Aujourd’hui signe la sortie de la prévision de printemps de l’OFCE pour l’économie française (Policy Brief N° 126). Notre scénario indique une poursuite du retournement du marché du travail en raison de la faible croissance de l’activité et du rattrapage partiel des pertes de productivité passées, portant le taux de chômage à 8,2 % fin 2024 et 8,1 % fin 2025. La Loi pour le plein emploi promulgée le 18 décembre 2023 pourrait altérer le taux de chômage. En effet, parmi les différents volets de cette Loi, on trouve l’inscription automatique à France Travail (ex Pole Emploi) de toute personne faisant une demande d’allocation de Revenu de Solidarité Active (RSA) et sa ou son conjoint(e) (bénéficiaires du RSA ou BRSA1). On y retrouve également une modification des conditions d’exigibilité au versement du RSA. Celui-ci sera versé conditionnellement à la réalisation de 15 heures d’activité hebdomadaire en moyenne sur un mois.En phase de test dans 18 territoires pilotes depuis début 2023, le programme a été étendu à 47 territoires à partir de mars 2024. Prévue pour être pleinement opérationnelle au plus tard en janvier 2025, cette mesure vise à faciliter la réinsertion sur le marché du travail en fournissant un soutien adapté aux besoins individuels. La situation personnelle et familiale de l’allocataire sera étudiée et pourra donner lieu à une réduction ou exemption de ces heures d’activité obligatoire (filière dite « sociale »).

D’un point de vue purement comptable, notre attention se porte sur l’incidence de la réforme sur le taux de chômage, un indicateur largement scruté dans les discussions publiques. Aujourd’hui, le nombre de chômeurs est appréhendé de deux façons en France : une première, à travers le nombre d’inscrits sur les listes de France Travail, ce sont les demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A et une seconde, par le chômage défini au sens du BIT, donné par l’Insee via les réponses à l’enquête Emploi en continu (EEC). Ce taux est évalué par l’Insee à partir des données recueillies dans l’enquête Emploi et c’est sur lui que nous nous concentrerons ici. Les résultats présentées reposent sur plusieurs hypothèses concernant les comportements individuels, ce qui signifie que les chiffres qui suivent offrent une estimation générale plutôt qu’une évaluation précise.

Une hausse de 0.1 à 1.2 point du taux de chômage en cas de changement de comportement

Selon l’enquête Emploi 2022, on retrouve près de 1 million d’individus percevant le RSA tandis que les données de la DREES indiquent environ 1,9 million d’allocataires du RSA (voir graphique). Cet écart de moitié peut être en petite partie expliqué par le fait que 6% des allocataires habitent dans des logements non ordinaires,2 et ceux-ci ne sont pas couverts par l’enquête Emploi. Cela concernerait 113 000 individus. On explique les 760 000 restant par un problème d’identification des allocataires du RSA dans l’enquête Emploi (sous déclaration, Mayotte exclu de l’enquête Emploi, etc.).

La réforme du RSA et l’intensité de la coercition sur les 15 heures d’activité peuvent modifier les comportements des personnes interrogées et en particulier leur façon de répondre au questionnaire de l’znquête Emploi. L’ampleur de cet impact sur le chômage demeure très incertaine, puisque nous faisons des hypothèses à partir de la photographie donnée par l’enquête Emploi en 2022, et nous évaluons le plus simplement possible l’impact sur le taux de chômage (voir tableau). Il est important de préciser que nous raisonnons sur le stock de chômeurs, i.e. nous ne prenons pas en compte la variation du nombre de bénéficiaires du RSA future.

Où sont les allocataires du RSA dans l’Enquête Emploi 2022?

Note: En milliers. Sources: Drees, enquête Emploi 2022, Insee et calculs OFCE

Rappelons tout d’abord ce qui définit un chômeur au sens du BIT (et donc que l’on retrouve dans l’enquête Emploi). C’est un personne âgée de 15 ans ou plus et qui répond simultanément aux conditions suivantes : - Ne pas avoir effectué une seule heure de travail rémunéré lors de la semaine de référence ; - Être disponible dans les deux semaines suivant la semaine de référence ; et enfin - Avoir chercher activement un emploi au cours du dernier mois ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

