2007, les Etats de la zone euro sont souvent loin de satisfaire aux exigences des nouvelles règles en vigueur. Cela pose donc la question des conséquences que le respect de ces règles imposerait à ces Etats.  Pour ce faire, nous avons choisi d’étudier les trajectoires de convergence aux différentes règles de quatre pays, représentatifs de la zone euro, à l’aide d’un modèle théorique standard.

Nous avons choisi un grand pays avec un niveau moyen d’endettement public (France), un petit pays avec une dette un peu plus élevée (Belgique), un grand pays avec une dette élevée (Italie) et un petit pays avec une dette comparativement assez faible (Pays-Bas). La taille des pays, grande ou petite, est associée à la taille de leur multiplicateur budgétaire, l’effet des dépenses publiques sur la croissance : les grands pays moins ouverts que les petits pays au commerce international ont un effet multiplicateur plus important que les petits pays. Les quatre pays diffèrent également en fonction de la taille et du signe de leur solde primaire structurel en 2010 : la France et les Pays-Bas ont un déficit, alors que la Belgique et l’Italie dégagent un excédent.

Dans le modèle, l’évolution du déficit public est contracyclique et l’impact d’une hausse du déficit public sur le PIB est positif, mais un endettement excessif augmente la prime de risque sur les taux d’intérêt de long terme payés pour financer cette dette, ce qui nuit in fine à l’efficacité de la politique budgétaire.

Les règles que nous simulons sont : (a) l’équilibre (à 0,5% du PIB) du budget ou «nouvelle règle d’or» ; (b) la règle de 5% par an de réduction de la dette ; (c) le plafond de 3% de déficit total (statu quo). Nous évaluons également : (d) l’effet de l’adoption d’une règle d’investissement dans la veine de la règle d’or des finances publiques qui, de façon générale, impose l’équilibre budgétaire au cours du cycle pour les dépenses courantes, tout en permettant de financer l’investissement public par la dette.

Nous simulons sur 20 ans, i.e. l’horizon de réalisation de la règle du 1/20e, l’effet des règles sur la croissance, le taux d’inflation et le déficit public structurel, ainsi que sur le niveau de la dette publique. Premièrement, nous analysons le chemin suivi par les quatre économies après l’adoption de chaque règle budgétaire à partir de 2010. Nous demandons, en d’autres termes, comment les règles fonctionnent dans un scénario de consolidation budgétaire que l’Europe connaît d’ores et déjà aujourd’hui. Deuxièmement, nous simulons la dynamique de l’économie après un choc de demande et un choc d’offre, partant de la situation de base du Traité de Maastricht, avec l’économie à un taux de croissance nominal de 5% (une croissance potentielle à 3% et un taux d’inflation de 2%), et un niveau d’endettement de 60%. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que la croissance potentielle réelle dans les pays de la zone euro a été constamment inférieure à 3% depuis 1992, ce qui a contribué à rendre encore plus contraignante qu’initialement prévu la règle coercitive pesant sur les finances publiques.

Les résultats de nos simulations sont multiples. Premièrement, l’adoption des règles produit dans tous les cas une récession à court terme, même dans les petits pays avec un multiplicateur budgétaire faible et une faible dette publique initiale comme aux Pays-Bas. Cela complète le diagnostic selon lequel la rigueur généralisée en Europe nuit immanquablement à la croissance (cf. La très grande récession, 2011) en montrant qu’il n’existe pas de règle budgétaire qui, appliquée scrupuleusement à court terme, permet d’échapper à une récession. Cette constatation révèle une incitation, de la part des gouvernants, à dissocier les usages de jure et de facto des règles budgétaires : les annonces ont tout intérêt à ne pas être suivies d’effets, si l’objectif final de la politique économique est la préservation et la stabilité de la croissance économique.

Deuxièmement, les récessions peuvent engendrer la déflation. En vertu de la contrainte à zéro pesant sur les taux d’intérêt nominaux, une déflation est très difficile à inverser avec une contrainte budgétaire.

