Chômage : forte volatilité, faible baisse

Département Analyse et prévision (Equipe France)

Les chiffres du chômage du mois de septembre 2016, publiés par Pôle emploi, font apparaître une baisse spectaculaire du nombre de demandeurs d’emploi en fin de mois (DEFM) en catégorie A (-66 300 personnes en France métropolitaine). Cette forte baisse fait plus que compenser la hausse tout aussi spectaculaire du mois dernier (+50 200). Au total, sur trois mois, le recul du nombre de demandeurs d’emplois atteint 35 200, troisième baisse trimestrielle consécutive, ce qui n’avait plus été observé depuis le début de la crise au début de 2008. Le chiffre de septembre confirme ainsi le retournement progressif de la courbe des DEFM sur un horizon de temps plus long : depuis le début de l’année, les effectifs en catégorie A ont baissé de 90 000 personnes et de 59 500 sur un an. Si l’on ajoute aux inscrits en catégorie A ceux ayant réalisé une activité réduite au cours du mois (catégories B et C), la baisse mensuelle est moins prononcée (-38 000 personnes), probablement parce qu’une partie des inscrits sans aucune activité a changé de catégorie après avoir retrouvé une activité réduite.

La baisse des inscrits en catégorie A au mois de septembre a bénéficié à part quasi égale aux hommes et aux femmes. Elle s’est toutefois concentrée sur les personnes les moins éloignées du marché du travail : les moins de 25 ans (-27 400, sous l’effet notamment du plan de formation) et les 25-49 ans (-37 300), ainsi que les inscrits depuis moins d’un an (-31 000 en catégorie ABC). La baisse a été marginale pour les plus de 50 ans (-1 600) et les demandeurs inscrits depuis plus d’un an (-7 100 en catégorie ABC).

Ces évolutions mensuelles très erratiques doivent à chaque fois être prises avec prudence. Les chiffres publiés par Pôle emploi sont soumis à des aléas propres à la pratique administrative. Selon Pôle emploi, elles reflètent en partie sur le passé récent la modification des règles d’actualisation d’inscription.

Focus : Le changement de règle d’actualisation et la volatilité des chiffres de Pôle emploi

Ce changement de règle, a priori anodin, a eu pour conséquence d’introduire une forte volatilité mensuelle dans les chiffres des cessations d’inscription pour défaut d’actualisation : chaque mois, certains demandeurs d’emploi n’actualisent pas leur situation (soit parce qu’ils ont retrouvé un emploi, soit par oubli…) et ne sont donc plus comptabilisés comme DEFM.

A partir du mois de janvier 2016, Pôle emploi a ainsi modifié les conditions d’actualisation de la situation des demandeurs d’emploi. Avant janvier 2016, le calendrier d’actualisation était fixé selon la règle :

  • – l’ouverture de l’actualisation relative au mois m avait lieu le 3e jour ouvré avant la fin du mois m,
  • – la relance avait lieu les 8e et 9e jours ouvrés du mois m+1
  • – la clôture de l’actualisation avait lieu la veille du 12e jour ouvré du mois m+1 à 23h59, que ce jour soit ouvré ou non.

Selon ce calendrier, l’intervalle de temps pour l’actualisation reposait sur un nombre total de jours variable (compris entre 18 et 23 jours, graphique) mais d’un nombre de jours ouvrés constant (14).

A compter de janvier 2016, la règle a changé : pour un mois donné, l’actualisation est ouverte le 28 de ce mois (sauf pour les mois de février où l’actualisation est ouverte le 26) et est clôturée le 15 du mois suivant :

  • – envoi par Pôle emploi des déclarations de situation mensuelle (DSM, le 28 du mois m en général ou le 26 en février) ; cet envoi se fait principalement par internet, plus marginalement par courrier postal ;
  • – ouverture de la télé-actualisation (le lendemain de l’envoi des DSM) ;
  • – retours d’actualisation par les demandeurs d’emploi, suivis le cas échéant du calcul et de la mise en paiement de l’allocation par Pôle emploi (pour les demandeurs d’emploi indemnisés, l’actualisation déclenche le versement de l’allocation) ;
  • – repérage par Pôle emploi des demandeurs d’emploi n’ayant pas encore actualisé leur situation ;
  • – relance des demandeurs d’emploi n’ayant pas encore actualisé leur situation (le 11 et le 12 du mois m+1) ; cette relance s’effectue par téléphone, SMS, ou courrier postal ;
  • – clôture de l’actualisation (le 15 du mois m+1 à 23h59).

