Que sait-on de la fin des unions monétaires ?

par Christophe Blot et Francesco Saraceno

Les résultats des élections européennes ont été marqués par une forte abstention et par un soutien croissant aux partis eurosceptiques. Ces deux éléments reflètent un mouvement de défiance vis-à-vis des institutions européennes, dont témoignent également les enquêtes de confiance et l’amplification du débat sur le retour aux monnaies nationales. La controverse sur la sortie de la zone euro d’un pays ou sur l’éclatement de l’union monétaire est née de la crise grecque en 2010. Elle s’est ensuite largement accentuée tandis que la zone euro s’enfonçait dans la crise. La question de la sortie de l’euro n’est donc plus un tabou. Si l’expérience de la création de l’euro fut un événement inédit dans l’histoire monétaire, celle d’un éclatement le serait tout autant. En effet, une analyse des précédents historiques en la matière montre qu’ils ne peuvent servir de point de comparaison pour la zone euro.

Bien que l’histoire des unions monétaires offre apparemment de nombreux exemples de scission, peu sont comparables à l’Union monétaire européenne. Entre 1865 et 1927, l’Union monétaire latine posait bien les jalons d’une coopération monétaire étroite entre ses Etats membres. Cet arrangement monétaire s’est développé dans le cadre d’un régime d’étalon métallique instituant un principe d’uniformisation monétaire et une garantie que les monnaies battues par chacun des Etats membres pourraient circuler librement au sein de l’espace monétaire. En l’absence d’une monnaie unique créée ex-nihilo comme l’est aujourd’hui l’euro, la dissolution de l’Union intervenue en 1927 a peu d’intérêt dans le débat actuel. De fait, les spécialistes des unions monétaires qualifient plutôt ce type d’expérience « d’aires de standards communs ». Une étude d’Andrew Rose (voir ici) de 2007 fait état de 69 cas de sortie d’union monétaire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale laissant penser que l’éclatement de la zone euro n’aurait rien d’unique. Pourtant, l’échantillon de pays ayant quitté une union monétaire ne permet pas vraiment de tirer des enseignements probants. Un nombre élevé de ces cas concerne des pays ayant acquis leur indépendance politique dans le cadre du processus de décolonisation. Il s’agit par ailleurs de petites économies en développement dont les situations macroéconomique et financière sont très différentes  de celles de la France ou de la Grèce en 2014. Les expériences plus récentes d’éclatement de la zone rouble – après l’effondrement de l’URSS –, ou de la Yougoslavie, ont concerné des économies peu ouvertes commercialement et financièrement sur le reste du monde. Dans ces conditions, les conséquences sur la compétitivité ou sur la stabilité financière d’un retour aux monnaies nationales, et des éventuels ajustements de taux de change qui suivent, sont sans commune mesure avec ce qui se produirait dans le cas d’un retour au franc, à la peseta ou à la lire. La séparation peu troublée de la République tchèque et de la Slovaquie en 1993 portait également sur des économies encore peu ouvertes. Finalement, l’expérience la plus proche de celle de l’UEM est très certainement l’Union austro-hongroise, créée entre 1867 et 1918, puisqu’on y retrouve une banque centrale commune chargée de contrôler la monnaie mais pas d’union budgétaire[1], chaque Etat disposant pleinement de ses prérogatives budgétaires sauf pour ce qui concerne les dépenses militaires et celles afférentes à la politique étrangère. Il faut ajouter que l’Union en tant que telle ne pouvait pas s’endetter, le budget commun devant nécessairement être équilibré. Si cette union avait noué des relations commerciales et financières avec de nombreux autres pays, il n’en demeure pas moins que son éclatement est intervenu dans le contexte très particulier de la Première Guerre mondiale. C’est donc sur les ruines de l’Empire austro-hongrois que se sont constituées de nouvelles nations et de nouvelles monnaies.

Force est donc de constater que l’histoire monétaire nous apprend peu de choses dès lors qu’il s’agit d’envisager la fin d’une union monétaire. Dans ces conditions, les tentatives d’évaluation d’un scénario de sortie de l’euro sont soumises à une incertitude que nous qualifions de radicale. Il est toujours possible d’identifier certains des effets positifs ou négatifs d’une sortie de l’euro mais aller au-delà en essayant de chiffrer précisément les coûts et les bénéfices d’un scénario d’éclatement ressemble plus à un exercice de fiction qu’à une analyse scientifique robuste. Du côté des effets positifs, on pourra certes toujours objecter que les effets de compétitivité d’une dévaluation peuvent être quantifiés. Eric Heyer et Bruno Ducoudré se livrent à cet exercice à propos d’une éventuelle baisse de l’euro. Mais qui pourra bien dire de combien se déprécierait le franc en cas de sortie de la zone euro ? Comment réagiraient les autres pays si la France sortait de la zone euro ? L’Espagne sortirait-elle également ? Mais dans ce cas, de combien la peseta se dévaluerait ? Le nombre et l’interaction de ces variables dessinent une multiplicité de scénarios qu’aucun économiste ne peut prévoir en toute bonne foi, et encore moins évaluer. Les taux de change entre les nouvelles monnaies européennes seraient de nouveau déterminés par les marchés. Il peut en résulter une situation de panique comparable à l’épisode de crise de change qu’ont connus les pays du SME (système monétaire européen) en 1992.

Et quid de la dette des agents, privés et publics, du(des) pays sortant(s) ? Les juristes se partagent sur la part qui serait convertie ope legis dans la(les) nouvelle(s) devise(s), et celle qui resterait dénommée en euros, alourdissant l’endettement des agents. Il est donc probable que la sortie serait suivie d’une prolifération de recours en justice, dont l’issue est imprévisible. Après la crise mexicaine en 1994, et encore lors de la crise asiatique en 1998, toutes les deux suivies par des dévaluations, on observa une augmentation de l’endettement des agents, y compris des gouvernements. La dévaluation pourrait donc accroître les problèmes de finances publiques et créer des difficultés pour le système bancaire puisqu’une part significative de la dette des agents privés est détenue à l’étranger (voir Anne-Laure Delatte). Au risque d’un défaut sur la dette publique pourraient donc s’ajouter de multiples défauts privés. Comment mesurer l’ampleur de ces effets ? L’accroissement du taux de défaut ? Le risque de faillite de tout ou partie du système bancaire ? Comment réagiraient les déposants face à une panique bancaire ? Ne souhaiteraient-ils pas privilégier la valeur de leurs avoirs en conservant des dépôts en euros et en ouvrant des comptes dans des pays jugés plus sûrs ? Il s’ensuivrait une vague de ruées sur les dépôts, qui menacerait la stabilité du système bancaire. On pourra alors prétendre qu’en retrouvant l’autonomie de notre politique monétaire, la banque centrale mènera une politique ultra-expansionniste, que l’Etat bénéficiera de marges de manœuvre financières, mettra un terme à l’austérité et protégera le système bancaire et l’industrie française, que les contrôles des capitaux seront rétablis afin d’éviter une panique bancaire… Mais, encore une fois, prévoir comment un processus d’une telle complexité se déroulerait relève de l’astrologie… Si l’exemple argentin[2], fin 2001, est cité en référence pour argumenter qu’il est possible de se remettre d’une crise de change, il ne faut pas non plus oublier le contexte dans lequel la fin du « currency board » s’est déroulée[3] : crises financière, sociale et politique profondes qui n’ont pas vraiment de point de comparaison, à l’exception peut-être de la Grèce.