Troisièmement, la règle d’investissement aboutit à de meilleures performances macroéconomiques que les trois autres règles : les récessions sont plus courtes, moins prononcées et aussi moins inflationnistes sur l’horizon considéré. In fine, les niveaux de dette publique diminuent certes moins qu’avec la règle du 1/20e mais, sous l’effet de la croissance engendrée, la dette publique française perd 10 points de PIB par rapport à son niveau de 2010, tandis que les dettes belges et italiennes diminuent respectivement de 30 et 50 points de PIB. Seul le pays initialement le moins endetté, les Pays-Bas, voit sa dette stagner.

Quatrièmement, en faisant abstraction de la règle d’investissement qui ne figure pas dans les projets européens, il apparaît que le statu quo est plus favorable que la « nouvelle règle d’or » ou que la règle de réduction de la dette en termes de croissance ; il s’avère cependant plus inflationniste pour les grands pays. En termes de croissance, cela semble signifier que le renforcement du Pacte de stabilité et de croissance, appliqué brutalement, serait préjudiciable aux 4 économies considérées.

Cinquièmement, lorsque l’économie à l’équilibre est frappée par des chocs de demande et d’offre, le statu quo semble approprié. Ceci confirme l’idée que le PSC actuel donne des marges de manœuvre budgétaire. Les simulations montrent néanmoins que le statu quo reste coûteux en comparaison avec la règle de l’investissement.

Pour conclure, il est difficile de ne pas remarquer un paradoxe : des règles visant à empêcher les gouvernements d’intervenir dans l’économie sont discutées précisément après la crise financière mondiale qui a requis des gouvernements qu’ils interviennent afin de contribuer à amortir les chocs découlant de défaillances de marché. Ce travail vise ainsi à réorienter le débat de l’objectif de  stabilisation budgétaire à celui de stabilisation macroéconomique. Les autorités européennes – les gouvernements, la BCE, ou la Commission – semblent considérer la dette et le déficit publics comme des objectifs politiques en soi, plutôt que comme des instruments pour atteindre les objectifs finaux de croissance et d’inflation. Ce renversement des objectifs et des instruments équivaut à nier a priori tout rôle à la politique macroéconomique. De nombreux travaux [2], dont celui que nous avons mené, adoptent plutôt la position opposée : la politique économique joue certainement un rôle dans la stabilisation des économies.

 

 

[1] Cet abus de langage a notamment été dénoncé par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak en 2011, ou par Bernard Schwengler en 2012.

[2] Voir par exemple, en anglais, l’étude transversale parue en 2012 dans American Economic Journal, Macroeconomics, et la bibliographie qu’elle contient, ou, en français, l’étude parue en 2011 de Creel, Heyer et Plane, sur les effets multiplicateurs de politiques temporaires de relance budgétaire.

 

 




La rigueur ne suffit pas

par André Grjebine et Francesco Saraceno

[Article paru dans Le Monde le 19/1/2012]

On peut bien entendu s’interroger sur la légitimité de la place acquise par les agences de notation dans l’économie internationale. Mais, tant qu’à faire, si on doit prendre en compte leur message, autant se déterminer par rapport à ce qu’elles disent vraiment et non par rapport à l’orthodoxie économique qu’on leur prête, parfois à tort. La puissance de celle-ci est pourtant si grande que bien des commentateurs continuent à discourir sur la décision de Standard & Poor’s (S&P) de dégrader la note de la France et d’autres pays européens en l’attribuant à une politique de rigueur qui aurait été jugée insuffisante.

En réalité, l’agence de notation justifie la dégradation qu’elle vient de décider par des arguments qui sont à l’opposé de cette orthodoxie. L’agence critique ainsi l’accord entre dirigeants européens, tel qu’il est ressorti du sommet européen du 9 décembre 2011 et des déclarations qui l’ont suivi, en lui reprochant de n’avoir en vue qu’un seul aspect de la crise, “celle-ci étant censée découler de la prodigalité budgétaire des pays périphériques de la zone euro. Selon nous, cependant, les problèmes financiers de la zone euro sont tout autant une conséquence des déséquilibres extérieurs croissants et de la divergence de compétitivité entre le noyau de l’UEM et la soi-disant périphérie. De ce fait, un processus de réformes basé sur le seul pilier de l’austérité budgétaire risque de s’avérer autodestructeur, l’inquiétude des consommateurs quant à leur emploi et leurs revenus réduisant la demande intérieure et celle-ci conduisant à une baisse des recettes fiscales”.

