Que peuvent encore faire les banques centrales face à la crise ?

par Christophe Blot et Paul Hubert

Le retour de nouvelles mesures de
confinement dans plusieurs pays devrait infléchir le rythme de la reprise
économique, voire entraîner une nouvelle chute de l’activité en fin d’année.
Pour faire face à ce risque, les gouvernements annoncent de nouvelles mesures
de soutien qui viennent dans certains cas compléter les plans de relance mis en
œuvre à l’automne. Du côté de la politique monétaire, aucune mesure supplémentaire
n’a pour l’instant été annoncée. Mais avec des taux proches ou à 0 % et
une politique massive d’achat de titres obligataires, on peut se demander si
les banques centrales disposent encore de marges de manœuvre. En pratique,
elles pourraient poursuivre les programmes de QE et augmenter les montants d’achats
d’actifs. Mais d’autres options sont également envisageables, comme celle d’une
monétisation des dettes publiques.



Avec la crise de la Covid-19, les
banques centrales – la Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre ou la BCE – ont
repris ou amplifié leur politique de QE si bien que certains y voient une
monétisation de facto de la dette. Dans un récent Policy
Brief
, nous argumentons que le QE ne peut pas être strictement
considéré comme de la monétisation de la dette publique, notamment parce que
les achats de titres n’ont pas pour contrepartie l’émission de monnaie
mais de réserves excédentaires. Or celles-ci sont distinctes de la
monnaie en circulation dans l’économie puisqu’elles ne peuvent être utilisées
qu’au sein du système bancaire et qu’elles sont sujettes à un taux d’intérêt
(le taux des facilités de dépôt dans le cas de la zone euro) alors que la
monnaie ne l’est pas.

Notre analyse permet donc de
revenir sur les caractéristiques du QE et de préciser les conditions d’une
monétisation des dettes. Celle-ci devrait se traduire par i) une économie
d’intérêts payés par le gouvernement, ii) une création de monnaie, iii)
permanente (ou durable) et iv) refléter un changement implicite de l’objectif
des banques centrales ou de leur cible d’inflation. La mise en œuvre d’une
telle stratégie est donc une option à la disposition des banques centrales et
permettrait le financement de politiques budgétaires expansionnistes. Le
gouvernement, en contrepartie d’un ensemble de mesures budgétaires – transferts
aux ménages ou dépenses de santé, soutien aux entreprises – émettrait une
obligation perpétuelle à coupon zéro, achetée par les banques commerciales qui
créditeraient le compte des agents ciblés par les mesures de soutien. La dette
n’aurait aucune obligation de remboursement ou de paiement d’intérêt et serait
ensuite acquise par la banque centrale et conservée dans son bilan.

La monétisation serait
probablement plus efficace que le QE pour la stabilisation de la croissance
nominale. Elle réduirait le risque sur la stabilité financière induit par le QE
dont l’effet repose sur sa transmission aux prix d’actifs susceptibles de créer
des bulles de prix d’actifs ou d’inciter les agents privés à s’endetter de
façon excessive. La monétisation a souvent été repoussée en raison de la
crainte qu’elle se traduise par une hausse de l’inflation. Dans le contexte
actuel, une politique budgétaire expansionniste est nécessaire pour soutenir
l’activité et envisager la reprise, une fois que la pandémie sera maîtrisée.
Une accélération de l’inflation satisferait aussi les banques centrales et
l’insuffisance de la demande devrait largement réduire le risque d’une spirale
inflationniste hors de contrôle. La monétisation requiert une plus forte
coordination avec la politique budgétaire, ce qui rend sa mise en œuvre plus
difficile dans la zone euro.




Comment utiliser le fonds de relance : une proposition pour un programme européen post Covid-19

Jérôme Creel, Mario Holzner, Francesco Saraceno, Andrew Watt and Jérôme Wittwer[1]

Le Fonds de relance récemment proposé par la Commission européenne marque un changement radical dans l’intégration européenne. Mais cela ne suffira pas pour relever les défis auxquels l’Europe est confrontée. Le financement a fait l’objet de nombreux débats, mais peu de choses ont été dites sur le type de projets concrets auxquels l’UE devrait consacrer le Fonds de relance. Nous proposons dans le Policy Brief OFCE, n° 72, un programme d’investissement de 2 000 milliards d’euros sur dix ans, axé sur la santé publique, les infrastructures de transport et l’énergie/décarbonisation.



Ce programme d’investissement est constitué de deux
piliers décrit dans la figure 1. Dans lepilier national, les
États membres – à l’instar de la proposition de la Commission – se verraient
allouer 500 milliards d’euros. Les ressources devraient être ciblées vers les
pays les plus touchés par la crise et concentrées en début de période :
nous suggérons un horizon de trois ans.

La
majeure partie des fonds investis –  1 500 milliards d’euros – serait consacrée au financement de projets
véritablement européens, pour lesquels l’UE apporte une valeur ajoutée. Nous
décrivons une série d’initiatives phares que l’UE pourrait lancer dans les
domaines de la santé publique, des infrastructures de transport et de
l’énergie/décarbonisation.

Nous recommandons
ainsi la création d’une agence européenne unique de santé publique qui investirait
dans les compétences du personnel de santé et faciliterait ensuite leur mobilité
entre les pays européens dans les situations d’urgence, et qui serait chargée
d’assurer l’approvisionnement en médicaments essentiels (programme Health4EU).

Nous
présentons également des propositions chiffrées pour deux initiatives de
transport ambitieuses : un réseau ferroviaire européen à grande vitesse, l’Ultra-Rapid-Train,
avec quatre itinéraires réduisant les temps de trajet entre les capitales et
les régions de l’UE, et une initiative européenne intégrée de « Route de
la Soie » qui combinerait les modes de transport sur le modèle chinois.

Dans le
domaine de l’énergie/décarbonisation, nous visons enfin à « électrifier »
le Green Deal. Nous appelons à un financement spécifique pour accélérer la
réalisation d’un réseau électrique intelligent et intégré pour la transmission
d’énergie 100 % renouvelable (e-highway), un soutien aux projets de batteries
complémentaires et d’hydrogène décarboné, et à un programme, inspiré de
l’initiative SURE, pour cofinancer les politiques de décarbonisation des États
membres ainsi que celles mises en œuvre via
l’instrument Just Transition de la Commission.

La crise induite par la pandémie, qui vient s’ajouter à la crise financière et à la crise de l’euro, constitue en soi un énorme défi. La réponse doit tenir compte des défis structurels à long terme, et principalement celui du changement climatique. L’Union européenne devrait relever ces défis par un programme de relance ambitieux à moyen terme doté d’un financement conséquent. Les grandes lignes d’un tel programme sont présentées dans ce Policy brief à titre d’illustration, mais de nombreuses permutations et options sont à la disposition des décideurs politiques.


[1] Jérôme Creel, Francesco Saraceno: OFCE,
Paris. Mario Holzner: wiiw Wien. Andrew Watt: Macroeconomic Policy Institute
(IMK), Düsseldorf. Jérôme Wittwer: Université de Bordeaux.




