« Comme d’habitude », l’OFCE optimiste sur la croissance ?

par Magali Dauvin et Hervé Péléraux

Au printemps 2019, l’OFCE a prévu une croissance du PIB réel de 1,5 % pour 2019 et de 1,4 % pour 2020 (soit 2,9 % de croissance cumulée). Au même moment, la moyenne des prévisions compilées par le Consensus Forecasts[1] était de 1,3 % chacune de ces deux années (soit 2,6 % cumulés), avec un écart-type autour de la moyenne de 0,2 point. Cette différence a conduit certains observateurs à qualifier les prévisions de l’OFCE « d’optimistes comme d’habitude », celles du Consensus ou d’instituts qui affichent des prévisions moins favorables étant jugées plus « réalistes » dans la phase conjoncturelle actuelle.

Une prévision de croissance est le résultat d’un exercice de recherche, fondé sur l’évaluation des tendances générales de l’économie et de l’incidence sur l’activité des politiques économiques (notamment budgétaires, fiscales et monétaires) et des chocs exogènes (variation du prix du pétrole, mouvements sociaux, intempéries, tensions géopolitiques, …). Ces évaluations sont elles-mêmes basées sur l’estimation économétrique des comportements des agents économiques qui permettent de chiffrer leur réponse à ces chocs. Il est donc délicat de commenter ou de comparer le chiffre de croissance affiché par différents instituts sans présenter clairement le cheminement analytique qui le sous-tend, ni exposer les principales hypothèses sur les tendances ou sur les mécanismes à l’œuvre dans l’économie.

Cependant, même si la rigueur de la démarche appuyant les prévisions de l’OFCE ne peut être suspectée, la question d’une surestimation chronique des évaluations conduites par l’OFCE est légitime. Dans ce cas, les prévisions publiées au printemps 2019 seraient effectivement entachées d’un biais d’optimisme qu’il conviendrait de tempérer, avant que l’OFCE lui-même ne réadapte ses outils à un contexte nouveau pour regagner en précision de ses prévisions si besoin était.

Pas de surestimation systématique

Le graphique 1 représente les prévisions cumulées du PIB français par l’OFCE pour l’année en cours et l’année suivante et les compare aux réalisations des comptes nationaux en cumul sur deux années également. Au vu de ces résultats, les prévisions de l’OFCE ne souffrent pas d’un biais systématique d’optimisme. Pour les prévisions conduites en 2016 et 2017, la croissance mesurée par les comptes nationaux est plus élevée que celle anticipée par l’OFCE, révélant certes une erreur de prévision mais pas une vision exagérément optimiste de la reprise.

L’inverse est observé lors des prévisions de 2015 portant sur 2015 et 2016 ; l’effet favorable du contrechoc pétrolier et de la dépréciation de l’euro face au dollar durant la seconde moitié de 2014 a en effet été plus lent à se matérialiser que ce qu’escomptait l’OFCE. L’année 2016 a aussi été marquée par des facteurs ponctuels comme les inondations du printemps, les grèves dans les raffineries, le climat anxiogène créé par la vague d’attaques terroristes et la fin annoncée du suramortissement fiscal pour les investissements industriels.

D’une manière générale, il n’apparaît pas de surestimation systématique de la croissance par l’OFCE, même si certaines périodes s’illustrent particulièrement, comme les années 2007 et 2008 pour lesquelles les répercussions négatives de la crise financière sur l’activité réelle n’ont pas été anticipées par nos modèles durant 4 prévisions consécutives. Au final, sur les 38 prévisions conduites depuis mars 1999, 16 affichent une surestimation, soit 40 % du total, les autres ayant conduit à une sous-estimation de la croissance.

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Des prévisions davantage en ligne avec les comptes définitifs

Par ailleurs, la précision des prévisions ne devrait pas être seulement évaluée par rapport aux comptes nationaux provisoires car les premières estimations de l’INSEE sont fondées sur une connaissance partielle de la conjoncture réelle. Elles sont révisées au fur et à mesure de la construction des comptes annuels et des remontées d’informations fiscales et sociales qui conduisent à une version aboutie, et donc définitive, des comptes deux ans et demi après la fin de l’année[2].

Le tableau 1 compare les prévisions faites par l’OFCE et par les instituts participant au Consensus au printemps de chaque année pour l’année en cours et évalue leurs erreurs respectives d’un côté vis-à-vis des comptes provisoires et de l’autre vis-à-vis des comptes révisés. En moyenne depuis 1999, les prévisions de l’OFCE surestiment les comptes provisoires de 0,25 point. Les prévisions issues du Consensus paraissent quant à elles plus précises avec une erreur de 0,15 point vis-à-vis du compte provisoire. En revanche, par rapport aux comptes définitifs, les prévisions de l’OFCE apparaissent en ligne (la surestimation disparaît), tandis que celles issues du Consensus sous-estiment finalement la croissance de 0,1 point en moyenne.

L’analyse statistique conduite sur longue période montre donc que, même si elles sont perfectibles, les prévisions de l’OFCE ne sont pas affectées d’un biais de surestimation quand on évalue leur précision par rapport aux comptes définitifs.

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[1] Le Consensus Forecasts est une publication de Consensus Economics qui compile les prévisions des principaux prévisionnistes du monde sur un grand nombre de variables économiques dans une centaine de pays. Pour la France, une vingtaine d’instituts y participent.

[2] Fin janvier 2019, l’INSEE a publié les comptes du 4e trimestre 2018, qui fournissaient une première évaluation de la croissance de l’ensemble de l’année 2018. Fin mai 2019, les comptes de l’année 2018, calés sur les comptes annuels provisoires publiés mi-mai 2019, ont été révisés une première fois. Une nouvelle révision des comptes 2018 interviendra en mai 2020, puis une dernière en 2021 avec la publication des comptes définitifs. Pour plus détail sur le processus de révision des comptes nationaux, voir Péléraux H., « Comptes nationaux : du provisoire qui ne dure pas », Blog de l’OFCE, 28 juin 2018.




