Hausse de prix à la consommation : au mois de mars près d’un quart des ménages ont perdu du pouvoir d’achat malgré les dispositifs mis en place

Par Raul Sampognaro

Le 17 mars 2022, l’OFCE publiait un Policy brief proposant une analyse macro et microéconomique du pouvoir d’achat des ménages en France. Cette publication se terminait avec une analyse conjoncturelle centrée sur l’impact des évolutions récentes des prix à la consommation. Compte tenu des données disponibles au moment de la rédaction du document, l’analyse des effets du choc inflationniste s’arrêtait au mois de décembre 2021. La flambée des prix observée au cours du 1er trimestre de l’année 2022 nous invite à mettre à jour l’analyse.

L’indice de prix à la consommation harmonisé (IPCH) a augmenté en glissement annuel de 5,1 % au mois de mars 2022 (Graphique 1). Cette évolution de l’indice s’établit à son plus haut niveau depuis la première publication de l’indicateur en 1996. Pour avoir un peu plus de profondeur historique nous pouvons suivre l’IPC sur l’ensemble du territoire français – disponible sans interruption depuis 1990 – et qui s’établit lui-aussi à un niveau inobservé depuis plus de 30 ans. Une telle évolution des prix à la consommation n’avait pas été observée depuis la première guerre du Golfe en 1990, période qui était aussi marquée par la flambée des prix des matières énergétiques et des tensions géopolitiques.

Un choc inflationniste qui n’affecte pas tous les ménages de façon homogène

La hausse des prix à la consommation observée n’affecte pas tous les ménages de façon homogène. Selon nos calculs, réalisés sur la base des données de l’enquête Budget des Familles 2017 (BDF 2017, plus de détails sur la méthodologie mobilisée dans l’encadré), en moyenne, un ménage aurait subi une inflation de 5,1 % (en glissement annuel) en mars. Mais ceci masque des hétérogénéités marquées : 10 % des ménages ont vu le prix de leur panier de consommation augmenter de moins de 2,5 % (ce qui reste supérieur à la cible de la BCE) et 10 % des ménages ont subi un renchérissement de leur panier de consommation de plus de 8,4 %[1].

Les ménages résidant en milieu rural souffrent d’une inflation plus forte (6,3 %) que ceux habitant en agglomération urbaine (5,1%) – notamment dans la zone métropolitaine parisienne (4,1 %), suggérant une plus forte dépendance aux mobilités en voiture individuelle. De la même façon, les ménages dont la personne de référence est à la retraite souffrent d’un choc inflationniste plus fort (5,6 % en moyenne) que les actifs occupés (5,1 %) et les étudiants (3,0 %). Si l’on classe les ménages suivant leur position dans l’échelle des niveaux de vie, on constate que l’inflation moyenne subie suit une courbe de U inversée. Les ménages plus pauvres connaissent moins d’inflation (5,0 % en moyenne pour le premier décile), l’effet monte jusqu’au quatrième dixième (inflation moyenne de 5,3 %) et puis l’inflation subie recule pour les trois dixièmes supérieurs (4,8 % en moyenne pour le décile supérieur).

Mais ces chiffres masquent des disparités à l’intérieur même de chaque catégorie. Par exemple, à l’intérieur des ménages où la personne de référence est en emploi, le choc de prix subi dépend du mode de transport privilégié pour réaliser le trajet domicile-lieu de travail. Si celui-ci est fait en voiture les ménages subissent une hausse de prix de 7,4 % alors que s’ils réalisent le trajet à pied ou en transport en commun la hausse de prix à la consommation moyenne est de 6,4 %. De même, l’hétérogénéité d’inflation entre déciles faible par rapport à l’hétérogénéité observée à l’intérieur même des déciles. Cette hétérogénéité dépendant de nombreux facteurs, mais dont le type d’unité urbaine de résidence semble capitale pour comprendre les dynamiques à l’œuvre (Graphique 2).

Le difficile ciblage des dispositifs publics mis en œuvre

Face à la flambée des prix, le gouvernement a mis en place deux dispositifs pour répondre aux difficultés de pouvoir d’achat[2]. Une indemnité inflation ponctuelle de 100 euros (dont la distribution a commencé en décembre) a été décidée pour tout individu gagnant moins de 2000 euros nets par mois. En outre, un renforcement exceptionnel du chèque énergie de 100 euros a été décidé en septembre 2021. Nous cherchons à étudier ici si ces dispositifs ont permis de compenser les effets des hausses de prix sur le niveau de vie des ménages en 2021 et au début de l’année 2022.

Le choc subi par un ménage est donné par le surcoût exceptionnel de son panier de consommation. Celui-ci est calculé comme l’écart entre l’indice de prix du ménage et l’indice de prix qui aurait prévalu si les tendances antérieures à la crise sanitaire s’étaient poursuivies depuis le début 2020 (plus de détail dans l’Etude associée au Policy Brief).

Pour réaliser l’évaluation des dispositifs, il ne faut pas oublier que le choc inflationniste de 2021 fait suite à un choc de modération des prix en 2020. Ceci rend l’évaluation du choc de prix plus difficile. Au niveau macroéconomique, l’IPCH moyen observé en 2021 est inférieur au niveau qui aurait dû être le sien si les tendances pré-Covid s’étaient poursuivies en 2020 et 2021. A titre d’exemple si l’inflation moyenne de 2017-2019 s’était poursuivie en 2020, l’IPCH de 2020 aurait dû être supérieur de 0,6 % à son niveau constaté (Tableau 1). La flambée de prix observée au cours de l’année 2021 ne pousse l’indice général de prix « que » 0,4 % en moyenne annuelle en dessus de son niveau contrefactuel. En revanche, compte tenu de la temporalité du choc, l’effet est nettement plus marqué en décembre 2021, date à laquelle l’indice se situe 0,9 point au-dessus de son niveau contrefactuel.

Compte tenu de la temporalité des chocs sur les prix, l’ensemble des dixièmes de niveau de vie aurait gagné du pouvoir d’achat en 2021 et le 1e trimestre 2022 (0,6 % en moyenne, Tableau 2) en lien avec les évolutions exceptionnelles des prix à la consommation observées depuis le début de la crise sanitaire (0,3 % hors dispositifs). Ce résultat peut paraitre paradoxal mais il s’explique de façon aisée. Au cours de la plus grande partie de l’année 2021, de très nombreux ménages ont fait face à des prix plus bas que dans le scénario contrefactuel sans crise sanitaire (55 % des ménages selon nos calculs). A contrario, au cours des 15 mois allant de janvier 2021 à mars 2022, 45 % des ménages auraient vu le prix de leur panier de consommation grimper du fait des évolutions spécifiques des prix observées depuis le début de la crise sanitaire.  

Lorsqu’on tient compte des dispositifs mis en place par le gouvernement au cours de la période, quasiment la moitié des ménages ayant vu le prix de leur panier des biens se renchérir auraient été compensées à hauteur du choc subi. Dans ce contexte, sur l’ensemble de la population 23 % des ménages auraient subi des pertes de pouvoir d’achat en lien avec les évolutions exceptionnelles des prix à la consommation. Cette grandeur est de 11 % parmi les 10 % des ménages à plus faible niveau de vie, pourtant mieux ciblés par le chèque énergie. Bien évidemment ceci reflète le fait qu’un nombre significatif de ménages ont une forte exposition à certaines dépenses dont le prix a évolué de façon conséquente.

