Plan de relance européen : attention aux incohérences

Jérôme Creel (OFCE & ESCP Business School) [1]

Le 27 mai dernier, la Commission européenne a proposé la
création d’un nouvel instrument financier, Next Generation
EU
, doté de 750 milliards d’euros. Reposant sur plusieurs piliers, il
serait notamment accompagné d’un nouveau dispositif pour favoriser la relance
d’activité dans les pays les plus touchés par la crise du coronavirus, en sus
du Pandemic Crisis Support adopté par le Conseil européen en avril 2020. Ce
nouveau dispositif intitulé Recovery and Resilience Facility serait doté de 560
milliards d’euros, soit peu ou prou le même montant que le Pandemic Crisis
Support. Le Recovery and Resilience Facility s’en distingue cependant
doublement : d’une part, par le fait qu’une partie de son budget donnera
lieu à des transferts plutôt qu’à des prêts ; d’autre part, par son
horizon temporel, bien plus long.



Le Pandemic Crisis Support (et les outils complémentaires
adoptés en même temps, voir Creel,
Ragot & Saraceno, 2020
) consistait exclusivement en prêts et les gains
nets que pouvaient en retirer les Etats membres étaient par définition
faibles : les prêts européens permettaient une réduction de charges
d’intérêt pour les Etats soumis à des taux d’intérêt de marché élevés. Le gain
pour l’Italie, gravement touchée par la crise du coronavirus, était de l’ordre
de 0,04 à 0,08 % de son PIB (il n’y a pas de faute de frappe !).

Au titre du Recovery and Resilience Facility, les Etats
membres de la zone euro se partageraient 193 milliards d’euros de prêts et 241
milliards d’euros de transferts, soit au total 78% des montants alloués (le
reste ira aux Etats de l’Union européenne non membres de la zone euro). Les
prêts produiront des gains nets faibles aux Etats membres (les économies sur
les écarts de taux, les fameux spreads),
tandis que les transferts produiront des gains plus considérables puisqu’ils ne
seront pas assujettis à un remboursement, sinon via l’augmentation entre 2028
et 2058 des contributions au budget européen (si des ressources propres n’ont
pas été créées ou augmentées d’ici là). A court terme, en tout cas, les
transferts perçus sont des gains nets pour les bénéficiaires : ils
n’auront besoin ni d’émettre une dette ni de payer des charges d’intérêt sur
cette dette.

Exprimés en pourcentage du PIB de 2019, les gains nets dus
aux transferts sont loin d’être négligeables (tableau 1)[2] :
9 points de PIB pour la Grèce, 6 pour le Portugal, 5 pour l’Espagne et 3,5 pour
l’Italie. Vu la chute du PIB attendue en 2020, ils sont plus importants encore.
Le volontarisme de la Commission est donc clairement visible.

Pour autant, ces transferts n’ont pas vocation à être
mobilisés dans le court terme. La Commission européenne a beau jeu de vouloir
que les montants alloués soient dépensés au plus vite, en 2021, 2022 et en tout
cas avant 2024. C’est ce qu’elle nomme le « front-loading » : ne
pas remettre à demain ce qu’on pourrait faire aujourd’hui. Sauf que la clé de
répartition des dépenses de transferts au cours du temps est un peu en
contradiction avec ce principe (tableau 2). Les engagements de transferts
seraient concentrés en 2021 et 2022, mais les paiements effectifs seraient
prévus plus tardivement : moins d’un quart d’ici 2023, la moitié en 2023 et
2024, le solde au-delà. Un tel décalage est fréquent : il faut un peu de
temps pour concevoir un projet d’investissement et pour s’assurer de sa
conformité avec les ambitions numériques et d’économie bas-carbone de la
Commission européenne.

Du coup, les transferts aux Etats membres vont mettre un peu
de temps à être effectivement versés (tableau 3) et ceux le plus en difficulté
devront être résilients avant de bénéficier des fonds de relance et… de
résilience. Cela semble contradictoire. Il faudra ainsi attendre 2022 en Grèce
et au Portugal et 2023 en Espagne et en Italie pour percevoir effectivement
autour d’1 point de PIB chacun. Cela correspondra à 3 milliards d’euros pour la
Grèce, 2 pour le Portugal, et 14 pour l’Espagne et l’Italie respectivement. A
titre de comparaison, l’Allemagne, la France et les Pays-Bas recevront alors
respectivement 5, 7 et 1 milliards d’euros, soit entre 0,2 et 0,3 pourcent de
leur PIB.

On imagine les cris d’orfraie des représentants des pays frugaux (Autriche, Danemark, Pays-Bas, Suède) à propos de ces dépenses immenses qui récompensent les pays non vertueux. Qu’ils se rassurent : on est encore loin de la gabegie !


[1] Ce texte
est paru dans Les
Echos
le 23 mai 2020, sans les tableaux.

[2] La règle
de répartition des transferts entre pays figure dans le document COM(2020) 408
final/3 du 2 juin 2020. Elle dépend pour chaque pays de la taille de sa
population, de l’inverse du PIB par habitant par rapport à la moyenne de
l’UE-27, et de l’écart de son taux de chômage sur 5 ans par rapport à la
moyenne de l’UE-27. Afin d’éviter une trop forte concentration des transferts
dans quelques pays, des limites ad hoc
sont imposées sur ces trois critères. A titre d’exemple, l’Allemagne recevra 7%
des transferts, la France 10%, l’Espagne et l’Italie 20% respectivement.




Comment utiliser le fonds de relance : une proposition pour un programme européen post Covid-19

Jérôme Creel, Mario Holzner, Francesco Saraceno, Andrew Watt and Jérôme Wittwer[1]

Le Fonds de relance récemment proposé par la Commission européenne marque un changement radical dans l’intégration européenne. Mais cela ne suffira pas pour relever les défis auxquels l’Europe est confrontée. Le financement a fait l’objet de nombreux débats, mais peu de choses ont été dites sur le type de projets concrets auxquels l’UE devrait consacrer le Fonds de relance. Nous proposons dans le Policy Brief OFCE, n° 72, un programme d’investissement de 2 000 milliards d’euros sur dix ans, axé sur la santé publique, les infrastructures de transport et l’énergie/décarbonisation.



Ce programme d’investissement est constitué de deux
piliers décrit dans la figure 1. Dans lepilier national, les
États membres – à l’instar de la proposition de la Commission – se verraient
allouer 500 milliards d’euros. Les ressources devraient être ciblées vers les
pays les plus touchés par la crise et concentrées en début de période :
nous suggérons un horizon de trois ans.

La
majeure partie des fonds investis –  1 500 milliards d’euros – serait consacrée au financement de projets
véritablement européens, pour lesquels l’UE apporte une valeur ajoutée. Nous
décrivons une série d’initiatives phares que l’UE pourrait lancer dans les
domaines de la santé publique, des infrastructures de transport et de
l’énergie/décarbonisation.

Nous recommandons
ainsi la création d’une agence européenne unique de santé publique qui investirait
dans les compétences du personnel de santé et faciliterait ensuite leur mobilité
entre les pays européens dans les situations d’urgence, et qui serait chargée
d’assurer l’approvisionnement en médicaments essentiels (programme Health4EU).

Nous
présentons également des propositions chiffrées pour deux initiatives de
transport ambitieuses : un réseau ferroviaire européen à grande vitesse, l’Ultra-Rapid-Train,
avec quatre itinéraires réduisant les temps de trajet entre les capitales et
les régions de l’UE, et une initiative européenne intégrée de « Route de
la Soie » qui combinerait les modes de transport sur le modèle chinois.

Dans le
domaine de l’énergie/décarbonisation, nous visons enfin à « électrifier »
le Green Deal. Nous appelons à un financement spécifique pour accélérer la
réalisation d’un réseau électrique intelligent et intégré pour la transmission
d’énergie 100 % renouvelable (e-highway), un soutien aux projets de batteries
complémentaires et d’hydrogène décarboné, et à un programme, inspiré de
l’initiative SURE, pour cofinancer les politiques de décarbonisation des États
membres ainsi que celles mises en œuvre via
l’instrument Just Transition de la Commission.

La crise induite par la pandémie, qui vient s’ajouter à la crise financière et à la crise de l’euro, constitue en soi un énorme défi. La réponse doit tenir compte des défis structurels à long terme, et principalement celui du changement climatique. L’Union européenne devrait relever ces défis par un programme de relance ambitieux à moyen terme doté d’un financement conséquent. Les grandes lignes d’un tel programme sont présentées dans ce Policy brief à titre d’illustration, mais de nombreuses permutations et options sont à la disposition des décideurs politiques.


[1] Jérôme Creel, Francesco Saraceno: OFCE,
Paris. Mario Holzner: wiiw Wien. Andrew Watt: Macroeconomic Policy Institute
(IMK), Düsseldorf. Jérôme Wittwer: Université de Bordeaux.




Les milliards, comme s’il en pleuvait

Jérôme CreelXavier Ragot et Francesco Saraceno

La deuxième réunion de l’Eurogroupe aura été la bonne. Après avoir étalé une nouvelle fois leurs divisions sur la question de la solidarité entre Etats membres de la zone euro mardi 7 avril 2020, les Ministres de finances ont trouvé un accord deux jours plus tard sur un plan de soutien budgétairemobilisable assez rapidement. Les mesures sanitaires prises par les Etats membres pour limiter l’expansion de la pandémie de Covid-19 seront plus aisément financées à court terme et c’est une bonne nouvelle. Les instruments européens additionnels pour faire face à la crise seraient de l’ordre de 500 milliards d’euros – ce n’est certes pas négligeable, et rappelons qu’ils s’ajoutent aux efforts déjà mis en place par les gouvernements – mais ils correspondent principalement à une nouvelle accumulation de dette par les Etats membres. Le gain net pour chacun d’entre eux est, on va le voir, assez marginal.



