2019–2020 : les retraités mieux traités ?

par Pierre Madec

Dans un billet paru à l’automne 2018, nous étudiions l’impact des mesures des budgets 2018 et 2019 sur les ménages retraités. Depuis, de nouvelles mesures ont été annoncées pour l’année 2019, les prévisions d’inflation ont été revues à la baisse et les mesures issues du Grand Débat pourraient, elles aussi, modifier les résultats mis en lumière il y a quelques mois. Nous nous proposons ici une nouvelle analyse de l’impact des mesures votées dans le cadre des lois de finances pour 2019. Nous discuterons également les éléments à disposition pour 2020.

2019 : des retraités toujours largement mis à contribution

Après avoir accusé une hausse de la CSG de 1,7 point en 2018, les foyers fiscaux composés d’un ou plusieurs retraités et ayant un revenu fiscal de référence annuel inférieur à 22 580 euros[1] ont vu cette hausse annulée en 2019. Cette même année, les retraités verront leurs pensions de retraite revalorisées de 0,3% alors que l’indice des prix à la consommation s’établissait en février 2019 à 1,3% sur un an.

Par ailleurs, les ménages retraités devraient bénéficier d’une partie de l’exonération de la taxe d’habitation ou encore, pour les plus modestes d’entre eux, de la forte revalorisation du minimum vieillesse (ASPA). Au final, quel est l’effet à attendre de l’ensemble de ces mesures ? L’utilisation du modèle de micro simulation Ines, développé conjointement par l’Insee et la Drees, permet de répondre en partie à ces questions[2].

En 2019, la majorité (56%) des ménages comptant au moins un retraité devrait gagner à la mise en place des mesures socio-fiscales par rapport à 2018 (tableau 1). Ces ménages bénéficieront pleinement de l’annulation de la hausse de la CSG (+ 300 euros sur l’année) et la baisse de la taxe d’habitation devrait compenser la désindexation des pensions de retraite qui amputera en moyenne de 200 euros le revenu disponible des ménages gagnants.

A contrario, plus de 4,8 millions de ménages « retraités » devraient perdre à la mise en place des mesures socio-fiscales. Ces derniers sont ceux bénéficiant peu de la baisse de la taxe d’habitation et n’étant pas touchés par l’annulation de la hausse de la CSG. En moyenne, leur perte devrait s’établir à environ 300 euros pour l’année 2019.

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Les ménages perdants sont largement sur-représentés à la fois en bas et en haut de la distribution des niveaux de vie (graphique 1). En effet, les ménages les plus modestes n’ayant pas subi la hausse de la CSG en 2018 et étant pour partie déjà exonérés de taxe d’habitation en 2017 seront uniquement impactés par la désindexation des pensions de retraite. Il en est de même des retraités les plus aisés, non éligibles à l’exonération de la taxe d’habitation et dont le revenu fiscal de référence dépasse le seuil fixé pour bénéficier de l’annulation de la hausse de la CSG.

Au final, plus de la moitié des ménages perdants appartiennent au 40% des retraités les plus modestes. Les 10% de ménages retraités les plus aisés comptent quant à eux 17% des ménages perdants.

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Incertitudes pour 2020

S’il paraît peu probable que de nouvelles mesures en faveur des retraités soient annoncées en 2019, des incertitudes entourent l’année 2020.

En effet, si les lois de finances pour 2019 actent une nouvelle sous-indexation des pensions de retraite (et plus globalement de nombreuses prestations sociales) en 2020, les discussions entourant le Grand Débat laissent planer un doute sur la mise en œuvre de ce nouvel effort demandé aux retraités.

Si cette nouvelle sous-indexation venait à être mise en place, le nombre de ménages perdants croîtrait de près de 700 000 malgré la nouvelle hausse de l’ASPA et la fin de la montée en charge de la baisse de la taxe d’habitation (tableau 2). De façon similaire, la part des perdants par décile croîtrait quel que soit le niveau de vie considéré et plus de 70% des 30% de ménages retraités les plus modestes pourraient perdre à la mise en place des mesures socio-fiscales à la fin de l’année 2020 (graphique 2).

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Graphe2_post27-03Les discussions en cours et les mesures annoncées à la suite du Grand Débat pourraient modifier significativement ces résultats. En effet, parmi les nombreuses propositions émises, la réindexation des pensions pour une partie des retraités semble en bonne place. Dès lors, la question se pose du seuil de revenu en deçà duquel un ménage pourrait être éligible à cette réindexation.