La Fed et le système financier : prévenir plutôt que guérir

par Christophe Blot, Emmanuelle Faure (stagiaire à l’OFCE et Université Paris Nanterre) et Paul Hubert

Au cours des 2 dernières
semaines, la Réserve fédérale a annoncé deux baisses de son taux directeur
ainsi que le déploiement d’une vaste panoplie d’outils afin de contrer les
retombées négatives du Covid-19 sur l’économie américaine. Les autorités
monétaires ont cherché, en priorité, à remplir leur rôle de prêteur en dernier
ressort du système financier en réactivant certains dispositifs utilisés en
2008-2009. Ces octrois de liquidités nécessaires ont pour but d’éviter que la
situation dégénère et provoque une crise financière systémique. La Fed agit
cette fois-ci de manière préventive et espère ne pas avoir à revivre un épisode
comme celui de la faillite de Lehman Brothers. Cette crise sanitaire malmène
les économies américaine et mondiale, et la Fed s’est dite prête à utiliser
tous les outils nécessaires[1] nous
rappelant, au passage, le « will do everything necessary[2] »
prononcé par Christine Lagarde la semaine dernière.



Un flux ininterrompu de mesures

Pas moins de 11 annonces ont été
faites par la Fed au cours des dernières semaines. Par ce rythme très
inhabituel pour une banque centrale, la Fed entend bien répondre à ses
principaux objectifs : maintenir la liquidité des institutions financières
et assurer la stabilité macroéconomique[3]. Les
conditions d’accès au crédit se sont massivement assouplies puisque le taux
directeur a été baissé de 1,5 point de pourcentage et s’établit désormais entre
0 et 0,25 %. Selon Jerome Powell, ce niveau sera maintenu jusqu’à la fin
de la crise sanitaire[4]. Il a
cependant rappelé sa volonté de ne pas franchir la barre des taux zéro comme
c’est déjà le cas dans la zone euro. La majorité des annonces s’est cependant
concentrée sur des mesures en direction des banques et des institutions
financières pour leur fournir des liquidités via l’extension de prêts en contrepartie de collatéraux
(« repo »), la création de lignes de swaps en coordination avec d’autres banques centrales, la mise en
place de trois lignes de crédit[5]  pour les différents acteurs financiers et d’un
programme de rachat de titres adossés aux prêts à la consommation ou via les cartes de crédit. À
ces mesures s’ajoute la décision de supprimer la contrainte de réserves
obligatoires.

Un nouveau plan d’assouplissement
quantitatif a été mis en place avec l’annonce du rachat d’au moins 700
milliards de dollars de titres (500 de bons du Trésor et 200 de titres
hypothécaires) auquel s’ajoute dorénavant l’achat d’obligations d’entreprises
privées[6]. La
politique d’achats d’actifs avait déjà été largement utilisée entre 2008 et
2015. En annonçant un montant minimal et sans préciser la durée de ce nouveau
plan, la Fed laisse ainsi entendre qu’elle peut ajuster cette politique d’achat
de titres, ce qui permettrait alors à celle-ci de contenir les éventuelles
hausses de taux liées au plan de relance budgétaire de 2 000 milliards de
dollars voté depuis par le Sénat.

Le syndrome post-traumatique de Lehman Brothers

Par ces annonces, les autorités
monétaires apportent leur soutien à l’économie réelle en garantissant l’accès à
la liquidité à un large éventail d’institutions financières afin d’éviter un
tarissement du crédit pour les ménages et les entreprises. Les mécanismes
mobilisés sont proches de ceux qui avaient été utilisés au moment de la crise
2008 pour pallier le gel des échanges sur le marché interbancaire. De fortes
tensions sur le marché de refinancement se font déjà ressentir ces derniers
jours alors que le spread entre le
taux à 3 mois des billets de trésorerie (commercial
papers
) et le taux directeur s’approchait dangereusement des valeurs
atteintes en 2008. En agissant rapidement, la Fed espère éviter une paralysie
du système financier, comme celle observée après la faillite de Lehman
Brothers. Les premières annonces se sont donc essentiellement tournées vers
l’extension des opérations de liquidités via
les « repo »[7]. Ces
nouvelles dispositions sont prévues sur des maturités plus longues – 1 mois et
3 mois – et pour un montant total de 1 000 milliards de dollars par semaine.

Au-delà du refinancement de
court-terme permis par les prêts « repo », des plans de facilités de
crédit datant de la crise de 2008 ont été remis à disposition des banques
commerciales et d’autres acteurs comme les fonds de pension et fonds communs de
placement pour les inciter à maintenir leur activité de financement. Ces
instruments[8]
permettent à la Fed de soutenir la liquidité puisqu’elle propose de racheter
des titres financiers adossés à certains collatéraux. La pluralité des plans
d’octroi de liquidité s’explique par le fait qu’aux Etats-Unis, les deux tiers
du financement intermédié passent par des institutions non-bancaires. Par
exemple, les négociants (primary dealers)
fournissent une grande partie des instruments financiers. Ils sont en
particulier des éléments clés de l’émission des bons du Trésor. La Fed a donc
conçu le programme PDCF spécifiquement pour ces acteurs et accepte une grande
variété de collatéral (incluant des actions) dans ses opérations de prêts afin
d’assurer leur pérennité. De même, le programme MMLF se focalise sur les fonds
du marché monétaire (money market funds) en
prêtant spécifiquement aux fonds qui achètent les billets de trésorerie des
banques ou autres fonds. Une évolution d’importance relativement à 2008 est que
ces deux dernières facilités de crédit bénéficient de la protection du Trésor
américain, ce qui implique une composante budgétaire explicite. Enfin, la Fed a
aussi ravivé le programme Term
Asset-Backed Securities Loan Facility
(TALF) de rachat de titres adossés
aux prêts à la consommation ou aux cartes de crédit.

De plus, la Fed lève la
contrainte des réserves obligatoires et annonce que son taux est fixé à 0 %
à partir du 26 mars[9]. Elle
souhaite ainsi que les banques réorientent leurs liquidités vers les ménages et
les entreprises au risque cependant de les fragiliser puisqu’elles sont
incitées à substituer ces actifs sûrs et liquides pour des crédits plus
risqués. La période semble rendre nécessaire ce type de mesure mais elle
interroge aussi sur la capacité des banques à résister à un choc durable si les
nouveaux crédits accordés à des acteurs par la crise se transforment en créance
douteuses.

Garantir la liquidité et diminuer le coût du financement au-delà de la
frontière 

Enfin, en concertation avec
d’autres banques centrales (Europe, Canada, Angleterre, Japon, Chine et Suisse)
des lignes de swap bilatérales ont
été mises en place pour maintenir la liquidité sur le marché interbancaire
international comme cela avait été le cas pour la crise financière de 2008[10].

Étant donné le rôle et
l’utilisation du dollar dans le système financier mondial, cette opération est
nécessaire pour garantir un accès aux liquidités en dollar pour les banques
étrangères qui n’ont pas accès au guichet de la FED et qui ne peuvent pas, en
temps normal, obtenir des refinancements auprès de leur banque centrale. Les
liquidités seront allouées à taux de 25 points de base au-dessus du taux au
jour le jour et sur une période de 84 jours. En passant par l’intermédiaire des
banques centrales étrangères − qui portent alors le risque de défaut

la Fed fournit indirectement du dollar aux banques commerciales étrangères
élargissant son rôle de prêteur en dernier ressort à l’international. En
faisant appel à ce mécanisme, les banquiers centraux renvoient un message fort
de soutien et d’entraide entre les différents pays qui se mobilisent ensemble
contre le risque financier.  

