Quel rôle pour le bilan des banques centrales dans la conduite de la politique monétaire ?

par Christophe Blot, Jérôme Creel et Paul Hubert

En ajustant la taille et la composition de leur bilan, les banques centrales ont profondément modifié leur stratégie de politique monétaire. Bien que la mise en œuvre de ces mesures ait été initialement envisagée pour une période de crise, la question se pose désormais de l’utilisation du bilan comme instrument de politique monétaire en dehors des périodes de crise.

La politique d’achats de titres effectués par les banques centrales s’est traduite par une augmentation considérable de la taille de leur bilan. En septembre 2017, les bilans de la Réserve fédérale et de la BCE s’élevaient respectivement à près de 4 500 Mds de dollars (soit 23,3 % du PIB des Etats-Unis) et 4 300 Mds d’euros pour la BCE (38,5 % du PIB de la zone euro), alors qu’ils étaient de 870 Mds de dollars (soit 6,0 % du PIB) et 1 190 Mds d’euros (soit 12,7 % du PIB) en juin 2007. La fin de la crise financière et de la crise économique plaide pour un resserrement progressif de la politique monétaire, déjà entamé aux Etats-Unis et à venir dans la zone euro. Ainsi, la Réserve fédérale a augmenté le taux d’intérêt directeur à cinq reprises depuis décembre 2015 et a commencé à réduire la taille de son bilan en octobre 2017. Toutefois, aucune indication précise n’a été donnée sur la taille du bilan des banques centrales une fois que le processus de normalisation aura été achevé. Au-delà de la taille se pose la question du rôle de ces politiques de bilan pour la conduite de la politique monétaire à venir.

Initialement, les mesures prises pendant la crise devaient être exceptionnelles et temporaires. L’objectif était de satisfaire un large besoin de liquidités et d’agir directement sur les prix de certains actifs ou sur la partie longue de la courbe des taux, lorsque l’instrument standard de politique monétaire – le taux d’intérêt de très court terme – était contraint par le plancher à 0% (ZLB pour Zero lower bound). L’utilisation de ces mesures pendant une période prolongée – depuis dix ans – suggère cependant que les banques centrales pourraient continuer à utiliser leur bilan comme instrument de politique monétaire et de stabilité financière, y compris en période dite « normale », c’est-à-dire lorsqu’il existe des marges de manœuvre pour baisser le taux directeur. Non seulement, ces mesures non conventionnelles ont démontré une certaine efficacité mais, en outre, leurs mécanismes de transmission ne semblent pas spécifiques aux périodes de crise. Leur utilisation pourrait donc à la fois renforcer l’efficacité de la politique monétaire et améliorer la capacité des banques centrales à atteindre leurs objectifs de stabilité macroéconomique et financière. Nous développons ces arguments dans une publication récente que nous résumons ici.

Dans un article présenté en 2016 lors de la conférence de Jackson Hole, Greenwood, Hanson et Stein suggèrent que les banques centrales puissent utiliser leur bilan pour fournir des liquidités afin de satisfaire un besoin croissant du système financier pour des actifs liquides et sans risque. Les réserves excédentaires ainsi émises augmenteraient le stock d’actifs sûrs mobilisable par les banques commerciales, renforçant la stabilité financière. Les banques centrales pourraient également intervenir plus régulièrement sur les marchés afin de modifier le prix de certains actifs, les primes de risque ou les primes de terme. Ici, il ne s’agit pas forcément d’accroître ou de réduire la taille du bilan, mais de moduler sa composition afin de corriger d’éventuelles distorsions ou de renforcer la transmission de la politique monétaire en intervenant sur l’ensemble des segments de la courbe des taux. Pendant la crise des dettes souveraines, la BCE a lancé un programme d’achats de titres publics (SMP pour Securities Market Programme) qui avait pour but de réduire les primes de risques apparues sur les rendements de plusieurs pays (Grèce, Portugal, Irlande, Espagne et Italie) et d’améliorer la transmission de la politique monétaire commune vers ces pays. En 2005, le Président de la Réserve fédérale s’étonnait d’une énigme sur les marchés obligataires, constatant que les taux longs ne semblaient pas réagir au resserrement en cours de la politique monétaire américaine. Le recours à des achats ciblés de titres sur des maturités plus longues aurait sans doute permis d’améliorer la transmission de l’orientation de la politique monétaire telle qu’elle était souhaitée à cette époque par la Réserve fédérale.

En pratique, la mise en œuvre d’une telle stratégie en période « normale » soulève plusieurs remarques. D’une part, si les politiques de bilan complètent la politique de taux, les banques centrales devront accompagner leurs décisions d’une communication adaptée précisant à la fois l’orientation globale de la politique monétaire ainsi que les raisons justifiant l’utilisation de tel ou tel instrument et à quelle fin. Il semble qu’elles aient su y parvenir pendant la crise alors qu’elles multipliaient les programmes ; il n’y a donc pas de raison d’imaginer que cette communication devienne subitement plus difficile à mettre en œuvre en période « normale ». Par ailleurs, l’utilisation plus fréquente du bilan comme instrument de politique monétaire se traduirait par une plus large détention d’actifs et potentiellement d’actifs risqués. Il y aurait dans ces conditions un arbitrage à réaliser entre l’efficacité à attendre de la politique monétaire et les risques pris par la banque centrale. Notons aussi que l’utilisation du bilan n’implique pas que la taille de celui-ci croisse en permanence. Les banques centrales pourraient tout aussi bien faire le choix de vendre certains actifs dont le prix serait jugé trop élevé. Cependant, pour être en capacité de moduler effectivement la composition des actifs de la banque centrale, encore faut-il que son bilan soit suffisamment élevé pour faciliter les opérations de portefeuille de la banque centrale.

Il faut reconnaître que les économistes n’ont pas encore complètement analysé les effets potentiels des politiques de bilan sur la stabilité macroéconomique et financière. Mais cette incertitude ne devrait pas empêcher les banques centrales de recourir à des politiques de bilan, car seule l’expérience peut fournir une évaluation complète du pouvoir des politiques de bilan. L’histoire des banques centrales nous rappelle que les objectifs et les instruments utilisés par les banques centrales ont régulièrement évolué[1]. Un nouveau changement de paradigme semble donc possible. Si les politiques de bilan permettent de renforcer l’efficacité de la politique monétaire et d’améliorer la stabilité financière, les banques centrales devraient sérieusement réfléchir à leur utilisation.

Pour en savoir plus : Christophe Blot, Jérôme Creel, Paul Hubert, « What should the ECB “new normal” look like? », OFCE policy brief 29, 20 décembre.

[1] Voir Goodhart (2010).




Semestre européen : évaluer l’orientation agrégée de la politique budgétaire c’est bien, débattre de son impact économique c’est encore mieux

par Raul Sampognaro

Le 26 novembre, la Commission européenne a lancé le Semestre Européen avec la publication du Rapport Annuel sur la Croissance (2016 AGS selon son acronyme en anglais) et de la recommandation de politique économique pour l’ensemble de la zone euro. La Commission juge, en raison des externalités générées par la politique budgétaire entre les Etats membres et des contraintes pesant actuellement sur la politique monétaire, qu’il est nécessaire de renforcer l’attention portée sur l’orientation agrégée de la politique budgétaire dans la zone euro. Le jugement porté sur cette orientation doit tenir compte notamment des facteurs cycliques, mettant ainsi en avant le rôle de stabilisation macroéconomique de la politique budgétaire. Les services de la Commission considèrent qu’une politique globalement neutre est appropriée au contexte actuel, en raison des risques qui pèsent sur la reprise et du niveau toujours élevé du taux de chômage.

L’ouverture du débat sur la politique budgétaire d’ensemble de la zone euro constitue indéniablement un pas dans la bonne direction pour améliorer le cadre d’élaboration de la politique macroéconomique dans la zone euro. La crise de la zone euro, déclenchée en 2012, s’explique en grande partie par les fragilités dans la construction de l’Union monétaire. L’inadaptation du cadre de coordination des politiques macroéconomiques a été l’une des principales failles dévoilées par la crise. Avant-crise, la BCE devait gérer seule les chocs communs à l’ensemble de l’Union alors que les politiques budgétaires nationales étaient censées contrecarrer les chocs asymétriques. En outre, la politique budgétaire devait aussi assurer la soutenabilité de la dette publique afin d’éviter la montée des taux d’intérêt et le risque de contagion. Le respect de ce double objectif pour la politique budgétaire était supposé garanti par le respect des règles du Pacte de stabilité et de croissance (PSC). Ce cadre a échoué pendant la crise. D’une part, les règles du PSC se concentrent quasi-exclusivement sur un seul des objectifs assignés à la politique budgétaire : la réduction de la dette publique. D’autre part, la décentralisation du processus de décision concernant la politique budgétaire a eu pour conséquence un résultat d’ensemble inadéquat. Ainsi, les règles du PSC ont généré un ajustement structurel très fort et mal calibré dans les pays ayant subi plus fortement la crise de la zone euro alors que les pays disposant de marges fiscales ne les ont pas mobilisées pour soutenir la croissance.