À titre d’illustration, nous avons modélisé les effets d’une réindexation pour l’ensemble des ménages dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 22 580 euros (seuil utilisé pour l’annulation de la hausse de la CSG) (graphique 3). Cette mesure amputerait les économies budgétaires de l’ordre de 1,5 milliard d’euros pour les ménages considérés en 2020. Le gain à attendre s’établirait à 50 euros par an pour les 10% de ménages retraités les plus modestes et les plus aisés soit respectivement 0,4% et 0,1% de leur niveau de vie. Ce gain atteindrait 250 euros (0,9%) pour les ménages retraités du 6e décile[3].

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Au final, à l’image des mesures déjà actées, cette mesure ciblerait clairement les « classes moyennes » des retraités et peu le bas de la distribution. Elle permettrait tout de même de réduire de 1,3 million le nombre de ménages retraités perdants à la mise en place des mesures de 2020 et engendrerait un gain moyen de l’ordre de 150 euros pour les ménages retraités.

 

 

[1] Ceux ayant un revenu fiscal de référence inférieur à 14 548 euros par part fiscale n’ont pas subi la hausse de la CSG en 2018.

[2] L’ensemble des mesures socio-fiscales prises en compte dans cette étude sont décrites en détail dans  Pierre Madec, Mathieu Plane, Raul Sampognaro, « Budget 2019 : du pouvoir d’achat mais du déficit », Sciences Po OFCE Working Paper, n°02, 2019. Les mesures touchant les actifs (heures supplémentaires, prime d’activité, …) n’ayant pas d’effet sur les pensions, elles ne sont pas présentées ici. De même, les mesures de 2018 ne sont pas ici considérées (bascule cotisations/CSG, première tranche de taxe d’habitation, ISF, PFU, …).

[3] Le concept de « niveau de vie », ici utilisé pour mesurer les effets redistributifs, diffère du concept de « revenu fiscal de référence » utilisé pour calibrer la mesure. De fait, il peut exister des « gagnants » à la réindexation dans le haut de la distribution des niveaux de vie malgré le ciblage de la mesure sur les revenus fiscaux les plus faibles.




Pouvoir d’achat : une prime pour l’activité … à temps plein

par Pierre Madec et Raul Sampognaro

Dans son allocution du 10 décembre 2018, Emmanuel Macron a annoncé que « le salaire d’un travailleur au SMIC augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus à l’employeur ». Cet engagement a conduit le gouvernement à augmenter la prime d’activité[1] de 90 euros pour un salarié percevant un revenu d’activité équivalent à un SMIC à temps plein, la différence avec l’annonce présidentielle étant couverte par la hausse légale annuelle du SMIC.

Les bénéficiaires de la prime d’activité devraient percevoir dès le début du mois de février les premiers effets de cette mesure. Selon nos estimations, celle-ci a pour conséquence d’augmenter considérablement le nombre de ménages éligibles à la prestation, celui-ci passant de 3,9 à 5,1 millions. Si le taux de non recours des nouveaux éligibles est identique au taux observé avant la revalorisation, c’est-à-dire (21%), le coût budgétaire de la mesure serait de 2,3 milliards d’euros, une estimation inférieure à celle du gouvernement qui est de 2,6 milliards.

Afin de cibler la hausse de la prime d’activité autour des actifs gagnant l’équivalent d’un SMIC à temps plein, la mesure augmente le montant de la bonification individuelle et étend le nombre de bénéficiaires. Désormais, la bonification individuelle sera perçue à partir de la perception de revenus individuels équivalant à 0,5 SMIC mensuel et atteindra un montant maximal à 1 SMIC (alors qu’avant elle atteignait son niveau maximal à 0,8 SMIC). Par ailleurs, le montant maximal de la bonification est augmenté de 90 euros par mois. Ainsi, la décision de revaloriser la bonification individuelle et non le montant forfaitaire réduit, voire élimine, les gains pour les salariés aux durées de travail faibles au cours du mois. Le graphique 1 montre l’évolution de la prime d’activité à la suite des décisions du mois de décembre pour un individu célibataire, sans enfant et sans forfait logement.