Examinons de près les personnes identifiées dans l’enquête Emploi dont 44.1 % (18.2 % + 25.9 %) sont en activité et 55.9 % sont inactives. Il est certain que la réforme peut permettre un retour à l’emploi de chômeurs allocataires et ainsi modifier le partage emploi/chômage mais les résultats de l’expérimentation engagée en 2023 tels que diffusés ne permettent pas une estimation de l’effet. Nous nous concentrons donc sur le groupe des personnes considérées comme inactives. Ce groupe comprend les inactifs purs, c’est-à-dire ceux qui ne recherchent pas activement un emploi, ainsi que les individus constituant ce que l’on appelle le halo autour du chômage. Cela englobe tous les individus sans emploi qui ont soit effectué une recherche active d’emploi mais ne sont pas disponibles dans les deux semaines suivant la semaine de référence (halo I); ceux qui n’ont pas recherché activement un emploi mais qui sont disponibles dans les deux semaines suivant la semaine de référence (halo II); et enfin, les individus qui n’ont pas recherché d’emploi dans le mois précédent, qui ne sont pas disponibles pour travailler dans les deux semaines suivant la semaine de référence, mais qui souhaitent toutefois travailler (halo III).

Selon les données de l’enquête Emploi pour l’année 2022, en moyenne, 1,86 million de personnes se trouvent dans le halo autour du chômage, et près de 13 % d’entre elles perçoivent le RSA (soit 242 000 personnes). Si les allocataires du RSA considérés dans les halo I et halo III indiquaient être disponibles pour travailler et que ceux compris dans les halo II et halo III cherchaient activement un emploi, mais qu’aucun ne parvenait à trouver un emploi, alors ils seraient considérés comme étant au chômage selon la définition du BIT et non plus inactifs. Cela entraînerait une augmentation du taux de chômage de 0.7 point3. Si l’on considère la structure de l’emploi de l’enquête Emploi en 2022, alors le taux de chômage n’augmenterait plus que de 0.4 point4. Enfin, il n’est pas dit que seuls les allocataires du RSA identifiés par l’enquête Emploi pourraient modifier leurs réponses lorsqu’elles sont interrrogés parmis les allocataires du RSA non identifiés (au nombre de 760 000 environ en 2022), si la réforme venait à changer le tous les allocataires du RSA étaient identifiés dans l’enquête Emploi et que la structure de l’emploi restait inchangée, l’effet sur le taux de chômage serait de + 0.5 point.

Enfin, en maintenant la structure inchangée, le taux de chômage pourrait varier de 0,1 à 0,9 point si les personnes interrogées modifiaient leur comportement vis-à-vis des questions posées dans l’Enquête Emploi.

Effet de la réforme sur le chômage au sens du BIT
En milliers variation de l'emploi variation du chômage Impact sur le taux de chômage (en pt)
A structure donnée de l'enquête Emploi en continu 2022
Halo 100 142 + 0.4
Halo I 23 33 + 0.1
Halo II 40 56 + 0.2
Halo III 37 53 + 0.2
Problème d'identification 119 170 + 0.5
Effet maximum, tous au chômage
Halo 242 + 0.7
Halo I 55 + 0.2
Halo II 96 + 0.3
Halo III 91 + 0.3
 Note:  France entière. Source: calculs OFCE.

1 On rappelle que les individus recevant le RSA sont les allocataires (ARSA), les bénéficiaires sont l’allocataire et leur conjoint (BRSA) , et les personnes couvertes par le RSA sont l’allocataire, le conjoint et les personnes à charge (source: DREES).

2 Un logement ordinaire est défini par opposition à un logement offrant des services spécifiques (résidences pour personnes âgées, pour étudiants, de tourisme, à vocation sociale, pour personnes handicapées, couvents, prisons, etc.) (Source: Minima sociaux et prestations sociales, (ed. 2023), DREES).

3 Autrement dit, dans cette hypothèse, les personnes incluses dans le halo du chômage (I, II et III), au nombre de 242 000, seraient comptabilisées comme chômeuses. Si le nombre de chômeurs et la population active sont augmentés de 242 000, le taux de chômage augmente de 0.7 point.

4 Sous cette hypothèse, on considère que les 242 000 se partagent entre emploi et chômage selon la clé de répartition suivante : RSA en emploi : (185 + 185/(185 + 263) * 242) = 285 et RSA au chômage : (263 + 263/(185 + 263) * 242) = 405. Si l’on augmente le nombre de chômeurs de (405 – 263) = 142 et la population active de (450 – 263) + (285 – 185) = 242, alors le taux de chômage n’augmente plus que de 0.4 point.