Quand les finances publiques dérapent… aux États-Unis

Christophe Blot

Alors que l’attention s’est récemment portée sur la dégradation des finances publiques françaises, il peut être intéressant de s’arrêter sur la situation budgétaire outre-Atlantique. En effet, le déficit total sur l’année civile 2023 a atteint 8 % du PIB, soit une hausse de 4 points par rapport à 2022 et un niveau bien plus important que ce qui avait été anticipé en fin 2022 ou début 2023[1]. Cette augmentation ne résulte pas d’une dégradation de la situation macroéconomique américaine. Bien au contraire, les performances économiques ont été meilleures qu’anticipé notamment parce qu’elles ont été tirées par cette politique budgétaire expansionniste[2].



La croissance soutenue par la politique budgétaire

L’économie américaine a déjoué tous les pronostics et le ralentissement anticipé en 2023 ne s’est pas réalisé, malgré le resserrement monétaire amorcé au printemps 2022 par la Réserve fédérale[3]. La croissance a atteint 2,5 % après 1,9 % l’année précédente. Parallèlement, l’inflation a baissé atteignant 2,7 % en glissement annuel en fin d’année 2023 après un pic à 6,8 % au deuxième trimestre 2022[4]. Faut-il en déduire que la banque centrale a réussi son pari de réduire l’inflation sans dégrader la situation macroéconomique ? Une explication alternative serait plutôt que la restriction monétaire a été compensée par une politique budgétaire expansionniste et que la réduction de l’inflation résulte surtout de la baisse des prix de l’énergie et la disparition des contraintes d’approvisionnement puisque la demande est restée dynamique. En effet, sur l’ensemble de l’année, les dépenses publiques de consommation et d’investissement ont progressé de 4 % en volume, contribuant à la croissance annuelle pour 0,7 point. L’investissement public a été particulièrement dynamique dans les États et gouvernements locaux puisqu’il a progressé de 11,7 % en 2023. Ceci s’explique par un accord Bipartisan voté par le Congrès en novembre 2021 et qui prévoyait une enveloppe de 1200 Mds de dollars (4,4 % du PIB de 2023) pour le financement de projets d’infrastructures (transports, énergie et climat) essentiellement réalisés à l’échelon local. Les dépenses d’investissement fédérales hors défense ont également crû de plus de 7 %.  Par ailleurs, la consommation des ménages a probablement été soutenue par une baisse de la collecte de l’impôt sur le revenu, notamment au premier trimestre de l’année[5]. Il en a résulté un léger rebond du taux d’épargne au premier semestre mais sur l’ensemble de l’année, la consommation des ménages est restée dynamique, progressant de 2,2 %.

La politique budgétaire reste expansionniste même en phase haute du cycle

La conséquence de cette politique est que le niveau du déficit est un des plus élevé enregistré aux États-Unis depuis 1960. Les deux seules périodes où le déficit fut plus élevé sont 2009-2012 et 2020-2021, toutes les deux caractérisées par une forte dégradation de l’activité économique. En 2023, la politique budgétaire est donc restée expansionniste dans une situation conjoncturelle favorable. Fin 2022, le taux de chômage était de 3,5 % et le niveau de tensions sur le marché du travail – mesuré par le ratio entre le nombre de chômeurs et les offres d’emploi – à un niveau record. Selon les estimations du CBO, le PIB était à son potentiel en fin d’année, ce qui ne semblait donc pas justifier une politique budgétaire expansionniste. Pourtant, en 2023, le solde budgétaire primaire structurel s’est dégradé de 3 points. Cette situation est quasi-inédite pour une période de phase haute du cycle puisque le seul précédent remonte à 2018-2019 lorsque l’administration Trump a fortement réduit la fiscalité des ménages les plus aisés et des entreprises. Historiquement, la politique budgétaire était pourtant contra-cyclique, c’est-à-dire que le solde structurel primaire se dégradait en période de ralentissement mais s’améliorait lorsque l’écart de croissance était positif ou à l’équilibre, comme à la fin des années 1990 ou en 2006-2007.

Les choix budgétaires récents pourraient suggérer que les gouvernements américains – Trump ou Biden – ne tiennent plus compte de la contrainte budgétaire. À quelques mois des élections présidentielles, la question des déficits et de la dette ne semble pas au cœur du débat public. Le risque n’est pas tant économique que politique. Comme en France, malgré la hausse de la dette publique américaine passée de 107,8 % du PIB en 2019 à 124 % en 2023, l’état fédéral américain n’est pas en faillite [6]. La charge d’intérêts a certes augmenté avec la hausse des taux d’intérêt mais la dette publique américaine trouve toujours des acquéreurs et reste aux yeux des investisseurs un des placements les plus sûrs et les plus demandés de la planète. Le risque de défaut existe pourtant mais il est principalement lié au fonctionnement institutionnel selon lequel le plafond de la dette doit être voté par le Congrès. Une analyse d’économistes de la Réserve fédérale de Chicago montre que les transactions sur les contrats CDS (Credit Default Swap) portant sur la dette souveraine américaine ont fortement augmenté lors des trois derniers épisodes au cours desquels le plafond de dette a été atteint[7]. Ainsi, début 2023, les primes de CDS ont fortement augmenté reflétant une probabilité implicite de défaut qui est passé de moins de 0,5 % fin 2022 à un pic de 4 % en avril 2023. Or, dans quelques mois, il faudra renégocier le plafond de la dette suspendu pour l’instant jusqu’au 1er janvier 2025. Les tensions entre Républicains et Démocrates rendent ces négociations de plus en plus difficiles. Chaque camp porte certes la responsabilité de cette situation mais les enjeux politiques les amènent non seulement à rejeter la responsabilité sur l’autre camp et a exigé toujours plus de contreparties pour accepter un relèvement du plafond.


[1] En novembre 2022, le FMI anticipait un déficit à 5,7 % et dans notre prévision d’avril 2023, nous prévoyions même un déficit de 3,1 %.

[2] Voir ici pour notre analyse détaillée de la situation conjoncturelle américaine.

[3] Voir le Blog de l’OFCE du 3 octobre 2023.

[4] Il s’agit ici de l’inflation mesurée par le déflateur de la consommation qui est l’indicateur ciblé par la banque centrale américaine.

[5] La contribution des impôts à la croissance du revenu disponible nominal des ménages s’est élevée à 2 points en 2023 alors qu’elle avait été négative en 2022. Selon le CBO (Congressional budget office), la baisse de l’impôt sur le revenu s’explique par de moindres plus-values et par des reports d’impôts dont ont bénéficié les victimes de catastrophes naturelles.

[6] En France, la dette a augmenté de 13 points sur la période pour atteindre 110,6 % du PIB en 2023.

[7] Voir « What Does the CDS Market imply for a U.S. Default ? ».  Un CDS est un contrat selon lequel une partie paye une prime appelée prime de CDS à une autre partie en échange d’une protection en cas d’occurrence d’un évènement, ici un défaut souverain.




Quelles perspectives pour la France et l’économie mondiale en 2022 et 2023 ? Les enseignements de l’OFCN, un panel de prévisions

par Elliot Aurissergues et Anissa Saumtally

Comme chaque année depuis 2018, l’OFCE a organisé fin novembre 2022 la rencontre de l’Observatoire Français des Comptes Nationaux. Cet événement est l’occasion pour les différents organismes réalisant des prévisions sur l’économie française et son environnement international (INSEE, Direction Générale du Trésor, Banque de France, Rexecode, OFCE pour les instituts spécialisés auxquels s’ajoutent des acteurs privés) d’échanger sur leurs prévisions respectives, leurs scénarios conjoncturels et leurs méthodes. En plus des organismes réalisant des prévisions, des institutions importantes y assistent en tant qu’observateurs : partenaires sociaux, UNEDIC, IRES, Haut Conseil des Finances Publiques. En amont de cette rencontre, les organisateurs collectent auprès des différents instituts les prévisions pour l’année en cours et l’année suivante et envoient un questionnaire plus qualitatif aux participants afin de recueillir leurs opinions sur le scénario économique des prochaines années.



L’OFCE a publié la semaine dernière un Policy Brief résumant les principaux points de cette journée. Si l’OFCN 2021 s’était caractérisé par une certaine confiance dans une solide reprise post-Covid-19, les instituts prévoyant en moyenne des taux de croissance de 4 % en 2022 pour la France, l’Italie, l’Allemagne et les États-Unis, cette édition 2022 a au contraire été dominée par la prudence. L’accumulation de chocs négatifs durant le cours de l’année 2022 a rapidement invalidé le scénario de la fin 2021. Bien évidemment, le premier de ces chocs est l’invasion de l’Ukraine par la Russie et ses conséquences, notamment la crise énergétique en Europe. Cependant, les difficultés économiques de l’année 2022 ne sont pas toutes imputables à la guerre en Ukraine. Les tensions sur les chaînes d’approvisionnement, la politique « zero-covid » en Chine et les tensions inflationnistes persistantes ont également joué leur rôle. Ces taux d’inflation inédits depuis les années 1980 ont conduit à un resserrement monétaire accéléré de la part de la Réserve fédérale et de la Banque centrale européenne, dont les conséquences directes et indirectes sur l’économie américaine mais aussi sur le reste de l’économie mondiale sont au centre des questions pour 2023.

