Quelle gouvernance pour l’assurance chômage ?

par Bruno Coquet

La gouvernance est souvent présentée comme une cause essentielle de la persistance des problèmes que rencontre l’assurance chômage. Cela vise la difficulté des partenaires sociaux à s’accorder pour rétablir la situation financière de l’Unedic. En découle, comme une évidence, que seul un renforcement de l’État, réputé plus avisé et plus réactif, serait à même de sauver le régime. Tout paraît donc simple. Mais quels sont les faits, leurs causes, les causalités qui expliquent l’accumulation des problèmes, et la capacité d’un changement de gouvernance à les résoudre ?

Dans une publication récente (Policy Brief de l’OFCE, n° 57 du 13 juin 2019) un bilan factuel de la gouvernance de l’assurance chômage française telle qu’elle est organisée depuis 35 ans est élaboré . Nous partons du constat qu’il n’existe pas un modèle de gouvernance faisant autorité dans les pays comparables à la France, qui aurait pu être aisément dupliqué. Il apparaît ensuite qu’il faut tenir compte du fait que le système d’indemnisation du chômage, dont l’Unedic n’est qu’un compartiment, s’est profondément transformé depuis 1984.

Au-delà des apparences, le régime d’assurance, qui était à l’origine marginal dans l’ensemble du système d’indemnisation, est parvenu à absorber les chocs immenses qu’ont constitué la disparition des préretraites, l’attrition du régime de Solidarité, les profondes transformations du marché du travail, l’utilisation croissante des ressources de l’assurance chômage pour financer certaines politiques publiques. Ce faisant, l’assurance chômage se retrouve aujourd’hui au cœur du système.

Tous ces aspects institutionnels et factuels doivent être pris en considération pour apprécier l’efficacité de la gouvernance et ses lacunes. Replacée dans ce contexte, la gouvernance paritaire n’apparaît pas avoir été excessivement inerte, conservatrice ou indocile, car le régime a été souvent et profondément adapté, alors même que la porosité budgétaire avec l’État compliquait considérablement la tâche. Cette gouvernance n’est pas exempte de critiques, mais bien plus efficace et moins discutable que celle mise en œuvre par l’État pour le Fonds de Solidarité. Ces expériences sont riches d’enseignements.

Un système incomplet ou bancal ne peut pas être bien gouverné : refonder l’assurance chômage sur des bases saines est donc un préalable nécessaire à sa bonne gouvernance. Nous faisons cinq propositions en ce sens : rétablir des principes et des objectifs clairs, une gestion opérationnelle rigoureuse, une gouvernance paritaire sous la houlette de l’État, obéissant à des procédures strictes, instrumentées, transparentes.




« Comme d’habitude », l’OFCE optimiste sur la croissance ?

par Magali Dauvin et Hervé Péléraux

Au printemps 2019, l’OFCE a prévu une croissance du PIB réel de 1,5 % pour 2019 et de 1,4 % pour 2020 (soit 2,9 % de croissance cumulée). Au même moment, la moyenne des prévisions compilées par le Consensus Forecasts[1] était de 1,3 % chacune de ces deux années (soit 2,6 % cumulés), avec un écart-type autour de la moyenne de 0,2 point. Cette différence a conduit certains observateurs à qualifier les prévisions de l’OFCE « d’optimistes comme d’habitude », celles du Consensus ou d’instituts qui affichent des prévisions moins favorables étant jugées plus « réalistes » dans la phase conjoncturelle actuelle.

Une prévision de croissance est le résultat d’un exercice de recherche, fondé sur l’évaluation des tendances générales de l’économie et de l’incidence sur l’activité des politiques économiques (notamment budgétaires, fiscales et monétaires) et des chocs exogènes (variation du prix du pétrole, mouvements sociaux, intempéries, tensions géopolitiques, …). Ces évaluations sont elles-mêmes basées sur l’estimation économétrique des comportements des agents économiques qui permettent de chiffrer leur réponse à ces chocs. Il est donc délicat de commenter ou de comparer le chiffre de croissance affiché par différents instituts sans présenter clairement le cheminement analytique qui le sous-tend, ni exposer les principales hypothèses sur les tendances ou sur les mécanismes à l’œuvre dans l’économie.

Cependant, même si la rigueur de la démarche appuyant les prévisions de l’OFCE ne peut être suspectée, la question d’une surestimation chronique des évaluations conduites par l’OFCE est légitime. Dans ce cas, les prévisions publiées au printemps 2019 seraient effectivement entachées d’un biais d’optimisme qu’il conviendrait de tempérer, avant que l’OFCE lui-même ne réadapte ses outils à un contexte nouveau pour regagner en précision de ses prévisions si besoin était.

Pas de surestimation systématique

Le graphique 1 représente les prévisions cumulées du PIB français par l’OFCE pour l’année en cours et l’année suivante et les compare aux réalisations des comptes nationaux en cumul sur deux années également. Au vu de ces résultats, les prévisions de l’OFCE ne souffrent pas d’un biais systématique d’optimisme. Pour les prévisions conduites en 2016 et 2017, la croissance mesurée par les comptes nationaux est plus élevée que celle anticipée par l’OFCE, révélant certes une erreur de prévision mais pas une vision exagérément optimiste de la reprise.

L’inverse est observé lors des prévisions de 2015 portant sur 2015 et 2016 ; l’effet favorable du contrechoc pétrolier et de la dépréciation de l’euro face au dollar durant la seconde moitié de 2014 a en effet été plus lent à se matérialiser que ce qu’escomptait l’OFCE. L’année 2016 a aussi été marquée par des facteurs ponctuels comme les inondations du printemps, les grèves dans les raffineries, le climat anxiogène créé par la vague d’attaques terroristes et la fin annoncée du suramortissement fiscal pour les investissements industriels.