Italie : sortir du double piège de l’endettement élevé et de la faible croissance

Par Céline Antonin, Mattia Guerini, Mauro Napoletano et Francesco Vona

Depuis 20 ans, l’Italie apparaît prisonnière d’une faible croissance, d’un endettement élevé et de faiblesses structurelles, exacerbées par la Grande récession de 2008. Ainsi, en 2018, le PIB par habitant en volume, corrigé des parités de pouvoir d’achat, atteint le même niveau qu’en 1999 (graphique 1). L’Italie est désormais devancée par l’Espagne ; elle est également le seul des quatre grands pays de la zone euro qui n’a pas retrouvé son niveau d’avant-crise. Dans un Policy brief intitulé « Italie : sortir du double piège de l’endettement élevé et de la faible croissance », après avoir étudié l’historique de l’endettement public, nous tentons de cerner les causes de la stagnation italienne, qui s’illustre également par la baisse de la productivité globale des facteurs (graphique 2). Le graphique 2 montre que cette productivité globale des facteurs en Italie a connu une baisse cumulée de 7,9 % au cours des 20 dernières années. Ceci contraste avec les gains d’efficacité enregistrés en France et en Allemagne, où la productivité a augmenté respectivement de 4,1 % et 7,9 %.

Nous mettons notamment en exergue quatre faiblesses structurelles qui rongent le pays : le biais de spécialisation vers les secteurs à faible contenu technologique, la petite taille (« nanisme ») des entreprises et son impact sur la productivité, la collusion et le népotisme qui entraînent une mauvaise allocation des talents et des ressources, et enfin la fracture Nord-Sud et ses conséquences sur le marché du travail. Ces faiblesses nous inspirent quatre recommandations politiques pour une relance de la croissance en Italie. Au préalable, nous sommes convaincus que pour résoudre les problèmes de l’Italie, seule une approche mixte prenant en compte les interactions entre facteurs de demande et facteurs d’offre structurels est pertinente. Parmi les pistes de solutions, nous plaidons pour des politiques industrielles favorisant l’accumulation des connaissances et l’apprentissage, et pour une relance de l’investissement public. Nous préconisons également l’introduction d’un salaire minimum, et la facilitation des politiques de reconversion professionnelle. Il nous paraît également indispensable de parachever l’Union bancaire et de résoudre le problème des prêts non performants afin d’améliorer la solidité du secteur bancaire italien. Enfin, nous concluons que le sort de l’Italie est inextricablement lié à celui de l’Europe et que l’Italie a besoin de davantage d’Europe pour retrouver le chemin de la croissance.

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L’impératif de soutenabilité économique, sociale et environnementale

par OFCE[1], ECLM[2], IMK[3], AKW[4]

À l’apogée de la crise de la dette souveraine en zone euro, nous nous sommes engagés dans un examen annuel de la croissance : iAGS -independant Annual Growth Survey. Le projet a fait l’objet d’un premier débat à la fin de l’année 2011 et le premier rapport a été publié en novembre 2011. Notre objectif, en collaboration avec le groupe S & D au Parlement européen, a consisté à discuter et à remettre en question la contribution de la Commission européenne au Semestre européen. Concrètement, il s’agissait de pousser la Commission européenne vers une politique macroéconomique plus réaliste, c’est-à-dire moins axée sur la réduction à court terme de la dette publique, et plus consciente des conséquences sociales de la crise et du parti-pris d’austérité. Pendant 7 ans, nous avons plaidé contre une austérité brutale qui ne permettait pas de contrôler la dette publique, nous avons mis en garde contre le risque catastrophique de la déflation. Nous avons également alerté sur les conséquences sociales de la combinaison mortelle de la crise économique, de la flexibilité accrue du marché du travail et de l’austérité sur les inégalités, en particulier dans la partie basse de la répartition des revenus. Nous ne pouvons pas prétendre avoir changé à nous seuls les politiques de l’Union, mais au moins avoir eu une influence, bien qu’insuffisante et trop tardive pour éviter les cicatrices laissées par la crise.

Aujourd’hui, il est nécessaire de faire de cette initiative un grand pas en avant. L’adoption des ODD (Objectifs de Développement Durable) nécessite une nouvelle approche de la gouvernance économique et de la croissance économique. La mesure de la performance économique doit évoluer vers la mesure du bien-être selon les trois aspects du développement durable – économique, social et environnemental. À cet effet, un large éventail de politiques doit être mobilisé de manière cohérente, ce qui doit faire passer la politique budgétaire d’un rôle dominant à un rôle de facilitation et de soutien. De plus, ces politiques doivent être ancrées dans une stratégie à long terme cohérente et inclusive et doivent être suivies de près pour contrôler qu’elles sont durables.

Jusqu’à présent, l’UE n’a pas adopté cet agenda de manière satisfaisante, et le processus du Semestre européen toujours en vigueur ne permet pas de conduire l’UE vers la réalisation des ODD. De la même manière que l’iAGS a contesté l’orthodoxie dominante dans le domaine macroéconomique, l’iASES 2019 – independant Annual Sustainable Economic Survey, le nouveau nom de l’iAGS – constitue notre contribution au soutien et à la promotion d’une stratégie soutenable.

