Quels effets de la hausse des taux d’intérêt sur la croissance économique française ? Un tour d’horizon des modèles macroéconométriques

par Elliot Aurissergues

L’année 2022 a été marquée par une très forte poussée inflationniste aux États-Unis et en zone euro. Fin octobre, le taux d’inflation atteint 7,7% sur un an aux États-Unis, 10,6% en zone euro et 7,1% en France, soit entre 5 et 8 points au-dessus des cibles d’inflation de la Réserve fédérale américaine (Fed) et de la Banque centrale européenne. En réponse, les deux banques centrales ont opéré un resserrement monétaire de grande ampleur. Le taux d’intérêt directeur de la Fed est passé de 0% en mars 2022 à 4% en novembre 2022. Si la hausse du taux directeur de la BCE a été pour le moment plus mesurée, les taux longs sur les dettes publiques des pays européens ont connu une très forte progression, gagnant entre 250 et 300 points de base en un an en France ou en Allemagne, voire davantage dans les pays de la zone euro où le risque sur la dette publique est perçu comme plus élevé. Cette hausse est proche de celle anticipée pour les taux courts en 2023. Ainsi, l’OFCE prévoit que le taux directeur de la BCE atteindra 3% au troisième trimestre 2023[1].



Estimer l’impact qu’aura ce resserrement sur l’activité économique est difficile. La transmission d’un choc monétaire sur le reste de l’économie fait l’objet d’une littérature très riche utilisant des méthodes conceptuellement proches, voire équivalentes, mais dont les résultats peuvent fortement varier en pratique. Nous nous intéressons ici particulièrement à l’impact d’un choc de taux dans les modèles macro-économétriques de l’économie française. Pour ce tour d’horizon, nous retenons trois modèles : le modèle Mésange codéveloppé par la DG trésor et l’INSEE (voir Bardaji et al., 2017), le modèle FR BDF de la Banque de France (voir Lemoine et al. 2019 et Aldama et Ouvrard 2020 pour le cahier de variantes) ainsi que la spécification du modèle emod de l’OFCE utilisée dans Heyer et Timbeau (2006).

Qu’est-ce qu’un modèle macroéconométrique ?

Les modèles macroéconométriques représentent la classe la plus ancienne des modèles macroéconomiques. Ils combinent relations (ou équations) comptables et équations de comportement estimées pour former des prédictions sur la réponse de l’économie aux chocs. Les grandes variables macro-économiques (salaire, prix, consommation des ménages, investissement, emploi) sont exprimées sous la forme d’équations à correction d’erreurs. Á long terme, elles convergent vers une certaine cible, déterminée par la théorie économique. Ainsi la dépense de consommation des ménages convergera sur le long terme vers une certaine fraction du revenu disponible des ménages. En revanche, le comportement à court terme est laissé beaucoup plus libre de manière à obtenir de bonnes performances en prévision. Le taux d’intérêt intervient essentiellement à long terme. L’impact d’un choc de taux est limité dans un premier temps et devient plus important au fur et à mesure que l’écart entre les variables et leurs cibles de long terme se comble.

Le modèle Mésange

Nous considérons la variante publiée dans Bardaji et al. (2017). Les résultats sont résumés dans le tableau 1. Un choc monétaire de 100 points de base (ou 1%) se traduit par une baisse du PIB de 0,2% au bout d’un an, 0,8% au bout de trois ans et de 3% à long terme. Cette baisse s’explique notamment par la forte chute de l’investissement : -2,7% au bout de 3 ans (-3,4% pour la FBCF des entreprises non financières) et -5,5% à long terme mais toutes les composantes de la demande globale sont affectées négativement, y compris les exportations qui chutent de 3,3% à long terme. De manière étonnante, le resserrement monétaire se traduit par une hausse des prix dans le modèle Mésange. Les prix de valeur ajoutée marchande progressent ainsi de 0,1% au bout d’un an, 0,8% au bout de 3 ans et de plus de 6% à long terme ! Cette hausse des prix dégrade la compétitivité de l’économie, ce qui explique le recul des exportations. Deux canaux de transmission sont à l’œuvre.  Le premier est l’impact négatif direct d’une hausse des taux d’intérêt sur l’investissement des entreprises. Dans le modèle Mésange, la demande de capital et donc l’investissement dépend à long terme du coût du capital. L’intuition est celle de la théorie micro-économique standard : les entreprises choisissent la combinaison de capital et de travail qui maximise leur profit. Une hausse du coût du capital incite les entreprises à substituer du travail au capital et réduit l’investissement. Le coût d’usage du capital est composé de la dépréciation du capital, du taux d’intérêt de long terme sur la dette publique et de termes de primes de risques entre les obligations d’État et les prêts aux entreprises, tandis que l’élasticité de long terme de l’investissement à ce coût d’usage est estimée sur le long terme à 0,44. Sous l’hypothèse d’un taux de dépréciation de capital de 10%, des taux nominaux initiaux à 0 et en faisant abstraction des primes de risque, une hausse de 1% du taux d’intérêt se traduit à long terme par une baisse de l’investissement de 5%. Le deuxième canal, beaucoup moins intuitif, joue un rôle clé dans cette variante et explique en particulier la réponse des prix et des exportations.  Une hausse du coût du capital représente une hausse des coûts de production pour les entreprises. Celles-ci répercutent cette hausse des coûts dans leur prix de vente, d’où un effet inflationniste et une baisse de la compétitivité. Cet effet positif d’une hausse des taux d’intérêt sur les prix via le canal du coût du capital a été exploré récemment par Portier, Beaudry et Hou (2022). Il convient cependant de souligner que cet effet est difficilement détecté par les méthodes empiriques plus agnostiques (modèles VAR sans restriction, projections locales). Si des effets positifs en impact d’une hausse des taux sur les prix sont parfois obtenus, l’effet devient le plus souvent soit non significatif soit clairement négatif sur des horizons plus longs (voir par exemple Miranda-Agrippino et Ricco, 2021).

