Angela : sois malheureuse dans une alliance heureuse !

par François-Xavier Faucounau, Ségolène Guinard, Ivon Lalova, François Petitjean et Emmanuelle Rica (étudiants à HEC) [1]

Pas d’euro-bonds « tant que je serai en vie », avait déclaré la Chancelière allemande en juin dernier. Sa réélection, le 22 septembre, renforce l’opposition allemande à l’émission par la BCE d’euro-obligations, titres qui permettraient de mutualiser la dette des différents Etats de la zone euro, de la Grèce à l’Allemagne. Ces coups de sang médiatiques masquent pourtant des initiatives qui ressemblent à s’y méprendre à des tentatives de mutualisation de dettes européennes.En 2012, une expérimentation sur les project bonds a été lancée par la Commission européenne sur la base de 230 millions d’euros. Or ceux-ci peuvent constituer un outil efficace de la politique de cohésion de la zone et un pas vers une intégration croissante.

Certains font des project bonds des « bébés euro-bonds »[2]. En fait de rejetons de la mutualisation de la dette, il s’agirait plutôt d’emprunts souscrits en commun par les États membres de la zone euro auprès d’investisseurs privés. Ces ressources financières seront investies dans des projets visant à l’amélioration des infrastructures, des transports, de l’approvisionnement énergétique et des technologies de l’information et de la communication. La responsabilité du bon remboursement de ces project-bonds demeure aux mains de la Commission. Bien que la souscription collective rende ces bonds semblables aux euro-bonds, la finalité des dépenses est pré-définie dans le cas des Project bonds alors qu’elle serait destinée à financer les dépenses publiques au sens large pour les euro-bonds.

Par ailleurs une mutualisation de fonds provenant des membres de la zone européenne a déjà été utilisée au plus fort de la crise. En effet, le Mécanisme de stabilité européen (MES), décidé à la suite de la crise grecque en décembre 2010 et entré en vigueur en octobre 2012, a créé une institution capable de lever des fonds sur les marchés financiers. Sa dotation devrait atteindre 700 milliards d’euros d’ici 2018, chaque pays membre contribuant au prorata de son PIB. Cet outil, accouché dans la douleur après deux ans de tractations, n’échappe pas aux critiques adressées aux euro-bonds : une crise prolongée pourrait conduire les marchés à attaquer la solidarité européenne en essayant de « faire sauter la banque », largement financée par l’Allemagne et la France.

Pourtant émettre des obligations au niveau européen permettrait de rendre la dette des pays en crise plus liquide et d’engager une vraie réflexion sur l’équilibre des budgets nationaux et le rôle de la Banque centrale européenne.

Les opposants, dont Jens Weidmann, Président de la Bundesbank s’est fait le porte-parole, redoutent la perte de souveraineté. Certes, mutualiser la dette des Etats membres conduirait à une responsabilité budgétaire partagée entre les Etats, et donc à un droit de regard de l’ensemble de l’Union lors de l’établissement du budget national. Mais, la souveraineté nationale n’a-t-elle pas déjà été entamée – comme en témoigne la situation du Portugal et de la Grèce soumis à des restructurations pour obtenir un financement ?

Derrière cet argument se cache, en fait, la considération de l’intérêt particulier des Etats.

Pourquoi augmenter le prix de son financement en aidant des pays périphériques ? Pourquoi impliquer d’autres Etats dans les décisions d’un Etat souverain ? Par civisme et conviction européenne !  Car comme nous enseigne Thucydide dans son récit de La Guerre du Péloponnèse… au Ve siècle avant J.C. : « une [union] sert mieux les intérêts de ses membres en étant d’aplomb dans son ensemble, que prospère en chacun de ses membres individuellement, mais chancelant collectivement. Un [pays] peut voir sa situation prendre un cours favorable : si son [alliance] va à la ruine, il n’en est pas moins entraîné dans sa perte ; tandis que malheureux dans une [alliance] heureuse, il se tire beaucoup mieux d’affaires ».

 

 

 

 


[1] Ce texte a été rédigé sous la direction d’Anne-Laure Delatte dans le cadre du cours « Macroéconomie mondiale » de la majeure Alter Management d’ HEC.

[2]   Expression empruntée à « Eurobonds, project bonds, … qu’est-ce que c’est ? », 23 Mai 2012, Lemonde.fr




Zone euro : la confiance ne suffira pas

Par Céline Antonin, Christophe Blot et Danielle Schweisguth

Ce texte résume les prévisions d’octobre 2012 pour l’économie de la zone euro.