En vertu de quoi, S&P estime que le principal risque qui peut affecter les Etats européens peut provenir d’une détérioration des situations budgétaires de certains d’entre eux “par suite d’un environnement macroéconomique plus récessionniste”. De ce fait, S&P n’exclut pas une nouvelle dégradation, dans l’année qui vient, de la notation de pays de la zone euro.

Dès lors, s’ils prennent en compte l’exposé des motifs de l’agence de notation, les pays européens devraient mettre en oeuvre des politiques économiques susceptibles à la fois de soutenir la croissance et de faciliter ainsi le remboursement des dettes publiques et de rééquilibrer les balances courantes entre pays de la zone euro. Ce double objectif ne paraît pouvoir être obtenu que par une relance dans les pays excédentaires, en premier lieu en Allemagne.

Dette insoutenable

L’effort de redressement budgétaire imposé aux pays de la périphérie devrait, par ailleurs, être étalé sur une période assez longue pour que ses effets récessifs soient minimisés. Une telle stratégie répondrait au principe selon lequel dans un ensemble aussi hétérogène que la zone euro, les politiques nationales des pays membres doivent être synchronisées, mais certainement pas convergentes comme on le propose ici ou là. Une telle politique impulserait ainsi la croissance de l’ensemble de la zone, rendrait la dette soutenable, et réduirait les excédents courants des uns et donc les déficits des autres. Le moins qu’on puisse dire est que le gouvernement allemand est loin de cette approche.

Angela Merkel n’a-t-elle pas réagi à la déclaration de S&P en appelant une nouvelle fois au renforcement des règles de rigueur budgétaire dans les pays qui viennent d’être dégradés, c’est-à-dire en prenant de facto le contre-pied de l’analyse de l’agence de notation ? On en vient à se demander si celle-ci, compte tenu de son argumentation, n’aurait pas été mieux inspirée de dégrader le pays qui entend imposer l’austérité à l’ensemble de la zone euro plutôt que de lui donner, à tort, un sentiment d’être un parangon de vertu en en faisant l’un des rares à garder son triple A.

 




L’Estonie, un nouveau modèle pour la zone euro ?

par Sandrine Levasseur

Après les modèles suédois et allemand, l’Europe doit-elle adopter le modèle estonien ? Malgré la success story estonienne, la réponse est non. Voici pourquoi.

L’Estonie n’a cessé de surprendre ces dernières années. Tout d’abord, elle a étonné ceux qui, à l’automne 2008, pensaient qu’elle n’avait pas d’autre solution que d’abandonner son currency board (caisse d’émission, en français) pour dévaluer massivement sa monnaie. Or, c’est bien une toute autre solution qu’elle a choisie, puisqu’elle a renforcé son ancrage monétaire en adoptant l’euro le 1er janvier 2011. Elle a surpris aussi en décidant, à l’hiver 2008, de baisser massivement les salaires des fonctionnaires dans l’espoir de créer un « effet de démonstration » au secteur privé, notamment celui exposé à la concurrence internationale. L’objectif du gouvernement était alors clairement d’aider l’économie à regagner de la compétitivité. Cette stratégie dite de « dévaluation interne » a fonctionné dans le sens où effectivement, l’ensemble des salaires a baissé, avec des pertes salariales ayant pu atteindre jusque 10 à 15 % au plus fort de la crise. Etonnamment, cette baisse des salaires généralisée à l’ensemble des secteurs a fait l’objet d’une relative acceptation au sein de la population. Peu de grèves et de manifestations ont eu lieu et ce, même lorsque le gouvernement a décidé de flexibiliser davantage le marché du travail (procédures de licenciements rendues plus faciles, suppression de l’autorisation administrative de réduction du temps de travail, etc.). Enfin, l’ultime surprise a été sans aucun doute une croissance du PIB de l’ordre de 8 % en 2011, un taux de chômage ramené à moins de 11 % et un déficit de la balance commerciale d’à peine 2 % du PIB (contre 16 % avant la crise). La dette publique de l’Estonie est contenue à 15,5 % du PIB et, pour 2011, le pays a même enregistré un excédent budgétaire de 0,3 % du PIB ! De quoi faire rêver les autres pays de la zone euro…