Le modèle FR-BDF

Par rapport à Mésange, l’une des spécificités importantes de FR BDF est le traitement des anticipations des agents dans le modèle. Cette spécificité explique que deux taux d’intérêt interviennent dans la dynamique du modèle. Le taux d’intérêt de court terme, déterminée par la Banque centrale européenne, affecte les anticipations des agents tandis que le taux d’intérêt de long terme des obligations publiques joue sur la demande de facteurs de production à long terme. L’élasticité de long terme de l’investissement au coût du capital est de 0,5, légèrement supérieure à celle de Mésange. Le modèle n’incorpore pas de relations systématiques entre les taux longs et les taux courts. Pour obtenir l’effet d’un choc de taux dans le modèle, il convient donc d’additionner deux variantes analytiques distinctes, la première simulant l’impact d’une hausse permanente du taux court, la seconde simulant l’impact d’une hausse du taux long. Ces deux variantes sont disponibles dans Aldama et Ouvrard (2020). Les effets d’un choc de taux sont beaucoup plus faibles que dans Mésange. Au bout de 3 ans, le PIB en volume diminue de 0,3% contre 0,9% dans Mésange. Cela s’explique en particulier par une baisse bien plus faible de la FBCF des entreprises (-1,9% contre -3,4% au bout de 3 ans dans Mésange). Les effets sur les prix sont plus conformes à l’intuition keynesienne habituelle avec une baisse du déflateur du PIB de 0,2% au bout de 3 ans. L’amélioration de la compétitivité qui en résulte permet une hausse des exportations de 0,2% au bout de 3 ans (contre une baisse de 0,2% dans Mésange). Ces différences s’expliquent principalement par deux éléments. Tout d’abord, le canal de transmission du coût du capital vers les prix est neutralisé dans le modèle FR BDF. Si les prix de valeur ajoutée sont déterminés par le coût des facteurs de production et un markup constant comme dans Mésange, le coût du facteur capital qui entre dans l’équation de prix n’est pas le coût d’usage du capital mais le rendement marginal du capital. Ensuite, l’investissement réagit beaucoup moins fortement à court terme à la croissance de la valeur ajoutée dans FR-BDF, et se comporte de manière plus inertielle. Le choc négatif d’investissement se diffuse donc plus lentement.

Le modèle emod

L’impact d’un choc de taux dans la version du modèle emod développée par Heyer et Timbeau (2006) est plus proche des résultats de FR BDF que de Mésange. Le mécanisme économique est cependant différent. Le choc de taux se transmet via une baisse du prix des actifs, notamment immobiliers, ce qui induit une réduction de la consommation via un effet richesse. Après 3 ans, le PIB en volume diminue de 0,4 %, une baisse tirée par la réduction de la dépense (consommation et investissement) des ménages (-0,6%) et dans une moindre mesure de l’investissement des entreprises (-1,2%)[2]. Comme dans FR-BDF, le choc de taux a un impact négatif sur les prix. Les déflateurs du PIB et de la consommation des ménages baissent de 0,1%.

Que retenir de ce tour d’horizon ?

Le principal canal de transmission d’un choc de taux dans les modèles macro-économétriques passe par le coût d’usage du capital et l’investissement des firmes et des ménages. L’ampleur de cet effet négatif sur l’investissement dépend de l’élasticité de long terme de la demande de capital à son coût d’usage. Dans ces modèles, cette élasticité fait l’objet d’une estimation économétrique. Les méthodes d’estimation ne sont pas exemptes de critiques mais la valeur finalement retenue (de l’ordre de 0,5) semble plausible au regard des autres méthodes d’estimations (ainsi une méta-étude de Gechert et al., 2022, l’estime à 0,3) et implique une substituabilité modérée entre les facteurs de production. Un impact du choc du taux sur la consommation des ménages via des effets richesses est également possible même si ce canal demeure controversé. Á ces effets primaires sur la demande agrégée s’ajoutent des effets multiplicateurs et d’accélérateur qui varient également selon les modèles, rajoutant un facteur d’incertitude supplémentaire. Le canal des coûts de production qui a une certaine importance dans la dynamique du modèle Mésange nous apparaît comme peu plausible. Cela nous conduit à retenir dans ce billet les résultats d’Aldama et Ouvrard (2020) et de Heyer et Timbeau (2006).

