Où en est-on du cycle de crédit dans la zone euro ?

par Christophe Blot et Paul Hubert

En décembre 2016, la BCE annonçait la poursuite de sa politique de Quantitative Easing (QE) jusqu’à décembre 2017. Alors que la reprise économique se confirme dans la zone euro et que l’inflation repart à la hausse, se pose la question des risques liés à cette politique. D’un côté, la poursuite d’une politique monétaire très expansionniste n’est-elle pas une source d’instabilité financière ? Inversement, une fin prématurée des mesures non conventionnelles pourrait remettre en cause la dynamique de croissance et la capacité de la BCE à atteindre ses objectifs. Nous étudions ici le dilemme auquel pourrait faire face la BCE au travers d’une analyse des cycles du crédit et de l’activité bancaire dans la zone euro.

L’annonce de la BCE envoie deux signaux sur l’orientation de la politique monétaire. D’une part, en retardant la date de fin du QE, la BCE annonce implicitement que la normalisation de la politique monétaire, en particulier la remontée de son taux directeur, ne se fera pas avant début 2018. La BCE continue donc de mener une politique expansionniste d’augmentation de la taille du bilan. D’autre part, la réduction des achats mensuels est aussi un signe d’une réduction de ce caractère expansionniste. L’annonce s’apparente ainsi au « tapering » amorcé en janvier 2014 par la Réserve fédérale aux États-Unis. La réduction des achats de titres s’était alors faite progressivement, jusqu’à un arrêt effectif des achats fin octobre 2016.

Le caractère indiscutablement expansionniste de la politique monétaire en zone euro suggère que la BCE juge toujours nécessaire de poursuivre le stimulus pour atteindre les objectifs finaux de la politique monétaire dont le premier est la stabilité des prix, définie par une inflation inférieure mais proche de 2 % par an. Ni l’inflation[1],  ni la croissance en zone euro ne donnent des signes d’emballement[2]. Le programme d’achat d’actifs doit alors permettre de consolider la croissance et d’accélérer l’inflation pour favoriser un retour vers la cible de 2 %. Dans le même temps, les liquidités émises par la banque centrale dans le cadre de ses programmes d’achat de titres et le faible niveau des taux d’intérêt (à court comme à long terme) alimentent les craintes d’effets indésirables de la politique monétaire en matière de stabilité financière[3].

Il en résulte un dilemme que doit arbitrer la BCE. Mettre un terme prématuré à l’assouplissement quantitatif pourrait maintenir la zone euro dans une situation de faible inflation et de basse croissance. Prolonger inutilement le QE, alors que la Réserve fédérale a amorcé la normalisation de sa politique monétaire, créerait un risque d’instabilité financière caractérisé par un emballement des prix d’actifs, du crédit ou plus largement du risque pris par le système financier.

Nous évaluons ce double risque au travers d’indicateurs sur l’activité du système bancaire de la zone euro dans son ensemble et des pays qui la composent. Les crédits, aussi bien ceux octroyés aux ménages que ceux octroyés aux entreprises non financières, sont un élément central de l’actif des banques, souvent au cœur du risque d’instabilité financière[4]. Nous proposons ici d’élargir l’analyse à la taille du bilan ou de l’ensemble des crédits accordés – incluant le crédit aux autres institutions monétaires et financières –, ce qui permet notamment de mesurer le risque associé à l’ensemble des activités du système bancaire[5].

Ces différentes variables sont soit rapportées au PIB, ce qui permet de capter la déconnexion entre l’activité bancaire et l’activité réelle, soit au capital et réserves du système bancaire, permettant alors de capter l’effet de levier, c’est-à-dire la capacité de ce système à absorber les éventuelles pertes. Ici, nous nous concentrons sur les quantités plutôt que les prix, via des indicateurs tels que le ratio de crédit octroyé sur les capitaux propres et le ratio de crédit reçu sur les revenus. Ceux-ci sont centraux pour refléter la transmission de la politique monétaire et évaluer le risque d’instabilité financière.