Pour autant, la stratégie suivie par l’Estonie ne peut être érigée en modèle pour les autres pays de la zone euro. De fait, la success story de l’Estonie s’explique par la conjonction d’éléments favorables et, en l’occurrence, deux conditions sont nécessaires :

1. Une stratégie de baisse des salaires ne permet de regagner en compétitivité par rapport à ses principaux partenaires que si elle est menée isolément. Si en Europe, et notamment dans la zone euro, tous les pays baissaient les salaires, le résultat en serait simplement une atonie de la demande intérieure sans effets bénéfiques sur les exportations des pays. A ce jour, parmi les membres de la zone euro, seule l’Estonie et l’Irlande (soient deux « petits » pays) ont joué la carte de la baisse des salaires dans le contexte de la crise . On n’ose à peine imaginer l’impact sur la zone euro si l’Allemagne ou la France (soit des « grands » pays) avaient baissé de façon drastique leurs salaires au plus fort de la crise. Outre l’atonie de la demande, cela aurait inévitablement conduit à une guerre commerciale entre les pays ne profitant finalement à personne…

2. Une stratégie de baisse des salaires n’est bénéfique pour le pays qui la pratique que si les principaux partenaires commerciaux sont sur une trajectoire de croissance. En la matière, la reprise de l’activité en Suède et en Finlande explique en partie les bonnes performances à l’exportation de l’Estonie. En 2011, le PIB a augmenté de 4,1 % en Suède et de 3 % en Finlande (contre « seulement » 1,6 % en zone euro). On devine que les exportations de l’Estonie auraient été moins dynamiques (+33 % en 2011 !) si le rythme de croissance de ses deux principaux partenaires commerciaux avait été moindre, la Finlande et la Suède représentant à elles deux 33% des marchés à l’exportation de l’Estonie…

Pour autant, est-ce à dire qu’un ralentissement prononcé de l’activité en Suède et Finlande – comme on peut l’anticiper pour 2012 voire 2013 – réduirait à néant les efforts consentis par les travailleurs estoniens en termes de renonciation salariale ? En d’autres termes, la baisse des salaires aura-t-elle été inutile pour relancer durablement l’économie estonienne? La réponse est non. En Estonie (mais aussi dans les autres Etats baltes), la baisse des salaires était de toute façon nécessaire pour compenser les fortes de hausses de salaires octroyés avant la crise et très largement déconnectées des évolutions de productivité. La perte de compétitivité de l’économie estonienne qui en a résulté s’est matérialisée dès l’hiver 2007, avec un PIB qui a décéléré notablement et un déficit commercial qui a atteint un niveau abyssal. Au printemps 2008, il est clairement apparu que le modèle de croissance de l’Estonie (et des autres Etats baltes) basé sur l’équation « consommation+crédit+hypertrophie de la construction » était insoutenable et que des « ajustements » étaient inéluctables afin de réorienter l’économie vers les exportations.

Une analyse détaillée des ajustements du marché du travail estonien durant la crise économique (voir ici) permet de mesurer l’incidence des baisses de salaires, mais aussi de la réduction du temps de travail et des licenciements massifs sur la compétitivité des entreprises. Au total, le taux de change réel effectif (mesuré par les coûts salariaux unitaires de l’Estonie relativement à ceux de ses partenaires commerciaux) s’est déprécié de quelque 23 % depuis 2009. La perte de pouvoir d’achat supportée par les travailleurs estoniens est évaluée à 9 % (en termes réels) depuis 2009 ou, encore, à 20 % des gains de pouvoir d’achat obtenus sur 2004-2008. Parmi les facteurs sociétaux et institutionnels ayant conduit la population estonienne à accepter des baisses de salaires et une plus grande flexibilisation du marché du travail, l’absence de représentation syndicale forte semble constituer un facteur explicatif important. Par exemple, en Estonie, moins de 10 % des employés sont couverts par des négociations collectives (contre 67 % en France). L’autre facteur explicatif clé semble bien avoir été la volonté d’adhérer à la zone euro. En ces temps difficiles pour la monnaie unique, si cette volonté peut surprendre, elle n’en demeure pas moins toujours d’actualité pour un certain nombre de pays de l’UE qui n’ont pas encore adopté l’euro…




Durée du travail et performance économique : quels enseignements peut-on tirer du rapport Coe-Rexecode ?