Si on se limite exclusivement aux ménages ayant subi une hausse de leurs dépenses de consommation en lien avec les évolutions des prix, ceux appartenant aux deux premiers déciles de niveau de vie auraient été en moyenne surcompensés du choc de prix grâce aux dispositifs mis en œuvre (colonne 3 du Tableau 2). Le 3e et le 4e dixièmes auraient vu leur niveau de vie se stabiliser. Ceci suggère que les dispositifs auraient – en étant très larges – atteint leur objectif au prix d’une forte dégradation des finances publiques. Selon nos calculs, sur les 4,4 milliards d’euros distribués aux ménages, ceux ayant subi effectivement des hausses de prix auraient perçu 1,9 milliard d’euros.

Or, ces évolutions moyennes masquent le fait que parmi les plus pauvres ayant subi des hausses de prix, 19 % des ménages auraient été compensés de façon insuffisante : il existe une part non négligeable de la population fortement exposée à certains prix énergétiques.

Atténuer l’effet du choc sur les prix sur le pouvoir d’achat n’est pas tâche aisée. D’une part, tous les ménages n’ont pas la même capacité pour absorber un choc non anticipé. Certains ne dépensent pas totalement leur revenu courant et peuvent temporairement diminuer leur accumulation d’épargne sans diminuer leur consommation. Au contraire, d’autres ménages doivent sacrifier certaines dépenses afin de maintenir le niveau de leurs dépenses essentielles. Ceci invite à tenir compte du niveau des revenus pour compenser le choc non anticipé de prix. D’autre part, à revenu donné il existe une très grande hétérogénéité dans la structure des dépenses (dépendant des caractéristiques socio-démographiques très spécifiques mais aussi des préférences individuelles) qui nécessite de mobiliser de l’information sur la structure de la consommation des ménages[3].

Au-delà de la question du ciblage, l’évaluation de la calibration des dispositifs dépendra de la persistance du choc sur le niveau des prix. Un premier calcul, à prendre avec prudence, suggère que si le niveau des prix actuel se maintient jusqu’à la fin de l’année, et si les dispositifs d’aide ne sont ni renforcés ni remplacés, alors 66 % des ménages subiraient des pertes de pouvoir d’achat. Dans ce contexte, la perte moyenne de pouvoir d’achat serait de 0,7 % en 2022 du fait du choc des prix. L’indexation des revenus et des prestations sociales pourrait atténuer ce choc de pouvoir d’achat. Bien évidemment ceci dépendra grandement de l’évolution des tensions géopolitiques liées à l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les effets de la résurgence du Covid en Chine. Ces deux événements auront des impacts majeurs sur la dynamique à venir des prix des matières premières et sur la résilience des chaînes d’approvisionnement.

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Encadré. Utilisation de l’enquête Budget des Familles pour évaluer l’hétérogénéité du choc d’inflation

L’enquête Budget de famille (BDF) vise à reconstituer toute la comptabilité des ménages : dépenses et ressources annuelles des ménages résidant en France (métropole et Dom). L’ensemble des dépenses des 29 000 ménages interrogés est enregistré y compris celles qui ne relèvent pas de la consommation de biens et services au sens des comptes nationaux. L’enquête demande de renseigner les dépenses sur une nomenclature d’environ 900 postes budgétaires (calquée en partie sur la nomenclature COICOP) compatible avec la nomenclature de la comptabilité nationale. Pour les ressources, BDF mobilise des fichiers administratifs concernant les ménages interrogés.

Grâce aux données individuelles, nous calculons un indice de prix pour le ménage i à la date t ) :

avec wij le poids du produit j dans la consommation du ménage i en 2017. Pour calculer les indices de prix par ménage, nous avons agrégé BDF à un niveau avec 121 produits. Il faut noter que garder la pondération du bien  dans la consommation du ménage  peut aboutir à une surestimation de l’inflation subie par le ménage : cela néglige les potentiels effets de substitution qui ont eu lieu entre 2017 et 2021 (ainsi que les évolutions propres au cycle de vie et aux effets de revenu).

Dans ce contexte, l’effet des évolutions exceptionnelles des prix à la consommation sur le niveau de vie du ménage i (noté NDVi) au cours de l’année 2021 et du 1er trimestre 2022 est calculé en utilisant la formule suivante :

Avec Ci,2017 étant le niveau des dépenses de consommation du ménage i renseigné dans BDF 2017, IPi,t l’indice de prix du ménage i, IP*i,t l’indice de prix contrefactuel du ménagesi les tendances pré-COVID s’étaient poursuivies en 2021  et le 1er trimestre 2022, IIi et CEi les montants respectifs de l’indemnité inflation et du renforcement du chèque énergie encaissés par le ménage .

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[1] Et 5 % des ménages interrogés par BDF 2017 auraient vu le prix de leur panier de biens s’accroitre de plus de 10%.

[2] Le gel de certains prix (électricité, gaz) influence directement le niveau de l’indice de prix. Ces mesures sont indirectement prises en compte dans l’évolution du niveau de vie ici mesurée mais il n’y a pas un calcul de l’effet redistributif de ces mesures qui se traduisent avant tout par des transferts entre les administrations publiques et les entreprises. La remise de 18 centimes à la pompe est entrée en vigueur au mois d’avril, en dehors de la période d’analyse de ce post de blog.

[3] Par ailleurs ceci pose la question s’il est légitime de compenser certains ménages qui sont très exposés à certains prix du fait de leur préférences individuelles, mais ce débat dépasse l’objet de ce post de blog.




Prime d’activité : une ambition varlopée

par Pierre Madec et Raul Sampognaro

La prime d’activité est un complément de revenu s’adressant aux travailleurs aux revenus modestes[1]. Au cours des derniers mois, cette prime a été l’objet de nombreuses évolutions, pour certaines inscrites dans le programme présidentiel[2] d’E. Macron. Celles-ci visaient explicitement à inciter à la reprise d’emploi et à augmenter le pouvoir d’achat des salariés, sans conséquence directe sur le coût du travail pour les entreprises.

Au mois d’octobre 2018, le montant forfaitaire de la prestation a été revalorisé de 20 euros par mois. À partir d’octobre 2019, une deuxième bonification individuelle sera introduite, concentrée sur les salaires proches d’un SMIC à temps plein. Par ailleurs, des modifications techniques se sont ajoutées aux mesures du programme présidentiel : indexation ou absence d’indexation à l’inflation ou encore évolution du taux de cumul des revenus d’activité (Tableau 1). Le cumul de ces mesures rend peu clairs les effets à attendre pour les ménages bénéficiaires. Une fois explicité l’impact des mesures pour un salarié célibataire, nous tenterons d’élargir l’analyse à l’ensemble des bénéficiaires.

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Entre 2018 et 2019, 42 euros de revenu mensuel supplémentaire pour un salarié au SMIC

Globalement, les réformes de la prime d’activité augmentent le montant de l’allocation pour les bénéficiaires percevant des revenus d’activité supérieurs au montant forfaitaire. Le profil de gains tirés des réformes diffère en 2018 et en 2019 (graphique 1). En 2018, les gains associés aux relèvements du montant forfaitaire, intervenus en avril et octobre, sont homogènes parmi les bénéficiaires tandis que la baisse du taux de cumul des revenus pénalise plus fortement les bénéficiaires percevant des revenus plus élevés. En 2019, la nouvelle bonification individuelle est croissante à partir de 0,5 SMIC et atteint son niveau maximum au niveau du SMIC mensuel.

Ainsi, les mesures de revalorisation de 2019, contrairement à celles de 2018, ont un impact plus fort pour les bénéficiaires aux revenus les plus importants (graphique 2).