Si la crise sanitaire et son
impact économique devaient aboutir à une ou des faillites d’établissements
bancaires ou financiers aux États-Unis ou ailleurs dans le monde,
la crise financière engendrée annihilerait alors toute possibilité de rebond
économique une fois les périodes de confinement terminées. La Fed prend
aujourd’hui de façon préemptive le rôle de prêteur en dernier ressort du
système financier international pour limiter au maximum le risque d’un nouveau
Lehman Brothers. La critique selon laquelle les économies développées sont
entrées dans un cercle vicieux où chaque crise donne lieu au recours à la
planche à billets ne semble pas tenir compte du fait que la nature de cette
crise est très différente de celle de 2008 – le risque était à l’époque
endogène au système financier – et que l’effet pervers – l’aléa moral[11] créé
par de telles interventions – paraît faible en comparaison d’une crise de
liquidité liée à l’arrêt brutal d’une grande partie de l’activité économique.


[1] « The
Federal Reserve is prepared to use its full range of tools » (15 mars
2020) https://www.federalreserve.gov/newsevents/pressreleases/monetary20200315a.htm

[2] « The
Governing Council will do everything necessary within its mandate » (18
mars 2020) faisant ainsi référence au « whatever it takes » de
Mario Draghi en 2012.

[3] « The Federal
Reserve’s role is guided by its mandate from Congress to promote maximum
employment and stable prices, along with its responsibilities to promote the
stability of the financial system. » (15
mars 2020)

https://www.federalreserve.gov/newsevents/pressreleases/monetary20200315a.htm

[4] Par cette information Powell utilise un autre
instrument non-conventionnel de la politique monétaire, le Forward guidance, qui consiste à donner des informations concernant
l’orientation future de la politique monétaire.

[5] Commercial Paper Funding Facility (CPFF), Primary Dealer Credit Facility (PDCF) et Money Market Mutual Fund Liquidity Facility (MMLF).

[6] PMCCF et SMCCF.

[7] Un repo est une opération financière dans laquelle un
vendeur a besoin de liquidité à court terme et une banque (ou une banque
centrale) accepte de les prendre en pension contre un intérêt. À l’échéance, le vendeur rachète ses titres à la même
valeur. Si le vendeur est dans l’incapacité de racheter ses titres, l’acheteur
en devient pleinement propriétaire.

[8] CPFF, PDCF et MMLF.

[9] En temps normal, les banques sont tenues de laisser
une fraction minimale des dépôts collectés auprès des agents non financiers sur
leur compte à la Fed.

[10] Un swap de
devises est une opération par laquelle deux contreparties échangent des devises
pour une durée limitée et à un taux de change fixé à l’avance. L’opération est
dénouée à l’échéance du contrat. En cas de défaut d’une contrepartie, l’autre
garde les devises étrangères. Ainsi, la BCE peut emprunter des dollars contre
des euros auprès de la Fed à un prix fixé pour une période de plusieurs
semaines. A l’échéance du contrat, la Fed rachète ses dollars.

[11] L’aléa moral représente une situation où une entité
(ici une banque) adopte un comportement plus risqué sachant qu’elle n’aura pas
à subir les conséquences de ses décisions si elle est assurée ou garantie de
recevoir une aide.




L’économie européenne 2020

par Jérôme Creel

Comme chaque année, un peu avant
le printemps, l’OFCE publie dans la collection « Repères » des
Editions La Découverte un ouvrage synthétique sur l’état de l’économie
européenne et sur les enjeux de l’année à venir, L’économie
européenne 2020
. Il faut bien admettre que lors de la préparation de l’ouvrage,
dont le dernier chapitre a été achevé au tout début de l’année 2020, nous n’avions
pas anticipé que l’épidémie liée au coronavirus en Chine engendrerait la crise
sanitaire et économique globale dont nous subissons les effets depuis quelques
semaines. Aussi l’ouvrage ne répond-il pas à l’actualité essentielle du moment.
Il livre cependant quelques pistes de réflexion qui s’avéreront sans doute utiles
lorsque la phase aiguë de la crise sanitaire aura été dépassée. Ces pistes de
réflexion concernent l’impulsion politique européenne des derniers mois de
l’année 2019 et les ambitions de la nouvelle Commission européenne, les
perceptions des Européens à l’égard de l’Union européenne et les outils
macroéconomiques à mobiliser pour contrecarrer un ralentissement économique ou
une fragilisation du secteur bancaire.



Comme nous avons coutume de le
faire chaque année, est reproduite ici l’introduction de L’économie européenne 2020. Les parties de phrase en italiques sont
des ajouts visant à actualiser (un peu) le texte.

En 2020, Mesdames Christine
Lagarde et Ursula von der Leyen vivront leur première année pleine au sommet de
l’Europe, la première à la tête de la Banque centrale européenne et la seconde
à celle de la Commission européenne, dans un environnement européen et
international compliqué. Depuis le pic de croissance de 2017, l’activité
économique en Europe a donné de sérieux signes d’essoufflement. Dans un
contexte marqué notamment par l’incertitude politique – notamment quant à
l’évolution des tensions commerciales avec les États-Unis et à l’organisation
effective du Brexit –, et par la perspective de la fin du cycle
d’expansion américain et par la survenue
d’une crise sanitaire, économique et financière sans précédent
, se pose désormais
la question des marges de manœuvre européennes pour mener des politiques
économiques plus expansionnistes.

Du côté de la Commission
européenne, les projets ne manquent cependant pas : une nouvelle
stratégie de croissance, le Pacte vert (ou Green Deal), a pour but d’assurer
une transition écologique juste et équitable, tandis que le renouveau de
l’Europe sociale vise à assurer la justice sociale, « fondement de
l’économie sociale de marché européenne ». Il passera notamment par des
initiatives concernant les salaires minimums en Europe, le mécanisme de
réassurance chômage européen, les mesures en faveur de l’égalité femmes-hommes
et les incidences à long terme du vieillissement de la population européenne.

Du côté de la Banque centrale
européenne, les changements prévus sont moins en rupture avec la présidence
précédente : poursuite des mesures non conventionnelles pour respecter le
mandat principal de la BCE et soutenir l’économie de la zone euro, et poursuite
de la mise en œuvre des politiques dites macro-prudentielles.

Cet ouvrage dresse un état des lieux de l’Union européenne et met en perspective l’ensemble des initiatives annoncées. Après avoir présenté l’état de la conjoncture européenne (avant le déclenchement de la crise sanitaire) et les effets probables de la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, et après avoir analysé les attentes des Européens à l’égard de l’Union européenne, l’ouvrage se concentre sur les grands thèmes mis en avant par la nouvelle Commission européenne : la nécessité de faire face au changement climatique et aux transformations des sociétés européennes. À cette fin, les questions de dette climatique européenne et celles d’inégalités environnementales en Europe sont abordées mais aussi les transformations des marchés du travail et le financement de la dépendance. Les initiatives de la Commission européenne s’inscrivent dans une période d’attentes plus critiques de la part des citoyens européens. S’ils continuent généralement à avoir un a priori positif à l’égard de la participation de leur pays à l’Union européenne, ses actions concrètes semblent engendrer une rupture entre les perdants et les gagnants de l’intégration européenne. Et les premiers, qui sont ceux qui attendent de l’UE qu’elle les protège mieux, sont aussi ceux qui expriment la confiance dans l’UE la plus faible pour mettre en place cette protection. L’ouvrage présente alors deux types de politiques susceptibles de mieux protéger les Européens : une politique budgétaire d’assurance-chômage européenne et une politique macro-prudentielle chargée d’assurer la stabilité bancaire en Europe.