Il a résulté de ce changement de règles une diminution des nombres moyens de jours d’actualisation, totaux ou ouvrés, une atténuation de la volatilité du nombre total de jours d’actualisation (compris entre 17 et 19 jours) et surtout l’apparition d’une variabilité du nombre de jours ouvrés (compris entre 11 et 14 jours), qui n’existait pas auparavant. Or les jours ouvrés étant plus propices à l’actualisation de situation que les jours fériés, leur plus grande variabilité retentit sur les cessations d’inscription pour défaut d’actualisation. Les mois incluant un nombre important de jours ouvrés affichent des cessations d’inscription moins nombreuses et inversement (graphique). Les évolutions exceptionnellement erratiques des inscrits en catégorie A ces deux derniers mois relèvent en partie de ce phénomène, avec un nombre de jours ouvrés en août (14) qui a favorisé les réinscriptions sur les listes de l’Agence, et par voie de conséquence, un dégonflement des défauts d’actualisation qui s’est répercuté en une forte augmentation des inscrits. Le mouvement inverse s’est produit en septembre avec un nombre de jours ouvrés (13) en diminution. En octobre, ce nombre diminuera encore, pour atteindre 11, ce qui pourrait provoquer à nouveau une hausse des défauts d’actualisation et un effet favorable sur le nombre d’inscrits à Pôle emploi.

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Le chômage en quelques chiffres

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Italie et marché du travail : une embellie à nuancer

Par Céline Antonin

Depuis le début 2015, le retour de la croissance, la mise en œuvre de l’acte II du Jobs Act de Matteo Renzi, et la baisse des charges sur les entreprises, ont indéniablement contribué à l’embellie sur le front de l’emploi en Italie. Le dynamisme des créations d’emplois, notamment en CDI et la hausse de la population active, ont pu donner le sentiment que la libéralisation (partielle) avait résolu les faiblesses structurelles du marché du travail. Pourtant, au premier semestre 2016, les créations d’emplois en CDI se sont très fortement taries et c’est désormais l’augmentation des CDD et contrats indépendants qui contribue à la croissance de l’emploi. Par ailleurs, la productivité du travail a stagné avec un enrichissement de la croissance en emplois, en particulier dans le secteur des services. Par conséquent, en l’absence d’autres mesures complémentaires pour résoudre les fragilités structurelles de l’Italie, l’embellie sur le marché du travail risque de ne pas durer.

Un bref rappel des mesures récentes sur le marché du travail

Le Jobs Act s’inscrit dans la continuité d’une série de mesures récentes, mises en place depuis 2012, destinées à flexibiliser le marché du travail (voir C. Antonin, le Jobs Act de Matteo Renzi : un optimisme très mesuré ). Dans son acte I, le Jobs Act a permis d’allonger la durée des CDD de 12 à 36 mois, en supprimant les périodes de carence et en autorisant un renouvellement plus important, tout en limitant la proportion de CDD conclus au sein d’une entreprise. Dans son acte II, il a introduit une nouvelle forme de contrat à durée indéterminée, à protection croissante, comportant des indemnités de licenciement croissantes avec l’ancienneté. Par ailleurs, il a supprimé l’usage abusif des contrats de collaboration, contrats précaires souvent utilisés pour dissimuler des relations de travail salarié. Ces contrats devaient être transformés en contrats de travail salarié à partir du 1er janvier 2016 (1er janvier 2017 pour les administrations publiques).