Dans la gouvernance européenne, l’indicateur préféré pour mesurer l’orientation de la politique budgétaire est la variation du solde structurel. Ainsi, l’orientation d’ensemble de la politique budgétaire est calculée en faisant la somme pondérée (par le poids du PIB en valeur) des variations du solde structurel de chacun des Etats membres. Cet indicateur permet d’évaluer les évolutions du déficit à long terme, une fois les effets du cycle conjoncturel purgés. Si cet indicateur est attrayant théoriquement, il est largement tributaire des hypothèses faites sur la croissance potentielle et le PIB potentiel : même en partant d’hypothèses de finances publiques identiques, l’évolution du solde structurel sera différente (voir les lignes 2 et 3 du tableau 1). Sur la base de cet indicateur et en utilisant les hypothèses de finances publiques réalisées par la Commission européenne, la politique budgétaire serait globalement neutre, voire légèrement expansionniste, dans la zone euro en 2015 et en 2016, jugement qui est partagé par le rapport iAGS 2016. Suivant les annonces des gouvernements dans les Programmes de stabilité du mois de mai, l’équipe iAGS prévoit le retour de la consolidation budgétaire en 2017. Ce résultat diffère de celui de la Commission européenne, qui tient compte exclusivement des mesures pour lesquelles les mesures législatives sont déjà mises en œuvre.

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Dans le rapport iAGS 2016, nous proposons une nouvelle façon de calculer l’orientation agrégée de la politique budgétaire, d’une façon qui tienne compte des avancées de la théorie économique. Selon la littérature, le multiplicateur des dépenses publiques – qui pèsent dans la plupart des principales économies de la zone euro – est supérieur, au moins à court terme, à celui associé aux mesures fiscales qui sont orientées à la baisse et devraient soutenir l’activité. Ceci est particulièrement vrai en période où l’activité est sensiblement inférieure à son niveau potentiel. L’indicateur proposé pondère l’impact macroéconomique des politiques budgétaires nationales[1].

Une fois que la composition et la localisation des impulsions budgétaires sont prises en compte, l’évaluation de la politique budgétaire mise en place dans la zone euro est modifiée. Selon nos calculs, la politique budgétaire pèsera légèrement sur la croissance du PIB en 2016 (-0,1 point de PIB, tableau 2) malgré la dégradation anticipée du solde structurel. Ce paradoxe peut s’expliquer à la fois par la localisation de l’impulsion – elle aura peu d’impact sur le PIB car elle sera largement concentrée en Allemagne (où les multiplicateurs sont bas car l’output gap est quasiment fermé), et par sa composition en Italie et en Espagne (où l’impulsion est faite à partir des baisses d’impôts avec un faible impact expansionniste à court terme, et partiellement compensée par des économies en dépenses à fort multiplicateur).

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Ce paradoxe entre une politique budgétaire légèrement expansionniste avec des effets récessifs montre que le débat ne doit pas se focaliser exclusivement sur l’orientation de la politique budgétaire mais doit inclure les modalités de sa déclinaison. Ainsi, deux nouveaux sujets semblent importants dans les débats européens : celui de l’utilisation des marges budgétaires – l’expansion budgétaire pourrait être plus importante dans les pays non contraints – et celui du besoin de flexibilité dans l’application du PSC – les règles budgétaires doivent tenir compte de la taille des multiplicateurs et concentrer la relance dans les pays où celle-ci sera plus efficace. L’analyse précise de la position de chaque pays vis-à-vis du PSC montre que très peu de pays auraient de l’espace fiscal dans le cadre actuel de la gouvernance européenne. Selon l’analyse des Projets de Lois de Finances (DBP, selon son acronyme en anglais) réalisé par la Commission européenne, seule l’Allemagne disposerait des marges de manœuvre pouvant influencer la croissance dans l’ensemble de l’Union monétaire. Toutefois, on peut questionner l’efficacité d’une relance budgétaire en Allemagne, surtout au regard d’un objectif de fermeture de l’output gap et de baisse du chômage dans la zone euro. Ceci soulève une nouvelle question si on veut réaliser une politique budgétaire contra-cyclique sans dégrader la soutenabilité des dettes publiques des Etats membres plus affectés par la crise. Ainsi, il faut se questionner sur la nécessité d’un budget fédéral consacré à la stabilisation macroéconomique surtout quand la politique monétaire est contrainte – comme dans une situation de déflation et de trappe à liquidité. Cette réflexion aurait motivé la mise en place du Plan Juncker, cherchant à augmenter le niveau de l’investissement dans la zone euro. Toutefois, l’efficacité de ce plan peut être remise en question. Ce plan repose sur des hypothèses irréalistes sur les effets de levier du financement public ; et la modalité de sélection des projets, suivant leur rentabilité économique, peut engendrer un biais pro-cyclique, le contraire de ce qui devrait être recherché. Ainsi, le Plan Juncker, qui d’ailleurs n’a pas vocation à être pérennisé, peut s’avérer insuffisant pour générer le choc de demande dont a besoin la zone euro pour sortir de la trappe à liquidité dans laquelle elle est embourbée.

Tout compte fait, l’impulsion fiscale prévue pour 2016 (+0,1 point de PIB selon la mesure plus optimiste) ne sera pas à la hauteur de la situation. Une hausse coordonnée de l’investissement public dans les pays de la zone euro, concentrée sur les objectifs fixés par la stratégie Europe 2020, constituerait indéniablement une meilleure politique à celle qui est actuellement proposée. Elle serait plus équilibrée et permettrait de satisfaire à la fois les objectifs de court terme (baisse du chômage) et de long terme (hausse de l’investissement en R&D, lutte contre le réchauffement climatique, amélioration des infrastructures). L’introduction d’une règle d’or dans la gouvernance budgétaire européenne, permettant d’exclure du calcul du déficit les projets d’investissement public jugés utiles pour l’ensemble de la zone euro, permettrait de réaliser ce stimulus dans le respect des règles de la bonne gestion budgétaire et en préservant la soutenabilité des dettes publiques.

 


[1] Un indicateur construit sur le même principe est publié trimestriellement aux Etats-Unis par la Brookings Institution http://www.brookings.edu/research/interactives/2014/fiscal-barometer




Aides au logement : à la recherche du bout de chandelle

par Pierre Madec

Lors de la présentation du Budget 2016 en Conseil des ministres, a été actée la baisse de 225 millions des aides personnelles au logement. Prise en compte du patrimoine lors de l’allocation des aides, exclusion des loyers jugés « abusifs » ou encore meilleure intégration du revenu réel des jeunes actifs dans le calcul sont autant de mesures annoncées.

Au vu de l’importance des montants distribués, plus de 40 milliards d’euros au titre de l’ensemble de la politique du logement (aides à la pierre et à la personne), dont 20 milliards d’euros pour les seules aides personnelles en 2014, et des résultats observés depuis 10 ans – pénurie de logement dans les zones les plus tendues, secteurs locatifs (privé comme social) en panne de mobilité, taux d’effort des locataires en hausse continue depuis le début des années 2000, 3,5 millions de ménages mal logés – la question de l’efficience de la politique du logement, et particulièrement des allocations logement, semble se poser légitimement.

Des aides de plus en plus coûteuses ?

La première critique adressée à l’endroit des aides à la personne concerne leur coût. Certes les 20 milliards d’euros distribués au titre des aides personnelles au logement en 2014 représentent un montant important, supérieur aux montants versés au titre du RSA (moins de 10 milliards d’euros en 2014) ou des allocations familiales (moins de 15 milliards d’euros en 2014). Pour autant, la part qu’occupent les aides à la personne dans le PIB n’a, elle, que très peu évoluée depuis près de 20 ans (voir graphique).

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En 2014, la France a consacré 1 % de son PIB aux allocations logement, soit une part similaire à celle consacrée depuis 1996. Malgré la crise économique, le nombre de bénéficiaires n’a d’ailleurs que très peu évolué depuis la fin des années 1990 (+190 000 depuis 1996). L’idée selon laquelle la « défaillance » du système actuel des aides à la personne serait relativement récente et impossible à contenir semble donc déraisonnable.