D’une manière générale, il n’apparaît pas de surestimation systématique de la croissance par l’OFCE, même si certaines périodes s’illustrent particulièrement, comme les années 2007 et 2008 pour lesquelles les répercussions négatives de la crise financière sur l’activité réelle n’ont pas été anticipées par nos modèles durant 4 prévisions consécutives. Au final, sur les 38 prévisions conduites depuis mars 1999, 16 affichent une surestimation, soit 40 % du total, les autres ayant conduit à une sous-estimation de la croissance.

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Des prévisions davantage en ligne avec les comptes définitifs

Par ailleurs, la précision des prévisions ne devrait pas être seulement évaluée par rapport aux comptes nationaux provisoires car les premières estimations de l’INSEE sont fondées sur une connaissance partielle de la conjoncture réelle. Elles sont révisées au fur et à mesure de la construction des comptes annuels et des remontées d’informations fiscales et sociales qui conduisent à une version aboutie, et donc définitive, des comptes deux ans et demi après la fin de l’année[2].

Le tableau 1 compare les prévisions faites par l’OFCE et par les instituts participant au Consensus au printemps de chaque année pour l’année en cours et évalue leurs erreurs respectives d’un côté vis-à-vis des comptes provisoires et de l’autre vis-à-vis des comptes révisés. En moyenne depuis 1999, les prévisions de l’OFCE surestiment les comptes provisoires de 0,25 point. Les prévisions issues du Consensus paraissent quant à elles plus précises avec une erreur de 0,15 point vis-à-vis du compte provisoire. En revanche, par rapport aux comptes définitifs, les prévisions de l’OFCE apparaissent en ligne (la surestimation disparaît), tandis que celles issues du Consensus sous-estiment finalement la croissance de 0,1 point en moyenne.

L’analyse statistique conduite sur longue période montre donc que, même si elles sont perfectibles, les prévisions de l’OFCE ne sont pas affectées d’un biais de surestimation quand on évalue leur précision par rapport aux comptes définitifs.

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[1] Le Consensus Forecasts est une publication de Consensus Economics qui compile les prévisions des principaux prévisionnistes du monde sur un grand nombre de variables économiques dans une centaine de pays. Pour la France, une vingtaine d’instituts y participent.

[2] Fin janvier 2019, l’INSEE a publié les comptes du 4e trimestre 2018, qui fournissaient une première évaluation de la croissance de l’ensemble de l’année 2018. Fin mai 2019, les comptes de l’année 2018, calés sur les comptes annuels provisoires publiés mi-mai 2019, ont été révisés une première fois. Une nouvelle révision des comptes 2018 interviendra en mai 2020, puis une dernière en 2021 avec la publication des comptes définitifs. Pour plus détail sur le processus de révision des comptes nationaux, voir Péléraux H., « Comptes nationaux : du provisoire qui ne dure pas », Blog de l’OFCE, 28 juin 2018.




Où en est vraiment la transition écologique en France ?

par Eloi Laurent

Le Grand débat national s’est achevé le 8 avril dernier sur un bien maigre programme d’action pour la transition écologique : dans son discours de « restitution », le Premier ministre en est resté au stade du constat, en reconnaissant « l’exigence de l’urgence climatique ». C’est le 25 avril que le Président de la République annonce une méthode originale pour enfin avancer sur ce chantier crucial : la convention citoyenne.

Il est capital pour le succès de cette entreprise que les 150 citoyennes et citoyens tirés au sort dans les semaines qui viennent pour soumettre au Parlement et au Gouvernement des propositions concrètes de politique publique soient correctement informés sur l’état réel de la transition écologique en France. De ce point de vue, cela commence mal.

Lors de la séance des questions au gouvernement du 22 mai, le Premier ministre fait la réponse suivante à un député de son parti qui l’interroge sur les ambitions écologiques de l’exécutif :

La vérité… c’est que cette transition écologique, dont nous connaissons l’urgence et à laquelle nous avons, par des textes et par des objectifs, rappelé que nous étions attachés, nous y sommes engagés. Ainsi, selon l’université de Yale, qui porte un regard indépendant et totalement déconnecté de la politique nationale ou européenne, la France est, à l’échelle internationale, le deuxième pays en termes d’efficacité des politiques publiques menées pour accompagner la transition écologique.

Le Premier ministre fait ici référence au classement, assurément flatteur, de la France dans l’édition 2018 de l’Environmental Performance Index (EPI) publié conjointement par deux équipes de chercheurs de Yale et de Columbia. Mais la mobilisation de cette performance pose au moins trois problèmes.

Le premier est que cet indicateur ne mesure pas « l’efficacité des politiques publiques pour accompagner la transition écologique ». Il évalue, à travers un système de pondérations d’indices, la synthèse de deux dimensions : la « vitalité des écosystèmes » et la « santé environnementale ». Sur les 24 indicateurs utilisés, seuls trois reflètent partiellement une politique publique (en l’occurrence de protection de la biodiversité). Rien n’est dit par exemple du poids de la fiscalité environnementale, des dépenses publiques pour la protection de l’environnement, de l’importance des éco-activités, etc.

Plus fondamentalement encore, comme il est clairement indiqué dans les annexes techniques de l’indicateur 2018, les données les plus récentes incorporées datent de 2017, souvent de 2016, soit avant que les mesures de transition prises par le gouvernement actuel n’aient pu produire leurs effets.