Par Eric Heyer et Mathieu Plane

Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs en Europe ? La France est-elle le seul pays à avoir réduit son temps de travail au cours de la dernière décennie ? Les 35 heures ont-elles réellement « plombé » l’économie française ? Le rapport publié le 11 janvier par l’Institut Coe-Rexecode fournit quelques éléments de réponses à ces questions.

Nous revenons dans une note sur les principales conclusions du rapport qui peuvent se résumer de la manière suivante :

1.  Travaille-t-on moins en France qu’ailleurs en Europe ?

  • VRAI pour les salariés à temps complet,
  • FAUX pour les salariés à temps partiel,
  • FAUX pour les non-salariés
  • INDETERMINE pour le total

2. La durée du travail a-t-elle plus baissé en France qu’en Allemagne depuis 10 ans ?

  • FAUX

3.  « La baisse de la durée du travail a manqué l’objectif de créations d’emplois et de partage du travail » en France

  • FAUX

4.  « La baisse de la durée du travail a bridé le pouvoir d’achat par habitant » en France

  • FAUX



AAA, AA+ : RAS ?

par Jérôme Creel

La perte du AAA de la France le vendredi 13 janvier 2012 est un événement historique. Elle pose trois questions : fallait-il renforcer l’austérité budgétaire à l’automne 2011 ? Pourquoi l’Allemagne a-t-elle été singularisée ? Que faire désormais ?

La perte du AAA pour les obligations d’Etat françaises n’est pas surprenante, loin s’en faut. La crise des dettes publiques qui secoue la zone euro depuis plus de deux ans – elle a démarré à l’automne 2009 – n’a pas pu être gérée convenablement car elle est survenue en période de récession, à un moment où tous les Etats membres européens avaient les yeux rivés sur leurs propres difficultés économiques. Sans réponse concertée, passant par une solidarité immédiate et des garanties mutuelles octroyées par les Etats membres de la zone euro sur l’ensemble des dettes publiques de la zone, avec le soutien de la Banque centrale européenne (cf. Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak, ici), la contagion prévisible a eu lieu. Les erreurs objectives de finances publiques commises par les gouvernements grecs successifs, puis les errements des banques irlandaises ont produit une crise européenne systémique.

En mettant en œuvre, tous en même temps, des politiques d’austérité budgétaire, les gouvernements européens n’ont fait qu’amplifier les difficultés économiques : la stagnation économique, voire la récession, sont désormais au programme de la zone euro (cf. Xavier Timbeau et al., ici). La dégradation des notations souveraines dans la zone euro était donc attendue. Elle pose cependant trois questions.