L’iASES 2019 dresse les perspectives économiques pour l’UE. Le ralentissement à venir résulte en grande partie de l’atténuation progressive de la reprise après la Grande Récession, et de la convergence des taux de croissance vers une trajectoire de croissance potentielle plus faible. Le ralentissement de la croissance coïncide avec la reprise des turbulences politiques: le Brexit, les finances publiques italiennes, la guerre commerciale et les turbulences dans certains pays émergents. La reprise prendra fin à un moment donné, et la zone euro n’est pas encore préparée à cela, car les déséquilibres persistent et le cadre institutionnel reste incomplet[5]. La zone euro a dégagé un excédent commercial important, qui pourrait ne pas être soutenable. La convergence nominale reste un problème important qui doit être résolu par la volonté politique de coordonner plus activement l’évolution des salaires, à commencer par ceux des pays excédentaires. En outre, l’adoption partielle d’une union bancaire peut s’avérer insuffisante pour assurer la stabilité bancaire en cas de chocs défavorables. La BCE pourrait être contrainte à la mise en œuvre de nouvelles politiques de soutien non conventionnelles, politiques qui pourraient être complétées par des mesures automatiques de stabilisation budgétaire transfrontalières au sein de l’UEM.

La situation sociale s’est légèrement améliorée dans l’Union européenne depuis le pire de la crise et, en moyenne, les taux de chômage dans les pays européens ont retrouvé leur niveau d’avant la crise. Cependant, les différences entre les pays et les couches de la population sont encore importantes. Les responsables politiques doivent être conscients des compromis et synergies possibles entre les objectifs économiques, sociaux et environnementaux en général et les objectifs de développement durable en particulier[6]. Conformément aux ODD et aux objectifs visés par le Socle européen des droits sociaux, iASES vise à promouvoir des politiques -développement des investissements sociaux, politiques industrielles volontaristes, réduction du temps de travail, augmentation de la négociation collective afin de limiter la formation d’inégalités primaires- qui répondent à ces objectifs et permettent de surmonter les conséquences négatives directes et indirectes du chômage.

Le changement climatique est sans doute le défi le plus sérieux auquel nous sommes collectivement confrontés. Il parait donc utile de calculer les budgets carbone pour avertir les décideurs politiques des efforts à fournir pour mettre la société sur la voie de la soutenabilité environnementale. L’iASES évalue la « dette climatique », c’est-à-dire le montant que les pays devront investir ou payer pour qu’ils ne dépassent pas leur budget carbone, ce qui donne lieu à trois informations politiques clés. Il ne reste que quelques années aux grands pays européens avant d’épuiser leur budget carbone sous l’objectif de + 2 ° C. Par conséquent, la dette carbone devrait être considérée comme l’un des problèmes majeurs des décennies à venir car, dans le scénario de référence, elle représente environ 50% du PIB de l’Union européenne pour rester en dessous de + 2 ° C[7]. Il faut délibérément formuler la question du climat en terme de dette, car le concept de déficit excessif s’applique aujourd’hui totalement à la procrastination qui nous caractérise sur ce point.

 

[1] Coordination par Xavier Timbeau. Contributeurs : Guillaume Allègre, Christophe Blot, Jérôme Creel, Magali Dauvin, Bruno Ducoudré, Adeline Gueret, Lorenzo Kaaks, Paul Malliet, Hélène Périvier, Raul Sampognaro, Aurélien Saussay.

[2] Economic Council of the Labour Movement. Contributeurs : Jon Nielsen, Andreas Gorud Christiansen.

[3] Institüt für Macroökonomie und Konjunkturforschung. Contributeurs : Peter Hohlfeld, Andrew Watt.

[4] Chamber of Labour, Vienna. Contributeurs : Michael Ertl, Georg Feigl, Pia Kranawetter, Markus Marterbauer, Sepp Zuckerstätter.

[5] Cf. « Des défis à venir pour l’Union européenne », OFCE Policy Brief, n° 49, 5 février 2019.

[6] Cf. « Soutenabilité sociale : des Objectifs de Développement Durable aux politiques publiques », OFCE Policy Brief, n° 48, 5 février 2019.

[7] Cf. « Une évaluation exploratoire de la dette climatique », OFCE Policy Brief, n° 44, 11 décembre.




L’investissement des entreprises pénalisé par le Brexit

par Magali Dauvin

À l’heure où les perspectives de commerce mondial demeurent orientées à la baisse[1], la demande intérieure britannique peine à rester dynamique : la consommation des ménages s’est essoufflée en fin d’année tandis que l’investissement chute de 0,2 % en 2018.

Cette dernière baisse est à imputer en quasi-totalité à l’investissement des entreprises non financières[2] (55% de la FBCF en volume) qui a baissé consécutivement durant les quatre trimestres de l’année (graphique 1) : atteignant -2,6 % en 2018.

L’investissement peut être expliqué par un modèle à correction d’erreur[3]. Celui utilisé à l’OFCE pour les prévisions de l’investissement des entreprises non financières au Royaume-Uni bénéficie d’un ajustement pouvant être considéré comme « correct » au regard de son pouvoir explicatif (le coefficient de détermination est de 85%) sur la période pré-referendum (1987T2 – 2016T2). Si nous simulons la trajectoire de l’investissement après le référendum de 2016 (en bleu clair), on remarque que celle-ci dévie des données d’investissement reportées par l’ONS (bleu foncé) de façon systématique[4].

Ce résultat est conforme à ceux que l’on peut trouver dans la littérature récente montrant également que les modèles tendent systématiquement à surévaluer le taux d’investissement des entreprises britanniques depuis 2016[5]. De 0,5 point de PIB en 2017, l’écart n’a cessé de progresser en 2018 pour atteindre un peu plus d’un point de PIB au dernier trimestre.

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Comment expliquer ce décrochage ? Nous interprétons cette déviation comme l’effet de l’incertitude liée au Brexit, en particulier celle sur les modalités commerciales futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Près de la moitié des échanges extérieurs britanniques sont en provenance ou à destination du marché unique. Bien que l’inclusion d’un indicateur d’incertitude (EPU, voir Bloom et al., 2007) dans l’équation d’investissement n’ait pas permis de l’identifier clairement, plusieurs études sur des données d’entreprises britanniques vont dans ce sens. Tout d’abord, les périodes d’incertitude accrue se caractérisent par un investissement significativement plus bas depuis la crise de 2008 (Smietbanka, Bloom et Mizen, 2018). Par rapport à un scénario sans référendum (i.e. sans Brexit), le passage à un régime avec des tarifs douaniers renégociés aurait eu pour effet :

– de diminuer le nombre d’entreprises britanniques entrant sur le marché européen et d’en avoir poussé davantage vers la sortie (Crowley, Exton et Han, 2019) ;

– de peser sur l’investissement des entreprises du fait de perspectives de tarifs douaniers similaires à ceux prévalant sous les règles de l’OMC (Gornicka, 2018).