La BCE face à la crise du Covid-19 : encore un effort?

par Christophe Blot et Paul Hubert

La BCE annonçait le jeudi
12 mars
une première série de mesures pour répondre au choc économique lié
au Covid-19. Cependant, ces annonces n’ont pas eu les effets escomptés sur les
marchés financiers et ont même probablement ajouté de l’incertitude. Au-delà
des craintes sur l’état de l’économie de la zone euro, la réponse de Christine
Lagarde à une question d’un journaliste durant la conférence de presse sur les
écarts de taux au sein de la zone euro a déconcerté par son décalage avec la
situation actuelle. Bien que la BCE ait annoncé un nouveau plan de rachats
d’actifs dans la soirée du 18 mars, il reste que toutes les solutions aux
problèmes de la zone euro n’ont pas encore été explorées.



Les mesures prises par la BCE

Dans la situation actuelle, l’action des banques centrales est essentielle pour soutenir la croissance et éviter que le ralentissement de l’activité et ses répercussions financières ne se transforment en crise bancaire ou des dettes souveraines. C’est la raison pour laquelle la BCE garantit aux banques l’accès à la liquidité par le biais d’opérations de refinancement et qu’elle a également renouvelé les accords avec la Réserve fédérale lui permettant d’offrir des liquidités en dollar[1]. La BCE a, dans un premier temps, annoncé qu’elle achèterait 120 milliards d’euros d’actifs supplémentaires d’ici la fin de l’année dans le cadre de son programme APP (Asset Purchase Programme). À ce montant se sont ajoutés 750 milliards d’euros dans le cadre d’un nouveau programme qualifié de PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) annoncé le 18 mars[2]. Les achats seront étalés sur l’année 2020 et seront répartis sur les différentes classes d’actifs déjà acquises par la BCE et, pour les achats de titres publics, en continuant de respecter la limite de détention par émetteur[3] et la clé de répartition selon la part dans le capital de la BCE[4], ce qui conduira la BCE à acheter une proportion plus forte de titres allemands que de titres italiens ou espagnols.

Ces achats permettront
d’assouplir les conditions de financement pour le secteur privé comme pour les États
de la zone euro, ce qui permettra d’accompagner les efforts entrepris par les
gouvernements pour soutenir l’activité. On peut ainsi espérer que ces mesures,
et notamment la deuxième annonce bien plus conséquente, permettront de calmer
les tensions qui ont de nouveau émergé sur les marchés de dette souveraine. Ces
derniers jours, les investisseurs avaient effectivement délaissé les titres
souverains de certains pays (Italie, Espagne, Portugal et dans une moindre
mesure France) au profit des titres allemands (graphique), même si le rendement
de ces derniers est reparti à la hausse ces derniers jours[5].

Lors de la conférence de presse
du 12 mars, Christine Lagarde a évoqué la propagation de l’épidémie à plusieurs
reprises, elle est restée étonnamment silencieuse sur les écarts (« spread »
en anglais) de taux d’intérêts. À la question d’un journaliste à ce
propos, Christine Lagarde a même déclaré que le rôle du Conseil des Gouverneurs
n’était pas de fermer les écarts de taux[6]
amplifiant immédiatement les tensions sur les marchés. Christine Lagarde est
cependant revenue un peu plus tard sur cette réponse déclarant qu’elle
s’engageait à éviter la fragmentation dans la zone euro et que des écarts de
taux élevés pénalisent la transmission de la politique monétaire.

L’erreur de communication en était-elle
une ?

Doit-on interpréter la phrase de
Christine Lagarde comme une erreur
de communication 
? Une autre interprétation est que cette réponse
spontanée de Christine Lagarde pendant la conférence de presse reflète
l’absence de consensus au sein du Conseil des gouverneurs qui avait eu lieu
dans la matinée et la réticence d’une partie des membres à prendre des
engagements sur les écarts de taux, qui contraindraient les banques centrales
de l’Eurosystème à acquérir une importante quantité de titres publics. En
particulier, cela pourrait avoir pour incidence d’enfreindre la règle de
répartition des achats de titres s’il s’avérait nécessaire d’acheter
massivement des titres souverains italiens[7]. Pour
certains membres du Conseil des gouverneurs, la BCE ne doit pas refinancer les États
et la garantie que les écarts de taux seront réduits pourrait être interprétée
comme le signal implicite d’un tel financement. Les voix discordantes qui
s’étaient exprimées en septembre 2019 à la suite des mesures expansionnistes
annoncées par Mario Draghi donnent du crédit à cette interprétation[8].

Cette hypothèse semble confirmée
par la déclaration de Robert Holzmann, gouverneur de la Banque centrale
d’Autriche, le mercredi 18 mars, jugeant que la politique monétaire de la BCE
avait atteint ses limites[9] et qui a
fait passer en moins de quelques heures les taux italiens de 2,4 à 3%. Cette
sortie a poussé la BCE à publier un communiqué de presse démentant cette
allégation tandis que sa chef économiste, Isabel Schnabel a, plus tard dans la
journée, insisté sur la capacité de la BCE à intervenir pour assurer la
transmission de la politique monétaire. Des mots aux actes, il n’y a eu qu’un
pas, franchi dans la soirée du 18 mars avec l’annonce du PEPP. Toutes les
marges de manœuvre n’étaient donc pas épuisées et les déclarations du
gouverneur autrichien, dans un contexte financier déjà très chahuté, ont en
réalité probablement poussé la BCE à corriger le tir.

Pourquoi et comment réduire les écarts de
taux ?

Pour autant, bien qu’il semble
que la BCE prenne la mesure de la crise et du risque d’un ralentissement très
brutal de l’activité, la question des écarts de taux dans la zone euro demeure
et les déclarations de Christine Lagarde ou d’Isabel
Schnabel
à propos de la fragmentation n’offrent pas de réponse adéquate sur
ce point. Le maintien de la clé de répartition pour les achats de titres va
continuer à soutenir plus activement le marché des titres allemands que celui
de la dette italienne puisque les achats sont proportionnels au PIB des États
membres. Le communiqué de la BCE indique que les achats pourront être réalisés
avec une certaine souplesse, ce qui signifie que la clé de répartition sera
respectée sur l’ensemble de la durée du programme mais pas nécessairement en continu.
Néanmoins, tant que la BCE n’aura pas remis en cause cette règle, la question
des écarts de taux subsistera.

Au-delà des potentiels
déséquilibres macroéconomiques et financiers existants, la crise actuelle résulte
avant tout d’une crise sanitaire. La réponse à cette dernière par le
confinement réduit fortement l’activité économique, ce qui pèsera sur l’emploi,
les revenus et la situation financière des entreprises. La réponse des États
au choc du Covid-19 sera en grande partie budgétaire avec des mesures destinées
à éviter les faillites d’entreprises, d’entrepreneurs, d’indépendants et
maintenir le pouvoir d’achat des ménages. De plus, avec la baisse à venir du
PIB, les ratios de déficit et de dette publique vont mécaniquement augmenter.
Ces efforts ne peuvent pas être réduits à néant par une hausse des taux qui réduirait
les marges de manœuvres et viendrait atténuer l’effet multiplicateur de la
politique budgétaire par le canal du risque souverain[10].

Christine Lagarde a d’ailleurs
appelé le 12 mars les gouvernements à mettre en œuvre les politiques adaptées et
coordonnées pour faire face au choc[11]. Dans
la mesure où cette action ne peut pas être obtenue via le budget européen qui est limité, les décisions seront
nécessairement prises par les États membres, ce qui pèsera donc sur
leur dette nationale. Cette action sera certes d’autant plus efficace qu’elle sera
coordonnée mais, étant donné la gouvernance européenne, elle restera d’abord du
ressort des États.