L’Eurogroupe va proposer la création d’une ligne budgétaire (Pandemic Crisis Support) spécifiquement consacrée à la gestion de la crise du Covid-19 dans le cadre du Mécanisme européen de stabilité (MES), sans conditionnalité stricte (au sens où le recours à cette ligne budgétaire n’impliquera pas de contrôle de la part du MES sur la gestion future des finances publiques de l’Etat membre). La création  de cette ligne budgétaire s’inspire de la proposition de Bénassy-Quéré et al. (2020)dont nous présentions les avantages et les inconvénientsavant la réunion de l’Eurogroupe du 9 avril 2020. Le montant alloué à cette ligne budgétaire sera de l’ordre de 2% du PIB de chaque Etat membre de la zone euro, soit près de 240 milliards d’euros (au PIB de 2019).

Le mécanisme de prêt proposé par la Commission européenne pour abonder les programmes de chômage partiel des Etats membres de la zone euro – il répond au nom de SURE– verra bien le jour et sera doté de 100 milliards d’euros. Pour mémoire, les trois principaux bénéficiaires du SURE ne pourront pas bénéficier à eux trois de plus de 60 milliards d’euros de prêts.

Enfin, la Banque européenne d’investissement (BEI) va octroyer, principalement aux petites et moyennes entreprises des Etats membres de l’Union européenne, 200 milliards d’euros additionnels. Au total, les pays de la zone euro disposeront de 480 milliards d’euros de capacité de financement additionnel. 

Le tableau 1 ci-dessous présente une répartition par pays des montants en jeu. Au titre des 240 milliards d’euros duPandemic Crisis Support, l’Allemagne pourra bénéficier d’une capacité de crédit de près de 70 milliards d’euros, la France de près de 50 milliards d’euros, l’Italie et l’Espagne de 35 et 25 milliards d’euros respectivement. Ces montants correspondent à 2% du PIB de 2019 de chaque pays. A ce stade, rien n’indique que les Etats membres recourront à cette capacité de crédit. Leur avantage à le faire dépend en fait crucialement de la différence entre le taux d’intérêt auquel ils peuvent financer leurs dépenses sanitaires et économiques sansrecourir au MES et le taux d’intérêt sur les prêts consentis par le MES. Le coût de se financer sans passer par le MES est le taux d’intérêt sur la dette publique nationale. Le coût de se financer par l’intermédiaire du Pandemic Crisis Supportest le taux d’intérêt auquel cette ligne budgétaire est elle-même financée, c’est-à-dire au taux le plus bas du marché… c’est-à-dire au taux allemand. On le comprend immédiatement, l’Allemagne n’a aucun intérêt à recourir à cette ligne budgétaire. Des 240 milliards d’euros qui sont consacrées au Pandemic Crisis Support, les 70 milliards alloués à l’Allemagne ne servent à rien. Pour les autres pays que l’Allemagne, le recours au Pandemic Crisis Supportdépend de l’écart de leur taux d’intérêt au taux allemand, le fameux spread. Si le spread est positif, le recours au MES permet effectivement de réduire le coût d’emprunt. Mais comme en atteste le tableau 1, le gain permis par le Pandemic Crisis Supportest plutôt faible. Pour la Grèce, dont le spread vis-à-vis de l’Allemagne est le plus élevé de la zone euro, le gain est de l’ordre de 0,04% du PIB de 2019, c’est-à-dire 215 points de base de spread multiplié par le montant alloué à la Grèce pour le Pandemic Crisis Support(3,8 milliards d’euros qui correspondent à 2% de son PIB de 2019), le tout rapporté à son PIB de 2019. Pour l’Italie, le gain est du même ordre : 0,04% du PIB. Exprimés en euros, le gain pour l’Italie serait de 700 millions d’euros. Pour la France, dont le spreadvis-à-vis de l’Allemagne est beaucoup plus faible que celui de l’Italie, le gain pourrait être de 200 millions d’euros, soit 0,01% de son PIB en 2019. 

En supposant que les montants alloués par la BEI le soient au prorata de la taille des pays (mesurée par leur PIB en 2019), et que l’Espagne, l’Italie et la France bénéficient de 20 milliards d’euros chacune au titre du SURE, les économies totales de taux d’intérêt atteindraient 680 millions, 1,5 milliard et 430 millions d’euros respectivement (0,05%, 0,08% et 0,02% du PIB respectivement). A l’heure où les milliards semblent pleuvoir, ce ne sont pas de grandes économies. A moins qu’il faille y voir une métaphore. Comme la pluie avant qu’elle tombe, les milliards d’euros ne sont pas vraiment des euros avant qu’ils tombent. 

Tableau 1. Répartition des montants alloués au titre du Pandemic Crisis Support(PCS), et des gains potentiels par pays, y compris les gains potentiels du recours aux financements additionnels de la BEI et du SURE

Sources: Ameco (PIB 2019), Financial Times (Spreads, 10 avril 2020)

*En faisant l’hypothèse que le recours au financement additionnel de la BEI est intégralement réparti au prorata du PIB relatif du pays par rapport à celui de l’UE (en 2019).

** En faisant l’hypothèse que l’Italie, l’Espagne et la France obtiennent 20 milliards d’euros chacune et que les 40 milliards d’euros restants sont répartis au prorata du PIB relatif des pays par rapport à celui de la zone euro (en 2019).




European fiscal responses to the Covid-19 crisis: share the bonds or split the bill?

Jérôme
Creel
, Paul
Hubert
, Xavier Ragot and
Francesco Saraceno

The lock-down of most EU countries, in response
to the Covid-19 pandemic, has produced disruptions in the production process
and has put consumption and investment to a halt. Against the backdrop of these
supply and demand shocks, EU member states have implemented different public policies: they have deferred or waived tax
payments and social security contributions; they have raised spending towards
the health sector; and they have provided more generous welfare payments to
short-term working schemes. Quite strikingly, EU fiscal cooperation has stalled
and no common European initiative has emerged, with the exception of a
temporary lift of the fiscal constraints of the Stability and Growth Pact (SGP)
(the escape clause has been activated) and a softening of State Aid
regulations. Yet, various policy proposals coping with the economic and budget
consequences of the pandemic at the European level have flourished:
Coronabonds, recourse to the European Stability Mechanism (ESM), the SURE
initiative by the European Commission, and monetisation of public debt are all
widely debated. This post lists the proposals and highlights their respective potential
benefits and shortcomings.



The SURE Unemployment Mechanism

The European Commission announced on April 2 2020 its
proposition of a mechanism to support Member States in their attempt to deal
with the surge of labour market related expenditures (unemployment subsidies, temporary
unemployment, etc). The initiative of the European Commission to support Member
States in designing short-term work arrangements is important politically.

The Support to mitigate Unemployment Risks in
an Emergency (SURE), should take the form of a loan program to member states,
modelled on the functioning of the predecessor of the ESM, the EFSF created in
2010 to provide assistance to Member States in financial distress. The legal
basis of SURE, which the Commission sees as “ad hoc and temporary”, is Article
122 of the Treaty on the Functioning of the European Union (‘TFEU’), which
states that a Member state in trouble because of exceptional circumstances may
seek financial assistance from the EU. Like the ESFF, the facility would raise
funds on financial markets (at preferential rates), guaranteed by capital
guarantees provided by governments; these could be passed on to Member states
that have a lower credit rating and face higher financing costs. Article 122
has been conceived for asymmetric shocks, and SURE would be the first instance
in which it is used to shield Member states from a symmetric shock.

SURE is capped to €100bn (0.8 % of the Eurozone
GDP), and the amount obtained by each member is undefined (although caps are
defined). Article 6 of the proposed regulation simply says that following the
request by the Member State, the amount, pricing and maturity are decided by
the Commission, after it has assessed the extent of public expenditures
directly related to the creation of “short-time work scheme and similar
measures for the self-employed” (page 7 of the Regulation proposal). Guarantees
(“irrevocable, unconditional and on demand”) to the Fund are given by Member
states based on their share of GNI of the Union, on a voluntary basis, for an
amount of at least 25% of the total amount lent; the instrument will not become
fully operational until all countries contributed.

While it was presented as a solidarity scheme,
with a subliminal reference to a pan-European unemployment scheme, SURE is not
such a thing. It is simply a loan scheme, aimed at ensuring that the recipient
country obtains reasonable interest rates. Its capacity to be a game changer,
therefore, will eventually depend on the size of loans actually available for a
given country. And this is where the problems begin.

The Commission has designed the proposed Regulation
to ensure its financial viability, and with the priority of protecting its
standing as a good quality borrower. The total amount available for loans will
therefore depend on the guarantees. The €100bn will be reached only if
countries commit to guarantee 25% of that amount. Furthermore, caps to each
Member quota (the three largest loans cannot exceed 60% of the total), strongly
limit the amount of funds available for each country.

Let’s just make an example, taking the most
favourable case. Suppose that Member states pledge enough guarantees to reach
the full fund capacity of €100bn, which is far from obvious. If we take the two
countries that most likely will need the fund, Italy and Spain, and we assume
that they manage to ensure 25% each of that amount (remember that there is a
60% limit on the three largest loans) , this will make a loan of €25bn.
Assuming furthermore that this will yield a savings in interest payments equal
to the current spread (190 and 115 for Italy and Spain respectively as of April
4), we are talking about €475 and 287 million (0.03% and 0.02% of GNI)
respectively. An amount that will hardly make any difference in the current
situation, even abstracting from the fact that Italy and Spain will have to
commit in guarantees €2.7 and 1.9bn respectively (corresponding to the
respective quotes of EU GNI of 11% and 7.6%).

To summarize, SURE is a tool to provide Member
states with extra resources without the conditionality that would be involved
in other instruments such as the ESM (see next). The extra resources would come
from interest payment savings. SURE is not, as might be understood at first
sight, a mutual insurance tool. As such, it has no resemblance to existing proposal for unemployment (re)insurance
schemes
, although
it may be argued that it is a first decisive step towards a permanent European
unemployment  benefit scheme (Vandenbroucke et al., 2020). The most apparent flaw of SURE is its firepower. The €100bn
advertised are an upper bound unlikely to be reached in practice. And the
boundaries set to preserve the borrower rating of the Commission will severely
limit the amount of fresh resources quickly usable by the Member countries that
need them most.

