Sortir l’investissement public de la cible de déficit en Europe sans perturber la politique monétaire : et si c’était possible ?

par Jérôme Creel

La complexité des règles budgétaires européennes, le nouveau contexte économique avec des écarts très substantiels par rapport aux cibles de déficit mais surtout de dette héritée du traité sur l’Union européenne, et les enjeux de l’atténuation du réchauffement climatique et de la digitalisation réclament sans aucun doute une revue complète du cadre budgétaire européen. Cependant, aucun consensus n’a jusque-là émergé, à la fois sur la nécessité de la réforme du Pacte de stabilité et de croissance et sur la forme qu’elle devrait éventuellement prendre. La raison en tient sans doute pour partie à la difficulté d’appréhender les conséquences concrètes qu’un changement des règles pourrait introduire, par exemple sur l’organisation des autres politiques européennes, au premier rang desquelles figurerait la politique monétaire de la Banque centrale européenne.

Parmi les voies envisageables de réforme budgétaire figure la règle d’or des finances publiques. L’idée de la voir s’appliquer dans l’Union européenne n’est pas nouvelle et la recherche académique autour de sa pertinence a été abondante. Cette règle qui justifie de laisser l’investissement public en dehors de la norme budgétaire à respecter pourrait, par ses effets sur l’activité, l’inflation et la dette publique, avoir une incidence sur la conduite de la politique monétaire dans la zone euro. La hausse de l’investissement contribuerait-elle, par exemple, à augmenter un peu plus l’inflation, obligeant alors la Banque centrale européenne à intervenir ?

Sans évoquer explicitement l’application d’une règle d’or, le comité budgétaire européen a rappelé en juin 2021 que la logique ayant concouru à l’adoption des règles budgétaires sur les déficits et la dette publics en Europe s’inscrivait dans une réflexion sur la nature des interactions stratégiques entre politiques budgétaires et monétaires en Europe. L’argument avancé est le suivant : ces deux types de politique étant supposées poursuivre des objectifs distincts peuvent se trouver en situation de substituabilité stratégique (ou de jeu stratégique de « poule mouillée ») : chaque politique, en poursuivant son objectif, réagit aux conséquences de l’autre politique sur cet objectif en surenchérissant. In fine, la politique monétaire ayant pour objectif de stabiliser les prix devient d’autant plus restrictive que la politique budgétaire est expansionniste ; symétriquement, la politique budgétaire ayant pour objectif de renforcer l’activité est d’autant plus expansionniste que la politique monétaire est restrictive. L’imposition de règles budgétaires et la primauté accordée à la stabilité des prix dans le mandat de la banque centrale indépendante permettent d’échapper à cette surenchère de politiques économiques puisque les gouvernements voient leurs marges de manœuvre limitées. Il s’ensuit un équilibre conservateur : l’objectif de stabilité des prix l’emporte sur l’objectif d’activité. Le comité budgétaire européen rappelle cependant que la crise de Covid-19, inédite, a contribué à la complémentarité stratégique entre les politiques budgétaires et monétaires : dotées d’un objectif commun – la sortie de crise –, elles ont vu leurs effets renforcés par leur coordination. Lorsque la crise sera passée, les deux joueurs, les gouvernements d’un côté et la BCE de l’autre, reprendront leurs objectifs distincts d’avant la crise (voir aussi l’analyse de la BCE et la précision exprimée en fin de page 74).

Il m’a semblé que l’on pouvait utilement s’inspirer de ces réflexions sur les interactions stratégiques entre politiques monétaires et budgétaires européennes pour discuter des inconvénients potentiels d’adopter une règle d’or, en supposant que l’adoption d’une telle règle contribue effectivement à l’augmentation de l’investissement public. Si investissement public et politique monétaire s’avèrent être des substituts stratégiques, l’adoption d’une règle d’or des finances publiques pourrait s’interpréter comme une situation inférieure à l’équilibre institutionnel précédent (règles budgétaires sur le déficit total et primauté de l’objectif de stabilité des prix pour la banque centrale) : le changement de règle budgétaire obligerait, par exemple, la politique monétaire à surenchérir en augmentant ses taux d’intérêt après une hausse de l’investissement public du fait des tensions inflationnistes qu’il aurait engendrées. Pour échapper à la surenchère de politiques économiques, il faudrait associer à l’adoption de la règle d’or des finances publiques une coordination plus étroite entre les politiques budgétaires et la politique monétaire qui complexifierait peut-être un peu la gouvernance économique européenne. À l’inverse, si l’investissement public et la politique monétaire s’avèrent être des compléments stratégiques, l’adoption d’une règle d’or des finances publiques en Europe pourrait s’interpréter comme renforçant la stabilité économique et comme étant supérieure à l’équilibre institutionnel précédent. Il y aurait là un argument supplémentaire à l’adoption d’une règle d’or des finances publiques en Europe.

Dans un article paru récemment, j’ai donc étudié la substituabilité ou la complémentarité stratégique entre politique monétaire et investissement public, afin de mieux cerner leurs besoins de coordination dans l’Union européenne, a priori plus élevés en cas de substituabilité stratégique qu’en cas de complémentarité stratégique. Pour cela, j’ai utilisé un modèle vectoriel-autorégressif en panel en données annuelles entre 1995 et 2020 pour l’ensemble des pays de l’Union européenne à 27. L’exercice reste exploratoire, le modèle sous-jacent est réduit à 4 variables (taux d’intérêt de long terme, taux d’inflation, investissement public et dette publique) et ses résultats ne doivent pas être surestimés. Ils témoignent cependant d’une situation assez intéressante (voir figure ci-dessous) : un choc sur l’investissement public n’a pas d’impact défavorable sur l’inflation et ne fait pas remonter les taux d’intérêt.  Pour l’expliquer, on peut arguer du fait que l’investissement a à la fois un effet favorable sur la demande et sur l’offre. Dans le même temps, la hausse des taux d’intérêt ne conduit pas à une modification de l’investissement public, tout cela dans le cadre budgétaire européen actuel.

Ces résultats empiriques tendent à montrer qu’investissement public et politique monétaire ont jusque-là agi de manière complémentaire, ce qui pourrait alors justifier de relâcher les contraintes pesant sur les politiques budgétaires. Cela ne devrait cependant pas se faire sans un contrôle régulier des liens entre politique monétaire et investissement public dans le nouveau cadre budgétaire et sans une coopération politique renforcée sur la nature des investissements publics effectivement réalisés.




L’économie européenne sous présidence française

par Jérôme Creel

La nouvelle édition de L’économie européenne 2022 se concentre cette année sur les enjeux de l’après-crise de la Covid-19 pour le fonctionnement de l’Union européenne et principalement sur les questions budgétaires et monétaires. Elle éclaire ainsi quelques-uns des projets annoncés fin 2021 pour la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

Depuis le 1er janvier 2022, la France a pris la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne pour un semestre. À ce titre, la France va établir les objectifs à long terme de l’Union européenne et élaborer un programme définissant les thèmes et les grandes questions qui seront traités par le Conseil. Elle ne le fera cependant pas seule et pas seulement pour six mois car la règle en vigueur inscrite dans le Traité de Lisbonne depuis 2009 veut que chaque État membre présidant le Conseil de l’Union européenne établisse ses objectifs et le programme avec les deux autres États qui le précéderont ou lui succéderont dans ce rôle. La France formera ainsi un trio avec la Tchéquie et la Suède. La continuité des travaux du Conseil est donc assurée sur des périodes successives de 18 mois.



Toujours depuis 2009 et le Traité de Lisbonne, la présidence du Conseil de l’Union européenne se distingue de la présidence permanente du Conseil européen dont le rôle est principalement d’ordre administratif (préparation des Conseils) ou de représentation (lors des sommets internationaux). La présidence du Conseil de l’Union européenne conserve un rôle d’impulsion des travaux législatifs du Conseil tandis qu’elle partage avec la présidence du Conseil européen un rôle d’intermédiaire et de producteur de consensus entre les États membres, objectif devenu de plus en plus complexe et donc crucial, à réaliser au fil des élargissements de l’Union européenne.

La présidence française a ceci de particulier qu’elle précédera une période de vacance d’une année d’un représentant de la zone euro à la présidence tournante. Cela n’est sans doute pas sans importance dans le choix de la France de certains grands chantiers de réforme pour le premier semestre 2022, notamment celui du cadre budgétaire européen.

Les priorités de la présidence française se reflètent dans la devise qu’elle a adoptée : « Relance, Puissance, Appartenance » : la relance pour permettre à l’Union européenne de réussir les transitions écologique et numérique ; la puissance pour défendre et promouvoir les valeurs et les intérêts des Européens ; et enfin l’appartenance par la culture, les valeurs et l’histoire commune. Dans son discours du 9 décembre 2021 en vue de présenter les priorités de la présidence française, le Président de la République française, Emmanuel Macron, a défini trois grands axes autour desquels s’articuleront les activités de la présidence : mettre en œuvre un agenda pour une souveraineté européenne, bâtir un nouveau modèle européen de croissance et créer une Europe à taille plus « humaine » dont le point d’orgue pourrait être la conclusion de la Conférence sur l’avenir de l’Europe en mai 2022.

La défense de la souveraineté européenne consistera à maîtriser les frontières en poursuivant trois axes : la gestion des flux migratoires, la politique de défense et la stabilité et la prospérité du voisinage direct de l’Union européenne. La gestion des flux migratoires passera par un pilotage politique plus régulier de l’espace Schengen de libre circulation des personnes et par une meilleure organisation des flux migratoires extra-européens, notamment par l’harmonisation des règles en matière d’asile ou d’accompagnement des réfugiés ou des migrants. Sur les questions de défense, devenues sans doute plus urgentes après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la présidence française ambitionne de présenter l’état des menaces stratégiques qui pèsent sur l’Union européenne et d’aboutir, après les travaux menés depuis la présidence allemande notamment, à la définition d’une souveraineté stratégique européenne. Pour assurer une meilleure stabilité de son voisinage direct, principalement l’Afrique et les Balkans, la présidence française vise à intensifier les investissements européens, y compris dans les domaines de l’éducation, de la santé et du climat.

Du côté de l’agenda de croissance, la France poursuit les ambitions de la Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen en faveur de la transition vers une économie bas carbone et vers la digitalisation et la création d’un marché unique du numérique. Pour cela, la présidence française souhaite parachever l’union bancaire et l’union des marchés de capitaux. Elle envisage également que les règles budgétaires européennes accordent la priorité aux investissements nécessaires à l’achèvement de cette double transition. La présidence française souhaite aussi améliorer l’équilibre entre ambition climatique, justice sociale et maintien de la compétitivité. Pour cela, elle espère la mise en place du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et l’adoption de clauses de réciprocité (ou clauses miroirs) dans les exigences environnementales et sociales des futurs accords commerciaux. Enfin, la France veut contribuer à la création de « bons emplois », qualifiés, de qualité et mieux rémunérés. Sur le plan européen, cela passera par l’adoption des directives sur le salaire minimum en Europe et sur la transparence salariale pour renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes.

L’ouvrage L’économie européenne 2022, s’il cherche à analyser en priorité les enjeux de l’après-crise de la Covid-19 pour le fonctionnement de l’Union européenne, et principalement les débats budgétaires et monétaires qu’ils soulèvent, éclaire également certains projets de la présidence française du Conseil de l’Union européenne.

L’ouvrage présente tout d’abord un état des lieux conjoncturel de la zone euro. Coordonné par Christophe Blot, le chapitre expose les conditions de la reprise économique en 2022, notamment le maintien de conditions monétaires souples et le renoncement à l’austérité budgétaire précoce dans un contexte sanitaire en voie d’amélioration. L’incertitude prévaut cependant quant à l’intensité de la reprise attendue, et ce d’autant plus désormais qu’à la crise sanitaire succède une crise géopolitique majeure sur le continent européen.