L’examen de la « performance environnementale » de la France révèle en outre des bizarreries méthodologiques qui laissent sceptique sur la valeur d’ensemble de l’EPI. Le très bon score français s’explique notamment par le fait que le pays est classé deuxième en matière de « vitalité des écosystèmes », dimension qui compte pour 60% dans le score total (elle n’est que 11e en matière de « santé environnementale »[1]). Au sein de cette dimension, la France arrive deuxième en matière de « pollution de l’air », mesurée par les niveaux de SO2 (Dioxyde de souffre) et de NOx (Oxydes d’azote). Mais la France est classée 13e selon l’indicateur « qualité de l’air » qui prend en compte la pollution aux particules fines PM 2,5, particulièrement préoccupante dans les villes françaises (la France se classe en la matière autour du rang 90). La différence entre la « qualité de l’air » et la « pollution de l’air » tiendrait à la nature des polluants mesurés…

Comme expliqué récemment dans un Policy Brief de l’OFCE, la seule évaluation chiffrée existante de la stratégie écologique du gouvernement actuel, limitée à la transition énergétique-climatique (portée par la « Stratégie nationale bas carbone » et la « Programmation pluriannuelle de l’énergie »), montre que celle-ci est mal orientée : sur les neuf indicateurs principaux retenus pour le suivi de la transition énergétique par les pouvoirs publics, un seul est en 2017 conforme aux objectifs annoncés (avec des écarts pouvant atteindre plus de 20 %, comme dans le cas des émissions de gaz à effet de serre liées au secteur du bâtiment). Si l’on adopte une perspective plus large en prenant en compte les 28 indicateurs dont les données sont disponibles pour 2017 sur le site de l’Observatoire Climat-Énergie, on parvient à 70 % d’indicateurs mal orientés.

Cette contre-performance, en toute logique, ne peut être exclusivement imputée au gouvernement actuel. Mais il est indispensable de commencer le long travail de la transition écologique française, aujourd’hui littéralement enlisée dans bien des domaines clés (pollutions de l’air, nouveaux indicateurs de bien-être, déploiement des énergies renouvelables, fiscalité écologique, etc.), par un examen attentif et lucide de la réalité, qui révèle l’ampleur du chemin à parcourir.

 

[1] Le cas de la Suisse, classée première de l’EPI 2018, laisse apparaître un écart encore plus grand entre sa première place en matière de vitalité des écosystèmes et son dix-huitième rang en matière de santé environnementale. Pour une décomposition du score global des pays les mieux classés selon ces deux dimensions, voir ici 




L’euro-isation de l’Europe

par Guillaume Sacriste, Paris 1-Sorbonne et Antoine Vauchez, CNRS et Paris 1-Sorbonne

Dans le dernier article de La Revue de l’OFCE (n° 165, 2019) accessible ici, les auteurs analysent l’émergence d’un nouveau gouvernement européen, celui de l’euro, construit pour une large part à la marge du cadre institutionnel de l’Union. Ce faisant, il rend compte d’un processus de transformation de l’Europe (Union européenne et États membres), qu’on qualifie ici « d’€-isation de l’Europe », autour de trois dimensions : 1) la formation en son cœur d’un puissant pôle des Trésors, des banques centrales et des bureaucraties financières nationales et européennes ; 2) la consolidation d’un système de surveillance européen des politiques économiques des États membres ; 3) la progressive re-hiérarchisation des priorités politiques et des politiques publiques de l’Union européenne comme des États membres autour d’une priorité donnée à la stabilité financière, à l’équilibre budgétaire et aux réformes structurelles. L’article permet ainsi de redéfinir la nature des « contraintes » que la gestion de la monnaie unique fait peser sur les économies des États membres, des contraintes moins juridiques que socio-politiques, moins extérieures et surplombantes qu’immanentes et diffuses, et au final étroitement liées à la position clé désormais occupée par le réseau transnational de bureaucraties financières dans la définition des problèmes et des politiques européennes.




La taxation de l’héritage en France

par Clément Dherbécourt, France Stratégie

Dans la dernière publication de l’OFCE, revue n° 161-2019 accessible ici, l’auteur analyse l’évolution des taux effectifs d’imposition des héritages et donations en France des années 1870 à nos jours. Sur le long terme le taux d’imposition a évolué du fait des changements de barèmes, de la manière dont l’administration a évalué les biens transmis, mais aussi des changements dans la structure des transmissions. La période 1930-1950 est celle où les successions et donations ont été les plus taxées, notamment en ligne directe. À partir des années 1950 on assiste à une grande divergence des taux d’imposition entre les enfants et les conjoints d’une part et les parents éloignés et non-parents d’autre part. En ligne indirecte, le taux d’imposition moyen a très fortement augmenté au cours du temps pour atteindre 20 à 25% aujourd’hui.

À long terme l’augmentation de la part des successions et donations en ligne directe dans l’ensemble des transmissions a eu pour effet de modérer le taux moyen d’imposition. Cet effet pourrait se retourner dans les prochaines décennies du fait des évolutions démographiques.




Pourquoi est-il si difficile de réformer l’impôt en France ?

par Guillaume Allègre

Jusqu’ici, les réformes de la fiscalité des ménages ont consisté à rajouter un impôt (CSG, 1991), à en supprimer un (taxe d’habitation, 2018-2022) ou à déformer un impôt en particulier (voir les nombreuses modifications de la décote au titre de l’impôt sur le revenu) plutôt qu’à une remise à plat générale. Ceci nuit à la cohérence du système fiscal, à son efficacité, à sa transparence ainsi qu’à sa compréhension par les contribuables (et même souvent par les « experts »). L’exemple de la décote est parlant : elle est calculée après l’application du barème et consiste à réduire l’impôt des contribuables les moins aisés de façon inutilement complexe[1]. L’objectif est d’exonérer certains contribuables tout en réduisant le coût pour les finances publiques. Pour se faire, la décote crée des taux marginaux implicites plus élevés que les taux affichés à l’entrée de l’impôt de façon incompréhensible pour un contribuable lambda[2]. Une fois mise en place, il est politiquement difficile de la réformer. Les citoyens ne comprenant pas les tenants et aboutissants, ils peuvent croire qu’il y a un loup : simplifier c’est compliqué.