A Special ESM Covid Credit line

A number of European economists have proposed the
creation of a Covid credit line within the ESM. This would have the
advantage of requiring no new institution, as the credit line could be created
by the ESM Board of Directors (article 19 of the ESM Treaty) as a new financial assistance
instrument. Contrary to existing ESM credit lines, the Covid credit line would
consist in very long-term loans (that the ESM should finance issuing bonds of
equally long maturity), so as to avoid that countries are forced to repay when
still in financial distress.

The ESM firepower is large but not unlimited.
It is currently €410bn (3,4 % of the Eurozone GDP), which is most likely going
to be insufficient in view of the challenges created by the pandemic. If that
amount had to be scaled up, additional guarantees by Eurozone countries would
have to be called in.

According to the authors, the creation of a
special line would allow to avoid the most serious and controversial shortcoming
of current ESM lending: stigma for countries applying for it and heavy
conditionality. The Covid credit line would involve very little conditionality,
just a commitment to spend the resources in Covid related expenditures.

Like for SURE, ESM financing involves very
little risk sharing, as borrowing from the Mechanism adds to domestic sovereign
debt. This is why it is today the most preferred option for core eurozone
countries. And like SURE, its main advantage is that it would shield
financially fragile Member countries by allowing them access to preferential
interest rates.

The main problem with the Covid credit line is
that being created within the ESM, it is organized by the same normative
framework that rules the other credit lines. ESM lending reposes on two
principles. The first, introduced in the Treaties following the creation of the
ESM in 2012, states that financial assistance to Member States “will be made
subject to strict conditionality” (Article 136(3) of the TFEU). The second principle, introduced
by one of the two regulations that make up the Two pack (No 472/2013, Art7(5)) states that the Council, acting on
a proposal by the Commission, can decide on changes to be made on a programme.
This means that whatever conditionality is agreed upon right now, in the
framework of the new Covid line, may be changed unilaterally by the creditors
later along the road. If the Covid line were to be agreed at the Eurogroup,
together with the light conditionality proposed by Benassy-Quéré et al (2020), changes would have to be made to
the normative framework to make it sure that such conditionality cannot be
changed later on, once things “go back to normal”.

Another potential problem of embedding the
Covid credit line within the ESM is that the latter is an intergovernmental
institution that has been agreed upon by Eurozone governments alone. The Covid
credit line would in principle only be available to them. Given the global
nature of the current pandemic, cutting out non-Eurozone countries would be
unthinkable. Therefore, even if it was possible to credibly commit to light
conditionality, the Covid line could not be the foundation of the European
joint effort.

Coronabonds as temporary Eurobonds

A group of German economists has proposed the implementation of
a common debt instrument at the Eurozone level. Such “Coronabonds” would be
jointly issued under shared liability. The amount issued would be of or
€1,000bn (8 % of Eurozone’s GDP) and a key feature of these Coronabonds for
their political feasibility in the short-run would be their limitation to the
current crisis period as a one-off measure.

The
liabilities for Coronabonds being shared, national sovereign debts would only increase
proportionally to the share of each country’s GDP in the euro area (equivalent
to the ECB capital key). The maturity of Coronabonds should be as long as
possible, and the interest payments being based again on ECB capital key, it
would imply a mutualisation of borrowing costs. In a more ambitious scheme, member
states that are the most severely affected and for which sovereign financing
conditions are the tightest could benefit in priority from these funds, but
this would involve more than just a mutualisation of borrowing costs, its
timely feasibility being greatly reduced.

The
question of the guarantees for these Coronabonds is key since they would most
likely finance other expenditures than infrastructures that could act as
collateral. They could be purchased by the ECB under PEPP (not at issuance, which
is currently not legally possible, but on the secondary market). The ECB self-imposed
issuer limit for supranational securities is 50% normally, but does not apply
to PEPP holdings, and there would be no capital key to respect. In an extreme
case, even an issuer limit of 99% would be legal: the EU Court of Justice in
2018 made the point that ECB purchases are legal as long as the ECB is “not
permitted to buy either all the bonds issued by such an issuer or the entirety
of a given issue of those bonds”.

The issuance of Coronabonds could be organised
by an existing institution like the ESM or the European Investment Bank (EIB)
so it would not entail creating a new legal framework or require a change in
the EU Treaty. Under these conditions, this framework would be operational
quickly as the crisis requires. Another advantage of such Coronabonds is that
they would act as a “safe asset” that could be used by Eurozone banks as
collateral and would reduce the probability of a vicious circle between banks
and governments as experienced during the 2012-2015 sovereign debt crisis. The
main drawback of this proposition relates to its political feasibility and
whether countries that opposed Eurobonds would not oppose such mutualisation of
borrowing costs as well.

Perpetual bonds or debt monetisation: the
solution of last resort?

The ECB has committed to being the lender of
last resort of banks, e.g. through favourably-priced long term refinancing
operation (LTROs) at the negative deposit facility rate, and it has extended
the Asset Purchase Programme by €120bn, then by an additional €750bn a few days
later with the temporary Pandemic Emergency Purchase Programme (PEPP). Yet, the
ECB has not become the de jure lender
of last resort for euro area Member States. The current health, economic and
financial crisis requires strong fiscal stimuli but the rise of public debt to
GDP ratio in highly indebted euro area countries, like Italy and France, raises
doubts on their debt sustainability. To mitigate the risk of debt
unsustainability, two additional proposals have been put forth recently.

Giavazzi and
Tabellini (2020)
advocate the issuance of perpetual Covid Eurobonds to fund
the necessary rise in public spending and decline in tax revenues that the
pandemic is generating in the euro area. Most characteristics of perpetual
bonds resemble those of the Coronabonds, except that the capital of the former
would never be redeemed. The Covid Eurobonds would be backed by the joint tax
capacity of euro area Member states. Each country would issue the amount of
Covid Eurobonds depending on its funding needs, but all bonds would be the
same. If the ECB committed to purchasing these Covid Eurobonds on secondary
markets, it would make their yield minimal. In the actual low rate environment,
Giavazzi and Tabellini argue that the yield on these bonds could be low as well
– they take the example of a yield of 0.5% – and that overall funding could
easily outweigh all other European funding instruments. The initiative for European Renaissance Bonds is very close to Covid Eurobonds in
its spirit. In contrast though, the Renaissance bonds would finance a common,
centralized fund under the responsibility of the Union’s institutions (e.g. the
Commission), and would not raise national debts. In contrast with other
discussed Coronabonds or Covid Perpetual Bonds, Renaissance bonds would be
entirely mutualized within the dedicated fund. Risk-sharing would be heightened,
as well as European solidarity.

De Grauwe (2020) does not propose the
creation of a new fund, a new financial instrument or the extension of a credit
line out of an existing institution (like the ESM). Instead, he advocates that
the ECB and the EU cross the Rubicon and accept that the former purchases the
public debts of the latter on the primary markets, hence at debt issuance.
While this would require either a Treaty change – the second indent of Article
132(1) of the Treaty on the Functioning of the European Union forbids monetary
financing – or much agility (or ingenuity to take De Grauwe’s word) of public
lawyers, this is not impossible to achieve as the recent example of the Bank of
England shows
, at
least on a temporary basis. First and foremost, the current context is
exceptional and requires exceptional measures. Second, what was considered
impossible in the past has finally been possible: the development of non-standard
policies by the ECB in 2008 with the Fixed Rate Full Allotment for the main
refinancing operations is one example. With the acceleration of the so-called
European sovereign debt crisis, the ECB has done “whatever it takes to preserve
the euro”. With the creation in 2012 of the not-yet-used Outright Monetary
Transactions programme (OMT), then the Assets Purchase Programme (APP), the ECB
has acted de facto as the lender of
last resort of euro area Member States. De Grauwe’s argument would lift a
contradiction between the behaviour of the ECB and the absence of a de jure lender
of last resort in the euro area (Creel 2018): debt monetization would make it clear that,
as in the US, the UK or Japan to name only a few, the central bank is the
lender of last resort not only of banks but also of States. To cope with the
health, economic and social costs of the pandemic, debt monetization through
secondary markets would have to be applied by all EU central banks, and not
only by the ECB.

The main risk with debt monetization though is
inflation. In the current circumstances, with the demand shock that seems to
dominate the supply shock and with oil prices collapsing, this is not likely.
Yet, if it happened, it would be welcome with joy at central banks which target
inflation and which are unable to fulfil their mandates in this respect. That
being said, debt monetization may be limited to newly-issued public bonds funding
the fiscal response to Covid-19 in the Member States. This would give them
almost unlimited fiscal margins for maneuver to dampen the crisis, without any
risk of seeing the spreads resurface between the core and the peripheral
countries of the euro area. Finally, long awaited inflation after debt
monetization would also alleviate the real debt burden, a characteristic shared
after most episodes of war-accumulated debts.

The second risk of debt monetization is the ECB
balance sheet risk it embeds, via the ECB backing of domestic fiscal policies. The
balance sheet risk is shared by all eurozone countries proportionally to ECB
capital keys. A temporary debt monetization conditional on the funding of
Covid-19 related expenditures or tax deference would not neutralize this kind
of risk, but it would limit it to exceptional circumstances.

Another substantial risk of debt monetization,
and of any form of debt mutualisation, is the moral hazard it could generate.
For instance, the ECB could actually back possibly inappropriate fiscal
policies. Here again, a temporary debt monetization conditional on the funding
of Covid-19 related expenditures or tax deference would not totally neutralize
moral hazard, but this one is very limited in the current Covid-19 context,
where the nature of fiscal policy as a necessary support to the economy is uncontroversial.
As a consequence, any temporary policy mechanism during this crisis period is unlikely
to generate wrong incentives.

Finally, it is useful to provide an order of
magnitude of the transfer to a European country of the most favourable financial
scheme of debt mutualisation. Assume, as an example, that public debt increases
by 10 points of 2019 GDP (public debt over GDP will increase at much higher
level due to the fall in GDP). With the spread between Germany and Italy currently
at 200 basis points, funding Italian public debt at the German interest rate
would save 0.2 point of 2019 GDP, hence €36 bn. In addition, it may be possible
that the interest rate on other countries’ debts increase a little. The ensuing
redistributive effect would thus help countries most affected by the Covid-19
crisis, which have substantial borrowing needs.