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Si on se concentre sur les salariés percevant l’équivalent d’un SMIC à temps plein, la prime d’activité était proche de 155 euros fin 2017. La revalorisation du montant forfaitaire de 20 euros, mise en place en octobre 2018, augmente d’autant son revenu mensuel. Parallèlement, la baisse du taux de cumul, entrée en application au même moment, ampute une part de la hausse et porte la prime d’activité pour un salarié travaillant au SMIC à taux plein à 170 euros. Au total, le salarié au SMIC aura vu augmenter sa prime d’activité de 15 euros en 2018. La création de la deuxième bonification individuelle en octobre 2019 augmentera, quant à elle, ses revenus de 20 euros supplémentaires.

Par ailleurs, le montant de la prime d’activité perçu par un salarié rémunéré au SMIC sera aussi affecté par les effets induits par la bascule CSG/cotisations sociales : en augmentant son salaire net, les ressources servant au calcul de la prime d’activité sont modifiées. Cumulé avec l’effet de la plus forte dégressivité de la prime d’activité, un gain de 20 euros de salaire net ampute la prime d’activité de 8 euros. Au final, la prime d’activité de ce salarié s’établirait fin-2019 à un niveau proche de 180 euros. Par rapport au mois de décembre 2017, le gain total de revenu net à attendre des mesures devrait être de 42 euros.

Dans les faits, ce gain dépendra en grande partie de la structure des revenus d’activité des ménages bénéficiaires. A titre d’exemple, les ménages percevant un revenu d’activité inférieur à 0,5 SMIC ne bénéficient ni des revalorisations, qu’elles soient « exceptionnelles » ou non, ni de la création de la seconde bonification individuelle. A contrario, ils sont impactés négativement par la baisse du taux de cumul.

En ne tenant compte ni de la baisse des cotisations salariés ni des effets négatifs sur le montant perçu de prime d’activité, environ 10 % des ménages bénéficiaires de la prime d’activité – soit environ 300 000 ménages – devraient perdre à la mise en place des mesures étudiées. Si ces ménages sont largement minoritaires, l’existence de ces situations interrogent ; bien que celles-ci disparaissent si l’on intègre à l’analyse les effets de la baisse des cotisations salariés.

En moyenne, les gains par ménage resteront modestes à horizon 2019

L’existence d’hétérogénéités importantes dans les situations des salariés bénéficiaires rend nécessaire l’utilisation d’un modèle de micro simulation afin d’évaluer l’impact des différentes mesures sur le revenu disponible des ménages. Pour ce faire, nous utilisons le modèle Ines, développé conjointement par l’Insee et la Drees, et nous concentrons notre analyse sur les quelques 3 millions de ménages bénéficiaires de la prime d’activité.

Les résultats de nos simulations font apparaître des gains réels moyens relativement faibles (Tableau 2). Si les revalorisations décidées en 2018 (indexation à l’inflation en avril et revalorisation de 20 euros en octobre) devraient accroître le revenu disponible des bénéficiaires de la prime d’activité d’en moyenne 15 euros par mois en 2018 et 20 euros en 2019, celui-ci devrait être amputé respectivement de 5 euros et 10 euros du fait de la baisse du taux de cumul. L’absence de revalorisation en avril 2019 et la création d’une seconde bonification à l’automne 2019 devraient quant à elles avoir un impact quasi nul sur le revenu disponible des allocataires.

Au final, le gain réel moyen à attendre des mesures impactant directement la prime d’activité devrait s’élever en 2018 et en 2019 à environ 10 euros par mois et par ménage allocataire, soit 20 euros par mois par rapport à 2017. Ce gain viendrait s’ajouter au gain moyen (net de l’effet sur la prime d’activité) à attendre de la baisse des cotisations salariés (20 euros à l’horizon 2019).

En 2019, les ménages bénéficiaires de la prime d’activité devraient donc voir leur revenu disponible s’accroître en moyenne de 40 euros par mois par rapport à 2017 sous l’effet conjugué des mesures étudiées, soit une hausse de 1,4 % de leur revenu disponible.

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[1] Pour plus de détails, voir « Prime d’activité : quelle efficacité redistributive et incitative ? », Allègre et Ducoudré, Policy Brief de l’OFCE, octobre 2018.

[2] « Tous les smicards qui bénéficient de la prime d’activité toucheront par exemple l’équivalent d’un 13e mois de salaire, soit 100 € nets de plus chaque mois. »




La Réserve fédérale hausse le ton

par Christophe Blot

Lors de sa réunion du 13 juin, la Réserve fédérale a annoncé une augmentation du taux directeur de la politique monétaire, qui se situe désormais dans une fourchette de 1,75 à 2 %. Jérôme Powell, le nouveau Président de l’institution depuis février justifie cette décision par la situation favorable sur le marché du travail et par l’évolution récente de l’inflation, proche de 2 % lorsqu’on l’on ne tient pas compte des prix alimentaires et de l’énergie[1]. Dans ces conditions, la banque centrale serait en passe de satisfaire ses objectifs, à savoir un emploi maximum et la stabilité des prix, ce qui justifie la poursuite de la normalisation de la politique monétaire américaine.

Alors qu’en fin d’année 2017, les observateurs de la Réserve fédérale pariaient plutôt sur trois hausses des taux en 2018, l’annonce du 13 juin plaide désormais pour une légère accélération du rythme de resserrement monétaire. En ligne avec nos prévisions d’avril, la Réserve fédérale augmenterait encore ses taux à deux reprises en 2018 pour les porter à 2,5 %. Ce changement résulte en grande partie de prévisions de croissance plus optimistes en 2018, soutenue par une politique budgétaire fortement expansionniste. Le PIB augmenterait alors de 2,9 % et le chômage poursuivrait sa baisse pour atteindre 3,6 % en fin d’année 2018, soit un niveau inférieur à celui observé lors des précédents creux observés en 2000 et 2006 où il avait atteint respectivement 3,9 % et 4,5 %. Néanmoins, l’évolution d’autres indicateurs sur le marché du travail – taux d’emploi et taux d’activité – conduisent à nuancer le diagnostic d’une situation économique qui aurait été définitivement rétablie dix ans après le début de la Grande Récession. Le taux d’emploi et le taux d’activité restent en effet inférieurs aux niveaux observés lors du pic de la fin des années 2000, ce qui pourrait contribuer à expliquer l’absence de tensions inflationnistes aux États-Unis malgré un taux de chômage aussi bas.

Pour autant, la politique monétaire américaine restera expansionniste cette année. De fait, le taux directeur en fin d’année 2018 resterait inférieur à celui atteint lors des deux précédents pics d’activité. En 2000 et 2006, la Réserve fédérale avait monté son taux jusqu’à 6,5 % et 5,25 % respectivement. C’est aussi ce que suggère le taux issu d’une règle de Taylor qui permet de déterminer une valeur de référence pour le taux d’intérêt si la banque centrale appliquait une règle systématique où le taux d’intérêt directeur dépend de l’écart de croissance[2] et de l’écart de l’inflation à une cible de 2 %. En fin d’année, le taux simulé issu de la règle de Taylor serait de 4,1 % suggérant que la Réserve fédérale se montre toujours aussi prudente dans sa phase de normalisation de la politique monétaire.

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[1] L’inflation totale s’élevait à 2,4 % en avril.

[2] L’écart de croissance en prévision est calculé à partir de l’évolution de la croissance potentielle du CBO (Congress Budget Office) et des prévisions OFCE du PIB américain.