La baisse de l’investissement « a coûté » 0,3 points de PIB en 2018[6] et ce coût pourrait augmenter à mesure que sont pris en compte les effets de second tour (ce n’est pas notre cas ici). Si les incertitudes ne se lèvent pas, le « Brexeternity » – expression employée pour caractériser la longue période de négociation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne – risquerait d’avoir un effet bien plus déprimant sur la croissance future britannique et le niveau de vie de ses citoyens.

 

[1] L’indicateur composite de l’OMC demeure en-dessous (96,3) de sa tendance de long-terme (100) depuis la mi-2018.

[2] Reporté par l’ONS (Office for National Statistics) comme du « Business Investment ». Les entreprises non financières détenues en partie ou en totalité par l’État sont inclues dans ce champ, mais elles représentent moins de 4% du total. Cette mesure de l’investissement ne tient pas compte des dépenses en logement, terrains, bâtiments existants ainsi que les coûts liés au transfert de propriété d’actifs non produits.

[3] Voir l’article de Ducoudré, Plane et Villemot (2015) dans la Revue de l’OFCE, n° 138, pour plus de détails sur la stratégie adoptée.

[4] Un léger décrochage est constaté à partir de 2015, au moment où la loi sur le référendum a été adoptée.

[5] En particulier les travaux de Gornicka (2018).

[6] Il s’agit de la contribution de l’investissement des entreprises non financières au PIB en 2018.

 

Bibliographie

Bloom N., Bond S. et Van Reenen J., 2007, « Uncertainty and investment dynamics », The review of economic studies, vol. 74, n° 2, 391-415.

Crowley M., Exton O. & Han L. (2019). « Renegotiation of Trade Agreements and Firm Exporting Decisions: Evidence from the Impact of Brexit on UK Exports », CEPR Discussion Paper, 13446.

Ducoudré B., Plane M., & Villemot S., 2015, « Équations d’investissement », Revue de l’OFCE, n° 138, 205-221.

Gornicka L., 2018, « Brexit Referendum and Business Investment in the UK », IMF Working Paper 18/247.

Smietanka P., Bloom N., & Mizen P., 2018, « Business investment, cash holding and uncertainty since the Great Financial Crisis », Bank Of England, Staff Working Paper, 753.




Espagne : un budget 2018 dans les clous, n’en déplaise à la Commission

Par Christine Rifflart

Avec un déficit à 3,1 % du PIB en 2017, l’Espagne a réduit son déficit de 1,4 point par rapport à 2016 et satisfait ses engagements vis-à-vis de la Commission européenne. Elle devrait franchir le seuil des 3 % en 2018 sans difficulté et serait donc le dernier pays à sortir de la Procédure pour déficit excessif (PDE), après la France en 2017. Après avoir été présenté à la Commission européenne le 30 avril, le budget 2018 a été voté au Congrès des députés espagnols le 23 mai dans un contexte politique extrêmement tendu qui a conduit le 1er juin à la destitution du président du gouvernement Mariano Rajoy (avec notamment le soutien des élus nationalistes basques du PNV qui avaient voté le budget 2018 quelques jours plus tôt). Il devrait être adopté au Sénat prochainement par une nouvelle majorité. L’orientation expansionniste du budget 2018, validée par le gouvernement du nouveau président socialiste Pedro Sanchez, ne satisfait pas la Commission qui juge l’ajustement des finances publiques insuffisant pour atteindre l’objectif de 2,2 % du PIB repris dans le Pacte de stabilité et de croissance 2018-2021. Selon les hypothèses du gouvernement précédent, non seulement le déficit reviendrait en dessous des 3 % mais la cible nominale serait respectée.

Certes, si, compte tenu de la vigueur de la croissance espagnole attendue en 2018, le déficit public sera facilement inférieur à 3 % en 2018 et répondra donc aux exigences fixées dans le cadre de la PDE, la nouvelle loi budgétaire ne va pas dans le sens de l’orthodoxie budgétaire attendue à Bruxelles. L’absence de majorité au Congrès des élus du Parti Populaire a conduit l’ex-président Mariano Rajoy à des alliances stratégiques avec Ciudadanos et le PNV pour faire adopter le budget 2018 (avec notamment l’espoir d’éviter des élections législatives anticipées), au prix d’importantes concessions :

  • Une hausse du salaire des fonctionnaires de 1,75 %[1] en 2018 et d’au moins 2,5 % en 2019, avec une hausse plus importante si la croissance du PIB est supérieure à 2,5 % (coût estimé à 2,7 milliards en 2018 et à 3,5 milliards en 2019 selon le gouvernement sortant) ;
  • Une baisse des impôts pour les ménages à bas revenus (via la hausse du seuil d’abattement fiscal de 12 000 à 14 000 euros de revenu par an, des crédits d’impôt pour les frais de garde, l’aide aux personnes handicapées et les familles nombreuses, baisse de l’impôt sur les revenus bruts salariaux compris entre 14 000 et 18 000 euros) (coût 835 millions en 2018 et 1,4 milliard en 2019) ;
  • La revalorisation des pensions et des retraites de 1,6 % en 2018 et 1,5 % en 2019 (coût de 1,5 et 2,2 milliards), en plus d’une hausse jusqu’à 3 % des pensions minimales et des non contribuables, et entre 1 et 1,5 % pour les pensions les plus basses (coût 1,1 milliard en 2018).