Par ailleurs, l’Italie a fait le pari de la baisse de la fiscalité sur le travail : en 2015, la part salariale de l’IRAP (impôt régional sur les activités productives) pour les personnes employées en CDI a été supprimée. Surtout, la Loi de finances pour 2015 a supprimé les cotisations sociales pendant 3 ans sur les nouveaux contrats CDI à protection croissante, dans la limite de 8 060 euros par an pour les nouveaux embauchés entre le 1er janvier et le 31 décembre 2015 qui n’ont pas été employés en CDI dans les six mois précédents leur embauche, pour un coût budgétaire total de 1,8 milliard d’euros. Le dispositif a été reconduit, partiellement, en 2016 : les entreprises qui embaucheront sur les nouvelles formes de CDI en 2016 seront exonérées de 40 % des cotisations sociales pendant 2 ans, et le plafond  d’exonération de cotisations est abaissé à 3250 euros par salarié.

Une forte augmentation du nombre d’emplois créés, mais une stagnation des créations d’emplois en CDI en 2016…

Depuis le début de l’année 2015, le nombre d’emplois a fortement progressé en Italie (graphique 1), même si on est loin d’avoir retrouvé le niveau d’avant-crise : entre le premier trimestre 2015 et le premier trimestre 2016, il a augmenté de 304 000 (+391 000 pour l’emploi salarié).

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Si l’on regarde plus en détail (tableau 1), on constate une différence majeure entre 2015 et le premier semestre 2016: le nombre de nouveaux CDI a explosé en 2015 (+281 000 entre janvier et décembre 2015), avant de se tarir au premier semestre 2016 (-18 000 entre janvier et juin 2016). En 2015, le spectaculaire accroissement du nombre de CDI s’explique en partie par la substitution des emplois permanents à garantie progressive aux emplois précaires. Ainsi, sur les 2,0 millions de CDI créés en 2015, on dénombrait 1,4 million de nouveaux CDI et 575 000 de contrats à durée déterminée transformés en CDI (source : INPS). 60,8 % de ces nouveaux contrats ont bénéficié de l’exonération des cotisations sociales. En revanche, depuis le début 2016, le nombre de nouveaux CDI a chuté de 33 % au premier semestre 2016 par rapport au premier semestre 2015, sous l’effet d’une création moindre de CDI ex nihilo et une forte baisse des transformations de CDD en CDI (-37 %). En revanche, on note une forte hausse du nombre d’indépendants en 2016, après deux années consécutives de baisse.

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Ainsi, l’engouement pour les CDI a surtout eu lieu en 2015, avant de s’étioler en 2016. L’une des explications en est la suivante : la baisse des cotisations sociales sur les nouvelles embauches en CDI aurait eu un impact plus fort que le Jobs Act lui-même. En effet, les baisses de charges ne concernaient que les contrats conclus sur 2015. Elles ont été reconduites pour 2016, mais de façon beaucoup plus limitée (deux ans contre trois, avec un plafond d’exonération des cotisations sociales divisé par plus de deux), ce qui peut expliquer un moindre engouement. D’ailleurs, on observe un effet d’anticipation pour le mois de décembre 2015 (tableau 2), avec une très forte hausse du nombre de CDI totalement exonérés (leur nombre est multiplié par près de 4 par rapport à la moyenne des onze mois précédents). Au premier semestre 2016, il y a en moyenne 42 000 embauches par mois qui ont bénéficié de cette exonération contributive de deux ans, soit 31 % du total des embauches en CDI[1], contre 128 000 en 2015 (en prenant en compte le mois de décembre). En 2015, les contrats exonérés avaient représenté 61 % du total.

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…mais stagnation du nombre de chômeurs à cause du dynamisme de la population active…

Malgré un marché de l’emploi dynamique, le chômage stagne en Italie depuis la mi-2015, au taux de 11,6 % (graphique 2). Ce paradoxe s’explique par la hausse de la population active : entre juillet 2015 et juillet 2016, la population active s’est enrichie de 307 000 personnes. Plusieurs phénomènes en sont à l’origine :

  1. La réforme des retraites qui entraîne un maintien des seniors dans l’emploi ;
  2. un effet de flexion : avec le retour de la croissance et l’embellie sur le marché du travail, les travailleurs découragés décident de revenir sur le marché du travail ;
  3. l’immigration : le solde migratoire positif a une influence sur le marché du travail. Ainsi, la part des étrangers dans la population active italienne est passée de 10,7 % à 11,1 % entre le premier trimestre 2014 et le premier trimestre 2016.