L’ouvrage dresse ensuite un premier bilan du nouvel outil de gestion Next Generation EU (par Caroline Bozou, Jérôme Creel et Francesco Saraceno). Ce programme européen est dédié à la reprise et à la résilience après la crise de la Covid-19. Le chapitre présente les différentes innovations du programme, ses effets économiques attendus et les conséquences qu’elles pourraient avoir sur l’intégration budgétaire future des États membres.

Le chapitre suivant (par Christophe Blot, Caroline Bozou et Jérôme Creel) revient sur la révision stratégique de la Banque centrale européenne intervenue en juillet 2021. Le chapitre discute des raisons qui doivent inciter les banques centrales à revoir leur stratégie de politique monétaire à intervalles réguliers. Il présente ensuite les différents éléments de cette révision en mettant l’accent sur la définition de la cible d’inflation avant d’exposer des stratégies de révision alternatives qui tolèreraient des écarts plus durables et plus importants de l’inflation à sa cible.

Le quatrième chapitre (par Lucrezia Reichlin, Giovanni Ricco et Matthieu Tarbé) s’interroge sur la nature des relations entre politique monétaire et politique budgétaire : complémentaires afin de poursuivre les mêmes objectifs ou substituables car poursuivant des objectifs distincts ? Dans le premier cas, le besoin de coordination est généralement moins grand que dans le second. Le chapitre montre qu’avec l’avènement des politiques monétaires non conventionnelles, les besoins de coordination se sont plutôt renforcés, un point à garder à l’esprit dans les réformes à venir du cadre budgétaire européen.

Les deux chapitres qui suivent (l’un par Jérôme Creel et Xavier Ragot, l’autre par Xavier Timbeau) reviennent sur plusieurs changements structurels qui modifient la réflexion sur les règles budgétaires européennes : la montée importante des dettes publiques nationales, les charges d’intérêt au plus bas et l’émission d’une dette européenne commune. Le premier des deux chapitres expose les nombreuses propositions de réforme. Dans ce contexte inédit, deux voies de réforme du cadre budgétaire européen semblent souhaitables : l’une, radicale, avec le passage d’une coordination par des critères numériques à une coordination politique des politiques budgétaires, et l’autre, plus incrémentale, avec des règles assouplies associées à la pérennisation de NGEU. Le deuxième chapitre utilise la modélisation Debtwatch pour quantifier l’impact de différents scénarios de réduction des dettes publiques en Europe. La réduction des dettes imposerait à une bonne partie des États membres de la zone euro une austérité longue et peu compatible avec les autres objectifs à moyen et long terme, et ce sans gain économique véritable par ailleurs.

Le septième chapitre (par Catherine Mathieu) présente un bilan de l’application de l’accord du 24 décembre 2020 entre le Royaume-Uni et l’Union européenne sur le commerce de marchandises, la pêche, les services financiers, et l’Irlande du Nord. Les indicateurs suggèrent que le Brexit a eu un impact sur l’économie britannique qui reste cependant difficile à distinguer de celui du choc provoqué par la crise sanitaire.

Enfin, le dernier chapitre (par Tom Bauler, Vincent Calay, Aurore Fransolet, Mélanie Joseph, Eloi Laurent et Isabelle Reginster) expose les enjeux et les défis de la « transition juste » en Europe en proposant une définition claire et opérationnelle de cette notion. Il en explore ensuite les voies d’opérationnalisation au niveau politique. Enfin, il propose l’ébauche de tableaux de bord utiles à la mise en place d’une action publique dédiée aux objectifs de transition juste.

Le présent ouvrage ne traite pas de l’ensemble des grands axes de la présidence française du Conseil de l’Union européenne mais les lecteurs intéressés pourront toujours utilement se reporter aux éditions précédentes qui livrent des analyses toujours d’actualité sur certains d’entre eux. Je pense notamment aux chapitres sur « L’Europe au défi de la nouvelle immigration » (par Grégory Verdugo), sur « L’Europe face aux défis numériques » (par Cyrielle Gaglio et Sarah Guillou) et sur les « Marché(s) du travail : à la recherche du modèle européen » (par Éric Heyer et Pierre Madec) de l’édition de 2019, à ceux sur « La dette climatique en Europe » (par Paul Malliet et Xavier Timbeau) et sur « Polarisation et genre sur le marché du travail » (par Guillaume Allègre et Grégory Verdugo) de l’édition de 2020, ou encore à celui sur « Le Green Deal européen : juste une stratégie de croissance ou une vraie transition juste ? » (par Éloi Laurent) de l’édition de 2021.

Le présent ouvrage partage ainsi avec son objet, l’économie européenne, une dimension de continuité et de longue haleine.




Quelle orientation pour les politiques monétaires en 2022 ?

par Christophe Blot

Avec le retour de l’inflation en 2021,
l’attention se focalise sur les banques centrales dont le mandat est axé sur la
stabilité des prix. Entre le 15 et le 17 décembre 2021, la Réserve fédérale, la
Banque d’Angleterre (BoE), la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque du
Japon (BoJ) ont tenu leur dernière réunion de politique monétaire de l’année
2021. Quels enseignements peut-on tirer de ces réunions quant à la politique
d’achat d’actifs et l’orientation de la politique monétaire en 2022 ?
Faut-il s’attendre à une hausse rapide des taux d’intérêt ? Malgré
l’incertitude qui subsiste sur l’évolution de la pandémie et ses conséquences
sur l’activité au premier semestre 2022, les banques centrales ont progressivement
révisé leur appréciation de la situation face à l’augmentation de l’inflation.
Elles considèrent désormais que le choc inflationniste se prolongera en 2022. Partant
de ce constat, les anglais ont été les premiers à tirer puisque la BoE a annoncé
une première hausse de son taux directeur. La Réserve fédérale devrait suivre
en 2022 présageant donc d’un début de normalisation. Quant à la BCE, malgré
l’arrêt d’un programme d’achats d’actifs spécifique à la crise sanitaire, la
normalisation de la politique monétaire n’est pas encore envisagée. Dans tous
les cas, la dernière réunion ne suggère pas de hausse de taux en 2022 dans la
zone euro.



Les banques centrales révisent à la hausse l’inflation anticipée

La flambée récente des prix dans l’ensemble des pays industrialisés et émergents s’explique en grande partie par le rebond du prix de l’énergie et de nombreuses matières premières en lien avec les effets de la crise sanitaire sur la situation économique mondiale en 2020 et 2021[1]. Cette situation fait suite à une longue période caractérisée par une faible inflation et qui avait poussé les banques centrales à fixer leur taux d’intérêt à un niveau très bas et à mettre en œuvre des politiques monétaires non-conventionnelles via notamment des politiques d’achats d’actifs. Ces politiques, qui se sont traduites par une forte augmentation de leur bilan, visaient à réduire les taux de long terme[2]. Or, la stabilité des prix est un élément primordial du mandat des banques centrales. Il est donc naturel que les tensions inflationnistes récentes posent la question de leur réaction et d’un éventuel durcissement de l’orientation de la politique monétaire puisque l’inflation se situe nettement au-dessus de la cible de 2 % généralement retenue par les banques centrales pour juger de la stabilité des prix[3]. En effet, en décembre 2021, le glissement annuel de l’indice des prix à la consommation a atteint 5 % en zone euro et 5,1 % au Royaume-Uni en novembre (graphique 1). Aux États-Unis, le déflateur des prix à la consommation – indicateur suivi par la Réserve fédérale – progressait de 5,7 %, niveau qui n’avait pas été observé depuis le début des années 1980[4]. Au-delà de l’effet lié au prix de l’énergie, les indices sous-jacents affichent également une progression. Dans la zone euro, le glissement annuel est en effet passé de 0,4 % en décembre 2020 à 2,7 % un an plus tard tandis qu’aux États-Unis, le sous-jacent du déflateur de la consommation atteignait 4,7 % en novembre[5].

Alors que les banques centrales ne s’étaient initialement pas vraiment inquiétées du phénomène qu’elles jugeaient temporaire, force est de constater qu’elles ont progressivement revu leur jugement, ce qui s’est traduit par des révisions à la hausse de leurs anticipations d’inflation pour 2022 (graphique 2). Ainsi, les projections d’inflation qui avaient été communiquées par le FOMC (Federal Open Market Committee) en décembre 2020 pour la fin de l’année 2022 étaient de 1,9 %. Un an plus tard, l’inflation anticipée pour le quatrième trimestre 2022 atteint 2,6 %. La révision est aussi marquée pour la BCE avec une anticipation d’inflation qui est passée de 1,1 % en décembre 2020 à 3,2 % – pour l’ensemble de l’année – selon les dernières projections de décembre 2021[6]. Les tensions seraient certes toujours temporaires puisque les trois banques centrales envisagent une inflation plus proche de la cible pour 2023[7]. Il n’en demeure pas moins que dans un contexte de reprise mais aussi d’incertitude sur les effets du nouveau variant Omicron, les banques centrales se retrouvent face à un dilemme. Doivent-elles contrer ces tensions inflationnistes en durcissant l’orientation de la politique monétaire ? Même si le rebond de l’inflation est temporaire, l’inflation serait nettement au-dessus de leur cible pendant quelques mois, ce qui pourrait entraîner des effets de second tour. De plus, l’accumulation d’épargne par les ménages pourrait doper la croissance en 2022 et maintenir l’inflation à un niveau élevé[8]. Inversement, un durcissement prématuré risque-t-il de casser la reprise et freiner la baisse du taux de chômage ? À cet égard, le retour inattendu de l’inflation pourrait aussi permettre de voir comment la BCE et la Réserve fédérale pourraient ajuster leur politique monétaire après l’annonce des révisions de leurs cibles d’inflation. En effet, en juillet 2020, la banque centrale américaine a annoncé qu’elle souhaitait attendre une cible d’inflation de 2 % en moyenne indiquant ainsi qu’après un sous-ajustement à la cible, comme ça été le cas ces dernières années, elle tolèrerait une inflation supérieure à 2 %. Le rebond de l’inflation aurait pu laisser penser que la Réserve fédérale serait moins réactive en cas de hausse de l’inflation. L’accélération des prix est cependant importante aux États-Unis et le changement de ton récent suggère que même si la Réserve fédérale tolère une inflation supérieure à 2 %, le niveau actuel est probablement trop élevé[9]. Paradoxalement, la BCE n’a pas annoncé un ciblage de l’inflation en moyenne (AIT pour Average inflation targeting) mais précisé que la cible était de 2 % et qu’elle devait être interprétée de façon symétrique. Ainsi, la BCE juge qu’une inflation inférieure ou supérieure à 2 % n’est pas compatible avec son objectif de stabilité des prix. Néanmoins, il s’agit d’une cible à moyen terme et qui tient compte des délais de transmission de la politique monétaire. Ainsi, même si la BCE n’indique pas qu’elle tolèrera une inflation supérieure à 2 %, elle ne va pas automatiquement durcir sa politique monétaire lorsque l’inflation observée dépasse la cible mais conditionnera son action à son anticipation d’inflation à un horizon de 12-24 mois. Son anticipation pour 2023 indique donc que l’inflation actuelle est temporaire et qu’au-delà de 2022, l’inflation serait de nouveau inférieure à 2 %.

La Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale envisagent la
normalisation

La communication des banques
centrales lors des réunions de politique monétaire qui se sont tenues entre le
15 et le 17 décembre 2021 était attendue sur deux points : la poursuite de
la politique d’achats d’actifs et le niveau du taux d’intérêt directeur.