« 56% des foyers français ne payent pas l’impôt sur le revenu »[3]. Cette affirmation, vraie pour l’impôt sur le revenu stricto sensu, est répétée à longueur de tribunes et d’émissions télévisées. L’impôt universel, payé par tous les Français dès le premier euro de revenu, fait partie des revendications des gilets jaunes. Or, cet impôt existe déjà : la CSG impose les revenus du travail et du capital à 9,2% dès le premier euro (les petites pensions en sont exonérées). La CSG rapporte plus que l’impôt sur le revenu : elle a rapporté près de 100 milliards d’euros en 2017 alors que l’impôt sur le revenu (IR) a rapporté 77 milliards d’euros[4]. Cette superposition de deux impôts sur le revenu est une exception en comparaison internationale. Une solution, plus simple et transparente serait de fusionner IR et CSG, d’autant plus que les deux impôts sont maintenant prélevés à la source. Cette fusion est un serpent de mer. Elle faisait partie, avec le prélèvement à la source, des propositions du candidat Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012. Un rapport d’information de l’Assemblée nationale prônait ce rapprochement dès 2007 (voir également Allègre et al., 2007 : « Vers la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG »). Le rapport concluait que « fusionner IR et CSG permettrait à la fois d’éviter une trop grande concentration apparente de l’impôt sur un nombre réduit de contribuables et de prendre en compte les facultés contributives de tous les contribuables, y compris ceux qui ne sont imposés aujourd’hui principalement qu’à la CSG ». Elle aurait permis de remettre à plat les niches fiscales qui mitent l’IR : à l’époque, on en dénombrait 189 (contre 60 pour la CSG). La fusion permettrait ainsi de s’inspirer du meilleur des deux prélèvements : le rendement pour la CSG et la progressivité pour l’IR.

Alors pourquoi la réforme n’a jamais eu lieu ? Comme toute réforme de la fiscalité à rendement constant, elle ferait de nombreux perdants (et gagnants), notamment dans le bas de la distribution des revenus. Ceci s’explique entre autre par le fait que la CSG, prélevée directement sur les revenus du travail, est individualisée alors que l’IR tient compte de la composition des foyers fiscaux ainsi que de l’intégralité de leur revenu. L’IR est ainsi familialisé – par le quotient familial – et conjugalisé (il tient compte des revenus des deux conjoints). Alors que l’avantage du quotient familial est plafonné, celui du quotient conjugal ne l’est pas (voir Allègre, Périvier et Pucci, 2019 : « Imposition des couples en France et statut marital : simulation de trois réformes du quotient conjugal ». L’avantage maximal du quotient conjugal est de 32 000 euros par an pour les très hauts revenus, alors que le quotient familial est plafonné à 1 500 euros. L’individualisation de l’impôt impliquerait un gain en recettes fiscales de 7,2 milliards d’euros qui pourrait être redistribué sous forme de réduction d’impôt pour tous les ménages afin que le rendement global de l’impôt ne soit pas affecté. Une telle réforme n’a pas été menée jusqu’ici car les les réformes impliquant des transferts massifs entre différentes catégories de ménages n’étaient pas appréciées : le gain politique est perçu comme faible car les perdants protestent alors que les gagnants se taisent[5]. Ceci explique également l’absence de réforme de la taxe d’habitation et de la taxe foncière : calculés sur des valeurs locatives cadastrales qui n’ont jamais été actualisées, ces deux impôts sont particulièrement inéquitables[6]. Une grande réforme fiscale aurait pu fusionner taxe foncière, IFI et droits de mutation à titre onéreux (« frais de notaires ») en un impôt s’appuyant sur la valeur de marché de l’habitation nette de l’endettement. Mais au lieu de remettre à plat la fiscalité, le gouvernement Philippe a décidé de supprimer intégralement la taxe d’habitation sans toucher, jusqu’ici, à la taxe foncière. La suppression intégrale de la taxe d’habitation bénéficiera principalement aux ménages les plus riches (voir Madec, 2018 : « Exonération de taxe d’habitation pour tous » : quand justice fiscale rime avec inégalités… » alors que l’exonération pour 80% des ménages seulement était la principale proposition du candidat Macron en direction de la classe moyenne. Résultat, l’ensemble des réformes socio-fiscales du gouvernement Philippe sont dégressives avant même la prise en compte de l’exonération totale de la taxe d’habitation (voir Madec et al., 2018 : « Budget 2019 : du pouvoir d’achat mais du déficit » , graphique 4 ).

Une remise à plat de l’ensemble de la fiscalité, locale et nationale, est nécessaire. La baisse de la fiscalité, entamée en 2018 et poursuivie en 2019, aurait pu être l’occasion d’une grande réforme fiscale qui aurait limité le nombre de perdants, notamment dans le bas de l’échelle des revenus. L’opportunité d’une réforme globale a été gâchée. Une réforme future pourrait revenir sur les avantages fiscaux accordés aux plus aisés afin de limiter l’impact sur les plus pauvres. Comme toute réforme visant une plus grande équité socio-fiscale, cela ne se fera pas sans mécontenter une partie de la population mais c’est le rôle des politiques d’arbitrer entre les revendications des différents groupes sociaux.

