La récession n’est pas une fatalité

par Marion Cochard, Bruno Ducoudré et Danielle Schweisguth

La vague de froid sur les prévisions d’automne se poursuit avec la publication par la Banque centrale européenne de ses dernières prévisions. En révisant à la baisse ses perspectives de croissance pour la zone euro (-0,3% en 2013 contre +0,9% prévu en septembre), la BCE pointe à son tour l’austérité renforcée et l’impact croissant de l’incertitude sur les marchés financiers. Force est de constater que la vigueur de la consolidation budgétaire paralyse la croissance en zone euro par le jeu des multiplicateurs budgétaires sans pour autant parvenir à rétablir la confiance. Dans ce billet, nous montrons que l’enchaînement récessif dans lequel s’enlise la zone euro n’est pas une fatalité. 

Dans la première édition du rapport iAGS 2013, élaborée en partenariat avec les instituts allemand IMK et danois ECLM, l’OFCE propose une stratégie alternative aux politiques de consolidation budgétaire actuelles. Celle-ci permet de retrouver de la croissance à moyen terme, tout en respectant les engagements budgétaires européens. Comme l’a montré Jérôme Creel dans son dernier billet « Une autre politique budgétaire est-elle possible pour la France ? », il existe des marges de manœuvre budgétaires compatibles avec le cadre actuel des traités.

Sous l’égide de la Commission européenne, les pays européens se sont engagés à poursuivre de 2013 à 2015 des programmes d’austérité d’une ampleur considérable, surtout si l’on tient compte de l’effort déjà réalisé. Hormis l’Allemagne, dont l’impulsion budgétaire cumulée sera quasi nulle, la plupart des pays européens prévoient de diminuer leur déficit structurel primaire de plus de 2 points de PIB entre 2012 et 2015 (de -1,4 point pour la Finlande à -7,5 points pour la Grèce, cf. tableau).

Ces ajustements s’inscrivent dans un contexte conjoncturel très dégradé, marqué par l’austérité budgétaire des années 2010 à 2012 : la croissance de la zone euro serait de -0,4 % pour 2012 et -0,3 % en 2013. Or, selon un ensemble de travaux théoriques et empiriques récents[1], les multiplicateurs budgétaires sont d’autant plus grands que le cycle économique est creusé. Dans ce contexte, la rapidité et l’ampleur de l’ajustement budgétaire sont particulièrement coûteuses en termes de croissance et contre-productives en matière d’assainissement des finances publiques[2]. Favoriser le retour de la croissance en atténuant l’austérité permettrait aux économies de la zone euro de sortir de leur spirale récessive, marquée par une forte hausse du chômage.

Afin d’élaborer cette stratégie alternative, nous avons procédé, à partir du modèle iAGS, à des simulations sur un horizon de 20 ans pour les pays de la zone euro. Celles-ci ont été réalisées en deux étapes :

  1. Dans notre scénario central, nous avons intégré les plans de restriction budgétaire annoncés par les différents pays à l’horizon 2015. A partir de 2016, nous avons calculé les impulsions budgétaires nécessaires pour atteindre une dette de 60 % à l’horizon 2032, en limitant le niveau de ces impulsions à  +/- 0,5 point de PIB par an. Comme le montre le graphique 1 (scénario central), l’ajustement structurel réalisé entre 2010 et 2015 est suffisamment important dans la plupart des pays pour permettre un assouplissement de la politique économique à partir de 2016, tout en respectant le critère de dette en 2032.
  2. Pour chaque pays, nous avons ensuite arrêté une stratégie budgétaire alternative en étalant dans le temps la réduction du déficit structurel. Cette stratégie consiste à procéder dès 2013 à des impulsions budgétaires d’un montant plus limité en valeur absolue que celles annoncées par les gouvernements actuels (au maximum +/- 0,5 point de PIB par an), et ce jusqu’à ce que l’ajustement soit suffisant pour atteindre l’objectif de dette de 60% du PIB en 2032. Cette stratégie conduit à un ajustement budgétaire plus mesuré pour les pays de la zone euro en difficulté et à des impulsions budgétaires légèrement positives dans les pays dont la trajectoire de dette est bien orientée (Allemagne, Finlande, Italie). Sur l’ensemble de la zone, l’impulsion budgétaire est quasi-nulle en 2013 et 2014 et l’essentiel de l’ajustement budgétaire est réparti entre 2017 et 2024.