L’impact du resserrement monétaire sur l’activité économique dépendra non seulement de la réponse de l’économie à un choc générique mais aussi de l’ampleur du choc actuel. Dans la prévision d’octobre 2022 de l’OFCE, la hausse des taux d’intérêt sur un an est prévue pour être de 300 points de base mais cette hausse ne peut être utilisée telle quelle. D’une part, cette hausse n’est pas une complète surprise.  Les taux d’intérêt ont atteint des niveaux très bas lors de la crise de la Covid-19 et un début de normalisation était attendu pour 2022, certes à un rythme très progressif.  D’autre part, il s’agit de la hausse du taux nominal. Le taux d’intérêt pertinent pour les canaux de transmission de la politique monétaire tels qu’ils apparaissent dans les modèles macro-économétriques est le taux réel. Cela ne poserait pas de problèmes si la hausse des taux était un pur choc de politique monétaire, c’est-à-dire si les banquiers centraux avaient décidé du jour au lendemain d’augmenter les taux sans raison. Mais la hausse que nous connaissons est une réponse à un choc inflationniste, choc qui affecte le taux d’intérêt réel indépendamment de l’évolution du taux d’intérêt nominal.  La solution adoptée par l’OFCEdans ses prévisions d’octobre 2022[3] est de retenir l’évolution du taux réel en utilisant certaines mesures des anticipations d’inflation. Cela conduit à un choc de taux de l’ordre de 2%.

Sur la base des deux variantes que nous retenons, un choc de taux de l’ordre de 2% pourrait provoquer, toutes choses égales par ailleurs, une baisse du PIB français comprise entre 0,6 et 0,8% à l’horizon 2024/2025. L’impact sur les prix serait négatif mais demeurerait modeste, compris entre 0,3 et 0,4%. Cette estimation demeure évidemment très incertaine. Comme expliqué dans le paragraphe précédent, calculer l’ampleur du choc elle-même requiert de réaliser des hypothèses importantes. Les modèles utilisés sont estimés avec une information limitée et donc des intervalles de confiance potentiellement larges.  De manière plus générale, la validité de cette estimation des effets d’un choc de taux est contingente à la validité des modèles retenus.

Bibliographie

Aldama P. et J.-F. Ouvrard, 2020, « Variantes analytiques du modèle de prévision et simulation de la Banque de France pour la France », Document de travail Banque de France, n° 750.

Bardadji J., B. Campagne, M. Khder, Q. Lafféter et O. Simon, 2017, « Le modèle macroéconométrique Mésange : réestimation et nouveautés», Document de travail INSEE.

Beaudry P., S. Hou et F. Portier, 2020, « Monetary policy when the Philips Curve is quite flat », CEPR discussion paper.

Gechert S., T. Havranek, Z. Irsova et D. Kolcunova, 2022, « Measuring capital-labor substitution: The importance of method choices and publication bias », Review of Economic Dynamics, n° 45, pp. 55-82.

Heyer E. et X. Timbeau, 2006, « Immobilier et politique monétaire », Revue de l’OFCE, n° 96, pp. 115-151.

Miranda-Agrippino S. et G. Ricco, 2021, « The transmission of monetary policy shocks », American Economic Journal : Macroeconomics, vol. 13, n° 3, pp. 74-107.

OFCE, E. Heyer et X. Timbeau (dirs.), 2022, « Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale et la zone euro », Revue de l’OFCE, n° 178.


[1] Voir dans la prévision de l’OFCE le tableau 2 de l’annexe 1 de la partie Tour du monde de la situation conjoncturelle, Département Analyses et Prévisions, sous la direction d’E. Heyer et X. Timbeau.

[2] Ces chiffres sont obtenus en divisant les résultats présentés dans Heyer et Timbeau (2006) par deux, les auteurs ayant simulé une hausse des taux d’intérêt de 200 bps. Le modèle emod n’étant pas complétement linéaire, ces résultats constituent une approximation.

[3] Voir l’encadré 2 de Perspectives 2022-2023 pour l’économie mondiale et la zone euro, sous la direction d’E. Heyer et X.Timbeau.




Quelle orientation pour les politiques monétaires en 2022 ?

par Christophe Blot

Avec le retour de l’inflation en 2021,
l’attention se focalise sur les banques centrales dont le mandat est axé sur la
stabilité des prix. Entre le 15 et le 17 décembre 2021, la Réserve fédérale, la
Banque d’Angleterre (BoE), la Banque centrale européenne (BCE) et la Banque du
Japon (BoJ) ont tenu leur dernière réunion de politique monétaire de l’année
2021. Quels enseignements peut-on tirer de ces réunions quant à la politique
d’achat d’actifs et l’orientation de la politique monétaire en 2022 ?
Faut-il s’attendre à une hausse rapide des taux d’intérêt ? Malgré
l’incertitude qui subsiste sur l’évolution de la pandémie et ses conséquences
sur l’activité au premier semestre 2022, les banques centrales ont progressivement
révisé leur appréciation de la situation face à l’augmentation de l’inflation.
Elles considèrent désormais que le choc inflationniste se prolongera en 2022. Partant
de ce constat, les anglais ont été les premiers à tirer puisque la BoE a annoncé
une première hausse de son taux directeur. La Réserve fédérale devrait suivre
en 2022 présageant donc d’un début de normalisation. Quant à la BCE, malgré
l’arrêt d’un programme d’achats d’actifs spécifique à la crise sanitaire, la
normalisation de la politique monétaire n’est pas encore envisagée. Dans tous
les cas, la dernière réunion ne suggère pas de hausse de taux en 2022 dans la
zone euro.