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Le graphique montre l’évolution des cycles de crédit, rapporté au PIB (ligne bleue) et rapporté aux capitaux et réserves du système bancaire (ligne rouge)[6]. Les aires vertes signalent les périodes où le crédit s’éloigne significativement à la hausse ou la baisse de sa tendance de long terme. D’une manière générale, l’analyse du crédit ou de la taille du bilan du système bancaire témoigne d’un regain d’activité mais ne suggère ni boom de crédit ni contraction excessive sur la période récente dans la zone euro. Si la dynamique du crédit est orientée plus favorablement par rapport à sa tendance en France et en Allemagne, le cycle ne témoigne pas d’une hausse excessive. Les Pays-Bas et l’Espagne se distinguent par la faiblesse de leur crédit rapporté au PIB. Pour les Pays-Bas, cette évolution est confirmée par les indicateurs rapportés aux capitaux et réserves du système bancaire, alors qu’en Espagne, l’encours de crédit rapporté aux capitaux et réserves se situe à un niveau historiquement élevé suggérant une prise de risque excessive étant donné la situation économique.

 

[1] Malgré le rebond récent de l’inflation, largement lié à la remontée du prix du pétrole et des anticipations d’inflation, les pressions inflationnistes restent modérées et le retour de l’inflation vers la cible de 2 % n’est pas suffisamment établi pour modifier l’orientation de la politique monétaire.

[2] Le chômage reste élevé alimentant la désinflation.

[3] Une analyse récente de Borio et Zabaï (2016) sur l’efficacité des politiques monétaires non conventionnelles suggère que leur efficacité pourrait se réduire tandis que les risques qu’elles comportent s’accroîtraient. Le rôle des prix d’actifs a été étudié par Andrade et al. (2016) pour montrer que le prix des actifs avait réagi, comme anticipé, à la suite des mesures prises par la BCE, et par Blot et al. (2017) pour évaluer le risque de bulle.

[4] Voir Jorda et al., 2013 et 2015.

[5] La législation Bâle III repose sur des indicateurs de risque calculés au niveau des établissements bancaires alors que notre approche repose sur des indicateurs macroéconomiques.

[6] Ces cycles sont obtenus à partir d’une analyse en composante principale (ACP) de plusieurs types de décompositions tendance/cycle : filtre Hodrick-Prescott, filtre Christiano-Fitzgerald, et moyenne mobile.




La réduction du bilan de la Réserve fédérale : quand, à quel rythme et quel impact ?

par Paul Hubert

La politique monétaire américaine a commencé de se resserrer en décembre 2015, le taux directeur de la Fed passant d’une fourchette cible de 0 – 0,25% à 0,75 – 1% en 15 mois. Un élément complémentaire de sa politique monétaire concerne la gestion de la taille de son bilan, conséquence des programmes d’achat de titres financiers  (aussi appelés programmes d’assouplissement quantitatif ou QE). Le bilan de la Fed pèse aujourd’hui 4 400 milliards de dollars (soit 26% du PIB), contre 900 milliards de dollars en août 2008 (6% du PIB). L’amélioration de la situation conjoncturelle aux Etats-Unis  et les potentiels risques associés au QE posent les questions du calendrier, du rythme et des conséquences de la normalisation de cet outil non-conventionnel.

Les procès-verbaux de la réunion du comité de politique monétaire (FOMC) du 14 et 15 mars 2017 fournissent certains éléments de réponse : la procédure de réduction du bilan de la Fed devrait se faire par le non-réinvestissement du produit des titres arrivant à échéance. Aujourd’hui, alors que les programmes de QE ne sont plus actifs depuis octobre 2014 et que la Fed ne crée plus de monnaie pour acheter des titres, elle continue de maintenir la taille de son bilan constante en réinvestissant  les montants des titres arrivant à terme. Le FOMC devrait stopper cette politique de réinvestissement « plus tard cette année » [1] et par conséquent commencer la réduction de la taille de son bilan. Conformément aux principes de normalisation de ses politiques publiés en septembre 2014 et décembre 2015, la Fed ne vendra pas les titres qu’elle détient, ainsi elle ne modifiera pas sur les marchés financiers la situation d’équilibre sur les stocks mais uniquement sur les flux. L’incertitude demeure quant au rythme auquel le non-réinvestissement sera réalisé, en fonction des titres concernés par le non-réinvestissement, et quant à la taille finale souhaitée du bilan de la Fed.