La BoE a été la plus prompte à
réagir en augmentant le taux directeur de 0,15 point. Celui-ci est ainsi passé
de 0,1 % à 0,25 %. Comme indiqué dans le communiqué du 16
décembre : « The MPC’s remit is clear that the inflation target
applies at all times, reflecting the primacy of price stability in the UK
monetary policy framework
 ». Par ailleurs, il a été décidé de
maintenir le stock de titres acquis par la BoE. Un élément clé de cette décision
traduit la façon dont la BoE a mis en œuvre sa politique d’achats d’actifs.
Contrairement à la Réserve fédérale et à la BCE qui annoncent des flux d’achats
sur une base mensuelle, la BoE procède par paliers annonçant une cible sur le
stock d’actifs – révisée si nécessaire – et en effectuant les achats rapidement
afin d’atteindre la cible[10].
De plus, la BoE n’a pas conditionné ses décisions sur les taux à sa politique
d’achats d’actifs alors que les communiqués de la BCE ont toujours précisé que
la hausse des taux ne serait envisagée qu’après l’arrêt des achats d’actifs.

Aux États-Unis, la hausse des taux serait précédée par une phase dite de tapering au cours de la laquelle la Réserve fédérale réduit progressivement les achats mensuels. La stratégie mise en œuvre par la banque centrale américaine consiste donc d’abord à communiquer sur ce sentier d’achats d’actifs. Cette première étape a été lancée au mois de novembre. Lors de la réunion du 15 décembre 2021, le FOMC a annoncé une accélération du rythme de baisse : à partir de janvier 2022 les achats mensuels seront de 60 milliards de dollars (40 pour les Treasuries et 20 pour les Mortgage-backed Securities) contre 120 milliards par mois avant novembre 2021. La réduction se poursuivrait au cours des mois suivants. La Réserve fédérale agit de façon séquencée comme elle l’avait fait lors de la précédente phase de normalisation amorcée en janvier 2014 (graphique 3). Les achats avaient cessé fin 2014 et le taux directeur avait été augmenté en décembre 2015. Enfin, la réduction de la taille du bilan – en milliards de dollars – avait été annoncée en juin 2017 et mise en œuvre à partir d’octobre 2017[11]. Le calendrier devrait toutefois être accéléré puisque les informations communiquées lors de la réunion du 15 décembre dernier suggèrent qu’il pourrait y avoir 3 hausses de taux en 2022. La durée entre l’arrêt des achats d’actifs et la montée des taux serait écourtée et les taux augmenteraient plus rapidement que lors de cette précédente phase de normalisation, où il n’y avait eu qu’une hausse en 2015 et une autre un an plus tard. Les membres du FOMC anticipent effectivement un taux cible pour les fonds fédéraux à 0,9 % fin 2022 alors qu’il est actuellement compris entre 0 et 0,25 %[12]. Il faut également noter que conformément à son mandat, le FOMC met également en avant la situation sur le marché de l’emploi puisque la Réserve fédérale doit non seulement garantir la stabilité des prix mais aussi atteindre un niveau d’emploi maximum. À cet égard, le taux de chômage a certes diminué pour atteindre 4,2 % en décembre mais le nombre d’emplois reste inférieur de 1,8 % (soit 2,8 millions d’emploi) à celui de décembre 2019 reflétant aussi des retraits de la population active. La perspective d’une stabilisation – en valeur – de la taille du bilan début 2022 et de plusieurs hausses des taux indiquent donc que la Réserve fédérale considère que la situation sur le marché du travail converge progressivement vers le niveau maximum d’emploi.

La BCE se montre plus prudente

Dans la zone euro, même si les tensions inflationnistes se sont accrues, la reprise économique demeure plus fragile. Au troisième trimestre 2021, le PIB restait inférieur de 0,3 % à son niveau de fin 2019 alors qu’il était 1,4 % au-dessus pour les États-Unis. Au regard du taux de chômage, l’amélioration semble plus nette puisqu’en novembre 2021, le taux de chômage s’établissait à 7,3 %, soit un niveau inférieur à celui observé avant l’éclatement de la crise sanitaire. Dans son communiqué présenté lors de la conférence de presse du 16 novembre, Christine Lagarde juge toutefois que la politique monétaire doit rester accommodante pour ramener à moyen terme l’inflation vers sa cible. Ainsi, plus que les tensions actuelles, la BCE perçoit toujours que l’inflation resterait inférieure à sa cible à l’horizon 2023, ce qui plaide donc pour une normalisation plus lente de la politique monétaire dans la zone euro. Néanmoins, le Conseil des Gouverneurs a annoncé l’arrêt du PEPP (Pandemic emergency purchase programme) pour 2022. Ce programme avait été mis en place en mars 2020, dans le cadre de la pandémie, pour lutter contre le risque souverain[13]. Notons que les achats avaient déjà ralenti conformément aux annonces effectuées depuis septembre 2021 (Graphique 4).  Néanmoins, cette réduction des achats, dans le cadre du PEPP, serait en partie compensée par une hausse des achats effectués via le PSPP (Public securities purchase programme). Au deuxième trimestre 2022, les achats passeraient ainsi de 20 à 40 milliards d’euros par mois. Ils repasseraient à nouveau à 20 milliards en octobre 2022, après un palier à 30 milliards au troisième trimestre. À ce stade, la BCE n’indique donc pas un arrêt complet des achats d’actifs. La taille du bilan continuerait par conséquent à augmenter, repoussant pour l’instant la perspective d’une hausse des taux, probablement au-delà de 2022[14].

Bien que la perspective d’une
normalisation des politiques monétaires ait été avancée, les banques centrales
restent prudentes à l’égard de la poussée inflationniste récente, considérant
qu’il s’agit d’un épisode temporaire. La même prudence semble prévaloir dans la
plupart des autres pays industrialisés. Au Japon, même si l’inflation est en
hausse (à 0,6 % en décembre 2021), elle reste largement inférieure à la cible
de la BoJ. Cette dernière n’a donc pas modifié sa communication.
L’assouplissement quantitatif se poursuit et l’objectif reste de maintenir le
taux court à -0,1 % et le taux obligataire public à 0 %. Un peu plus
tôt dans le mois, la Banque du Canada et la banque centrale australienne ont
également maintenu leurs objectifs de taux. Ceux-ci ont cependant augmenté en
Norvège.

Comment les marchés ont-ils
réagi à ces annonces de politique monétaire ?

Depuis le 15 décembre, on observe une hausse des taux longs en zone euro, aux États-Unis et au Royaume-Uni, qui se rapprochent des niveaux observés avant l’éclatement de la pandémie (Graphique 5). L’évolution est bien plus modeste au Japon. Le taux moyen sur les obligations publiques émises dans la zone euro a augmenté de 24 points de base avec une hausse légèrement plus marquée en Italie et en Espagne qu’en Allemagne et en France. Aux États-Unis, l’augmentation est comparable : -24 points de base entre le 14 décembre 2021 et le 4 janvier 2022 ; mais le taux reste inférieur à son niveau d’avant-crise. Quant au Royaume-Uni, elle dépasse 35 points de base. Les marchés ont donc intégré un durcissement modéré de la politique monétaire à l’horizon 2022. Dans l’éventualité où l’inflation se maintiendrait durablement au niveau observé en fin d’année 2021, les banques centrales pourraient accélérer le calendrier de normalisation de la politique monétaire, soit via des hausses supplémentaires de taux directeur soit par une réduction de la taille de leur bilan, ce qui se traduirait sans doute par une nouvelle hausse des taux longs.

L’année 2022 devrait donc être
caractérisée par une remontée des taux à court terme et sans doute aussi à long
terme au Royaume-Uni et aux États-Unis. Il est évident que la
poussée inflationniste observée depuis mi-2021 conduira les banques centrales,
en particulier la BoE et la Réserve fédérale, à accélérer le processus de
normalisation. La normalisation est également importante pour redonner des
marges de manœuvre aux banques centrales en cas de nouveaux chocs négatifs.
L’arrivée du variant Omicron suscite toutefois de nouveau de l’incertitude
quant à son impact économique. Même si les agents se sont en partie adaptés aux
contraintes prophylactiques, un ralentissement de la croissance sans baisse des
tensions inflationnistes placerait les banques centrales dans une position
d’arbitrage plus délicate entre leur objectif de stabilité des prix et le
besoin de soutenir l’activité.


[1] Voir le post
de l’OFCE
du 17 décembre 2021 sur ce point et l’analyse plus détaillée de Le Bayon et
Péléraux
(2021).

[2] Le taux
directeur fixé par les banques centrales représente une cible pour les taux de marché
à très court terme. Les variations de ce taux visent ensuite à influencer
l’ensemble des taux de marché le long de la structure par terme et des taux
bancaires.

[3] La
Réserve fédérale et la BCE ont d’ailleurs récemment réaffirmé le caractère
symétrique de cet objectif en révisant leur cible d’inflation.

[4]
L’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation augmentait de 7,1 %
en décembre.

[5] En
décembre 2021, l’indice des prix à la consommation corrigé des prix
alimentaires et de l’énergie augmentait de 5,5 %.

[6] La
détermination des anticipations d’inflation diffère entre les banques
centrales. Dans le cas de la Réserve fédérale, il s’agit des anticipations
formulées par les membres du FOMC tandis que pour la BCE, ce sont des
anticipations réalisées par les économistes de la BCE.

[7]
Respectivement 2,3 % et 2,2 % en fin d’année aux États-Unis et au Royaume-Uni
respectivement et 1,8 % sur l’ensemble de l’année en zone euro.

[8] Voir nos
prévisions économiques d’octobre 2021 publiées dans le Policy Brief
n°94 : Le prix
de la reprise
.

[9] Voir le post
de l’OFCE
du 4 janvier 2022 et l’analyse détaillée de Blot, Bozou et
Hubert
(2021).

[10] Voir Gagnon et
Sack (2018)
pour une comparaison de ces deux stratégies.

[11] Mesurée
en point de PIB, la taille du bilan a baissé un peu plus tôt, passant de
26,4 % au premier trimestre 2015 à 18,8 % au deuxième trimestre 2019.
Avant la mise en œuvre de mesures non conventionnelles, le bilan de la Réserve
fédérale représentait entre 6 et 7 % du PIB.

[12] Ce
scénario est celui qui ressort des Minutes.
La Réserve fédérale publie 3 semaines après la réunion un compte rendu détaillé
de la réunion du FOMC.

[13] Voir Blot,
Bozou, Creel et Hubert
(2021) pour une discussion plus approfondie sur les
objectifs et les effets des programmes d’achats d’actifs souverains mis en
œuvre par la BCE.

[14] Le communiqué du 16 décembre
indique effectivement que : « We expect net purchases to end
shortly before we start raising the key ECB interest rates 
».




Cibles d’inflation et anticipations d’inflation : quelle incidence des révisions de la Fed et de la BCE ?

par Christophe Blot et Caroline Bozou

La Réserve Fédérale et la Banque
Centrale Européenne ont toutes les deux annoncé, respectivement en août 2020
et le
8 juillet 2021
, des changements de leur stratégie de politique monétaire incluant
en particulier une révision de leur cible d’inflation. La stratégie de
politique monétaire permet aux banques centrales d’expliciter leur vision du
mandat et la stratégie qu’elles mettent en œuvre pour atteindre leur objectif. Ces
événements sont relativement importants car ils permettront de fonder les
décisions de politique monétaire futures. La Réserve fédérale et la BCE ont fait
évoluer leur définition de l’objectif de stabilité des prix afin de rendre
la cible plus transparente et mieux comprise par le public. Ces décisions
devraient permettre un meilleur ancrage des anticipations d’inflation. Qu’en
est-il quelques mois après ces annonces ?  