Selon l’ancien gouvernement, ces mesures coûteraient un peu plus de 6 milliards en 2018 (0,5 % du PIB) et près de 7 milliards en 2019 (0,6 % du PIB). La revalorisation des retraites devrait être en partie couverte par l’introduction d’une taxe sur les activités numériques (Google tax) en 2018 et 2019 dont les recettes sont attendues à 2,1 milliards d’euros. Au final, les dépenses qui devaient baisser de 0,9 point de PIB en 2018 selon les engagements inscrits dans le précédent PSC 2017-2020, ne baisseraient que de 0,5 point de PIB dans le PSC 2018-2021 (à 40,5 % du PIB) (tableau). Mais surtout, malgré les baisses d’impôts qui viennent d’être introduites, le surcroît de recettes attendu du supplément de croissance devrait représenter 0,1 point de PIB (à 38,3 % du PIB). De fait, le caractère redistributif du budget, combiné à la révision à la baisse de l’impact de la crise catalane sur l’économie (0,1 % du PIB selon l’AIReF[2]) ont conduit tous les instituts (Banque d’Espagne, gouvernement, Commission européenne) à relever leurs prévisions de croissance 2018 par rapport à celles de l’hiver dernier de 0,2 ou 0,3 point de PIB pour l’amener légèrement en dessous de 3 % (2,6 % pour l’OFCE selon nos prévisions d’avril[3]).

Table_post13-06Néanmoins, au-delà de l’optimisme partagé sur la croissance espagnole, le chiffrage diverge sur le coût des nouvelles mesures entre autorités espagnoles et Commission. Selon le gouvernement, le surcroît de croissance devrait comme on l’a dit, doper les recettes fiscales et neutraliser le coût attendu des nouvelles dépenses. En 2018, la réduction de 0,9 point du déficit (qui passerait de 3,1 % à 2,2 %) serait donc atteint par l’accroissement de 0,8 point de PIB du solde conjoncturel, combiné à la baisse de 0,2 point des charges de la dette, le solde structurel restant stable (la politique budgétaire deviendrait neutre au lieu d’être restrictive comme inscrit dans la version antérieure du Pacte). Mais ce scénario n’est pas partagé par Bruxelles[4], pour qui le coût des mesures, et notamment de la hausse du salaire des fonctionnaires est sous-évalué. Les dépenses devraient être plus importantes de 0,2 point de PIB et les recettes inférieures de 0,2 point de PIB que ce qui est annoncé par le gouvernement. Selon la Commission, le solde conjoncturel devrait certes s’améliorer de 0,9 point de PIB mais l’impulsion budgétaire dégraderait le solde structurel de 0,6 point de PIB. Dans ces conditions, le déficit franchirait bien la barre des 3 % mais la politique budgétaire deviendrait clairement expansionniste et l’objectif des 2,2 % ne serait pas atteint. Le déficit public se situerait à 2,6 % en 2018 (graphique 1).

IMG1_post13-06Cette orientation plus expansionniste du budget 2018 résulte avant tout de considérations politiciennes de l’ancien gouvernement Rajoy pour débloquer une impossibilité à gouverner (les faits ont d’ailleurs démontré la fragilité de cette posture). Néanmoins, le timing est idéal. Car le seul engagement budgétaire qui s’impose en 2018 est de franchir le seuil des 3 % de déficit afin de sortir du volet correctif du PSC. L’année 2018 rend donc encore possible de mener une politique budgétaire généreuse, tout en franchissant la barre des 3 %, sans s’exposer à des sanctions. La situation aurait été plus délicate en 2019, lorsque s’appliqueront les règles communautaires visant à réduire une dette encore très supérieure au 60 % du PIB, notamment par l’ajustement du solde structurel (graphique 2).

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[1] https://www.boe.es/boe/dias/2018/03/26/pdfs/BOE-A-2018-4222.pdf

[2] https://elpais.com/economia/2018/04/17/actualidad/1523949570_477094.html?rel=str_articulo#1526464987471

[3] Voir la Partie Espagne du dossier :  https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/11-155OFCE.pdf , pp 137-141.

[4] Ni par l’AIReF d’ailleurs.




Que doit-on déduire des chiffres d’inflation ?

par Eric Heyer

En mai, l’inflation en zone euro s’est rapprochée de l’objectif de la BCE. En passant d’un rythme annuel de 1,2% à 1,9% en l’espace d’1 mois, cette nette hausse de l’inflation n’a pourtant suscité aucun émoi, la nature principale de celle-ci étant commune à tous les pays et parfaitement identifiée : la flambée des cours du pétrole. Après avoir dégringolé jusqu’à 30 dollars le baril en début d’année 2016, celui-ci s’établit aujourd’hui autour de 77 dollars, niveau jamais atteint depuis 2014. Même corrigé du taux de change – l’euro s’est apprécié par rapport au dollar – le prix du baril a augmenté de près de 40 % (soit 18 euros) au cours des 12 derniers mois engendrant mécaniquement une accélération des prix dans les pays importateurs nets de pétrole. A cet effet commun vient se greffer pour la France l’incidence de la hausse de la fiscalité indirecte sur le tabac et les carburants entrée en vigueur en début d’année qui, selon nos évaluations, augmenterait de 0,4 point l’indice des prix.

Dans le même temps, l’inflation sous-jacente (ou core inflation) – indice excluant les produits à prix volatils (comme le pétrole ou les produits frais) ainsi que les prix soumis à l’intervention de l’État (électricité, gaz, tabac…) – n’accélère toujours pas et reste en dessous de 1%. L’effet de second tour d’un choc pétrolier transitant par une hausse des salaires ne semble donc pas s’enclencher, le consommateur absorbant l’essentiel du choc par une baisse de son pouvoir d’achat. Cela explique une partie du ralentissement observé de la consommation des ménages en ce début d’année ainsi que le peu de réactions des autorités monétaires à l’annonce des chiffres d’inflation.