Le graphique 1 montre l’écart du PIB en niveau entre les deux scénarii. Limiter le montant des impulsions budgétaires permet d’atteindre un niveau de PIB plus élevé et reste compatible avec un objectif de dette à 60 % du PIB en 2032 (scénario alternatif). L’efficacité de la consolidation budgétaire se trouve renforcée lorsqu’elle est réalisée dans un contexte moins défavorable à l’activité. Cette stratégie permet d’atteindre le même objectif de dette avec un ajustement budgétaire cumulé inférieur de 50 milliards d’euros à celui du scénario central.

Selon nos calculs, le scénario alternatif permettrait de retrouver 2 % de croissance en zone euro dès 2013, contre -0,3 % si les politiques budgétaires prévues étaient menées à bien. Le regain d’activité dynamiserait le marché du travail et permettrait au taux de chômage de se retourner en 2013 et de revenir à 10,2 % en 2015, contre 12,8 % si les politiques d’austérité persistaient, ce qui représenterait 3 millions de chômeurs en moins à l’horizon 2015.


[1] Une revue récente de la littérature sur les multiplicateurs budgétaires : la taille compte !

[2] Que valent les multiplicateurs budgétaires aujourd’hui ?

 




Les mesures d’austérité dans la zone euro ralentissent l’économie européenne

Rapport de l’IMK-OFCE-WIFO, 29 mars 2012 (Contact à l’OFCE : Catherine Mathieu) 

Version courte du Communiqué de Presse diffusé par l’IMK, le 29 mars 2012. Le texte original est consultable sur : http://www.boeckler.de/pdf/p_imk_report_71_2012.pdf; et en version anglaise sur http://www.boeckler.de/pdf/p_imk_report_71e_2012.pdf

L’Institut de macroéconomie et de conjoncture (IMK) à la fondation Hans-Böckler, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et l’Institut autrichien de recherche économique (WIFO) ont publié jeudi 29 mars un Rapport soulignant que la crise dans la zone euro et les politiques d’austérité provoquent un ralentissement économique dans de nombreux pays européens et posent un fort défi à l’économie allemande cette année et l’année prochaine.

Le rapport comprend une prévision de court terme centrée sur l’économie allemande, une prévision de moyen terme et des analyses de politique économique portant sur les économies européennes. L’exercice de prévision commune réalisé par les Instituts dans le cadre de ce projet est par principe indépendant des propres prévisions menées par chaque Institut. Cependant, les analyses réalisées, le diagnostic et les conclusions de politique économique sont largement les mêmes, comme l’on peut le constater à la lecture des dernières prévisions de l’OFCE.

Ainsi, les trois instituts soulignent que la crise dans la zone euro et les politiques d’austérité provoquent un ralentissement économique dans de nombreux pays européens et posent un fort défi à l’économie allemande cette année et l’année prochaine. En 2012, l’Allemagne connaitra une stagnation économique. Le PIB n’augmentera que de 0,3 %. En 2013, la situation ne s’améliorerait que légèrement – le PIB devrait croître de 0,7 %. La France, le partenaire commercial le plus important de l’Allemagne, atteindra seulement des taux de croissance de 0,2 % en 2012 et de 0,7 % en 2013. En raison d’une croissance négative dans les pays d’Europe du Sud et même aux Pays-Bas et en Belgique, la zone euro dans son ensemble connaîtrait une récession prolongée : le PIB de la zone euro baisserait de 0,8 % en 2012 ; puis de 0,5 % en 2013.

La baisse de la demande en provenance des pays voisins ralentit à la fois les exportations et les investissements allemands. En outre, la dynamique économique mondiale diminue également : dans de nombreux pays d’Asie et d’Amérique latine, les taux de croissance ralentissent sensiblement. En 2012, la consommation relativement soutenue sera donc le seul moteur de l’économie allemande. La faiblesse de la croissance mettra aussi fin à la forte reprise du marché de travail mais sans retournement : en 2012, le taux de chômage diminuera à nouveau légèrement. En 2013, l’emploi et le chômage resteront stables.

Par rapport à la prévision de l’IMK de décembre 2011, les chercheurs du réseau ont légèrement revu à la hausse les prévisions de la croissance du PIB allemand en 2012 de 0,4 point.