Dans ces conditions, il nous semble que toute évaluation du coût ou des bénéfices d’une sortie de l’euro conduit à un débat stérile. La seule question qui mérite d’être posée relève du projet politique et économique européen. La création de l’euro fut un choix politique, sa fin éventuelle le sera également. Il faut sortir d’une vision sclérosée d’un débat européen qui oppose les partisans d’une sortie de l’euro à ceux qui ne cessent de vanter les succès de la construction européenne. De nombreuses voies de réformes sont envisageables comme le prouvent certaines initiatives récentes (Manifeste pour une union politique de l’euro) ou les contributions rassemblées dans le numéro 134 de Revue de l’OFCE intitulé « Réformer l’Europe ». Il est urgent que l’ensemble des institutions européennes (la nouvelle Commission européenne, le Conseil européen, le Parlement européen mais également l’Eurogroupe) s’emparent de ces questions et relancent le débat sur le projet européen.

 


[1] Pour une analyse plus détaillée des rapprochements pouvant être faits entre l’Union monétaire européenne et l’Autriche-Hongrie, voir Christophe Blot et Fabien Labondance (2013) : « Réformer la zone euro : un retour d’expériences », Revue du Marché Commun et de l’Union européenne, n° 566

[2] Il faut noter que l’Argentine n’était pas en union monétaire mais en régime dit de « currency board ». Voir ici pour une classification et une description des différents régimes de change.

[3] Voir Jérôme Sgard (2002) : « L’Argentine un an après : de la crise monétaire à la crise financière », Lettre du Cepii, n° 218.




Quelles réformes pour l’Europe ?

par Christophe Blot [1], Olivier Rozenberg [2], Francesco Saraceno [3] et Imola Streho [4]

Du 22 au 25 mai prochain, les Européens se rendront aux urnes pour élire les 751 députés du Parlement européen. Ces élections vont se dérouler dans un climat de forte défiance à l’égard des institutions européennes. Si cette crise de confiance n’est pas propre à l’Europe, elle se conjugue à une crise économique, la plus grave depuis la Grande Dépression, et à une crise politique que traduit la difficulté des institutions européennes à légiférer. Les enjeux des prochaines élections recoupent donc de multiples aspects qui doivent être abordés sous un angle pluridisciplinaire. Le numéro 134 de la collection « Débats et Politiques » de la Revue de l’OFCE (publié en français et en anglais)  réunit des chercheurs – économistes, juristes ou politistes – spécialistes des questions européennes, qui partant des développements et des débats propres à leur discipline, partagent leur vision des réformes nécessaires pour améliorer le fonctionnement de l’Europe. L’objectif est ainsi d’alimenter le débat public, en amont des élections européennes et au-delà, au travers d’articles courts synthétisant les débats et proposant quelques recommandations à l’attention des candidats à l’élection, bien entendu, mais aussi au-delà des partis politiques, des syndicats, des entreprises, des associations et surtout de l’ensemble des citoyens intéressés par les questions européennes.

Dans le contexte de crise que nous traversons, le débat qui se dessine autour des prochaines élections européennes semble être pris en otage entre deux visions. La première s’apparente à un déni de la situation dans laquelle se trouve la zone euro et l’Europe. Il faudrait se satisfaire de la stabilité de l’euro malgré la crise. Les institutions se sont adaptées de telle sorte que l’Europe aurait finalement su mettre en œuvre les compromis nécessaires pour sortir de la crise et faire face aux difficultés futures. A l’opposé, la vision eurosceptique insiste sur le fait que la crise serait fondamentalement une crise de la construction européenne. La seule issue possible serait le retour aux monnaies nationales. Les différentes contributions rassemblées dans cet ouvrage tentent de dépasser ce clivage. La crise récente a mis en lumière les carences du fonctionnement des institutions et l’insuffisance d’une stratégie de politique économique fondée sur la seule discipline budgétaire. Si des réformes ont bien été mises en œuvre, elles s’avèrent insuffisantes, voire insatisfaisantes. Pour autant, nous refusons le simple constat d’échec du projet européen, l’idée que toute réforme serait impossible, que le projet européen ne saurait se poursuivre car voué à l’échec.

Le débat sur le futur de l’Europe et sur les réformes nécessaires pour une meilleure expression de la démocratie et de la citoyenneté européenne, pour une gouvernance plus efficace et pour l’élaboration de politiques publiques adaptées, doit donc se poursuivre. Pour autant, le lecteur ne trouvera pas dans cet ouvrage un projet commun et cohérent mais plutôt des visions éclectiques et parfois même contradictoires. Il s’agit plutôt de présenter les termes du débat politique afin de donner aux candidats et aux électeurs les clés permettant de comprendre les enjeux de cette élection et de se prononcer sur l’orientation qu’ils souhaitent donner au projet européen.

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[1] OFCE, Sciences Po

[2] Sciences Po, Centre d’études européennes

[3] OFCE, Sciences Po, (@fsaraceno)

[4] Sciences Po, Ecole de droit et Centre d’études européennes




Et si les élections italiennes se révélaient une opportunité pour l’Europe ?

par Francesco Saraceno

Aujourd’hui l’Europe entière, inquiète, s’interroge sur les résultats des élections législatives italiennes. La coalition de centre gauche a obtenu une très courte majorité  – à cause d’une loi électorale décriée par tous mais qu’on n’a pas su ou pas voulu modifier – qui  ne lui donne la majorité absolue des sièges qu’à la Chambre des Députés. En raison de l’attribution de primes de majorité sur base régionale, au Sénat aucune coalition n’a la majorité. Or en Italie s’applique un système bicaméral parfait, si bien qu’en l’état, il n’y a pas de possibilité de créer un gouvernement issu d’une majorité politique. Ce billet explore un possible scénario pour les prochaines semaines et ses conséquences économiques sur l’Italie et sur l’Europe.

Mise à part la spectaculaire remontée de Silvio Berlusconi, dont l’objectif affiché était dès le début d’empêcher la victoire de la gauche plutôt que de s’assurer d’une majorité, les deux résultats éclatants de ce scrutin sont d’un côté la défaite du Premier ministre sortant, Mario Monti, et de l’autre l’avancée du mouvement Cinque Stelle de l’ancien comédien Beppe Grillo, qui devient aujourd’hui le premier parti à la Chambre des députés.

La défaite de Mario Monti représente un désaveu cinglant des politiques d’austérité que les citoyens italiens perçoivent comme imposées par l’Europe et par l’Allemagne. Lundi, dans le New York Times, Paul Krugman le qualifiait de « proconsul installé par l’Allemagne pour imposer l’austérité budgétaire à une économie déjà en perte de vitesse ». Mario Monti, appelé en novembre 2011 au chevet d’un pays essoufflé par le gouvernement Berlusconi, n’a pas su proposer autre chose que des politiques d’austérité qui, sans surprise, n’ont pas livré la croissance promise.  L’approbation dont l’ancien commissaire européen jouissait initialement s’est lentement érodée au fur et à mesure de la perte de mémoire des problèmes entourant la fin de règne de Berlusconi, et surtout au fur et à mesure que l’Italie s’enfonçait dans la crise économique. Mario Monti espérait certainement être déterminant dans la formation d’une majorité au Sénat, et donc pouvoir négocier sa reconduction comme Premier ministre. Mais son pari a échoué et il est aujourd’hui condamné à l’insignifiance numérique.

Au contraire, Beppe Grillo a obtenu un succès éclatant, un raz-de-marée qui le pose en arbitre de la formation d’un nouveau gouvernement.  Grâce aussi à une campagne électorale magistrale, jouée sur tous les médias et dans la rue, son mouvement est le premier parti à la Chambre et au Sénat dans plusieurs régions. Il a réussi à capter l’exaspération des Italiens contre « la casta » des politiques, et il a rassemblé presque neuf millions de votants sur une campagne qui a puisé dans le populisme de droite (par exemple ses propos sur l’immigration ou ses propos anti-euro, qu’il a énoncés à quelques reprises, mais qu’on ne retrouve pas dans son programme). Il a aussi mis l’accent sur des thèmes traditionnellement de gauche comme le refus de l’austérité,  l’environnement, la réduction du temps de travail, le revenu minimum de citoyenneté, ou encore la régulation des conflits d’intérêt, la durée limitée et le non-cumul des mandats électoraux, ou l’inéligibilité de celles et ceux condamnés par la justice.

