Mettre fin à la crise, dès 2008

par Jean-Paul Fitoussi

Dans une interview accordée au quotidien Libération fin septembre 2008, Jean-Paul Fitoussi préconisait déjà de procéder à une nationalisation temporaire des banques, à l’instar de la Corée après les crises survenues en 1997-1998. Trois ans plus tard, l’intervention de l’Etat reste une nécessité.




L’emprunt forcé : l’arme de destruction massive de la politique budgétaire

par Jean-Paul Fitoussi, Gabriele Galateri di Genola et Philippe Weil

Il est grand temps, pour rappeler les marchés à la réalité, de ressortir l’emprunt forcé de l’arsenal budgétaire/ Time is ripe for governments to take out of their fiscal armoury the weapon that has served them so well in war and peace alike: forced borrowing

Financial Times – 15 September 2011

http://www.ft.com/cms/s/0/b6850d0c-dec1-11e0-a228-00144feabdc0.html

Forced borrowing: the WMD of fiscal policy

By Jean-Paul Fitoussi, Gabriele Galateri di Genola and Philippe Weil

 

 

A spectre is haunting Europe – the spectre of sovereign default. All the powers of old Europe have entered into a holy alliance to exorcise this spectre: Brussels and Frankfurt, Angela Merkel and Nicolas Sarkozy, French socialists and German Christian Democrats. Churchillian doctors, they prescribe blood, sweat and tears – fiscal consolidation, tax increases and spending cuts. They swear, for the umpteenth time, that they will never surrender: Greece will be saved, Italy and Spain will not be abandoned and the rating of France will not be downgraded. In the face of adversity, they assure us that what cannot be achieved by austerity can be achieved by more austerity. An epidemic of holier-than-thou fiscal virtue is spreading throughout Europe and is fast transforming a series of uncoordinated fiscal retrenchments into a euro-wide contraction with dire implications for growth and employment.

To be sure, eurozone policymakers are in a maddening situation. The threat to monetise public debt, which in the old days could be waved by each country to remind investors it need not ever default outright, has been removed from national arsenals. No one knows for sure whether it will ever be brandished from Frankfurt or if European treaties even allow it. Eurobonds would have every economic merit but they hurt Germany which, having been left on its own to finance reunification, is understandably cold towards die Transfer-Union. Creating separate northern and southern euro areas would probably precipitate the end of the single market – and where would France fit? Wide-ranging fiscal reform designed to increase tax revenue equitably, while sorely needed, is a pipe dream: it requires elusive European co-ordination in an area in which the temptation to compete is strong and it is best done at its own pace – not under the pressure of fickle market sentiment or rising sovereign spreads.

Add to this powerlessness the terrifying failure of the old engine of European policymaking (putting the cart before the horse in the hope that the cart will conjure up the horse) and you will understand the ghoulish visions gripping our leaders. Monetary union has not begotten the expected fiscal union. Imposing, as a substitute, austerity plans from Brussels or Frankfurt, or racing to be first to impose “golden rule” constitutional strictures on parliaments that should remain sovereign in fiscal matters is stoking the fire of civil unrest. The English Civil War and American Revolution were ignited by much less. It would be wise to recall, as John Hampden did in contesting the Ship Money tax levied by Charles I, that what leaders have no right to demand, a citizen has a right to refuse.

Yet Europe’s fate is not sealed. The spectre of sovereign default and rising spreads in Italy, Spain, Belgium and other countries can be chased away in one fell swoop and the panic of contractionary fiscal policies can be stopped. National governments must simply take out of their fiscal armoury the weapon that has served them so well in war and peace alike: forced borrowing.

It consists in coercing taxpayers to lend to their government. California did this in 2009 when it added a premium to the income tax withheld from paychecks, to be repaid the following year. In France, the first Mitterand government forced rich taxpayers to fund a two-year bond issue – and both the US and UK have used moral suasion in patriotic sales of war bonds. Compulsory lending is an unconventional weapon but it is high time it be used, even on a small scale, to remind investors that sovereigns are not private borrowers: they need never default because they can always force-feed debt issues to their own residents.

Central banks have been bold and dared resort to unconventional policies to respond to the exceptional circumstances of this crisis. Large sovereign borrowers should be as defiant and intrepid. The invaluable asset of fiscal sovereignty guarantees that their public debt is completely risk-free in nominal terms. Investors who buy sovereign credit default swaps against the spectre of French or Italian default are wasting their money. Policymakers rushing to austerity should wake up from their nightmare and save growth and employment before it is too late.

Jean-Paul Fitoussi is former president and Philippe Weil is president of OFCE, the Observatoire français des conjonctures économiques in Paris. Gabriele Galateri di Genola is president of Generali. The views expressed are their own.

Copyright The Financial Times Limited 2011

 




La BCE peut-elle faire machine arrière ?

par Christophe Blot

Le Conseil des gouverneurs de la BCE s’est réuni jeudi 8 septembre 2011 pour décider de l’orientation de la politique monétaire dans la zone euro. Après la hausse d’un quart de point en juillet portant le principal taux directeur à 1,5 %, la dégradation récente de la situation conjoncturelle pose la question de l’opportunité de la poursuite de la hausse et même celle d’un éventuel retour en arrière sur les décisions précédentes de la BCE.