Que doit-on déduire des chiffres d’inflation ?

par Eric Heyer

En mai, l’inflation en zone euro s’est rapprochée de l’objectif de la BCE. En passant d’un rythme annuel de 1,2% à 1,9% en l’espace d’1 mois, cette nette hausse de l’inflation n’a pourtant suscité aucun émoi, la nature principale de celle-ci étant commune à tous les pays et parfaitement identifiée : la flambée des cours du pétrole. Après avoir dégringolé jusqu’à 30 dollars le baril en début d’année 2016, celui-ci s’établit aujourd’hui autour de 77 dollars, niveau jamais atteint depuis 2014. Même corrigé du taux de change – l’euro s’est apprécié par rapport au dollar – le prix du baril a augmenté de près de 40 % (soit 18 euros) au cours des 12 derniers mois engendrant mécaniquement une accélération des prix dans les pays importateurs nets de pétrole. A cet effet commun vient se greffer pour la France l’incidence de la hausse de la fiscalité indirecte sur le tabac et les carburants entrée en vigueur en début d’année qui, selon nos évaluations, augmenterait de 0,4 point l’indice des prix.

Dans le même temps, l’inflation sous-jacente (ou core inflation) – indice excluant les produits à prix volatils (comme le pétrole ou les produits frais) ainsi que les prix soumis à l’intervention de l’État (électricité, gaz, tabac…) – n’accélère toujours pas et reste en dessous de 1%. L’effet de second tour d’un choc pétrolier transitant par une hausse des salaires ne semble donc pas s’enclencher, le consommateur absorbant l’essentiel du choc par une baisse de son pouvoir d’achat. Cela explique une partie du ralentissement observé de la consommation des ménages en ce début d’année ainsi que le peu de réactions des autorités monétaires à l’annonce des chiffres d’inflation.

Reste alors la question de la faiblesse de l’inflation tendancielle et de son lien avec la situation conjoncturelle. Avons-nous déjà rattrapé le retard de production engendré depuis la Grande crise de 2008 (output gap proche de zéro) ou reste-il encore des capacités de production mobilisables en cas de supplément de demande (output gap positif) ? Dans le premier cas, cela signifierait que le lien entre la croissance et l’inflation est significativement rompu ; dans le second cas, cela indiquerait que le faible niveau de l’inflation n’est pas surprenant et que la normalisation de la politique monétaire doit être progressive.

En 2017, malgré un processus de reprise qui se consolide et se généralise, la plupart des économies développées accusent encore du retard par rapport à la trajectoire d’avant-crise. Seuls certains semblent avoir déjà comblé ce retard de croissance. Ainsi, deux catégories de pays semblent émerger : la première – constituée notamment de l’Allemagne, des États-Unis et du Royaume-Uni – est celle des pays ayant rattrapé leur niveau de production potentielle et se situant en haut de cycle ; la seconde – dans laquelle figure la France, l’Italie et l’Espagne par exemple – est celle des pays connaissant encore un retard de production qui se situerait, selon les instituts de conjonctures économiques, entre 1 et 2 points de PIB pour la France et l’Italie et 3 points de PIB pour l’Espagne (graphique 1).

IMG1_post05-06La présence de pays développés dans les deux catégories devrait en toute logique se traduire par l’apparition de tensions inflationnistes dans les pays figurant dans la première, et par un écart d’inflation avec ceux de la seconde. Or, ces deux phénomènes ne sont pas apparents en 2017 : comme l’illustre le graphique 2, le lien entre le niveau de l’output gap et le taux d’inflation sous-jacent est loin d’être clair, jetant un doute sur l’interprétation que l’on doit avoir du niveau de l’output gap : aux incertitudes relatives à cette notion se rajoute celle associée au niveau de cet écart dans le passé, en 2007 par exemple.

IMG2_post05-06Face à cette forte incertitude, il semble opportun d’établir un diagnostic sur la base de la variation de cet output gap depuis 2007. Une telle analyse aboutit à un consensus plus net entre les différents instituts et à la disparition de la première catégorie de pays, ceux n’ayant plus de marge de croissance supplémentaire au-delà de leur seule croissance potentielle. En effet, selon eux, aucun des grands pays développés n’aurait retrouvé en 2017 son niveau d’output gap de 2007, y compris l’Allemagne. Cet écart se situerait autour de 1 point de PIB pour l’Allemagne, de 2 points de PIB pour le Royaume-Uni et les États-Unis, au-delà de 3 points de PIB pour la France et l’Italie et autour de 5 points de PIB pour l’Espagne (graphique 3).

IMG3_post05-06Cette analyse est davantage en ligne avec le diagnostic de reprise d’inflation basée sur le concept du sous-jacent : le fait que les économies des pays développés n’aient pas retrouvé en 2017 leur niveau cyclique de 2007 explique des taux d’inflation inférieurs à ceux observés au cours de la période pré-crise (graphique 4). Ce constat est corroboré par une analyse basée sur d’autres critères que l’output gap, notamment la variation du taux de chômage et du taux d’emploi depuis le début de la crise ou du taux de croissance de la durée du travail durant cette même période. Le graphique 5 illustre ces différents critères. Sur la base de ces derniers, le diagnostic qualitatif porté sur la situation cyclique des différentes économies est celui de l’existence de marges de rebond relativement élevées en Espagne, en Italie et en France. Ce potentiel de rebond est faible en Allemagne, aux États-Unis et au Royaume-Uni : seule l’augmentation du temps de travail pour le premier et du taux d’emploi pour les deux suivants pourrait le permettre.

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La désinflation manquante est-elle un phénomène américain uniquement ?

par Paul Hubert, Mathilde Le Moigne

La dynamique de l’inflation après la crise de 2007-2009 est-elle atypique ? Selon Paul Krugman : « si la réaction de l’inflation (ndlr : aux Etats-Unis) avait été la même à la suite de la Grande Récession que lors des précédentes crises économiques, nous aurions dû nous trouver aujourd’hui en pleine déflation… Nous ne le sommes pas. » En effet, après 2009, l’inflation aux Etats-Unis est demeurée étonnamment stable au regard de l’évolution de l’activité réelle. Ce phénomène a été qualifié de « désinflation manquante ». Un tel phénomène s’observe-t-il dans la zone euro ?

En dépit de la plus grande récession depuis la crise de 1929, le taux d’inflation est resté stable autour de 1,5% en moyenne entre 2008 et 2011 aux Etats-Unis, et de 1% en zone euro. Est-ce à dire que la courbe de Phillips, qui lie l’inflation à l’activité réelle, a perdu toute validité empirique ? Dans une note de 2016, Olivier Blanchard rappelle au contraire que la courbe de Phillips, dans sa version originelle la plus simple, reste un instrument valable pour appréhender les liens entre inflation et chômage, et ce en dépit de cette « désinflation manquante ». Il note cependant que le lien entre les deux variables s’est affaibli parce que l’inflation dépend de plus en plus des anticipations d’inflation, elles-mêmes ancrées à la cible d’inflation de la Réserve fédérale américaine. Dans leur article de 2015, Coibion et Gorodnichenko expliquent cette désinflation manquante aux Etats-Unis par le fait que les anticipations d’inflation sont plutôt influencées par les variations des prix les plus visibles, comme par exemple les variations du prix du baril de pétrole. On observe d’ailleurs depuis 2015 une baisse des anticipations d’inflation concomitante à la baisse des prix du pétrole.

La difficulté à rendre compte de l’évolution récente de l’inflation, au travers de la courbe de Phillips, nous a conduits à évaluer, dans un récent article, ses déterminants potentiels et à examiner si la zone euro a également connu un phénomène de « désinflation manquante ». Sur la base d’une courbe de Phillips standard, nous ne retrouvons par les conclusions de Coibion et Gorodnichenko lorsque l’on considère la zone euro dans sa totalité. Dit autrement, l’activité réelle et les anticipations d’inflation décrivent bien l’évolution de l’inflation.