Que va-t-il se passer dans les prochaines semaines ? L’Europe entière se le demande et les premières réactions des marchés semblent trahir une certaine nervosité à l’égard des évolutions futures.

Pour des raisons institutionnelles, un nouveau vote à brève échéance doit être écarté. Le Président Giorgio Napolitano, en fin de mandat, ne peut pas dissoudre le Parlement ; il faudra donc attendre le mois de mai et son successeur (qui sera élu par le Parlement issu du vote d’hier)  pour accéder à cette option. Par ailleurs, Il n’est pas certain que le Parlement issu d’un nouveau vote soit capable d’exprimer une majorité politique.

La loi électorale majoritaire livre au Parti démocratique la majorité absolue des sièges de la Chambre des Députés, ce qui le rend incontournable dans la formation d’un nouveau gouvernement. Ceci permet d’envisager seulement deux scénarios : tout d’abord, une grande coalition entre gauche et droite (avec ou sans le parti de Mario Monti). Ceci semble pourtant improbable, premièrement à cause du fossé idéologique entre les deux partis, accentué par le retour de Silvio Berlusconi ; et ensuite parce que cela serait perçu par les électeurs comme un déni du résultat du vote, qui a vu les deux grands partis perdre plus de onze millions de voix depuis l’élection de 2008.

La deuxième solution serait un gouvernement de minorité de centre-gauche, qui pourrait aller chercher les voix chez les élus de Beppe Grillo sur un programme limité en ampleur et en durée.  Cela vaut donc la peine de regarder quelles seraient, dans cette hypothèse, les possibilités d’une convergence entre le mouvement Cinque Stelle (dont le programme, en italien, peut être téléchargé ici)  et la coalition de Pierluigi Bersani. Il y aurait certainement un consensus sur des mesures très populaires pour faire face à la crise politique en cours (abolition des provinces, limite des mandats parlementaires, non cumul, inéligibilité, réductions des coûts de l’appareil politique, …), et pour corriger les anomalies les plus éclatantes des deux décennies berlusconiennes (des réformes sur le conflit d’intérêt et sur la corruption, réforme de la justice).

L’aile environnementaliste du centre-gauche pourrait aussi trouver des convergences sur des mesures d’incitation aux économies d’énergie et sur l’investissement dans les énergies renouvelables.

En économie, certaines des mesures phare de Beppe Grillo pourraient aussi être l’objet de convergences avec le centre-gauche, par exemple l’adoption d’un revenu de citoyenneté ou d’un salaire minimum, des thèmes qui, comme l’a prouvé le débat français, ne sont pas forcément populistes ou irréalistes.

La convergence entre le centre-gauche et Beppe Grillo pourrait difficilement se faire dans le cadre actuel de consolidation budgétaire ; il faudrait donc une remise en cause préalable d’une austérité désavouée par les électeurs, il convient de le répéter. Ceci ne se ferait pas sans problèmes pour le Parti démocratique qui, comme le Parti socialiste en France, a fait le choix de la rigueur. Une négociation avec le mouvement Cinque Stelle impliquerait l’abandon des politiques d’austérité sur lesquelles le Parti démocratique a toujours eu une position ambiguë. Mais, à son tour, cette solution aurait des conséquences sur l’Europe dans son ensemble.  Les gouvernants européens pourraient être confrontés, dans les prochaines semaines, ou bien à une absence de gouvernement dans la troisième économie de la zone euro, ou à un gouvernement qui vraisemblablement abandonnerait les politiques d’austérité. L’Europe pourrait alors être obligée de repenser ses propres stratégies économiques, et quelques pays pratiquant la rigueur à contre cœur (comme la France ?) pourraient en profiter pour remettre en cause le modèle de la croissance par l’austérité.




L’Inégalité Nuit-elle à la Performance Economique ?

par Francesco Saraceno

La théorie économique a longtemps négligé les effets de la répartition des revenus  sur la performance de l’économie. On apprenait aux étudiants dès la première année d’études qu’il fallait séparer le sujet de l’efficacité de celui de l’équité. L’idée étant qu’il fallait élargir au maximum la taille du gâteau avant de le partager. Il était implicite dans cette dichotomie que l’économiste devait traiter la question de l’efficacité, laissant au politique les choix de distribution (ou redistribution). Dans ce cadre l’économiste devait seulement veiller à ce que les choix de redistribution par le canal de l’impôt et de la dépense publique ne nuisent pas à la croissance en perturbant les incitations des agents. Des échos de cette vision se retrouvent aussi bien dans la discussion sur la taxation des très gros revenus envisagée par le gouvernement français, que dans des auteurs, comme Raghuram Rajan, qui justifient les inégalités en se référant au progrès technique et au commerce international, ce que réfute Paul Krugman.

 

Certes, depuis les travaux de Simon Kuznets dans les années cinquante, quelques économistes se sont demandés si une inégalité excessive ne nuirait pas,  notamment en empêchant l’accumulation de capital humain, à la croissance de l’économie. Mais  cette perception est longtemps restée minoritaire parmi les économistes. A preuve, l’augmentation spectaculaire des inégalités documentée parmi d’autres par Atkinson Piketty et Saez,  mais aussi par des institutions tels quels l’OCDE et le FMI n’a pas donné lieu a une réflexion approfondie sur la relation entre inégalité et la performance économique.

Seule la crise a fait resurgir cette préoccupation. L’inégalité croissante est soupçonnée d’être une des sources de l’augmentation de la dette des ménages et de la formation de bulles spéculatives, menant à l’accumulation de déséquilibres internes et externes qui ont conduit à la crise actuelle. C’est ce que développent des auteurs comme Joseph Stiglitz et James Galbraith.

Aujourd’hui la dichotomie entre efficacité et répartition n’est plus tenable. L’inégalité devient un thème incontournable de l’analyse économique, de court comme de long terme. Pour stimuler la discussion sur ce sujet, l’OFCE et SKEMA Business School organisent un workshop sur “Inequality and Economic Performance”, à Paris, le 16 et 17 octobre 2012.




European Council: wait and sink?

By Jérôme Creel, Paul Hubert and Francesco Saraceno

The European Council meeting being held at the end of the week should have been spent, according to the wishes of the French authorities, on renegotiating the European Fiscal Compact adopted on 2 March 2012. However, renegotiation has not been on the agenda. Alas, the Fiscal Compact does need to be re-opened for debate: it should be denounced for being poorly drafted, and its overly restrictive character needs to be reviewed; ultimately, the text should be amended. The focus of the debate on the structural deficit rule, which is unfairly described as the “golden rule”, is wide of the mark in so far as it is the rule on the reduction of public debt that is the more restrictive of the two rules included in the Fiscal Compact. This is the rule that demands to be discussed, and urgently, in order to avoid sinking deeper into a contagion of austerity plans that are doomed in advance…

The conflict over European growth between the French and Italians on the one side and the Germans on the other was probably defused by the agreement late last week with Spain in favour of a coordinated European recovery plan. The plan represents 1% of Europe’s GDP, i.e. 130 billion euros, though its contours and funding remain to be clarified. The slogan of the European Council has thus been, by a process of elimination, “banking union”, in an effort to prevent a new wave of banking and financial crises in the European Union. Is the creation of a banking union important? Certainly. Is it urgent? Less so than a return to growth, which, while it certainly cannot be decreed, can be prepared. Given the state of the current Fiscal Compact, we can conclude that what is being prepared is not economic growth, but recession [1].