 

[1] Le montant de la décote est égal à la différence entre le plafond applicable en fonction de la situation familiale du contribuable (1 196 € pour les contribuables célibataires, divorcés ou veufs et 1 970 € pour les contribuables soumis à imposition commune) et les trois-quarts du montant de l’impôt brut résultant du barème.

[2] Le taux marginal implicite passe ainsi passe de 0 % à 28 %, avant de descendre à 14 %, pour remonter à 30 %, 40 puis 45 % (voir Pacifico et Trannoy, 2015 : « Abandonner la décote, cette congère fiscale »)

[3] Ce chiffre correspond aux foyers fiscaux. Il peut toutefois y avoir plusieurs foyers fiscaux dans un même ménage, certains payant l’impôt sur le revenu et d’autres ne le payant pas (concubin ou enfant par exemple). Le nombre de ménages imposables est donc plus élevé.

[4] Avec la mise en place du prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital et la bascule des cotisations sur la CSG, l’écart va augmenter.

[5] Notons néanmoins que la bascule cotisations/CSG fait beaucoup de gagnants et perdants (entre salariés du privé qui gagnent à la réforme et retraités fonctionnaires qui y perdent). Ce gouvernement, contrairement aux autres, ne semble donc pas avoir peur des gros transferts.

[6] La valeur locative cadastrale est calculée à partir des conditions du marché locatif au 1er janvier 1970. Si l’inflation a été prise en compte, les évolutions structurelles du marché immobilier depuis 50 ans n’ont pas modifié le calcul de la taxe.




L’impératif de soutenabilité économique, sociale et environnementale

par OFCE[1], ECLM[2], IMK[3], AKW[4]

À l’apogée de la crise de la dette souveraine en zone euro, nous nous sommes engagés dans un examen annuel de la croissance : iAGS -independant Annual Growth Survey. Le projet a fait l’objet d’un premier débat à la fin de l’année 2011 et le premier rapport a été publié en novembre 2011. Notre objectif, en collaboration avec le groupe S & D au Parlement européen, a consisté à discuter et à remettre en question la contribution de la Commission européenne au Semestre européen. Concrètement, il s’agissait de pousser la Commission européenne vers une politique macroéconomique plus réaliste, c’est-à-dire moins axée sur la réduction à court terme de la dette publique, et plus consciente des conséquences sociales de la crise et du parti-pris d’austérité. Pendant 7 ans, nous avons plaidé contre une austérité brutale qui ne permettait pas de contrôler la dette publique, nous avons mis en garde contre le risque catastrophique de la déflation. Nous avons également alerté sur les conséquences sociales de la combinaison mortelle de la crise économique, de la flexibilité accrue du marché du travail et de l’austérité sur les inégalités, en particulier dans la partie basse de la répartition des revenus. Nous ne pouvons pas prétendre avoir changé à nous seuls les politiques de l’Union, mais au moins avoir eu une influence, bien qu’insuffisante et trop tardive pour éviter les cicatrices laissées par la crise.

Aujourd’hui, il est nécessaire de faire de cette initiative un grand pas en avant. L’adoption des ODD (Objectifs de Développement Durable) nécessite une nouvelle approche de la gouvernance économique et de la croissance économique. La mesure de la performance économique doit évoluer vers la mesure du bien-être selon les trois aspects du développement durable – économique, social et environnemental. À cet effet, un large éventail de politiques doit être mobilisé de manière cohérente, ce qui doit faire passer la politique budgétaire d’un rôle dominant à un rôle de facilitation et de soutien. De plus, ces politiques doivent être ancrées dans une stratégie à long terme cohérente et inclusive et doivent être suivies de près pour contrôler qu’elles sont durables.

Jusqu’à présent, l’UE n’a pas adopté cet agenda de manière satisfaisante, et le processus du Semestre européen toujours en vigueur ne permet pas de conduire l’UE vers la réalisation des ODD. De la même manière que l’iAGS a contesté l’orthodoxie dominante dans le domaine macroéconomique, l’iASES 2019 – independant Annual Sustainable Economic Survey, le nouveau nom de l’iAGS – constitue notre contribution au soutien et à la promotion d’une stratégie soutenable.

L’iASES 2019 dresse les perspectives économiques pour l’UE. Le ralentissement à venir résulte en grande partie de l’atténuation progressive de la reprise après la Grande Récession, et de la convergence des taux de croissance vers une trajectoire de croissance potentielle plus faible. Le ralentissement de la croissance coïncide avec la reprise des turbulences politiques: le Brexit, les finances publiques italiennes, la guerre commerciale et les turbulences dans certains pays émergents. La reprise prendra fin à un moment donné, et la zone euro n’est pas encore préparée à cela, car les déséquilibres persistent et le cadre institutionnel reste incomplet[5]. La zone euro a dégagé un excédent commercial important, qui pourrait ne pas être soutenable. La convergence nominale reste un problème important qui doit être résolu par la volonté politique de coordonner plus activement l’évolution des salaires, à commencer par ceux des pays excédentaires. En outre, l’adoption partielle d’une union bancaire peut s’avérer insuffisante pour assurer la stabilité bancaire en cas de chocs défavorables. La BCE pourrait être contrainte à la mise en œuvre de nouvelles politiques de soutien non conventionnelles, politiques qui pourraient être complétées par des mesures automatiques de stabilisation budgétaire transfrontalières au sein de l’UEM.