Au cours du premier trimestre 2011, l’accélération de la croissance, qui s’était établie à 0,8 % et le regain de tensions sur les prix de l’énergie qui alimentait l’inflation semblaient accréditer le scénario de la BCE d’une sortie de crise et de la nécessité d’une normalisation progressive de la politique monétaire. Pourtant, les décisions de la BCE pouvaient déjà paraître un peu hâtives au regard de l’absence de résolution pérenne de la crise budgétaire et du diagnostic porté sur le risque inflationniste (cf. Faut-il craindre un retour de l’inflation dans la zone euro ?). Par ailleurs, depuis quelques semaines, les mauvaises nouvelles se succèdent de part et d’autre de l’Atlantique témoignant de la fragilité de la reprise et reflétant la situation inextricable des finances publiques. La croissance dans l’ensemble de la zone euro a marqué le pas au deuxième trimestre puisque le PIB n’a progressé que de 0,2 % (cf. le communiqué d’Eurostat). La consommation des ménages est en baisse, l’investissement ne confirme pas le rebond du trimestre précédent et, sans une contribution du commerce extérieur positive, la croissance aurait été négative reflétant la faiblesse des ressorts internes de la croissance dans une zone où tous les pays ont fait le choix de la rigueur budgétaire. Depuis le mois de mars, les enquêtes de conjoncture se dégradent rapidement (graphique 1) ce qui se traduit dans les indicateurs avancés de la croissance par une anticipation de négative sur le deuxième semestre 2011 (cf. L’indicateur avancé zone euro).


Source : Commission européenne

Autre source d’inquiétude : la spirale dépressive s’est de nouveau emparée des marchés financiers qui ont plongé au cours de l’été en raison des tergiversations en matière de gouvernance dans la zone euro et de la fragilité supposée du système bancaire (cf. la déclaration de Christine Lagarde, Directrice générale du FMI). Les risques de défaut de la Grèce comme celui d’une contagion de la crise ne sont toujours pas écartés. Les tensions sur le marché interbancaire sont également réapparues comme le montrent l’augmentation rapide de l’écart de taux entre les prêts interbancaires garantis (taux Eurepo) et les prêts à même échéance non garantis (taux Euribor). Sans atteindre le niveau de tensions qui avait suivi la chute de la banque Lehman Brother en septembre 2008, ces écarts de taux s’envolent depuis le début du mois d’août (graphique 2). Enfin, après avoir atteint un pic à 2,8 % en avril, l’inflation a diminué progressivement à 2,5 % en août. De même, l’inflation sous-jacente, c’est-à-dire excluant les composantes volatiles comme l’énergie et l’alimentaire, a reculé de 1,6 % à 1,2 % confirmant que le risque inflationniste est faible dans un contexte de chômage massif.


Source :  Datastream

Dans ces conditions, est-il pertinent de poursuivre le mouvement de hausse des taux ? La BCE a commis une erreur d’appréciation ; elle s’est engagée prématurément dans un cycle de hausse de taux. Ce faisant elle a ajouté un frein supplémentaire à une croissance déjà bridée par l’austérité budgétaire des pays de la zone euro. Cette situation rappelle celle de l’été 2008 où la BCE avait décidé d’une augmentation de son taux directeur à quelques semaines d’une tempête financière et alors même que la zone euro était déjà entrée en récession. La BCE avait dû rapidement faire machine arrière pour faire face à l’effondrement de la croissance. De même en 1937, le resserrement hâtif de la politique monétaire aux Etats-Unis avait rapidement fait replonger l’économie américaine en récession obligeant la banque centrale à baisser ensuite rapidement les taux.
La position de la BCE est donc aujourd’hui assez délicate. Elle pourrait juger qu’un retour en arrière pourrait nuire à sa crédibilité. Mais il en serait tout autant si elle s’enfermait dans un jugement erroné de la sortie de crise et des risques inflationnistes. Par ailleurs, à quelques mois de sa succession, Jean-Claude Trichet pourrait juger qu’il est plus sage de ne pas modifier l’orientation de la politique monétaire afin de ne pas mettre sous pression son successeur Mario Draghi qui doit prendre ses fonctions en novembre. Si une chute de la croissance comparable à celle de 2008-2009 paraît aujourd’hui peu probable, les tensions actuelles en matière bancaire et de finances publiques nécessitent cependant un soutien supplémentaire de la part de la politique monétaire. Avec un taux à 1,5 %, la politique monétaire reste accommodante mais une nouvelle baisse montrerait l’engagement de la BCE en faveur de la croissance. Une politique monétaire adaptée à la situation macroéconomique et financière doit aujourd’hui l’emporter sur toute considération relative à la crédibilité d’un éventuel revirement de la BCE. Enfin, une autre possibilité serait d’accélérer et d’amplifier le programme d’achats de titres publics afin de peser sur les taux d’intérêt à long terme et offrir ainsi une solution à la crise des dettes souveraines.