Des aides de moins en moins efficaces ?

Si l’efficacité des aides personnelles au logement s’effrite peu à peu, c’est dû en grande partie à la déconnexion qui existe entre le calcul des aides et la réalité du marché locatif. En 2014, près de 90 % des locataires du parc privé avaient un loyer supérieur aux plafonds servant de base au calcul des aides. Cette situation touchait plus d’un locataire du parc social sur deux. En effet, si l’évolution des montants distribués a pu être maintenue à des niveaux soutenables pour les finances publiques, cela a été rendu possible par une sous-indexation massive des aides, comparativement aux loyers de marché. Entre 2000 et 2010, alors que le loyer moyen des bénéficiaires des aides augmentait de 32 %, les loyers plafonds n’étaient eux revalorisés que de 16 %. Cette sous-indexation des plafonds de loyers définis dans le calcul des aides a également eu pour effet d’exclure un certain nombre de ménages du champ des potentiels bénéficiaires. En effet, l’absence d’actualisation des barèmes a pour effet direct de réduire les seuils de revenus relativement au SMIC par exemple, excluant ainsi de fait les ménages se situant à son voisinage et expliquant pourquoi le nombre de bénéficiaires n’a que peu progressé au cours des dernières années.

Outre l’érosion de leur impact solvabilisateur, de nombreuses études ont également montré l’important effet inflationniste des aides à la personne sur les loyers (G. Fack, 2005 ; A. Laferrère et D. Le Blanc, 2002). Les estimations suggèrent qu’une grande partie (entre 50 et 80% selon Fack) des allocations perçues par les bas revenus est absorbée par des augmentations de loyers et l’amélioration de la solvabilité des ménages les plus modestes augmente la demande sur le marché locatif. Compte tenu de la faible élasticité de l’offre de logement à court terme, cela alimente d’autant l’effet inflationniste.

Cet effet peut évidemment être fortement atténué par une politique de construction ambitieuse. Pour autant, cette augmentation importante de l’offre locative, notamment sociale, est, dans les zones les plus tendues, complexe à mettre en œuvre. La mise en place d’un dispositif d’encadrement des loyers tel que celui initialement prévu par la loi ALUR pourrait permettre d’enrayer en partie ces phénomènes de captation.

Les allocations logement demeurent malgré tout, de par leur ciblage sur les ménages les plus modestes, l’une des aides les plus redistributives. Du fait du barème, seuls les ménages des trois premiers déciles de revenu peuvent prétendre aux allocations logement. Après transferts sociaux, elles représentent près de 20 % du revenu disponible des ménages appartenant au premier quintile de revenus (les 20 % les plus pauvres). Même si les montants alloués au titre des allocations logement sont bien supérieurs aux montants distribués au titre du RSA ou des allocations familiales, leur efficacité, bien qu’en diminution, n’est plus à prouver puisque, selon l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS), elles permettent à elles seules de diminuer le taux d’effort des allocataires de 36 % à 20 % et de faire baisser leur taux de pauvreté de 3 points. Les aides au logement constituent de fait un des principaux instruments de lutte contre la pauvreté.

Quelles pistes de réforme ?

Parmi les pistes d’économies proposées par le gouvernement figure notamment la possibilité d’intégrer dans le calcul des aides au logement une fraction du patrimoine des ménages. Evidemment, les aides au logement ne doivent pas pouvoir bénéficier à des ménages au patrimoine élevé mais rappelons que le revenu d’exclusion des aides pour un ménage de deux personnes avec deux enfants se situe aux alentours de deux SMIC (contre 2,12 SMIC en 2001). Il paraît peu probable que ces ménages aient un patrimoine excessivement important. L’Inspection générale des finances chiffrait d’ailleurs à 4 % le nombre de bénéficiaires d’aides ayant un patrimoine global (financier et immobilier) supérieur à 75 000 euros.

A contrario, l’instauration de maxima de montant de loyer serait à même de concerner un nombre relativement important d’allocataires. La sous-indexation massive des plafonds de loyers définis dans le calcul des aides, associée à la hausse continue des loyers dans les zones les plus tendues, a de fait entraîné l’acquittement de loyers « abusifs » par les locataires les plus modestes. Malgré tout, réduire les aides allouées à ces ménages ne peut être une solution. A titre d’exemple, le loyer plafond à Paris pour un ménage ayant 2 enfants est de 445 euros en 2015.

Si les propositions faites venaient à être mise en œuvre, tout ménage s’acquittant d’un loyer supérieur à 890 euros verrait son allocation logement diminuer, augmentant d’autant son reste à charge en matière de dépenses de logement.

Bien qu’une refonte globale du système d’allocations logement soit à terme indispensable (revalorisation des plafonds de loyers, meilleure territorialisation des montants alloués, ciblage plus strict pour un certain nombre d’allocataires tels que les étudiants), elle doit avoir lieu dans le but d’une meilleure redistribution et non dans l’espoir de faire des économies.

 

Pour un état des lieux plus complet, voir « Faut-il réformer les aides personnelles au logement », dans L’économie Française 2016, Repères, La Découverte.




Flexibilités contre nouvel effort budgétaire, la messe n’est pas encore dite

par Raul Sampognaro

Le 13 janvier dernier, la Commission Juncker a clarifié sa position concernant les flexibilités mobilisables par les Etats dans l’application du Pacte de Stabilité et de Croissance (PSC). La nouvelle lecture du PSC devrait se traduire par une atténuation de la consolidation budgétaire nécessaire pour certains pays[1]. Dorénavant, la Commission pourra appliquer la « clause de réformes structurelles » à un pays soumis au volet correctif[2] du Pacte alors qu’auparavant, ceci n’était possible que pour les pays soumis au volet préventif du Pacte[3]. Cette clause permettra à l’Etat membre de dévier temporairement de ses engagements préalables pour les reporter à un moment où les fruits des réformes devraient faciliter l’ajustement. Pour que la Commission accepte de déclencher la clause, certaines conditions devront être réunies :

–          Le plan de réformes présenté par l’Etat membre doit être majeur et précis, approuvé par le gouvernement ou le Parlement national ; son calendrier d’application doit être explicite et crédible ;

–          Le plan doit avoir un impact favorable sur la croissance potentielle et/ou la position budgétaire à moyen terme. La quantification de l’impact doit être réalisée de façon transparente et l’Etat membre doit présenter à la Commission la documentation pertinente ;

–          L’Etat membre doit réaliser un ajustement budgétaire structurel minimal de 0,5 point de PIB.

Dans ce nouveau contexte, la France a des réformes à faire valoir telles que la réforme territoriale et la loi pour la croissance et l’activité, dite loi Macron. Selon les calculs de l’OCDE datant d’octobre 2014, l’ensemble des réformes prises et celles en cours d’adoption[4]pourraient augmenter le PIB de 1,6 point à l’horizon de 5 ans et améliorer le solde budgétaire structurel de l’ordre de 0,8 point de PIB[5] (le détail des effets estimés par l’OCDE est présenté dans le tableau 1).

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Au mois de mars, la Commission devra évaluer si la Loi de finances 2015 est en conformité avec les règles du PSC. Pour pouvoir bénéficier de la clause de réformes structurelles, la France devra alors remplir certaines conditions :

1)      Le contour des réformes devra être spécifié : fin-décembre 2014, la Commission considérait que de nombreuses incertitudes subsistaient concernant la réforme territoriale et sur le contenu de la loi Macron, incertitudes qui seront levées avec l’avancée du traitement parlementaire.

2)      Bercy devra produire des évaluations convaincantes de l’impact de la loi Macron tandis que la Commission réalisera les siennes. La Commission a déjà signalé que le chiffrage réalisé par l’OCDE constitue la borne supérieure de l’impact.

L’exercice d’évaluation de la Loi de finances de 2015 peut aboutir à l’imposition de sanctions financières à l’encontre de la France, à moins que le gouvernement ne décide de renforcer l’ajustement budgétaire. Pour rappel, la Commission a prévenu fin novembre que de nouvelles mesures seraient nécessaires pour garantir la conformité du budget 2015 avec le PSC. En effet, la Commission a estimé que l’ajustement était seulement de 0,3 point, alors qu’en juin 2013 la France s’était engagée à réaliser un ajustement budgétaire structurel de 0,8 point de PIB en 2015 afin de ramener son déficit sous la barre des 3 % dès 2015[6].