Les panelistes de l’OFCN prévoient donc des taux de croissance assez faibles pour les deux derniers trimestres de 2022, les chiffres annuels relativement élevés s’expliquant par des effets d’acquis par rapport à une année 2021 encore marquée par les restrictions liées au Covid. La croissance annuelle serait de l’ordre de 2,5 % en France, 1,5 % en Allemagne, 3 % en zone euro et entre 1,5 et 2 % aux États-Unis (graphique 1). La croissance chinoise serait de l’ordre de 3% en 2022, un chiffre faible au regard des performances de l’économie chinoise ces dernières années. Pour 2023, seule la Chine verrait sa croissance accélérer en raison de l’allégement anticipé des mesures « zéro Covid » (graphique 2). La croissance chinoise anticipée par les panélistes serait de l’ordre de 4 %. Pour les autres pays, le taux de croissance en 2023 devrait être compris entre 0 et 1 %. Pour l’Allemagne, en première ligne de la crise énergétique, une majorité d’instituts prévoit même une récession. Cette dernière n’est pas non plus exclue pour l’ensemble de la zone euro, les États-Unis ou la France. Pour cette dernière, le consensus reste positif avec une prévision moyenne à 0,5 % mais l’incertitude demeure importante.

Le scénario international et la situation française font l’objet d’une analyse détaillée dans le Policy Brief. La crise énergétique et la persistance des tensions inflationnistes avec le possible enclenchement d’une boucle prix-salaires font également l’objet de deux encadrés résumant deux tables rondes ayant eu lieu dans le cadre de cette journée.




Quels effets de la hausse des taux d’intérêt sur la croissance économique française ? Un tour d’horizon des modèles macroéconométriques

par Elliot Aurissergues

L’année 2022 a été marquée par une très forte poussée inflationniste aux États-Unis et en zone euro. Fin octobre, le taux d’inflation atteint 7,7% sur un an aux États-Unis, 10,6% en zone euro et 7,1% en France, soit entre 5 et 8 points au-dessus des cibles d’inflation de la Réserve fédérale américaine (Fed) et de la Banque centrale européenne. En réponse, les deux banques centrales ont opéré un resserrement monétaire de grande ampleur. Le taux d’intérêt directeur de la Fed est passé de 0% en mars 2022 à 4% en novembre 2022. Si la hausse du taux directeur de la BCE a été pour le moment plus mesurée, les taux longs sur les dettes publiques des pays européens ont connu une très forte progression, gagnant entre 250 et 300 points de base en un an en France ou en Allemagne, voire davantage dans les pays de la zone euro où le risque sur la dette publique est perçu comme plus élevé. Cette hausse est proche de celle anticipée pour les taux courts en 2023. Ainsi, l’OFCE prévoit que le taux directeur de la BCE atteindra 3% au troisième trimestre 2023[1].



Estimer l’impact qu’aura ce resserrement sur l’activité économique est difficile. La transmission d’un choc monétaire sur le reste de l’économie fait l’objet d’une littérature très riche utilisant des méthodes conceptuellement proches, voire équivalentes, mais dont les résultats peuvent fortement varier en pratique. Nous nous intéressons ici particulièrement à l’impact d’un choc de taux dans les modèles macro-économétriques de l’économie française. Pour ce tour d’horizon, nous retenons trois modèles : le modèle Mésange codéveloppé par la DG trésor et l’INSEE (voir Bardaji et al., 2017), le modèle FR BDF de la Banque de France (voir Lemoine et al. 2019 et Aldama et Ouvrard 2020 pour le cahier de variantes) ainsi que la spécification du modèle emod de l’OFCE utilisée dans Heyer et Timbeau (2006).

Qu’est-ce qu’un modèle macroéconométrique ?

Les modèles macroéconométriques représentent la classe la plus ancienne des modèles macroéconomiques. Ils combinent relations (ou équations) comptables et équations de comportement estimées pour former des prédictions sur la réponse de l’économie aux chocs. Les grandes variables macro-économiques (salaire, prix, consommation des ménages, investissement, emploi) sont exprimées sous la forme d’équations à correction d’erreurs. Á long terme, elles convergent vers une certaine cible, déterminée par la théorie économique. Ainsi la dépense de consommation des ménages convergera sur le long terme vers une certaine fraction du revenu disponible des ménages. En revanche, le comportement à court terme est laissé beaucoup plus libre de manière à obtenir de bonnes performances en prévision. Le taux d’intérêt intervient essentiellement à long terme. L’impact d’un choc de taux est limité dans un premier temps et devient plus important au fur et à mesure que l’écart entre les variables et leurs cibles de long terme se comble.

Le modèle Mésange

Nous considérons la variante publiée dans Bardaji et al. (2017). Les résultats sont résumés dans le tableau 1. Un choc monétaire de 100 points de base (ou 1%) se traduit par une baisse du PIB de 0,2% au bout d’un an, 0,8% au bout de trois ans et de 3% à long terme. Cette baisse s’explique notamment par la forte chute de l’investissement : -2,7% au bout de 3 ans (-3,4% pour la FBCF des entreprises non financières) et -5,5% à long terme mais toutes les composantes de la demande globale sont affectées négativement, y compris les exportations qui chutent de 3,3% à long terme. De manière étonnante, le resserrement monétaire se traduit par une hausse des prix dans le modèle Mésange. Les prix de valeur ajoutée marchande progressent ainsi de 0,1% au bout d’un an, 0,8% au bout de 3 ans et de plus de 6% à long terme ! Cette hausse des prix dégrade la compétitivité de l’économie, ce qui explique le recul des exportations. Deux canaux de transmission sont à l’œuvre.  Le premier est l’impact négatif direct d’une hausse des taux d’intérêt sur l’investissement des entreprises. Dans le modèle Mésange, la demande de capital et donc l’investissement dépend à long terme du coût du capital. L’intuition est celle de la théorie micro-économique standard : les entreprises choisissent la combinaison de capital et de travail qui maximise leur profit. Une hausse du coût du capital incite les entreprises à substituer du travail au capital et réduit l’investissement. Le coût d’usage du capital est composé de la dépréciation du capital, du taux d’intérêt de long terme sur la dette publique et de termes de primes de risques entre les obligations d’État et les prêts aux entreprises, tandis que l’élasticité de long terme de l’investissement à ce coût d’usage est estimée sur le long terme à 0,44. Sous l’hypothèse d’un taux de dépréciation de capital de 10%, des taux nominaux initiaux à 0 et en faisant abstraction des primes de risque, une hausse de 1% du taux d’intérêt se traduit à long terme par une baisse de l’investissement de 5%. Le deuxième canal, beaucoup moins intuitif, joue un rôle clé dans cette variante et explique en particulier la réponse des prix et des exportations.  Une hausse du coût du capital représente une hausse des coûts de production pour les entreprises. Celles-ci répercutent cette hausse des coûts dans leur prix de vente, d’où un effet inflationniste et une baisse de la compétitivité. Cet effet positif d’une hausse des taux d’intérêt sur les prix via le canal du coût du capital a été exploré récemment par Portier, Beaudry et Hou (2022). Il convient cependant de souligner que cet effet est difficilement détecté par les méthodes empiriques plus agnostiques (modèles VAR sans restriction, projections locales). Si des effets positifs en impact d’une hausse des taux sur les prix sont parfois obtenus, l’effet devient le plus souvent soit non significatif soit clairement négatif sur des horizons plus longs (voir par exemple Miranda-Agrippino et Ricco, 2021).

Le modèle FR-BDF

Par rapport à Mésange, l’une des spécificités importantes de FR BDF est le traitement des anticipations des agents dans le modèle. Cette spécificité explique que deux taux d’intérêt interviennent dans la dynamique du modèle. Le taux d’intérêt de court terme, déterminée par la Banque centrale européenne, affecte les anticipations des agents tandis que le taux d’intérêt de long terme des obligations publiques joue sur la demande de facteurs de production à long terme. L’élasticité de long terme de l’investissement au coût du capital est de 0,5, légèrement supérieure à celle de Mésange. Le modèle n’incorpore pas de relations systématiques entre les taux longs et les taux courts. Pour obtenir l’effet d’un choc de taux dans le modèle, il convient donc d’additionner deux variantes analytiques distinctes, la première simulant l’impact d’une hausse permanente du taux court, la seconde simulant l’impact d’une hausse du taux long. Ces deux variantes sont disponibles dans Aldama et Ouvrard (2020). Les effets d’un choc de taux sont beaucoup plus faibles que dans Mésange. Au bout de 3 ans, le PIB en volume diminue de 0,3% contre 0,9% dans Mésange. Cela s’explique en particulier par une baisse bien plus faible de la FBCF des entreprises (-1,9% contre -3,4% au bout de 3 ans dans Mésange). Les effets sur les prix sont plus conformes à l’intuition keynesienne habituelle avec une baisse du déflateur du PIB de 0,2% au bout de 3 ans. L’amélioration de la compétitivité qui en résulte permet une hausse des exportations de 0,2% au bout de 3 ans (contre une baisse de 0,2% dans Mésange). Ces différences s’expliquent principalement par deux éléments. Tout d’abord, le canal de transmission du coût du capital vers les prix est neutralisé dans le modèle FR BDF. Si les prix de valeur ajoutée sont déterminés par le coût des facteurs de production et un markup constant comme dans Mésange, le coût du facteur capital qui entre dans l’équation de prix n’est pas le coût d’usage du capital mais le rendement marginal du capital. Ensuite, l’investissement réagit beaucoup moins fortement à court terme à la croissance de la valeur ajoutée dans FR-BDF, et se comporte de manière plus inertielle. Le choc négatif d’investissement se diffuse donc plus lentement.

Le modèle emod

L’impact d’un choc de taux dans la version du modèle emod développée par Heyer et Timbeau (2006) est plus proche des résultats de FR BDF que de Mésange. Le mécanisme économique est cependant différent. Le choc de taux se transmet via une baisse du prix des actifs, notamment immobiliers, ce qui induit une réduction de la consommation via un effet richesse. Après 3 ans, le PIB en volume diminue de 0,4 %, une baisse tirée par la réduction de la dépense (consommation et investissement) des ménages (-0,6%) et dans une moindre mesure de l’investissement des entreprises (-1,2%)[2]. Comme dans FR-BDF, le choc de taux a un impact négatif sur les prix. Les déflateurs du PIB et de la consommation des ménages baissent de 0,1%.

