La séparation des activités bancaires est-elle inutile?
Jean-Luc Gaffard et Jean-Paul Pollin
C’est au niveau européen que se situe la dernière chance d’une réforme structurelle des systèmes bancaires, c’est-à-dire d’une séparation entre les activités de banque d’investissement et celles de banque commerciale. A en croire la profession bancaire et certains milieux académiques, cette séparation est au mieux inutile et au pire dommageable. Il serait illusoire de vouloir séparer les activités risquées des activités non risquées, les activités non spéculatives des activités spéculatives. Toute activité bancaire est risquée, sinon spéculative. Après tout, la crise des subprime aux Etats-Unis, la crise des caisses d’épargne en Espagne, la crise de la Northern Rock en Grande-Bretagne résultent de risques inconsidérés pris dans l’octroi de crédits immobiliers aux ménages.
En outre, les banques universelles auraient, dans une certaine mesure, aidé à sauver les établissements trop spécialisés. Dans ces conditions, une loi de séparation minimaliste comme la loi française ou une loi plus contraignante comme celle proposée dans le rapport Vickers au Royaume-Uni ou encore celle envisagée par le groupe d’experts Liikanen auraient peu d’utilité au regard d’un objectif de stabilité. Mieux vaudrait, alors, s’en rapporter à la réglementation prudentielle qui devrait, effectivement, être renforcée. D’autant que les banques commerciales devraient pouvoir développer des activités de marché pour répondre aux besoins de leurs clients.
D’un côté, l’existence d’économies d’envergure, qui justifierait de rapprocher les activités de banque commerciale et de banque d’investissement n’a jamais été prouvée. D’ailleurs, les « modèles d’affaires » de l’une et de l’autre restent très différents au point que leur rapprochement puisse faire craindre un affaiblissement des capacités de la banque commerciale de faire son métier. D’un autre côté, l’argumentation développée méconnaît la dimension avant tout systémique de la crise financière et bancaire. Quand les caisses d’épargne ont fait faillite aux Etats-Unis au début des années 1990, les conséquences en ont été circonscrites en raison du cloisonnement du système financier. Avec la crise des subprime, le vrai problème est venu de la contagion directement liée à l’étroite connectivité créée au sein du système financier.
La question n’est pas de reconnaître qu’il existe un risque associé à toute activité bancaire, mais de prendre la mesure des effets de contagion dont l’activité de marché est la principale responsable. C’est avant tout des opérations sur produits dérivés que naissent les interconnexions entre intermédiaires financiers. Ce sont les connexions multiples et mal identifiées créées par les activités de marché, qui ont eu des conséquences dévastatrices sur l’activité traditionnelle de crédit des banques, du fait des risques inconsidérés pris et des pertes enregistrées dans les opérations de marché (et pas seulement dans les opérations de « trading pour compte propre »).
Certes, face au risque systémique, il convient de renforcer la réglementation prudentielle. Toutefois, la réglementation des fonctions, pour importante qu’elle soit, l’est sans doute moins que celle des institutions financières elles-mêmes. De facto, les revenus de la banque commerciale sont relativement réguliers, en dehors des épisodes de crises graves, tandis que ceux de la banque d’investissement sont beaucoup plus volatils. La banque d’investissement a besoin de la banque commerciale pour résister aux fluctuations des marchés (et profiter le cas échéant de la garantie publique), mais l’inverse n’est pas vrai. Le problème revient donc à se demander s’il est opportun de prendre le risque de déstabiliser le cœur du système bancaire pour conforter l’exercice d’activités, dont l’utilité sociale n’est pas toujours avérée, et qui devraient trouver par elles-mêmes les moyens de leur pérennité.
La sagesse voudrait donc que le système financier soit compartimenté de manière à circonscrire les phénomènes de contagion. La réglementation devrait spécifier les types d’actifs dans lesquels chaque catégorie d’institutions pourrait investir de même que le type d’engagements qu’elle pourrait souscrire. C’est ce qui ressortait de l’arsenal législatif et réglementaire mis en place aux Etats-Unis et dans les pays européens après la Grande Dépression, arsenal largement démantelé en France en 1984 et aux Etats-Unis en 1999 quand un terme a été mis au Glass–Steagall Act. C’est ce qui devrait être remis à l’ordre du jour en revenant à une séparation effective entre banques commerciales et banques d’investissement. Non seulement cette division créerait une certaine étanchéité entre les différents compartiments du système financier, mais elle permettrait d’échapper au dilemme né du fait que les établissements seraient trop gros pour faire faillite. L’objectif est de protéger la banque commerciale des risques de marché. Il est aussi d’en finir avec des subventions implicites dont les banques universelles bénéficient de la part de l’Etat, que la séparation ne justifie plus vraiment et qui peuvent s’avérer dangereuses pour les finances publiques. Toutes mesures qui devraient être favorables à la croissance.
Pour en savoir plus lire la Note de l’OFCE, n°39 du 19 novembre 2013 de Jean-Paul Pollin et Jean-Luc Gaffard, « Pourquoi faut-il séparer les activités bancaires ? ».