Cependant, ce résultat semble provenir d’un biais d’agrégation entre les comportements d’inflation nationaux au sein de la zone euro. En particulier, nous trouvons une divergence notable entre les pays du nord de l’Europe (Allemagne, France), exhibant une tendance générale à une inflation manquante, et les pays davantage à la périphérie (Espagne, Italie, Grèce) exhibant des périodes de désinflation manquante. Cette divergence apparaît néanmoins dès le début de notre échantillon, c’est-à-dire dans les premières années de la création de la zone euro, et semble se résorber à partir de 2006, sans changement notable au cours de la crise de 2008-2009.

Contrairement à ce qui s’est produit aux États-Unis, il apparaît que la zone euro n’a pas connu de désinflation manquante à la suite de la crise économique et financière de 2008-2009. Il semble au contraire que les divergences d’inflation en Europe sont antérieures à la crise, et tendent à se résorber avec la crise.

 




Une inflation faible pour longtemps ?

Par Thomas Hasenzagl, Filippo Pellegrino, Lucrezia Reichlin et Giovanni Ricco

L’enquête de la BCE auprès des prévisionnistes professionnels confirme le point de vue de la BCE selon lequel l’inflation dans la zone euro se redressera et sera de nouveau dans la fourchette cible de la banque centrale en 2019. Ce billet discute et conteste ce diagnostic. En utilisant un modèle qui formalise l’idée selon laquelle la dynamique de l’inflation est fonction de trois composantes – les anticipations à long terme, la courbe de Phillips et le mouvement du prix du pétrole – elle prévoit une inflation de la zone euro de seulement 1,1% en 2019, un taux proche du taux implicite selon les marchés obligataires[1].

Selon une vision communément admise en économie (voir par exemple, Yellen 2016), trois composantes influent sur la dynamique de l’inflation: une tendance lente reflétant les anticipations à long terme, la courbe de Phillips reliant les variables réelles et nominales et l’impact des fluctuations du pétrole sur les anticipations et les prix. Dans un article récent (Hasenzagl et al., 2018), nous proposons un modèle formalisant ce point de vue. Notre modèle, appliqué à l’inflation américaine, suggère que la courbe de Phillips est bien identifiée et stable, mais que cet effet est souvent dominé par des fluctuations cycliques liées au prix du pétrole qui co-évoluent avec les anticipations d’inflation. Contrairement au modèle standard de la courbe de Phillips avec anticipations rationnelles, ce «cycle pétrolier» n’affecte pas l’écart de production et est transmis aux prix en tant que composante purement anticipative.

Dans ce billet, nous présentons les principaux résultats de l’inflation de la zone euro basés sur le même modèle et les comparons avec ce que nous avons obtenu pour les États-Unis. Nous utilisons ensuite le modèle pour prévoir la hausse de l’HIPC (Indice des prix à la consommation harmonisé) dans la zone euro sur un horizon allant jusqu’à deux ans et décomposons la prévision en trois composantes – les anticipations tendancielles, la courbe de Phillips et l’effet des variations du prix du pétrole – afin d’évaluer la probabilité de revenir à la cible de 2 % dans les deux prochaines années.

Les graphiques 1 et 2 présentent les données sur l’inflation ainsi que l’inflation tendancielle, que nous identifions comme une composante commune aux anticipations d’inflation de long terme et à l’inflation. La différence entre les deux économies est assez prononcée. Historiquement, l’inflation tendancielle aux États-Unis semble a lentement diminué depuis les années 80, avant de se stabiliser dans les années de 2000 à 2010. Depuis, elle baisse légèrement à nouveau. Dans la zone euro, nous décelons un lent déclin historique dû à la préparation à l’entrée dans l’union monétaire et, plus récemment, une dérive à la baisse en 2012. Cette dernière arrive, environ un an après les deux baisses de taux d’intérêt mises en œuvre par la BCE. Ensuite, l’inflation dans la zone Euro s’est stabilisée à un niveau inférieur à partir de 2016.

Graphique 1 : Inflation tendancielle – CPI aux Etats-UnisGR_Inflation_G1

Notes : CPI (prix à la consommation aux Etats-Unis) et inflation tendancielle trimestrielle (en glissement annuel). La période de prévision est indiquée par une zone grisée entre 2017-T4 et 2020-T1. Légende : données ; tendance ; intervalles de confiance à 68 et 90 %. Source : Calculs des auteurs, BLS.
Graphique 2 : Inflation tendancielle – HIPC dans la zone euroGR_Inflation_G2

Note : HIPC trimestriel et tendance trimestrielle. La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. L’HIPC de 1998 est reconstruit à l’aide des données du modèle à l’échelle de la zone (AWM). Légende : données ; tendance ; intervalles de confiance à 68 et 90 %. Source : Calculs des auteurs, AWM, BCE.

 

Les graphiques 3 et 4 montrent les composantes stationnaires de l’inflation telles issues du modèle pour la zone euro et les États-Unis: la courbe de Phillips (ligne bleue), un «cycle du prix du pétrole» (ligne rouge) et une composante stationnaire idiosyncratique non corrélée aux variables réelles et au prix du pétrole (ligne jaune).

Les résultats montrent que, dans les deux économies, les prix du pétrole et l’activité réelle sont tous deux importants pour expliquer les fluctuations temporaires de l’inflation, et que les deux cycles ont des caractéristiques différentes en termes de volatilité et de persistance.

La courbe de Phillips — comprise dans la théorie macroéconomique moderne comme une relation reliant les variables réelles, les variables nominales et les anticipations d’inflation — est bien identifiée et a été relativement stable depuis le début des années 1980. Cependant, ce n’est pas toujours la composante dominante. De grandes fluctuations du prix du pétrole peuvent éloigner les anticipations des consommateurs de la relation nominale-réelle (les «désancrer») et induire des fluctuations des prix dictées par les anticipations. Ce résultat confirme l’intuition de Coibion et Gorodnichenko (2015) pour les États-Unis à partir d’une approche différente qui nous permet de retrouver un effet Phillips indépendant des anticipations liées aux mouvements du prix du pétrole et des prix.

Graphique 3 : Composante stationnaire de l’inflation (CPI) américaineGR_Inflation_G3

Note : Cycle trimestriel de l’inflation (en glissement annuelle). La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. Légende : cycle total, composante cyclique idiosyncratique, composante cyclique liée au prix de l’énergie, effet courbe de Phillips. Source : Calculs des auteurs, BLS.

Graphique 4 : Composante stationnaire de l’inflation (HIPC) de la zone euroGR_Inflation_G4

Note : Cycle trimestriel de l’HIPC annuel. La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. L’HIPC de 1998 est reconstruit à l’aide des données du modèle `Area Wide Model’ (AWM) par la BCE. Légende : cycle total, composante cyclique idiosyncratique, composante cyclique liée au prix de l’énergie, effet courbe de Phillips. Source : Calculs des auteurs, AWM, BCE.

 

Le modèle est ensuite utilisé pour faire des prévisions d’inflation dans la zone euro pour les deux prochaines années. Le graphique 5, compare nos résultats aux prévisions officielles.

Graphique 5. Prévisions pour l’inflation (HIPC) dans la zone euroGR_Inflation_G5

Note : HIPC trimestriel d’une année sur l’autre. La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. L’HIPC de 1998 est reconstruit à l’aide des données du `Area Wide Model’ (AWM) par la BCE. Légende : donnée, prévision, intervalles de confiance à 68 et 90%. Source : calculs des auteurs, AWM, Bloomberg, BCE.