Ce que révèlent les stratégies de relance budgétaire aux États-Unis et en Europe ?

par Christophe Blot et Xavier Timbeau

Parallèlement aux décisions de la Réserve
fédérale
et de la BCE,
les gouvernements multiplient les annonces de plans de relance pour tenter
d’amortir les conséquences économiques de la crise sanitaire du COVID19 qui a
déclenché une récession d’une ampleur et d’une vitesse inédites. Le confinement
de la population et la fermeture des commerces non essentiels induisent
respectivement une baisse des heures travaillées et un empêchement de la
consommation ou de l’investissement combinant un choc d’offre avec un choc de
demande.



Aux États-Unis comme en Europe, les réponses à la crise se
dévoilent au fur et à mesure du temps, mais les choix effectués des deux côtés
de l’Atlantique livrent déjà des enseignements sur les idéologies, les
caractéristiques fondamentales des économies et le fonctionnement de leurs
institutions.

Budget fédéral :
en avoir un ou pas

Après quelques jours de négociations entre Démocrates et
Républicains, le Congrès américain vient de voter un plan de soutien à
l’économie de 2 000 milliards de dollars (9,3 points de PIB)[1],
prévoyant notamment des transferts vers les ménages, des prêts pour les PME et
des mesures de soutien aux secteurs en difficulté sous forme de report
d’échéances. Du côté des Européens, la Commission a proposé de créer un fonds
doté de 37 milliards d’euros dans le cadre d’une initiative en faveur de
l’investissement.  L’Union réaffecterait
également un milliard d’euros « en garantie au Fonds européen
d’investissement pour encourager les banques à octroyer des liquidités aux PME
et aux petites entreprises de taille intermédiaire »[2].
À
l’échelle de l’Union, ces sommes représentent 0,2 point de PIB et peuvent
sembler d’autant plus dérisoires qu’il ne s’agit pas de débloquer des fonds
additionnels mais de réallouer des fonds au sein du budget.

Ces différences de taille rappellent en premier lieu que le
budget européen est limité par construction et qu’il ne permet pas de répondre
à un ralentissement économique touchant l’ensemble des États membres. Au sein de l’Union
européenne, les prérogatives budgétaires sont la compétence des États
membres, tout comme les principaux instruments régaliens de réponse aux crises.

Ce sont les budgets nationaux qui sont mobilisés pour soutenir
l’activité économique. Ainsi, en cumulant les annonces faites au niveau des 5
plus grands pays de l’Union, on atteint une somme dépassant 430 milliards d’euros
(3,3 % du PIB), à laquelle il faut ajouter les garanties qui pourraient
s’élever à plus de 2 700 milliards, soit plus de 20 points de PIB de
l’Union européenne[3]. Les
mesures prises aux États-Unis et par les pays européens sont donc d’un ordre
de grandeur comparable et se distinguent donc par l’échelon auquel elles sont
prises puis par la répartition des sommes allouées. Aux États-Unis, le budget fédéral représente
33 % du PIB, ce qui permet de mettre en œuvre une action commune et
centralisée, qui bénéficie à l’ensemble des ménages et des entreprises selon
les décisions votées par le Congrès et opère donc implicitement une
stabilisation entre les États.  En effet, les
impôts ou taxes versés par les ménages et les entreprises des États
les plus touchés diminueront relativement et ces mêmes États pourront aussi bénéficier
plus largement de certaines mesures fédérales. Surtout, le Congrès américain
peut voter un budget en déficit, ce qui permet de mettre en œuvre des mesures
de stabilisation intertemporelle[4].

À l’opposé, l’UE n’a pas la capacité de s’endetter et ce
sont les États
membres qui s’endettent. Cette capacité de stabilisation peut être contrainte
par la difficulté à se financer, induisant une hausse des taux d’intérêt dans
un premier temps ou un assèchement des marchés dans un second temps. Les
différents États
membres ne sont pas égaux devant les marchés, du fait de leur situation
macroéconomique ou du niveau de leur dette, comme l’Italie. Mais au-delà de ces
différences, c’est surtout parce que les épargnants, par l’intermédiaire des
marchés financiers, peuvent arbitrer entre des dettes de différents pays dans
un espace juridique (l’UE) qui garantit la libre circulation des capitaux que
les mouvements de taux d’intérêt peuvent amplifier de petites différences
macroéconomiques et alimenter des dynamiques autoréalisatrices. La crise des
dettes souveraines en 2012 a montré que la contagion par les taux souverains
entraînant, après la Grèce, l’Italie et l’Espagne dans la spirale du doute des
marchés financiers, pouvait induire des transferts considérables des pays en
difficulté vers les pays considérés comme vertueux. La contrepartie de
l’arbitrage avait été la baisse des taux pour l’Allemagne ou la France. Ces
transferts peuvent atteindre plusieurs points de PIB, au point qu’ils
engendrent un risque d’éclatement de la zone euro : il peut être
préférable de mettre fin à la libre circulation des capitaux, capturer
l’épargne nationale pour financer la dette publique (et donc monétiser le
déficit public) plutôt que laisser s’envoler la charge de la dette et devoir se
soumettre à un plan de redressement humiliant en échange de l’aide européenne.

L’envolée des taux souverains italiens, avant la
clarification de la communication de la BCE, a alors logiquement relancé le
débat sur la possibilité d’émettre des euro-bonds (appelés corona-bonds)
et qui permettraient de mutualiser une partie des dépenses budgétaires des États
de la zone euro et d’éviter cette spirale de l’arbitrage entre dettes
souveraines que rien ne justifie et dont les conséquences peuvent aller jusqu’à
l’éclatement de la zone euro.

Tant que ces titres de dette commune ne sont pas mis en
place ou que la Banque Centrale Européenne répugne à intervenir pour racheter
telle ou telle dette publique européenne, le rôle des institutions européennes
doit se situer à une autre échelle. Il s’agit d’abord de favoriser la
coordination des décisions prises par les États membres et d’inciter les
gouvernements à prendre des mesures fortes afin d’éviter des passagers
clandestins, qui attendraient des mesures prises par leurs voisins un effet
positif[5].
Ces effets risquent cependant d’être limités et on n’imagine pas vraiment qu’un
pays ne prenne pas les mesures nécessaires pour aider directement les ménages
et les entreprises à faire face au choc.

Plus que la coordination, il est essentiel d’assouplir les
règles budgétaires en vigueur comme annoncé afin de donner les marges de
manœuvre nécessaires aux États en faisant jouer la clause de circonstances
exceptionnelles. Mais au-delà d’une réponse à court terme, il importe que la
crise ne soit pas l’occasion d’exercer une pression vers plus de discipline
budgétaire. La légitimité des États membres dans la crise et la pertinence
de leurs réponses sera scrutée de près après la crise. L’Union européenne ne
doit pas s’engager sur un débat décalé qui ne ferait que compromettre
définitivement sa légitimité politique.

Puisqu’il n’existe aucun outil de dette mutualisée, la BCE
joue un rôle crucial pour maintenir un faible niveau de taux d’intérêt pour
l’ensemble des États de l’Union, aujourd’hui et demain.

Adapter les
plans au fonctionnement du marché du travail

Au-delà des sommes engagées et du niveau institutionnel
auquel les décisions sont prises, le contenu des plans rappelle que le
fonctionnement du marché du travail est bien différent de part et d’autre de
l’Atlantique. Les États membres de la zone euro ont privilégié le recours au
chômage partiel, ce qui permet de maintenir les salariés en emploi et de
socialiser la perte de revenu à la source. Le tissu productif est préservé
parce qu’il n’y a pas de rupture du contrat de travail et les États
offrent, selon les dispositifs en vigueur, de compléter partiellement les
pertes de salaire afin de maintenir le pouvoir d’achat des ménages. Ces
mécanismes, déjà largement répandus en Allemagne et en Italie, ont été
récemment amplifiés en France ou développés en Espagne. Ce faisant, une fois la
récession sera passée, la reprise de l’activité pourra se faire dans de
meilleures conditions puisque les entreprises disposent déjà de la main-d’œuvre
et évite ainsi les coûts de recrutement et de formation.

Aux États-Unis, ces mécanismes sont peu répandus et le marché
du travail américain est très flexible. Les délais pour licencier les salariés
sont très courts si bien que les entreprises ajustent rapidement leur demande
de travail. La chute de l’activité se traduira rapidement par une hausse du
taux de chômage comme semble l’indiquer les premières remontées du ministère fédéral
du travail (graphique). En deux semaines, le cumul d’inscription au chômage a
effectivement dépassé 10 millions, bien plus que ce qui a été observé après la
faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 ou après l’effondrement de la
bulle internet en 2000. Par ailleurs, la durée d’indemnisation des chômeurs,
définie au niveau des États[6],
est généralement plus courte, ce qui expose rapidement les ménages au risque de
perte de revenu. C’est pourquoi une part importante des mesures du plan d’aide
voté par le Congrès prévoit un soutien direct aux ménages par le biais de
transferts ou de baisses d’impôts selon le niveau de revenu. Les mesures
prévoient également l’extension des périodes d’indemnisation et une aide supplémentaire
aux salariés licenciés qui pourra s’ajouter aux indemnités perçues dans le
cadre de l’assurance-chômage standard. Mais au lieu de cibler directement ceux
qui perdent leur emploi, ces mesures ont un spectre large. Un plan de relance
vigoureux sera sans doute nécessaire après la crise sanitaire. Mais, là aussi, les
effets d’aubaine consommeront une large partie du stimulus et il coûtera très
cher de remettre l’économie sur les rails d’avant la crise.

À l’approche des élections, ces choix expliquent aussi sans doute pourquoi Donald Trump semble parfois réticent à prolonger le confinement des Américains arguant que la crise économique pourrait faire plus de dégâts que la crise sanitaire[7]. Mais en laissant se répandre le virus, le nombre de personnes infectées et présentant des formes graves risque d’exploser et d’exposer les États-Unis à une crise sanitaire de grande ampleur. Il n’est pas certain que le bilan du Président s’en trouve plus favorable et que la stratégie américaine s’avère plus efficace, que ce soit sur le plan sanitaire ou économique.