The Fiscal Compact, which is contained in Title III of the Treaty on Stability, Coordination and Governance in the Economic and Monetary Union, explicitly includes two fiscal rules. The first clarifies what constitutes a budgetary position that is “balanced or in surplus”, a term enshrined long ago in the Stability and Growth Pact. According to the Fiscal Compact of March 2012, a budgetary position that is “balanced or in surplus” means a structural deficit of at most 0.5% of GDP. The structural deficit is the cyclically adjusted public deficit, i.e. adjusted for the well-known automatic stabilizers; this includes interest charges, among other items. When the structural deficit is exceeded, apart from exceptional circumstances, e.g. a “significant” downturn in activity, an automatic adjustment mechanism, whose nature is not specified, must bring it back below this limit. The structural deficit rule is relaxed for Member States whose public debt is below 60% of GDP: the structural deficit ceiling is increased to 1% of GDP.

The second fiscal rule is also a requirement for euro zone Member States with a public debt in Maastricht terms that is greater than 60% of GDP. In 2012, this rule applies to 12 out of the 17 Member States of the euro zone. This second rule aims to reduce the public debt by one-twentieth every year. Unfortunately, the text adopted is poorly written and opens the door to different interpretations, as we show below. It is therefore inapplicable. Even worse, given the current state of the economy, this rule is the more restrictive of the two rules in the Fiscal Compact. It is therefore urgent to pay attention to it and modify it to make it enforceable.

According to Article 4 of the Treaty, “When the ratio of a Contracting Party’s general government debt to gross domestic product exceeds the 60% reference value…, that Contracting Party shall reduce it at an average rate of one-twentieth per year as a benchmark….” The problem is that “it”, which we have put in italics, refers to the public debt ratio rather than to the difference between the public debt and the 60% reference value. So, in 2012 should Germany, with a public debt in 2011 of a little more than 80% of GDP, reduce its debt by 4 GDP points (one-twentieth of 80% of GDP) or by 1 GDP point (one-twentieth of the difference with the reference value of 60% of GDP)? Legally, it is essential that a clear answer can be given to this kind of question.

Moreover, the Fiscal Compact is silent on the nature of the surplus to be used to reduce the debt: if, to leave room for maneuver in case of a cyclical deficit, this rule were to address the structural deficit — which would therefore need to be explained in the Compact — the debt rule would be even more restrictive than the golden rule: a structural surplus would be systematically required to reduce the public debt to 60% of GDP in the 12 Member States whose debt exceeds the reference value. Again, the formulation needs to be clear.

Suppose now that the “it” in Article 4 concerns the difference between the debt and the reference value, and that the rule on debt reduction applies to the entire public deficit. The question can then be asked, which of the two rules – the “golden rule” or the debt reduction rule – places greater restrictions on the Member States, and thus needs to be applied. We have set out, in an appendix [2], the small set of fiscal rules compatible with the Fiscal Compact. The total deficit is the sum of the cyclical deficit and the structural deficit. The cyclical deficit depends on the difference between actual and potential GDP, i.e. the output gap, which has an elasticity of 0.5 (average elasticity customary in the literature on the European countries, cf. OECD). The “golden rule” relates only to the structural deficit, while the debt reduction rule concerns the total public deficit, and thus depends on both the output gap and the structural deficit.

For what values of the public debt and the output gap is the “golden rule” more restrictive than the debt reduction rule? Answer: when the output gap is greater than 1 plus one-tenth of the difference between the original debt and the reference value. This means that, for a country like Germany, the debt reduction rule would predominate over the “golden rule” except in cases of very high growth: the real GDP would have to be at least two points higher than the potential GDP. According to the OECD economic forecast published in May 2012, Germany’s output gap in 2012 will be -0.8. The debt reduction rule is thus much more restrictive than the “golden rule”. This is also true for France (debt of 86% of GDP in 2011), which would have to have an output gap of at least 3.6 points for the “golden rule” to be binding; yet the OECD forecasts an output gap of -3.3 in 2012. The same holds true for all the countries in the euro zone with a debt greater than 60% of GDP, without exception.

Except in cases of very strong growth, the debt reduction component dominates the structural deficit component. Yet it is the latter that is the focus of all the attention.

When a treaty is open to such differences in interpretations, isn’t it normal to want to revise it? When a treaty requires intensifying austerity measures in an area like the euro zone, whose GDP is almost 4 percentage points below its potential, according to the estimates of an organization, the OECD, that is generally not suspected of overestimating the said potential, is it not desirable and urgent to renegotiate it?


[1] A recent post emphasized the risks of social instability and the potential losses that might result from austerity-induced contagion in the euro zone (cf. Creel, Timbeau and Weil, 2012).

[2] Annex:

We start by defining with def the total public deficit, which includes a structural component s and a cyclical component dc:

def = s + dc

All the variables are expressed as a proportion of GDP. The cyclical component is composed of the variation in the deficit that occurs, thanks principally to the action of the automatic stabilizers, when the economy deviates significantly from its potential. A reasonable estimate is that the deficit increases by 0.5 point per point of lost output. The cyclical component can thus be expressed as:

dc = – 0.5 y

where we define y as the output gap, i.e. the difference between GDP and its potential level.

The rules introduced by the fiscal compact can be expressed as follows:

s1 < 0.5,

that is, the structural deficit can never exceed 0.5% of GDP (s1 refers to the first aspect of the rule), and

def = – (b0 – 60)/20,

that is, the total deficit must be such that the public debt (expressed as a proportion of GDP) is reduced every year by one-twentieth of the difference between the initial public debt (b0) and the 60% reference level. The debt rule can thus be re-written in terms of the structural deficit as:

s2 = def – dc = 0.5 y – (b0 – 60)/20.

We thus have 2 possible cases for when the structural deficit component is less restrictive than the debt reduction component:

Case 1

s1 < s2 if y >1 + (b0 – 60)/10.

Assume the case of a debt level like Germany’s (b0 = 81.2 % of GDP). Case 1 implies that the structural deficit component will be less restrictive than the debt reduction component if and only if y > 3.12%, that is, if Germany has a GDP that is at least three points higher than its potential. If a country has a higher level of debt (e.g. Italy, at 120% of GDP), then y > 7%!

Case 2

If the debt reduction rule concerns the structural deficit (rather than the total public deficit), then we have:

s1 < 0.5

and

s2 = – (b0 – 60)/20

In this case, s1 < s2 if 1 < – (b0 – 60)/10, which will never happen so long as the public debt is greater than the reference level.




Conseil européen : wait and sink ?

par Jérôme Creel, Paul Hubert et Francesco Saraceno

Le Conseil européen de cette fin de semaine devait être consacré, selon les souhaits des autorités françaises, à la renégociation du Pacte budgétaire européen adopté le 2 mars 2012. Cependant, il semblerait qu’une telle renégociation ne soit pas à l’ordre du jour. Las, le débat sur le Pacte budgétaire devrait être rouvert : la médiocrité de sa rédaction doit être dénoncée, et son caractère par trop restrictif doit être à nouveau débattu ; in fine, le texte doit être amendé. La focalisation des débats sur la règle de déficit structurel qualifiée injustement de « règle d’or » est déplacée dans la mesure où c’est la règle de réduction de la dette publique qui est la plus contraignante des deux règles inscrites dans le Pacte budgétaire. C’est sans doute d’elle qu’il faudrait reparler, et en urgence, afin d’éviter de sombrer un peu plus dans une contagion de plans d’austérité voués à l’échec…

L’opposition entre français et italiens d’un côté, et allemands de l’autre, à propos de la croissance européenne a sans doute été désamorcée par l’accord de la fin de semaine dernière, avec l’Espagne, en faveur d’un plan de relance européen concerté portant sur 1 % du PIB européen, soit 130 milliards d’euros, dont les contours et le financement restent cependant à préciser. Le mot d’ordre du Conseil européen sera alors, par élimination, « l’union bancaire », solution préventive à un nouvel épisode de crises bancaire et financière dans l’Union européenne. La création d’une union bancaire est-elle importante ? Certainement. Est-elle urgente ? Moins que le retour de la croissance qui, certes, ne se décrète pas, mais se prépare. En l’état actuel du Pacte budgétaire, on peut affirmer que ce n’est pas la croissance économique que l’on prépare, mais la récession que l’on fomente[1].