 

En 2018, notre modèle prévoit un taux d’inflation de 1,5%, contre 1,3 % pour la prévision de la BCE. Pour 2019, le modèle prédit une baisse de la progression des prix à 1,1%, en deçà de la prévision d’inflation de la BCE qui s’élève à 1,6% et de la prévision médiane de 1,6% issue de l’enquête réalisée par la BCE auprès des prévisionnistes professionnels (SPF). La projection du modèle est en ligne avec les prévisions de point-mort d’inflation obtenues sur le marché obligataire pour l’Italie et la France et dépasse ce point mort d’inflation pour l’Allemagne. Compte tenu de l’incertitude, le modèle nous indique que la probabilité que l’inflation soit inférieure à 1,6% en 2019 est de 68%.

Les prévisions peuvent être facilement interprétées, en utilisant notre décomposition structurelle.

  • Le modèle ne prévoit pas que les anticipations de tendance se redressent. Ceci est bien sûr en partie la conséquence du fait que l’inflation tendancielle est modélisée comme une marche aléatoire avec dérive constante. Cela pourrait changer en fonction des politiques
  • La composante cyclique expliquée par les prix du pétrole ne devrait pas se redresser, en l’absence de chocs futurs. Ceci est en ligne avec les anticipations implicites sur les marchés à terme. [2]
  • Les conditions économiques réelles ne semblent pas non plus suffisantes pour exercer une pression à la hausse. En fait, notre modèle détecte que le cycle a atteint un sommet et prévoit donc un ralentissement des conditions économiques réelles qui nous ramènera à la tendance d’ici 2019 (voir le graphique 6).

Graphique 6  : Écart de productionGR_Inflation_G6

Note : L’écart de production trimestriel est calculé comme le rapport entre le cycle du PIB et la tendance. La période de prévision est indiquée par une zone grisée et va de 2017-T4 à 2020-T1. Le PIB avant 1995 est reconstruit à l’aide des données du modèle (AWM). Source : calculs des auteurs, AWM, Bloomberg, BCE.

 

L’écart de production estimé par notre modèle implique que l’économie atteint un pic au premier trimestre 2018, et un creux à partir de la deuxième partie de 2019. Les résultats de notre analyse sont cohérents avec l’estimation de Bloomberg de l’écart de production (BCMPOGEA Index). Globalement, la probabilité que l’écart de production devienne négatif à la fin de 2019 est estimée à 57%.

Conclusion 

La prévision des différentes composantes de l’inflation dans la zone euro indique une forte probabilité que l’inflation reste inférieure à 1,6% en 2019. Cette prévision repose sur l’évaluation selon laquelle les anticipations tendancielles resteront au niveau des dix dernières années, que les pressions sur les prix du pétrole resteront modérées, et que l’économie commencerait à ralentir dans la deuxième partie de 2018.

 

Ce billet est paru en anglais sur le site de voxeu : Low inflation for longer

 

Références 

Coibion, O and Y Gorodnichenko (2015), “Is the Phillips Curve Alive and Well after All ? Inflation Expectations and the Missing Disinflation”, American Economic Journal: Macroeconomics 7(1): 197-232.

Hasenzagl, T, F Pellegrino, L Reichlin, and G Ricco (2018), “A Model of the Fed’s View on Inflation”, Sciences Po OFCE Working Paper, n°03, 2018-01-16.

Yellen, J L (2016), “Macroeconomic research after the crisis”, speech at “The Elusive ‘Great’ Recovery: Causes and Implications for Future Business Cycle Dynamics”, 60th Annual Economic Conference, sponsored by the Federal Reserve Bank of Boston.

 

[1] « Le taux d’inflation implicite ou point-mort d’inflation, représente la différence de rendement entre une obligation classique (taux nominal) et son équivalente (même émetteur, même échéance…) indexée sur l’inflation (taux réel). Il représente alors l’inflation moyenne anticipée par les marchés sur la durée de vie de l’obligation.

[2] Au 8 janvier, le prix du pétrole est d’environ 62 $ US / baril. Les contrats à terme sur le pétrole brut pour décembre 2018 se vendent 59 $ / bbl et les contrats à terme sur pétrole pour décembre 2019 se vendent autour de 56 $ / bbl, ce qui laisse entendre que les investisseurs prévoient actuellement une baisse du prix du pétrole au cours des deux prochaines années.




Une nouvelle Grande Modération ?

Département analyse et prévision

Ce texte s’appuie sur les perspectives 2017-2019 pour l’économie mondiale et la zone euro dont une version complète est disponible ici.

Dix ans après l’éclatement de la crise financière, pendant l’été 2007, l’économie mondiale semble enfin s’engager sur une trajectoire de croissance plus solide et commune aux pays industrialisés comme à la plupart des pays émergents. Les chiffres du premier semestre 2017 indiquent en effet une accélération de la croissance mondiale, ce qui devrait se traduire par une hausse du PIB de 3,3 % sur l’ensemble de l’année, en hausse de 0,3 point par rapport à l’année précédente. Certes, quelques incertitudes demeurent, sur l’issue du Brexit ou encore la capacité des autorités chinoises à maîtriser le ralentissement de leur économique mais il s’agit d’une forme d’incertitude irréductible et caractéristique du système économique, soumis à des chocs politiques, technologiques, économiques et financiers[1]. Au-delà de ces risques, qu’il ne faut pas sous-estimer, se pose la question de la capacité des économies à réduire les déséquilibres hérités de la crise. Si la croissance actuelle permet de réduire le taux de chômage ou d’améliorer le taux d’emploi, encore faut-il que ce régime soit durable pour retrouver le plein-emploi, réduire les inégalités, favoriser la réduction de la dette.

A cet égard, tous les doutes ne sont pas levés par l’embellie en cours de la situation économique mondiale. Premièrement, les performances de croissance restent modérées au regard de la récession passée et des précédents épisodes de reprise. Depuis 2012, la croissance moyenne de l’économie mondiale s’établit à 3,2 %, soit un niveau inférieur à celui observé dans les années 2000 (graphique). Le sentier de croissance semble plus proche de celui observé dans les années 1980 et 1990. Cette période qualifiée de Grande modération était caractérisée par une moindre volatilité macroéconomique et par un mouvement de désinflation, d’abord dans les pays avancés, puis dans les pays émergents. Ce deuxième élément est aussi un point important de la situation économique mondiale aujourd’hui. En effet, l’accélération de la croissance ne se traduit pas par un regain d’inflation. Cette inflation basse reflète la persistance d’un sous-emploi sur le marché du travail qui freine la croissance des salaires. Elle illustre également les difficultés des banques centrales à (ré-)ancrer les anticipations d’inflation sur leur cible.

Enfin, se pose la question du potentiel de croissance. Malgré les nombreuses incertitudes sur la mesure du potentiel de croissance, de nombreuses estimations convergent pour indiquer une croissance de long terme plus faible principalement du fait d’un ralentissement de la productivité tendancielle. Soulignons néanmoins que les méthodes utilisées pour déterminer ce sentier de croissance conduisent parfois à prolonger les tendances récentes et peuvent dès lors devenir auto-réalisatrices si elles conduisent les agents privés et publics à réduire leurs dépenses par anticipation de ce ralentissement de la croissance. Inversement, accroître la croissance future suppose des investissements privés et publics. Les politiques économiques doivent donc continuer à jouer un rôle moteur pour accompagner la reprise et créer les conditions de la croissance future.

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[1] Voir OFCE (2017) : La routine de l’incertitude.