Reste alors la question de la faiblesse de l’inflation tendancielle et de son lien avec la situation conjoncturelle. Avons-nous déjà rattrapé le retard de production engendré depuis la Grande crise de 2008 (output gap proche de zéro) ou reste-il encore des capacités de production mobilisables en cas de supplément de demande (output gap positif) ? Dans le premier cas, cela signifierait que le lien entre la croissance et l’inflation est significativement rompu ; dans le second cas, cela indiquerait que le faible niveau de l’inflation n’est pas surprenant et que la normalisation de la politique monétaire doit être progressive.

En 2017, malgré un processus de reprise qui se consolide et se généralise, la plupart des économies développées accusent encore du retard par rapport à la trajectoire d’avant-crise. Seuls certains semblent avoir déjà comblé ce retard de croissance. Ainsi, deux catégories de pays semblent émerger : la première – constituée notamment de l’Allemagne, des États-Unis et du Royaume-Uni – est celle des pays ayant rattrapé leur niveau de production potentielle et se situant en haut de cycle ; la seconde – dans laquelle figure la France, l’Italie et l’Espagne par exemple – est celle des pays connaissant encore un retard de production qui se situerait, selon les instituts de conjonctures économiques, entre 1 et 2 points de PIB pour la France et l’Italie et 3 points de PIB pour l’Espagne (graphique 1).

IMG1_post05-06La présence de pays développés dans les deux catégories devrait en toute logique se traduire par l’apparition de tensions inflationnistes dans les pays figurant dans la première, et par un écart d’inflation avec ceux de la seconde. Or, ces deux phénomènes ne sont pas apparents en 2017 : comme l’illustre le graphique 2, le lien entre le niveau de l’output gap et le taux d’inflation sous-jacent est loin d’être clair, jetant un doute sur l’interprétation que l’on doit avoir du niveau de l’output gap : aux incertitudes relatives à cette notion se rajoute celle associée au niveau de cet écart dans le passé, en 2007 par exemple.

IMG2_post05-06Face à cette forte incertitude, il semble opportun d’établir un diagnostic sur la base de la variation de cet output gap depuis 2007. Une telle analyse aboutit à un consensus plus net entre les différents instituts et à la disparition de la première catégorie de pays, ceux n’ayant plus de marge de croissance supplémentaire au-delà de leur seule croissance potentielle. En effet, selon eux, aucun des grands pays développés n’aurait retrouvé en 2017 son niveau d’output gap de 2007, y compris l’Allemagne. Cet écart se situerait autour de 1 point de PIB pour l’Allemagne, de 2 points de PIB pour le Royaume-Uni et les États-Unis, au-delà de 3 points de PIB pour la France et l’Italie et autour de 5 points de PIB pour l’Espagne (graphique 3).

IMG3_post05-06Cette analyse est davantage en ligne avec le diagnostic de reprise d’inflation basée sur le concept du sous-jacent : le fait que les économies des pays développés n’aient pas retrouvé en 2017 leur niveau cyclique de 2007 explique des taux d’inflation inférieurs à ceux observés au cours de la période pré-crise (graphique 4). Ce constat est corroboré par une analyse basée sur d’autres critères que l’output gap, notamment la variation du taux de chômage et du taux d’emploi depuis le début de la crise ou du taux de croissance de la durée du travail durant cette même période. Le graphique 5 illustre ces différents critères. Sur la base de ces derniers, le diagnostic qualitatif porté sur la situation cyclique des différentes économies est celui de l’existence de marges de rebond relativement élevées en Espagne, en Italie et en France. Ce potentiel de rebond est faible en Allemagne, aux États-Unis et au Royaume-Uni : seule l’augmentation du temps de travail pour le premier et du taux d’emploi pour les deux suivants pourrait le permettre.

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L’indicateur avancé : baisse de régime de l’économie française

par Hervé Péléraux

Selon l’indicateur avancé de l’OFCE pour la France, bâti sur les enquêtes de conjoncture publiées par l’INSEE le 24 mai, la croissance de l’économie française serait voisine de +0,4 % au deuxième et au troisième trimestre 2018. Après la nette embellie de 2017, et la retombée de la croissance au premier trimestre (+0,3 %) marquée par le calendrier des mesures fiscales (voir « Économie française : ralentissement durable ou passager ? »), les perspectives trimestrielles apparaissent moins favorables en 2018 qu’en 2017.

Graphe1_post25-5Tabe_post25-5Les publications successives des enquêtes de conjoncture confirment depuis le début de l’année le repli de l’opinion des chefs d’entreprise interrogés par l’INSEE. Le climat des affaires reste certes à un niveau élevé, mais sa trajectoire récente laisse penser qu’il a atteint un pic au tournant de 2017 et de 2018.

Graphe2_post25-5Les indicateurs de confiance restent néanmoins largement supérieurs à leur moyenne de longue période dans toutes les branches, ce qui laisse entendre que l’activité reste supérieure à sa croissance tendancielle. Par conséquent, même si la croissance devrait ralentir dans le courant de l’année 2018, ce passage en creux ne serait aucunement le signal d’une inversion du cycle de croissance en cours en l’état actuel de l’information sur les enquêtes.

Un tel signal serait donné par le passage du taux de croissance du PIB sous le taux de croissance tendanciel (que l’on peut assimiler au taux de croissance potentiel de l’économie), évalué par l’estimation de l’indicateur à +0,3 % par trimestre, seuil auquel les prévisions actuelles sont supérieures.