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Notons également qu’avant ces annonces, au cours de l’année 2018, la prime d’activité a été l’objet d’évolutions impactant le pouvoir d’achat des bénéficiaires et pour certaines d’entre elles à contresens des mesures annoncées dans le cadre de la Loi de mesures d’urgence économiques et sociales. Si, au mois d’octobre 2018, le montant forfaitaire de la prestation a été revalorisé de 20 euros par mois, des modifications techniques sont intervenues pour réduire l’impact budgétaire de cette revalorisation : indexation ou absence d’indexation à l’inflation ou encore évolution du taux de cumul des revenus d’activité. En cumulant l’ensemble des mesures, les ménages bénéficiaires de la prime d’activité devraient voir le montant de leur prime s’accroître d’en moyenne de 60 euros par mois en 2019 par rapport à 2018 (tableau).

 

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L’augmentation de la prime d’activité devrait augmenter le niveau de vie de nombreux ménages de la première moitié de la distribution. Rapportés aux niveaux de vie des ménages, les gains à attendre ne devraient pas dépasser 1,2% par vingtile. Entre les 2e et 6e vingtile (soit le tiers des ménages les plus modestes hors 5% les plus pauvres), plus d’un quart des ménages devrait être concernés par l’augmentation de la prime d’activité pour un gain moyen compris entre 1% et 1,2% de leur niveau de vie. A contrario, au sein des 30% de ménages les plus modestes, deux ménages sur trois ne devraient pas bénéficier des mesures touchant à la prime d’activité.

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[1] La prime d’activité est un complément de revenus d’activité s’adressant aux travailleurs aux revenus modestes.




Prime d’activité : une ambition varlopée

par Pierre Madec et Raul Sampognaro

La prime d’activité est un complément de revenu s’adressant aux travailleurs aux revenus modestes[1]. Au cours des derniers mois, cette prime a été l’objet de nombreuses évolutions, pour certaines inscrites dans le programme présidentiel[2] d’E. Macron. Celles-ci visaient explicitement à inciter à la reprise d’emploi et à augmenter le pouvoir d’achat des salariés, sans conséquence directe sur le coût du travail pour les entreprises.

Au mois d’octobre 2018, le montant forfaitaire de la prestation a été revalorisé de 20 euros par mois. À partir d’octobre 2019, une deuxième bonification individuelle sera introduite, concentrée sur les salaires proches d’un SMIC à temps plein. Par ailleurs, des modifications techniques se sont ajoutées aux mesures du programme présidentiel : indexation ou absence d’indexation à l’inflation ou encore évolution du taux de cumul des revenus d’activité (Tableau 1). Le cumul de ces mesures rend peu clairs les effets à attendre pour les ménages bénéficiaires. Une fois explicité l’impact des mesures pour un salarié célibataire, nous tenterons d’élargir l’analyse à l’ensemble des bénéficiaires.

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Entre 2018 et 2019, 42 euros de revenu mensuel supplémentaire pour un salarié au SMIC

Globalement, les réformes de la prime d’activité augmentent le montant de l’allocation pour les bénéficiaires percevant des revenus d’activité supérieurs au montant forfaitaire. Le profil de gains tirés des réformes diffère en 2018 et en 2019 (graphique 1). En 2018, les gains associés aux relèvements du montant forfaitaire, intervenus en avril et octobre, sont homogènes parmi les bénéficiaires tandis que la baisse du taux de cumul des revenus pénalise plus fortement les bénéficiaires percevant des revenus plus élevés. En 2019, la nouvelle bonification individuelle est croissante à partir de 0,5 SMIC et atteint son niveau maximum au niveau du SMIC mensuel.

Ainsi, les mesures de revalorisation de 2019, contrairement à celles de 2018, ont un impact plus fort pour les bénéficiaires aux revenus les plus importants (graphique 2).

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Si on se concentre sur les salariés percevant l’équivalent d’un SMIC à temps plein, la prime d’activité était proche de 155 euros fin 2017. La revalorisation du montant forfaitaire de 20 euros, mise en place en octobre 2018, augmente d’autant son revenu mensuel. Parallèlement, la baisse du taux de cumul, entrée en application au même moment, ampute une part de la hausse et porte la prime d’activité pour un salarié travaillant au SMIC à taux plein à 170 euros. Au total, le salarié au SMIC aura vu augmenter sa prime d’activité de 15 euros en 2018. La création de la deuxième bonification individuelle en octobre 2019 augmentera, quant à elle, ses revenus de 20 euros supplémentaires.