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En conclusion, même si cela ne transparaît pas dans les chiffres du chômage, l’amélioration du marché du travail italien est incontestable, avec de nombreuses créations d’emploi et une hausse marquée de la population active. Cette embellie sur le marché du travail n’est pas seulement imputable au Jobs Act, elle est le fruit de trois facteurs combinés : 1) le retour de la croissance depuis 2015, sous l’effet de la politique ultra-accommodante de la BCE, d’une moindre austérité budgétaire et de la baisse des prix du pétrole ; 2) la baisse de la fiscalité sur le travail mise en place en 2015, et reconduite partiellement en 2016 ; 3) la mise en place du Jobs Act. Au vu du tableau 2, on peut d’ailleurs supposer que l’effet de la baisse des charges sociales sur les entreprises a eu un effet plus fort que le Jobs Act lui-même.

Après l’embellie de 2015, les chiffres du premier semestre 2016 invitent à la prudence. Le tarissement des créations d’emplois en CDI en 2016 montre que la réforme Renzi n’a pas résolu le problème de fond, à savoir les faiblesses structurelles du marché du travail italien, notamment la productivité du travail. Pour retrouver de la croissance et de l’emploi, l’Italie doit donc véritablement s’attaquer aux réformes structurelles, et notamment la faiblesse de l’innovation, de la recherche et développement, la faible compétitivité ou encore la sous-capitalisation de ses PME.

 

 

[1] y compris  les transformations de CDD en CDI




L’emploi reprend du service

Par Bruno Ducoudré

La lente amélioration constatée en 2015 sur le front de l’emploi se confirme en 2016. Selon l’Insee, le taux de chômage au sens du BIT [1] s’élève à 9,9% au premier trimestre 2016 en France métropolitaine (10,2% en France hors Mayotte). Il diminue de 0,1 point sur un an, tandis que le taux d’emploi progresse de 0,2 point sur le trimestre et de 0,5 point sur un an. Les dernières statistiques de l’Insee portant sur l’emploi marchand indiquent ainsi 24 400 créations d’emplois salariés dans les secteurs principalement marchands au premier trimestre 2016, et 105 000 en cumul sur les quatre derniers trimestres (cf. graphique 1). Les enquêtes auprès des entreprises signalent également une poursuite de l’amélioration des intentions d’embauches, le secteur des services marchands restant le principal pourvoyeur d’emplois nouveaux (cf. graphique 2).

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Notre analyse du marché du travail à l’horizon 2017, détaillée dans le dernier exercice de prévisions de l’OFCE d’avril 2016, indique que le secteur marchand continuerait à créer des emplois d’ici la fin d’année 2016 (+0,3% au deuxième trimestre, puis +0,2% aux troisième et quatrième trimestres). Ce rythme de créations d’emplois serait suffisant pour envisager une baisse du taux de chômage d’ici la fin de l’année. Compte tenu de notre prévision pour le taux de croissance du PIB (+0,5 % au deuxième trimestre et de +0,4 % aux troisième et quatrième trimestres 2016), le taux de chômage atteindrait 9,7% fin 2016 en France métropolitaine (9,5% y compris effet du Plan de formation). Avec une croissance du PIB de 1,6 %, l’année 2016 serait ainsi marquée par une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand, permettant une lente baisse du taux de chômage en 2016, baisse qui se poursuivrait jusqu’à la fin de l’année 2017.

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2012-2014 : l’emploi marchand aux abonnés absents

La période 2012-2014 est marquée par une très faible croissance de l’activité économique qui a lourdement pesé sur l’emploi dans le secteur marchand (-77 000 emplois entre le début d’année 2012 et la fin 2014, cf. tableau). La vigueur de l’emploi dans le secteur non marchand, soutenue par la montée en charge des contrats aidés (emplois d’avenir et contrats uniques d’insertion non marchands) a permis de compenser ces destructions d’emplois marchands, l’emploi total progressant de 158 000 sur la même période, ce qui a freiné la progression du taux de chômage au sens du BIT : celui-ci est passé de 9% de la population active fin 2011 à 10,1% fin 2014 en France métropolitaine, soit +1,1 point d’augmentation.