Le pacte budgétaire, inscrit au titre III du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’UEM, comporte explicitement deux règles budgétaires. La première précise ce en quoi consiste une « position budgétaire à l’équilibre ou en surplus », expression depuis longtemps inscrite dans le Pacte de stabilité et de croissance. Selon le Pacte budgétaire de mars 2012, cette « position budgétaire à l’équilibre ou en surplus » consiste en un déficit structurel d’au plus 0,5 % du PIB. Le déficit structurel est le déficit public corrigé des variations cycliques, donc corrigé des fameux stabilisateurs automatiques; il inclut entre autres les charges d’intérêt. En cas de dépassement de ce déficit structurel, et en dehors de circonstances exceptionnelles, e.g. un retournement « important » de l’activité, un mécanisme correcteur automatique, dont la nature n’est pas précisée, doit le ramener en deçà de la limite. La règle de déficit structurel est assouplie pour les Etats membres dont la dette publique est inférieure à 60 % du PIB : le plafond de déficit structurel est porté à 1 % du PIB.

La seconde règle budgétaire s’impose aussi aux Etats membres de la zone euro dont la dette publique au sens de Maastricht est supérieure à 60 % du PIB. En 2012, cette règle s’impose à 12 pays parmi les 17 Etats membres de la zone euro. Cette seconde règle vise à réduire la dette publique d’un vingtième par an. Malheureusement, le texte adopté est mal rédigé et ouvre la voie à différentes interprétations, comme nous le montrons ci-dessous. Il est donc inapplicable. Pire, cette règle est la plus contraignante et la plus restrictive des deux règles du Pacte budgétaire, en l’état actuel de la conjoncture. Il est donc urgent de s’en soucier et de la modifier pour la rendre applicable.

Selon l’article 4 du Traité, « (l)orsque le rapport entre la dette publique et le PIB d’une partie contractante est supérieur à la valeur de référence de 60 % (…), ladite partie contractante le réduit à un rythme moyen d’un vingtième par an. » Problème : le « le » auquel nous avons rajouté les italiques semble se rapporter au ratio de dette publique, plutôt qu’à l’écart de la dette publique aux 60 % de référence. L’Allemagne, avec sa dette publique d’un peu plus de 80 % du PIB en 2011, doit-elle réduire sa dette en 2012 de 4 points de PIB (un vingtième de 80 % du PIB) ou de 1 point de PIB (un vingtième de l’écart à 60 % du PIB) ? Légalement, il est sans doute requis qu’à une telle question, la réponse soit limpide…

Par ailleurs, le Pacte budgétaire est muet sur la nature du surplus permettant de réduire la dette : si, pour laisser des marges de manœuvre en cas de déficit conjoncturel, cette règle devait porter sur le déficit structurel – ce qui mériterait donc d’être explicité dans le Pacte -, la règle de dette serait toujours plus contraignante que la règle d’or : un surplus structurel serait systématiquement requis pour ramener la dette publique à 60% du PIB dans les 12 Etats membres dont la dette a dépassé la valeur de référence. Là encore, la formulation se devrait d’être limpide.

Admettons maintenant que le « le » de l’article 4 soit associé à l’écart de la dette à sa cible de référence et que la règle de réduction de la dette porte sur le déficit public total. On peut se poser la question de savoir laquelle des deux règles – « règle d’or » ou règle de réduction de la dette – est la plus contraignante pour les Etats membres, donc celle à appliquer. Nous avons posé, en annexe à ces développements[2], le petit système de règles budgétaires compatible avec le Pacte budgétaire. Le déficit total est la somme du déficit conjoncturel et du déficit structurel. Le déficit conjoncturel dépend de l’écart du PIB à son potentiel, l’output gap, avec une élasticité de 0,5 (élasticité moyenne usuelle dans la littérature pour les pays européens, cf. OCDE). La « règle d’or » porte uniquement sur le déficit structurel tandis que la règle de réduction de la dette porte sur le déficit public total et dépend donc, à la fois, de l’output gap et du déficit structurel.

Pour quelles valeurs de dette publique et d’output gap la « règle d’or » est-elle plus contraignante que la règle de dette ? Réponse : lorsque l’output gap est supérieur à 1 plus 1/10 de l’écart de la dette initiale à sa valeur de référence. Cela signifie que pour un pays comme l’Allemagne, la règle de réduction de la dette dominerait la « règle d’or », sauf en cas de croissance très forte : le PIB effectif devrait être au moins deux points supérieurs au potentiel. Selon les perspectives économiques de l’OCDE publiées en mai 2012, l’output gap de l’Allemagne serait de -0,8 en 2012… La règle de réduction de la dette est donc bien plus restrictive que la « règle d’or ». Elle l’est aussi pour la France (dette de 86% du PIB en 2011), qui devrait avoir un output gap d’au moins 3,6 points pour que la « règle d’or » soit contraignante ; l’OCDE prévoit un output gap de -3,3 en 2012… Elle l’est pour tous les pays de la zone euro avec une dette supérieure à 60 % du PIB, sans exception.

Aussi, sauf en cas de très forte croissance, le volet réduction de la dette domine le volet déficit structurel. Et pourtant c’est sur le deuxième que se concentre toute l’attention…

Lorsqu’un traité laisse ouvertes autant de voies à l’interprétation, n’est-il pas normal de vouloir le revoir ? Lorsqu’un traité prévoit d’intensifier les cures d’austérité dans une zone, la zone euro, dont l’écart de production à son potentiel est de -4 points, selon les estimations d’une organisation, l’OCDE, généralement peu suspectée de surestimer ledit potentiel, n’est-il pas souhaitable et urgent de le renégocier ?


[1] Dans un post récent étaient soulignés les risques d’instabilité sociale et les pertes de croissance potentielle que la contagion de l’austérité impliquait dans la zone euro (cf. Creel, Timbeau et Weil, 2012).

[2] Annexe :

Nous commençons par définir avec def le déficit public total qui comporte une composante structurelle s, et une composante cyclique dc:

def = s + dc

Toutes les variables sont exprimées en proportion du PIB. La composante cyclique est constituée de la variation du déficit qui intervient, grâce principalement à l’action des stabilisateurs automatiques, quand l’économie s’éloigne de son potentiel. Une estimation raisonnable est que le déficit augmente de 0,5 point par point d’output perdu. La composante cyclique peut donc être écrite:

dc = – 0,5 y

où nous définissons y comme l’output gap, i.e. la différence entre le PIB et son niveau potentiel.

Les règles introduites par le pacte budgétaire peuvent être écrites comme suit:

s1 < 0,5,

c’est-à-dire que le déficit structurel ne peut jamais dépasser 0,5 % du PIB (s1 fait référence au premier volet de la règle), et

def = – (b0 – 60)/20,

c’est-à-dire que le déficit total doit être tel que la dette publique (exprimée en proportion du PIB) se réduit chaque année d’un vingtième de la différence entre la dette publique initiale (b0) et le niveau de référence de 60 %. La règle de la dette peut être réécrite en termes de déficit structurel, soit :

s2 = def – dc = 0,5 y – (b0 – 60)/20.