Les ressorts inflationnistes se retendent

par Hervé Péléraux

La publication de l’indice des prix par l’INSEE le 15 novembre dernier a confirmé le retour de l’inflation en territoire positif, + 0,4 % en octobre comme en septembre, après avoir oscillé autour de 0 depuis la fin 2014. Cette phase de désinflation prononcée depuis deux ans réplique en partie la trajectoire de l’indice du prix de l’énergie marquée par la division par 3 du prix du pétrole entre la mi-2014 et le début de 2016. Avec une pondération de presque 8 % dans l’indice d’ensemble, l’indice du prix de l’énergie, qui incorpore le prix des carburants mais aussi ceux des produits indexés sur le pétrole comme le gaz et l’électricité, a imprimé mécaniquement un repli de l’inflation. Cette phase de désinflation liée à l’énergie paraît toutefois être arrivée à son terme, avec la remontée des cours du brut entre 45 et 50 dollars depuis son point bas de la mi-janvier 2016 sous les 30 dollars. De fait, la remontée progressive du glissement annuel de l’indice des prix de l’énergie depuis le printemps a entraîné celle de l’indice d’ensemble.

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Mais la dépréciation de l’euro vis-à-vis du dollar parallèlement à la chute du prix du pétrole (de 1,35 dollar pour un euro en moyenne dans la première moitié de 2014 à 1,1 en moyenne depuis le printemps 2015) , a eu au contraire un effet inflationniste, d’abord en modérant la baisse des prix des importations d’énergie après leur conversion de dollars en euros, ensuite en renchérissant le prix des importations autres que l’énergie. L’évolution de l’indice des prix sous-jacent, ôtant de l’indice général les produits à prix volatils (l’énergie, certains produits alimentaires frais) et les produits à prix administré (santé, tabac, tarifs publics), témoigne de ce second effet par un rebond à partir du début 2015. Ce regain de l’inflation sous-jacente n’est toutefois pas dû qu’à la dépréciation de l’euro. La sortie progressive de la phase de stagnation qui a marqué l’économie française entre le deuxième trimestre 2011 et le deuxième trimestre 2014 a réactivé les mécanismes inflationnistes contrariés auparavant par le relâchement des tensions et la montée du chômage.

Ce regain d’inflation amorcé depuis quelques mois devrait se poursuivre d’ici à 2018. L’épuisement des effets désinflationnistes du contre-choc pétrolier et la remontée du prix du brut, déjà largement acquise et qui se poursuivrait à l’horizon de la prévision jusqu’à 52 euros par baril depuis son point bas de début 2016 (31 euros par baril) devraient marquer le terme de la phase de désinflation liée à sa composante énergétique. S’y ajoutera la reprise du mouvement de dépréciation de la devise européenne, déjà aussi largement engagée, de 1,10 euro pour 1 dollar à la mi-octobre 2016 à 1,05 selon notre prévision, qui contribuera au renchérissement des prix d’importation. L’inflation devrait donc avoir atteint un point bas au deuxième trimestre 2016 avant de redevenir positive dans la seconde moitié de 2016. À l’horizon 2017, la hausse des prix se rapprocherait des 2 % en glissement annuel, en partie sous l’effet du redressement du prix de pétrole et de la dépréciation de l’euro. Hors ces deux effets, l’inflation dépasserait à peine 1 % à la fin 2017 pour atteindre 1,5 % l’année suivante.

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La boucle prix-salaires

Les prévisions d’inflation s’appuient sur la modélisation d’une boucle prix-salaires qui estime les paramètres des relations qui régissent les rapports entre salariés et entreprises : les employeurs répercutent les hausses de salaires sur les prix pour préserver leurs marges, tandis que les salariés répondent à la hausse des prix en tentant d’obtenir des hausses de salaire pour préserver leur pouvoir d’achat. Deux équations modélisent ce processus.

L’équation de formation des salaires (1) qui fait apparaître un terme d’indexation des salaires sur les prix (PC), la productivité du travail (π) dont une partie de la hausse est redistribuée sous forme de salaire, le taux de chômage (U) qui régit le pouvoir de négociation des salariés, et le salaire minimum (SMIC) dont les « coups de pouce » peuvent affecter l’échelle des salaires qui en sont voisins.

L’équation (2) est celle des prix de la valeur ajoutée (PVA), fonction des coûts salariaux unitaires qui se décomposent en la différence entre les salaires (W) et la productivité du travail. L’élasticité entre le prix de valeur ajoutée et le coût salarial unitaire (W – π) est imposée à 1, ce qui signifie qu’à long terme les fluctuations des coûts salariaux unitaires n’affectent pas le taux de marge cible des entreprises. Les tensions sur l’appareil productif étant inflationnistes, le taux d’utilisation des capacités de production (TU) est adjoint aux coûts salariaux unitaires.

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La formation des prix sur le marché intérieur dépend aussi des prix des biens importés hors taxes (PM), fonction du prix du pétrole exprimé en euros (PPétrole) et du taux de change effectif nominal (TCEN).

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Enfin, une équation comptable de formation des prix intérieurs combine les prix de valeur ajoutée et les prix d’importation hors taxes, l’ensemble étant majoré du taux de TVA pour simuler l’indice des prix TTC sur le marché intérieur (ici le déflateur de la consommation des ménages issu des comptes nationaux). Les différentes équations sont estimées par des modèles à correction d’erreur.

Conformément à ce modèle, la trajectoire de l’inflation à l’horizon 2018 sera affectée à la fois par des impulsions extérieures, à savoir les évolutions du taux de change effectif et celles du prix du pétrole, et par des impulsions internes, à savoir la réponse des salaires à ces chocs externes par le biais de l’indexation et la baisse du chômage. La remontée du prix du pétrole et la dépréciation du taux de change effectif vont relancer l’inflation importée. La variation des prix des importations redeviendrait ainsi positive au premier trimestre 2017. Les prix des importations vont donc contribuer comptablement au rebond de l’inflation. Ensuite, les mécanismes d’indexation vont augmenter la croissance des salaires, en raison du surplus d’inflation. S’ajoutera à cette impulsion la baisse du taux de chômage amorcée à la fin de 2015. Néanmoins, le rebond de l’inflation dans la seconde moitié de 2016 ne se réduit pas au seul impact des chocs extérieurs. En neutralisant ces effets, en supposant constants à leur valeur de la mi-2016 le taux de change effectif nominal et le prix du pétrole, le rebond de l’inflation ne disparaîtrait pas, mais serait inférieur de 0,6 point à la fin 2017 (et de 0,2 à la fin 2018) par rapport à celui provenant du compte central (graphique 2).

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La désinflation manquante est-elle uniquement un phénomène américain ?

Par Paul Hubert, Mathilde Le Moigne

La dynamique de l’inflation après la crise de 2007-2009 est-elle atypique ? Selon Paul Krugman : « si la réaction de l’inflation (ndlr : aux Etats-Unis) avait été la même à la suite de la Grande Récession que lors des précédentes crises économiques, nous aurions dû nous trouver aujourd’hui en pleine déflation… Nous ne le sommes pas. » En effet, après 2009, l’inflation aux Etats-Unis est demeurée étonnamment stable au regard de l’évolution de l’activité réelle. Ce phénomène a été qualifié de « désinflation manquante ». Un tel phénomène s’observe-t-il dans la zone euro ?