Les banques centrales révisent à la hausse l’inflation anticipée

La flambée récente des prix dans l’ensemble des pays industrialisés et émergents s’explique en grande partie par le rebond du prix de l’énergie et de nombreuses matières premières en lien avec les effets de la crise sanitaire sur la situation économique mondiale en 2020 et 2021[1]. Cette situation fait suite à une longue période caractérisée par une faible inflation et qui avait poussé les banques centrales à fixer leur taux d’intérêt à un niveau très bas et à mettre en œuvre des politiques monétaires non-conventionnelles via notamment des politiques d’achats d’actifs. Ces politiques, qui se sont traduites par une forte augmentation de leur bilan, visaient à réduire les taux de long terme[2]. Or, la stabilité des prix est un élément primordial du mandat des banques centrales. Il est donc naturel que les tensions inflationnistes récentes posent la question de leur réaction et d’un éventuel durcissement de l’orientation de la politique monétaire puisque l’inflation se situe nettement au-dessus de la cible de 2 % généralement retenue par les banques centrales pour juger de la stabilité des prix[3]. En effet, en décembre 2021, le glissement annuel de l’indice des prix à la consommation a atteint 5 % en zone euro et 5,1 % au Royaume-Uni en novembre (graphique 1). Aux États-Unis, le déflateur des prix à la consommation – indicateur suivi par la Réserve fédérale – progressait de 5,7 %, niveau qui n’avait pas été observé depuis le début des années 1980[4]. Au-delà de l’effet lié au prix de l’énergie, les indices sous-jacents affichent également une progression. Dans la zone euro, le glissement annuel est en effet passé de 0,4 % en décembre 2020 à 2,7 % un an plus tard tandis qu’aux États-Unis, le sous-jacent du déflateur de la consommation atteignait 4,7 % en novembre[5].

Alors que les banques centrales ne s’étaient initialement pas vraiment inquiétées du phénomène qu’elles jugeaient temporaire, force est de constater qu’elles ont progressivement revu leur jugement, ce qui s’est traduit par des révisions à la hausse de leurs anticipations d’inflation pour 2022 (graphique 2). Ainsi, les projections d’inflation qui avaient été communiquées par le FOMC (Federal Open Market Committee) en décembre 2020 pour la fin de l’année 2022 étaient de 1,9 %. Un an plus tard, l’inflation anticipée pour le quatrième trimestre 2022 atteint 2,6 %. La révision est aussi marquée pour la BCE avec une anticipation d’inflation qui est passée de 1,1 % en décembre 2020 à 3,2 % – pour l’ensemble de l’année – selon les dernières projections de décembre 2021[6]. Les tensions seraient certes toujours temporaires puisque les trois banques centrales envisagent une inflation plus proche de la cible pour 2023[7]. Il n’en demeure pas moins que dans un contexte de reprise mais aussi d’incertitude sur les effets du nouveau variant Omicron, les banques centrales se retrouvent face à un dilemme. Doivent-elles contrer ces tensions inflationnistes en durcissant l’orientation de la politique monétaire ? Même si le rebond de l’inflation est temporaire, l’inflation serait nettement au-dessus de leur cible pendant quelques mois, ce qui pourrait entraîner des effets de second tour. De plus, l’accumulation d’épargne par les ménages pourrait doper la croissance en 2022 et maintenir l’inflation à un niveau élevé[8]. Inversement, un durcissement prématuré risque-t-il de casser la reprise et freiner la baisse du taux de chômage ? À cet égard, le retour inattendu de l’inflation pourrait aussi permettre de voir comment la BCE et la Réserve fédérale pourraient ajuster leur politique monétaire après l’annonce des révisions de leurs cibles d’inflation. En effet, en juillet 2020, la banque centrale américaine a annoncé qu’elle souhaitait attendre une cible d’inflation de 2 % en moyenne indiquant ainsi qu’après un sous-ajustement à la cible, comme ça été le cas ces dernières années, elle tolèrerait une inflation supérieure à 2 %. Le rebond de l’inflation aurait pu laisser penser que la Réserve fédérale serait moins réactive en cas de hausse de l’inflation. L’accélération des prix est cependant importante aux États-Unis et le changement de ton récent suggère que même si la Réserve fédérale tolère une inflation supérieure à 2 %, le niveau actuel est probablement trop élevé[9]. Paradoxalement, la BCE n’a pas annoncé un ciblage de l’inflation en moyenne (AIT pour Average inflation targeting) mais précisé que la cible était de 2 % et qu’elle devait être interprétée de façon symétrique. Ainsi, la BCE juge qu’une inflation inférieure ou supérieure à 2 % n’est pas compatible avec son objectif de stabilité des prix. Néanmoins, il s’agit d’une cible à moyen terme et qui tient compte des délais de transmission de la politique monétaire. Ainsi, même si la BCE n’indique pas qu’elle tolèrera une inflation supérieure à 2 %, elle ne va pas automatiquement durcir sa politique monétaire lorsque l’inflation observée dépasse la cible mais conditionnera son action à son anticipation d’inflation à un horizon de 12-24 mois. Son anticipation pour 2023 indique donc que l’inflation actuelle est temporaire et qu’au-delà de 2022, l’inflation serait de nouveau inférieure à 2 %.

