Moins d’austérité = plus de croissance et moins de chômage

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Eric Heyer et Xavier Timbeau

La Commission européenne vient de publier ses prévisions de printemps et anticipe une récession (légère selon les mots de la Commission, -0,3% tout de même) en 2012 pour la zone euro, rejoignant ainsi l’analyse de la conjoncture de l’OFCE de mars 2012. L’austérité budgétaire brutale engagée en 2010, accentuée en 2011 et encore durcie en 2012 dans pratiquement tous les pays de la zone euro (à l’exception notable de l’Allemagne, tableau 1 et 1 bis) pèse lourdement sur l’activité en zone euro. En 2012, l’impulsion négative en zone euro, combinaison de hausses d’impôt ou de réduction du poids des dépenses dans le PIB, dépasse 1,5 point de PIB. Dans une situation budgétaire dégradée (de nombreux pays de la zone euro ont un déficit supérieur à 4 % en 2011) et afin de pouvoir continuer à emprunter à un coût raisonnable, la stratégie d’une réduction à marche forcée des déficits s’est imposée.

 

 

 

Cette stratégie s’est appuyée sur des annonces de retour au seuil de 3% pour l’année 2013 ou 2014 puis d’un déficit public nul dès 2016 ou 2017 pour une majorité de pays. Cependant, les objectifs sont apparemment trop ambitieux puisqu’aucun pays ne tiendrait ses objectifs pour l’année 2013. La raison en est que le ralentissement de l’activité compromet les rentrées de recettes fiscales nécessaires pour le rétablissement budgétaire. Une prise en compte trop optimiste des effets de la restriction budgétaire sur l’activité (ce que l’on appelle le multiplicateur budgétaire) conduit à se fixer des objectifs irréalistes et à constater que les prévisions de croissance du PIB doivent in fine être systématiquement revues à la baisse. La Commission européenne revoit ainsi ses prévisions de printemps de 0,7 point en baisse pour la zone euro en 2012 par rapport aux prévisions de l’automne 2011. Il existe pourtant aujourd’hui un consensus large sur le fait que les multiplicateurs budgétaires à court terme sont élevés et ce d’autant plus que le plein emploi est encore hors d’atteinte (là encore, de nombreux auteurs rejoignent des analyses faites à l’OFCE). En sous-estimant la difficulté à  atteindre des cibles inaccessibles, les pays de la zone euro se sont enfermés dans une spirale où la nervosité des marchés financiers est le moteur d’une austérité toujours plus grande.

Le chômage augmente encore en zone euro alors même qu’il n’a pratiquement pas cessé d’augmenter depuis 2009. La dégradation cumulée de l’activité économique compromet aujourd’hui la légitimité du projet européen et le remède de cheval menace la zone euro de dislocation.

Que se passerait-il si la zone euro changeait de cap dès 2012 ?

Supposons que les impulsions budgétaires négatives soient de -0,5 point de PIB au lieu des -1,8 point prévu au total dans  la zone euro). Cet effort budgétaire moindre pourrait être répété jusqu’à ce que le déficit public ou la dette publique atteigne un objectif à définir. Par rapport aux plans actuels, parce que l’effort est plus mesuré, le fardeau de l’ajustement pèserait de façon plus juste sur les contribuables de chaque pays, évitant l’écueil des coupes sombres dans les budgets publics.

Le tableau 2 résume le résultat de cette simulation. Moins d’austérité conduit à plus de croissance dans tous les pays (tableau 2 bis) et ce d’autant plus que la restriction budgétaire annoncée pour 2012 est forte. Notre simulation tient compte également des effets de l’activité d’un pays sur les autres pays via le commerce extérieur. Ainsi, l’Allemagne, qui ne change pas son impulsion budgétaire dans notre scénario, voit sa croissance supérieure de 0,8 point en 2012.


Dans le scénario « moins d’austérité », le chômage baisserait au lieu de continuer à augmenter. Dans tous les pays, sauf la Grèce, le déficit public serait réduit en 2012 par rapport à 2011. Certes, cette  réduction serait moindre que dans le scénario initial dans quelques pays, notamment ceux qui ont annoncé des impulsions négatives très fortes (l’Espagne, l’Italie, l’Irlande, le Portugal et … la Grèce) et qui sont ceux qui subissent le plus la défiance des marchés financiers. A l’inverse dans certains pays, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas, le déficit public se réduirait plus que dans le scénario initial, l’effet indirect positif d’une croissance plus forte l’emportant sur l’effet direct d’une moindre rigueur budgétaire. Pour la zone euro dans son ensemble, le déficit public serait de 3,1 points de PIB contre 2,9 points dans le scénario initial. Une différence faible en regard d’une dynamique de croissance plus favorable (2,1 %) et d’une baisse du chômage (-1,2 point, tableau 2) au lieu d’une hausse dans le scénario initial.

La clef du scénario « moins d’austérité » est de permettre aux pays les plus en difficulté, et donc les plus contraints à une rigueur qui précipite leurs économies dans une spirale redoutable, d’adopter une réduction plus lente de leurs déficits. La zone euro est coupée en deux camps. D’un côté, il y a ceux qui réclament une austérité forte et brutale pour rendre crédible la soutenabilité des finances publiques et qui ont sous estimé ou ignoré délibérément les conséquences pour la croissance ; de l’autre, ceux qui, comme nous, recommandent moins d’austérité pour préserver plus de croissance et un retour au plein emploi. Les premiers ont failli : la soutenabilité des finances publiques n’est pas assurée et la récession et le défaut d’un ou plusieurs pays guettent. La seconde stratégie est la seule voie de retour à la stabilité sociale, économique mais aussi budgétaire puisqu’elle concourt à la soutenabilité des finances publiques par un meilleur équilibre entre restriction budgétaire et croissance et emploi, comme nous l’avons proposé dans une lettre au nouveau président de la République française.