Que retenir de ce tour d’horizon ?

Le principal canal de transmission d’un choc de taux dans les modèles macro-économétriques passe par le coût d’usage du capital et l’investissement des firmes et des ménages. L’ampleur de cet effet négatif sur l’investissement dépend de l’élasticité de long terme de la demande de capital à son coût d’usage. Dans ces modèles, cette élasticité fait l’objet d’une estimation économétrique. Les méthodes d’estimation ne sont pas exemptes de critiques mais la valeur finalement retenue (de l’ordre de 0,5) semble plausible au regard des autres méthodes d’estimations (ainsi une méta-étude de Gechert et al., 2022, l’estime à 0,3) et implique une substituabilité modérée entre les facteurs de production. Un impact du choc du taux sur la consommation des ménages via des effets richesses est également possible même si ce canal demeure controversé. Á ces effets primaires sur la demande agrégée s’ajoutent des effets multiplicateurs et d’accélérateur qui varient également selon les modèles, rajoutant un facteur d’incertitude supplémentaire. Le canal des coûts de production qui a une certaine importance dans la dynamique du modèle Mésange nous apparaît comme peu plausible. Cela nous conduit à retenir dans ce billet les résultats d’Aldama et Ouvrard (2020) et de Heyer et Timbeau (2006).

L’impact du resserrement monétaire sur l’activité économique dépendra non seulement de la réponse de l’économie à un choc générique mais aussi de l’ampleur du choc actuel. Dans la prévision d’octobre 2022 de l’OFCE, la hausse des taux d’intérêt sur un an est prévue pour être de 300 points de base mais cette hausse ne peut être utilisée telle quelle. D’une part, cette hausse n’est pas une complète surprise.  Les taux d’intérêt ont atteint des niveaux très bas lors de la crise de la Covid-19 et un début de normalisation était attendu pour 2022, certes à un rythme très progressif.  D’autre part, il s’agit de la hausse du taux nominal. Le taux d’intérêt pertinent pour les canaux de transmission de la politique monétaire tels qu’ils apparaissent dans les modèles macro-économétriques est le taux réel. Cela ne poserait pas de problèmes si la hausse des taux était un pur choc de politique monétaire, c’est-à-dire si les banquiers centraux avaient décidé du jour au lendemain d’augmenter les taux sans raison. Mais la hausse que nous connaissons est une réponse à un choc inflationniste, choc qui affecte le taux d’intérêt réel indépendamment de l’évolution du taux d’intérêt nominal.  La solution adoptée par l’OFCEdans ses prévisions d’octobre 2022[3] est de retenir l’évolution du taux réel en utilisant certaines mesures des anticipations d’inflation. Cela conduit à un choc de taux de l’ordre de 2%.

Sur la base des deux variantes que nous retenons, un choc de taux de l’ordre de 2% pourrait provoquer, toutes choses égales par ailleurs, une baisse du PIB français comprise entre 0,6 et 0,8% à l’horizon 2024/2025. L’impact sur les prix serait négatif mais demeurerait modeste, compris entre 0,3 et 0,4%. Cette estimation demeure évidemment très incertaine. Comme expliqué dans le paragraphe précédent, calculer l’ampleur du choc elle-même requiert de réaliser des hypothèses importantes. Les modèles utilisés sont estimés avec une information limitée et donc des intervalles de confiance potentiellement larges.  De manière plus générale, la validité de cette estimation des effets d’un choc de taux est contingente à la validité des modèles retenus.

Bibliographie

Aldama P. et J.-F. Ouvrard, 2020, « Variantes analytiques du modèle de prévision et simulation de la Banque de France pour la France », Document de travail Banque de France, n° 750.

Bardadji J., B. Campagne, M. Khder, Q. Lafféter et O. Simon, 2017, « Le modèle macroéconométrique Mésange : réestimation et nouveautés», Document de travail INSEE.

Beaudry P., S. Hou et F. Portier, 2020, « Monetary policy when the Philips Curve is quite flat », CEPR discussion paper.

Gechert S., T. Havranek, Z. Irsova et D. Kolcunova, 2022, « Measuring capital-labor substitution: The importance of method choices and publication bias », Review of Economic Dynamics, n° 45, pp. 55-82.

Heyer E. et X. Timbeau, 2006, « Immobilier et politique monétaire », Revue de l’OFCE, n° 96, pp. 115-151.

Miranda-Agrippino S. et G. Ricco, 2021, « The transmission of monetary policy shocks », American Economic Journal : Macroeconomics, vol. 13, n° 3, pp. 74-107.

OFCE, E. Heyer et X. Timbeau (dirs.), 2022, « Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale et la zone euro », Revue de l’OFCE, n° 178.


[1] Voir dans la prévision de l’OFCE le tableau 2 de l’annexe 1 de la partie Tour du monde de la situation conjoncturelle, Département Analyses et Prévisions, sous la direction d’E. Heyer et X. Timbeau.

[2] Ces chiffres sont obtenus en divisant les résultats présentés dans Heyer et Timbeau (2006) par deux, les auteurs ayant simulé une hausse des taux d’intérêt de 200 bps. Le modèle emod n’étant pas complétement linéaire, ces résultats constituent une approximation.

[3] Voir l’encadré 2 de Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale et la zone euro, sous la direction d’E. Heyer et X.Timbeau.




Budget 2023 et bouclier tarifaire : une évolution artistique

par Xavier Ragot

L’économiste Paul Samuelson définissait la politique économique comme un art : l’art de définir les principales priorités et les moyens adéquats.  C’est à cette définition qu’il faut juger le projet de Loi de finances 2023 tant il contient une approche inédite de la politique économique. On peut la résumer facilement :  le choix a été fait de consacrer 45 milliards d’euros, soit 1,7 point de PIB, à assurer un contrôle des prix, c’est-à-dire que tarifs réglementés de l’électricité et du gaz ne croissent pas plus de 15% pour les ménages et les petites entreprises en 2023. L’utilisation de l’outil budgétaire pour contrôler les prix participe d’un changement profond de paradigme économique en France comme en Allemagne. On assiste donc à une évolution de l’art de la politique, différente néanmoins selon les pays. Si les pays ont maintenant recours à la dette publique, la différence entre les outils utilisés est manifeste : baisse des impôts, transferts, contrôle des prix, etc. C’est dans cette grande divergence qu’il faut tout d’abord placer le débat français.



Mise en perspective internationale : le retour de la politique budgétaire

La question de l’inflation aux États-Unis est riche de leçons pour l’Europe. La hausse de l’inflation américaine n’est pas principalement le fait de la hausse des prix de l’énergie mais de la gestion de la crise Covid. Les États-Unis ont opéré un transfert massif aux ménages afin d’assurer un maintien de leur pouvoir d’achat. Les montants transférés, bien supérieurs aux montants français, ont conduit à un surcroît d’épargne qui est partiellement consommé (voir le Graphique 8 du Policy Brief 106 de l’OFCE). Comment gérer un tel choc de demande ? Le paradigme standard, oserais-je dire archaïque, est que c’est à la politique monétaire de lutter seule contre l’inflation. Dans un tel cas, des hausses massives de taux, conduisant éventuellement à une récession, sont un moyen pour lutter contre les hausses de prix et de salaires. Quel gâchis que de créer une récession, et donc une hausse du chômage et des dettes publiques, pour lutter contre l’inflation après avoir dépensé autant d’argent public !

Un second paradigme a émergé récemment (ou plutôt a été redécouvert) qui consiste à utiliser la dette publique pour maîtriser l’inflation. Lorsqu’une baisse de l’inflation se dessine, une stimulation de l’activité par une hausse du revenu des ménages (soit baisse d’impôts soit hausse des transferts) relance l’activité économique. De manière symétrique, et c’est ce qui nous intéresse ici, une inflation trop forte du fait d’un surcroît d’activité doit conduire à une hausse des impôts pour réduire à la fois la dette publique (ou financer des investissements nécessaires, comme pour la transition écologique) et réduire l’inflation. Ce paradigme porte le nom, inadéquat d’ailleurs, forgé par Abba Lerner de « finance fonctionnelle » (le terme de « keynésianisme intelligent » serait plus pertinent, que l’on présente  ici avec Côme Poirier). Pour l’écrire plus directement, c’est le moment d’augmenter les impôts aux États-Unis plutôt que d’augmenter les taux d’intérêt pour réduire la dette, lutter contre l’inflation et financer les investissements nécessaires. Arrêtons-nous sur cette dernière affirmation car elle est aussi une leçon pour le débat français :  ce qui fait sens pour un économiste ne fait aucun sens pour les politiques. Au moment où le pouvoir d’achat des ménages est érodé par l’inflation, quel homme ou femme politique va défendre une hausse des impôts pour réduire encore plus le pouvoir d’achat des ménages dans leur propre intérêt ? Il faudrait bien sûr tenir compte des inégalités, faire des hausses différenciées d’impôts qui seraient au cœur d’un intense débat politique. Á l’heure ou le débat budgétaire est bloqué aux États-Unis par les tensions politiques du mid-term, cette paralysie conduit à l’utilisation archaïque du seul outil disponible, l’outil monétaire, qui va détruire des ressources utiles. Les États-Unis nous montrent le coût économique d’un débat politique bloqué. Cette constatation plaide pour un système fiscal et des dépenses  davantage contra-cycliques et des stabilisateurs automatiques plus puissants.

Le Royaume-Uni maintenant : pays où la politique budgétaire n’est pas bloquée ! On peut affirmer qu’économiquement, la politique récente de Liz Truss fait peu de sens. Le choix d’une baisse massive d’impôts, notamment pour les entreprises et les ménages aisés, dans une période d’inflation haute, de dépréciation de la monnaie, de contraintes sur la production, des conséquences du Brexit, va conduire à une hausse de la dette publique, de l’inflation, des inégalités, avec un effet très faible, voire négatif — du fait de la hausse des taux d’intérêt — sur la croissance et le chômage. La hausse de la dette publique n’est pas un objectif en soi !