La Banque d’Angleterre et la Réserve fédérale envisagent la
normalisation

La communication des banques
centrales lors des réunions de politique monétaire qui se sont tenues entre le
15 et le 17 décembre 2021 était attendue sur deux points : la poursuite de
la politique d’achats d’actifs et le niveau du taux d’intérêt directeur.

La BoE a été la plus prompte à
réagir en augmentant le taux directeur de 0,15 point. Celui-ci est ainsi passé
de 0,1 % à 0,25 %. Comme indiqué dans le communiqué du 16
décembre : « The MPC’s remit is clear that the inflation target
applies at all times, reflecting the primacy of price stability in the UK
monetary policy framework
 ». Par ailleurs, il a été décidé de
maintenir le stock de titres acquis par la BoE. Un élément clé de cette décision
traduit la façon dont la BoE a mis en œuvre sa politique d’achats d’actifs.
Contrairement à la Réserve fédérale et à la BCE qui annoncent des flux d’achats
sur une base mensuelle, la BoE procède par paliers annonçant une cible sur le
stock d’actifs – révisée si nécessaire – et en effectuant les achats rapidement
afin d’atteindre la cible[10].
De plus, la BoE n’a pas conditionné ses décisions sur les taux à sa politique
d’achats d’actifs alors que les communiqués de la BCE ont toujours précisé que
la hausse des taux ne serait envisagée qu’après l’arrêt des achats d’actifs.

Aux États-Unis, la hausse des taux serait précédée par une phase dite de tapering au cours de la laquelle la Réserve fédérale réduit progressivement les achats mensuels. La stratégie mise en œuvre par la banque centrale américaine consiste donc d’abord à communiquer sur ce sentier d’achats d’actifs. Cette première étape a été lancée au mois de novembre. Lors de la réunion du 15 décembre 2021, le FOMC a annoncé une accélération du rythme de baisse : à partir de janvier 2022 les achats mensuels seront de 60 milliards de dollars (40 pour les Treasuries et 20 pour les Mortgage-backed Securities) contre 120 milliards par mois avant novembre 2021. La réduction se poursuivrait au cours des mois suivants. La Réserve fédérale agit de façon séquencée comme elle l’avait fait lors de la précédente phase de normalisation amorcée en janvier 2014 (graphique 3). Les achats avaient cessé fin 2014 et le taux directeur avait été augmenté en décembre 2015. Enfin, la réduction de la taille du bilan – en milliards de dollars – avait été annoncée en juin 2017 et mise en œuvre à partir d’octobre 2017[11]. Le calendrier devrait toutefois être accéléré puisque les informations communiquées lors de la réunion du 15 décembre dernier suggèrent qu’il pourrait y avoir 3 hausses de taux en 2022. La durée entre l’arrêt des achats d’actifs et la montée des taux serait écourtée et les taux augmenteraient plus rapidement que lors de cette précédente phase de normalisation, où il n’y avait eu qu’une hausse en 2015 et une autre un an plus tard. Les membres du FOMC anticipent effectivement un taux cible pour les fonds fédéraux à 0,9 % fin 2022 alors qu’il est actuellement compris entre 0 et 0,25 %[12]. Il faut également noter que conformément à son mandat, le FOMC met également en avant la situation sur le marché de l’emploi puisque la Réserve fédérale doit non seulement garantir la stabilité des prix mais aussi atteindre un niveau d’emploi maximum. À cet égard, le taux de chômage a certes diminué pour atteindre 4,2 % en décembre mais le nombre d’emplois reste inférieur de 1,8 % (soit 2,8 millions d’emploi) à celui de décembre 2019 reflétant aussi des retraits de la population active. La perspective d’une stabilisation – en valeur – de la taille du bilan début 2022 et de plusieurs hausses des taux indiquent donc que la Réserve fédérale considère que la situation sur le marché du travail converge progressivement vers le niveau maximum d’emploi.