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2015-2017 : le redémarrage

L’année 2015 a vu une accélération des créations d’emplois tirée par la reprise des créations d’emplois dans le secteur marchand (+122 000). Elle marque ainsi une transition, avec en parallèle un moindre dynamisme des créations d’emplois dans le non marchand. Sur l’ensemble de l’année, l’accélération de la croissance (+1,2% en moyenne annuelle en 2015 mais 1,4 % en glissement annuel) et la montée en puissance des politiques de baisse du coût du travail (CICE et Pacte de responsabilité) ont soutenu les créations d’emplois. Les effets cumulés du CICE et du Pacte de responsabilité, une fois pris en compte l’effet du financement, auraient ainsi permis de créer ou de sauvegarder 45 000 emplois en 2015. Toutefois, les créations d’emplois ont été freinées par la présence de sureffectifs dans les entreprises[2] : en période d’accélération de l’activité économique, les entreprises absorbent généralement la main-d’œuvre sous-utilisée avant d’augmenter le volume d’emploi.

Du côté du secteur non marchand, la politique de l’emploi a continué de soutenir le marché du travail en 2015, via la hausse du nombre de contrats aidés. L’augmentation est cependant bien moins rapide que les années précédentes, le nombre d’emplois d’avenir (près de 90 000) atteignant un plafond fin 2015. Finalement, l’emploi total a progressé de 166 000 en 2015. Le nombre d’emplois créés étant supérieur à l’évolution de la population active, le nombre de chômeurs a diminué (-53 000 personnes), portant le taux de chômage au sens du BIT en France métropolitaine à 10,0 % de la population active au quatrième trimestre 2015, contre 10,1 % fin 2014.

Pour 2016 et 2017, le retour de la croissance (1,6 % par an) permettrait une fermeture du cycle de productivité [3] et une accélération des créations d’emplois dans le secteur marchand, favorisée par les politiques de baisse du coût du travail (CICE, Pacte de responsabilité et Prime à l’embauche) qui enrichissent la croissance en emplois. Les créations d’emplois s’élèveraient, en glissement annuel, à 177 000 en 2016 et 134 000 en 2017 pour le seul secteur marchand. A partir de 2016, la politique de l’emploi, hors mesures fiscales, ne soutiendrait plus les créations d’emplois (-9 000 emplois aidés en 2016). Concernant l’année 2017, nous avons retenu l’hypothèse d’une stabilisation du stock de contrats aidés non-marchands. En revanche, le plan de formations (500 000 formations supplémentaires annoncées pour 2016 dans le cadre du Plan d’urgence pour l’emploi) monterait en charge au cours de l’année 2016, ce qui freinerait temporairement la hausse de la population active, en transférant une partie des chômeurs de longue durée vers l’inactivité, et accélèrerait de 0,2 point la baisse du chômage en 2016. Au total, l’accélération des créations d’emplois et les entrées en formation poursuivront la baisse du taux de chômage enclenchée fin 2015. Celui-ci atteindrait 9,5 % de la population active fin 2016 en France métropolitaine et se stabiliserait à ce niveau en 2017, ce qui le ramènerait à son niveau observé au deuxième semestre 2012.

Si l’horizon parait se dégager pour les perspectives d’emploi et de chômage, le rythme d’amélioration restera toutefois insuffisant pour effacer rapidement les stigmates de la crise. Rappelons que le taux de chômage s’élevait à 7,1% en moyenne en 2008 en France métropolitaine. Avec une baisse de 0,25 point du taux de chômage en moyenne chaque année, il faudrait dès lors attendre l’année 2027 pour retrouver le niveau d’avant-crise. Un retour plus rapide du chômage à ce niveau nécessitera de retrouver des taux de croissance plus élevés à l’avenir, via l’enclenchement d’une dynamique durable et auto-entretenue entre la consommation et l’investissement.

 

 

[1] Selon l’enquête emploi, une personne est considérée comme « chômeur au sens du Bureau international du travail (BIT) » si elle satisfait aux trois conditions suivantes :

  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé au moins une heure durant la semaine de référence de l’enquête ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent l’enquête ou en avoir trouvé un qui commence dans moins de trois mois.