  1. Fallait-il renforcer l’austérité ? Mathieu Plane (voir ici), dans son commentaire sur le plan d’austérité français supplémentaire de 7 milliards d’euros, annoncé en novembre 2011, pointait déjà du doigt la course perdue au AAA. Les effets sur la croissance de cette austérité étaient objectivement incompatibles avec l’objectif d’assainissement budgétaire annoncé : cet argument ne peut pas avoir été négligé par Standard & Poor’s.
  2. Pourquoi l’agence S&P a-t-elle singularisé l’Allemagne et la Slovaquie, seules économies de la zone euro à n’avoir pas été dégradées vendredi 13 janvier ? Si leurs liens commerciaux sont indéniables (cf. Sandrine Levasseur, 2010, ici), ce qui peut justifier de les associer, ces deux économies, et surtout l’Allemagne, trouvent leurs principaux débouchés dans la zone euro. La décélération de la croissance dans la zone euro, hors Allemagne, ne sera certainement pas sans conséquence outre-Rhin (cf. Sabine Le Bayon, ici). On voit donc mal comment la contagion de la crise pourrait s’arrêter aux frontières de l’Allemagne et de la Slovaquie. On peut même interpréter la récente souscription d’obligations publiques allemandes à 6 mois, à un taux d’intérêt nominal négatif, comme le signe d’une extrême défiance à l’égard des banques commerciales allemandes. La fragilité de cette économie, dans la zone euro, n’est pas moindre que celle de la France.
  3. Que faire désormais, en France par exemple ? La perte du AAA témoigne à la fois de perspectives négatives sur l’état des finances publiques et sur la croissance économique. Si l’Allemagne n’est pas dégradée, peut-être est-ce parce que sa stratégie non coopérative passée a été jugée efficace par S&P. Le principe de fixation d’une TVA sociale peut donc être envisagée comme un moyen de rattrapage de la compétitivité française par rapport à l’Allemagne, comme le souligne Jacques Le Cacheux (ici) : si les Allemands l’ont fait, pourquoi pas nous, désormais ? Cela permettrait d’augmenter les recettes fiscales, en renversant l’avantage de compétitivité au profit des entreprises résidentes françaises. Après qu’une telle mesure aura été prise, si elle l’est, l’Allemagne et la France se retrouveront sur un même pied d’égalité. Ces deux pays, et les autres Etats membres de la zone euro, pourront alors sainement envisager une politique coopérative de relance européenne. Politique industrielle (cf. Sarah Guillou et Lionel Nesta, ici), politique sociale, politique climatique et énergétique ambitieuse (cf. Eloi Laurent, ici), politique financière par l’instauration d’une taxe commune sur les transactions financières dont le produit servirait à éviter désormais que les banques privées soient renflouées par les contribuables, ce qui libérerait des marges de manœuvre pour les trois premières politiques : telles sont quelques options possibles. Leur contour reste certes à définir, mais réclamer qu’elles soient mises en œuvre d’urgence est devenue une nécessité.



A letter to President François Hollande

by Jérôme Creel, Xavier Timbeau and Philippe Weil [archivage et redirection]

[version française ; english version]




Après Durban : pour un axe sino-européen

par Eloi Laurent

L’Union européenne doit absolument tenir le cap à Durban et après le sommet : non seulement réaffirmer son ambition climatique mais plus encore la consolider en maîtrisant davantage ses liaisons carbones (voir la note de l’OFCE : L’Union européenne à Durban : tenir le cap), c’est-à-dire l’impact global de son développement économique. Cela suppose de passer, au besoin seule, d’un objectif de 20% de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2020 à un objectif de 30% de ses émissions, plus en conformité avec le but qu’elle a par ailleurs fait sien de limitation du réchauffement terrestre de 2°C par rapport à la période pré-industrielle.

De sa détermination dépend la possibilité d’une transition de l’économie mondiale vers l’économie bas-carbone. Premier marché du monde, l’Union européenne possède en effet un très grand pouvoir sur les politiques écologiques des autres pays de la planète : plus elle sera ambitieuse sur le plan climatique et plus, par effet d’influence et d’entraînement, les autres pays le seront aussi.

Mais la poursuite de cette dé-carbonisation de l’économie européenne implique la réforme et l’articulation cohérente des instruments économiques nationaux et européens.

Pour la France, cela signifie atteindre ses objectifs climatiques (le « facteur 4 », c’est-à-dire la division par 4 de ses émissions d’ici à 2050), en instaurant un signal-prix pour contenir ses émissions diffuses de gaz à effet de serre (provenant du logement et du transport) non incluses dans le marché du carbone européen. En clair, il faudra instaurer une taxe carbone dont il conviendra de préciser les modalités d’insertion dans le système fiscal français mais qui, comme le montre une étude récente de l’OFCE, peut parfaitement générer un double dividende, social et environnemental. Le rapport Perthuis est sur ce point tout à fait clair : accompagnée par un signal-prix, la transition climatique française sera créatrice d’emplois. Cette transition ne doit cependant pas négliger les enjeux de justice sociale, à commencer par le problème urgent de la précarité énergétique.