La BCE se montre plus prudente

Dans la zone euro, même si les tensions inflationnistes se sont accrues, la reprise économique demeure plus fragile. Au troisième trimestre 2021, le PIB restait inférieur de 0,3 % à son niveau de fin 2019 alors qu’il était 1,4 % au-dessus pour les États-Unis. Au regard du taux de chômage, l’amélioration semble plus nette puisqu’en novembre 2021, le taux de chômage s’établissait à 7,3 %, soit un niveau inférieur à celui observé avant l’éclatement de la crise sanitaire. Dans son communiqué présenté lors de la conférence de presse du 16 novembre, Christine Lagarde juge toutefois que la politique monétaire doit rester accommodante pour ramener à moyen terme l’inflation vers sa cible. Ainsi, plus que les tensions actuelles, la BCE perçoit toujours que l’inflation resterait inférieure à sa cible à l’horizon 2023, ce qui plaide donc pour une normalisation plus lente de la politique monétaire dans la zone euro. Néanmoins, le Conseil des Gouverneurs a annoncé l’arrêt du PEPP (Pandemic emergency purchase programme) pour 2022. Ce programme avait été mis en place en mars 2020, dans le cadre de la pandémie, pour lutter contre le risque souverain[13]. Notons que les achats avaient déjà ralenti conformément aux annonces effectuées depuis septembre 2021 (Graphique 4).  Néanmoins, cette réduction des achats, dans le cadre du PEPP, serait en partie compensée par une hausse des achats effectués via le PSPP (Public securities purchase programme). Au deuxième trimestre 2022, les achats passeraient ainsi de 20 à 40 milliards d’euros par mois. Ils repasseraient à nouveau à 20 milliards en octobre 2022, après un palier à 30 milliards au troisième trimestre. À ce stade, la BCE n’indique donc pas un arrêt complet des achats d’actifs. La taille du bilan continuerait par conséquent à augmenter, repoussant pour l’instant la perspective d’une hausse des taux, probablement au-delà de 2022[14].

Bien que la perspective d’une
normalisation des politiques monétaires ait été avancée, les banques centrales
restent prudentes à l’égard de la poussée inflationniste récente, considérant
qu’il s’agit d’un épisode temporaire. La même prudence semble prévaloir dans la
plupart des autres pays industrialisés. Au Japon, même si l’inflation est en
hausse (à 0,6 % en décembre 2021), elle reste largement inférieure à la cible
de la BoJ. Cette dernière n’a donc pas modifié sa communication.
L’assouplissement quantitatif se poursuit et l’objectif reste de maintenir le
taux court à -0,1 % et le taux obligataire public à 0 %. Un peu plus
tôt dans le mois, la Banque du Canada et la banque centrale australienne ont
également maintenu leurs objectifs de taux. Ceux-ci ont cependant augmenté en
Norvège.

Comment les marchés ont-ils
réagi à ces annonces de politique monétaire ?

Depuis le 15 décembre, on observe une hausse des taux longs en zone euro, aux États-Unis et au Royaume-Uni, qui se rapprochent des niveaux observés avant l’éclatement de la pandémie (Graphique 5). L’évolution est bien plus modeste au Japon. Le taux moyen sur les obligations publiques émises dans la zone euro a augmenté de 24 points de base avec une hausse légèrement plus marquée en Italie et en Espagne qu’en Allemagne et en France. Aux États-Unis, l’augmentation est comparable : -24 points de base entre le 14 décembre 2021 et le 4 janvier 2022 ; mais le taux reste inférieur à son niveau d’avant-crise. Quant au Royaume-Uni, elle dépasse 35 points de base. Les marchés ont donc intégré un durcissement modéré de la politique monétaire à l’horizon 2022. Dans l’éventualité où l’inflation se maintiendrait durablement au niveau observé en fin d’année 2021, les banques centrales pourraient accélérer le calendrier de normalisation de la politique monétaire, soit via des hausses supplémentaires de taux directeur soit par une réduction de la taille de leur bilan, ce qui se traduirait sans doute par une nouvelle hausse des taux longs.

L’année 2022 devrait donc être
caractérisée par une remontée des taux à court terme et sans doute aussi à long
terme au Royaume-Uni et aux États-Unis. Il est évident que la
poussée inflationniste observée depuis mi-2021 conduira les banques centrales,
en particulier la BoE et la Réserve fédérale, à accélérer le processus de
normalisation. La normalisation est également importante pour redonner des
marges de manœuvre aux banques centrales en cas de nouveaux chocs négatifs.
L’arrivée du variant Omicron suscite toutefois de nouveau de l’incertitude
quant à son impact économique. Même si les agents se sont en partie adaptés aux
contraintes prophylactiques, un ralentissement de la croissance sans baisse des
tensions inflationnistes placerait les banques centrales dans une position
d’arbitrage plus délicate entre leur objectif de stabilité des prix et le
besoin de soutenir l’activité.


[1] Voir le post
de l’OFCE
du 17 décembre 2021 sur ce point et l’analyse plus détaillée de Le Bayon et
Péléraux
(2021).

[2] Le taux
directeur fixé par les banques centrales représente une cible pour les taux de marché
à très court terme. Les variations de ce taux visent ensuite à influencer
l’ensemble des taux de marché le long de la structure par terme et des taux
bancaires.