Bien que la justification des
deux banques centrales soit identique, les stratégies annoncées sont différentes.
Dans sa révision, la Reserve fédérale n’a pas modifié sa cible d’inflation,
toujours fixée à 2 %, mais a précisé qu’elle chercherait à atteindre cette
cible en moyenne. Ce changement de formulation reflète le passage d’une stratégie
dite de ciblage d’inflation (Inflation targeting, IT) à une stratégie de
ciblage d’inflation en moyenne (Average inflation targeting, AIT). L’objectif
de cette stratégie est de compenser les périodes de sous-ajustement de
l’inflation de telle sorte qu’après un choc négatif, la banque centrale cherche
à atteindre une inflation supérieure à 2 %. Dit autrement, la Réserve fédérale
ne durcirait pas trop rapidement sa politique monétaire (ou maintiendrait une
politique monétaire expansionniste) si une amélioration conjoncturelle ou un
choc positif (prix de l’énergie) pousse l’inflation au-dessus de la cible. La
prudence manifestée par le FOMC (Federal Open-market Committee), malgré
la poussée inflationniste observée depuis mars 2021, reflète en partie cette
modification de la stratégie. D’une part la Réserve fédérale considère que le
choc actuel est temporaire. D’autre part, il est cohérent de ne pas durcir trop
fortement la politique monétaire malgré une inflation qui dépasse 2 %
depuis plusieurs mois afin de compenser le sous-ajustement observé au cours des
années précédentes[1].

Quant à la BCE, elle considère
désormais que la stabilité des prix correspond à une inflation égale à
2 %. Rappelons qu’il s’agit d’une cible que la banque centrale souhaite
atteindre à moyen terme. En effet, la politique monétaire n’a aucun effet sur
l’inflation courante. Il n’est donc pas pertinent de réagir à un choc ponctuel
sur l’inflation. La banque centrale est cependant censée réagir dès lors
qu’elle anticipe que le choc est durable et qu’il y a un risque que l’inflation
dépasse la cible à un horizon de moyen terme[2]. Selon
la formulation précédente, l’objectif était d’atteindre une inflation « inférieure mais proche » de
2 %. Cette définition datant de 2003 manquait de clarté puisque l’on pouvait
considérer qu’un taux d’inflation de 1,7 %, 1,8 % ou 1,9 %
correspondait bien à une inflation proche mais inférieure à 2 %. En outre,
cette définition de la stabilité des prix créait une forme d’asymétrie. Une
inflation légèrement inférieure à 2 % était effectivement conforme à la
cible alors qu’une inflation légèrement supérieure à 2 % ne l’était pas[3]. Dit
autrement, une telle définition suggérait une réaction de la BCE en cas de
déviation positive mais pas nécessairement en cas de déviation négative. La
révision de la BCE clôt également le débat sur la symétrie et la quantification
précise de la cible d’inflation.

Dans une Étude Spéciale récemment publiée dans le dossier de prévisions 2021-2022, nous évaluons comment l’annonce de ces révisions a été perçue et si elle a modifié la formation des anticipations des agents privés telles que mesurées par un indicateur de marché[4]. Notre analyse montre qu’au moment de l’annonce, l’inflation anticipée mesurée par les marchés a baissé dans la zone euro mais augmenté aux États-Unis (graphique). Au-delà de l’effet d’annonce, nos résultats indiquent que la décision de la BCE n’aurait pas significativement modifié la dynamique des anticipations de marché telles qu’elles sont mesurées par les marchés financiers. Il est frappant de constater que l’effet de la révision de la stratégie de la Réserve fédérale semble plus significatif que celui de la BCE. Le faible effet des annonces de révisions de la cible d’inflation, notamment en zone euro, pourrait suggérer différents éléments. Tout d’abord, il se peut que les annonces de la BCE aient simplement officialisé un élément qui avait déjà été intégré par les marchés financiers avant l’annonce de révision de la cible d’inflation (Reichlin et al., 2021) ou que les marchés financiers avaient anticipé une révision plus importante de la cible[5]. D’autre part, la différence d’effets entre la zone euro et les États-Unis pourrait être liée aux caractéristiques de la réforme. Ainsi, l’annonce d’une cible symétrique produirait moins d’effets que l’annonce d’une cible en moyenne (AIT) dans le temps parce que la seconde introduit des phénomènes de compensation : la banque centrale ne doit pas seulement se soucier des déviations à venir de l’inflation à sa cible mais aussi des déviations passées.


[1] Les
dernières annonces de politique monétaire prévoient une diminution des achats
d’actifs. Par ailleurs, les
dernières projections des membres du FOMC
du 15 décembre suggèrent 3
hausses de taux en 2022 contre une seule lors de la réunion de septembre.

[2] Etant
donné les délais de transmission de la politique monétaire, cet horizon est au
moins d’un an. Ainsi, dans ses
dernières prévisions annoncées le 16 décembre
, la BCE anticipe certes une
inflation de 3,2 % en 2022, mais un retour sous la cible de 2 % en
2023. Etant donné la reprise moins rapide en zone euro qu’aux États-Unis,
la BCE augmentera ses taux probablement plus tard que la Réserve fédérale.

[3] Notons par
ailleurs qu’un dépassement de la cible d’inflation n’entraîne pas une réaction
automatique de la banque centrale. La BCE est censée réagir dès lors que
l’inflation menace l’objectif à moyen terme. Une réaction systématique à des
chocs ponctuels provoquerait une forte volatilité des taux d’intérêt qui serait
déstabilisante pour l’économie.

[4]
L’inflation à 5 ans dans 5 ans.

[5] Ils
pouvaient par exemple anticiper que la BCE s’orienterait également vers une
stratégie de cible d’inflation moyenne ou qu’elle annoncerait une cible
d’inflation plus élevée ou bien encore l’adoption d’une bande autour de la
cible. Ces différentes options sont discutées plus en détails dans Blot,
Bozou et Creel (2021)
.




La zone euro doit-elle s’en remettre aux États-Unis ?

par Christophe Blot, Caroline Bozou et Jérôme Creel

La pandémie de Covid-19 a conduit
les gouvernements et les banques centrales à mettre en œuvre des politiques
budgétaires et monétaires expansionnistes partout dans le monde. Les États-Unis
se distinguent par un soutien budgétaire conséquent, bien plus important que
celui mis en œuvre dans la zone euro. Dans un document récent en vue de la
préparation du Dialogue
monétaire entre le Parlement européen et la BCE
, nous revenons sur ces différentes
mesures et discutons de leurs retombées internationales. Étant
donné l’ampleur des plans de relance et le poids de l’économie américaine, nous
pouvons effectivement anticiper des retombées significatives sur la zone euro. Celles-ci
dépendent cependant non seulement de l’orientation des politiques économiques
mais également de la nature précise des mesures adoptées (transferts, dépenses
et articulation entre la politique monétaire et la politique budgétaire).



La politique monétaire
expansionniste est généralement perçue comme une politique du chacun pour soi
puisqu’une baisse du taux d’intérêt américain devrait entraîner une
dépréciation du dollar américain défavorable aux partenaires commerciaux des États-Unis.
Cependant, la littérature montre que le canal du taux de change peut être
dominé par un canal financier et par l’augmentation de la demande issue de
l’économie américaine, tous deux générant des retombées positives (cf. Degasperi,
Hong et Ricco, 2021
).

Les retombées internationales de
la politique budgétaire devraient également être positives, via là encore des effets de demande,
mais également via une appréciation
attendue du dollar (voir Ferrara,
Metelli, Natoli et Siena, 2020
) ou via
des effets d’anticipations de retour à l’équilibre des finances publiques à la Corsetti, Meier et Müller
(2010)
. L’impact favorable pour le reste du monde peut aussi être atténué
si l’expansion budgétaire américaine se traduit par une hausse du taux
d’intérêt mondial. In fine, l’ampleur
des retombées internationales de la politique budgétaire américaine devrait
dépendre de la réaction du taux de change et du taux d’intérêt. Faccini,
Mumtaz et Surico (2016)
confirment l’importance des effets financiers mais montrent
cependant que le taux d’intérêt réel pourrait baisser après un choc
expansionniste américain.

Dans ce document, les simulations
réalisées à partir d’un modèle macroéconomique et l’analyse empirique
confirment les effets positifs d’une politique monétaire expansionniste aux États-Unis
sur le PIB de la zone euro. Toutefois, il existe une incertitude sur le calendrier
et la durée de ces retombées positives.

En ce qui concerne la politique
budgétaire, l’analyse empirique suggère des retombées positives des mesures
américaines mises en œuvre depuis le déclenchement de la crise du Covid-19, au
moins à court terme (au cours des deux premières années). Compte tenu de
l’ampleur de l’impulsion budgétaire, ces retombées ne seraient pas
négligeables.

Les retombées mondiales des
politiques macroéconomiques américaines devraient donc être positives mais des incertitudes
persistent au-delà de 2022.

Il faut cependant garder à
l’esprit que la croissance de la zone euro dépendra d’abord de l’orientation de
son propre policy mix. Par
conséquent, elle ne devrait pas seulement s’appuyer sur les politiques
américaines pour consolider et accélérer la reprise. Les impulsions budgétaires
contrastées en 2020 et 2021 entre les États-Unis et la zone euro indiquent déjà
un risque de divergence croissante entre les deux régions.

Nous discutons également
brièvement du fait que les principaux effets d’entraînement des États-Unis
peuvent ne pas provenir des politiques macroéconomiques mais des risques
financiers. Les prix des actifs ont fortement augmenté en 2020, laissant craindre
un risque de bulle financière, du moins aux États-Unis. Ce risque pourrait avoir
un impact important sur la zone euro à moyen et long terme.




La « théorie moderne de la monnaie » est-elle utile ?

par Xavier Ragot

Le débat macroéconomique est actuellement très animé. Le changement de politique économique aux États-Unis après l’élection de Joe Biden suscite un débat sur les résultats à attendre de la Bidenonics. Dans le débat d’idées, des propositions keynésiennes radicales sont défendues par la « théorie moderne de la monnaie » (MMT). Ce courant défend l’idée de plans de relance massifs et de monétisation des dettes publiques. Ce billet discute les propositions de la MMT à travers la recension de deux livres récents : Stephanie Kelton, Le mythe du déficit, Editions Les liens qui Libèrent, 2021 et Pavlina Tcherneva, La garantie de l’emploi, Editions La Découverte, 2021.



Avant d’en faire la
critique, on peut résumer simplement les propositions de la MMT : la
première idée-force est la promotion d’une politique monétaire au service de la
politique budgétaire. Elle défend le rachat systématique des dettes publiques
par les banques centrales, ce que l’on appelle la dominance fiscale de
la politique monétaire, afin de permettre une hausse des dépenses publiques.
Pour les économistes, la dominance fiscale est opposée à la dominance
monétaire
, qui défend l’idée que le rôle premier de la politique monétaire
doit être le contrôle de l’inflation et laisser à l’impôt le soin de financer
les dépenses et la dette publiques.

La seconde
proposition est la promotion d’un État employeur en dernier ressort. L’État
devrait être en charge de fournir des emplois d’utilité publique à tous les
chômeurs : un service public de l’emploi pour éviter la bascule dans la
pauvreté.

On peut
résumer la critique suivante, plutôt bienveillante, de la théorie moderne de la
monnaie :  on a du mal à voir des choses
vraiment nouvelles. Il ne s’agit pas d’une théorie de la monnaie, et elle n’est
pas moderne, même si elle permet de stimuler le débat d’idées !

Faut-il financer les dettes publiques par la monnaie  ?