La situation sociale s’est légèrement améliorée dans l’Union européenne depuis le pire de la crise et, en moyenne, les taux de chômage dans les pays européens ont retrouvé leur niveau d’avant la crise. Cependant, les différences entre les pays et les couches de la population sont encore importantes. Les responsables politiques doivent être conscients des compromis et synergies possibles entre les objectifs économiques, sociaux et environnementaux en général et les objectifs de développement durable en particulier[6]. Conformément aux ODD et aux objectifs visés par le Socle européen des droits sociaux, iASES vise à promouvoir des politiques -développement des investissements sociaux, politiques industrielles volontaristes, réduction du temps de travail, augmentation de la négociation collective afin de limiter la formation d’inégalités primaires- qui répondent à ces objectifs et permettent de surmonter les conséquences négatives directes et indirectes du chômage.

Le changement climatique est sans doute le défi le plus sérieux auquel nous sommes collectivement confrontés. Il parait donc utile de calculer les budgets carbone pour avertir les décideurs politiques des efforts à fournir pour mettre la société sur la voie de la soutenabilité environnementale. L’iASES évalue la « dette climatique », c’est-à-dire le montant que les pays devront investir ou payer pour qu’ils ne dépassent pas leur budget carbone, ce qui donne lieu à trois informations politiques clés. Il ne reste que quelques années aux grands pays européens avant d’épuiser leur budget carbone sous l’objectif de + 2 ° C. Par conséquent, la dette carbone devrait être considérée comme l’un des problèmes majeurs des décennies à venir car, dans le scénario de référence, elle représente environ 50% du PIB de l’Union européenne pour rester en dessous de + 2 ° C[7]. Il faut délibérément formuler la question du climat en terme de dette, car le concept de déficit excessif s’applique aujourd’hui totalement à la procrastination qui nous caractérise sur ce point.

 

[1] Coordination par Xavier Timbeau. Contributeurs : Guillaume Allègre, Christophe Blot, Jérôme Creel, Magali Dauvin, Bruno Ducoudré, Adeline Gueret, Lorenzo Kaaks, Paul Malliet, Hélène Périvier, Raul Sampognaro, Aurélien Saussay.

[2] Economic Council of the Labour Movement. Contributeurs : Jon Nielsen, Andreas Gorud Christiansen.

[3] Institüt für Macroökonomie und Konjunkturforschung. Contributeurs : Peter Hohlfeld, Andrew Watt.

[4] Chamber of Labour, Vienna. Contributeurs : Michael Ertl, Georg Feigl, Pia Kranawetter, Markus Marterbauer, Sepp Zuckerstätter.

[5] Cf. « Des défis à venir pour l’Union européenne », OFCE Policy Brief, n° 49, 5 février 2019.

[6] Cf. « Soutenabilité sociale : des Objectifs de Développement Durable aux politiques publiques », OFCE Policy Brief, n° 48, 5 février 2019.

[7] Cf. « Une évaluation exploratoire de la dette climatique », OFCE Policy Brief, n° 44, 11 décembre.




Pourquoi l’intégration économique des réfugiés est-elle si difficile ?

par Gregory Verdugo

L’immigration, mesurée par la part de nés à l’étranger[1], est en hausse dans les principaux pays de l’UE entre 2007 et 2017. Le tableau 1 montre que sa progression sur la dernière décennie est impressionnante au Royaume-Uni ou dans les pays scandinaves tandis qu’en France, où l’immigration est plus ancienne, la progression est plus modérée. Dans tous les pays, en 2017, à l’exception de la Hongrie, une large majorité des immigrés provient d’un pays hors-UE, tendance que la crise des réfugiés a renforcée.

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Le graphique 1 montre qu’en 2015, l’Europe a reçu 1,5 million de demandes de statut de réfugié. Ce pic représente le double de celui de 1992 au plus fort de la crise des réfugiés qui a suivi la chute du Mur de Berlin et la désintégration de la Yougoslavie.

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Bien avant la vague récente de réfugiés, de nombreuses études ont identifié que d’imposantes barrières ralentissaient l’intégration économique des immigrés, en particulier des réfugiés sur le marché du travail. Le graphique 2, reproduisant des estimations de Dustmann et al. (2017) à partir de l’Enquête européenne de 2008 sur les forces de travail, montre que les taux d’emploi des immigrés économiques d’origine non-européenne sont de 10 à 15 points inférieurs à ceux des natifs[2]. Pour les réfugiés des mêmes origines, l’écart avec les natifs est deux fois plus large jusqu’à atteindre 30 points.

graph 2

Comment expliquer que les réfugiés aient beaucoup moins de chance que les immigrés économiques d’être employés ? Une première explication se situe dans l’origine de la décision de migration. Les individus ne décident pas d’immigrer par hasard. La migration se prépare. Lorsqu’elle est coûteuse et s’appuie sur des motifs économiques, une prédiction simple de l’analyse économique des migrations est que ceux qui migrent sont sélectionnés positivement, c’est-à-dire que ce sont les mieux préparés et les plus capables de réussir au sein de leur population d’origine qui tentent leur chance à l’étranger (Borjas, 1987).

Or, par définition, la migration des réfugiés ne répond pas à des motifs économiques. Elle est subie afin d’échapper à l’insécurité physique et s’effectue dans l’urgence. Ces différences dans l’origine de la migration impliquent que les immigrés économiques sont mieux préparés. Dès leur arrivée, les immigrés économiques maîtrisent plus souvent la langue du pays d’accueil que les réfugiés. Ils sont guidés par des réseaux de solidarité nationale formés de compatriotes déjà installés dans le pays d’accueil qui facilitent leur recherche de travail et d’emploi. Chez les plus éduqués, les immigrés économiques ont des professions d’origine les plus facilement transposables dans le pays d’accueil, et ils sont plus souvent médecins et ingénieurs. Au contraire, les réfugiés sont plus souvent d’anciens fonctionnaires ou juristes spécialisés dans le droit de leur pays d’origine dont la valeur des connaissances est faible dans le pays d’accueil (Chiswick, Lee et Miller 2005).