Ainsi, une hausse de la dette est à prévoir à la fois aux États-Unis et au Royaume-Uni mais pour des raisons différentes. Ces deux exemples montrent la singularité du choix français qui est de bloquer pour tous les ménages la hausse des prix règlementés de l’énergie, gaz et électricité, de 15% en 2023 pour un coût brut de 45 milliards. La hausse des prix de l’énergie conduit par ailleurs à des recettes supplémentaires pour l’État français car le prix de rachat pour les énergies renouvelables devient inférieur aux prix de marché. La différence entre la subvention initialement prévue et le gain maintenant estimé réduit le coût net de l’ordre de 29 milliards, selon la communication du gouvernement. Cependant, les recettes issues des prix de rachat n’étant pas affectées, elles auraient pu servir à un tout autre objectif. Ainsi, c’est bien le coût brut de 45 milliards qu’il faut considérer.

Ainsi, le bouclier tarifaire est donc un mécanisme de contrôle partiel des prix. Ce contrôle est aussi débattu au niveau européen sur le prix du gaz russe. Contrairement à l’analyse ancienne, dont un exemple est Galbraith « A theory of price control », ce contrôle des prix concerne un bien essentiellement importé, le gaz, qui sert partiellement à produire sur le territoire l’électricité, dont certains prix sont déjà réglementés. Il faut donc faire l’analyse économique de cette nouvelle forme de contrôle des prix dans le cas français.

Bouclier tarifaire : considérations microéconomiques

Avant de considérer les effets économiques globaux, deux remarques s’imposent. Tout d’abord, il s’agit du contrôle d’un niveau général d’un prix, ce qui va bien au-delà du maintien du pouvoir d’achat. Plus précisément le maintien du pouvoir d’achat est le même pour tous les ménages ayant un tarif réglementé, 15% de hausse des prix. Le dispositif annoncé de chèque énergie exceptionnel de 100 euros ou de 200 euros pour les ménages modestes a un effet plus ciblé. L’objectif du seul maintien du pouvoir d’achat aurait pu mobiliser des outils différents. Des transferts ciblés aux ménages plus conséquents, en tenant compte des consommations énergétiques passées, du niveau de revenu, des dépenses contraintes. Plusieurs dispositifs ont été proposés comme une tarification non-linéaire du prix de l’énergie pour assurer une fourniture minimale aux ménages et faire payer les plus gros consommateurs. Ces mesures auraient permis de tenir compte plus finement des besoins des ménages. Cependant, leur complexité est réelle car les différences sont très grandes entre ménages ayant un même niveau de revenu, comme le montrent des travaux de l’ADEME et de l’OFCE. L’intérêt d’un bouclier tarifaire est la simplicité de mise en œuvre, mais il est loin de résoudre la question des effets de la crise énergétique sur les inégalités entre les ménages.

Ensuite, concernant le pouvoir d’achat moyen des ménages, il faut noter que les transferts envers les ménages pendant la période de Covid ont généré un surcroît d’épargne de l’ordre de 176 milliards d’euros, selon les dernières estimations de l’OFCE. Ainsi, les ménages français, en moyenne, ne sortent pas appauvris en terme patrimonial de la crise Covid, ce qui est la contrepartie de la hausse de la dette publique finançant ces transferts. De ce fait, le soutien aux ménages doit être considéré sous l’angle de la pauvreté et des inégalités (car tous les ménages n’ont pu épargner, l’épargne étant concentrée sur les déciles les plus élevés), non comme une question moyenne.

Le deuxième enjeu concerne les incitations à la réduction de la consommation d’énergie, de manière conjoncturelle pour faire face aux réductions des livraisons russes, et de manière structurelle pour respecter nos engagements climatiques. La hausse de 15% du prix de l’énergie conduira certes à une réduction de la consommation de l’énergie mais d’un montant inférieur à ce qui est nécessaire pour équilibrer la demande et l’offre. D’autres outils sont nécessaires pour conduire à une réduction de la consommation de l’énergie. La hausse des prix du bouclier tarifaire ne suffira pas. Certes, une justification à cette hausse limitée généralisée repose sur une maîtrise des coûts, notamment pour les ménages les plus pauvres, et à la difficulté mentionnée plus haut d’identification des ménages ayant un coût énergétique élevé. Cependant, les outils d’identification devront être mis en place afin d’introduire des mesures efficaces d’incitations fiscales et réglementaires encourageant les réductions de consommation d’énergie.

Bouclier tarifaire : l’analyse macroéconomique

Le coût budgétaire en partie financé par la dette n’est donc pas seulement un mécanisme de soutien au pouvoir d’achat des ménages. Tout d’abord, l’inflation perçue par les ménages est moindre du fait du bouclier tarifaire ; les estimations indiquent un effet direct de 2,1% sur l’inflation en 2022. Cette inflation réduite conduit à une réduction de la hausse des salaires nécessaires au maintien du pouvoir d’achat.

L’effet macroéconomique dépend alors de la situation européenne. Si la France est la seule à mettre en place un tel bouclier, l’inflation française restera plus faible que celle des autres pays ; cela s’apparente donc à une dévaluation interne. En effet, la moindre hausse des coûts de production par rapport aux autres pays se traduit par des hausses moindres de prix d’exportations dont peuvent bénéficier les exportateurs français. Cette dévaluation interne est la bienvenue car le principal problème de l’économie française est la faiblesse de ses exportations. Les estimations, avant la crise énergétique, étaient que le niveau des prix de la France était surévalué de l’ordre de 10% par rapport à la moyenne de la zone euro (voir le graphique 10, ici). L’effet de long terme de cet écart de prix ne dépendra pas de l’effet direct du bouclier fiscal qui est amené à disparaître. Il dépendra de la dynamique des salaires (effets de second tour) et des prix induits (effets de troisième tour) qui doivent être temporairement plus faibles que ceux des autres pays. Ainsi, si les niveaux d’inflation viennent à reconverger entre les pays de la zone euro, ce qui est le plus probable, le bouclier tarifaire peut avoir un effet persistent sur le niveau des prix sans en avoir sur son taux de croissance. S’il faut prendre ces estimations avec prudence, le lent rétablissement de la balance commerciale hors énergie montre qu’une amélioration de compétitivité est utile si elle est durable. Dans la période actuelle, les difficultés d’approvisionnement rendent les effets de seul court terme peu utiles.

Ensuite, si les autres pays de la zone euro s’engagent dans une même politique, soit du fait de la coordination de politique nationale, comme celle qui est discutée en Allemagne en ce moment, soit du fait d’une coordination européenne, alors c’est l’inflation moyenne de la zone euro qui sera réduite. De ce fait, la pression sera moindre sur la banque centrale pour remonter ses taux et lutter contre l’inflation. En d’autres termes, l’effet du budget sur les prix (en réduisant l’inflation par un soutien budgétaire) permettra une politique monétaire plus accommodante. Si la quantification des effets est des plus incertaines, l’exemple des États-Unis montre le danger de reposer sur la seule politique monétaire pour lutter contre l’inflation, encore plus du fait d’un choc énergétique externe.

L’évaluation de ces effets avec les outils de prévision de l’OFCE ou le modèle Threeme a conduit l’OFCE à des estimations du gain en 2022 du bouclier tarifaire et de la remise carburant. Il conduirait à une réduction directe de l’inflation de 2,1% pour un gain de PIB de l’ordre de 0,8%. Pour 2023, les estimations de l’effet sur l’inflation seraient une réduction de l’inflation supérieure à 3% et un gain en PIB à 1,5 %. Ces estimations seront affinées avec des précisions sur le budget 2023 dans le cadre des prévisions de l’OFCE. Cet ordre de grandeur montre qu’à court terme, le bouclier tarifaire n’augmente pas la dette rapportée au PIB de 1,7%, mais seulement de 0,2% du fait de l’effet sur le PIB. Les effets de long terme sont plus difficiles à estimer car ils dépendent du niveau des taux d’intérêt et de la vitesse de rétablissement du PIB. Dans tous les cas, la réduction de la dette publique dépendra d’une stratégie plus vaste d’évolution des dépenses et recettes à long terme.

Les quatre questions sur le bouclier tarifaire

L’analyse macroéconomique précédente est une défense modérée du contrôle partiel des prix. Cependant, quatre questions principales sont maintenant importantes.

La première, évoquée plus haut, concerne la nature des outils fiscaux ou réglementaires afin de maîtriser les effets sur les inégalités d’une part et d’inciter les gros consommateurs d’énergie à réduire leur consommation d’autre part. Ces derniers sont plus nombreux parmi les ménages aisés pour lesquels un signal prix en hausse de 15% sera insuffisant. Ensuite, le chèque de 100 euros, augmenté de 100 euros, va générer des effets de seuils qu’il faudra lisser. Des dispositifs additionnels sont donc nécessaires sinon il y a un risque que le bouclier tarifaire soit perçu comme une subvention partiellement financée par le gain issu du mécanisme de compensation et du prix de rachat des énergies renouvelables.

La deuxième question tout aussi importante concerne les entreprises. Le bouclier tarifaire concerne les ménages et les petites entreprises, PME et TPE. Dans le cadre du budget 2023 une enveloppe de 3 milliards semble reportée pour aider les entreprises énergie-intensives. Qu’en est-il des autres entreprises ? Ne risque-ton pas une déstabilisation du tissu productif par une hausse brutale du prix de l’énergie. Cette question a créé un vif débat parmi les économistes. Des travaux d’économistes sur le cas allemand, repris par un focus du CAE, conduisaient à un effet faible sur les entreprises, soit parce qu’elles pouvaient reporter la hausse des prix sur les prix de vente, soit parce qu’elles pouvaient substituer d’autres sources aux énergies concernées. Les travaux récents de François Geerolf nuancent cette estimation optimiste. Ainsi, des outils de suivi des entreprises et la réflexion sur des outils spécifiques doivent être menés pour identifier les zones de faiblesse sans dépenses inutiles d’argent public.