[1] Ce plan
fait suite aux mesures précédentes dont le montant d’élevait à un peu plus de
100 milliards de dollars. Il inclut l’ensemble des mesures en faveur des
ménages et des entreprises (prêts et soutiens à la liquidité).

[2] Voir https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_20_459.

[3] Notons
de plus que certaines mesures ont été prises en fonction d’une durée supposée
du confinement et pourraient donc être recalibrées suivant l’évolution de la
situation.

[4] La
grande majorité des États ont par contre des contraintes en matière de déficit
ou de dette. Face à l’ampleur de la crise, certains d’entre eux débloquent
cependant également des dépenses qui peuvent donc s’ajuster au plan de soutien
fédéral.

[5] Si un
pays A décide d’augmenter ses dépenses, le pays B peut espérer en tirer partiellement
profit par la hausse induite des importations du pays A en provenance de B, et
particulièrement s’il est petit par rapport à A.

[6] Le
système d’assurance-chômage américain s’appuie sur un régime propre aux États.
L’État
fédéral intervient sur la gestion des coûts de l’ensemble du système. Voir
Stéphane Auray et David L. Fuller (2015) : « L’assurance
chômage aux Etats-Unis 
».

[7] Voir ici
pour une analyse des risques économiques et sanitaires.




L’économie européenne 2020

par Jérôme Creel

Comme chaque année, un peu avant
le printemps, l’OFCE publie dans la collection « Repères » des
Editions La Découverte un ouvrage synthétique sur l’état de l’économie
européenne et sur les enjeux de l’année à venir, L’économie
européenne 2020
. Il faut bien admettre que lors de la préparation de l’ouvrage,
dont le dernier chapitre a été achevé au tout début de l’année 2020, nous n’avions
pas anticipé que l’épidémie liée au coronavirus en Chine engendrerait la crise
sanitaire et économique globale dont nous subissons les effets depuis quelques
semaines. Aussi l’ouvrage ne répond-il pas à l’actualité essentielle du moment.
Il livre cependant quelques pistes de réflexion qui s’avéreront sans doute utiles
lorsque la phase aiguë de la crise sanitaire aura été dépassée. Ces pistes de
réflexion concernent l’impulsion politique européenne des derniers mois de
l’année 2019 et les ambitions de la nouvelle Commission européenne, les
perceptions des Européens à l’égard de l’Union européenne et les outils
macroéconomiques à mobiliser pour contrecarrer un ralentissement économique ou
une fragilisation du secteur bancaire.



Comme nous avons coutume de le
faire chaque année, est reproduite ici l’introduction de L’économie européenne 2020. Les parties de phrase en italiques sont
des ajouts visant à actualiser (un peu) le texte.

En 2020, Mesdames Christine
Lagarde et Ursula von der Leyen vivront leur première année pleine au sommet de
l’Europe, la première à la tête de la Banque centrale européenne et la seconde
à celle de la Commission européenne, dans un environnement européen et
international compliqué. Depuis le pic de croissance de 2017, l’activité
économique en Europe a donné de sérieux signes d’essoufflement. Dans un
contexte marqué notamment par l’incertitude politique – notamment quant à
l’évolution des tensions commerciales avec les États-Unis et à l’organisation
effective du Brexit –, et par la perspective de la fin du cycle
d’expansion américain et par la survenue
d’une crise sanitaire, économique et financière sans précédent
, se pose désormais
la question des marges de manœuvre européennes pour mener des politiques
économiques plus expansionnistes.

Du côté de la Commission
européenne, les projets ne manquent cependant pas : une nouvelle
stratégie de croissance, le Pacte vert (ou Green Deal), a pour but d’assurer
une transition écologique juste et équitable, tandis que le renouveau de
l’Europe sociale vise à assurer la justice sociale, « fondement de
l’économie sociale de marché européenne ». Il passera notamment par des
initiatives concernant les salaires minimums en Europe, le mécanisme de
réassurance chômage européen, les mesures en faveur de l’égalité femmes-hommes
et les incidences à long terme du vieillissement de la population européenne.

Du côté de la Banque centrale
européenne, les changements prévus sont moins en rupture avec la présidence
précédente : poursuite des mesures non conventionnelles pour respecter le
mandat principal de la BCE et soutenir l’économie de la zone euro, et poursuite
de la mise en œuvre des politiques dites macro-prudentielles.

Cet ouvrage dresse un état des lieux de l’Union européenne et met en perspective l’ensemble des initiatives annoncées. Après avoir présenté l’état de la conjoncture européenne (avant le déclenchement de la crise sanitaire) et les effets probables de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, et après avoir analysé les attentes des Européens à l’égard de l’Union européenne, l’ouvrage se concentre sur les grands thèmes mis en avant par la nouvelle Commission européenne : la nécessité de faire face au changement climatique et aux transformations des sociétés européennes. À cette fin, les questions de dette climatique européenne et celles d’inégalités environnementales en Europe sont abordées mais aussi les transformations des marchés du travail et le financement de la dépendance. Les initiatives de la Commission européenne s’inscrivent dans une période d’attentes plus critiques de la part des citoyens européens. S’ils continuent généralement à avoir un a priori positif à l’égard de la participation de leur pays à l’Union européenne, ses actions concrètes semblent engendrer une rupture entre les perdants et les gagnants de l’intégration européenne. Et les premiers, qui sont ceux qui attendent de l’UE qu’elle les protège mieux, sont aussi ceux qui expriment la confiance dans l’UE la plus faible pour mettre en place cette protection. L’ouvrage présente alors deux types de politiques susceptibles de mieux protéger les Européens : une politique budgétaire d’assurance-chômage européenne et une politique macro-prudentielle chargée d’assurer la stabilité bancaire en Europe.




La BCE face à la crise du Covid-19 : encore un effort?

par Christophe Blot et Paul Hubert

La BCE annonçait le jeudi
12 mars
une première série de mesures pour répondre au choc économique lié
au Covid-19. Cependant, ces annonces n’ont pas eu les effets escomptés sur les
marchés financiers et ont même probablement ajouté de l’incertitude. Au-delà
des craintes sur l’état de l’économie de la zone euro, la réponse de Christine
Lagarde à une question d’un journaliste durant la conférence de presse sur les
écarts de taux au sein de la zone euro a déconcerté par son décalage avec la
situation actuelle. Bien que la BCE ait annoncé un nouveau plan de rachats
d’actifs dans la soirée du 18 mars, il reste que toutes les solutions aux
problèmes de la zone euro n’ont pas encore été explorées.



Les mesures prises par la BCE

Dans la situation actuelle, l’action des banques centrales est essentielle pour soutenir la croissance et éviter que le ralentissement de l’activité et ses répercussions financières ne se transforment en crise bancaire ou des dettes souveraines. C’est la raison pour laquelle la BCE garantit aux banques l’accès à la liquidité par le biais d’opérations de refinancement et qu’elle a également renouvelé les accords avec la Réserve fédérale lui permettant d’offrir des liquidités en dollar[1]. La BCE a, dans un premier temps, annoncé qu’elle achèterait 120 milliards d’euros d’actifs supplémentaires d’ici la fin de l’année dans le cadre de son programme APP (Asset Purchase Programme). À ce montant se sont ajoutés 750 milliards d’euros dans le cadre d’un nouveau programme qualifié de PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) annoncé le 18 mars[2]. Les achats seront étalés sur l’année 2020 et seront répartis sur les différentes classes d’actifs déjà acquises par la BCE et, pour les achats de titres publics, en continuant de respecter la limite de détention par émetteur[3] et la clé de répartition selon la part dans le capital de la BCE[4], ce qui conduira la BCE à acheter une proportion plus forte de titres allemands que de titres italiens ou espagnols.

Ces achats permettront
d’assouplir les conditions de financement pour le secteur privé comme pour les États
de la zone euro, ce qui permettra d’accompagner les efforts entrepris par les
gouvernements pour soutenir l’activité. On peut ainsi espérer que ces mesures,
et notamment la deuxième annonce bien plus conséquente, permettront de calmer
les tensions qui ont de nouveau émergé sur les marchés de dette souveraine. Ces
derniers jours, les investisseurs avaient effectivement délaissé les titres
souverains de certains pays (Italie, Espagne, Portugal et dans une moindre
mesure France) au profit des titres allemands (graphique), même si le rendement
de ces derniers est reparti à la hausse ces derniers jours[5].

Lors de la conférence de presse
du 12 mars, Christine Lagarde a évoqué la propagation de l’épidémie à plusieurs
reprises, elle est restée étonnamment silencieuse sur les écarts (« spread »
en anglais) de taux d’intérêts. À la question d’un journaliste à ce
propos, Christine Lagarde a même déclaré que le rôle du Conseil des Gouverneurs
n’était pas de fermer les écarts de taux[6]
amplifiant immédiatement les tensions sur les marchés. Christine Lagarde est
cependant revenue un peu plus tard sur cette réponse déclarant qu’elle
s’engageait à éviter la fragmentation dans la zone euro et que des écarts de
taux élevés pénalisent la transmission de la politique monétaire.

L’erreur de communication en était-elle
une ?

Doit-on interpréter la phrase de
Christine Lagarde comme une erreur
de communication 
? Une autre interprétation est que cette réponse
spontanée de Christine Lagarde pendant la conférence de presse reflète
l’absence de consensus au sein du Conseil des gouverneurs qui avait eu lieu
dans la matinée et la réticence d’une partie des membres à prendre des
engagements sur les écarts de taux, qui contraindraient les banques centrales
de l’Eurosystème à acquérir une importante quantité de titres publics. En
particulier, cela pourrait avoir pour incidence d’enfreindre la règle de
répartition des achats de titres s’il s’avérait nécessaire d’acheter
massivement des titres souverains italiens[7]. Pour
certains membres du Conseil des gouverneurs, la BCE ne doit pas refinancer les États
et la garantie que les écarts de taux seront réduits pourrait être interprétée
comme le signal implicite d’un tel financement. Les voix discordantes qui
s’étaient exprimées en septembre 2019 à la suite des mesures expansionnistes
annoncées par Mario Draghi donnent du crédit à cette interprétation[8].