Si la Commission valide les effets positifs escomptés des réformes, un problème persiste pour l’application de la « clause de réformes structurelles » : l’ajustement budgétaire structurel reste inférieur à 0,5 point de PIB, ce qui empêche l’application de la nouvelle clause. La France reste donc toujours sous la menace de sanctions malgré la nouvelle doctrine.

Si l’analyse du document publié le 13 janvier montre que la Commission a ajouté une flexibilité au Pacte, il en ressort aussi que la Commission attend que la France réalise un ajustement budgétaire supplémentaire. Celui-ci serait de l’ordre de 4 milliards d’euros (soit 0,2 point de PIB) au lieu des 8 milliards (soit 0,4 point de PIB) qu’on pouvait attendre au mois d’octobre (les effets d’une lecture stricte du Pacte ont été analysés ici).

Le gouvernement répète qu’il ne souhaite pas aller plus loin dans l’ajustement budgétaire et que cela n’est pas souhaitable au regard de la situation économique : 2015 peut être l’année de la reprise à condition que le risque déflationniste soit pris au sérieux. L’activité aura de nombreux soutiens : à la baisse du prix du pétrole et de l’euro s’ajoutent une politique monétaire expansionniste et le plan Juncker, même si ce dernier est loin d’être à la hauteur de la situation. Néanmoins, en France, la politique budgétaire constituera un frein dont l’ampleur restera incertaine jusqu’au mois de mars. D’ici là, les termes du débat venant d’être posés, il faut que l’ensemble des acteurs prenne le risque déflationniste au sérieux.

 


[1] La Commission permet de retirer du calcul du déficit les investissements réalisés dans le cadre du Plan Juncker ; elle clarifie les conditions d’application de la « clause de réformes structurelles » et modère la vitesse de convergence vers les objectifs de moyen terme (OMT) pour les pays soumis au volet préventif du Pacte selon leur position dans le cycle conjoncturel.

[2]Grosso modo il s’agit des pays dont le déficit est supérieur à 3 %.

[3]Grosso modo il s’agit des pays dont le déficit est inférieur à 3 %.

[4] Ce qui va au-delà de la seule loi Macron et comprend notamment le CICE et le Pacte de Responsabilité.

[5] Le chiffrage de l’OCDE a été utilisé par le Premier ministre dans sa lettre à la Commission du 27 octobre.

[6] Dans ses prévisions d’automne 2014, la Commission quantifie l’ajustement à 0,1 point de PIB, mais ce chiffre n’est pas directement comparable avec l’engagement de 0,8 point de juin 2013. Une fois pris en compte les changements des normes de la comptabilité nationale et les évolutions imprévisibles de certaines variables, l’ajustement corrigé est de 0,3 point de PIB. Ce chiffre sert de base de calcul dans la procédure de déficit excessif.




L’austérité sans fin ou comment l’Italie se retrouve piégée par les règles européennes ?

par Raul Sampognaro

Si le budget présenté par la France est en net décalage vis-à-vis des règles de la gouvernance budgétaire de la zone euro (voir sur ce sujet les posts récents d’Henri Sterdyniak et de Xavier Timbeau), l’Italie est aussi sur la sellette. Toutefois, les situations française et italienne ne sont pas directement comparables et le cas de l’Italie pourrait s’avérer autrement plus contraignant que celui de la France, reflétant à nouveau les effets pervers de la nouvelle gouvernance européenne. Si, contrairement à la France, l’Italie n’est plus en PDE (Procédure de déficit excessif) puisque, depuis 2012, son déficit budgétaire se situe au seuil de 3 %, elle reste, dans le cadre du volet préventif du Pacte, sous surveillance renforcée au regard du critère de la dette. Sa dette de 127 points de PIB est très largement au-dessus du niveau de 60 % retenu par les règles européennes et, selon son Objectif de Moyen Terme (OMT), l’Italie doit revenir à un déficit proche de l’équilibre.

Alors que le déficit budgétaire français pour 2015 serait le plus élevé de l’ensemble de la zone euro (hors pays sous programme[1]), depuis les dernières annonces du 28 octobre, l’Italie affiche un déficit de 2,6 %, ce qui ne devrait pas déclencher une nouvelle procédure de déficit excessif (PDE). Toutefois, le volet préventif du Pacte contraint l’Italie sur l’évolution de son solde structurel :

–          (i) au titre de la convergence vers l’OMT, l’Italie doit assurer un ajustement structurel de 0,5 point par an pendant 3 ans (i. e. réduire son déficit structurel de 0,5 point par an)

–          (ii) si le déficit structurel défini dans l’OMT n’est pas suffisant pour atteindre un niveau de dette publique de 60 % à horizon de 20 ans, le pays doit fournir un effort supplémentaire au titre du critère de dette. Or, selon les dernières prévisions de la Commission, l’Italie doit fournir un effort structurel moyen annuel de 0,7 point en 2014 et 2015.

Or, le gouvernement table sur une dégradation du solde structurel de 0,3 point en 2014 qui serait suivie d’une amélioration de 0,4 point pour l’année 2015.

 

Ainsi, alors que selon la Commission les traités demandent à l’Italie un effort cumulé de 1,4 point au cours des années 2014 et 2015 (le gouvernement italien estime quant à lui que cet effort devrait plutôt être de 0,9 point), l’Italie annonce une amélioration de son solde structurel de 0,1 point pendant la période, soit un écart de 1,3 point avec celui demandé par la Commission. De ce point de vue, l’Italie s’écarte donc encore plus des exigences européennes que la France et devra se justifier sur l’absence d’ajustement structurel. Par ailleurs, l’Italie ne devrait pas atteindre son OMT en 2015 alors que le Conseil avait recommandé, à l’issue du semestre européen en juillet 2014, de conserver la cible de 2015.

L’Italie est le premier pays à être contraint par le critère de dette et sert de laboratoire à l’application des règles, en démontrant certains de leurs effets pervers. En effet, l’ajustement requis au titre du critère de dette évolue en fonction de plusieurs paramètres, dont certains n’étaient pas prévus par le législateur lui-même. Par exemple, le montant de l’ajustement dépend d’une prévision du ratio Dette nominale/PIB nominal à l’issue de la phase de transition. Or, la baisse des prix actuellement en cours en Italie réduit la prévision de PIB nominal pour les trois prochaines années, sans aucun changement de politique budgétaire. Ainsi, le critère de dette se durcit mécaniquement sans aucune action du gouvernement, augmentant sans fin le besoin d’ajustement structurel au fur et à mesure que les nouveaux ajustements induisent plus de déflation. De plus, les procédures pour constater les déviations par rapport au critère de dette sont plus lentes car le contrôle s’effectue essentiellement ex-post sur la base des déviations cumulées observées sur deux ans. Toutefois, l’ampleur de la déviation annoncée par le gouvernement italien pourrait déclencher des procédures dès le contrôle ex ante. Rappelons cependant que, contrairement à la France, l’Italie n’est pas actuellement en procédure. Celle-ci devrait donc être ouverte avant d’envisager que des sanctions soient requises à l’encontre de l’Italie. Cette étape préalable et nécessaire donne du temps au gouvernement italien pour prendre les mesures adéquates ou pour justifier les dérives à l’OMT.

Par ailleurs, le volet préventif prévoit plus de possibilités de dérive que le volet correctif de la PDE. En plus de la clause de situation économique exceptionnellement défavorable, l’Italie peut arguer de réformes structurelles majeures qui permettraient d’améliorer la soutenabilité future de la dette. Ce dernier argument qui est aussi mobilisé par le gouvernement français n’est pas prévu dans le texte de la PDE (la Commission pourrait accepter un peu de flexibilité). Ici, cependant, le gouvernement Renzi capitalise sa réputation de réformateur bien supérieure à celle du gouvernement français.

Les deux gouvernements ont demandé l’application de la clause de situation économique défavorable pour pouvoir rompre leurs engagements. La Commission pourrait être plus sensible à la demande italienne parce que sa situation économique est dégradée : l’Italie cumule trois ans de baisse de son PIB, et celle-ci s’est poursuivie au 1er semestre 2014. Le PIB reste 9 points en dessous de son pic d’avant-crise alors qu’en France il est supérieur d’un point. Les derniers indicateurs d’enquêtes, comme de production industrielle ne laissent pas augurer d’une reprise à court terme. Enfin, l’Italie est en déflation.

En résumant, si l’écart italien semble plus important que celui de la France, le cas italien pourrait bénéficier d’une plus grande indulgence. Les procédures appliquées à chacun des deux pays diffèrent et donnent plus de temps à l’Italie avant que d’éventuelles sanctions puissent être appliquées. La volonté réformatrice italienne pourrait être mieux appréciée par la Commission que celle de la France. Enfin, ce qui est le plus important dans la discussion, la situation économique italienne est nettement plus grave, en récession ininterrompue depuis l’été 2011 et avec des prix en baisse.