[2] La présence de sureffectifs dans les entreprises provient de l’écart de la productivité du travail à sa tendance de long terme, appelé cycle de productivité. Ce dernier est le résultat du délai d’ajustement de l’emploi à l’activité. Voir Ducoudré et Plane, 2015, « Les demandes de facteurs de production en France », Revue de l’OFCE, n°142.

[3] Il subsisterait 70 000 personnes en sureffectif dans les entreprises fin 2015.




L’esprit ou la lettre de la loi, pour éviter le « Graccident »

Raul Sampognaro et Xavier Timbeau

Le nœud coulant, selon l’expression d’Alexis Tsipras, se resserre de plus en plus autour du gouvernement grec. La dernière tranche du programme d’aide (7,2 milliards d’euros) n’est toujours pas débloquée, faute d’une acceptation par le Groupe de Bruxelles (l’ex-Troïka) des conditions associées à ce plan d’aide. De ce fait, l’Etat grec est au bord du défaut de paiement. On pourra croire qu’il s’agit-là d’un nouvel épisode dans la pièce de théâtre que la Grèce joue avec ses créanciers et, qu’une fois de plus, l’argent nécessaire sera trouvé au dernier moment. Pourtant, si la Grèce a réussi jusqu’à maintenant à honorer ses échéances, c’est au prix d’expédients dont il n’est pas certain qu’elle puisse user à nouveau.

Alors que les recettes fiscales sont, depuis le début de l’année, inférieures de près d’un milliard d’euros de retard aux cibles anticipées, les dépenses de salaires et de retraites doivent continuer à être payées chaque mois. Cette fois-ci, le mur s’approche et un accord est nécessaire pour que le jeu continue. Au mois de juin, la Grèce doit verser 1,6 milliard d’euros au FMI en quatre tranches (les 5, 12, 16 et 19 juin). Un porte-parole du FMI a confirmé le 28 mai l’existence d’une règle permettant de grouper ces paiements le dernier jour du mois (règle qui aurait été invoquée pour la dernière fois par la Zambie dans les années 1980). Comme il faut 6 semaines ensuite au FMI pour considérer un défaut de paiement, la Grèce peut encore gagner quelques jours, au-delà du 30 juin et avant les échéances auprès de la BCE (avec 2 tranches pour 3,5 milliards d’euros le 20 juillet 2015).

Dans l’histoire, très peu de pays n’ont pas honoré leurs paiements auprès du FMI (actuellement seuls la Somalie, le Soudan et le Zimbabwe ont des arriérés auprès du FMI pour quelques centaines de millions de dollars). Le FMI étant le dernier recours en cas de crise de liquidité ou de balance des paiements, il dispose, à ce titre, d’un statut de créancier préférentiel et un défaut sur sa dette peut déclencher des défauts croisés sur d’autres titres, en particulier, dans le cas grec, ceux détenus par le FESF, les rendant exigibles immédiatement. Un défaut de la Grèce auprès du FMI pourrait ainsi compromettre l’ensemble de la dette publique grecque et obligerait la BCE à refuser les bons grecs comme collatéral dans les opérations de l’Emergency Liquiditity Assistance (ELA), seul pare-feu restant contre l’effondrement du système bancaire grec.

Les conséquences juridiques d’un tel défaut sont difficiles à appréhender (ce qui en dit long sur le système financier moderne). Un article publié par la Banque des Règlements Internationaux, daté de juillet 2013, et dont l’auteur, Antonio Sáinz de Vicuña, était à l’époque directeur général des services légaux de la BCE, est très informatif sur cette question dans le cadre de l’union monétaire (voir Figure 1).

En présentant le cadre légal, il s’attarde bien évidemment sur l’article 123 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), un des piliers de l’Union monétaire, qui interdit le financement par la BCE ou les banques centrales nationales des administrations publiques[1]. Dans une note en bas de page, l’auteur concède que cette règle a deux exceptions :

–          Les institutions de crédit publiques peuvent obtenir des liquidités auprès de l’Eurosystème dans les mêmes conditions que les banques privées. Cette exception apparaît explicitement dans le paragraphe 2 de l’article 123 du TFUE[2].

–          Le financement des obligations des Etats vis-à-vis du FMI (notre traduction).