Il apparaît ainsi évident que la
banque centrale peut éviter une spirale où la hausse anticipée des déficits
provoque une hausse des taux, en particulier pour les pays dont la situation
macroéconomique était déjà fragile et la dette publique élevée. Pour ce faire,
le principal levier est donc de limiter une hausse des taux et l’apparition
d’écarts trop importants au sein de la zone euro. En l’absence de budget
européen, c’est à la BCE que revient la mission de coordonner implicitement les
efforts déployés par les États membres en finançant massivement les émissions de
dette liées aux plans de soutien.

La BCE pourrait ainsi annoncer
qu’elle garantit que les écarts de taux ne dépasseront pas un seuil donné
pendant le temps de crise indépendamment de toute annonce sur un montant
d’achats d’actifs. Il s’agirait d’une nouvelle version de l’OMT
– qui avait été annoncée lors de la crise des dettes souveraines en septembre
2012 par Mario Draghi – via laquelle
la BCE s’engagerait à acheter des titres de dette jusqu’à une maturité de trois
ans sans fixer de limite de montant a priori mais seulement une limite quant à
la durée de l’opération. La BCE enverrait ainsi un signal puisqu’en tant
qu’institut émetteur de la monnaie, elle a la possibilité de créer des réserves
en quantité importante, ce qui rend l’annonce crédible et efficace. Comme le
suggère Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, la conditionnalité[12] pourrait
cette fois porter sur les titres de toute maturité et limiter à la durée de la
crise liée au Covid-19 et aux mesures exceptionnelles prises pour y faire face.
Cette option rencontrera des réticences au sein du Conseil des gouverneurs
puisqu’elle conduit à envisager l’absence de limites pour les achats de titres.

Une autre solution pourrait être
de modifier, temporairement, la clé de répartition en fondant celle-ci non pas
sur le PIB des États membres mais sur les niveaux de dette[13]. En
l’état, même si le signal envoyé aux gouvernements et aux investisseurs est
rassurant, acheter une part plus élevée de dette allemande plutôt qu’italienne
ne va que très faiblement contribuer à réduire la fragmentation. Le dernier
paragraphe du communiqué de presse du 18 mars suggère que la BCE réfléchit à la
possibilité de reconsidérer la clé de répartition[14]. Le
plus tôt sera le mieux pour donner toute latitude aux États de gérer cette crise
sanitaire.


[1] La BCE a effectivement proposé des nouvelles
conditions pour les TLTRO-III (Targeted
long-term refinancing operations
) qui permettent aux banques d’obtenir un
refinancement en contrepartie des crédits qu’elles octroient aux entreprises.
Les banques pourront ainsi emprunter jusqu’à mille milliards d’euros (jusque
juin 2021) à un taux pouvant être inférieur de 25 points au taux des facilités
de dépôts, soit -0,75 %. Elle a aussi annoncé une opération de
refinancement à très long terme sans aucune conditionnalité. Cette dernière
mesure permet ainsi de répondre aux besoins de liquidité dans l’éventualité
d’une panique bancaire.

[2] Pour comparaison, l’annonce du premier programme
d’assouplissement quantitatif (APP) de la BCE était de 60 milliards d’euros sur
19 mois (de mars 2015 à septembre 2016) soit 1 140 milliards d’euros,
tandis que les achats d’actifs pour 2020 se montent à 1 050 milliards
d’euros (les 870 milliards d’euros annoncés ces derniers jours auxquels il
convient d’ajouter les 20 milliards d’euros par mois annoncés en septembre
2019, soit 180 milliards d’euros additionnels).

[3] Fixée à 33% pour les obligations souveraines. Les
Pays-Bas et l’Allemagne sont au-dessus des 30% donc très proches de la limite,
tandis que la France et l’Italie sont autour des 20%, en raison d’une dette
publique plus élevée (en % du PIB).

[4] Pour information, au 30 janvier 2020, la Bundesbank
représentait 21,4%, la Banque de France 16,6% et la Banque d’Italie 13,8%.

[5] Ce mouvement est aussi observé sur les taux
américains qui ont augmenté de 0,5 point entre le 9 et le 17 mars après avoir
fortement baissé (passant de 1,6 % début février à un creux de 0,5 %
le 9 mars). Dans un contexte de marasme boursier, la baisse du rendement
souverain américain traduisait sans doute une réallocation des portefeuilles
des investisseurs pour des actifs jugés liquides et sûrs. La contagion mondiale
de l’épidémie et du ralentissement économique et la perspective d’un soutien
budgétaire massif du gouvernement américain pourrait expliquer le surajustement
des taux américains.

[6] « We are not here to
close spreads 
».

[7] La répartition des achats de titres dans le cadre du
programme PSPP prévoit effectivement que ceux-ci soient déterminés en fonction
de la part des États
membres dans le capital de la BCE, ce qui signifie en pratique que la BCE
détient une proportion plus importante de titres allemands, puis français,
italiens…

[8] Voir Blot et Hubert (2019) pour une analyse des critiques qui avaient suivi les
mesures prises en septembre 2019.

[9] « monetary
policy has reached its limits ».

[10] Voir Corsetti, Kuester, Meier et Müller (2013).

[11] « an
ambitious and coordinated fiscal stance is now needed in view of the weakened
outlook ».

[12] Dans le cadre de l’OMT, la BCE s’engageait à acheter
les titres de dette à condition que les États adoptent un programme d’aide via le FESF / MES.

[13] Elle achète effectivement une part – du fait du poids
du PIB plus élevé de l’Allemagne – plus importante d’une dette moins élevée en
% du PIB. Cet argument est avancé et précisé dans Blot et Creel (2017).

[14] « To the extent that some self-imposed limits
might hamper action that the ECB is required to take in order to fulfil its
mandate, the Governing Council will consider revising them to the extent
necessary to make its action proportionate to the risks that we face. »




Pourquoi la Fed n’a-t-elle pas réussi à rassurer les marchés ?

Par Christophe Blot et Paul Hubert

Face au risque croissant d’un fort coût économique de l’épidémie de coronavirus, la Réserve fédérale a décidé, le 3 mars, de baisser son taux directeur d’un demi-point. Cette décision a été prise lors d’une réunion extraordinaire du Comité de politique monétaire (FOMC). Au-delà de l’effet escompté sur les conditions de financement, la décision de la banque centrale envoie aux marchés le signal de sa détermination à mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour amortir la baisse prévisible de la croissance américaine. La Réserve fédérale espérait également sans doute calmer la tempête boursière ; l’indice Dow Jones ayant baissé de 13 % la semaine précédant la décision. Sous l’hypothèse que le prix des actifs financiers cotés reflète toute l’information disponible, la variation de l’indice Dow Jones, à la suite de l’annonce de la Réserve fédérale, nous renseigne sur l’interprétation que les marchés ont faite de cette annonce de baisse des taux.



En théorie, une baisse non anticipée par les marchés des taux d’intérêts devrait se traduire par une hausse des cours boursiers. En effet, des taux plus bas augmentent la valeur actualisée des flux de revenus futurs – dividendes – , ce qui accroît la valeur fondamentale des actions. Puisque la réunion du 3 mars n’était pas inscrite au planning des réunions de 2020, la décision prise par le FOMC était forcément non anticipée par les marchés[1].