Mais, dans un cas comme dans l’autre, le pacte renforcé, qu’il soit correctif ou préventif implique des ajustements structurels sans fin. L’Italie nous montre que la sortie de la procédure de déficit excessif demande de continuer encore les efforts, au nom du critère de dette. Si la France sort en 2017 de la PDE, sa dette sera selon les prévisions du gouvernement de l’ordre de 100 % du PIB. Elle devra alors continuer un ajustement toujours supérieur à 0,5 %. La confirmation de la déflation rendra les règles du pacte encore plus récessives et absurdes. Parce qu’au final, le pacte budgétaire qui devait préserver l’euro en chassant les passagers clandestins pourrait aboutir à le faire éclater par la récession à durée indéterminée.

 


[1] La Grèce, l’Irlande et le Portugal ont bénéficié d’une aide européenne et ont à ce titre fait l’objet d’une surveillance conjointe de la BCE, du FMI et de l’Union européenne. L’Irlande et le Portugal sont désormais sortis de leur plan de sauvetage.




L’infinie maladresse du budget français

par Xavier Timbeau, @XTimbeau

C’est entendu, dans le projet de budget communiqué à la Commission européenne le 15 octobre 2014, la France ne respecte pas les règles de la gouvernance européenne et les engagements antérieurs négociés dans le cadre du Semestre européen. Alors que la France est en procédure de déficit excessif, la Commission européenne n’a pas a priori d’autre choix que de rejeter le budget français parce qu’elle  est la gardienne des traités. Si la Commission ne refusait pas le budget français, qui s’écarte très significativement, au moins en apparence, de nos engagements antérieurs, alors aucun budget ne pourrait jamais être rejeté.

Rappelons que la France, et son Président actuel, ont ratifié le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Croissance (« TSCG », entré en vigueur en octobre 2012), qui avait été adopté par les chefs d’Etats en mars 2012. Il avait été question pendant la campagne présidentielle de 2012 de le renégocier (ce qui avait suscité l’espoir des pays du sud de l’Europe), mais l’urgence de la crise des dettes souveraines en Europe, entre autres, en a décidé autrement. La France a implémenté les dispositions de ce traité dans la loi organique n°2012-1403, mettant en place par exemple le Haut Conseil des Finances Publiques et définissant un schéma pluriannuel de suivi de la trajectoire des finances publiques à partir des soldes structurels (c’est-à-dire corrigés des effets de la conjoncture).

Tout semble donc indiquer que la France a accepté le cadre très contraignant que le TSCG et le 2-pack renforcent et qui avait été établi par le 6-pack (5 règlements et une directive, datés de 2011, qui renforcent le Pacte de Stabilité et de Croissance et qui en précisent le calendrier et les paramètres). La bonne volonté de la France a d’ailleurs été manifeste lors de la communication, en octobre 2013, d’un projet de budget 2014 et d’un programme de stabilité en avril 2014 plus que conformes. C’est dans une conférence de presse en septembre 2014 que le gouvernement français a annoncé que l’objectif de réduction de déficit pour 2015 ne serait pas tenu. Faible croissance et très faible inflation sont les arguments avancés alors pour une sérieuse révision de la situation économique présentée comme un discours de vérité. Le même cas s’était présenté en 2013, l’objectif nominal d’alors ayant été fixé en sous-estimant les multiplicateurs budgétaires. Cependant le calendrier et l’ampleur des ajustements avaient été respectés et un délai, de fait, accordé.

Donc, jusqu’à la conférence de presse, la mécanique du traité n’était pas mise en difficulté majeure. Une des innovations du TSCG est en effet de ne plus viser un objectif nominal (3%) mais de s’attacher à l’effort structurel. Si la conjoncture est plus mauvaise que prévue, alors, l’objectif nominal de déficit n’est pas rempli (ce qui est le cas). Dans ce cas, l’objectif est l’effort structurel. Dans le programme de stabilité 2014-2017 d’avril 2014, l’effort structurel annoncé (page 13) est de 0,8 point de PIB en 2015 de réduction du déficit structurel après 0,8 en 2014. La procédure de déficit excessif (précisée également dans un vade-mecum de la Commission) exige au minimum un effort structurel de 0,5 point du PIB et demande une documentation précise des moyens d’y parvenir.

C’est ici que le projet de budget 2015 matérialise l’infraction au traité. L’effort en 2014 n’est plus que de 0,1 point et est annoncé à 0,2 point en 2015. Ces chiffres sont ainsi inacceptables par la Commission. Comment expliquer cette modification provocatrice ? Plusieurs éléments y concourent. Le premier est une modification de la norme de comptabilisation du CICE qui conduit à inscrire en 2015 les dépenses générées en 2015 et payées en 2016. Au moment où le CICE monte en charge, c’est 0,2 point de PIB en moins dans l’effort budgétaire français. Le second est une modification de l’hypothèse de croissance potentielle. Au lieu de 1,5% de croissance potentielle dans le programme de stabilité 2014-2017, celle-ci est supposée être de 1,2% sur la période 2014-2017. A méthode constante, l’effort en 2014 aurait été de 0,5 point du PIB et de 0,6 point en 2015. La différence avec le programme de stabilité d’avril 2014 s’explique par la révision à la baisse de l’inflation et par quelques modifications sur les mesures. La nouvelle présentation du même budget, avec une modification marginale du contexte économique, est celle d’une absence d’effort structurel. Non seulement l’objectif nominal ne sera pas atteint, mais en plus l’effort structurel de 2014 et de 2015 est abandonné. Et ce, à politique inchangée ! Pire, ce projet de budget laisse entendre que l’objectif nominal n’est pas atteint parce que l’effort structurel n’a pas été réalisé en 2014 et ne le sera pas en 2015.

Pourtant le gouvernement plaide les circonstances exceptionnelles. Pourquoi avoir modifié les hypothèses de croissance potentielle et n’avoir pas conservé la norme comptable antérieure pour présenter le projet de budget français 2015 ? Un effort de 0,6 point du PIB en 2015 au lieu d’un effort précédemment annoncé de 0,8 point du PIB n’aurait pas posé de problème à la Commission, qui aurait relevé des hypothèses trop hautes de croissance potentielle (comme d’ailleurs dans ses remarques sur le projet de budget 2014, que le Conseil n’a pas retenu en novembre 2013). Il aurait été simple de répondre que l’on ne change pas des hypothèses de croissance potentielle tous les 6 mois et que c’est d’ailleurs l’objet de ce concept et la raison de son introduction dans les traités et les règles européennes : éviter la pro-cyclicité des politiques budgétaires, éviter de faire plus de restriction budgétaire au moment où les mauvaises nouvelles s’amoncellent. Il aurait été acquis que la Commission a une appréciation plus basse que la France, mais la croissance potentielle est non observée et son évaluation repose sur de nombreuses hypothèses. Ainsi, il n’est pas précisé dans les traités ou les règlements si l’on considère une croissance potentielle à court terme ou à moyen terme. Or la Commission estime (dans le 2012 Ageing Report) que la croissance potentielle à moyen terme de la France est de 1,7% par an (en moyenne de 2010 à 2060) et de 1,4% en 2015. Et surtout, rien n’oblige la France à adopter l’hypothèse de la Commission. Le règlement EU 473/2011 demande que les hypothèses soient explicitées et qu’éventuellement des opinions extérieures soient demandées. La loi organique 2012-043 énonce que « Un rapport annexé au projet de Loi de programmation des finances publiques et donnant lieu à approbation du Parlement présente : (…) 9° Les modalités de calcul de l’effort structurel mentionné à l’article 1er, la répartition de cet effort entre chacun des sous-secteurs des administrations publiques et les éléments permettant d’établir la correspondance entre la notion d’effort structurel et celle de solde structurel ; 10° Les hypothèses de produit intérieur brut potentiel retenues pour la programmation des finances publiques. Le rapport présente et justifie les différences éventuelles par rapport aux estimations de la Commission européenne » ce qui donne bien la mainmise sur l’hypothèse de croissance potentielle au gouvernement et pose le parlement souverain en dernier juge.