Cette hypothèse semble confirmée
par la déclaration de Robert Holzmann, gouverneur de la Banque centrale
d’Autriche, le mercredi 18 mars, jugeant que la politique monétaire de la BCE
avait atteint ses limites[9] et qui a
fait passer en moins de quelques heures les taux italiens de 2,4 à 3%. Cette
sortie a poussé la BCE à publier un communiqué de presse démentant cette
allégation tandis que sa chef économiste, Isabel Schnabel a, plus tard dans la
journée, insisté sur la capacité de la BCE à intervenir pour assurer la
transmission de la politique monétaire. Des mots aux actes, il n’y a eu qu’un
pas, franchi dans la soirée du 18 mars avec l’annonce du PEPP. Toutes les
marges de manœuvre n’étaient donc pas épuisées et les déclarations du
gouverneur autrichien, dans un contexte financier déjà très chahuté, ont en
réalité probablement poussé la BCE à corriger le tir.

Pourquoi et comment réduire les écarts de
taux ?

Pour autant, bien qu’il semble
que la BCE prenne la mesure de la crise et du risque d’un ralentissement très
brutal de l’activité, la question des écarts de taux dans la zone euro demeure
et les déclarations de Christine Lagarde ou d’Isabel
Schnabel
à propos de la fragmentation n’offrent pas de réponse adéquate sur
ce point. Le maintien de la clé de répartition pour les achats de titres va
continuer à soutenir plus activement le marché des titres allemands que celui
de la dette italienne puisque les achats sont proportionnels au PIB des États
membres. Le communiqué de la BCE indique que les achats pourront être réalisés
avec une certaine souplesse, ce qui signifie que la clé de répartition sera
respectée sur l’ensemble de la durée du programme mais pas nécessairement en continu.
Néanmoins, tant que la BCE n’aura pas remis en cause cette règle, la question
des écarts de taux subsistera.

Au-delà des potentiels
déséquilibres macroéconomiques et financiers existants, la crise actuelle résulte
avant tout d’une crise sanitaire. La réponse à cette dernière par le
confinement réduit fortement l’activité économique, ce qui pèsera sur l’emploi,
les revenus et la situation financière des entreprises. La réponse des États
au choc du Covid-19 sera en grande partie budgétaire avec des mesures destinées
à éviter les faillites d’entreprises, d’entrepreneurs, d’indépendants et
maintenir le pouvoir d’achat des ménages. De plus, avec la baisse à venir du
PIB, les ratios de déficit et de dette publique vont mécaniquement augmenter.
Ces efforts ne peuvent pas être réduits à néant par une hausse des taux qui réduirait
les marges de manœuvres et viendrait atténuer l’effet multiplicateur de la
politique budgétaire par le canal du risque souverain[10].

Christine Lagarde a d’ailleurs
appelé le 12 mars les gouvernements à mettre en œuvre les politiques adaptées et
coordonnées pour faire face au choc[11]. Dans
la mesure où cette action ne peut pas être obtenue via le budget européen qui est limité, les décisions seront
nécessairement prises par les États membres, ce qui pèsera donc sur
leur dette nationale. Cette action sera certes d’autant plus efficace qu’elle sera
coordonnée mais, étant donné la gouvernance européenne, elle restera d’abord du
ressort des États.

Il apparaît ainsi évident que la
banque centrale peut éviter une spirale où la hausse anticipée des déficits
provoque une hausse des taux, en particulier pour les pays dont la situation
macroéconomique était déjà fragile et la dette publique élevée. Pour ce faire,
le principal levier est donc de limiter une hausse des taux et l’apparition
d’écarts trop importants au sein de la zone euro. En l’absence de budget
européen, c’est à la BCE que revient la mission de coordonner implicitement les
efforts déployés par les États membres en finançant massivement les émissions de
dette liées aux plans de soutien.

La BCE pourrait ainsi annoncer
qu’elle garantit que les écarts de taux ne dépasseront pas un seuil donné
pendant le temps de crise indépendamment de toute annonce sur un montant
d’achats d’actifs. Il s’agirait d’une nouvelle version de l’OMT
– qui avait été annoncée lors de la crise des dettes souveraines en septembre
2012 par Mario Draghi – via laquelle
la BCE s’engagerait à acheter des titres de dette jusqu’à une maturité de trois
ans sans fixer de limite de montant a priori mais seulement une limite quant à
la durée de l’opération. La BCE enverrait ainsi un signal puisqu’en tant
qu’institut émetteur de la monnaie, elle a la possibilité de créer des réserves
en quantité importante, ce qui rend l’annonce crédible et efficace. Comme le
suggère Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, la conditionnalité[12] pourrait
cette fois porter sur les titres de toute maturité et limiter à la durée de la
crise liée au Covid-19 et aux mesures exceptionnelles prises pour y faire face.
Cette option rencontrera des réticences au sein du Conseil des gouverneurs
puisqu’elle conduit à envisager l’absence de limites pour les achats de titres.

Une autre solution pourrait être
de modifier, temporairement, la clé de répartition en fondant celle-ci non pas
sur le PIB des États membres mais sur les niveaux de dette[13]. En
l’état, même si le signal envoyé aux gouvernements et aux investisseurs est
rassurant, acheter une part plus élevée de dette allemande plutôt qu’italienne
ne va que très faiblement contribuer à réduire la fragmentation. Le dernier
paragraphe du communiqué de presse du 18 mars suggère que la BCE réfléchit à la
possibilité de reconsidérer la clé de répartition[14]. Le
plus tôt sera le mieux pour donner toute latitude aux États de gérer cette crise
sanitaire.


[1] La BCE a effectivement proposé des nouvelles
conditions pour les TLTRO-III (Targeted
long-term refinancing operations
) qui permettent aux banques d’obtenir un
refinancement en contrepartie des crédits qu’elles octroient aux entreprises.
Les banques pourront ainsi emprunter jusqu’à mille milliards d’euros (jusque
juin 2021) à un taux pouvant être inférieur de 25 points au taux des facilités
de dépôts, soit -0,75 %. Elle a aussi annoncé une opération de
refinancement à très long terme sans aucune conditionnalité. Cette dernière
mesure permet ainsi de répondre aux besoins de liquidité dans l’éventualité
d’une panique bancaire.

[2] Pour comparaison, l’annonce du premier programme
d’assouplissement quantitatif (APP) de la BCE était de 60 milliards d’euros sur
19 mois (de mars 2015 à septembre 2016) soit 1 140 milliards d’euros,
tandis que les achats d’actifs pour 2020 se montent à 1 050 milliards
d’euros (les 870 milliards d’euros annoncés ces derniers jours auxquels il
convient d’ajouter les 20 milliards d’euros par mois annoncés en septembre
2019, soit 180 milliards d’euros additionnels).

[3] Fixée à 33% pour les obligations souveraines. Les
Pays-Bas et l’Allemagne sont au-dessus des 30% donc très proches de la limite,
tandis que la France et l’Italie sont autour des 20%, en raison d’une dette
publique plus élevée (en % du PIB).

[4] Pour information, au 30 janvier 2020, la Bundesbank
représentait 21,4%, la Banque de France 16,6% et la Banque d’Italie 13,8%.

[5] Ce mouvement est aussi observé sur les taux
américains qui ont augmenté de 0,5 point entre le 9 et le 17 mars après avoir
fortement baissé (passant de 1,6 % début février à un creux de 0,5 %
le 9 mars). Dans un contexte de marasme boursier, la baisse du rendement
souverain américain traduisait sans doute une réallocation des portefeuilles
des investisseurs pour des actifs jugés liquides et sûrs. La contagion mondiale
de l’épidémie et du ralentissement économique et la perspective d’un soutien
budgétaire massif du gouvernement américain pourrait expliquer le surajustement
des taux américains.

[6] « We are not here to
close spreads 
».

[7] La répartition des achats de titres dans le cadre du
programme PSPP prévoit effectivement que ceux-ci soient déterminés en fonction
de la part des États
membres dans le capital de la BCE, ce qui signifie en pratique que la BCE
détient une proportion plus importante de titres allemands, puis français,
italiens…

[8] Voir Blot et Hubert (2019) pour une analyse des critiques qui avaient suivi les
mesures prises en septembre 2019.

[9] « monetary
policy has reached its limits ».

[10] Voir Corsetti, Kuester, Meier et Müller (2013).

[11] « an
ambitious and coordinated fiscal stance is now needed in view of the weakened
outlook ».

[12] Dans le cadre de l’OMT, la BCE s’engageait à acheter
les titres de dette à condition que les États adoptent un programme d’aide via le FESF / MES.

[13] Elle achète effectivement une part – du fait du poids
du PIB plus élevé de l’Allemagne – plus importante d’une dette moins élevée en
% du PIB. Cet argument est avancé et précisé dans Blot et Creel (2017).

[14] « To the extent that some self-imposed limits
might hamper action that the ECB is required to take in order to fulfil its
mandate, the Governing Council will consider revising them to the extent
necessary to make its action proportionate to the risks that we face. »




Brexit : les négociations (re)commencent

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni
quittera donc l’Union européenne, 9 mois après la date du 31 mars 2019
initialement prévue, ce qui ne laisse que 11 mois pour aboutir à l’accord qui
devrait intervenir le 31 décembre prochain pour fixer les relations futures
entre l’Union européenne et le Royaume-Uni. Toutefois, cette période de
transition pourra être prolongée si les deux parties le décident conjointement,
avant le 1er juillet, et ce pour une période d’un à deux ans. Il
n’est pas totalement exclu que les négociations n’aboutissent pas d’ici la fin
de l’année ce qui pourrait conduire à un Brexit sans accord. Jusqu’au 31
décembre (et au-delà selon l’évolution des négociations), le Royaume-Uni restera
dans le marché unique et l’union douanière.