Le passage à vide actuel peut être mis en rapport avec la politique fiscale du gouvernement qui pèse, au premier semestre 2018, sur le pouvoir d’achat des ménages (voir sur ce point P. Madec et alii, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief de l’OFCE, n° 30, 15 janvier 2018). L’alourdissement transitoire de la fiscalité lié à la bascule cotisations sociales / CSG, à la hausse du tabac et à la fiscalité écologique ont retenti négativement sur le pouvoir d’achat et la consommation des ménages. Ce choc de demande négatif ne serait toutefois que ponctuel et devrait jouer en sens inverse au second semestre, avec la montée en charge de certaines mesures visant à soutenir le pouvoir d’achat. Mais cet horizon est à l’heure actuelle trop lointain pour être inscrit dans les enquêtes de conjoncture.

 




Les soubresauts du taux de chômage

par Bruno Ducoudré

Les chiffres du chômage publiés par l’Insee pour le premier trimestre 2018 indiquent une remontée du taux de chômage de 0,3 point (0,2 point en France métropolitaine). Dans notre dernier exercice de prévision, nous avions anticipé un taux de chômage stable, tout en soulignant les risques à la hausse du chômage en ce début d’année (graphique 1).

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Comment expliquer la hausse du chômage sur un trimestre ? Le taux de chômage peut augmenter concomitamment à une hausse ou une baisse de l’emploi, en fonction des comportements d’activité : lorsque l’emploi augmente, le chômage baisse si la population active augmente moins vite que l’emploi. Par contre, il augmente si la population active augmente plus vite, ou dans le cas de destructions d’emploi si celles-ci ne s’accompagnent pas d’une baisse de la population active plus importante.

La hausse du chômage au premier trimestre 2018 fait suite à une forte baisse au quatrième trimestre 2017 (-0,7 point), et s’explique principalement par des mouvements importants de population active à court terme, et non par une baisse de l’emploi : sur un trimestre, le taux d’emploi des 15-64 ans est stable, tandis que la part de chômage augmente de 0,2 point, tirée par la hausse du chômage des femmes (leur part augmente de 0,4 point, ce qui s’explique par une augmentation de leur taux d’activité de 0,4 point alors que leur taux d’emploi est stable, cf. tableau). Cette hausse du chômage des femmes fait suite à une baisse plus forte encore au trimestre précédent (-0,5 point) et apparaît ainsi comme une correction partielle de la forte baisse observée au troisième trimestre 2017.

Tabe_post24-05Sur un an, les évolutions indiquées par l’Enquête emploi sont en phase avec l’évolution de la conjoncture économique. Le taux d’emploi augmente fortement (+1 point) en lien avec la croissance économique et les créations d’emploi dynamiques dans le secteur privé. Le taux d’activité augmente également, après deux années de baisse plus forte qu’attendu (cf. graphique 2).

IMG2_post24-05La hausse du chômage constatée en ce début d’année ne devrait pas interrompre la tendance à la baisse enclenchée mi-2015. Nous prévoyons ainsi une poursuite de la baisse du chômage au cours des deux prochaines années. Cette baisse serait tirée par la poursuite des créations d’emplois marchands du fait d’une croissance soutenue de l’activité économique (2,0% en 2018, 2,1% en 2019 après 2,2% en 2017). L’emploi total serait relativement dynamique en 2018 (+194 000) et en 2019 (+254 000), soit un rythme suffisant pour faire baisser le chômage. Ce dernier baisserait de 0,2 point fin 2018 par rapport au T4 2017, puis de 0,5 point fin 2019 par rapport au T4 2018. La forte baisse des contrats aidés dans le secteur non-marchand, le moindre enrichissement de la croissance en emplois (fin de la montée en charge du CICE et du Pacte de responsabilité, fin de la prime à l’embauche) et la croissance de la population active freineraient toutefois la baisse du chômage en 2018 après la forte baisse de 2017.




La fin d’un cycle ?

Département analyse et prévision

Ce texte s’appuie sur les perspectives 2018-2019 pour l’économie mondiale et la zone euro dont une version complète est disponible ici.

La croissance mondiale est restée bien orientée en 2017 permettant la poursuite de la reprise et la réduction du chômage, notamment dans les pays avancés où la croissance a atteint 2,3 % contre 1,6 % l’année précédente. Même s’il reste quelques pays où le PIB n’a pas retrouvé son niveau d’avant-crise, cette embellie permet d’effacer progressivement les stigmates de la Grande Récession qui a frappé l’économie il y a 10 ans. Surtout, l’activité semblait accélérer en fin d’année puisqu’à l’exception du Royaume-Uni, le glissement annuel du PIB continuait de progresser (graphique 1). Pourtant, le retour progressif du taux de chômage vers son niveau d’avant-crise et la fermeture des écarts de croissance, notamment aux Etats-Unis et en Allemagne, qui s’étaient creusés pendant la crise pourraient laisser augurer d’un essoufflement prochain de la croissance. Les premières estimations disponibles de la croissance au premier trimestre 2018 semblent donner du crédit à cette hypothèse.

Après une période d’embellie, la croissance de la zone euro a marqué le pas au premier trimestre 2018, passant de 2,8 % en glissement annuel au quatrième trimestre 2017 à 2,5 %. Si le ralentissement est plus significatif en Allemagne et en France, il est aussi observé en Italie, aux Pays-Bas et dans une moindre mesure, en Espagne (graphique 2). Du côté du Royaume-Uni, le ralentissement se confirme en lien avec la perspective du Brexit mais aussi avec une politique budgétaire plus restrictive que celle des autres pays européens. Au Japon, plus qu’un ralentissement, le PIB – en croissance trimestrielle – a reculé au premier trimestre. Finalement, parmi les principales économiques avancées, seuls les Etats-Unis semblent encore jouir d’une accélération de la croissance avec un PIB en hausse de 2,9 % en glissement annuel au premier trimestre 2018. Le ralentissement témoigne-t-il de la fin du cycle de croissance ? En effet, la fermeture progressive des écarts entre le PIB potentiel et le PIB effectif conduirait progressivement les pays vers leur sentier de croissance de long terme, dont les estimations convergent pour indiquer un niveau plus faible. L’Allemagne ou des Etats-Unis seraient à cet égard représentatifs de cette situation puisque, dans ces pays, le taux de chômage est inférieur à son niveau d’avant-crise. Dans ces conditions, leur croissance serait amenée à ralentir. Force est de constater qu’il n’en n’a rien été aux Etats-Unis. Il faut donc se garder de toute conclusion généralisée. En effet, malgré la baisse du chômage, d’autres indicateurs – le taux d’emploi – apportent un diagnostic plus nuancé sur l’amélioration de la situation sur le marché du travail aux États-Unis. Par ailleurs, dans le cas de la France, cette performance est surtout la conséquence du calendrier fiscal qui a provoqué une baisse du pouvoir d’achat des ménages au premier trimestre et donc un ralentissement de la consommation[1]. Il s’agirait donc plus d’un trou d’air que le signe d’un ralentissement durable de la croissance française.