Fallait-il faire une opération vérité sur la croissance potentielle et modifier significativement cette hypothèse cruciale dans la présentation du budget ? Fallait-il que l’opération vérité conduise à présenter comme presque neutre un budget dans lequel on effectue un choix lourd et coûteux de politique (financer la compétitivité des entreprises par la baisse des dépenses publiques et la hausse des prélèvements sur les ménages) ? L’hypothèse de la Commission est-elle plus pertinente parce qu’elle a été continûment révisée tous les 6 mois depuis maintenant 5 ans ? Ne pouvait-on pas expliquer que l’ambitieux programme de réformes structurelles du gouvernement français contribuerait lui-même à relever le potentiel dans le futur (à moins qu’il n’y croie pas) ? Le CICE et le pacte de responsabilité ne sont-ils pas le gage de la vitalité retrouvée d’un tissu productif au point que cela se traduise par plus de croissance potentielle ? Ne fallait-il pas plutôt suivre les avis des auteurs d’un rapport pour le CAE sur la croissance potentielle qui ne se sont pas risqués à en produire une nouvelle estimation ? N’est-ce pas sur le sujet de la croissance qu’il fallait engager le dialogue (constructif et technique, dans des cénacles discrets) avec la Commission plutôt que d’afficher une infraction manifeste aux règles européennes ? Dans le projet de Loi de finance 2015 il est écrit (page 5) : « la trajectoire retient, par prudence, une croissance potentielle révisée à la baisse par rapport à la précédente loi de programmation, en reprenant la dernière estimation de croissance potentielle de la Commission européenne (printemps 2014) ». Quelle est cette sorte de prudence qui ressemble à une bourde aux conséquences terribles ? Est-ce le désordre dans le gouvernement à la fin du mois d’août 2014 qui a permis les circonstances de cette infinie maladresse ?

Il est impossible de justifier la présentation faite : la Commission réprimandera la France, qui ne réagira pas, sûre de son droit (et comme l’a déjà annoncé son gouvernement). La Commission devra alors monter l’échelle des sanctions et il est peu probable que le Conseil l’arrête en route, d’autant que les décisions y seront prises à la majorité qualifiée inversée. Le French bashing prendra un nouveau tour et ceci ne fera apparaître que l’inutilité du processus, puisque la France ne changera rien à sa trajectoire de finances publiques. Cela dépréciera la parole et l’influence française au moment où s’élabore l’initiative d’un plan d’investissement de 300 milliards d’euros qui n’est voulu que par la France et la Pologne (d’après la rumeur), au risque de faire capoter une des rares initiatives qui pouvait nous faire sortir de la crise.

En laissant la fureur feutrée de la technocratie exprimer son mécontentement envers la France, c’est la fragilité de la « gouvernance européenne » qui sera révélée. Or celle-ci ne repose que sur la dénonciation de la France et la pression par les pairs qu’elle implique. La France peut être mise à l’amende, mais ni le Conseil ni la Commission ne disposent d’instruments pour « forcer » la France à satisfaire aux exigences du traité. C’est toute la faiblesse de cette « gouvernance européenne » puisqu’elle ne fonctionne que si les Etats membres se plient volontairement aux règles. Elle n’a donc de gouvernance que le nom, mais elle est pourtant la clef de voûte de la sortie de la crise des dettes souveraines. La Banque centrale européenne est intervenue, à l’été 2012, parce que la gouvernance renforcée des finances publiques devait résoudre le problème de passager clandestin. Les (nombreux) détracteurs de l’intervention de la Banque centrale européenne ont largement dénoncé l’hypocrisie du traité, qui ne garantit rien puisqu’il repose sur la discipline consentie des Etats membres. L’infraction française, l’impuissance de la Commission et du Conseil constitueront une démonstration de cette faiblesse, au point que l’on peut craindre que le château de cartes ne s’effondre.

La France pourrait revoir son projet de budget et ajouter des mesures, qui dans la nouvelle méthode comptable et avec une hypothèse plus basse de potentiel, lui permettent de tenir son engagement d’effort structurel d’avril 2014. Ce scénario est très improbable et c’est une bonne chose (voir le post d’Henri Sterdyniak). Improbable, parce que les presque 2 points de TVA à taux plein nécessaires pour arriver à un effort de 0,8% du PIB (et donc sans compenser le retard pris en 2014) ne seraient pas votés par le Parlement français. Bonne chose, parce qu’ils auraient induit une récession (ou un sérieux ralentissement) en France et une montée du chômage totalement inacceptables pour simplement sauver la face de la Commission et appliquer avec diligence les textes européens.

Il aurait été bien plus habile de s’en tenir aux hypothèses (et méthodes) du programme de stabilité 2014. Le Haut Conseil aurait protesté, la Commission aurait querellé mais les règles de la gouvernance européenne auraient été sauves. On dit que les statistiques sont la forme la plus avancée du mensonge. Entre deux mensonges, autant choisir le moins stupide.




Pourquoi Bruxelles doit sanctionner la France et pourquoi la France doit désobéir

par Henri Sterdyniak

La France a signé le Pacte de Stabilité en 1997 et en 2005 puis le Traité budgétaire en 2012. Selon ces textes, le déficit public d’un pays de la zone euro ne doit pas dépasser les 3 points de PIB ; dès que le déficit public dépasse cette limite, le pays est soumis à la procédure de déficit excessif et doit revenir sous les 3% selon un calendrier accepté par la Commission.

La France s’était engagée à revenir en dessous des 3% en 2012, puis en 2013 ; elle a obtenu, en juin 2013, la possibilité de reporter à 2015 le passage sous les 3%. Mais, selon le budget présenté fin septembre 2014, le déficit public de la France sera toujours de 4,3% du PIB en 2015 ; le passage sous les 3% est reporté à 2017.

En décembre 2012, la France s’était engagée à faire un effort budgétaire de 3,2 points de PIB sur les trois années 2013-14-15 ; selon le nouveau budget, l’effort ne sera que de 1,4 point, soit de 1,1 point en 2013, 0,1 point en 2014, 0,2 point en 2015. Ainsi, la France ne fera même pas en 2014 et 2015 l’effort de 0,8 point de PIB auquel elle s’était engagée en juin 2013 ; elle ne fera pas non plus, durant ces 2 années, l’effort de 0,5 point de PIB, qui s’impose à tous les pays dont le déficit structurel est supérieur à 0,5 point de PIB.

Au lieu de prendre des mesures pour se rapprocher de la trajectoire de solde public annoncée  par la Loi de Programmation des Finances Publiques votée en 2012, le gouvernement va faire voter une nouvelle LPFP, ce qui est contraire à l’esprit du Traité budgétaire. Bref, soit Bruxelles sanctionne la  France, soit elle renonce à faire respecter les  principes du Pacte et du Traité.

Certes, sur le plan technique, une partie de l’écart s’explique par le fait que le gouvernement français a accepté l’estimation de la Commission d’une croissance potentielle de la France limitée à 1% par an en 2013-2015 ; avec une croissance potentielle estimée de 1,6%, l’effort estimé serait plus élevé de 0,3 point par an. Mais le Traité budgétaire précise bien que ce sont les estimations de la Commission qui s’imposent. Sur le plan économique, compte tenu de la situation conjoncturelle, le gouvernement a choisi de privilégier le soutien de la croissance par les baisses d’impôts et de cotisations figurant dans le Pacte de Responsabilité et de Croissance, par rapport au respect des règles européennes. Mais cela n’est pas autorisé par les traités : un pays ne peut décider seul de s’affranchir des règles.

Pour rentrer dans les clous, la France devrait faire en 2015 un effort supplémentaire de baisse des dépenses publiques de l’ordre de 1,4% du PIB, soit de 28 milliards. En même temps, cet effort aurait un impact récessif sur le PIB : au lieu de la  croissance de 1,0% en 2015, que  prévoit le gouvernement, la France connaîtrait une baisse du PIB de l’ordre de 0,4%[1], de sorte que les rentrées fiscales diminueraient et que l’objectif de 3%  de déficit ne serait pas atteint non plus et nous replongerions en récession. Bref, la France a raison de désobéir.

Ainsi, la Commission pourrait-elle infliger à la France une amende de 0,2% de son PIB, soit de 4 milliards d’euros chaque année. Elle pourrait lui imposer de rendre compte tous les 3 mois de l’exécution de son budget. Elle pourrait lui demander de s’engager fermement sur des réformes structurelles (réforme des retraites, baisse des indemnités chômage, réduction des allocations familiales, diminution du nombre de fonctionnaires). Mais cela rendrait l’Europe encore plus impopulaire pour les Français.