La troisième question concerne la stratégie de sortie du boulier tarifaire. Ce contrôle partiel des prix ne peut durer indéfiniment car le coût budgétaire est élevé. Cette stratégie de sortie dépend bien sûr de l’anticipation des prix de l’énergie pour laquelle la plus grande incertitude prévaut. Si ces derniers reviennent à des niveaux plus modérés, ce que l’on observe pour les prix du pétrole, alors l’intérêt du bouclier tarifaire disparaîtra de lui-même. Par exemple, le soutien à la réduction du prix des carburants a disparu du PLF 2023 du fait de la réduction des prix du pétrole. Ensuite, si les prix restent élevés, une augmentation progressive et annoncée du prix de l’énergie permettra de donner de la visibilité aux ménages pour investir dans la réduction de la consommation énergétique tout en réduisant le coût budgétaire.

La quatrième question est bien évidemment la question de la politique pour faire rapidement évoluer l’offre énergétique. Le bouclier tarifaire conduit à un possible maintien de la demande énergétique à un niveau élevé par rapport à l’offre énergétique domestique. Les politiques en faveur de la hausse des capacités électriques et énergétiques nette (renouvelable, nucléaire) et de la réduction de la consommation dans le cadre de la stratégie de notre stratégie nationale bas-carbone (SNBC) demandent des investissements évalués entre 1 et 2 points de PIB. Á long terme, c’est l’investissement le plus rentable. 




L’AIECE souligne les risques entourant les prévisions européennes au printemps 2022

par Catherine Mathieu

Les instituts de conjoncture membres de l’AIECE (Association d’Instituts Européens de Conjoncture Économique) ont tenu leur réunion de printemps à Kiel (Allemagne) les 12 et 13 mai derniers. Le Rapport général, qui présente une synthèse des prévisions des instituts, a été réalisé par Analytics CCIS (Ljubljana, Slovénie) et peut être consulté sur le site de l’AIECE (AIECE General Report, Spring meeting, 2022). Nous présentons dans ce billet les points marquants abordés lors de cette réunion, soit les chocs qui frappent l’économie mondiale et les économies européennes depuis plusieurs mois et rendent les perspectives de croissance à court terme particulièrement incertaines.



La conjoncture au printemps 2022

Après le choc de la pandémie de Covid-19 survenu au début de l’année 2020, les économies européennes étaient engagées sur le chemin de la reprise en 2021. Une suite de chocs a cependant fragilisé cette reprise : arrivée des variants Delta puis Omicron qui ont freiné la levée des contraintes sanitaires en 2021, hausse des prix des matières premières amorcée dès l’été 2021, intensification des difficultés d’approvisionnement, notamment pour les biens produits en Chine et en Asie du Sud-Est.  À partir de la fin février 2022, l’invasion de l’Ukraine par la Russie, aux conséquences dramatiques en termes de vies humaines perdues ou bouleversées et de destructions matérielles en Ukraine, a aussi un coût économique pour les pays européens en contribuant à l’augmentation des prix des matières premières énergétiques et alimentaires, en accroissant les risques de pénuries de ces biens et en renforçant les difficultés d’approvisionnement qui étaient déjà élevées.

Ces différents chocs ont conduit au fil des mois les économistes à réviser à la baisse leurs prévisions pour 2022. C’est notamment le cas du FMI et de la Commission européenne (tableau). Selon les instituts de l’AIECE, la croissance mondiale serait de 3,7 % en 2022. Cette prévision médiane, qui résulte de prévisions publiées pour la plupart entre la mi-mars et la mi-avril, est en ligne avec la prévision publiée en avril par le FMI (Perspectives de l’économie mondiale). Le 16 mai, la Commission européenne a révisé sa prévision de croissance mondiale à 3,2 % pour 2022, soit un point de moins que dans sa prévision d’octobre 2021 (European Economic Forecast, Spring 2022), tandis qu’elle abaissait sa prévision de croissance pour la zone euro de 1,7 point, à 2,7 % seulement pour 2022. Cette prévision, plus récente, intègre davantage les effets de la guerre en Ukraine. De ce point de vue, certaines des prévisions des instituts de l’AIECE accusent un retard, avec une croissance médiane de la zone euro prévue à 3,2 % pour 2022 (comprise entre 4,1 % et 1,6 %). Le FMI et la Commission européenne ont par ailleurs jusqu’à présent peu révisé leurs prévisions pour 2023, et les instituts de l’AIECE ont une prévision médiane qui en est proche (3,5 % pour la croissance mondiale, 2,5 % pour celle de la zone euro).

Mais l’intensité des incertitudes géopolitiques rend le chiffrage de prévisions plus incertain qu’habituellement. L’essentiel des discussions de la réunion de l’AIECE a d’ailleurs porté sur les freins à la reprise dans la situation actuelle et non sur les scénarios pour 2023. C’est aussi l’approche retenue par l’OFCE, dans « L’Economie mondiale sous le(s) choc(s) », OFCE, Policy brief n° 106, mai 2022.

Commerce mondial de marchandises

Selon les données du World Trade Monitor (WTM) du CPB (membre de l’AIECE), comparé au niveau de la fin 2019, le commerce mondial de marchandises en volume était supérieur de près de 10 % au premier trimestre 2022, les exportations chinoises étant supérieures de 20 %, tandis que les exportations des États-Unis et de la zone euro avaient à peine retrouvé leur niveau antérieur. Du côté des importations, sur la même période, les États-Unis arrivaient en tête, avec des importations supérieures de 18 % à leur niveau d’avant-crise, suivis des pays d’Asie avancés (+ 12 %) et émergents (+16 %) hors Chine et Japon. Les importations chinoises n’étaient supérieures que de 6 %, comme celles de la zone euro. La phase de rattrapage du commerce mondial est cependant passée, les chiffres de mars signalant une stabilisation du commerce mondial.

Les instituts de l’AIECE ont pointé les facteurs de ralentissement du commerce mondial au cours des derniers mois. Tout d’abord, les incertitudes autour de la poursuite de la croissance en Chine, du fait de l’arrivée du variant Omicron et des mesures de restriction des activités qui s’en sont suivies dans le cadre de la stratégie zéro-Covid : confinements de villes et régions industrielles et portuaires (Shenzhen à la mi-mars, pour une semaine, Shanghai en avril), qui ont un rôle prépondérant dans les chaînes d’approvisionnement mondiales. Les indicateurs mensuels des directeurs d’achat (PMI) connaissent depuis le début de l’année des évolutions opposées entre d’une part la zone euro et les États-Unis, où ils ont continué à s’améliorer au premier trimestre tandis qu’ils ont commencé à se dégrader en Chine en mars et plus encore en avril. La composante du PMI chinois sur les ‘délais de livraison’ s’est particulièrement dégradée laissant augurer de nouvelles tensions sur les chaînes d’approvisionnement alors que l’indice mondial de tensions sur les chaînes de production était en léger repli en mars, à partir d’un niveau élevé (Global supply chain pressure index). Cet indice s’est légèrement tendu en mai.

Vincent Stamer, de l’IfW de Kiel a présenté les derniers résultats du « Kiel Trade Indicator », un indicateur de commerce mondial mis au point en 2021. Cet indicateur a pour originalité d’évaluer les flux mensuels récents bilatéraux d’importations et d’exportations de marchandises entre 75 pays, sur la base des déplacements observés des porte-conteneurs. L’indicateur est mis à jour deux fois par mois (autour du 5 et du 20). Dans sa version publiée le 20 mai, l’indicateur estime que le commerce mondial a baissé de 0,2 % en mai, dont une baisse de 4,1 % des importations chinoises et une hausse de 1,9 % des exportations chinoises ; les importations des États-Unis auraient été stables tandis que les exportations auraient baissé de 0,4 % ; les importations comme les exportations de la zone euro auraient légèrement baissé. Cet indicateur a pour objectif d’estimer deux mois supplémentaires par rapport à l’indicateur de commerce mondial du CPB (WTM) dont la dernière valeur porte sur mars, dans la publication du 24 mai. Il sera intéressant de suivre les estimations de ce nouvel indicateur et d’observer si elles permettent effectivement d’anticiper l’évolution des flux de commerce de marchandises établies sur la base de données douanières.

Par ailleurs, les instituts ont noté que, contrairement aux flux de marchandises, le commerce mondial de services n’avait pas rattrapé son niveau d’avant-crise au quatrième trimestre 2021, du fait des séquelles des contraintes sanitaires imposées au plus fort de la pandémie. Cependant, les données de l’OMC indiquent un net redémarrage du commerce mondial des services au cours de l’année 2021, le poste ‘voyage’ affichant une hausse de près de 70 % en glissement sur un an au quatrième trimestre 2021 et le poste ‘transport’ une hausse de près de 45 %.

Prix du pétrole et des matières premières

Le prix du baril de Brent a dépassé 100 dollars à la fin février et fluctue depuis autour de 110 dollars. Selon la médiane de la prévision des instituts de l’AIECE, le prix serait de 98 dollars au quatrième trimestre 2022 et retrouverait un niveau de 83 dollars au quatrième trimestre 2023. Les instituts ont discuté les conséquences de la hausse du prix du pétrole et des matières premières sur le pouvoir d’achat des ménages et les coûts des entreprises en Europe. Plusieurs instituts ont indiqué que les prix du pétrole devront être durablement supérieurs à 100 dollars si l’UE souhaite respecter ses engagements de neutralité carbone en 2050 et de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55 % d’ici 2030.