Tout d’abord, ne boudons pas notre plaisir. Le livre de Stephanie Kelton est un bon livre d’économie grand public, et une introduction, polémique et vivante, à la macroéconomie. Bien sûr, le livre n’est pas parfait, mais avant les critiques, il faut souligner le plaisir de lecture. La thèse de Stephanie Kelton est que la création monétaire se fait pour le compte des États, pour des pays comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne qui n’appartiennent pas à des unions monétaires.  Dans ces pays, l’État peut demander à la banque centrale de racheter la quantité de dette publique qu’il veut en créant de la monnaie : ce sont les États qui fixent les statuts de leur banque centrale nationale. Cette souveraineté monétaire permet à l’État de financer des politiques ; la seule contrainte est l’inflation. Pour la MMT, la politique monétaire devrait être au service de la politique budgétaire, cette dernière devant gérer les risques inflationnistes en stabilisant la demande agrégée.  L’intérêt de l’approche est de rappeler quelques vérités économiques, et même simplement comptables. J’en prendrai deux, avant de préciser la critique.

La première est tout d’abord
que la dette publique est détenue par quelqu’un : la dette de l’État est
la richesse de quelqu’un d’autre. En conséquence, cela n’a pas de sens d’écrire
que « nous » sommes endettés, parce que l’État est endetté. C’est le
contraire, nous sommes riches de la dette publique que nous détenons sur
l’État.  L’effet sur notre richesse
dépend non pas de la dette elle-même, mais de la répartition du financement des
intérêts. Cette manière de penser conduit à rétablir les comptes d’agents.
Quand l’État émet des dettes, d’autres acteurs les détiennent, et recevront
l’intérêt sur les dettes et le remboursement éventuel du principal.
L’endettement public contribue donc à la formation du patrimoine d’autres
acteurs

L’intérêt du livre de Stephanie Kelton est de présenter ces relations comptables sous une forme vivante et polémique, en attaquant directement les acteurs politiques aux États-Unis qui ne comprennent pas ces réalités macroéconomiques. En effet, il ne faut pas croire que la compréhension de ces effets macroéconomiques soit générale. En France, il y a encore des personnes  qui croient que la dette publique est un « endettement auprès des générations futures », ce qui fait peu de sens, comme on en a discuté ailleurs. Le combat de Stéphanie Kelton pour la macroéconomie est donc salutaire, et beaucoup reste à faire.

La seconde vérité comptable
est plus intéressante pour le débat public. Dans nos économies, les banques
centrales appartiennent aux États qui ont le monopole d’émission de la monnaie
centrale, comme les billets, les pièces et la monnaie détenue par les banques.
Cette monnaie ne peut pas être refusée dans les transactions, par contrainte
légale. L’existence des cryptomonnaies ne remet pas en cause de manière
significative ce monopole dans un futur proche. D’ailleurs, on peut attendre
une réponse vigoureuse des États pour garder, par leur banque centrale, le
contrôle de l’émission de la monnaie. 
Dans la zone euro, ce monopole public est aussi valide, mais la BCE
« appartient » à différents États. 
Cependant, la création monétaire globale se fait au profit des États.
Comment pense un macroéconomiste ? À un niveau abstrait, l’État peut se
financer soit par émission de la dette publique, soit par émission de monnaie.
Cette dernière possibilité est appelée seigneuriage dans la littérature
économique, car elle provient de ce monopole d’émission du souverain monétaire.
Cette vision générale est une évidence en économie monétaire. Par exemple, le
manuel le plus standard d’économie monétaire lui consacre un chapitre entier
(voir le chapitre 4 in Carl Walsh, Monetary
Theory and Policy
, MIT Press). Le fait que la dette publique soit détenue
par des non-résidents ne change pas la logique car on paie ces derniers en
monnaie nationale.  Tant que l’inflation
est faible et peu volatile (et c’est bien le sujet !), la monnaie nationale
est acceptée dans l’échange. Le problème du financement monétaire est qu’il
peut créer des effets déstabilisateurs et générer de l’inflation, ce qui réduit
le pouvoir d’achat des ménages, avec des effets complexes sur les inégalités.
On dirait aujourd’hui qu’une inflation prévisible est un bien public car elle
permet à chacun d’éviter des fluctuations imprévisibles de son revenu.

Ainsi, il n’y pas vraiment
de théories nouvelles dans la MMT. Je crois que l’enjeu de cette
« théorie » est tout autre et n’a pas pour but de convaincre le
macroéconomiste ou le théoricien de la monnaie. Il s’agit de promouvoir une
politique économique alternative, stimulant l’activité par des dettes publiques
élevées et une monétisation éventuelle des dettes publiques, en acceptant un
risque inflationniste plus élevé. Le livre défend l’orientation économique de
l’après-guerre, la politique que l’on qualifie de keynésienne traditionnelle
qui consiste à mobiliser les outils budgétaires pour atteindre le plein emploi,
même si cela conduit à une inflation modérée. Stéphanie Kelton réhabilite en
cela Abba Lerner qui est le promoteur, dès les années 1940, des politiques que
l’on qualifiera ensuite de keynésiennes, et qu’il qualifiait de finance
fonctionnelle
. Abba Lerner souligne sa contribution qui est de présenter la
cohérence de la pensée keynésienne : le but de la politique économique est
le plein emploi, les moyens la dette publique et la création monétaire, le
risque est l’inflation et non l’insoutenabilité des dettes publiques, du fait
de la possibilité d’émettre de la monnaie. Sa conception est présentée en quatorze
page
s
dès 1943, sous une forme très accessible. 
L’histoire de l’inflation dans les années 1970 a montré que
l’utilisation de ces politiques pour relancer des économies avec des
contraintes de production (liées alors au pétrole) pouvait conduire à une
inflation élevée et volatile. L’identification claire du choc de demande est
nécessaire pour contrôler l’inflation.

Encore une fois, rien de
radicalement nouveau aux États-Unis où la banque centrale a comme mandat de
veiller à une inflation basse et à l’emploi maximum. C’est dans la zone euro
que cette affirmation conduit à une évolution profonde, car la BCE a pour seul
mandat la stabilité des prix et nullement l’activité économique. L’évolution du
mandat de la BCE est un sujet ancien que l’on évoque ici en passant, et traité
plus longuement ici à l’issue
de la crise financière de 2008.

Venons-en à une critique du
livre. La limite de la monétisation des dettes ou du financement monétaire des
dépenses publiques est l’inflation, comme le rappelle l’auteure. Cependant,
rien de précis n’est dit sur le lien entre politique économique et inflation. Ce
lien est pourtant essentiel pour bien calibrer le montant et le format du plan
de relance aux États-Unis et qu’il nous faut construire en Europe. La BCE détient
environ
23% de la dette publique de la France. Jusqu’où peut-on aller ?
Quels sont les coûts économiques et sociaux d’une hausse de l’inflation ? Comment
s’assurer que les anticipations d’inflation ne s’accroissent pas
dangereusement ?

C’est un sujet très étudié,
sous des angles variés. La relation entre l’activité économique et l’inflation,
la fameuse courbe de Phillips, par exemple ici pour un article récent. La
relation entre quantité de monnaie et inflation est aussi le sujet de
nombreuses analyses, par exemple
ici
.
Pour comprendre les effets de l’inflation, il faut finement étudier qui détient
de la monnaie et pourquoi, ce que l’on
fait ici
.

Les travaux de Stéphanie
Kelton et des économistes de la MMT évitent soigneusement de citer les travaux
d’autres approches pour faire croire à une nouvelle école de pensée économique.
À ce stade, cela n’est pas le cas. Le livre de Stéphanie Kelton est une bonne
introduction pour ceux qui veulent découvrir le débat de politique
macroéconomique par des sujets d’actualité sous un angle polémique. Mais
critiquons la MMT pour sa relative naïveté macroéconomique et sa faiblesse
empirique.

La seconde affirmation des
auteurs de la MMT est la promotion d’une garantie de l’emploi pour tous les
salariés. Ce second volet est indépendant de la gestion macroéconomique de la
demande agrégée et du financement du déficit public. Il concerne la partie
résiduelle du sous-emploi qui existerait dans le cycle économique. La
proposition détaillée par Pvalina Tcherneva est simple : il s’agit de
proposer un outil supplémentaire, une offre d’emplois publics rémunérés au
moins au salaire minimum (que Pvalina Tcherneva veut augmenter à 15$ pour les
États-Unis). Ces emplois ne seraient pas obligatoires, mais fournis à toute la
population, comme un droit universel. Enfin, ils sont associés à une formation,
qualification et un apprentissage, ayant comme objectif que les salariés dans
ces emplois en sortent aptes à trouver un emploi dans le secteur privé. Selon
l’auteure, ces emplois n’ont pas comme objectif de concurrencer ni l’emploi
public avec des objectifs identifiés ni l’emploi privé, qui répond à une
demande solvable.

          Pour le lecteur français, ces emplois sont familiers :
il pourrait s’agir d’emplois aidés qualifiants dans le secteur non-marchand,
dont on sait qu’ils peuvent augmenter le retour à l’emploi, lorsque la
qualification est effective, comme le montrent des évaluations. La
proposition est de rendre endogène le nombre de ces emplois par la demande des
travailleurs dans le cycle. Si une réforme profonde du système de formation et
d’apprentissage est nécessaire, la proposition d’une utilisation contracyclique
de ce type d’emploi est intéressante, et déjà partiellement utilisée.

          Paradoxalement peut-être, l’intérêt est de penser non pas
une opposition à l’économie de marché, mais une politique de stabilisation, ce
qui suscite des critiques radicales de la MMT !
Le déficit d’emplois conjoncturels est compensé soit par une gestion vigoureuse
et potentiellement inflationniste de la demande agrégée, soit par une politique
de production d’emplois publics. Ces politiques keynésiennes sont développées
au sein d’une approche que l’on appelle post-keynesienne, qui est
une des 50 nuances du keynésianisme (néo- keynésien, keynésien historique, post-keynésien,
circuitiste, etc.).

MMT, post-keynésianisme et la nouvelle politique économique de Joe Biden

On assiste à une évolution profonde de la politique économique américaine avec des projets de plans de relance d’investissement, une augmentation de la fiscalité des entreprises et des ménages les plus aisés, un projet d’augmentation du salaire minimum fédéral, le tout avec une banque centrale accommodante qui semble peu se soucier des tensions inflationnistes à court terme. Cette évolution va dans le sens des recommandations de la MMT (sans reprendre toutes les recommandations). La question légitime est d’identifier le rôle de ce courant dans cette évolution. L’on ne pourra qu’imparfaitement répondre à cette question, tant les arcanes de la politique économique sont obscurs, parfois pour les décideurs eux-mêmes. Les propositions de la MMT sont tout d’abord reprises par Bernie Sanders, dont Stephanie Kelton était la conseillère économique pour la campagne de 2017, qui anime l’aile gauche du parti démocrate. Ainsi, les propositions se sont diffusées dans le débat économique américain.

Cependant, on peut tracer
une tout autre généalogie intellectuelle du changement de politique économique
aux États-Unis, à partir du courant soit néo-keynésien soit keynésien, et qui
me semble plus réaliste. Les travaux de Paul Krugman sur la
trappe à liquidité au Japon, de Lawrence Summers sur la
stagnation séculaire, les travaux d’Olivier Blanchard sur le
rôle des multiplicateurs (parmi bien d’autres) ont conduit à des évolutions au
sein du FMI et de l’OCDE en un sens bien plus keynésien depuis plusieurs
années. Ces évolutions sont indépendantes de la MMT qui présente des
propositions moins empiriques que certains travaux cités. Ainsi, le tournant
économique de Biden me semble bien plus imprégné de l’expérience pragmatique du
réel qui d’un nouveau corpus théorique « alternatif ». Ce que l’on
qualifie de pragmatisme est en fait surtout une approche empirique des
mécanismes économiques, dans un contexte de taux d’intérêt bas qui donnent une capacité
d’endettement nouvelle aux États
.

Leçons européennes ?

