Logement locatif : une Clameur inquiétante …

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par Pierre Madec

Comme chaque semestre, l’observatoire des loyers Clameur a publié début mars ses chiffres de conjoncture du marché de l’immobilier locatif[1]. Loyers de marché qui ralentissent, demandes de logement et offres locatives en baisse, mobilité résidentielle au plus bas, voici quelques-uns des constats dressés par l’observatoire. Des conclusions qui, selon leurs auteurs, « n’engagent guère à l’optimisme ». Ces résultats sont-ils si « préoccupants »? Pourquoi est-il important de les relativiser ?

Selon Clameur, dont les résultats diffèrent souvent sensiblement de ceux fournis par l’OLAP[2], les loyers de marché ont augmenté en 2013 de 0,6% et de de 0,2% en ce début d’année 2014. L’observatoire pointe du doigt le risque important de baisse généralisée à l’ensemble du marché locatif privé. Pour appuyer leurs propos, les auteurs insistent sur le fait qu’en 2013, les loyers de marché ont augmenté moins vite que l’inflation qui s’établissait selon l’INSEE à 0,7%.

Certes les loyers ont cru moins rapidement que l’ensemble des prix à la consommation, ce qui a conduit à une baisse relative du rendement immobilier de certains propriétaires, mais à contrario leur évolution a été plus rapide que celle par exemple du pouvoir d’achat des ménages qui n’a augmenté par unité de consommation que de 0,5% en 2013 selon l’INSEE…

De même, nous sommes tentés d’opposer aux inquiétudes des auteurs, concernant l’érosion des loyers de marché, nos inquiétudes (anciennes) portant sur l’explosion des taux d’effort des ménages[3]. Entre 2005 et 2011, la dépense nette de logement des ménages locataires du parc privé a augmenté de 18,4% quand le revenu avant impôt n’évoluait que de 7,5%. Sur la période, le taux d’effort des locataires du secteur s’accroissait de 2,5 points pour atteindre 27% (INSEE, 2014).

Au grand dam des professionnels de la location immobilière qui s’alarment du caractère « préoccupant »  de l’érosion apparente des loyers, cette dernière serait a contrario une relativement bonne nouvelle pour les locataires …

De manière plus générale, l’argumentaire tendant à démontrer à quel point le marché locatif privé se trouve dans une spirale récessive inquiétante en étudiant exclusivement le « loyer de marché » et son évolution peut sembler déroutant. Pour étudier les loyers du parc locatif privé, différents indicateurs sont à disposition : l’évolution du loyer de marché certes, mais aussi celle du loyer moyen, des loyers en cours ou au renouvellement de bail, des loyers des premiers baux, ou encore l’évolution des loyers lors de la relocation. Chacun de ces indicateurs apporte des informations différentes et complémentaires sur les mécanismes à l’œuvre sur le marché locatif.

Le loyer de marché représente la valeur moyenne des logements mis en location à une date T. Une hausse (baisse) des loyers de marché ne signifie donc pas que les loyers ont augmenté (baissé) mais que les loyers du stock disponible à la location à la date T ont augmenté (baissé) par rapport à ceux du stock disponible en T-1. Cette précision, bien que pouvant paraître triviale, est importante.

En effet, l’évolution qui conditionne en grande partie à la fois l’augmentation du rendement locatif du propriétaire bailleur et la perte de pouvoir d’achat induite par un déménagement pour le locataire, est en réalité l’évolution des loyers à la relocation. Celle-ci renseigne sur les augmentations de loyers opérés lors d’un changement de locataire. A titre d’exemple, selon l’OLAP, au 1er Janvier 2013 en agglomération parisienne, le loyer avant relocation s’établissait en moyenne à 16,3€/m² et les loyers après relocation était en moyenne de 18,6€/m². A la relocation, les loyers ont donc augmenté de 14%.

De même, les auteurs s’inquiètent de la baisse historique des taux de mobilité résidentielle[4]. Bien que cette baisse tendancielle dans le parc locatif privé pose problème, elle est probablement explicable en partie, et comme le souligne l’observatoire, par une dégradation significative d’un certain nombre d’indicateurs économiques nationaux (augmentation du chômage, dégradation de la confiance des ménages, …) mais aussi par la hausse (excessive) des prix de l’immobilier et des loyers depuis maintenant une décennie.

Une fois l’ajustement des loyers (à la stabilité ou à la baisse) opéré, les locataires retrouveront leur mobilité d’antan … De plus, en encadrant les loyers à la relocation, la loi ALUR (étudiée de nombreuse fois par l’OFCE – ici ou encore ) a justement pour objectif d’augmenter la mobilité des résidents ; les locataires devant quitter leur logement ayant un saut de loyer à la relocation moindre à franchir.

En réalité, le seul risque soulevé par Clameur qui mérite vraiment l’attention est celui concernant l’offre locative. En effet, une baisse durable de l’offre locative (-120 000 logements entre 2011 et 2013) est problématique et ce surtout en zone tendue. Si la loi ALUR a vocation à engendrer un cercle vertueux d’érosion des loyers et des prix de l’immobilier et de maintien des rendements locatifs, cet ajustement sera long et peut entraîner à moyen terme une baisse de l’offre locative compte tenu de la diminution possible, au cours de la période, des rendements locatifs.

Pour soutenir cette offre locative privée, le gouvernement ne peut pas, à l’heure actuelle, compter sur l’investissement locatif neuf qui, malgré l’instauration du dispositif Duflot, est atone. De même, l’augmentation de la vacance locative (+12% depuis 2008) laisse penser que les tensions sur le marché locatif privé sont à même de durer.

Les pouvoirs publics peuvent agir pour enrayer ces phénomènes. Le durcissement récent de la taxation des logements vacants (allongement de la durée d’habitation ouvrant droit à exonération, …) va dans la bonne direction. En parallèle, des actions en faveur du logement social doivent être engagées. Bien que le temps de la construction diffère sensiblement du temps politique, le développement d’une offre locative sociale crédible ne peut que servir un parc privé en proie au blocage et où les déséquilibres entre offre et demande semblent insolubles.

 


 

[1] CLAMEUR, pour Connaître les Loyers et Analyser les Marchés sur les Espaces Urbains et Ruraux, est un observatoire des loyers associant l’ensemble des acteurs professionnels de la location (Crédit Mutuel, Bouygues Immobilier, Century 21, Crédit Foncier, FONCIA, SeLoger.com, …).

[2] L’OLAP pour Observatoire des Loyers de l’Agglomération Parisienne est une association « loi 1901 » regroupant à parts égales locataires et propriétaires qui publie chaque année un rapport annuel complet de l’évolution des loyers en agglomération parisienne et dans certaines villes de province. Ses méthodes d’évaluation des loyers tendent à être généralisées dans le cadre de la mise en place de la loi ALUR.

[3] Défini comme le rapport entre dépenses de logement (loyer + charges) et revenu.

[4] Défini comme la part de ménages changeant de logement au cours de l’année.