Selon Gustav A. Horn, le directeur scientifique de l’IMK : « L’idée que l’Allemagne pourrait réorienter ses exportations de la zone euro vers l’extérieur de la zone est une illusion. Les pays de la zone resteront nos partenaires commerciaux principaux. La politique d’austérité excessive d’un bon nombre de ces pays – imposée par le pacte budgétaire à la quasi-totalité de l’UE – nous frappera durement. Bien sûr, les pays de la zone euro en crise doivent réduire leurs déficits. Mais une politique d’austérité généralisée de tous les pays européens va étouffer la croissance et mettre ainsi en question l’amélioration des finances publiques elle-même. Pour trouver une issue à la crise, la stratégie économique de l’Europe doit comporter une politique globalement expansionniste. Toute autre politique déstabiliserait les marchés financiers plutôt qu’elle ne les calmerait ».

Attention à un changement de la politique de la BCE

Cependant, l’IMK, l’OFCE et WIFO ne prévoient pas d’aggravation de la crise de la dette dans la zone euro. Ils estiment que la BCE poursuivra sa stratégie jusqu’à présent efficace : fournir des liquidités à des conditions favorables aux banques et d’acheter des obligations publiques sur les marchés secondaires pour faire baisser les taux d’intérêt. Les chercheurs mettent explicitement en garde contre un changement de cap : « Dans le contexte de la crise, les récentes tentatives pour empêcher la BCE de poursuivre une fourniture abondante de liquidités sont très dangereuses. »

Perte de croissance du fait des politiques budgétaires restrictives

Les instituts du Réseau ont calculé les conséquences des mesures d’austérité dans leurs projections de moyen terme. Entre 2010 et 2013, les pays de la zone euro effectueront des impulsions budgétaires négatives représentant, au total, de 6,7 points du PIB de la zone. Dans les pays en crise comme l’Irlande, l’Espagne, le Portugal et la Grèce, ces impulsions sont encore plus fortes, allant de 12 à 24 points de PIB. Elles provoqueront des pertes de croissance cumulées allant de 10 % du PIB en Irlande à 25,3 % en Grèce : « c’est un effondrement total de l’économie grecque, » écrivent les chercheurs.

La croissance ralentira aussi en Italie, en France et même aux Pays-Bas en raison des fortes impulsions négatives allant de 5 à 9 points de PIB cumulées entre 2010 et 2013. Les pertes de croissance induites entre 2010 et 2013 sont de 4,6 % aux Pays-Bas, de 8 % en France et de  9,6 % en Italie. Par contre, l’impulsion budgétaire négative de 1,5 % en Allemagne est relativement faible. Mais en raison des liens économiques étroits avec les pays en crise, la croissance allemande de la période 2010-2013 subira une baisse de 2,7 % par rapport à un scénario sans austérité.  Dans les pays en crise, les pertes de croissance réduisent fortement les efforts de réduction des déficits publics du fait des baisses de recettes fiscales et de l’augmentation de certaines dépenses, comme celles d’indemnisation du chômage. Dans l’ensemble, « la politique d’austérité généralisée mise en œuvre dans le cadre du pacte budgétaire élargira le fossé au sein de la zone euro entre d’un côté les pays du Sud de l’Europe et de l’autre l’Allemagne et les autres pays d’Europe centrale et du Nord. Par cette politique, la crise ne sera pas résolue mais aggravée », avertissent les instituts.

Les chercheurs ont aussi étudié des stratégies alternatives sans austérité budgétaire. Ainsi ont-ils simulé les effets d’une stratégie de bas taux d’intérêt. Le scénario est basé sur l’hypothèse que les taux d’intérêt à 10 ans pour le financement des états membres de la zone euro pourraient être fixés à 2%, par une garantie collective des dettes publiques soutenue par la BCE. Cela rendrait possible d’abandonner les conditions contraignantes imposées par le pacte budgétaire. Dans ce scénario, la croissance économique serait nettement plus forte – de 0,8 point par an en moyenne entre 2012 et 2016 à l’échelle de la zone euro – et le chômage plus faible que dans le scénario acceptant les contraintes du Pacte budgétaire. Certes, les déficits publics resteraient plus forts, mais, en raison de la plus forte croissance, les ratios de dettes publiques seraient plus bas.