Trois des instituts allemands présents lors de la réunion de l’AIECE (IfW de Kiel, Institut de Halle et DIW Berlin) ont présenté leur estimation de l’impact qu’aurait sur l’économie allemande un arrêt total d’importations d’énergie en provenance de Russie (surtout du gaz, mais aussi du pétrole), publiée dans leur prévision commune d’avril ( Joint Economic Forecast Spring 2022: From Pandemic to Energy Crisis – Economy and Politics under Permanent Stress). Dans leur scénario central, les instituts allemands prévoient une croissance de 2,7 % en 2022 (contre 4,8 % il y a six mois, revue à la baisse principalement sous l’effet de la guerre en Ukraine), mais de 1,9 % seulement dans le scénario d’embargo. En 2023, la croissance allemande serait de 3,1 % dans le scénario central mais en chute de 2,2 % dans le scénario d’embargo. L’impact sur le taux de croissance allemand serait donc de -0,8 % cette année, mais de -5,3 % l’an prochain, soit 6 % sur le niveau du PIB.

Situation conjoncturelle européenne

Les instituts de l’AIECE ont souligné les caractéristiques très inhabituelles de la sortie de crise de la Covid-19, avec des taux de chômage faibles, des difficultés de recrutement généralisées, des difficultés d’approvisionnement et une accélération de l’inflation, difficultés amplifiées par la guerre en Ukraine. Les instituts allemands ont mis en avant les difficultés d’approvisionnement de l’industrie allemande, en particulier dans l’industrie automobile, fortement dépendante de composants importés (de Chine, d’Asie du Sud-Est et d’Europe centrale et orientale).

La Réserve fédérale américaine et la Banque d’Angleterre ont commencé à relever leurs taux directeurs pour freiner l’inflation et éviter l’enclenchement d’une boucle prix-salaires, alors que la hausse des prix des matières premières, envisagée comme temporaire avant le début de la guerre en Ukraine, apparaît désormais plus durable. La BCE se distingue par son attentisme et pourrait ne commencer à augmenter son taux directeur qu’à partir de juillet 2022. Les instituts ont débattu de la difficulté de remonter les taux d’intérêt lors d’un choc d’offre, de parvenir à ramener l’inflation vers la cible de 2 % sans briser la reprise qui restait fragile en zone euro et alors que la guerre en Ukraine constitue un nouveau choc. La diversité des réponses nationales face à la hausse des prix de l’énergie complique la conduite de la politique monétaire à l’échelle de la zone euro, les taux d’inflation connaissant des accélérations plus ou moins fortes selon les mesures prises au niveau national (hausses passées de TVA en Allemagne, bouclier tarifaire sur l’énergie en France). Il n’y a pas de consensus parmi les instituts sur la politique monétaire qui devrait être conduite dans la zone euro ce printemps. Alors que l’inflation est largement supérieure à la cible de 2 %, 44 % des instituts considéraient dans leurs réponses aux questionnaires pour le rapport général que la BCE ne devrait durcir sa politique monétaire que si la hausse des prix des matières premières se diffusait au reste de l’économie, 33 % pensant que la BCE devrait agir dès à présent et 22 % qu’elle devrait attendre jusqu’à la fin 2022. Lors de la réunion, plusieurs instituts ont mentionné le risque immobilier que pourrait entraîner une remontée des taux d’intérêt (dont la Suède et les Pays-Bas).

La hausse des prix des matières premières et plus généralement celle de l’inflation (qui a atteint 7,4 % en avril 2022 en zone euro, allant de 5,4 % en France à 19,1% en Estonie) conduisent à des pertes de pouvoir d’achat pour les ménages. Les instituts ont rappelé que, les taux d’épargne des ménages restant plus élevés qu’avant la crise (11,4 % en moyenne dans la zone euro, contre 8,3 % en 2019), les ménages pourraient puiser dans cette épargne pour amortir l’effet de la perte de pouvoir d’achat sur leur consommation.  Cependant, la perte de pouvoir d’achat frappant surtout les ménages les plus pauvres (aux taux d’épargne les plus faibles), la nécessité de mesures de soutien budgétaire a été soulignée. La moitié des instituts considère que la politique budgétaire de leur pays sera plutôt expansionniste en 2022 et que cela est adapté à la situation conjoncturelle tandis que l’autre moitié estime que la politique budgétaire sera neutre ou légèrement restrictive, ce qu’ils jugent en général aussi adapté aux situations des pays concernés. Dans sa prévision publiée le 16 mai, la Commission européenne estime que l’impulsion budgétaire à l’échelle de la zone euro sera négative de 0,6 point cette année et de 0,8 point l’an prochain, ce qui semble plus restrictif que suggéré par les instituts de l’AIECE. Il convient cependant de préciser que la Commission européenne ne prend en compte que les mesures déjà votées alors qu’il est probable que des mesures de soutien supplémentaires aux ménages et aux entreprises soient votées dans de nombreux pays de l’UE à partir de ce printemps. On ajoutera aussi que la Commission vient de repousser le retour des règles budgétaires au-delà de 2023, ce qui pourrait permettre aux pays de soutenir leur économie alors que les perspectives de croissance sont régulièrement revues à la baisse.

Pour conclure, la guerre en Ukraine et les problèmes de rupture des chaînes d’approvisionnement ont dominé les discussions lors de la réunion de printemps de l’AIECE. Les prévisions à l’horizon 2023 sont entourées d’incertitudes exceptionnellement élevées. Les risques mentionnés à court terme par les instituts de l’AIECE sont principalement à la baisse et pour les plus importants, par ordre décroissant : hausse des prix des matières premières, incertitudes géopolitiques et accélération de l’inflation. Les instituts de l’AIECE considèrent que la guerre en Ukraine aura un impact négatif sur la croissance de l’UE jusqu’à la fin 2022 (pour un peu moins de la moitié d’entre eux), voire jusqu’à la fin 2023 (un peu plus de la moitié). Les risques mentionnés à la hausse sont ceux d’une demande mondiale plus forte que prévue, associée avant tout à un arrêt plus rapide de la guerre en Ukraine et d’une demande intérieure plus soutenue dans l’UE ; ce ne sont pas les plus probables à ce jour.




Faut-il évaluer les programmes des candidats à l’élection présidentielle ? Le rôle des économistes (et de l’OFCE) dans le débat politique

Par Xavier Ragot, Président de l’OFCE

Les élections présidentielles
sont toujours un moment d’accélération du débat économique en France. C’est le moment
des diagnostics, des bilans et de tous les projets. Des institutions comme
l’OFCE se posent de manière régulière la question de l’évaluation des
programmes économiques des candidats. À la différence des élections de 2017,
l’OFCE a choisi de ne pas évaluer les programmes mais seulement certaines
mesures qui seront discutées dans le débat politique. En revanche, l’OFCE va
apporter des éclairages sur des questions importantes pour le débat de
politique économique comme la question environnementale, les inégalités ou
encore les enjeux européens, l’état du tissu productif, entre autres.



La première contribution portera
sur la dette publique et les évolutions des dépenses et prélèvements publics,
début octobre. Ce choix ne vise ni à dramatiser la question de la dette
publique ni à minimiser son importance mais à reconnaître que la période que
nous avons vécue, avec la crise Covid, a conduit à des politiques inédites en
France et dans le monde, qui ont changé l’état des comptes publics. Que ce
soient des projets de hausse (ou baisses) de dépenses, d’impôts ou de dettes
publiques, les équilibres comptables de base devront être vérifiés et des choix
devront être assumés, quels qu’ils soient.

L’importance de l’enjeu a conduit
l’OFCE à développer un nouvel outil, un simulateur de la trajectoire de la
dette publique, de la croissance, du chômage et de l’inflation, qui permettra à
chacun de simuler les effets macroéconomiques d’un choix de cible de dette
publique. Cet outil permettra de montrer ce qu’est le budget de l’État et les
effets de choix économiques sur la croissance, l’inflation, l’emploi et la
dette.

  Pour
comprendre cette décision de fournir un cadre général et des contributions
spécifiques plutôt que d’évaluer des programmes, il faut mettre en perspective la
question de l’évaluation des programmes. Avant de parler de la situation
française, décentrons le débat pour regarder ce qui se fait dans les autres
pays. Le pays dans lequel l’évaluation économique des programmes des candidats
est la plus développée est les Pays-Bas. Le CPB (Centraal Plan Bureau), qui est
un organisme indépendant pour l’analyse économique, évalue le programme des
candidats depuis 1986 de manière systématique. Dans ce pays, le CPB joue un
rôle singulier. Le CPB a été créé en 1945 et son premier directeur était Jan Tinbergen.
Ce dernier est l’un des principaux fondateurs des modèles macroéconomiques de
prévision et d’évaluation. Cet économiste avait une vision très claire de la
répartition des rôles entre économie et politique :  aux hommes et femmes politiques d’affirmer les
préférences sociales et aux économistes de contribuer aux moyens les plus
efficaces de les atteindre. Cette expérience d’évaluation systématique a permis
aux économistes néerlandais d’affiner leur vision des avantages et
inconvénients de l’évaluation des programmes économiques des candidats et
d’avoir une approche nuancée de leur contribution[1].

Heurs et malheurs de l’évaluation
économique

Commençons par les avantages
d’une évaluation des programmes en résumant les leçons hollandaises. Tout
d’abord, et bien entendu, l’évaluation économique ne consiste pas à donner un
critère unique (que ce soit chômage, croissance, inégalités, écologie) ni à
déterminer le meilleur programme. Elle consiste à faire une évaluation
multicritères et proposer des évaluations sur chacun d’eux, avec une méthode
commune pour les différents programmes.

De ce fait, le gain premier de
l’évaluation des programmes est de révéler les priorités contenues dans chaque
programme qui peuvent parfois différer des discours politiques. Un parti peut
préférer la réduction de la dette (et possiblement des moyens budgétaires à
long terme) à la croissance de court terme, d’autres la réduction des émissions
de CO2 à l’équilibre des comptes sociaux, etc. Dans les deux cas il s’agit d’un
rapport différent au temps et aux risques. L’évaluation comparative permet donc
de révéler des préférences sociales entre lesquelles les électeurs peuvent
choisir suivant leur propre préférence politique.