Nous avons alors 2 cas possibles pour que le volet déficit structurel soit moins restrictif que le volet réduction de la dette :

Cas 1

s1 < s2 si y >1 + (b0 – 60)/10.

Supposons qu’on démarre d’un niveau de dette comme celui de l’Allemagne (b0 = 81,2 % du PIB). Le cas 1 implique que le volet déficit structurel sera plus contraignant que le volet réduction de la dette si et seulement si y > 3,12 %, c’est à dire si l’Allemagne a un écart de production par rapport au potentiel de plus de trois points.  Le même calcul, pour un pays à  dette élevée (120 % du PIB) comme l’Italie, donne y > 7 % !

Cas 2

Si la règle de réduction de la dette porte sur le déficit structurel (plutôt que sur le déficit public total), on a :

s1 < 0,5

et

s2 = – (b0 – 60)/20

Dans ce cas, s1 < s2 si 1 < – (b0 – 60)/10, ce qui ne peut jamais arriver tant que la dette publique est supérieure au niveau de référence.




Plaidoyer pour un pacte de croissance : beaucoup de bruit pour cacher un désaccord persistant

par Jean-Luc Gaffard et Francesco Saraceno

L’insistance mise sur la nécessité de compléter la rigueur budgétaire par des mesures susceptibles de relancer la croissance, pour une part induite par le débat électoral en France, est une bonne nouvelle, entre autre parce qu’elle représente la tardive reconnaissance que l’austérité est en train d’imposer un prix trop élevé aux pays du sud de l’Europe.

Cependant, invoquer la croissance n’a rien de nouveau et peut rester sans contenu réel. Déjà à la suite d’une intervention du gouvernement français, le pacte de stabilité était devenu en 1997 le pacte de stabilité et de croissance. Sans véritable conséquence sur la nature d’une stratégie tout entière tournée vers l’application de règles strictes en matière monétaire et budgétaire et la recherche de davantage de flexibilité dans le fonctionnement des marchés.

La semaine dernière, Mario Draghi, ou encore Manuel Barroso et Mario Monti se sont montrés inquiets par la récession enregistrée notamment en Espagne, au Portugal, aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne, mais aussi soucieux de répondre formellement à la demande qui pourrait venir du nouveau gouvernement français. Aussi plaident-ils pour que soit négocié un pacte de croissance, mais en prenant soin de rappeler qu’il doit consister dans un engagement commun à effectuer les réformes structurelles là où elles n’ont pas encore été faites. Cette position rappelle la lettre de onze premiers ministres, aux autorités européennes  en février dernier. Autrement dit, rien ne change dans la doctrine qui commande les choix de politique économique en Europe : la croissance ne peut être obtenue que par des reformes structurelles notamment des marchés du travail.

Cette position est pourtant doublement critiquable. Il n’est pas sûr, en premier lieu, que ces réformes structurelles soient efficaces, à moins d’être utilisées dans un esprit non coopératif pour améliorer la compétitivité du pays qui s’y livre au détriment de ses partenaires commerciaux, comme a pu le faire l’Allemagne avec les réformes Hartz. En second lieu, des réformes généralisées, y compris lorsqu’elles sont justifiées en termes de croissance de long terme, auraient dans un premier temps un impact récessif sur la demande[1], et donc sur l’activité. Elles ne peuvent donc répondre à ce qui est une exigence immédiate et prioritaire, à savoir enrayer la récession en train de se généraliser.

Le véritable défi auquel sont confrontés les Européens est bien de concilier le court et le long terme. La solution proposée jusqu’ici, une austérité budgétaire généralisée qui rétablirait la confiance des acteurs privés, et que viendraient compléter ces réformes structurelles censées augmenter le taux de croissance potentiel, ne marche simplement pas. Le prouvent les évolutions observées en Grèce, mais aussi au Portugal et en Irlande, élèves modèles des plans de sauvetage européens, ainsi qu’en Grande-Bretagne, en Italie et en Espagne. Les multiplicateurs budgétaires restent fermement keynésiens (voir Christina Romer, et Creel, Heyer et Plane), et les effets dits « non-keynésiens » sur les anticipations sont limités ou inexistants.

La croissance ni ne se décrète ni ne s’établit instantanément, contrairement à la spirale déflation-austérité dans laquelle s’enlisent aujourd’hui de plus en plus de pays européens.

Elle n’a de chances de se concrétiser que si la consolidation budgétaire n’est ni immédiate ni drastique. En fait, si la consolidation imposée aux pays en difficulté est étalée dans le temps (au delà de l’horizon 2013 qui sera en tout état de cause impossible à atteindre) et si une  politique budgétaire plus expansionniste est conduite dans les pays en mesure de le faire de manière à ce que, au niveau européen, l’effet global soit au moins neutre ou mieux expansionniste. Cette stratégie  ne serait pas forcément sanctionnée par les marchés qui ont montré dans un passé récent qu’ils étaient sensibles à l’exigence de croissance. Dans le cas contraire, des mesures devraient être prises par la BCE pour échapper à la contrainte qu’ils exercent. Ce soutien à court terme doit s’accompagner d’un effort substantiel à moyen terme d’investissement réalisé dans le cadre de programmes industriels européens financés par l’émission d’euro-obligations, et donc par un budget européen enfin de taille appropriée aux tâches de l’Union. Cette façon d’articuler et coordonner les choix à court et moyen terme serait un pas important vers la mise en place d’une structure fédérale seule à même de permettre la résolution de la question européenne.

 


[1] R.M. Solow, Introduction à Solow R.M. Ed. (2004) Réformes structurelles et politique macroéconomique, Paris : Economica (Traduction de Structural Reforms and Macroeconomic Policy, London : Macmillan).

 

 




Should the Stability and Growth Pact be strengthened?