La France n’a aucune difficulté à trouver des financements pour sa dette publique. Elle s’endette à des taux d’intérêt nuls à 1 an, de 1,3% à 10 ans. Elle contribue à garantir les dettes publiques de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Elle fait un important effort militaire en Afrique et au Moyen-Orient dont beaucoup de pays de l’UE s’exemptent. La France contribue pour 22 milliards au budget de l’UE et sa contribution nette est de l’ordre de 6 milliards. Son déficit public n’a aucune conséquence néfaste pour ses partenaires européens ; au contraire, il soutient leur activité. De sorte que la sanction apparaîtrait comme absurde : on pénaliserait un pays pour ne pas respecter une limite arbitraire de 3%. Non pour des motifs économiques, mais pour faire un exemple, pour renforcer la crédibilité des traités en vigueur.

La France n’est pas le seul pays à ne pas respecter les critères européens de finances publiques. En 2014, par exemple, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne, mais aussi, en dehors de la zone euro, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, le Japon ont des déficits publics supérieurs à 3 % du PIB. La quasi-totalité des pays de l’OCDE ont des dettes publiques supérieures à 60% du PIB. De toute évidence, ces critères sont mal pensés.

La France a fait des efforts budgétaires importants depuis 2009, de l’ordre de 4,5 points de PIB[2], soit un peu plus que la moyenne des pays de la zone euro. Les pays qui ont fait des efforts plus importants (Grèce, Espagne, Portugal, Irlande) sont dans des situations économiques préoccupantes en termes de chômage et d’écart de production. Il est légitime que la France, où les investissements publics sont particulièrement importants (4 points de PIB) conserve un certain déficit public.

Lorsque tous les pays de la zone font en même temps des politiques d’austérité, le PIB de la zone est lourdement affecté et les objectifs de finances publiques ne peuvent être atteints. C’est ce que l’on voit en Europe depuis 2012, mais la Commission refuse de renoncer à sa politique d’austérité, malgré ses résultats désastreux, qui avaient d’ailleurs été annoncés dès 2011[3].

En fait, les objectifs européens  n’ont aucun fondement économique : les limites de 3% du PIB pour le déficit et de 60% du PIB pour la dette sont arbitraires. Il est légitime qu’un pays qui investit beaucoup et qui est en récession ait un déficit public relativement important. Il serait suicidaire d’ajouter une politique trop restrictive à une situation déjà déprimée par la crise financière, puis par la crise des dettes des pays du sud de la zone euro, puis par les politiques d’austérité mises en œuvre.

Le  problème est que les gouvernements français successifs ont eu tort d’accepter de signer le Pacte de Stabilité puis le Traité Budgétaire, ont eu tort de prendre des engagements stupides sur le plan économique, impossibles à tenir. La France apparaît aujourd’hui comme un partenaire non digne de confiance, incapable de tenir ses engagements. Il aurait été plus courageux et plus honnête de refuser de signer.

Sur le plan du droit européen, la France n’aurait pas le droit de ne pas tenir compte des sanctions de l’UE. Le refus de la France de modifier son budget ouvrirait une grave crise en Europe. Il mettrait en cause les fondements de la coordination budgétaire que l’UE a mis en place : la norme de 3%, la procédure de déficit excessif, l’objectif de solde équilibré, le pilotage par le semestre européen, etc. Cette coordination a été imposée par l’Allemagne et les pays du Nord en échange de leur acceptation de la monnaie unique.

En sens inverse, cette pseudo-coordination par des règles arbitraires se révèle totalement contreproductive ; la politique d’austérité pilotée par la Commission a tué la reprise qui s’esquissait en 2010-11 ; la zone euro reste une zone de faible croissance, de chômage de masse et de déséquilibres entre les Etats membres. A l’évidence, la priorité aujourd’hui est de mettre un terme aux politiques d’austérité et de coordonner des politiques de relance en adoptant des mesures spécifiques pour les pays en déséquilibre (plus de salaires et de protection sociale en Allemagne, des investissements productifs dans les pays du Sud).

De sorte que la question se posera : ne faudrait-il pas que la France ait le courage de dire clairement qu’elle refuse de se plier à des règles budgétaires contre-productives  et qu’elle  demande une rupture franche dans les politiques de l’UE ?

 

 


[1] En prenant un multiplicateur de dépenses publiques égal à 1.

[2] Selon les estimations de l’OCDE, Economic Outlook data base, table 30, ou de l’OFCE (Voir, « France, ajustements graduels », Revue de l’OFCE, avril 2014, page 91)

[3] Voir dans la Revue de l’OFCE, janvier 2011, n°116, les articles : Mathieu C. et H. Sterdyniak : « Finances publiques,  sorties de crise » ; J. Creel, E.  Heyer E. et M. Plane : « Petit précis de politique budgétaire par tous les temps ».




Politique budgétaire et stabilité macroéconomique en union économique et monétaire : le cas de l’UEMOA

par Mamadou DIOP et Adama DIAW

L’idée selon laquelle la politique budgétaire est un outil efficace de la politique économique pour stimuler l’activité réelle n’est pas confirmée au plan empirique et ne fait pas l’unanimité au sein des économistes. L’article publié dans La Revue de l’OFCE (n°137-2014) soulève deux écueils majeurs de la politique des gouvernements de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA) : le délai de mise en œuvre des mesures budgétaires et l’irréversibilité de certaines dépenses de consommation publique. Il s’agit, en effet, de la capacité à annuler certaines dépenses lorsqu’elles ne seront plus nécessaires pour la stabilisation de l’activité économique. Cette réversibilité de la politique budgétaire est, aujourd’hui, une condition nécessaire pour préserver la soutenabilité des finances publiques à moyen terme. Pour stabiliser la conjoncture d’un pays à partir de la politique budgétaire, il est important d’identifier parmi les dépenses publiques, celles qui affectent sensiblement l’activité économique, tout en tenant compte de leur délai de réaction. Tel est l’objet de cet article qui se propose d’évaluer l’impact des chocs budgétaires sur l’activité économique des Etats de l’UEMOA et de faire ressortir ainsi les canaux de transmission de leur politique budgétaire.




Banques centrales : le dernier rempart ?

par Xavier Timbeau, @XTimbeau

Ce texte résume les perspectives 2014-2015 de l’OFCE pour l’économie mondiale

La croissance du PIB est à nouveau positive dans la plupart des pays développés ! Faut-il s’en réjouir et crier victoire parce que nous sommes sortis de la pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale ? Les sacrifices consentis et les sueurs froides, tout ceci a-t-il finalement payé ?

Et bien non. La croissance est positive, mais insuffisante pour induire une baisse du chômage. Y compris aux Etats-Unis, où pourtant le chômage a baissé, le taux d’emploi ne se redresse pas (graphique 1). C’est qu’on peut sortir du chômage vers l’emploi mais aussi vers l’inactivité, c’est-à-dire le retrait du marché du travail. Et c’est ce découragement des chômeurs qui domine aux Etats-Unis.

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Et si l’on attend encore un peu (au-delà de 2015) pour que cela s’arrange, on risque fort d’être déçu, comme l’indiquent nos prévisions d’avril 2014. Car en effet, cette situation sur le marché du travail alimente les pressions déflationnistes. Le graphique 2 illustre cette pression lente et continue. Le débat sur le salaire minimum, réveillé en France récemment, s’inscrit dans cette logique. En situation de chômage élevé, le fonctionnement concurrentiel du marché du travail conduit à la réduction du salaire réel, c’est-à-dire du pouvoir d’achat.

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Notons qu’il s’agit du salaire réel, car, la baisse des salaires nominaux, la pression de la concurrence sur le marché des biens ou les dévaluations fiscales provoquent des baisses de prix. C’est pourquoi les indices de prix indiquent une inflation en net ralentissement, mais sans que pour autant, quoiqu’en dise Mario Draghi (« with low inflation, you can buy more stuff »), le pouvoir d’achat s’accroisse (« les salaires ralentissent plus que les prix, Mario ! »). Ainsi, doucement, et tant que le chômage sera élevé, nous nous enfonçons dans une déflation dont la principale conséquence sera d’accroître le poids réel des dettes privées ou publiques. Or ce sont ces dettes privées, socialisées, et donc ensuite publiques, qui nous ont plongés dans cette crise. Avec la déflation, la spirale des dettes continuera et nous maintiendra dans la crise.

Pour en sortir, tous les regards se tournent vers les banques centrales. Puisqu’elles ont comme mandat la stabilité des prix, elles sont donc obligées de tout mettre en œuvre pour empêcher une telle déflation. Elles ont d’ailleurs montré une grande créativité ces derniers temps, en ajoutant à leur arsenal des politiques monétaires non-conventionnelles … dont on va chercher encore pendant des années à caractériser les modes opératoires et analyser les impacts. Au passage, on peut oublier les manuels de politique monétaire, devenus obsolètes et ringards comme un timbre-poste sur une lettre postale à côté d’un flux twitter.