Mais une autre caractéristique importante des réfugiés suggère qu’ils ont des incitations à rattraper leur retard. Les réfugiés fuyant les persécutions, la possibilité d’une migration de retour dans le pays d’origine est incertaine et n’est généralement pas possible à court ou moyen terme. Si l’insertion initiale des réfugiés pâtit de leur absence de préparation, leur horizon temporel est plus long que celui des immigrés économiques, ce qui les pousse à nouer des relations de long terme avec des membres du pays hôte et à investir dans du capital humain valorisable sur le marché du travail du pays d’accueil. Au fur et à mesure de leur séjour, les réfugiés se familiarisent avec leur pays d’accueil et alors que le travail qu’ils offrent devient plus semblable à celui des natifs, les écarts sur le marché du travail s’amenuisent progressivement. Conformément à ces prédictions, Dustmann et al. (2017) montrent que les écarts de taux d’emploi entre les natifs et les refugiés sont résorbés au bout de 20 ans de durée de séjour. De même, Cortes (2004) constate qu’aux États-Unis, si les réfugiés partent de plus bas, ils accumulent plus rapidement des connaissances et rattrapent le plus souvent les migrants économiques.

Bien sûr, même si la distinction entre migrant économique et réfugié est utile, elle est souvent trop simple par rapport à la réalité et la frontière entre les migrants économiques et réfugiés n’est pas toujours claire. En cas de guerre, l’insécurité physique s’accroît en même temps que l’économie d’un pays s’effondre. Alors que la plupart des réfugiés ne quittent pas les pays limitrophes, les motivations de ceux qui gagnent les pays occidentaux peuvent être multiples. Leur décision de migration combine vraisemblablement à la fois des considérations économiques et des motifs de sûreté. On parle de « migration mixte » ou « mélangée » pour désigner ces situations où la décision de migration s’appuie autant sur des facteurs économiques que des risques de violence (Van Hear, Brubaker, et Bessa, 2009). Dans ce cas, la capacité des réfugiés à s’assimiler peut être proche de celle des migrants économiques.

 

Pour en savoir plus : Gregory Verdugo, « L’Europe au défi de la nouvelle immigration » in OFCE, L’économie européenne 2019, Paris, Editions La Découverte, pp. 99-112.

[1] La notion d’immigré est statistique et non administrative. Elle se définit par le fait d’être né de nationalité étrangère à l’étranger. Pour offrir des données harmonisées entre pays, Eurostat et l’OCDE diffusent le nombre d’habitants nés à l’étranger, notion qui va au-delà du statut d’immigré car elle inclut les nationaux nés à l’étranger.

[2] Ces écarts sont ajustés par un modèle statistique prenant en compte les différences d’âge et de niveau d’éducation des immigrés par rapport aux natifs. En pratique, les écarts ajustés sont très proches de ceux non-ajustés.

 

Références

Borjas George, 1987, « Self-Selection and the Earnings of Immigrants », The American Economic Review, vol. 77, n° 4, pp. 531-53.

Chiswick Barry R., Yew Liang Lee et Paul W. Miller, 2005, « A Longitudinal Analysis of Immigrant Occupational Mobility: A Test of the Immigrant Assimilation Hypothesis1 », International Migration Review, vol. 39, n° 2, pp. 332-53.

Cortes Kalena E., 2004, « Are Refugees Different from Economic Immigrants? Some Empirical Evidence on the Heterogeneity of Immigrant Groups in the United States », The Review of Economics and Statistics, vol. 86, n° 2, pp. 465-80.

Dustmann Christian, Francesco Fasani, Tommaso Frattini, Luigi Minale et Uta Schönberg, 2017, « On the Economics and Politics of Refugee Migration », Economic Policy, vol. 32, n° 91, pp. 497-550.

OECD, 2018, « International Migration Outlook 2018 », Text. 2018.

Van Hear Nicholas, Rebecca Brubaker et Thais Bessa, 2009, « Managing Mobility for Human Development: The Growing Salience of Mixed Migration », MPRA Paper, n° 1.

 




Retour de la taxe carbone : les options en présence

par Audrey Berry et Éloi Laurent

Le « grand débat national », décidé et organisé par le pouvoir exécutif, va connaître son épilogue dans les prochaines semaines. Engendré par la révolte des « gilets jaunes » contre l’iniquité fiscale, il était logique qu’il suscite une réflexion sur la réforme de la fiscalité carbone, suspendue en décembre 2018, qui se trouve au point d’intersection exact entre les deux thèmes les plus débattus en ligne par les Français : « la transition écologique » et « la fiscalité et les dépenses publiques ».

Nous ajoutons aujourd’hui une dimension supplémentaire à ce débat en proposant d’instituer pour 2020 une contribution climat anti-précarité énergétique. C’est l’occasion d’éclairer pour les citoyens et les décideurs certaines des options de réforme en présence, avant, éventuellement, de trancher. Le Tableau 1 présente les caractéristiques des quatre propositions les plus abouties et détaillées présentées ces dernières semaines, dont la nôtre (il en existe bien d’autres).

Tabe_post2-4                    Sources : CAETerra Nova/I4CEIDDRIBerry-Laurent.