By Jérôme Creel, Paul Hubert and Francesco Saraceno
The European fiscal crisis and the ensuing need to reduce the levels of public debt accelerated the adoption of a series of reforms of European fiscal rules in late 2011. Two rules were introduced to strengthen the Stability and Growth Pact (SGP). Given that many Member States in the euro zone have structural deficits and public debts that exceed the thresholds under consideration, it seemed worthwhile to assess the macroeconomic implications of compliance with these fiscal rules by four countries, including France.
The current limit of the public deficit to 3% of GDP was supplemented by a limit on the structural deficit equivalent to 0.5% of GDP, and by a rule on debt reduction requiring heavily indebted countries to reduce their level of public debt every year by 1/20th of the difference with the reference level of 60% of GDP. Moreover, the limit on the structural deficit goes beyond the 3% rule because it is associated with a requirement to incorporate a balanced budget rule and automatic mechanisms for returning to balanced budgets in the constitution of each Member State in the euro zone. Due to an unfortunate misnomer, this is now often called the “golden rule” [1]. To distinguish this from the “golden rule of public finance” applied by the French regions, the German Länder and, from 1997 to 2009, the UK, we will henceforth call this “balanced budget rule” the “new golden rule “.
Because of the international financial crisis raging since 2007, the euro zone States often fall far short of the demands of the new rules. This raises the question of the consequences that flow from imposing these rules on the Members. To this end, we decided to study the paths of convergence with the different rules of four countries that are representative of the euro zone, using a standard theoretical model.
We chose a large country with an average level of public debt (France), a small country with a somewhat larger debt (Belgium), a large country with a large debt (Italy) and a small country with a relatively low level of debt (Netherlands). The size of the country, large or small, is associated with the size of their fiscal multiplier, i.e. the impact of public spending on growth: large countries that are less open than the small countries to international trade have a greater multiplier effect than the small countries. The four countries also differed with respect to the size and sign of their structural primary balance in 2010: France and the Netherlands ran a deficit, while Belgium and Italy had a surplus.
In the model, the evolution of the public deficit is countercyclical and the impact of an increase in the public deficit on GDP is positive, but excessive indebtedness increases the risk premium on the long-term interest rates paid to finance this debt, which ultimately undermines the effectiveness of fiscal policy.
The rules that we simulated are: (a) a balanced (at 0.5% of GDP) budget or the “new golden rule”; (b) the 5% per year rule on debt reduction; (c) the 3% ceiling on the total deficit (status quo). We also evaluated: (d) the impact of adopting an investment rule along the lines of the golden rule of public finance which, in general, requires a balanced budget for current expenditure over the cycle, while allowing the debt to finance public investment.
We simulated over 20 years, i.e. the horizon for implementing the 1/20th rule, the impact of the rules on growth, on the inflation rate and the structural public deficit and on the level of public debt. First, we analyzed the path followed by the four economies after the adoption of each fiscal rule in 2010. In other words, we asked how the rules work in the context of the fiscal austerity that Europe is currently experiencing. Second, we simulated the dynamics of the economy after a demand shock and a supply shock, starting from the base situation of the Maastricht Treaty, with the economy growing at a nominal rate of 5% (growth potential of 3% and inflation rate of 2%), and a debt level of 60%. It is interesting to note that the real growth potential in the euro zone countries has been consistently below 3% since 1992, which has helped to make the rule limiting public finances even more restrictive than originally planned.
Our simulations led to a number of results. First, in every case the adoption of the rules produced a short-term recession, even in small countries with a small fiscal multiplier and a small initial public debt, such as the Netherlands. This complements the analysis that the widespread implementation of austerity in Europe is inevitably undermining growth (see The very great recession, 2011) by showing that there is no fiscal rule that, strictly applied in the short term, makes it possible to avoid a recession. This finding points to an incentive on the part of government to dissociate the use of the fiscal rules de facto and de jure: in other words, if the ultimate goal of economic policy is the preservation and stability of economic growth, then it is wise not to act on the pronouncements.
Second, recessions can lead to deflation. Under the constraint of zero nominal interest rates, deflation is very difficult to reverse with fiscal austerity.
Third, the investment rule leads to a better macroeconomic performance than the other three rules: the recessions are shorter, less pronounced and less inflationary over the time period considered. Ultimately, the levels of public debt decreased admittedly less than with the 1/20th rule but, as a result of the growth generated, France’s public debt shrinks by 10 GDP points from its 2010 level, while the Belgian and Italian debt are reduced by 30 and 50 GDP points, respectively. Only the country that was least indebted initially, the Netherlands, saw its debt stagnate.
Fourth, while ignoring the investment rule, which is not part of European plans, it appears that, in terms of growth, the status quo is more favorable than the “new golden rule” or the rule on debt reduction; it is, however, more inflationary for the large countries. This indicates that, in terms of growth, the strengthening of the Stability and Growth Pact, brutally applied, would be detrimental to the four economies.
Fifth, when the economy in equilibrium is hit by demand and supply shocks, the status quo seems appropriate. This confirms the idea that the current Pact provides room for fiscal maneuvering. The simulations nevertheless suggest that the status quo remains expensive compared with the investment rule.
To conclude, it is difficult not to notice a paradox: the rules designed to prevent governments from intervening in the economy are being discussed precisely after the global financial crisis that required governments to intervene to help cushion the shocks resulting from market failures. This work aims to shift the debate: from the goal of fiscal stabilization to the goal of macroeconomic stabilization. The European authorities – the governments, the ECB and the Commission – seem to consider the public debt and deficit as policy objectives in their own right, rather than as instruments to achieve the ultimate objectives of growth and inflation. This reversal of objectives and instruments is tantamount to denying a priori any role for macroeconomic policy. Many studies [2], including the one we have conducted here, adopt the opposite position: economic policy definitely plays a role in stabilizing economies.

______

[1] This misnomer has been criticised in particular by Catherine Mathieu and Henri Sterdyniak in 2011, and by Bernard Schwengler in 2012.
[2] See, for example, the cross-disciplinary study that appeared in English in 2012 in the American Economic Journal, Macroeconomics, and the bibliography that it contains, or in French, the study that appeared in 2011 by Creel, Heyer and Plane on the multiplier effects of temporary fiscal stimulus policies.




Fallait-il renforcer le Pacte de stabilité et de croissance ?

par Jérôme Creel, Paul Hubert et Francesco Saraceno

 

La crise budgétaire européenne et l’exigence de réduire les niveaux de dette publique qui a suivie ont accéléré l’adoption d’une série de réformes des règles budgétaires européennes à la fin de l’année 2011. Deux règles ont été introduites afin de renforcer le pacte de stabilité et de croissance (PSC). Etant donné que de nombreux Etats membres de la zone euro ont des déficits structurels et des dettes publiques supérieurs aux seuils considérés, il nous a semblé intéressant d’évaluer les conséquences macroéconomiques du respect de ces règles budgétaires par 4 pays, dont la France. 

La limite actuelle de déficit public à 3% du PIB a été complétée par une limite sur le déficit structurel équivalant à 0,5% du PIB, et par une règle de réduction de la dette imposant aux pays fortement endettés de réduire chaque année leur taux d’endettement public d’1/20e de la différence vis-à-vis du niveau de référence de 60% du PIB. De plus, la limite de déficit structurel va au-delà de la règle des 3% car elle est associée à l’obligation d’incorporer une règle de budget équilibré et des mécanismes automatiques de retour à l’équilibre budgétaire dans la Constitution de chaque Etat membre de la zone euro. Par un malheureux abus de langage, elle est désormais souvent qualifiée de « règle d’or » [1]. Afin de distinguer la « règle d’or des finances publiques » appliquée par les régions françaises, les Länder allemands et, de 1997 à 2009, par le Royaume-Uni, nous qualifierons par la suite cette « règle de budget équilibré » de  « nouvelle règle d’or ».

Du fait de la crise financière internationale qui sévit depuis 2007, les Etats de la zone euro sont souvent loin de satisfaire aux exigences des nouvelles règles en vigueur. Cela pose donc la question des conséquences que le respect de ces règles imposerait à ces Etats.  Pour ce faire, nous avons choisi d’étudier les trajectoires de convergence aux différentes règles de quatre pays, représentatifs de la zone euro, à l’aide d’un modèle théorique standard.

Nous avons choisi un grand pays avec un niveau moyen d’endettement public (France), un petit pays avec une dette un peu plus élevée (Belgique), un grand pays avec une dette élevée (Italie) et un petit pays avec une dette comparativement assez faible (Pays-Bas). La taille des pays, grande ou petite, est associée à la taille de leur multiplicateur budgétaire, l’effet des dépenses publiques sur la croissance : les grands pays moins ouverts que les petits pays au commerce international ont un effet multiplicateur plus important que les petits pays. Les quatre pays diffèrent également en fonction de la taille et du signe de leur solde primaire structurel en 2010 : la France et les Pays-Bas ont un déficit, alors que la Belgique et l’Italie dégagent un excédent.

Dans le modèle, l’évolution du déficit public est contracyclique et l’impact d’une hausse du déficit public sur le PIB est positif, mais un endettement excessif augmente la prime de risque sur les taux d’intérêt de long terme payés pour financer cette dette, ce qui nuit in fine à l’efficacité de la politique budgétaire.

Les règles que nous simulons sont : (a) l’équilibre (à 0,5% du PIB) du budget ou «nouvelle règle d’or» ; (b) la règle de 5% par an de réduction de la dette ; (c) le plafond de 3% de déficit total (statu quo). Nous évaluons également : (d) l’effet de l’adoption d’une règle d’investissement dans la veine de la règle d’or des finances publiques qui, de façon générale, impose l’équilibre budgétaire au cours du cycle pour les dépenses courantes, tout en permettant de financer l’investissement public par la dette.