Mais les banques centrales risquent de ne pas y parvenir : ce qui fait la déflation c’est le chômage. Ce qui a fait le chômage, c’est l’austérité immédiate, quand les multiplicateurs budgétaires sont élevés (et non pas étalée, comme nous l’avions proposé dans le rapport iAGS 2013). Compter sur la politique monétaire seule pour nous prémunir de la déflation est donc insuffisant. Pour vraiment sortir de la déflation, il nous faut réduire rapidement le chômage, en recourant aussi à la politique budgétaire. Les difficultés sont réelles, mais de nombreuses propositions sont sur la table (le rapport iAGS 2014 en contient quelques unes).

C’est pourquoi, malgré des chiffres positifs, les perspectives de croissance pour l’année 2014 et 2015 pour les principaux pays développés sont toujours inquiétantes.




Au royaume des aveugles, les Irlandais sont-ils les rois ?

par Christophe Blot

Le 15 décembre 2013, l’Irlande est sortie du plan d’aide de 85 milliards d’euros accordé en novembre 2010 par le FMI et l’Union européenne. Cette annonce a deux conséquences directes. D’une part, le gouvernement irlandais, ne recevant plus de financement de ces deux institutions, devra couvrir l’intégralité de ses besoins de financement sur les marchés financiers. La baisse significative des taux d’intérêt souverains, en particulier au regard des taux en vigueur sur les dettes portugaises, espagnoles ou italiennes (graphique 1), montre que cette sortie du plan de sauvetage se fera sans surcoût. En effet, le taux de marché est aujourd’hui équivalent à celui payé par le gouvernement en contrepartie des 85 milliards d’euros d’aide reçue. Le gouvernement irlandais n’avait d’ailleurs pas attendu la fin de l’aide internationale pour réaliser, avec succès, des émissions obligataires. D’autre part, le gouvernement sort de la tutelle de la troïka (UE, BCE et FMI) et retrouve ainsi des marges de manœuvre en matière budgétaire. Toutes les contraintes ne seront pas levées pour autant puisque l’Irlande est toujours tenue de respecter les règles budgétaires en vigueur dans l’Union européenne. La dette publique, qui dépasse 120% du PIB, devra être ramenée à 60% en 20 ans et le déficit budgétaire réduit à 3% d’ici 2015. L’austérité devra donc se poursuivre en 2014, 2015 et sans doute bien au-delà.

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Dans ces conditions, l’annonce sera finalement assez neutre du point de vue économique et social. Il reste que certains pourraient être tentés de voir dans l’exemple irlandais que le plan d’aide et surtout la cure d’austérité qui l’a accompagné peuvent être couronnés de succès. L’austérité aurait donc porté ses fruits chez l’ancien « tigre celtique », ce qui doit encourager la Grèce et le Portugal à poursuivre leurs efforts. Qu’en est-il réellement ? Il faut d’emblée souligner le caractère fallacieux de l’argument qui s’appuie uniquement sur un critère de performance économique indéniablement meilleure pour l’Irlande. Le taux de chômage, en baisse de 2 points depuis 2012, s’élève aujourd’hui à 12,9% contre 15,6% au Portugal et plus de 25% en Grèce ou en Espagne. Depuis la fin de l’année 2010, le PIB irlandais a progressé de 2,3% alors qu’il a reculé de 5,6% au Portugal et de 3% en Espagne.

L’efficacité d’une stratégie de politique économique peut être évaluée de deux manières, soit en la comparant à une stratégie alternative d’absence d’austérité ou de moindre austérité, soit en tentant d’évaluer les effets de cette politique « toutes choses égales par ailleurs », soit ici à politique monétaire inchangée, à niveau de compétitivité donnée, … L’économiste recourt alors généralement à une analyse économétrique. Une telle évaluation va bien au-delà de l’objectif que l’on peut attribuer à ce billet mais il n’en demeure pas moins que l’on peut tenter de préciser quelques éléments.

Sur le plan empirique, les analyses récentes montrent que l’effet de l’austérité sur l’activité économique est indubitablement négatif. Le multiplicateur, mesurant l’impact sur l’activité d’un point d’effort budgétaire[1], est surtout plus fort lorsque le niveau de chômage est élevé[2], lorsque la politique monétaire est contrainte par le niveau plancher au-delà duquel elle ne peut plus baisser les taux d’intérêt de court terme, et lorsque le système financier se trouve en situation de crise. Le niveau du chômage, la crise financière qui a secoué l’Irlande après l’éclatement de la bulle immobilière et les imperfections de la transmission de la politique monétaire unique sur les taux d’intérêt des pays de la zone euro en crise sont autant de facteurs qui semblent indiquer que l’effet multiplicateur des restrictions budgétaires mises en œuvre par le gouvernement irlandais est certainement élevé. S’il n’existe pas d’évaluation économétrique de l’austérité irlandaise, le graphique 2 montre qu’il y a bien une corrélation entre l’impulsion budgétaire cumulée de l’Irlande entre 2008 et 2013 et l’écart de production. Ce dernier, qui mesure la distance entre le niveau observé du PIB et son potentiel est estimé à plus de 9 points par l’OCDE pour l’année 2013. Si la politique budgétaire ne peut être tenue seule responsable de cette situation, l’austérité aura contribué à creuser cet écart de production depuis 2011. Comparativement à la Grèce, au Portugal ou à l’Espagne, il se pourrait que les conséquences soient moins fortes en Irlande. La meilleure position de l’économie irlandaise en termes de compétitivité, en particulier de compétitivité hors-prix, la fiscalité avantageuse pour les entreprises multinationales ou la moindre exposition relative de l’Irlande aux autres pays de la zone euro peuvent contribuer à expliquer cette situation. La crédibilité du gouvernement irlandais aux yeux des marchés a par ailleurs sans doute été plus forte comme en témoigne la moindre envolée des taux. D’une part, le déficit budgétaire irlandais résulte plus de la crise bancaire et immobilière, qui a provoqué une forte récession, que de l’inefficacité du système fiscal ou d’une mauvaise gestion des dépenses publiques. L’Irlande dégageait d’ailleurs des excédents budgétaires avant la crise. D’autre part, l’Irlande a déjà fait l’expérience d’un épisode de consolidation budgétaire au cours des années 1980, ce qui a pu convaincre les marchés de la crédibilité du gouvernement à stabiliser ses finances publiques. Pour autant ces arguments n’indiquent pas que l’épisode de consolidation aurait eu un effet positif ou même nul. De fait, l’Irlande a bien connu une nouvelle récession en fin d’année 2012.

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Par ailleurs, l’analyse, réalisée dans le second rapport iAGS (independant Annual Growth Survey), en variante d’une stratégie alternative d’austérité budgétaire, montre que l’Irlande gagnerait (ou aurait gagné) en moyenne 1,2 point de croissance par an entre 2011 et 2015 si le gouvernement avait choisi d’étaler l’austérité dès 2011, c’est-à-dire de limiter les impulsions budgétaires à 0,5 % du PIB. Dans ces conditions, l’Irlande aurait évité une deuxième récession. Il est donc indéniable que la stratégie d’austérité budgétaire, telle qu’elle a été mise en œuvre en Irlande, a été coûteuse en termes de croissance. Il faut toutefois souligner que dans un scénario alternatif d’étalement de l’austérité dès 2011, la dette publique n’aurait pas atteint le seuil de 60% en 2032, date à laquelle les dettes publiques devraient converger puisque les règles budgétaires soulignent la nécessité de converger vers ce seuil de 60 % du PIB au rythme de 1/20e par an. Il y a donc bien un arbitrage entre les objectifs de consolidation et l’objectif de croissance et de plein-emploi.

Certes, l’Irlande s’en sort mieux que d’autres pays de la zone euro. Mais, il faudrait sans doute être aveugle pour considérer que la sortie du plan d’aide témoigne du succès de la politique d’austérité budgétaire. Les perspectives de croissance sont plus favorables en Irlande qu’elles ne le sont au Portugal, en Grèce ou même en Espagne et en Italie (voir ici les prévisions de l’OFCE pour la zone euro). Pour autant, cet argument ne doit pas faire oublier que le PIB par tête de l’Irlande est aujourd’hui inférieur de 12 % à ce qu’il était avant la crise. Le taux de chômage dépasse 12 % et les inégalités se creusent.

 


[1] Voir Heyer (ici) pour une synthèse de cette littérature.

[2] Un niveau élevé de chômage accroît les contraintes de liquidité des ménages.