L’Union européenne doit également réformer au plus vite ses marchés du carbone, dont le signal-prix est aujourd’hui quasi-inopérant (la tonne de CO2 est tombée à 7 euros) et qui pourraient être encore plus affectés par l’issue de la conférence de Durban, comme ce fut le cas après celle de Copenhague. Diverses options existent comme celle d’instituer une banque centrale européenne du carbone.

Enfin, l’instauration d’un tarif carbone aux frontières de l’Union européenne pourrait redonner de la cohérence à la politique climatique de la région en traitant le problème des fuites de carbone et des émissions importées et en fournissant une source de financement au Fonds vert, dont l’architecture pourrait constituer le seul véritable acquis de Durban.

Il y a, au fond, trois raisons fondamentales pour lesquelles l’Union européenne doit confirmer et renforcer son ambition climatique à Durban et plus encore après Durban :

  1. La première tient à la sécurité humaine des Européens : l’UE doit réduire ses émissions de gaz à effet de serre parce que, comme le montre un rapport récent du GIEC, celles-ci sont et seront à l’avenir plus encore, à l’origine de la multiplication des événements climatiques extrêmes sur notre planète. L’Union européenne a subi près de 350 de ces événements au cours de la seule décennie 2000, près de quatre fois plus qu’au cours de la décennie 1980. La canicule de l’été 2003, a elle seule, aura coûté la vie à 70 000 Européens.
  2. La deuxième raison tient à la prospérité économique des Européens. L’UE doit consolider son avantage comparatif écologique et se libérer au plus vite du piège des énergies fossiles. La dépendance européenne à l’égard du carbone n’a fait que se renforcer depuis deux décennies. Le taux de dépendance énergétique des pays membres de l’Union européenne a augmenté en moyenne d’environ dix points de pourcentage ces quinze dernières années pour atteindre 53% en 2007, dont 82% pour le pétrole et 60% pour le gaz, qui représentent à eux deux 60% de toute l’énergie consommée dans l’UE. A l’inverse, le coût économique à court terme (sans inclure les bénéfices de plus long terme) du passage d’un objectif de 20% de réduction des émissions à 30% de réduction d’ici à 2020 est minime, de l’ordre de 0,6% du PIB européen par an (estimation de la Commission européenne).
  3. La troisième raison, peut-être la plus fondamentale, tient au besoin actuel de cohésion politique de l’Union européenne. Il faut aujourd’hui rien moins que reconstruire l’Union européenne qui a été dévastée économiquement et politiquement par la crise globale. La perspective de dépression économique coordonnée proposée actuellement aux citoyens européens par leurs gouvernements signera la dislocation de la zone euro mais aussi par ricochet, on peut le craindre, l’arrêt de la construction européenne, voire son dé-tricotage. La transition écologique peut certes « sauver le climat », mais elle peut aussi sauver l’Europe en lui redonnant un horizon.

Le meilleur espoir de ce qu’il faut déjà appeler « l’après-Durban » réside sans doute dans la constitution d’un axe sino-européen sur le climat : la Chine est en train de prendre conscience que son effet sur le changement climatique n’a d’égal que l’effet du changement climatique sur elle (premier émetteur mondial, elle sera en retour la première victime de ses émissions) ; l’Union européenne peut confirmer, à la suite de la désertion américaine, son rôle de leader climatique global.

Les responsables européens semblent parfois agacés de devoir porter seuls, parmi les pays développés, cette responsabilité et sont fatigués d’essuyer les critiques que l’on réserve à celui qui tient le manche, alors même que l’Union européenne est la seule région du monde à respecter ses engagement de Kyoto, qu’elle est la seule à s’être dotée d’objectifs intermédiaires de réduction de ses gaz à effet de serre (GES), qu’elle est la seule en mesure d’atteindre ces objectifs. Cet agacement européen est déplacé : vu les catastrophes que nous annonce la science, la lutte contre le changement climatique pourrait être la plus grande contribution de l’Europe à l’avenir de l’humanité. Tenir le cap climatique est donc son devoir le plus impérieux. Il se trouve que c’est aussi dans son intérêt.