En dépit de la plus grande récession depuis la crise de 1929, le taux d’inflation est resté stable autour de 1.5% en moyenne entre 2008 et 2011 aux Etats-Unis, et de 1% en zone euro. Est-ce à dire que la courbe de Phillips, qui lie l’inflation à l’activité réelle a perdu toute validité empirique ? Dans une note de 2016, Olivier Blanchard rappelle au contraire que la courbe de Phillips, dans sa version originelle la plus simple, reste un instrument valable pour appréhender les liens entre inflation et chômage, et ce en dépit de cette « désinflation manquante ». Il note cependant que le lien entre les deux variables s’est affaibli, parce que l’inflation dépend de plus en plus des anticipations d’inflation, elles-mêmes ancrées à la cible d’inflation de la Fed américaine. Dans leur article de 2015, Coibion et Gorodnichenko expliquent cette désinflation manquante aux Etats-Unis par le fait que les anticipations d’inflation sont plutôt influencées par les variations des prix les plus visibles, comme par exemple les variations du prix du baril de pétrole. On observe d’ailleurs depuis 2015 une baisse des anticipations d’inflation concomitante à la baisse des prix du pétrole.

La difficulté à rendre compte de l’évolution récente de l’inflation, au travers de la courbe de Phillips, nous a conduits à évaluer, dans un récent document de travail, ses déterminants potentiels et à examiner si la zone euro a également connu un phénomène de « désinflation manquante ». Sur la base d’une courbe de Phillips standard, nous ne retrouvons pas les conclusions de Coibion et Gorodnichenko lorsque l’on considère la zone euro dans sa totalité. Dit autrement, l’activité réelle et les anticipations d’inflation décrivent bien l’évolution de l’inflation.

Cependant, ce résultat semble provenir d’un biais d’agrégation entre les comportements d’inflation nationaux au sein de la zone euro. En particulier, nous trouvons une divergence notable entre pays dits du Nord de l’Europe (Allemagne, France), exhibant une tendance générale à une inflation manquante, et les pays davantage à la périphérie (Espagne, Italie, Grèce) exhibant des périodes de désinflation manquante. Cette divergence apparaît néanmoins dès le début de notre échantillon, c’est-à-dire dans les premières années de la création de la zone euro, et semble se résorber à partir de 2006, sans changement notable au cours de la crise de 2008-2009.

Contrairement à ce qu’il s’est produit aux États-Unis, il apparaît que la zone euro n’a pas connu de désinflation manquante à la suite de la crise économique et financière de 2008-2009. Il semble au contraire que les divergences d’inflation en Europe sont antérieures à la crise, et tendent à se résorber avec la crise.

 




L’équilibre de stagnation séculaire

par Gilles Le Garrec et Vincent Touzé

Le régime économique de croissance faible et de sous-emploi, associé à une inflation faible, voire une déflation, a récemment été largement débattu, notamment par Larry Summers, sous l’étiquette de « stagnation séculaire ». L’hypothèse d’une stagnation séculaire a été exprimée pour la première fois en 1938 dans un discours prononcé par A. Hansen finalement publié en 1939. Hansen s’inquiétait d’un investissement insuffisant aux États-Unis et du déclin de la population après une longue période de forte expansion économique et démographique.

Dans une Note de l’OFCE (n° 57 du 26 janvier 2016), nous étudions les caractéristiques et la dynamique de l’équilibre de stagnation séculaire.

Le régime de stagnation séculaire résulterait d’une abondance d’épargne par rapport à la demande de crédit conduisant le taux d’intérêt « naturel » réel (qui est compatible avec le plein emploi) en dessous de zéro. Or, si le taux d’intérêt réel reste en permanence au-dessus du taux naturel, alors il en résulte une pénurie chronique de la demande globale et de l’investissement, avec un potentiel de croissance affaibli.

Afin de contrer la stagnation séculaire, les autorités monétaires ont, en premier lieu, réduit leurs taux directeurs, et puis, après avoir atteint la borne zéro (ou ZLB pour Zero Lower Bond en anglais), elles ont du pratiquer des politiques non-conventionnelles dites d’assouplissement quantitatif. En effet, les banques centrales ne peuvent pas forcer les taux d’intérêt à être très négatifs sinon les agents privés auraient tout intérêt à conserver leur épargne sous la forme de billets de banque. Au-delà des mesures d’assouplissement quantitatif, quelles autres politiques pourraient potentiellement aider à sortir l’économie de la stagnation séculaire?

Pour répondre à cette question cruciale, le modèle développé par Eggertsson et Mehrotra en 2014 a le grand mérite de clarifier les mécanismes de la chute dans la stagnation de long terme et contribue au renouvellement de l’analyse macroéconomique dans la compréhension de la multiplicité des équilibres et la persistance de la crise. Leur modèle s’appuie sur des comportements de consommation et d’épargne d’agents à durée de vie finie dans un contexte  de marché du crédit rationné et de rigidité nominale des salaires. Quant à la politique monétaire conduite par la banque centrale, elle consiste à fixer un taux nominal directeur à partir d’une règle de Taylor. Selon cette approche, la stagnation séculaire a été initiée par la crise économique et financière de 2008. Cette dernière est associée à un endettement fort des ménages qui a abouti en fin de compte au rationnement du crédit. Dans ce contexte, le rationnement du crédit conduit à une baisse de la demande et à un excès d’épargne. Par conséquent, le taux d’intérêt réel diminue. Partant d’une situation de plein emploi, si le resserrement du crédit est élevé, le taux d’intérêt d’équilibre devient négatif, ce qui rend la politique monétaire conventionnelle inefficace. Dans ce cas, l’économie plonge dans un régime permanent de sous-emploi de la main-d’œuvre caractérisé par un produit inférieur à son potentiel et par de la déflation.

Dans le modèle proposé par Eggertsson et Mehrotra, il n’y a pas d’accumulation de capital. Par conséquent, la dynamique sous-jacente se caractérise par des ajustements sans transition d’un équilibre stationnaire à un autre (du plein emploi vers la stagnation séculaire si crise du crédit  et vice et versa si la contrainte de crédit est desserrée).

Pour étendre l’analyse, nous avons considéré l’accumulation du capital physique comme une condition préalable à toute activité productive (Le Garrec et Touzé, 2015). Ainsi, nous mettons en évidence une asymétrie dans la dynamique de la stagnation séculaire. Si la contrainte de crédit est desserrée, alors le capital converge vers son niveau d’avant-crise. Cependant, la sortie de crise prend plus de temps que son entrée. Cette propriété suggère que les politiques économiques pour lutter contre la stagnation séculaire doivent être faites dans les plus brefs délais.

Les enseignements d’une telle approche sont multiples :

  • — Pour éviter la ZLB, il y a un besoin de création urgente d’inflation tout en évitant les « bulles » spéculatives sur les actifs, ce qui pourrait nécessiter une régulation particulière. L’existence d’un équilibre déflationniste invite donc à s’interroger sur le bien-fondé de règles de politique monétaire trop centrées sur l’inflation ;
  • — Il faut se méfier des effets déflationnistes des politiques d’accroissement de la production potentielle. Le bon policy-mix consiste à accompagner les politiques structurelles d’une politique monétaire suffisamment accommodante ;
  • — Réduire l’épargne pour faire remonter le taux d’intérêt réel (par exemple, en facilitant l’endettement) est une piste intéressante mais il ne faut pas négliger l’impact négatif sur le PIB potentiel. Il existe un arbitrage évident entre sortir de la stagnation séculaire et déprimer le potentiel. Une solution intéressante peut consister à financer des politiques d’infrastructure, d’éducation ou de R&D (hausse de de productivité) par de l’emprunt public (hausse du taux d’intérêt réel d’équilibre). En effet, une forte politique d’investissement (public ou privé) financée de façon à faire remonter le taux d’intérêt naturel permet de satisfaire le double objectif : soutenir la demande globale et développer le potentiel productif.