Pour conclure, quelles sont les leçons européennes de la MMT (et du tournant keynésien de la politique américaine) ? L’utilisation expansionniste de la politique fiscale et le financement monétaire des déficits publics ne peuvent bien sûr qu’avoir lieu au niveau de la zone euro, car ce sont les banques centrales de l’Eurosystème qui ont le monopole d’émission de la monnaie. De ce fait, le problème n’est pas tant économique que politique. La diversité des situations économiques de la zone euro conduit à des besoins de relance différents. L’économie allemande est stimulée par une demande externe importante du fait notamment d’un taux de change interne favorable. La dette publique allemande est attendue autour de 65% dans les prochains trimestres. L’économie italienne connaît une croissance faible et une dette publique de 160%. Plus que le débat théorique, c’est la divergence économique et politique qui paralyse l’Europe. L’utilisation judicieuse de plans de relance européens peut permettre une re-convergence et une création d’emplois, mais cela est un tout autre sujet.




L’économie européenne 2021

par Jérôme Creel

L’ouvrage L’économie européenne 2021 qui vient tout juste de paraître se concentre sur l’impact de la crise de la Covid-19 et des mesures prophylactiques en Europe. L’introduction du précédent volume, il y a un an, commençait par ces mots : « En 2020, Mesdames Lagarde et von der Leyen vivront leur première année pleine au sommet de l’Europe (…) dans un environnement européen et international compliqué ». Il faut bien avouer que nous ne savions pas alors à quel point l’année 2020 serait effectivement compliquée.



Au plan économique et social, la
pandémie n’a pas seulement conduit à la plus grande récession
mondiale
de l’après-guerre, mais elle a aussi accru le risque de voir les
enjeux structurels, tels que la lutte contre le changement climatique, passer
au second plan, et pour longtemps, des priorités des gouvernements. Les chocs
macroéconomiques infligés par la pandémie et par les mesures prophylactiques
mises en œuvre pour y faire face ont été d’une telle ampleur que les réponses
de politique économique ont elles aussi été d’une vigueur inaccoutumée.  Bien que proportionnées aux enjeux
conjoncturels de court terme, ces réponses pourraient obérer les chances de
voir l’Europe s’engager résolument dans une trajectoire soutenable et équitable
de ses niveaux de vie, conformément aux objectifs du traité sur l’Union
européenne. De quelles marges de manœuvre dispose encore l’Europe après une
hausse des dettes publiques de 15 points de PIB depuis 2019 et une longue
période de politiques monétaires ultra-accommodantes de la banque centrale
européenne ? A l’inverse, quels risques font peser les tentations de
« normalisation » des politiques économiques sur l’économie
européenne ? A défaut de répondre précisément à ces questions, l’ouvrage
propose des pistes de réflexion qui permettent en filigrane d’appréhender les
marges d’amélioration du processus européen d’intégration en accordant la
priorité aux objectifs plutôt qu’aux moyens.

Evaluer les conséquences qu’aura
la pandémie sur la trajectoire économique, sociale et environnementale de
l’Europe réclame, en guise de préalable, un diagnostic complet sur ses
conséquences à court terme. L’ouvrage présente ainsi un état des lieux
conjoncturel d’une zone euro soumise à une grande incertitude quant à la
persistance de l’épidémie et à celles des politiques budgétaires et monétaires
mises en œuvre pour y faire face. Il dresse une typologie des facteurs
contribuant à la mortalité due à la Covid-19 et présente un premier bilan des
conséquences de l’épidémie sur les marchés du travail européens, sur les
politiques publiques et budgétaires et sur les liens de ces dernières avec
l’action de la banque centrale européenne.

Il expose également les avancées
de la gouvernance budgétaire européenne avec l’adoption d’un nouvel outil de
gestion, Next
Generation EU
, en juillet 2020 et s’interroge sur le cadre budgétaire
commun qui sortira éventuellement de cette crise. L’adaptation du Green Deal aux nouveaux enjeux
sanitaires, les avancées timides en faveur d’une politique européenne de santé
publique et la question non encore résolue des ressources propres pour financer
le budget européen sont tour à tour discutées en lien avec ce nouvel
instrument. Next Generation EU a certes ouvert une brèche dans la gestion
budgétaire européenne en mêlant responsabilité politique nationale (chaque Etat
membre choisit les projets financés et les soumet à l’approbation de la
Commission européenne), solidarité (une partie des fonds européens est une
subvention) et relance budgétaire. Reste à savoir si les moyens qu’il alloue
seront suffisants pour atteindre ses objectifs et, avant cela, s’il sera
effectivement mis en œuvre après l’ordonnance de la Cour
constitutionnelle
d’en suspendre la ratification en Allemagne.




La politique monétaire européenne a-t-elle rempli ses objectifs ?

Christophe
Blot
, Caroline Bozou and Jérôme
Creel

Dans un document récent
en vue de la préparation du Dialogue monétaire entre le
Parlement européen et la BCE
,
nous passons en revue et évaluons les différentes mesures introduites par la
BCE depuis le début de la crise COVID-19 en Europe, principalement l’extension
des mesures du programme d’achat d’actifs (APP) et le développement des mesures
du programme d’achat d’urgence pandémique (PEPP).

Les programmes APP et
PEPP se sont vu attribuer des objectifs distincts par rapport aux politiques
précédentes. Le programme APP a été orienté vers la stabilité des prix tandis
que le programme PEPP a été orienté vers l’atténuation de la fragmentation
financière.

Nous commençons par
analyser les effets des annonces du programme APP (y compris les flux d’achat
d’actifs) sur les anticipations d’inflation par une approche d’étude
d’événements. Nous montrons qu’elles ont contribué à augmenter les anticipations
d’inflation.

Ensuite, nous analysons
l’impact du programme PEPP sur les écarts de taux (spreads) souverains et
montrons que le programme a eu des effets hétérogènes qui ont atténué le risque
de fragmentation : le programme PEPP a eu un impact sur les spreads souverains
des économies les plus fragiles pendant la pandémie (par exemple, l’Italie) et
aucun impact sur les moins fragiles (par exemple, les Pays-Bas). Cependant, les
spreads souverains n’ont pas complètement disparu, ce qui fait que la
transmission de la politique monétaire n’est pas totalement homogène entre les
pays.

Dans une perspective
plus large, nous montrons également que les effets macroéconomiques globaux ont
été conformes aux résultats attendus depuis le milieu des années 2000 : les
mesures de politique monétaire de la BCE ont eu des effets réels sur les taux
de chômage de la zone euro, des effets nominaux sur les taux d’inflation et des
effets financiers sur la stabilité bancaire. Ces résultats sont en accord avec
les estimations récentes de la Banque de France (Lhuissier and Nguyen, 2021).

En conclusion, une augmentation
de la taille du programme PEPP, ainsi que l’a annoncé la BCE en décembre, est utile
pour pallier le risque de réapparition des risques financiers. En attendant,
nous soutenons l’idée qu’une décision de la BCE de plafonner les spreads
souverains pendant la crise COVID-19 permettrait d’alléger le fardeau de la
crise sur les économies les plus fragiles de la zone euro, où les spreads
souverains restent les plus élevés.




Dettes publiques : les banques centrales à la rescousse ?

Par Christophe Blot et Paul Hubert

Pour faire face à la crise sanitaire et économique, les gouvernements ont déployé de nombreuses mesures d’urgence qui se traduisent par une forte augmentation des dettes publiques. Pour autant, les États n’ont eu aucune difficulté à financer ces nouvelles émissions massives : malgré des dettes publiques à des niveaux records, leur coût a fortement baissé (voir Plus ou moins de dette publique en France ?, par Xavier Ragot). Cette tendance résulte de facteurs structurels liés à une abondance d’épargne au niveau mondial et à une forte de demande pour des actifs sûrs et liquides, caractéristiques que remplissent généralement les titres publics. Cette situation est aussi liée aux opérations d’achats de titres menées par les banques centrales, qui se sont intensifiées depuis l’éclatement de la pandémie. Sur l’ensemble de l’année 2020, la BCE a acquis pour près de 800 milliards d’euros de titres émis par les gouvernements des pays de la zone euro. Dans ces conditions, les banques centrales détiennent une fraction de plus en plus élevée du stock de dette organisant une coordination de facto des politiques monétaire et budgétaire.



A partir de 2009, les banques
centrales ont lancé des programmes d’achats d’actifs, afin de renforcer le
caractère expansionniste de la politique monétaire dans un contexte où leur
taux directeur atteignait un niveau proche de 0 %[1].
L’objectif annoncé était principalement d’assouplir les conditions de
financement en pesant sur les taux d’intérêt de marché de long terme. Il en a résulté
une forte augmentation de la taille de leur bilan. Celui-ci représente plus de
53 points de PIB dans la zone euro et 35 points aux États-Unis, le record étant
détenu par celui de la Banque du Japon qui s’élève à 133 points de PIB (graphique
1). Ces programmes, financés
par l’émission de réserves
, se sont fortement portés sur les titres publics
si bien qu’une proportion importante du stock de dette publique est désormais
détenue par les banques centrales (graphique 2). Cette part atteint 43 %
au Japon, 22 % aux Etats-Unis et 25% dans la zone euro. Dans la zone euro,
en l’absence d’eurobonds, la répartition des achats de titres dépend de la part
de chaque banque centrale nationale dans le capital de la BCE. La clé de
répartition de la BCE contraint les achats à être proportionnels à la part du
capital de la BCE détenue par les banques centrales nationales[2]. Par
conséquent, les achats de titres sont indépendants des niveaux et trajectoires
de dettes publiques. Comme ces derniers sont hétérogènes, on observe des
différences dans la part des dettes publiques détenue par les banques centrales
nationales[3]. Ainsi,
31 % de la dette publique allemande est détenue par l’Eurosystème contre
20 % de la dette publique italienne.

La décentralisation des politiques budgétaires en zone euro a aussi pour conséquence l’apparition de tensions sur les marchés de dette souveraine de certains pays membres, comme on l’a vu entre 2010 et 2012 et plus récemment en mars 2020. C’est pourquoi Christine Lagarde a lancé un nouveau programme d’achats d’actifs appelé PEPP (Pandemic emergency purchase programme). Si la clé de répartition n’est pas formellement abolie, son application peut être plus souple afin de permettre à la BCE de réduire les écarts de taux souverains entre les pays membres. En analysant cette fois-ci les flux d’achats de titres effectués par les banques centrales de la zone euro et les émissions de dette des États membres, il ressort que l’Eurosystème a absorbé en moyenne 72 % de la dette publique émise en 2020, soit 830 milliards sur les 1150 milliards de dette publique supplémentaire. Cette part s’élève à 76 % pour l’Espagne, 73 % pour la France, 70 % pour l’Italie et 66 % pour l’Allemagne (graphique 3).

Contrairement aux achats réalisés
dans le cadre du programme APP, qui visent à atteindre la cible d’inflation,
l’objectif du PEPP est d’abord de
limiter les écarts de taux
comme l’a rappelé Christine Lagarde le 16
juillet 2020. De fait, même s’il existe une tendance structurelle à la baisse
des taux d’intérêt, certains marchés peuvent être exposés à des tensions. Les
pays de la zone euro y sont d’autant plus exposés que les investisseurs peuvent
arbitrer entre les différents marchés sans prendre de risque de change. C’est
la raison pour laquelle, ils peuvent privilégier les titres allemands aux
titres italiens compromettant alors une transmission homogène de la politique
monétaire au sein de la zone euro. Au-delà de l’argument lié au risque de
fragmentation, ces opérations marquent aussi une forme de coordination
implicite entre la politique monétaire unique et les politiques budgétaires,
permettant de donner les marges de manœuvre nécessaires aux pays afin de
prendre les mesures qui s’imposent pour faire face à la crise sanitaire et
économique. En déclarant le 10 décembre que l’enveloppe allouée au programme
passerait à 1850 milliards d’ici mars 2022 au moins, la BCE a envoyé le signal
qu’elle maintiendrait son soutien durant toute la durée de la pandémie[4].