Les deux parties doivent en février
définir leurs lignes de négociations. Les négociations seront délicates. Le
Royaume-Uni doit choisir entre trois positions. Le soft Brexit supposerait que le Royaume-Uni se donne comme objectif
premier de maintenir ses liens avec l’UE27 ; le Royaume-Uni maintiendrait
les règlements qu’il appliquait en tant que membre de l’UE et les ferait évoluer
comme ceux de l’UE. Dans ces conditions, le commerce de marchandises et de
services entre le Royaume-Uni et l’UE27 ne connaitrait pas de barrières.
Cependant, le Royaume-Uni n’aurait gagné aucune des libertés souhaitées par les
partisans du Brexit en termes d’autonomie de sa réglementation ; il
devrait s’aligner sur des règlements sur lesquels il n’aurait pas son mot à
dire. Le Brexit n’aurait apporté qu’une certaine autonomie politique et le droit
de limiter l’immigration des européens.

Dans un scénario de hard Brexit, le Royaume-Uni
s’exonérerait totalement des règles européennes ; il pourrait entreprendre
un choc de libéralisation en matière de droit du travail, de réglementation des
produits ; il pourrait viser à devenir un paradis fiscal et réglementaire.
Dans ces conditions, l’Union européenne mettrait des barrières à l’entrée des
produits britanniques en commençant par la mise en place des droits de
douane selon les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), puis
progressivement des barrières non tarifaires (du fait de divergences des normes
et de règlementations) ; les échanges de services seraient limités (en
particulier, en matière financière). Le Royaume-Uni chercherait à compenser par
des accords avec les États-Unis et d’autres pays hors Union européenne (en
particulier, ceux du Commonwealth). Cependant, ce choc libéral ne
correspondrait pas aux attentes des électeurs des milieux populaires qui ont
voté pour le Brexit ; le Royaume-Uni resterait lié par les accords
internationaux (ceux de l’Organisation internationale du Travail (OIT), les accords
de Paris, les accords de Bâle III et de l’OMC) ; les accords commerciaux
extra-européens supposeront des concessions sans doute difficiles pour le
Royaume-Uni et ne pourront pas compenser entièrement la perte de l’accès
au marché européen. 

Le scénario intermédiaire, de
compromis est sans doute le meilleur pour l’UE27 et le Royaume-Uni pris dans
leur ensemble. Il s’agit de faire des concessions réciproques afin de maintenir
des liens étroits entre l’UE27 et le Royaume-Uni, d’abord parce que le Royaume-Uni
est un débouché important pour l’UE27 (en 2018, les exportations de l’UE27 vers
le Royaume-Uni représentent 2,6% de leur PIB , avec un excédent commercial de
50 milliards d’euros, 0,35% du PIB ) ; ensuite, parce qu’avoir un paradis
fiscal et réglementaire à la porte de l’UE est dangereux (en obligeant soit à
s’aligner, soit à prendre des mesures de rétorsions). Il faut d’une certaine
manière que l’évolution future des règlements européens soit négociée avec le
Royaume-Uni, mais l’UE ne peut pas perdre son autonomie de décision et ne peut
accorder plus au Royaume-Uni qu’aux pays de l’Association européenne de
libre-échange (AELE : Islande, Liechtenstein, Norvège et Suisse).

La déclaration politique révisée signée
le 17 octobre 2019 par l’UE27 et le Royaume-Uni donne les grandes lignes des
futures relations entre le Royaume-Uni et l’UE27. Elle correspond à l’objectif
d’une relation forte, spécifique et équilibrée, le Royaume-Uni prenant un
certain nombre d’engagements réduisant le risque d’une stratégie fiscale et
réglementaire.

Ainsi, l’article 2 stipule que les
deux parties souhaitent maintenir des normes élevées en matière de droits du
travail et de protection des consommateurs et de l’environnement.

L’article 4 stipule d’une part que
l’intégrité du marché unique et les quatre libertés seront préservées, d’autre part
que le Royaume-Uni pourra mener une politique commerciale autonome et mettre
fin à la libre circulation des personnes entre le Royaume-Uni et l’UE27.

L’article 11 stipule que les deux parties
chercheront à coopérer et à agir en concertation, que le Royaume-Uni pourra
participer aux programmes de l’UE en matière de culture, d’éducation, de
science, d’innovation, etc. dans des conditions à négocier.

L’article 17 annonce la mise en place
d’un « partenariat économique ambitieux, large et équilibré », comportant un
accord de libre-échange. Mais l’article 20 reconnait que les deux zones
formeront des espaces économiques distincts, ce qui rendra nécessaires des
vérifications douanières. L’article 21 exprime la volonté de créer une zone de
libre-échange pour les marchandises, à travers une coopération approfondie en
matière douanière et réglementaire et des dispositions qui mettront tous les
participants sur un pied d’égalité pour une concurrence ouverte et loyale. Selon
l’article 22, les droits de douane seront évités et la règle d’origine sera
appliquée de « manière moderne et appropriée ».  Une coopération en matière de normes techniques
et sanitaires facilitera l’entrée des produits britanniques dans le marché
unique, dans le respect de son intégrité.

 L’article 27 annonce qu’en termes de services
et d’investissement, les parties devraient conclure des accords
ambitieux, complets et équilibrés, en respectant le droit de chaque partie à
réglementer. L’autonomie réglementaire nationale sera préservée, mais elle
devrait être transparente et compatible, dans la mesure du possible. Des
accords de coopération et de reconnaissance mutuelle seront signés sur les
services, notamment les télécommunications, les transports, les services aux
entreprises et le commerce sur Internet. La liberté de circulation des capitaux
et des paiements sera garantie. En matière financière, l’article 36 précise
l’objectif que des accords d’équivalence soient négociés avant la fin de juin
2020 ; une coopération sera établie dans le domaine de la réglementation et de
la surveillance. Les droits de propriété intellectuelle seront protégés,
notamment en ce qui concerne les indications géographiques. Des accords seront
signés sur le transport aérien, maritime et terrestre et l’énergie. Les deux
parties s’engagent à coopérer dans la lutte contre le changement climatique,
sur le développement durable, la stabilité financière et le protectionnisme.
Les possibilités de voyage pour des raisons touristiques, scientifiques et
commerciales ne seront pas affectées. Un accord sur la pêche devra être signé
avant le 1er juillet 2020.

Des dispositions devraient couvrir
l’aide publique, le maintien de normes de hauts niveaux, le droit au travail, la
protection sociale, l’environnement, le changement climatique et la fiscalité,
afin d’assurer une concurrence ouverte et équitable entre des acteurs placés
sur un pied d’égalité.

Le texte prévoit des organes de
coordination aux niveaux technique, ministériel et parlementaire. L’accord sera
géré par un comité mixte, chargé de résoudre les conflits qui pourraient
survenir. Un processus d’arbitrage peut être mis en place. Il devra se référer
à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’il s’agit d’une
interprétation du droit de l’Union, mais uniquement dans ce cas.

D’une part, le texte prévoit un
partenariat étroit et spécial, comme l’a demandé le Royaume-Uni ; d’autre part,
le Royaume-Uni s’engage à ne pas trop s’écarter des règles européennes ; enfin,
il reste des questions problématiques à négocier, comme les droits de pêche ou
l’autonomie de la politique commerciale britannique.

La
position du Royaume-Uni

Boris Johnson se donne comme priorité
une sortie effective du Royaume-Uni le 31 décembre 2020. Il espère aboutir à un
« Accord de libre-échange de première classe » avec « Zéro
Tarif, Zéro Quota ». Il engage des négociations en même temps avec
d’autres pays, en particulier les États-Unis, le Japon, le Canada… Par
ailleurs, il lance un ambitieux programme de sortie de l’austérité budgétaire
avec un programme pluriannuel de remise à niveau du système de santé
britannique, de l’aide à la dépendance, de l’éducation, des infrastructures en
particulier en Ecosse et au nord de l’Angleterre. Il propose de poursuivre la
hausse du salaire minimum (une hausse de 6 % vient d’être décidée pour
avril). Sa politique d’immigration visera à attirer au Royaume-Uni les
compétences nécessaires. Il maintient l’ambition britannique en matière de
lutte contre le changement climatique.

Boris Johnson et Sajid Javid, le chancelier de l’Échiquier, ont indiqué clairement qu’ils ne
souhaitaient pas de prolongation de la période de transition, que le
Royaume-Uni ne serait pas suiveur, qu’il aura sa propre politique commerciale
et ses propres réglementations.

Cependant, les accords avec les pays
tiers n’aboutiront pas facilement. Ceux-ci demanderont des concessions du
Royaume-Uni. Les États-Unis veulent pouvoir exporter des produits agricoles et
prendre pied dans les services publics (santé, éducation). Donald Trump a déjà menacé
le Royaume-Uni de sanctions s’il taxait les GAFA.

La
position de l’UE

L’UE 27 a désigné Michel Barnier comme le responsable de la
négociation avec le Royaume-Uni quant aux relations futures avec l’UE. La
Commission européenne adoptera des directives de négociations complètes et
préliminaires le 3 février. Ces directives seront soumises à l’accord d’un Conseil des
affaires générales, dont la prochaine réunion se tiendra le 25 février. L’UE
souhaiterait que la période de transition soit prolongée pour permettre
d’aboutir à un accord complet. L’intention est de négocier un accord de
partenariat global unique, avec la possibilité de le compléter ultérieurement.
La possibilité d’une sortie sans accord n’est pas écartée.

Un mandat de négociation sera donc donné à Michel Barnier. Le
risque est grand de reproduire la même stratégie que dans la première phase de
négociation de la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Dans une interview accordée le
26 janvier 2020 au Journal du Dimanche[1],
Michel Barnier réaffirme que « nous défendrons notre identité et nos
valeurs ; « nous ne prendrons pas le risque de fragiliser le marché
unique ». Il rappelle que c’est le Royaume-Uni a demandé le divorce ;
que l’UE est en position de force puisque le commerce entre l’UE et le Royaume-Uni
est beaucoup plus important pour le Royaume-Uni que pour l’UE ; qu’un pays
à l’extérieur du marché unique ne peut avoir les mêmes avantages qu’un pays
membre. Ce discours ne peut que rendre plus tendues les négociations. Michel
Barnier souligne déjà que la demande du Royaume-Uni d’une libre entrée des
marchandises britanniques dans le marché unique suppose, d’une façon ou d’une
autre, que l’UE ait un droit de regard sur les réglementations britanniques : « zéro tarif, zéro quota, zéro dumping ».