Quelle différence d’une
évaluation de think tanks qui identifient le meilleur programme et donc le
meilleur candidat ! Cet autre exercice est bien sûr utile pour le débat
politique, mais il est différent. Le think tank affirme et défend des
préférences sociales. Son rôle n’est pas tant d’évaluer que de plaider une
cause ou une vision du monde. L’OFCE est un centre de recherche. Son rôle est
d’éclairer le débat public autour des questions économiques que l’on juge
importantes.

Le deuxième intérêt de
l’évaluation des programmes, selon le CPB, est d’éclairer le lecteur sur
l’évolution de la situation économique si un programme est mis en œuvre. Il
s’agit donc de contribuer à la prévision : quelle serait la dynamique du
chômage, de l’inflation, des inégalités, etc. Dans une période de forte
incertitude (sanitaire au premier chef), identifier les futurs possibles est
une contribution utile, tant les discours catastrophistes peuvent inquiéter (et
assurer une forte visibilité politique).

Le troisième intérêt de
l’évaluation économique peut sembler anecdotique mais il s’avère important.
L’évaluation des programmes ne consiste pas seulement à faire de l’analyse
économique sur les documents publics. Il consiste à aller voir les équipes de
campagne pour préciser les mesures, les dispositifs et les causalités
supposées. Ce travail d’évaluation, dont le premier est l’évaluation des effets
au premier ordre sur le budget public, permet aux candidats de préciser les
dispositifs et les implications des propositions. Le travail d’évaluation
fournit ainsi un service aux équipes de campagne en leur permettant d’interagir
avec des équipes d’économistes. Il n’a pas échappé aux lecteurs que le degré de
précision des programmes est hétérogène. Une faible précision peut être un
choix politique assumé mais aussi, parfois, le résultat d’équipes de campagne
peu spécialisées sur certains sujets économiques.

Face à de tels arguments, il
pourrait sembler que l’évaluation des programmes par un centre de recherche en
économie comme l’OFCE est d’une utilité évidente pour le débat public. En fait,
il n’en est rien pour ces élections de 2022 : les inconvénients de
l’évaluation sont les miroirs des avantages discutés plus haut.

L’évaluation des programmes et
des mesures peut donner l’illusion de la certitude alors que ces évaluations ex ante sont fondées sur des modèles pas
toujours adaptés aux mesures évaluées. Les résultats de l’évaluation de chaque
mesure sont donc empreints d’incertitudes qui se cumulent dans l’évaluation des
programmes. Cela n’est pas un argument pour ne pas évaluer des programmes, mais
il faut reconnaître qu’une grande pédagogie est nécessaire dans la présentation
des limites des résultats.

Ensuite, les déclarations des
partis, candidats ou candidates ne sont pas toujours évaluables car trop floues.
Ces derniers jouent avec ce flou pour affirmer des valeurs sans s’engager sur
des montants ou des réformes. Prenons par exemple le débat actuel sur la hausse
des salaires nécessaires après la crise Covid. Différentes mesures sont
possibles qu’il faut alors financer. Les économies peuvent être chiffrées, mais
l’effet économique dépend d’un ensemble précis de contreparties financières qui
peuvent permettre d’apprécier l’effet sur le chômage, la croissance et les
inégalités. Enfin, la difficulté d’évaluer les programmes peut pénaliser les
programmes qui se prêtent à l’exercice face à des programmes
inévaluables ! Ces inconvénients avaient été identifiés par l’OFCE lors
des élections 2007 (voir Fitoussi et Timbeau, 2017 et la description des débats
par Lemoine, 2007).

Le dispositif de l’OFCE en 2017

Les évaluations peuvent être utiles
lorsque les programmes sont évaluables et lorsque les précautions de
présentation sont utilisées. De ce fait, l’OFCE en 2017 s’est livré à un
exercice d’évaluation plutôt qualitative des programmes. Le résultat public est
un tableau multicritères qualitatif (OFCE, 2017).

Ce travail prospectif avait été
rendu possible par une situation singulière de la campagne de 2017, qui a été
l’organisation des primaires pour les candidats de droite et du parti
socialiste. Ensuite, le candidat de la France Insoumise avait fourni des
éléments économiques quantitatifs alors que la candidate du Front National
proposait la sortie de la zone euro, qui est une politique économique inévaluable
mais dont on peut discuter les implications économiques (Blot et al., 2017). Le rôle du débat
économique était important en 2017 : le président François Hollande avait
transformé un moment économique en symbole politique, « l’inversion de la
courbe du chômage », le débat européen était vif autour du thème de
« l’austérité ».

L’OFCE a donc fourni en 2017 un
tableau qualitatif comparatif de différents programmes. L’intérêt de l’exercice
était le choix des critères d’évaluation : ils doivent être assez nombreux
pour permettre l’analyse fine au sein d’un espace politique complexe mais
limités pour que les comparaisons soient compréhensibles. Nous avions choisi
quatre thèmes : finances publiques, ménages, entreprises et environnement,
avec dix sous-thèmes.

La situation en 2022

La situation en cette fin d’année
2021 est bien différente. Premièrement, sur le plan économique les séquelles
économiques de la crise Covid sont encore en cours d’évaluation. Quelle sera la
dynamique du chômage après la fin des mesures de soutien de l’économie ?
Comment la croissance sera-t-elle affectée à moyen terme par le recours accru
au télétravail ? Ces discussions ont lieu dans un environnement sanitaire
encore incertain et conditionneront l’orientation des mesures de politique
économique.

Deuxièmement, la gestion de la
crise de la Covid a été bien différente en France, en Europe et dans le monde de
la gestion de la crise des subprime
de 2010 à 2011. Les États ont pris à leur charge, sous la forme d’une dette
publique accrue, une grande partie des pertes de revenus des agents.  Cela permet une reprise forte de l’activité
après crise, avec un État certes plus endetté. Cette gestion est presque
consensuelle parmi les économistes et les acteurs politiques. Il n’y a pas, du
moins à ce stade, de contestation politique de la gestion économique de la
crise Covid. Les débats des grandes options de politique économique sont bien moindres
qu’en 2017.

Troisièmement, des positions
économiques radicales, comme la sortie de la France de la zone euro, ne sont
plus proposées par des partis susceptibles d’aller au second tour des élections.
D’autres formations politiques pourront porter un projet de Frexit, mais il y a
peu de chance que ce projet soit central dans le débat politique français.
Cette inflexion du débat économique sur l’Europe est le signe d’un changement
d’appréciation de la politique européenne. Cette dernière devient moins
clivante. La mise en place dans la crise d’un plan de relance européen
ambitieux, d’une capacité d’endettement commune, de projets d’une fiscalité
carbone aux frontières de l’Union européenne pour éviter le dumping
environnemental, tous ces éléments récents font que la critique de l’Union européenne
(sur le plan économique) porte moins.

De ce fait, le débat économique
en 2022 paraît moins porteur d’enjeux qu’en 2017. Certes, des politiques
économiques seront en débat, comme l’évolution de la fiscalité et des
inégalités, de l’investissement public, de la réforme des retraites, de
l’évolution de la dette publique, les hausses de salaires et du SMIC, le
salaire des enseignants entre autres. Ces éléments donneront probablement lieu
à des propositions évaluables, ce que l’OFCE fera, mais à ce stade, il est peu
probable que les programmes donneront des éléments précis sur tous ces sujets, permettant
une évaluation du programme et donc une prévision de la situation économique si
le ou la candidate était élue.

À ce stade au moins, les partis
politiques cherchent à départager des personnalités porteuses de projets plutôt
que que de programmes clairs. Le Président de la République présentera
probablement tardivement des éléments de programme économique, ce qui est
fréquent pour un second mandat. Le moment n’est pas propice à l’évaluation des
programmes et les inconvénients domineront très probablement les avantages.

Les élections présidentielles doivent
cependant être le moment d’identifier les enjeux importants du débat de
politique économique des prochaines années, voire de la prochaine décennie, en
laissant la place au diagnostic, aux options pertinentes, à la discussion de
différentes mesures possibles.

De ce fait, l’OFCE a choisi de contribuer
en proposant des analyses sur une série de thèmes, à la fois importants pour le
débat économique et au sein de l’observatoire (sans ordre) : dette
publique, vieillissement, conjoncture, marché du travail, protection sociale,
environnement, construction européenne, fiscalité, tissu productif, logement,
genre.
Ces thèmes ne sont pas exhaustifs. L’éducation, thème essentiel, ne sera
qu’indirectement traité. Enfin, le débat économique est une composante à la
fois partielle et essentielle dans le débat politique.  Il faut espérer que ces contributions permettront
d’éviter les faux débats économiques pour se concentrer sur les vrais enjeux
politiques.

Références

  • Fitoussi Jean-Paul et Timbeau Xavier, 2007,
    « Pourquoi nous ne chiffrerons pas les programmes présidentiels : manifeste
    contre une déontologie en rase campagne », Blog OFCE, 23 février.
  • Lemoine Benjamin, 2008, « Chiffrer les programmes
    politiques lors de la campagne présidentielle 2007 : Heurs et malheurs
    d’un instrument », Revue française
    de science politique
    , Vol. 58, n° 3, juin, pp. 403-431.
  • OFCE, 2017,
    « Quelles propositions économiques des candidats
    à l’élection présidentielle ? », OFCE
    Policy Brief
    , n° 16, M. Plane et X. Ragot, coordinateurs, 25 pages.

[1] Pour une présentation
détaillée de l’environnent institutionnel aux Pays-Bas, et de la méthode du CPB
pour évaluer les programmes, voir Graafland et Ross (2003).