[1] Cette politique, qualifiée généralement
d’assouplissement quantitatif (QE), fut lancée en mars 2009 par la Banque
d’Angleterre et la Réserve fédérale des États-Unis. Le Japon avait déjà initié
ce type de mesures dites non-conventionnelles entre 2001 et 2006, et les a
reprises à partir d’octobre 2010. Quant à la BCE, des premiers achats de titres
ciblés sur certains pays en crise ont été effectués à partir de mai 2010. Mais
il a fallu attendre mars 2015 pour le développement d’un programme de QE
comparable à celui mis en œuvre par les autres grandes banques centrales.

[2] En pratique, cette part est assez proche du poids du
PIB de chaque pays membre dans celui de la zone euro.

[3] Les opérations d’achat de titres sont décentralisées
au niveau des banques centrales nationales. Ce choix réduit par conséquent le
partage du risque au sein de l’Eurosystème puisque les éventuelles pertes
seraient assumées par les banques centrales nationales, contrairement aux
actifs détenus directement par la BCE et pour lesquels il y a un partage du
risque dépendant de la part de chaque banque centrale nationale dans le capital
de la BCE.

[4] L’enveloppe initiale était de 750 milliards d’euros,
augmentée une première fois de 600 milliards en juin 2020. Au 31 décembre 2020,
les achats au titre du PEPP s’élevaient à 650 milliards.




Sur la monétisation

Henri Sterdyniak

Le 9 novembre 2020, dans la collection Policy Brief de l’OFCE, Christophe Blot et Paul Hubert ont publié un document intitulé : « De la monétisation à l’annulation de la dette publique, quels enjeux pour les Banques centrales ? ». Ils comparent les effets de l’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing, QE) et de la monétisation des dettes publiques et concluent : « La monétisation serait probablement plus efficace que le QE pour la stabilisation de la croissance nominale ». Nous nous proposons ici de revenir sur cette conclusion, en développant trois points : le concept de monétisation n’a pas grand sens, dans une économie financière moderne où la masse monétaire est endogène ; la comparaison faite par les auteurs est faussée puisque, sous le nom de QE, ils analysent l’impact d’achats de titres publics par la Banque centrale, à politique budgétaire donnée, tandis que sous le nom de monétisation, ils incluent à la fois l’effet d’une politique budgétaire plus expansionniste et celui de l’achat par la Banque centrale de titres publics perpétuels à coupon zéro ; enfin, et surtout, ces titres perpétuels à coupon zéro auraient une valeur nulle, de sorte que ce que les auteurs nomment monétisation est équivalent à l’annulation des dettes publiques détenues par la Banque centrale, une opération comptable fictive, qu’ils critiquent à juste titre.



Faut-il rappeler la conjoncture
actuelle ? En 2020, les administrations françaises vont pouvoir émettre,
sans difficultés, pour environ 400 milliards d’euros de titres à un taux moyen
légèrement négatif ; elles vont garantir plus de 120 milliards de prêts
aux entreprises ; la dette publique va atteindre 120 % du PIB, sans aucune
tension sur les taux d’intérêt. En faire plus par une prétendue monétisation
n’est pas une question qui se pose réellement.

Définir
la monétisation

Faisons un
détour par rapport au texte sous-revue. Traditionnellement, on écrit qu’il y a
monétisation de la dette publique, si celle-ci est détenue sous forme
monétaire, soit à l’actif de la Banque centrale (en contrepartie de M0, définition
stricte de la monétisation), soit à l’actif du système bancaire (en
contrepartie de M3, définition large de la monétisation)[1].
Quelle est la signification concrète de la monétisation dans une économie
financière où la monnaie est endogène[2],
où la définition de la masse monétaire est floue, où la Banque centrale fixe le
taux de refinancement des banques et garantit le placement de la dette publique[3] ?

Supposons
donc que l’État fasse une politique expansionniste ; par exemple, qu’il verse
10 milliards aux ménages. La Banque centrale ne va pas imprimer 10 milliards de
billets supplémentaires, que les ménages ne voudraient pas détenir. Le Trésor
va créditer les comptes bancaires des ménages de 10 milliards, ce qui veut dire
que les banques auront 10 milliards de dépôts supplémentaires et donc que leur
refinancement à la Banque centrale pourra diminuer de 10 milliards (ou que leurs
dépôts auprès de la Banque centrale pourront augmenter de 10 milliards). Le
lendemain, le Trésor va émettre pour 10 milliards de titres. Ces titres seront
obligatoirement achetés par les Spécialistes en Valeur du Trésor (SVT), dont
c’est le rôle, d’autant plus qu’ils ont la garantie de pouvoir se refinancer
auprès de la Banque centrale. Les ménages choisiront de placer ces dix
milliards dans les divers placements disponibles ; par exemple, 1 milliard
de billets supplémentaires, 1 milliards de dépôts à vue, 2 milliards de dépôts
à terme, 2 milliards d’OPCVM monétaires, 2 milliards d’OPCVM obligataires, 2
d’assurances. Les SVT pourront donc placer 6 milliards de titres dans des OPCVM
ou des sociétés d’assurances ; les banques détiendront 4 milliards de
titres et recevront 3 milliards de dépôts supplémentaires ; elles pourront
diminuer de 1 milliard leurs réserves à la Banque centrale.  La dette publique aura augmenté de 10
milliards, la masse monétaire au sens M0 aura
augmenté de 1 milliard, la masse monétaire au sens M1 de 3 milliards ;
au sens M3 de 6
milliards[4].
Le financement monétaire de la dette publique sera resté stable (si on
considère l’actif de la Banque centrale) ; il aura augmenté de 6 milliards
(si on considère la monnaie au sens M3). Il y a monétisation au sens large, mais pas au sens strict.

Que
signifierait un financement monétaire, au sens d’un financement par la Banque centrale ?
En mettant en œuvre un QE, celle-ci achèterait aux banques pour 10 milliards
d’obligations publiques sur le marché secondaire. Cela ne changerait rien a priori aux choix de placement des
ménages. Simplement, les réserves des banques augmenteraient de 10 milliards ou
leurs refinancements diminueraient de 10 milliards. La dette publique aura
toujours augmenté de 10 milliards, la masse monétaire M3 de 6
milliards. On peut dire que le financement monétaire de la dette publique a
augmenté de 10 milliards (si on considère l’actif de la Banque centrale, il y a
bien monétisation au sens strict) ou de 6 milliards (si on considère la monnaie
au sens M3).

L’impact
macroéconomique de la distribution de ces 10 milliards sera a priori le même, avec ou sans QE : il
dépendra de l’usage que les ménages feront ultérieurement de ces 10 milliards. La
Banque centrale fixe le taux d’intérêt du refinancement en fonction de l’inflation
et de l’activité ; ce taux n’augmentera que si la politique budgétaire
(ici, à travers l’emploi de ces 10 milliards) est inflationniste ou
expansionniste. Il n’y a guère de raison qu’un type de financement soit plus
inflationniste (ou plus expansionniste) qu’un autre. L’important, c’est la
dépense publique, pas la hausse de la masse monétaire. D’ailleurs, plus les
ménages épargnent, plus la masse monétaire (au sens M3) augmente,
plus l’effet expansionniste, donc inflationniste de la politique budgétaire est
faible.

Le QE, ou la
monétisation ainsi définie, ne réduit pas la dette publique ; il ne réduit
pas a priori le montant des intérêts
que l’État devra verser. Avec ce financement monétaire, la Banque centrale doit
verser des intérêts sur les réserves des banques ; l’État doit donc
continuer à payer des intérêts sur sa dette détenue par la Banque centrale[5].

Il y a,
cependant, quelques différences. Les réserves des banques seront plus élevées,
ce qui peut inciter les banques à développer leurs crédits ; c’est favorable si
effectivement la politique monétaire veut être expansionniste ; c’est dangereux
si le crédit s’emballe : le montant des titres publics détenus par la
Banque centrale ne doit pas fragiliser son contrôle de la distribution du
crédit. 

L’ensemble « Banque
centrale + État » sera endetté en net auprès des banques, donc au taux du
refinancement des banques ou au taux de rémunérations des dépôts des banques à
la Banque centrale, et non plus à des taux monétaires ou obligataires. C’est en
fait pratiquement équivalent si les taux obligataires reflètent bien les taux
monétaires futurs, si le taux de rémunération des dépôts des banques est proche
du taux auquel l’État s’endette à court terme (comme le 16 novembre 2020, où le
taux des dépôts des banques à la Banque centrale est de -0,5%, tandis que l’État
émet des bons à 1 ans à -0,65%). Notons que l’on ne peut comparer le taux de
refinancement et un taux obligataire sans tenir compte de la différence de
durée des titres : une obligation à 20 ans à taux 0,3% pet sembler plus
coûteuse qu’un titre à 6 mois à -0,5% ; mais elle protège contre la
remontée des taux d’intérêt. Par ailleurs, si les taux d’intérêt sont nuls à l’instant
T, la Banque Centrale doit payer à leur prix de marché (supérieur à leur valeur
facial) des titres émis il y a 5 ans au taux 3% par exemple, de sorte que ces
titres lui rapportent bien 0% : Il n’a a pas de gain pour l’ensemble
« Banque centrale + État » à racheter d’anciennes obligations.

La Banque
centrale acquiert des taux longs en échange de dépôts à court terme. Elle
assume donc le risque de remontée des taux d’intérêt. En sens inverse, la
baisse de l’offre de titres longs peut provoquer une baisse des taux longs,
mais l’effet est sans doute faible (il n’y guère d’études empiriques qui
trouvent un lien entre le niveau des taux longs et celui de la dette publique).
Cette baisse pourrait développer la demande de crédit.

Par ailleurs,
l’achat de titres par la Banque centrale rappelle que les pays qui ont conservé
leur souveraineté monétaire (une dette publique libellée en leur monnaie,
garantie par leur banque centrale) ne peuvent pas être en situation d’être
obligés de faire défaut. Il évite donc les tensions sur les marchés financiers,
ce qui peut contribuer à faire baisser les taux d’intérêt de long terme. L’effet
est sans doute négligeable pour les pays où la garantie des dettes publiques
par la Banque centrale ne pose pas problème (États-Unis, Royaume-Uni,
Japon) ; il peut jouer pour les pays fragiles de la zone euro.

La Banque
centrale, garante de la monnaie, a en fait trois tâches : veiller à
l’équilibre macroéconomique en ciblant, en priorité, le niveau d’inflation, en
second lieu le niveau d’activité ; contrôler le système bancaire ;
assurer le financement des déficits publics et garantir la dette publique. Dans
ce dernier rôle, si elle ne peut financer une partie importante de la dette
publique, elle doit intervenir quand ce financement pose problème. La
monétisation (au sens strict) peut éviter que certains États aient des
difficultés ponctuelles à se financer, doivent payer des taux d’intérêt trop
élevés lors de certaines émissions.

Une définition spécifique, une proposition irréaliste

Les auteurs
introduisent une définition originale de la monétisation (page 2). Celle-ci
doit se traduire par « i) une économie d’intérêts payés par le gouvernement, ii) une création
de monnaie supplémentaire
iii) de façon permanente et iv) pouvant
se traduire par un changement implicite de l’objectif des banques centrales ou
de leur cible d’inflation
 ». Mais nous venons de voir que la
monétisation, même au sens strict, ne réduit pas directement les intérêts payés
par l’ensemble « Banque centrale +État », même si elle peut le faire
indirectement en diminuant les taux d’intérêt sur les titres de long terme ;
qu’elle n’augmente pas directement la masse monétaire (mais, augmenter la
masse monétaire est-il un objectif ?). Par ailleurs, aucune opération
financière n’est permanente par nature. Déterminer si la Banque centrale
européenne (BCE) a changé d’objectif depuis 2008 ou si elle a seulement changé
de mode opératoire pour s’adapter à une nouvelle situation n’est guère possible.
De sorte que les auteurs n’ont aucun mal à montrer que le QE n’est pas une
monétisation selon leur définition, mais cette définition originale est-elle
pertinente ?