La lecture du procès-verbal de la réunion de mars indique aussi que « les membres préfèrent généralement l’option consistant à stopper les réinvestissements des titres du Trésor et des MBS ». Des économistes de la Fed ont publié en janvier 2017 dans une FEDS Notes une simulation de la taille du bilan de la Fed sur la base des hypothèses énoncées ci-dessus. En supposant que le non-réinvestissement commence en octobre 2017 et à l’aide de leurs données sur le portefeuille d’actifs détenus par la Fed, le graphique suivant a été élaboré.

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Source: Federal Reserve Board.

Ces projections montrent qu’une politique de non-réinvestissement implique que le bilan diminue d’environ 600 milliards de dollars par année jusqu’en octobre 2019, de 400 milliards de dollars la troisième année et de 300 milliards de dollars la quatrième année. Les avoirs du Trésor diminuent de 1 200 milliards de dollars tandis que les détentions de MBS diminuent de 600 milliards[2]. Selon ces hypothèses, le montant des réserves sera de 100 milliards de dollars en octobre 2021, soit leur niveau d’avant-crise, tandis que la Fed aura à cette date des quantités de dette du Trésor et de MBS d’un montant équivalent (environ 1 100 milliards chacune). Se pose la question de savoir à quelle taille de bilan la banque centrale souhaite revenir : le montant nominal d’avant-crise, le montant exprimé en part du PIB d’avant-crise ou un niveau plus élevé (la détention de titres pouvant servir ses objectifs de stabilisation macroéconomique et de stabilité financière [3]) ? En ne répondant pas explicitement à cette question, la Fed se laisse la possibilité d’ajuster son objectif en fonction de la réaction du marché et le temps de décider quelle taille viser si elle souhaite utiliser cet instrument de façon pérenne.

L’impact économique et sur les marchés financiers d’une telle baisse de la taille du bilan pourrait être limité. Alors que les anticipations privées de ces changements dans la taille et la composition du bilan de la Fed devraient jouer sur les conditions financières, en modifiant les équilibres d’offre ou de demande de titres financiers, les différentes annonces liées à cette normalisation de la politique monétaire n’ont pas eu d’effet pour le moment. Après la publication des procès-verbaux des dernières réunions du FOMC ou de la FEDS Notes décrivant cette politique de réduction, ni les taux d’intérêt, ni le taux de change du dollar, ni les marchés boursiers n’ont réagi. Soit les marchés financiers n’ont pas incorporé cette information (parce qu’elle est passée inaperçue ou qu’elle n’est pas crédible), soit elle était déjà incorporée dans les prix d’actifs et dans leurs anticipations futures.

Autrement dit, il ne semble pas que la réduction de la taille du bilan à venir, si elle se fait sur la base des modalités communiquées, vienne resserrer davantage les conditions monétaires et financières au-delà des hausses à venir des taux d’intérêt, l’instrument conventionnel de la politique monétaire[4]. Si tel était le cas, la normalisation porterait bien son nom. Appliquée à la zone euro, elle tendrait à montrer qu’une politique monétaire ultra-expansionniste n’est pas irréversible.

 

 

[1] Plus précisément : « À condition que l’économie continue de croître comme prévu, la plupart des membres (…) jugent qu’une modification de la politique de réinvestissement deviendra appropriée plus tard cette année ».

[2] Sous l’hypothèse que les besoins nets de financement du gouvernement américain seront d’environ 300 milliards de dollars par an sur ces 4 années, la diminution de la demande de titres publics par la Réserve fédérale sera d’un ordre de grandeur similaire.

[3] Cette question est abondamment débattue dans la littérature académique depuis la mise en place des programmes de QE, voir parmi d’autres Curdia et Woodford (2011), Bernanke (2016), Reis (2017).

[4] Alors que la réduction du bilan devrait en théorie jouer principalement sur les taux d’intérêt à long terme, l’absence de réponse couplée aux récentes hausses du taux d’intérêt à court terme pourrait avoir pour conséquence d’aplatir la courbe des taux aux Etats-Unis et ainsi réduire la marge d’intermédiation des banques.