De nombreuses analyses – qualifiées d’études d’événement – s’appuient sur l’information contenue dans l’évolution des prix de différents actifs après les annonces des banques centrales pour en déduire l’impact de la politique monétaire. L’information que l’on peut tirer de ces variations de prix est d’autant plus pertinente qu’il n’y a pas d’autres annonces économiques simultanément aux décisions de politique monétaire. Cette hypothèse est d’autant plus crédible que la fenêtre dans laquelle sont observées les fluctuations de prix est étroite[2]. Ainsi, sur la base d’une fenêtre de 30 minutes (allant de 10 minutes avant l’annonce à 20 minutes après) autour de l’annonce du 3 mars, on observe que l’indice Dow Jones a progressé de 0,4 % (graphique). Cette hausse fut néanmoins temporaire et l’indice est ensuite rapidement reparti à la baisse, si bien qu’en fin de séance le Dow Jones clôturait à un niveau inférieur à son cours d’ouverture (-3,2%). Bien que l’on ne puisse pas observer quelle aurait été l’évolution de l’indice sans cette décision, force est de constater que la Réserve fédérale n’est pas parvenue à atténuer la panique boursière.

Peut-on en déduire que la baisse du Dow Jones suggère que la politique monétaire serait inefficace pour enrayer le ralentissement ? Une interprétation est que les investisseurs ont fait une autre lecture de la décision de la Réserve fédérale. En convoquant une réunion d’urgence et en précipitant la décision de baisser son taux directeur, le FOMC envoie le signal que la situation économique est plus préoccupante que ce qu’anticipaient les marchés. Nakamura et Steinsson (2018) ont récemment mis en évidence ce canal de transmission à propos des décisions de politique monétaire de la Réserve fédérale[3]. Ainsi, les annonces des banques centrales informent les investisseurs sur l’orientation future de la politique monétaire et révèle aussi des signaux sur l’état de l’économie tel que perçu par la banque centrale[4]. Or si la baisse des taux conduit bien à faire monter le prix des actions, la dégradation de la situation macroéconomique réduit les perspectives de revenus futurs et donc leur prix. A la suite de la réunion du 3 mars, il semble donc que ce soit le deuxième effet qui ait finalement dominé. Il ne faut cependant pas en conclure que la baisse des taux est inutile car quelle que soit la réaction des marchés, les conditions de financement de l’économie ont bien été assouplies.

Les regards se portent maintenant sur l’annonce de la BCE qui aura lieu ce jeudi 12 mars. Cette réunion étant prévue de longue date et les conséquences économiques du coronavirus apparaissant de plus en plus évidentes, la réaction des marchés financiers devrait cette fois être davantage liée aux mesures qui seront prises.

Graphique. Évolution du Dow Jones durant la journée du mardi 3 mars 2020

[1] Notons cependant que les marchés avaient sans doute anticipé que la Réserve fédérale allait baisser son taux directeur lors de la réunion planifiée du 18-19 mars.

[2] Voir Gürkaynak, R. et J. Wright (2013). “Identification and inference using event studies”, The Manchester School, 81, 48-65.

[3] “High-frequency
identification of monetary non-neutrality: the information effect.” The Quarterly Journal of Economics,
133(3), 1283-1330.

[4]
Précisons qu’il ne s’agit pas ici de faire l’hypothèse que la Fed dispose de
plus d’information ou d’une meilleure information, mais seulement que ses
actions et annonces révèlent ou confirment quelles informations entrent dans sa
fonction de réaction.




Quel pays développé gagne le plus lors d’une dévaluation de sa monnaie ?

Par Bruno Ducoudré, Iris Guezennec (Stagiaire à l’OFCE et Université Paris II Panthéon-Assas), Éric Heyer, Chloé Lavest (Stagiaire à l’OFCE et ENSAE ParisTech) et Lucas Pérez (Stagiaire à l’OFCE et ENS Paris-Saclay)

La multiplication récente des
mesures protectionnistes, les mouvements imprévisibles des taux de change et la
course à la compétitivité renouvelée impliquent de poursuivre les réflexions
portant sur l’impact macroéconomique de l’environnement international sur
l’évolution des économies. Plus précisément, les fluctuations de prix dans le
commerce international n’entraînent pas des variations symétriques des volumes
échangés et des prix facturés : deux pays peuvent réagir différemment à
une même variation des tarifs douaniers, des taux de change ou des prix à
l’échange.



Pour comprendre les enjeux liés à
ces variations de prix dans le commerce international, nous
évaluons, dans cet article, sur données
agrégées les élasticités-prix du commerce international (exportations et
importations) pour six grands pays développés : la France, l’Allemagne,
l’Italie, l’Espagne, le Royaume-Uni et les États-Unis. Ces estimations
actualisent les
travaux de Ducoudré et Heyer
(2014)
et
sont comparées à ceux de la Banque de France (Bussière, Gaulier
et Steingress, 2016)

et de la BCE (Dieppe, Padiella
et Willman, 2012)
. Si elles s’appuient pour l’essentiel
sur les données fournies par la comptabilité nationale, la demande adressée
pour chaque pays est issue d’une nouvelle base de données construite à l’OFCE
retraçant les flux de commerce de biens et services et les prix au niveau
mondial décomposé en 43 zones géographiques.

Concernant
les exportations en volume de biens et services (graphique 1), nous trouvons
que les élasticités-prix
des exportations italiennes et espagnoles affichent globalement un doublement
par rapport aux valeurs estimées en 2014 : ces deux pays affichent
respectivement une élasticité-prix de 1,2 et 1,74. Le Royaume-Uni est le pays
qui présente la baisse la plus prononcée par rapport à Ducoudré et Heyer
(2014), à 0,36 contre 0,73 précédemment. L’élasticité des exportations
britanniques est ainsi la plus faible parmi les pays considérés. Enfin, dans le
cas des États-Unis, l’élasticité est plus faible que celle obtenue par Ducoudré
et Heyer (2014), passant de 0,74 à 0,54. Elle reste toutefois plus élevée que
celle obtenue par la Banque de France qui était de 0,26. L’élasticité-prix des
exportations allemandes est la seule qui présente une stabilité temporelle
aussi marquée, avec des valeurs qui ne sont pas statistiquement différentes
entre 2014 et aujourd’hui.

Pour
pouvoir appréhender
les élasticités-prix du prix des exportations, il est nécessaire de
s’intéresser au comportement des firmes exportatrices. Face à un choc de
change, soit elles choisissent de reconstituer (respectivement comprimer) leurs
marges lorsque leur monnaie se déprécie (respectivement s’apprécie), soit elles
choisissent de répercuter l’intégralité des variations de change dans leurs
prix (complete exchange rate pass-through).
Une élasticité-prix de 0,5 reflète un comportement de prix des entreprises
médian entre une reconstitution intégrale des marges lorsque le change
s’apprécie et une stabilisation du prix à l’exportation exprimé en devises via une compression des marges. Nos
résultats (graphique 2) reflètent ce comportement pour la France (0,45),
l’Italie (0,46) et le Royaume-Uni (0,55).

Enfin
nous nous demandons quelles conséquences
aurait sur son commerce extérieur un gain de compétitivité-prix d’un pays par
rapport à l’ensemble de ses concurrents ? Afin de répondre à cette question,
nous simulons les effets d’un gain de compétitivité-prix de 10 % de chaque pays
par rapport à l’ensemble de ses concurrents dans un modèle incorporant les
équations présentées auparavant. Le choc intervient à la première période
(premier trimestre) et est maintenu tout au long de la simulation. Nous faisons
l’hypothèse que le pays considéré gagne en compétitivité-prix par rapport à
l’ensemble de ses partenaires, sans distinguer les partenaires dans et hors de
la zone euro. Ainsi, nous mesurons l’impact de ce gain sur les exportations et
les importations en volume ainsi que sur les prix des exportations et des
importations (hors énergies ; tableau).