Douze textes publiés par la Commission européenne les 14 et 20
janvier lors de séminaires de travail précisent déjà les objectifs de l’UE. L’UE
prétend empêcher le Royaume-Uni de bénéficier d’un avantage concurrentiel
déloyal en réduisant les réglementations en matière de concurrence, de droits
du travail, d’aides d’État, de fiscalité. Elle veut à la fois un accord sur ces
points, des mécanismes de règlement des différends et la possibilité d’agir de
façon autonome si les engagements ne sont pas respectés. Le Royaume-Uni doit
s’engager à ne pas abaisser ses normes de droit du travail et de protection
sociale pour des motifs de compétitivité et d’attractivité. Il doit lutter
contre les pratiques d’optimisation fiscale. L’UE insiste sur le fait que les
deux zones seront des économies distinctes, ce qui implique la fin de la libre
circulation, la nécessité de contrôles douaniers, la fin de la reconnaissance
automatique mutuelle des réglementations (en particulier en matière de services
financiers), le refus de la négociation des régulations (le pays importateur
doit se plier aux règles de l’UE). 

La question de la pêche fait partie des questions prioritaires
pour plusieurs pays de l’UE27 (dont la France).  L’UE27 souhaite conserver les droits d’accès
de ses pêcheurs dans les eaux britanniques et maintenir une gestion commune des
ressources halieutiques.  La tenue en
parallèle de négociations sur la pêche et sur les services financiers (où les
Britanniques sont demandeurs) d’ici le 1er juillet suggère qu’un
compromis sera cherché sur ces deux secteurs.

Notons que la position de l’UE serait plus forte si elle s’appliquait
aussi aux pays membres, en luttant contre la concurrence fiscale de l’Irlande,
la tolérance de l’optimisation fiscale des Pays-Bas et la concurrence sociale
de certains nouveaux pays membres.

La
situation économique du Royaume-Uni

Le Brexit (qui n’a pas encore eu lieu)
n’a jusqu’à présent pas eu de conséquences catastrophiques pour l’économie
britannique. La croissance a été de 1,15 % (en glissement sur un an second
semestre 2019), proche de celle de la zone euro (1,2 %). Le taux d’inflation (en
glissement annuel en 2019) s’est stabilisé à 1,3% (1 % en zone euro). Fin 2019
le taux de chômage a baissé à 3,7% (contre 7,5% pour la zone euro). Avec la
victoire de Boris Johnson, la livre s’est stabilisée aux alentours de 1,18
euros, ce qui est au-dessus de sa valeur moyenne depuis le référendum. Le taux
directeur de la Banque d’Angleterre se situe à 0,75%, le taux à 10 ans à 0,55%
ce qui est modérément expansionniste, compte-tenu d’une croissance en valeur de
l’ordre de 2,5%. Le solde public était déficitaire de 2,2% du PIB en 2018 ;
le gouvernement britannique pourrait renoncer à l’objectif d’un solde équilibré
à moyen terme et même d’un solde inférieur à 2% du PIB, pour privilégier une
relance des dépenses publiques ; toutefois la marge est limitée.  Par contre, le Royaume-Uni a toujours un
déficit extérieur de l’ordre de 4,5% du PIB.

Selon les prévisions de janvier 2020 du
Fonds monétaire international (FMI), la croissance britannique serait un peu
plus forte en 2020 et 2021 (1,4 % puis 1,5%) que celle de la zone euro (1,3 % puis
1,4 %). Sans attacher trop d’importance à des différences minimes de
pourcentage, on constate cependant que les scénarios d’effondrement sont
écartés, et donc implicitement de hard Brexit[2],
et que de nombreux observateurs font confiance à Boris Johnson, comptent sur
son pragmatisme et son dynamisme dans les négociations avec l’UE, et sont aussi
confiants dans l’activisme de son programme de relance

Beaucoup dépendra des négociations qui
vont s’engager à partir de février. Il est probable (et souhaitable) qu’un
compromis soit trouvé, autorisant, mais limitant, une certaine prise de
distance du Royaume-Uni par rapport aux normes de l’UE, distance qui sera
limitée par les accords internationaux et le réalisme de Boris Johnson. L’article
« Brexit:
What economic impacts does the literature anticipate?
», présente
une revue de littérature des évaluations des impacts du Brexit. Le champ des
possibles est grand. Selon le NIESR[3],
le projet d’accord de libre-échange de Boris Johnson aurait un impact de -3,5
points à long terme sur l’économie britannique, ce qui est un chiffre moyen des
estimations, dans le cas d’une sortie avec accord de libre-échange. Une double
incertitude demeure, à la fois sur l’impact macroéconomique de la sortie, de
l’autre sur la capacité de trouver un accord entre un pays qui veut retrouver
son autonomie et une zone qui conditionne l’accord à la soumission à ses règles.


[1] voir :
« Nous ne
nous laisserons pas impressionner
 ».

[2] Dans la prévision
d’octobre 2019
de l’OFCE, l’impact d’une sortie sans accord le 31 octobre
2019 sur le PIB britannique était estimé à -2,8 % à l’horizon 2021 et -4,5 % à
l’horizon 2033,  sur la base d’une simulation
réalisée avec le modèle NiGEM.

[3] Hantzsche,
A., et G. Young. (2019). The Economic Impact of Prime Minister Johnson’s New
Brexit Deal. National Institute Economic Review, 250, F34-F37.




Quelles conséquences des taux d’intérêt bas sur les marges de manœuvre de la politique budgétaire ?

par Bruno Ducoudré, Raul Sampognaro et Xavier Timbeau

Les économies développées
connaissent depuis plusieurs années des taux d’intérêt réels historiquement bas.
Si la crise de 2008 est derrière nous – le chômage a retrouvé son niveau
d’avant-crise dans la plupart des pays développés et les PIB par habitant sont
les plus élevés jamais observés – ses stigmates sur les plans économique,
social et politique sont toujours là. De fait, les ratios d’endettement public
sont bien au-dessus de ceux d’avant 2008 : plus de 40 points en plus pour
la France, 50 points pour les États-Unis ou le Royaume-Uni, 30 points
pour la zone euro dans son ensemble, grâce à un ratio d’endettement en
Allemagne inférieur à celui de 2008. La situation conjoncturelle favorable, les
profits élevés, le dégonflement des bilans des banques centrales et les hauts
niveaux d’endettement devraient se traduire – dans une vision naïve – par une
hausse des taux d’intérêt réel. Dans ce contexte, le haut niveau des dettes
publiques aurait également été une incitation forte à réduire les déficits
publics pour éviter le risque d’insoutenabilité des finances publiques lié à un
emballement de la charge de la dette généré par une remontée des taux
d’intérêt, et c’est précisément cet argument qui présidait à la prudence
budgétaire.



Quelles sont les explications
possibles à ces taux d’intérêt réels bas ? C’est la question à laquelle
nous tentons de répondre dans une étude récente.
Au-delà de la surprise conjoncturelle, il apparaît que la faiblesse des taux
d’intérêt répond plutôt à des causes structurelles qui entravent la
normalisation de la politique monétaire. Ceci se traduit par des anticipations
durables de taux bas, aboutissant in fine
à l’aplatissement de la courbe des taux au moins pour le segment des actifs
sans risque. Dans cette étude, nous retraçons les tendances des taux d’intérêt
souverains depuis la décennie des années 1970 et rappelons les causes possibles
identifiées dans la littérature économique – effet des politiques monétaires
expansionnistes, stagnation séculaire, surabondance d’épargne privée. Nous
évaluons ensuite l’ampleur de l’espace fiscal ouvert par un scénario de taux
souverains durablement bas.

Nos simulations, conduites avec
le modèle iAGS de l’OFCE[1]
pour la zone euro, indiquent qu’une baisse de 1 point du taux d’intérêt long
pendant 10 ans aboutirait à un stock de dette publique rapporté au PIB plus bas
à l’horizon de 20 ans (cf. graphique). Les ordres de grandeur s’élèveraient à
-2 points de dette publique pour l’Irlande et iraient au-delà de -10 points
pour l’Italie, libérant ainsi des marges de manœuvre budgétaire significatives
pour les États
de la zone euro. Ces effets seraient toutefois limités en cas de ralentissement
concomitant de la croissance potentielle.


[1] Voir ici
pour une description détaillée du modèle iAGS.




L’euro-isation de l’Europe

par Guillaume Sacriste, Paris 1-Sorbonne et Antoine Vauchez, CNRS et Paris 1-Sorbonne

Dans le dernier article de La Revue de l’OFCE (n° 165, 2019) accessible ici, les auteurs analysent l’émergence d’un nouveau gouvernement européen, celui de l’euro, construit pour une large part à la marge du cadre institutionnel de l’Union. Ce faisant, il rend compte d’un processus de transformation de l’Europe (Union européenne et États membres), qu’on qualifie ici « d’€-isation de l’Europe », autour de trois dimensions : 1) la formation en son cœur d’un puissant pôle des Trésors, des banques centrales et des bureaucraties financières nationales et européennes ; 2) la consolidation d’un système de surveillance européen des politiques économiques des États membres ; 3) la progressive re-hiérarchisation des priorités politiques et des politiques publiques de l’Union européenne comme des États membres autour d’une priorité donnée à la stabilité financière, à l’équilibre budgétaire et aux réformes structurelles. L’article permet ainsi de redéfinir la nature des « contraintes » que la gestion de la monnaie unique fait peser sur les économies des États membres, des contraintes moins juridiques que socio-politiques, moins extérieures et surplombantes qu’immanentes et diffuses, et au final étroitement liées à la position clé désormais occupée par le réseau transnational de bureaucraties financières dans la définition des problèmes et des politiques européennes.