La Grèce sur la corde raide

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par Céline Antonin, Raul Sampognaro, Xavier Timbeau et Sébastien Villemot

Ce texte résumé l’étude spéciale : « La Grèce sur la corde raide ».

Depuis le début de l’année 2015, une forte pression s’exerce sur le nouveau gouvernement grec. Alors qu’il est en pleine négociation en vue d’une restructuration de sa dette, il doit faire face à une succession d’échéances de remboursement. Le 12 mai 2015, 750 millions d’euros ont pu être remboursés au FMI en puisant sur les réserves internationales du pays, signe que les contraintes de liquidité deviennent de plus en plus prégnantes comme l’atteste la lettre envoyé par A. Tsipras à C. Lagarde quelques jours avant l’échéance. Le répit sera de courte durée : en juin, le pays doit encore rembourser au FMI un total de 1,5 milliard d’euros. Ces deux premières échéances ne sont qu’un prélude au « mur de la dette » auquel devra faire face le gouvernement pendant l’été puisqu’il devra honorer un remboursement de 6,5 milliards d’euros à la BCE.

Jusqu’à présent, la Grèce a payé en dépit des difficultés et de la suspension du programme d’aide négocié avec les institutions (ex-troïka). Ainsi les 7,2 milliards d’euros de déboursements sont bloqués depuis février 2015 et la Grèce doit trouver un accord avec l’ex-troïka avant le 30 juin si elle veut pouvoir bénéficier de cette manne financière, faute de quoi les échéances auprès de la BCE et du FMI conduiraient la Grèce au défaut de paiement.

Outre les remboursements extérieurs de la Grèce, le pays doit également honorer ses dépenses courantes (salaires des fonctionnaires, pensions de retraite). Or, les nouvelles sur le front budgétaire ne sont pas très encourageantes (voir State Budget Execution Monthly Bulletin, March 2015) : sur les trois premiers mois de l’année, les recettes courantes sont inférieures de près de 600 millions d’euros aux projections. Seule l’utilisation de fonds européens préalablement versés, combinée à la baisse comptable des dépenses (qui sont inférieures de 1,5 milliard d’euros aux prévisions) ont permis au gouvernement grec de dégager un excédent de 1,7 milliard d’euros et d’honorer ses échéances. Ainsi, par des opérations comptables, le gouvernement grec a vraisemblablement transféré sa dette soit vers des organismes publics soit vers ses fournisseurs, confirmant ainsi le fort poids des contraintes de liquidité qui pèsent sur l’État. Les données préliminaires à l’issue du mois d’avril (à prendre avec prudence car elles ne sont ni définitives ni consolidées pour l’ensemble des administrations publiques) semblent néanmoins nuancer le constat. Fin avril, les rentrées fiscales auraient retrouvé leur niveau attendu, mais la capacité du gouvernement à générer les liquidités pour éviter le défaut de paiement s’expliquerait par un coup de frein sur la dépense publique à travers les opérations comptables décrites ci-dessus. Ces manipulations comptables ne sont que des mesures d’urgence et il est grand temps, 6 ans après le déclenchement de la crise grecque, de mettre fin au psychodrame et de trouver enfin une solution pérenne aux problèmes budgétaires de la Grèce.

Notre étude « la Grèce : sur la corde raide » s’interroge sur la meilleure solution pour résoudre durablement la crise de l’endettement en Grèce et les potentielles conséquences d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Nous concluons que le scénario le plus raisonnable est celui d’une restructuration avec réduction significative de la valeur présente de la dette publique (qui serait portée à 100 % du PIB grec). Lui seul permet de diminuer sensiblement la probabilité de sortie de l’euro, ce qui est non seulement dans l’intérêt de la Grèce mais également de la zone euro dans son ensemble. En outre, ce scénario diminuerait l’ampleur de la dévaluation interne nécessaire pour stabiliser la position extérieure grecque.

Si l’Eurogroupe refusait la restructuration de la dette grecque, un nouveau programme d’aide devrait alors être accordé afin d’interrompre la crise de confiance en cours et d’assurer le financement des besoins de trésorerie de l’État grec au cours des prochaines années. D’après nos calculs, cette solution nécessiterait un troisième plan d’aide autour de 95 milliards d’euros et son succès resterait tributaire des surplus budgétaires primaires conséquents (de l’ordre de 4 à 5% du PIB grec) que la Grèce devra produire au cours des prochaines décennies. L’expérience historique montre que le maintien d’un tel surplus pendant une période aussi longue ne peut pas être garanti, du fait des contraintes politiques, rendant un tel engagement peu crédible. Ainsi, un nouveau programme d’aide ne permettrait pas d’éliminer le risque d’une nouvelle crise de financement de l’État grec au cours des années à venir.

Pour le dire autrement, le remboursement intégral de la dette grecque repose sur la fiction d’un excédent budgétaire maintenu pendant plusieurs décennies. Se résoudre à la sortie de la Grèce de la zone euro induirait une perte significative de la créance que le monde (principalement l’Europe) détient à la fois sur le secteur public grec (250 milliards d’euros) et sur le secteur privé (également de l’ordre de 250 milliards d’euros). À cette perte facile à quantifier s’ajouteraient les conséquences financières, économiques, politiques et géopolitiques de la sortie de la Grèce de la zone euro ou de l’Union Européenne. Le choix peut paraître facile, puisqu’un abandon de 200 milliards d’euros de créances sur l’État grec permettrait de sortir une bonne fois pour toute du psychodrame. Reste que l’impasse politique est grande et qu’il est difficile d’abandonner 200 milliards d’euros sans de très fortes contreparties et sans évoquer la question de l’aléa moral, qui peut notamment pousser d’autres pays de la zone euro à demander des restructurations d’ampleur de leur dette publique.