Dans les cas des États-Unis et du
Royaume-Uni, le choc s’apparente à une dépréciation du taux de change contre
l’ensemble des autres monnaies. Ce n’est pas le cas pour les pays membres de la
zone euro : pour eux le choc correspond à la situation dans laquelle tous
les prix d’exportation des concurrents exprimés en euro augmenteraient de 10%.

Pour
chacun des pays étudiés, la condition dite « de Marshall-Lerner » ou
encore théorème des élasticités critiques est vérifiée (S>0). Une dévaluation (respectivement une appréciation) conduit
alors, toutes choses égales par ailleurs, à une amélioration (respectivement
dégradation) du solde commercial. Autrement dit, les effets positifs (négatifs)
des gains de compétitivité sur les volumes l’emportent sur les effets négatifs
(positifs) associés à la dégradation des termes de l’échange. En conséquence, tout gain de
compétitivité-prix d’un pays conduit à une hausse du volume des exportations de
ce pays et une baisse des importations, d’autant plus que S est élevé. En effet, toutes choses égales par ailleurs, à la
suite du choc, le prix relatif des exportations diminue. Cela augmente la
demande pour ses exportations. Cependant, le prix des exportations est
également affecté à la hausse par le comportement de pricing des
exportateurs qui ont tendance à rétablir une partie de leurs marges. De ce
fait, la hausse de la demande étrangère est atténuée par la hausse du prix
pratiquée par les firmes exportatrices. En ce qui concerne les importations, le
gain de compétitivité sur le marché national se traduit par une hausse des prix
d’importations et donc une baisse des volumes importés. On observe par ailleurs
que le prix des importations augmente mais proportionnellement moins que les
gains de compétitivité : la transmission des gains de compétitivité sur le prix
des importations est incomplète (incomplete pass-through).

À long terme, ce sont l’Espagne et l’Italie qui bénéficient le plus en
matière de volumes exportés. Le Royaume-Uni est le pays dont les exportations
augmentent le moins (tableau, colonne 1). Cela s’explique par les valeurs des
élasticités-prix des volumes d’exportation qui s’élèvent à 1,21 et 1,74 pour
l’Italie et l’Espagne respectivement et 0,36 pour le Royaume-Uni. D’autre part,
le Royaume-Uni est le pays dont l’élasticité du prix des exportations est la
plus élevée à la suite d’une dépréciation de 10 % de son taux de change
effectif nominal (5,39 contre 2,2 pour les États-Unis) (cf.
tableau, colonne 3). En ce qui concerne les
importations, on observe qu’à long terme, les quantités importées baissent
relativement plus en Espagne et au Royaume-Uni que dans les autres pays
(tableau, colonne 2). Cela s’explique par une élasticité-prix des importations
plus élevée dans ces deux pays : 0,92 pour l’Espagne et 0,99 pour le
Royaume-Uni contre 0,38 pour l’Allemagne et 0,70 pour la France.




Quelles conséquences des taux d’intérêt bas sur les marges de manœuvre de la politique budgétaire ?

par Bruno Ducoudré, Raul Sampognaro et Xavier Timbeau

Les économies développées
connaissent depuis plusieurs années des taux d’intérêt réels historiquement bas.
Si la crise de 2008 est derrière nous – le chômage a retrouvé son niveau
d’avant-crise dans la plupart des pays développés et les PIB par habitant sont
les plus élevés jamais observés – ses stigmates sur les plans économique,
social et politique sont toujours là. De fait, les ratios d’endettement public
sont bien au-dessus de ceux d’avant 2008 : plus de 40 points en plus pour
la France, 50 points pour les États-Unis ou le Royaume-Uni, 30 points
pour la zone euro dans son ensemble, grâce à un ratio d’endettement en
Allemagne inférieur à celui de 2008. La situation conjoncturelle favorable, les
profits élevés, le dégonflement des bilans des banques centrales et les hauts
niveaux d’endettement devraient se traduire – dans une vision naïve – par une
hausse des taux d’intérêt réel. Dans ce contexte, le haut niveau des dettes
publiques aurait également été une incitation forte à réduire les déficits
publics pour éviter le risque d’insoutenabilité des finances publiques lié à un
emballement de la charge de la dette généré par une remontée des taux
d’intérêt, et c’est précisément cet argument qui présidait à la prudence
budgétaire.



Quelles sont les explications
possibles à ces taux d’intérêt réels bas ? C’est la question à laquelle
nous tentons de répondre dans une étude récente.
Au-delà de la surprise conjoncturelle, il apparaît que la faiblesse des taux
d’intérêt répond plutôt à des causes structurelles qui entravent la
normalisation de la politique monétaire. Ceci se traduit par des anticipations
durables de taux bas, aboutissant in fine
à l’aplatissement de la courbe des taux au moins pour le segment des actifs
sans risque. Dans cette étude, nous retraçons les tendances des taux d’intérêt
souverains depuis la décennie des années 1970 et rappelons les causes possibles
identifiées dans la littérature économique – effet des politiques monétaires
expansionnistes, stagnation séculaire, surabondance d’épargne privée. Nous
évaluons ensuite l’ampleur de l’espace fiscal ouvert par un scénario de taux
souverains durablement bas.

Nos simulations, conduites avec
le modèle iAGS de l’OFCE[1]
pour la zone euro, indiquent qu’une baisse de 1 point du taux d’intérêt long
pendant 10 ans aboutirait à un stock de dette publique rapporté au PIB plus bas
à l’horizon de 20 ans (cf. graphique). Les ordres de grandeur s’élèveraient à
-2 points de dette publique pour l’Irlande et iraient au-delà de -10 points
pour l’Italie, libérant ainsi des marges de manœuvre budgétaire significatives
pour les États
de la zone euro. Ces effets seraient toutefois limités en cas de ralentissement
concomitant de la croissance potentielle.


[1] Voir ici
pour une description détaillée du modèle iAGS.




Transmission de la politique monétaire : les contraintes sur les emprunts immobiliers sont importantes !

par Fergus Cumming (Banque d’Angleterre) et Paul Hubert (Sciences Po – OFCE)

La
transmission de la politique monétaire dépend-elle de la situation
d’endettement des ménages ? Dans ce billet de blog, nous montrons que les
variations des taux d’intérêt sont plus effectives lorsqu’une grande partie des
ménages est contrainte financièrement, c’est-à-dire lorsque les ménages sont
proches de leurs limites d’emprunt. Nous trouvons aussi que l’impact global de
la politique monétaire dépend en partie de la dynamique des prix immobiliers et
peut ne pas être symétrique pour les hausses et les baisses de taux d’intérêt.



Du micro au macro

Dans
un récent
article, nous utilisons des données de prêts immobiliers au Royaume-Uni pour
construire une mesure précise de la proportion de ménages proches de leurs
contraintes d’emprunt basée sur le ratio du prêt immobilier sur le revenu. Ces
données hypothécaires nous permettent d’avoir une connaissance précise des
différents facteurs qui ont motivé les décisions individuelles en matière de
dette immobilière entre 2005 et 2017. Après avoir éliminé les effets de la
réglementation, du comportement des banques, des effets géographiques et
d’autres évolutions macroéconomiques, nous estimons la part relative des
ménages très endettés pour construire une mesure comparable dans le temps. Ce
faisant, nous regroupons les informations obtenues pour 11 millions de prêts
hypothécaires en une seule série temporelle, ce qui nous permet ensuite d’explorer
la question de la transmission de la politique monétaire.