Page 11, les
auteurs proposent donc une vraie
monétisation : « Le gouvernement, en contrepartie d’un ensemble de
mesures budgétaires, émettrait une obligation perpétuelle à coupon zéro,
achetée par les banques commerciales. La dette n’aurait aucune obligation de
remboursement ou de paiement d’intérêt. La banque centrale achèterait ensuite
la dette aux banques commerciales, qui serait conservée dans le bilan. Ainsi,
à la différence du QE, la mesure est associée à une politique budgétaire qui
se traduit par des transferts monétaires directs en faveur de certains agents.
La dette émise n’est pas exigible et a pour contrepartie une création de
monnaie directement utilisable par les agents non financiers ». Trois
remarques s’imposent :

  • La comparaison est faussée puisque les auteurs analysent le QE en
    supposant que la politique budgétaire est inchangée tandis que, pour la
    monétisation, ils analysent l’impact à la fois d’une politique budgétaire plus
    expansionniste et de son financement par la Banque centrale. C’est un artefact,
    que d’écrire, page 14 : « Puisque la monétisation s’accompagnerait
    d’un transfert fiscal aux ménages ou aux entreprises, il en résulterait un
    effet plus direct sur les dépenses, ce qui différencie cette stratégie de celle
    du QE qui stimule la demande par son effet sur les prix d’actifs au risque
    d’alimenter une bulle financière ». C’est oublier que les titres que la
    Banque centrale achète par le QE ont eux-mêmes financé des dépenses publiques
    qui, elles, ont un effet direct sur la demande de biens et services et sur la
    masse monétaire.
  • Les auteurs imaginent que le Trésor émettrait une obligation
    perpétuelle à coupon zéro, que les banques achèteraient, mais la valeur de
    marché d’une telle obligation (la somme actualisée des intérêts et du
    remboursement) serait nulle. Peut-on imaginer que les banques commerciales,
    puis la Banque centrale, accepteraient d’acheter pour 1 milliard (par exemple)
    des obligations qui auraient certes une valeur faciale de 1 milliard, mais une
    valeur de marché nulle ? Que la Banque centrale inscrirait dans son bilan
    1 milliard pour une obligation de valeur nulle[6] ,
    ce qui serait contraire aux principes de la comptabilité ?
  •  Le bilan de la Banque
    centrale serait déséquilibré puisque la contrepartie de la détention de ces
    obligations serait un endettement auprès des banques commerciales. Certes, cela
    n’a guère d’importance aujourd’hui quand les taux d’intérêt sont nuls ou
    négatifs, mais quand les taux d’intérêt augmenteront, la Banque centrale devra
    payer des intérêts sur les dépôts des banques commerciales (ou perdra les
    intérêts que paient les banques sur leur refinancement), ce qui diminuera son
    profit et donc les dividendes qu’elle versera à l’État. Au final, l’État
    supportera toujours la charge de son endettement. Il est donc erroné d’écrire,
    comme les auteurs, page 14 : « Le titre obligataire serait non seulement
    non remboursable mais ne porterait pas intérêt. Il réduirait certes les revenus
    des banques centrales mais sa contrepartie serait également non rémunérée, ce
    qui aurait donc peu d’incidence sur la solvabilité́ des banques centrales ».
     En temps normal, les dépôts des banques
    auprès de la Banque centrale sont rémunérés et le refinancement des banques   leur
    coûte, par définition, le taux du refinancement.
  • La Banque centrale aurait donc un bilan déficitaire. Cette dette
    devrait être répartie entre les actionnaires de la Banque centrales, donc les États
    membres dans le cas de la BCE, de sorte que leurs dettes publiques ne
    diminueraient pas.

Les auteurs écrivent,
page 11 : « La monétisation permet de mener une politique budgétaire
expansionniste sans accroitre la dette exigible ». Mais la dette publique
n’est pas exigible quand la Banque centrale et les banques commerciales
s’engagent à toujours la financer. A chaque période, l’État est assuré de
pouvoir refinancer la dette arrivée à échéance. Il n’est jamais obligé de la
rembourser effectivement. En sens inverse, les dépôts des banques commerciales
auprès de la Banque centrale pourraient se réduire si les banques se décident à
augmenter fortement leurs crédits.

Les auteurs
évoquent le risque d’inflation, heureusement pour le réfuter. Mais faut-il
encore en 2020, citer la théorie quantitative de la monnaie, même pour s’en
écarter ?  Cette théorie n’a aucun
sens quand la masse monétaire est endogène, quand les agents peuvent arbitrer
entre la monnaie et des actifs non monétaires, quand la masse monétaire
contient en fait des actifs d’épargne, et pire de l’épargne contrainte. Le
risque inflationniste pourrait provenir d’un excès de demande provoqué par une
politique budgétaire trop expansionniste dans une situation de demande privée
dynamique par rapport aux capacités de production. Il n’y a aucun lien direct entre
l’inflation et la masse monétaire (d’ailleurs, laquelle : M0, M1, M2, M3 ?). Un
gonflement de la masse monétaire provoqué par la hausse, volontaire ou non, de
l’épargne des ménages n’est pas inflationniste. De plus, comme nous l’avons
montré dans la première partie, la monétisation de la dette publique ne fait
pas augmenter la masse monétaire. Il est erroné d’écrire comme les auteurs,
page 14 : « La monétisation vise à créer de la monnaie utilisable par
les agents non financiers ». C’est le déficit public (et, par ailleurs, le
financement des entreprises et des ménages) qui crée des actifs financiers, et
parmi ces actifs de la monnaie.

Les auteurs
accordent une trop grande importance au fait que les Banques centrales monétisent la dette publique, alors que
ce qui importe, c’est l’engagement des banques d’absorber tous les titres que
l’État voudra émettre et celui de la Banque centrale d’accepter ces titres pour
refinancer les banques. Ces engagements ne doivent pas être remis en cause sous
peine d’interdire au gouvernement de pratiquer la politique budgétaire de son
choix. Il ne nous semble pas pertinent d’écrire, comme les auteurs, page 15,
que les Banques centrales pourraient avoir « la possibilité de refuser de monétiser
une fraction trop importante de la dette, imposant des contraintes aux
gouvernements ». La Banque centrale doit garantir aux banques qu’elles
pourront toujours se refinancer auprès d’elle (sauf à provoquer une crise grave
comme en Grèce en 2015).

Certes, comme
l’écrivent les auteurs, la coordination des politiques budgétaires et
monétaires est nécessaire (mais, elle ne doit pas avoir comme objectif « de
monétiser les dépenses publiques ») : le gouvernement et la Banque
centrale doivent s’accorder sur le niveau objectif du couple production/inflation[7] ;
ils doivent s’accorder sur la manière d’atteindre ce niveau (taux d’intérêt
faible et excédent public ou déficit public et taux d’intérêt élevé), sauf dans
les périodes, comme en 2020, où des taux d’intérêt à leur minimum n’évitent pas
la nécessité de déficits public élevés.

Annuler les dettes publiques détenues par la BCE ?

Par contre, nous rejoignons les auteurs sur la critique de la
proposition de l’annulation des dettes publiques détenues par la Banque
centrale[8].
Cette proposition, ne modifiant les revenus et le patrimoine d’aucun agent
extérieur à l’ensemble « État-Banque centrale », n’aurait aucun
impact macroéconomique. Et la dette ainsi créée de la Banque centrale devrait
être répartie entre ses actionnaires. Le point étrange est que les auteurs ne
voient pas que cette proposition est totalement équivalente à leur proposition
de monétisation de la dette publique par émission de titres sans valeur que la
Banque centrale devrait absorber. Ainsi, écrivent-ils, pages 16 et 17, à propos
cette prétendue annulation : «  
Les comptes publics ne sont donc pas affectés…Par ailleurs se pose la
question du bilan de la banque centrale, qui doit enregistrer une perte en
capital, et potentiellement des fonds propres négatifs en cas d’annulation de
dette… Ainsi, ce que le gouvernement « gagne » aujourd’hui en capital, il le
perd par des moindres revenus futurs », sans voir qu’annuler une partie de
la dette publique ou transformer des titres publics en « obligations sans
coupon, ni remboursement » est totalement équivalent.

La BCE a acheté environ 480 milliards d’euros de la dette publique
française durant ces dernières années. Le gouvernement français perdrait tout
crédit auprès d’elle, de ses partenaires ou des marchés financiers s’il lui
demandait, maintenant, d’annuler cette dette ou d’acheter à leur valeur faciale
des titres sans valeur. Ce n’est heureusement pas nécessaire quand la France
peut s’endetter, autant que besoin, à des taux nuls ou négatifs.  


[1]  Voir, par exemple, Catherine Mathieu et Henri
Sterdyniak (2019) : « On public debts in the Euro Area », Brussels Economic Review, 58.

[2] Le concept de monnaie endogène a été
introduit par Jacques Le Bourva (1962) :
« Création de monnaie et multiplicateur de crédit », Revue
Économique, 13
(1). Il est implicite
dans tous les modèles où la Banque centrale fixe le taux du refinancement selon
ses objectifs macroéconomiques et refinance
sans limite les banques à ce taux.

[3]
La comparaison entre financement monétaire et obligataire d’un déficit public a
donné lieu à de nombreux travaux dans les années 1970. Voir, par exemple,
Blinder et Solow (1973) : « Does fiscal policy
matter ? », JPE,2(4). L’article
de Jérôme Creel et Henri Sterdyniak, (1999) : « Pour en finir avec la
masse monétaire », Revue économique,
50-3, reprend la problématique dans un modèle à monnaie endogène et montre que
la distinction n’a plus de sens.

[4]
Pour alléger le raisonnement, nous supposons que les ménages n’utiliseront ces
10 milliards que dans une période ultérieure. Pour un raisonnement identique
intégrant un bouclage macroéconomique, voir : Henri Sterdyniak
(2020) : “Public debts in times of Coronavirus”, EPOG Policy brief, n°11.

[5] Les auteurs écrivent cependant,
page 6 : « Le QE modifie bien la charge d’intérêts payée par le
gouvernement dans la mesure où les intérêts payés sur la dette publique à la
banque centrale reviennent au gouvernement, qui sont le plus souvent les
actionnaires des banques centrales. Celles-ci reversent donc une part de leurs
profits au gouvernement. Ainsi, du point de vue du bilan consolidé de l’État
(gouvernement et banque centrale), le gouvernement verse d’une main ce qu’il
reprend de l’autre ». Ils oublient qu’en achetant de la dette publique, la
Banque centrale voit diminuer le refinancement des banques (ou augmenter leurs
réserves) de sorte que ni elle, ni l’État ne font, au premier ordre, d’économie
d’intérêts. L’Etat verse moins d’intérêts aux banques, mais la Banque centrale
perd la rémunération du refinancement bancaire ou doit rémunérer les dépôts des
banques.

[6] Notons
que cela n’a rien à voir, au premier ordre, avec les spécificités de l’euro. Ni
la Réserve fédérale des États-Unis ni la Banque d’Angleterre n’accepteraient
une telle opération.

[7] Voir,
par exemple, Fabrice Capoen, Henri Sterdyniak et Pierre Villa (1994) : « Indépendances
des banques centrales, politiques monétaire et budgétaire, une approche
stratégique », Revue de l’OFCE,
50-1.

[8] Comme
proposé, par exemple, par Laurence Scialom (2020) : « Des annulations de
dette par la BCE : lançons le débat », Note de Terra Nova, avril. Voir notre note : Henri Sterdyniak (2020) :
“Public debts in times of Coronavirus”, EPOG Policy brief, n°11.