Surtout, les facteurs qui avaient soutenu la croissance ne vont globalement pas se retourner. La politique monétaire restera effectivement expansionniste même si la normalisation est en cours aux Etats-Unis et devrait être amorcée en 2019 dans la zone euro. Du côté de la politique budgétaire, l’orientation est plus souvent neutre et deviendrait très expansionniste pour les Etats-Unis, ce qui pousserait la croissance au-delà de son potentiel. Enfin, de nombreuses incertitudes entourent les estimations de l’écart de croissance si bien que les marges de manœuvre ne seraient pas forcément épuisées à court terme. De fait, la reprise économique ne s’accompagne toujours pas d’un retour de tensions inflationnistes ou de fortes accélérations des salaires, qui témoigneraient alors d’une surchauffe sur le marché du travail. Nous anticipons le maintien de la croissance dans les pays industrialisés en 2018 et une accélération dans les pays émergents, ce qui porterait la croissance mondiale à 3,7 % en 2018. La croissance atteindrait alors un pic et ralentirait ensuite très légèrement en 2019, revenant à 3,5 %. A court terme, le cycle de croissance ne devrait donc pas s’achever.

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[1] Voir « Economie française : ralentissement durable ou passager ? ».




Economie française : ralentissement durable ou passager ?

Par l’équipe France de l’OFCE

Ce vendredi 27 avril, l’Insee publiait les comptes nationaux pour le premier trimestre 2018. Avec une croissance de 0,3 %, l’économie française semble marquer le pas alors même qu’après cinq années atones (0,8 % en moyenne sur la période 2012-16), la reprise s’était enfin matérialisée en 2017 avec une hausse du PIB de 2 %.

Si le profil trimestriel de la croissance du PIB de 2018 devrait être marqué par le calendrier des mesures fiscales qui vont affecter le pouvoir d’achat (hausse de la fiscalité indirecte et de la CSG) et donc la trajectoire de la consommation des ménages, cet effet, anticipé dans nos prévisions de printemps (Tableau), ne devrait être que provisoire. Le pouvoir d’achat des ménages devrait s’accroître au cours des trimestres suivants avec une forte accélération en fin d’année sous l’impulsion de la baisse de la taxe d’habitation et de la seconde tranche de baisse de cotisations sociales.

Ainsi, la dynamique de consommation, faible au premier semestre et forte au second, conduira à une accélération de la croissance tout au long de l’année, de 0,3 % au premier trimestre à 0,7 % en fin d’année. En 2019, sous l’effet de la montée en charge des mesures fiscales de soutien au pouvoir d’achat des ménages, ce dernier augmenterait de 2,4 % (après 1,6 % en 2018) dynamisant la consommation sur l’ensemble de l’année (2,2 % en 2019 après 1,5 % en 2018), et ce malgré une nouvelle hausse de la fiscalité indirecte.

La croissance de l’investissement des entreprises devrait rester robuste en 2018 et en 2019, soutenue par l’amélioration continue du taux de profit, un coût du capital toujours bas et une demande dynamique qui maintient le taux d’utilisation à un niveau élevé. Après plusieurs années de contraction, l’investissement des administrations publiques repartirait à la hausse en 2018 et 2019, avec le déploiement progressif du Grand Plan d’Investissement et l’objectif de préserver l’investissement des collectivités locales. L’investissement des ménages ralentirait comme l’indique le retournement des enquêtes de demande de logement et des perspectives de mises en chantier, en lien probablement avec la réduction des moyens budgétaires alloués au logement et avec l’attentisme sur le marché de la construction à la suite des discussions à attendre autour du projet de loi ELAN.

Le regain des exportations, confirmé par l’orientation favorable des enquêtes, les niveaux records des taux de marges des exportateurs et la vigueur de l’investissement productif se traduiraient par une hausse des parts de marché à l’exportation. Au sein d’un environnement économique porteur en zone euro, le commerce extérieur ne serait plus un frein à la croissance de la France en 2018 et 2019.

Avec une croissance robuste en 2018 et en 2019, les créations d’emplois, portées par le secteur marchand, resteraient dynamiques (194 000 en 2018 et 254 000 en 2019), ce qui permettrait de réduire le taux de chômage à 8,4 % fin 2018 et terminer l’année 2019 à 7,9 % (contre 8,6 % au quatrième trimestre 2017). En revanche, la forte baisse des nouveaux contrats aidés en 2018 pèserait sur la vitesse de réduction du chômage malgré la montée en charge du Plan Formation et de la Garantie jeunes.

La réduction du déficit public sera lente (2,4 % du PIB en 2018 et 2,5 % en 2019 après 2,6 % en 2017), mais ceci masque la forte amélioration du solde public, qui atteindrait 1,6 % en 2019 hors mesure ponctuelle liée à la transformation du CICE en baisses de cotisations sociales. Toutefois, la réduction du déficit serait suffisante pour assurer la sortie du bras correctif du Pacte de stabilité et entamer une décrue de la dette publique (de 97 % du PIB en 2017 à 95,4 % en 2019).

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