Après plus de deux années de crise de la zone euro, le Conseil européen, qui s’est tenu les 18 et 19 octobre, n’avait cette fois-ci rien d’un énième sommet de la dernière chance. Même si les discussions sur la future union bancaire[1] furent sources de tensions entre la France et l’Allemagne, il n’y avait aucune épée de Damoclès au-dessus de la tête des chefs d’Etats européens. Pour autant, il serait prématuré de considérer que la crise est proche de son terme. Rappelons simplement que le PIB de la zone euro n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant-crise et qu’il a encore reculé de 0,2 % au deuxième trimestre 2012. Cette baisse devrait se poursuivre puisque nous anticipons une baisse du PIB de 0,5 % en 2012 et encore de 0,1 % en 2013. Par conséquent, le taux de chômage de la zone euro, qui a d’ores et déjà dépassé son précédent record historique qui datait d’avril 1997, continuerait d’augmenter pour atteindre 12,1 % en fin d’année 2013. Quelles sont alors les raisons de cette accalmie ? La zone euro peut-elle rapidement renouer avec la croissance et espérer enfin endiguer la crise sociale ?

Depuis la fin de l’année 2011, l’Europe a adopté un nouveau traité (TSCG : Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) en cours de ratification dans les 25 pays signataires. Concrètement, ce nouveau texte doit permettre de renforcer la discipline budgétaire – via l’adoption de règles d’or nationales – et la solidarité grâce à la création du MES (Mécanisme européen de stabilité) dans la mesure où le recours au MES est conditionnelle à la ratification du TSCG. Le 6 septembre, la BCE a dévoilé les contours de son nouveau programme conditionnel d’achat de titres souverains (voir ici) dont l’objectif est de faire baisser les taux d’intérêt publics des pays placés sous le contrôle du MES. Ainsi, depuis le pic atteint le 24 juillet 2012, les primes de risque, mesurées par l’écart entre les taux d’intérêt publics italien et espagnol et le taux allemand, ont respectivement baissé de 2,2 et 2,5 points (graphiques 1 et 2). On est certes encore très éloigné de la normale mais il n’en demeure pas moins que cette accalmie est la bienvenue et qu’elle témoigne de l’éloignement du spectre d’un éclatement de la zone euro.

Cette nouvelle vague d’optimisme pourrait-elle être le signe précurseur d’une reprise de l’activité dans la zone euro ? La réponse à cette question est malheureusement négative. Les politiques budgétaires des pays de la zone restent en effet fortement restrictives. Elles ont même eu tendance à s’accentuer en 2012 contribuant notamment au retour en récession de l’Italie, de l’Espagne et renforçant celle subie par le Portugal et la Grèce. Sur l’ensemble de la zone euro, l’impulsion budgétaire sera de 1,7 point de PIB en 2012 (tableau). Les votes en cours des budgets nationaux confirment cette stratégie de réduction forcée des déficits budgétaires pour l’année 2013 puisque la consolidation budgétaire globale pour l’ensemble de la zone euro serait de 1,3 %. Les écarts seraient importants entre les pays puisque l’impulsion budgétaire de l’Allemagne serait à peine négative (-0,2 point) mais supérieure à -2 points de PIB en Espagne, en Italie et en Grèce. Or, l’impact récessif de cette consolidation budgétaire synchrone sera d’autant plus important que les pays de la zone euro sont toujours en bas de cycle économique. Dans ces conditions, les objectifs en matière de réduction des déficits budgétaires ne seront pas atteints, ce qui ne manquera pas de soulever la question de l’opportunité de nouvelles restrictions budgétaires. De plus en plus d’Etats membres risquent alors d’être pris dans un cercle vicieux où la faiblesse de la croissance appelle de nouveaux ajustements budgétaires qui renforcent la crise économique et sociale. Toute décision améliorant la gouvernance de l’Union ou la transmission de la politique monétaire est essentielle pour restaurer la confiance et créer les conditions d’un retour de la croissance. Mais ces éléments sont insuffisants pour échapper à la récession et ne doivent pas occulter l’impact de la stratégie budgétaire.

 

 

 

 


[1] Voir ici pour une analyse des enjeux et des questions soulevées par le projet d’union bancaire.