[3] La
Réserve fédérale et la BCE ont d’ailleurs récemment réaffirmé le caractère
symétrique de cet objectif en révisant leur cible d’inflation.

[4]
L’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation augmentait de 7,1 %
en décembre.

[5] En
décembre 2021, l’indice des prix à la consommation corrigé des prix
alimentaires et de l’énergie augmentait de 5,5 %.

[6] La
détermination des anticipations d’inflation diffère entre les banques
centrales. Dans le cas de la Réserve fédérale, il s’agit des anticipations
formulées par les membres du FOMC tandis que pour la BCE, ce sont des
anticipations réalisées par les économistes de la BCE.

[7]
Respectivement 2,3 % et 2,2 % en fin d’année aux États-Unis et au Royaume-Uni
respectivement et 1,8 % sur l’ensemble de l’année en zone euro.

[8] Voir nos
prévisions économiques d’octobre 2021 publiées dans le Policy Brief
n°94 : Le prix
de la reprise
.

[9] Voir le post
de l’OFCE
du 4 janvier 2022 et l’analyse détaillée de Blot, Bozou et
Hubert
(2021).

[10] Voir Gagnon et
Sack (2018)
pour une comparaison de ces deux stratégies.

[11] Mesurée
en point de PIB, la taille du bilan a baissé un peu plus tôt, passant de
26,4 % au premier trimestre 2015 à 18,8 % au deuxième trimestre 2019.
Avant la mise en œuvre de mesures non conventionnelles, le bilan de la Réserve
fédérale représentait entre 6 et 7 % du PIB.

[12] Ce
scénario est celui qui ressort des Minutes.
La Réserve fédérale publie 3 semaines après la réunion un compte rendu détaillé
de la réunion du FOMC.

[13] Voir Blot,
Bozou, Creel et Hubert
(2021) pour une discussion plus approfondie sur les
objectifs et les effets des programmes d’achats d’actifs souverains mis en
œuvre par la BCE.

[14] Le communiqué du 16 décembre
indique effectivement que : « We expect net purchases to end
shortly before we start raising the key ECB interest rates 
».




Pourquoi la Fed n’a-t-elle pas réussi à rassurer les marchés ?

Par Christophe Blot et Paul Hubert

Face au risque croissant d’un fort coût économique de l’épidémie de coronavirus, la Réserve fédérale a décidé, le 3 mars, de baisser son taux directeur d’un demi-point. Cette décision a été prise lors d’une réunion extraordinaire du Comité de politique monétaire (FOMC). Au-delà de l’effet escompté sur les conditions de financement, la décision de la banque centrale envoie aux marchés le signal de sa détermination à mettre en œuvre tous les moyens dont elle dispose pour amortir la baisse prévisible de la croissance américaine. La Réserve fédérale espérait également sans doute calmer la tempête boursière ; l’indice Dow Jones ayant baissé de 13 % la semaine précédant la décision. Sous l’hypothèse que le prix des actifs financiers cotés reflète toute l’information disponible, la variation de l’indice Dow Jones, à la suite de l’annonce de la Réserve fédérale, nous renseigne sur l’interprétation que les marchés ont faite de cette annonce de baisse des taux.



En théorie, une baisse non anticipée par les marchés des taux d’intérêts devrait se traduire par une hausse des cours boursiers. En effet, des taux plus bas augmentent la valeur actualisée des flux de revenus futurs – dividendes – , ce qui accroît la valeur fondamentale des actions. Puisque la réunion du 3 mars n’était pas inscrite au planning des réunions de 2020, la décision prise par le FOMC était forcément non anticipée par les marchés[1].

De nombreuses analyses – qualifiées d’études d’événement – s’appuient sur l’information contenue dans l’évolution des prix de différents actifs après les annonces des banques centrales pour en déduire l’impact de la politique monétaire. L’information que l’on peut tirer de ces variations de prix est d’autant plus pertinente qu’il n’y a pas d’autres annonces économiques simultanément aux décisions de politique monétaire. Cette hypothèse est d’autant plus crédible que la fenêtre dans laquelle sont observées les fluctuations de prix est étroite[2]. Ainsi, sur la base d’une fenêtre de 30 minutes (allant de 10 minutes avant l’annonce à 20 minutes après) autour de l’annonce du 3 mars, on observe que l’indice Dow Jones a progressé de 0,4 % (graphique). Cette hausse fut néanmoins temporaire et l’indice est ensuite rapidement reparti à la baisse, si bien qu’en fin de séance le Dow Jones clôturait à un niveau inférieur à son cours d’ouverture (-3,2%). Bien que l’on ne puisse pas observer quelle aurait été l’évolution de l’indice sans cette décision, force est de constater que la Réserve fédérale n’est pas parvenue à atténuer la panique boursière.