Nous
utilisons la variation temporelle dans cette variable d’endettement pour
explorer si et comment les effets de la politique monétaire dépendent de la
part des personnes qui sont financièrement contraintes. En particulier, nous
nous concentrons sur la réponse de la consommation. Intuitivement, nous savons
qu’une politique monétaire restrictive entraîne une baisse de la consommation à
court et moyen terme, raison pour laquelle les banques centrales augmentent les
taux d’intérêt lorsque l’économie est en surchauffe. Nous cherchons à savoir si
ce résultat évolue en fonction de la part de ménages financièrement contraints.

Politique monétaire contingente aux contraintes de crédit

Nous
constatons que la politique monétaire est plus effective lorsqu’une grande
partie des ménages a contracté des engagements de dette élevés. Dans le
graphique ci-dessous, nous montrons la réponse de la consommation de biens non-durables,
durables et totale en réponse à une augmentation de 1 point de pourcentage du
taux d’intérêt directeur. Les bandes grises (respectivement bleues) représentent
la réponse de la consommation lorsqu’il y a une part importante (respectivement
faible) de personnes proches de leurs contraintes d’emprunt. Les écarts entre
les bandes bleue et grise suggèrent que la politique monétaire est plus
puissante lorsque la part de ménages qui s’endettent fortement est élevée.

Cet effet différentié s’explique probablement par au moins deux mécanismes : premièrement, dans une économie où les taux sont en partie variables[1], lorsque le montant emprunté par les ménages augmente par rapport à leur revenu, l’effet mécanique de la politique monétaire sur le revenu disponible est amplifié. Ceux qui ont des emprunts importants sont pénalisés par l’augmentation des mensualités de prêt en cas de hausse des taux, ce qui réduit leur pouvoir d’achat et donc leur consommation ! Par conséquent, plus la part des agents fortement endettés augmente, plus l’effet agrégé sur la consommation devient important. Deuxièmement, les ménages proches de leurs contraintes d’emprunt sont susceptibles de dépenser une proportion plus élevée de leurs revenus (ils ont une propension marginale à consommer plus élevée). Dit autrement, plus vous consacrez une part élevée de votre revenu au remboursement de votre dette, plus votre consommation dépend de votre revenu. La modification du revenu liée à la politique monétaire se répercutera alors plus fortement sur votre consommation. Fait intéressant, nous constatons que nos résultats sont davantage attribuables à la répartition des ménages très endettés qu’à une hausse générale des emprunts.

Nos résultats indiquent également une
certaine asymétrie de la transmission de la politique monétaire. Lorsque la
part des ménages contraints est importante, les hausses de taux d’intérêt ont
un impact plus important (en valeur absolue) que les baisses de taux d’intérêt.
Dans une certaine mesure, cela n’est pas surprenant. Lorsque vos revenus sont
très proches de vos dépenses, manquer d’argent est très différent de recevoir
une petite manne supplémentaire.

Nos résultats suggèrent également que
la dynamique des prix immobiliers est importante. Lorsque le prix des logements
augmente, les propriétaires se sentent plus riches et sont en mesure de
refinancer leurs emprunts plus facilement afin de libérer des fonds pour d’autres
dépenses. Cela peut compenser certains des effets d’amortissement d’une hausse
des taux d’intérêt. En revanche, lorsque le prix des logements baisse, une
augmentation des taux d’intérêt aggrave l’effet de contraction sur l’économie,
rendant la politique monétaire très puissante.

Implications
de politiques économiques

Nous montrons que la situation des
ménages en termes d’endettement pourrait expliquer une partie de la variation
de l’efficacité de la politique monétaire au cours du cycle économique. Cependant,
il convient de garder à l’esprit que les décideurs des politiques macro-prudentielles
peuvent influencer la répartition de la dette dans l’économie. Nos résultats
suggèrent ainsi qu’il y a une interaction forte entre la politique monétaire et
la politique macro-prudentielle.


[1] Ce qui est le cas au Royaume-Uni.




La BCE a-t-elle perdu la tête ?

par Christophe Blot et Paul Hubert

Le 12 septembre 2019, la BCE a
annoncé une série de nouvelles mesures d’assouplissement de sa politique
monétaire assez représentative de l’arsenal de mesures maintenant à disposition
des banques centrales. En effet, il a non seulement été décidé d’une réduction
de taux d’intérêt – celui des facilités de dépôts – mais aussi de reprendre les
achats d’actifs à compter du 1er novembre 2019, de lancer une
nouvelle vague d’octroi de liquidités en contrepartie des crédits accordés par
les banques de la zone euro. Au cours d’une de ses dernières réunions à la tête
de la BCE, Mario Draghi a également innové en introduisant un système de palier[1]
pour la rémunération – à taux négatif depuis juin 2014 – des réserves
excédentaires. Enfin, il a également souligné que la BCE conditionnerait une
normalisation des taux seulement lorsque l’inflation convergera vers la cible
de 2 % indiquant également que cette convergence serait appréciée à l’aune
de l’évolution de l’inflation sous-jacente.

Ces annonces ont fait l’objet de
vives critiques à la fois d’anciens banquiers centraux européens mais également
au sein même du Conseil des Gouverneurs de la BCE ; la représentante
allemande du Directoire ayant même démissionné de ses fonctions le 31 octobre.



Dans un Policy
Brief
, nous analysons les motivations qui ont conduit la BCE à
prendre de nouvelles mesures de soutien. La faiblesse de l’inflation depuis
plusieurs années, la perte d’ancrage des anticipations et les perspectives d’un
ralentissement économique justifient une politique monétaire qui reste
accommodante. Nous discutons également des différentes critiques émises. Notre
analyse suggère qu’elles sont faiblement fondées. Premièrement, il a été avancé
que des taux d’intérêt bas pourraient augmenter le taux d’épargne des ménages
en raison d’un effet de revenu[2].
Nous montrons que cela ne se matérialise pas sur les données récentes. Nous
n’observons une telle corrélation que pour l’Allemagne, et ce déjà avant 2008,
ce qui jette un doute sur le sens de la causalité. Deuxièmement, il est avancé
que les bénéfices des banques sont menacés en raison des faibles taux
d’intérêt. Les données montrent cependant que les bénéfices des banques n’ont
pas baissé et se redressent même depuis 2012. Troisièmement, en utilisant un
indicateur des déséquilibres financiers, nos analyses suggèrent qu’il n’y
aurait pas de bulles sur les marchés immobilier et boursier de la zone euro
considérés dans leur ensemble.


[1] Rappelons que les banques de la zone euro sont tenues
de conserver, auprès de la BCE, des réserves dites obligatoires en fonction des
dépôts qu’elles collectent. Les réserves excédentaires sont les liquidités
laissées par les banques sur leur compte auprès de la BCE, au-delà des réserves
obligatoires. Avant la décision du 12 septembre, l’intégralité des réserves
excédentaires était rémunérée au taux des facilités de dépôts. Celui-ci étant
négatif, ces réserves étaient de fait taxées. Depuis, les réserves excédentaires
sont exonérées de ce taux négatif tant qu’elles ne dépassent pas un certain
seuil – un multiple des réserves obligatoires – fixé par la BCE.

[2] L’impact du taux d’intérêt sur l’épargne peut être
décomposé en deux effets : substitution et revenu. Selon l’effet de
substitution, la baisse des taux réduit l’incitation à épargner au profit de la
consommation. L’effet de revenu suggère que les ménages souhaitent maintenir un
certain niveau de revenu de leur épargne. Ainsi, en réduisant les gains à l’épargne,
cet effet indique que les ménages vont épargner plus pour maintenir ce niveau
de revenu souhaité.