Le niveau du PIB est plus important que son taux de croissance

par Éric Heyer

Le 27 janvier 2021, auditionné
par la Commission des finances du Sénat, le ministre de l’Économie et des
Finances, Bruno Le Maire, a indiqué que le scénario d’une croissance à 6 % en
2021, hypothèse retenue pour le budget 2021, « n’est plus le plus
probable » et qu’« il s’éloigne à mesure que la situation sanitaire reste
préoccupante ».

Si envisager une révision à la
baisse de la croissance constitue une mauvaise nouvelle en soi, il convient
toutefois de la relativiser.



Pour interpréter correctement les
conséquences d’une éventuelle révision à la baisse de la croissance en 2021, il
convient :

  • de rappeler la définition de la
    croissance : il s’agit de l’évolution en pourcentage du PIB en euros
    constants anticipée en 2021 par rapport à son niveau observé en 2020. Cette
    croissance est calculée en moyenne sur l’ensemble de l’année ;
  • d’indiquer que c’est le niveau du PIB, et non
    son taux de croissance, qui est déterminant pour évaluer notamment les recettes
    des administrations publiques ou estimer le besoin de main-d’œuvre des
    entreprises et par là prévoir le niveau du solde public ou du chômage ;
  • de démarrer par l’analyse du dénominateur, à
    savoir le niveau du PIB en 2020, et de le comparer notamment avec celui anticipé
    lors de l’élaboration du budget 2021 (PLFR IV).

En 2020, la récession
a été moins forte qu’anticipée par le gouvernement

De cette analyse, il ressort sans
conteste une bonne nouvelle qui trouve son origine dans la surprenante
résilience dont a fait preuve l’économie française en fin d’année 2020,
notamment au cours du second confinement du mois de novembre. Rappelons les
faits : lors du
quatrième et dernier Projet de loi de finances rectificative pour 2020 (PLFR IV)

présenté le 4 novembre 2020, le gouvernement avait abaissé sa prévision
d’évolution du PIB de -10 % à -11 % pour 2020. Cette révision à la baisse était
motivée par l’anticipation d’une incidence significative sur l’activité du second
confinement décidé par le gouvernement à partir du 30 octobre 2020. Pour le quatrième
trimestre 2020, ce dernier prévoyait une chute du PIB de près de 15 %. Or, la
chute finalement enregistrée par la comptabilité nationale pour ce trimestre
n’a été que de 1,3 %. Sur l’ensemble de l’année 2020, la récession a été de
8,3%, moins forte que celle prévue dans le PLFR IV (11%) (graphique 1). 

Une croissance de 6% en
2021 est plus facile et crée plus de valeur qu’au moment du PLFR IV  

Si cela est bien entendu une bonne nouvelle pour l’activité en 2020 − plus de 50 milliards d’euros de PIB supplémentaires par rapport au PLFR IV −, elle en constitue une également pour l’année 2021. En terminant mieux l’année 2020 que prévu, cela a mécaniquement relevé l’acquis de croissance pour 2021, à savoir le taux de croissance du PIB en 2021 qui serait obtenu en stabilisant le PIB au cours de des quatre trimestres à venir au niveau du dernier trimestre 2020.  Alors que celui-ci était anticipé à -3% lors du PLFR IV, il est en fait positif et s’élève à 3,6 %. Les conséquences pour 2021 de cette amélioration significative de l’acquis de croissance s’observent dans le graphique 1 : partant des hypothèses du PLFR IV, une croissance de 6 % en 2021 nécessitait une forte reprise de l’activité tout au long de l’année : le glissement annuel fin 2021, illustré par la pente de la courbe rouge du graphique 1, aurait alors dû être de près de 13 %. Notons au passage que dans de telles conditions, fin 2021, soit deux ans après le début de la crise sanitaire, le gouvernement prévoyait que l’activité se situerait encore 2 % en dessous de son niveau d’avant-crise. Atteindre aujourd’hui cette même situation en fin d’année requiert un moindre rebond, de l’ordre de 3 % en glissement annuel (pente de la courbe bleue).  Par ailleurs, partant d’un dénominateur plus élevé (le PIB de 2020), avec 6% de croissance, le PIB de 2021 s’établirait à 2 254 milliards d’euros, soit près de 57 milliards d’euros de plus qu’envisagé lors du Budget 2021 avec le même taux de croissance (tableau 1).

Mais la situation sanitaire reste
préoccupante et pourrait déboucher sur de nouvelles restrictions en France, ce
qui explique la probable révision à la baisse à laquelle fait référence le
Ministre de l’Économie. Ces dernières pèseront nécessairement sur
l’économie française, notamment au cours du premier semestre, éloignant la
croissance de 2021 des 6 % prévus lors du PLFR IV.

Sans préjuger de l’incidence de
telles mesures prophylactiques sur l’activité ni de la rapidité et de
l’efficacité de la campagne de vaccination en France qui permettraient de les
lever complètement, il apparaît toutefois intéressant de commenter différents
scénarios pour 2021.

Quand 3 % créent
autant de valeur que les 6 % prévus dans le PLFR IV

Le premier scénario (en orange
dans le graphique 2) est celui d’un durcissement significatif des mesures
sanitaires à partir de mars qui se lèveraient progressivement à partir du mois
de juillet 2021. Ce scénario est calibré de manière à retrouver non seulement
une situation économique en décembre identique à celle envisagée lors du PLFR
IV (-2% par rapport à la situation pré-Covid) mais également un même niveau de
PIB sur l’ensemble de l’année 2021 (2 197 milliards d’euros à prix constants).
Ce scénario correspond à un taux de croissance du PIB de 3 % en 2021. Par
conséquent, compte tenu de la meilleure tenue que prévue de l’activité en fin
d’année 2020, une croissance deux fois inférieure à celle prévue dans le Budget
2021, peut aboutir à une création de valeur identique en 2021 (et donc à des
conditions proches pour les finances publiques) ainsi qu’à un état de
l’économie en fin d’année équivalent (et donc un acquis de croissance pour 2022
analogue) (tableau 1).

Dans ce scénario (orange), comme
dans celui figurant dans le PLFR IV (rouge), fin 2021, le PIB se situerait 2 %
en dessous de son niveau d’avant-crise et 4,5 % en-dessous du niveau qu’il
aurait dû atteindre hors crise de la Covid-19.

Le second scénario (en vert dans
le graphique 2) illustre un rebond plus fort au cours du second semestre
2021 que celui décrit dans le premier (orange) : en calibrant celui-ci de
manière à retrouver fin 2021 le niveau de production prévu hors crise de la
Covid-19, on aboutit à un taux de croissance de 4,0 % en moyenne annuelle en
2021 ; malgré un taux de croissance revu également à la baisse, la
situation économique serait cette fois-ci meilleure qu’anticipée lors du PLFR
IV, avec 20 milliards d’euros de PIB supplémentaires et un acquis de croissance
pour 2022 supérieur de 2 points de PIB (tableau 1).

Parce que cette crise est d’une
ampleur et d’une nature inédites et compte tenu du fait que le second
confinement de fin d’année 2020 a moins pesé que prévu sur l’activité,
l’interprétation de la probable révision de la prévision de croissance pour
2021 ne sera pas aussi évidente qu’elle n’y paraîtra au premier abord.

Il sera notamment important de
continuer à analyser les prévisions de croissance du gouvernement non pas
uniquement en variation par rapport à l’année précédente comme à l’accoutumé
mais en niveau du PIB par rapport à celui d’avant-crise ou à celui qu’il aurait
dû atteindre hors crise de la Covid-19 (tableau 1).




Les révisions du taux de croissance du PIB dépendent de l’activité économique

par Bruno Ducoudré, Paul Hubert et Guilhem Tabarly (Université Paris-Dauphine)

Les
instituts de statistique révisent régulièrement de manière significative les
chiffres du produit intérieur brut (PIB) dans les mois suivant leurs annonces
initiales. Idéalement, ces révisions – la différence entre les chiffres révisés
et les chiffres initiaux – doivent être non biaisées et imprévisibles :
elles ne doivent refléter que les nouvelles informations non disponibles au
moment des premières estimations. Cependant, même si les révisions sont inconditionnellement
imprévisibles, elles pourraient toujours être corrélées avec d’autres variables
macroéconomiques. C’est ce que suggère le graphique ci-dessous. Lors de la
crise de 2008-2009, le taux de croissance du PIB publié par l’INSEE en première
estimation a été systématiquement plus élevé que le chiffre portant sur le même
trimestre et publié trois ans plus tard.



Dans un
article récent
, nous utilisons des données de panel portant sur 15 pays de
l’OCDE de 1994 à 2017 afin d’évaluer la dépendance des révisions du PIB à la
dynamique de l’activité économique. Nous constatons que l’activité économique
prédit le sens des révisions du PIB : les premières versions des comptes
nationaux ont tendance à surestimer la croissance du PIB pendant les
ralentissements économiques et vice versa.

Nous
constatons également que la source de cette prévisibilité pourrait être liée au
processus de collecte de l’information mobilisée pour constituer les comptes
nationaux. Nos résultats indiquent qu’il n’y a pas de lien significatif entre
les mesures d’activité économique et les révisions à 1 an, alors que ce lien
est significatif pour les révisions à 2 et 3 ans. Seules les révisions à moyen
terme ont tendance à être corrélées à l’activité économique. De plus, les
révisions entre les millésimes à 3 ans et à 1 an sont significativement
associées à l’activité économique. Cette corrélation entre les conditions
économiques en temps réel et les révisions à moyen terme suggère que la
prévisibilité découle de problèmes d’échantillonnage (collecte de données
d’entreprises, …) plutôt que de la construction des comptes trimestriels.

Enfin,
nous utilisons toute une gamme d’indicateurs économiques qui pourraient prévoir
ces révisions et nos résultats indiquent que la prévisibilité provient de la
dynamique de l’activité économique à court terme plutôt que de la position dans
le cycle économique.