Peut-on en déduire que la baisse du Dow Jones suggère que la politique monétaire serait inefficace pour enrayer le ralentissement ? Une interprétation est que les investisseurs ont fait une autre lecture de la décision de la Réserve fédérale. En convoquant une réunion d’urgence et en précipitant la décision de baisser son taux directeur, le FOMC envoie le signal que la situation économique est plus préoccupante que ce qu’anticipaient les marchés. Nakamura et Steinsson (2018) ont récemment mis en évidence ce canal de transmission à propos des décisions de politique monétaire de la Réserve fédérale[3]. Ainsi, les annonces des banques centrales informent les investisseurs sur l’orientation future de la politique monétaire et révèle aussi des signaux sur l’état de l’économie tel que perçu par la banque centrale[4]. Or si la baisse des taux conduit bien à faire monter le prix des actions, la dégradation de la situation macroéconomique réduit les perspectives de revenus futurs et donc leur prix. A la suite de la réunion du 3 mars, il semble donc que ce soit le deuxième effet qui ait finalement dominé. Il ne faut cependant pas en conclure que la baisse des taux est inutile car quelle que soit la réaction des marchés, les conditions de financement de l’économie ont bien été assouplies.

Les regards se portent maintenant sur l’annonce de la BCE qui aura lieu ce jeudi 12 mars. Cette réunion étant prévue de longue date et les conséquences économiques du coronavirus apparaissant de plus en plus évidentes, la réaction des marchés financiers devrait cette fois être davantage liée aux mesures qui seront prises.

Graphique. Évolution du Dow Jones durant la journée du mardi 3 mars 2020

[1] Notons cependant que les marchés avaient sans doute anticipé que la Réserve fédérale allait baisser son taux directeur lors de la réunion planifiée du 18-19 mars.

[2] Voir Gürkaynak, R. et J. Wright (2013). “Identification and inference using event studies”, The Manchester School, 81, 48-65.

[3] “High-frequency
identification of monetary non-neutrality: the information effect.” The Quarterly Journal of Economics,
133(3), 1283-1330.

[4]
Précisons qu’il ne s’agit pas ici de faire l’hypothèse que la Fed dispose de
plus d’information ou d’une meilleure information, mais seulement que ses
actions et annonces révèlent ou confirment quelles informations entrent dans sa
fonction de réaction.




Quelles conséquences des taux d’intérêt bas sur les marges de manœuvre de la politique budgétaire ?

par Bruno Ducoudré, Raul Sampognaro et Xavier Timbeau

Les économies développées
connaissent depuis plusieurs années des taux d’intérêt réels historiquement bas.
Si la crise de 2008 est derrière nous – le chômage a retrouvé son niveau
d’avant-crise dans la plupart des pays développés et les PIB par habitant sont
les plus élevés jamais observés – ses stigmates sur les plans économique,
social et politique sont toujours là. De fait, les ratios d’endettement public
sont bien au-dessus de ceux d’avant 2008 : plus de 40 points en plus pour
la France, 50 points pour les États-Unis ou le Royaume-Uni, 30 points
pour la zone euro dans son ensemble, grâce à un ratio d’endettement en
Allemagne inférieur à celui de 2008. La situation conjoncturelle favorable, les
profits élevés, le dégonflement des bilans des banques centrales et les hauts
niveaux d’endettement devraient se traduire – dans une vision naïve – par une
hausse des taux d’intérêt réel. Dans ce contexte, le haut niveau des dettes
publiques aurait également été une incitation forte à réduire les déficits
publics pour éviter le risque d’insoutenabilité des finances publiques lié à un
emballement de la charge de la dette généré par une remontée des taux
d’intérêt, et c’est précisément cet argument qui présidait à la prudence
budgétaire.



Quelles sont les explications
possibles à ces taux d’intérêt réels bas ? C’est la question à laquelle
nous tentons de répondre dans une étude récente.
Au-delà de la surprise conjoncturelle, il apparaît que la faiblesse des taux
d’intérêt répond plutôt à des causes structurelles qui entravent la
normalisation de la politique monétaire. Ceci se traduit par des anticipations
durables de taux bas, aboutissant in fine
à l’aplatissement de la courbe des taux au moins pour le segment des actifs
sans risque. Dans cette étude, nous retraçons les tendances des taux d’intérêt
souverains depuis la décennie des années 1970 et rappelons les causes possibles
identifiées dans la littérature économique – effet des politiques monétaires
expansionnistes, stagnation séculaire, surabondance d’épargne privée. Nous
évaluons ensuite l’ampleur de l’espace fiscal ouvert par un scénario de taux
souverains durablement bas.

Nos simulations, conduites avec
le modèle iAGS de l’OFCE[1]
pour la zone euro, indiquent qu’une baisse de 1 point du taux d’intérêt long
pendant 10 ans aboutirait à un stock de dette publique rapporté au PIB plus bas
à l’horizon de 20 ans (cf. graphique). Les ordres de grandeur s’élèveraient à
-2 points de dette publique pour l’Irlande et iraient au-delà de -10 points
pour l’Italie, libérant ainsi des marges de manœuvre budgétaire significatives
pour les États
de la zone euro. Ces effets seraient toutefois limités en cas de ralentissement
concomitant de la croissance potentielle.


[1] Voir ici
pour une description détaillée du modèle iAGS.