Ce deuxième aspect a attiré notre attention car il est peu connu du grand public, il n’apparaît pas explicitement dans le Traité et pourrait constituer une solution, au moins à court terme pour éviter que la Grèce soit mise en défaut de paiement par le FMI.

Figure 1-Copie de la note en bas de page 6 de l’article de Sáinz de Vicuña

BISEn cherchant dans le corpus juridique européen, cette exception est définie plus précisément dans le règlement n°3603/93 du Conseil qui précise les termes de l’actuel article 123 du TFUE, ce qui lui est autorisé par le paragraphe 2 de l’article 125 du TFUE[3]. Plus précisément il apparaît dans l’article 7 :

Le financement, par la Banque centrale européenne et par les banques centrales nationales, des obligations incombant au secteur public à l’égard du Fonds monétaire international ou résultant de la mise en œuvre du mécanisme de soutien financier à moyen terme institué par le règlement (CEE n° 1969/88 (4)) n’est pas considéré comme un crédit au sens de l’article 104 du Traité[4].

La motivation de cet article s’explique : lors des hausses des quotes-parts dans le FMI, le financement par la banque centrale était accepté car il avait comme contrepartie un actif assimilable à des réserves internationales. Selon l’esprit de la loi, on ne devrait donc pas permettre de financer les emprunts grecs auprès du FMI par un crédit auprès d’une banque centrale (la BCE ou la Banque de Grèce). Les obligations incombant à l’Etat grec ne concernent, selon l’esprit du texte, probablement que la contribution aux quotes-parts du FMI. Néanmoins, l’esprit de la loi n’est pas la loi, et l’interprétation exacte de la phrase « obligations incombant au secteur public à l’égard du Fonds monétaire international » pourrait ouvrir une porte de plus à la Grèce. Compte tenu des conséquences d’un défaut auprès du FMI – notamment sur la continuité de l’ELA –­ on pourrait le justifier pour préserver le fonctionnement du système de paiement grec, préservation qui rentre dans les missions de la BCE.

Au-delà de la possibilité juridique du financement par une banque centrale de la dette grecque auprès du FMI, qui serait certainement contestée par certains gouvernements, cette action ouvrirait un conflit politique. En effet, un Etat membre pourrait être accusé de contrevenir aux (à l’esprit des) Traités, bien que cela ne soit pas un motif pour l’exclure (selon les services juridiques de la BCE). Mais est-ce bien un obstacle au regard des enjeux qu’un défaut sur la dette grecque poserait pour la pérennité de la Monnaie unique ?

Les problèmes de trésorerie de la Grèce ne sont pas nouveaux. Depuis le mois de janvier, le gouvernement a financé ses dépenses grâce à des opérations comptables qui lui ont permis de pallier les moins-values fiscales. En particulier, le 12 mai, le gouvernement grec a pu rembourser une tranche du crédit du FMI en puisant dans un fond d’urgence assimilable à des réserves internationales. L’Eurosystème pourrait accorder par le biais de cette exception un délai supplémentaire à la Grèce, afin de prolonger encore un peu les négociations et éviter l’accident.


[1] Le paragraphe 1 de article stipule que « [il] est interdit à la Banque centrale européenne et aux banques centrales des États membres, ci-après dénommées “banques centrales nationales”, d’accorder des découverts ou tout autre type de crédit aux institutions, organes ou organismes de l’Union, aux administrations centrales, aux autorités régionales ou locales, aux autres autorités publiques, aux autres organismes ou entreprises publics des États membres. L’acquisition directe, auprès d’eux, par la Banque centrale européenne ou les banques centrales nationales, des instruments de leur dette est également interdite.

[2] Qui stipule que « [l]e paragraphe 1 ne s’applique pas aux établissements publics de crédit qui, dans le cadre de la mise à disposition de liquidités par les banques centrales, bénéficient, de la part des banques centrales nationales et de la Banque centrale européenne, du même traitement que les établissements privés de crédit. »

[3] Qui stipule que : « [l]e Conseil, statuant sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, peut, au besoin, préciser les définitions pour l’application des interdictions visées aux articles 123 et 124, ainsi qu’au présent article. »

 [4] L’article 104 est devenu l’actuel article 123 du TFUE.