Les quatre propositions convergent clairement sur la nécessité de la justice sociale, dont elles font toutes à la fois un objectif en soi et la condition essentielle de l’acceptabilité politique d’une éventuelle nouvelle fiscalité carbone. Nous proposons d’aller plus loin dans cette logique, dans la perspective d’une véritable transition sociale-écologique, en affectant l’essentiel des revenus de la taxe carbone à la lutte contre la précarité énergétique. Plus précisément, notre proposition serait indolore pour les ménages modestes et accélérerait la rénovation énergétique des logements ainsi que le développement d’alternatives de mobilité durable accessibles à tous.

Nous proposons également, plus largement, de définir et de considérer quatre critères de réussite de la fiscalité carbone (efficacité écologique, justice sociale, conformité juridique et acceptabilité politique) en liant notamment les critères d’efficacité écologique et de conformité juridique, pour tirer pleinement les leçons des trois échecs passés de la fiscalité carbone en France (2001, 2010 et 2018).

Le gouvernement est désormais en possession de nombreuses options, précises et praticables, pour réintroduire un signal-prix dans le système fiscal français et tenir ainsi les engagements climatiques qu’il s’est lui-même donné tout en garantissant la justice sociale.

Une autre possibilité existe : celle de ne rien tenter, au nom de la prudence politique. Les modalités de cette option sont déjà connues : injustice sociale et inefficacité écologique. En matière de politique climatique, comme l’a montré il y a près de 15 ans le Rapport Stern, le coût de l’inaction est très supérieur à celui de l’action.

 

 




L’économie européenne 2019

par Jérôme Creel

L’ouvrage L’économie européenne 2019 dresse le bilan de l’Union européenne (UE) vingt ans après la naissance de l’euro et à quelques semaines de la nouvelle date-butoir du 12 avril 2019 supposée clarifier le scénario, impensable il y a encore quelques années, d’une sortie d’un État membre de l’UE, en l’occurrence le Royaume-Uni. Fêter l’anniversaire de l’euro dans ces conditions n’est donc pas chose aisée, tant les sujets de discorde et d’inquiétude sont nombreux.

L’euro aura vécu une enfance et une adolescence difficile : frappé à moins de dix ans par une crise financière mondiale sans précédent, il a montré très tôt sa résilience grâce aux efforts coordonnés de ses États membres. Les divergences financières entre pays créanciers et débiteurs replongent cependant bien vite la zone euro dans la crise dont elle sort après une surenchère de politiques monétaires expansionnistes et dotée de nouveaux instruments de gouvernance. Ceux-ci restent en cours d’achèvement (l’union bancaire) ou en phase d’extension de leurs prérogatives (le mécanisme européen de stabilité).

Vingt ans après, la zone euro et la gestion de l’euro en particulier ne ressemblent plus vraiment au projet initial et aux prévisions. L’ouvrage revient ainsi sur l’évolution du projet de monnaie unique, rapport officiel après rapport officiel depuis les années 1960 et sur l’influence allemande, notamment dans le domaine monétaire. Ainsi l’euro, largement approuvé par les citoyens européens est-il devenu une monnaie stable qui, en contribuant globalement à la stabilité des prix, a protégé le pouvoir d’achat des Européens. Ce n’est pas une mince réussite.

Cette réussite ne doit pas pour autant masquer les difficultés à faire émerger des convergences dans de nombreux domaines : structures des marchés du travail, dynamiques industrielles, politiques migratoires, systèmes de retraite, fiscalité des entreprises et adaptation aux défis numériques pour ne citer que ceux auxquels un chapitre est consacré. En l’absence de convergences structurelles entre ses États membres, la protection et le dynamisme attendus de l’appartenance à l’UE et à la zone euro ne semblent pas faire le poids face aux turbulences économiques et financières de l’économie mondiale. Les divergences nourrissent le ressentiment à l’égard du projet d’intégration européenne.

La persistance de spécificités nationales ou régionales rend difficile le renouveau du projet d’UE, dans une phase longue et ardue de sortie de crise économique. L’énergie qu’a dû déployer l’UE pour négocier et préparer le Brexit n’est sans doute pas étrangère au fait que le projet européen semble marquer le pas. Dépasser les divergences économiques et sociales à l’œuvre requerrait des instruments de politique publique plus performants ou nouveaux ; in fine, il y faudrait une volonté politique partagée qui fait aujourd’hui cruellement défaut.

 

L’économie européenne 2019, sous la direction de Jérôme Creel, Repères La Découverte

Disponible sous cairn (abonnés): https://www.cairn.info/economie-europeenne-2019–9782348041822.htm

Sommaire :

Introduction, par Jérôme Creel

I/ La genèse de l’euro : retour aux sources, par Sandrine Levasseur.

II/ La Banque centrale européenne au prisme de l’ordolibéralisme, par Marc Deschamps et Fabien Labondance.

III/ Les vingt ans de l’euro : bilan et enjeux futurs, par Christophe Blot, Jérôme Creel et Xavier Ragot.

IV/ Marché(s) du travail : à la recherche du modèle européen, par Eric Heyer et Pierre Madec.

V/ Dynamique et synchronisation des industries manufacturières de l’Union européenne, par Mattia Guerini, Mauro Napoletano et Lionel Nesta.

VI/ Brexit : une sortie impossible ?, par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak.

VII/ Quelle imposition des multinationales en Europe ?, par Guillaume Allègre et Julien Pellefigue.

VIII/ L’Europe des retraites : des réformes sous la pression de populations vieillissantes, par Frédéric Gannon, Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

IX/ L’Europe au défi de la nouvelle immigration, par Grégory Verdugo

X/ L’Europe face aux défis numériques, par Cyrielle Gaglio et Sarah Guillou.