Nous simulons sur 20 ans, i.e. l’horizon de réalisation de la règle du 1/20e, l’effet des règles sur la croissance, le taux d’inflation et le déficit public structurel, ainsi que sur le niveau de la dette publique. Premièrement, nous analysons le chemin suivi par les quatre économies après l’adoption de chaque règle budgétaire à partir de 2010. Nous demandons, en d’autres termes, comment les règles fonctionnent dans un scénario de consolidation budgétaire que l’Europe connaît d’ores et déjà aujourd’hui. Deuxièmement, nous simulons la dynamique de l’économie après un choc de demande et un choc d’offre, partant de la situation de base du Traité de Maastricht, avec l’économie à un taux de croissance nominal de 5% (une croissance potentielle à 3% et un taux d’inflation de 2%), et un niveau d’endettement de 60%. Il est d’ailleurs intéressant de remarquer que la croissance potentielle réelle dans les pays de la zone euro a été constamment inférieure à 3% depuis 1992, ce qui a contribué à rendre encore plus contraignante qu’initialement prévu la règle coercitive pesant sur les finances publiques.

Les résultats de nos simulations sont multiples. Premièrement, l’adoption des règles produit dans tous les cas une récession à court terme, même dans les petits pays avec un multiplicateur budgétaire faible et une faible dette publique initiale comme aux Pays-Bas. Cela complète le diagnostic selon lequel la rigueur généralisée en Europe nuit immanquablement à la croissance (cf. La très grande récession, 2011) en montrant qu’il n’existe pas de règle budgétaire qui, appliquée scrupuleusement à court terme, permet d’échapper à une récession. Cette constatation révèle une incitation, de la part des gouvernants, à dissocier les usages de jure et de facto des règles budgétaires : les annonces ont tout intérêt à ne pas être suivies d’effets, si l’objectif final de la politique économique est la préservation et la stabilité de la croissance économique.

Deuxièmement, les récessions peuvent engendrer la déflation. En vertu de la contrainte à zéro pesant sur les taux d’intérêt nominaux, une déflation est très difficile à inverser avec une contrainte budgétaire.

Troisièmement, la règle d’investissement aboutit à de meilleures performances macroéconomiques que les trois autres règles : les récessions sont plus courtes, moins prononcées et aussi moins inflationnistes sur l’horizon considéré. In fine, les niveaux de dette publique diminuent certes moins qu’avec la règle du 1/20e mais, sous l’effet de la croissance engendrée, la dette publique française perd 10 points de PIB par rapport à son niveau de 2010, tandis que les dettes belges et italiennes diminuent respectivement de 30 et 50 points de PIB. Seul le pays initialement le moins endetté, les Pays-Bas, voit sa dette stagner.

Quatrièmement, en faisant abstraction de la règle d’investissement qui ne figure pas dans les projets européens, il apparaît que le statu quo est plus favorable que la « nouvelle règle d’or » ou que la règle de réduction de la dette en termes de croissance ; il s’avère cependant plus inflationniste pour les grands pays. En termes de croissance, cela semble signifier que le renforcement du Pacte de stabilité et de croissance, appliqué brutalement, serait préjudiciable aux 4 économies considérées.

Cinquièmement, lorsque l’économie à l’équilibre est frappée par des chocs de demande et d’offre, le statu quo semble approprié. Ceci confirme l’idée que le PSC actuel donne des marges de manœuvre budgétaire. Les simulations montrent néanmoins que le statu quo reste coûteux en comparaison avec la règle de l’investissement.

Pour conclure, il est difficile de ne pas remarquer un paradoxe : des règles visant à empêcher les gouvernements d’intervenir dans l’économie sont discutées précisément après la crise financière mondiale qui a requis des gouvernements qu’ils interviennent afin de contribuer à amortir les chocs découlant de défaillances de marché. Ce travail vise ainsi à réorienter le débat de l’objectif de  stabilisation budgétaire à celui de stabilisation macroéconomique. Les autorités européennes – les gouvernements, la BCE, ou la Commission – semblent considérer la dette et le déficit publics comme des objectifs politiques en soi, plutôt que comme des instruments pour atteindre les objectifs finaux de croissance et d’inflation. Ce renversement des objectifs et des instruments équivaut à nier a priori tout rôle à la politique macroéconomique. De nombreux travaux [2], dont celui que nous avons mené, adoptent plutôt la position opposée : la politique économique joue certainement un rôle dans la stabilisation des économies.

 

 

[1] Cet abus de langage a notamment été dénoncé par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak en 2011, ou par Bernard Schwengler en 2012.

[2] Voir par exemple, en anglais, l’étude transversale parue en 2012 dans American Economic Journal, Macroeconomics, et la bibliographie qu’elle contient, ou, en français, l’étude parue en 2011 de Creel, Heyer et Plane, sur les effets multiplicateurs de politiques temporaires de relance budgétaire.

 

 




Austerity is not enough

By André Grjebine and Francesco Saraceno

It is certainly possible to question whether the role acquired by the rating agencies in the international economy is legitimate. But if in the end their message must be taken into account, then this should be done based on what they are really saying and not on the economic orthodoxy attributed to them, sometimes wrongly. This orthodoxy is so prevalent that many commentators are continuing to talk about the decision by Standard & Poor’s (S&P) to downgrade the rating of France and other European countries as if this could be attributed to an insufficiently strong austerity policy.

In reality, the rating agency justifies the downgrade that it has decided with arguments opposed to this orthodoxy. For instance, the agency criticises the agreement between European leaders that emerged from the EU summit on 9 December 2011 and the statements that followed it, making the reproach that the agreement takes into account only one aspect of the crisis, as if it “… stems primarily from fiscal profligacy at the periphery of the euro zone. In our view, however, the financial problems facing the euro zone are as much a consequence of rising external imbalances and divergences in competitiveness between the EMU’s core and the so-called ‘periphery’. As such, we believe that a reform process based on a pillar of fiscal austerity alone risks becoming self-defeating, as domestic demand falls in line with consumers’ rising concerns about job security and disposable incomes, eroding national tax revenues.”

Based on this, S&P believes that the main risk facing the European states could come from a deterioration in the fiscal positions of certain among them “in the wake of a more recessionary macroeconomic environment.” As a result, S&P does not exclude a further deterioration in the coming year of the rating of euro zone countries.

So if the European countries do indeed take into account the explanations of the rating agency, they should implement economic policies that are capable of both supporting growth and thereby facilitating the repayment of public debts while at the same time rebalancing the current account balances between the euro zone countries. This dual objective could be achieved only by a stimulus in the countries running a surplus, primarily Germany.

Unsustainable debt

The budget adjustments being imposed on the countries of the periphery should also be spread over a period that is long enough for its recessionary effects to be minimised. Such a strategy would accord with the principle that in a group as heterogeneous as the euro zone, the national policies of member countries must be synchronised but certainly not convergent, as is being proposed in some quarters. Such a policy would boost the growth of the zone as a whole, it would make debt sustainable and it would reduce the current account surpluses of some countries and the deficits of others. The least we can say is that the German government is far from this approach.

Didn’t Angela Merkel respond to the S&P statement by calling once again for strengthening fiscal discipline in the countries that were downgraded, that is to say, adopting an analysis opposed to that of the rating agency? Given its argumentation, one begins to wonder whether the agency wouldn’t have been better advised to downgrade the country that wants to impose austerity throughout the euro zone rather than wrongly to give it a feeling of being a paragon of virtue by making it one of the few to retain its AAA rating.