Par ailleurs, le montant de la prime d’activité perçu par un salarié rémunéré au SMIC sera aussi affecté par les effets induits par la bascule CSG/cotisations sociales : en augmentant son salaire net, les ressources servant au calcul de la prime d’activité sont modifiées. Cumulé avec l’effet de la plus forte dégressivité de la prime d’activité, un gain de 20 euros de salaire net ampute la prime d’activité de 8 euros. Au final, la prime d’activité de ce salarié s’établirait fin-2019 à un niveau proche de 180 euros. Par rapport au mois de décembre 2017, le gain total de revenu net à attendre des mesures devrait être de 42 euros.

Dans les faits, ce gain dépendra en grande partie de la structure des revenus d’activité des ménages bénéficiaires. A titre d’exemple, les ménages percevant un revenu d’activité inférieur à 0,5 SMIC ne bénéficient ni des revalorisations, qu’elles soient « exceptionnelles » ou non, ni de la création de la seconde bonification individuelle. A contrario, ils sont impactés négativement par la baisse du taux de cumul.

En ne tenant compte ni de la baisse des cotisations salariés ni des effets négatifs sur le montant perçu de prime d’activité, environ 10 % des ménages bénéficiaires de la prime d’activité – soit environ 300 000 ménages – devraient perdre à la mise en place des mesures étudiées. Si ces ménages sont largement minoritaires, l’existence de ces situations interrogent ; bien que celles-ci disparaissent si l’on intègre à l’analyse les effets de la baisse des cotisations salariés.

En moyenne, les gains par ménage resteront modestes à horizon 2019

L’existence d’hétérogénéités importantes dans les situations des salariés bénéficiaires rend nécessaire l’utilisation d’un modèle de micro simulation afin d’évaluer l’impact des différentes mesures sur le revenu disponible des ménages. Pour ce faire, nous utilisons le modèle Ines, développé conjointement par l’Insee et la Drees, et nous concentrons notre analyse sur les quelques 3 millions de ménages bénéficiaires de la prime d’activité.

Les résultats de nos simulations font apparaître des gains réels moyens relativement faibles (Tableau 2). Si les revalorisations décidées en 2018 (indexation à l’inflation en avril et revalorisation de 20 euros en octobre) devraient accroître le revenu disponible des bénéficiaires de la prime d’activité d’en moyenne 15 euros par mois en 2018 et 20 euros en 2019, celui-ci devrait être amputé respectivement de 5 euros et 10 euros du fait de la baisse du taux de cumul. L’absence de revalorisation en avril 2019 et la création d’une seconde bonification à l’automne 2019 devraient quant à elles avoir un impact quasi nul sur le revenu disponible des allocataires.

Au final, le gain réel moyen à attendre des mesures impactant directement la prime d’activité devrait s’élever en 2018 et en 2019 à environ 10 euros par mois et par ménage allocataire, soit 20 euros par mois par rapport à 2017. Ce gain viendrait s’ajouter au gain moyen (net de l’effet sur la prime d’activité) à attendre de la baisse des cotisations salariés (20 euros à l’horizon 2019).

En 2019, les ménages bénéficiaires de la prime d’activité devraient donc voir leur revenu disponible s’accroître en moyenne de 40 euros par mois par rapport à 2017 sous l’effet conjugué des mesures étudiées, soit une hausse de 1,4 % de leur revenu disponible.

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[1] Pour plus de détails, voir « Prime d’activité : quelle efficacité redistributive et incitative ? », Allègre et Ducoudré, Policy Brief de l’OFCE, octobre 2018.

[2] « Tous les smicards qui bénéficient de la prime d’activité toucheront par exemple l’équivalent d’un 13e mois de salaire, soit 100 € nets de plus chaque mois. »




Pouvoir d’achat : les retraités maltraités ?

par Pierre Madec

Les mesures socio-fiscales du budget 2018 ayant des impacts redistributifs furent nombreuses et largement analysées. Celles attendues pour 2019 et 2020 le seront tout autant et les premiers éléments du Projet de loi de finance pour 2019 ont d’ores et déjà fait l’objet de quelques réactions. Dans un billet récent, nous notions que les mesures contenues dans les budgets 2018 et 2019 ayant un impact direct sur le pouvoir d’achat devraient entraîner une « amélioration du pouvoir d’achat global et de multiples transferts ». En plus d’un impact différencié selon la place des ménages dans l’échelle des revenus, l’effet des mesures devrait également être différent selon le statut d’activité des ménages. Si l’analyse exhaustive des impacts à attendre doit faire l’objet d’une publication plus complète une fois les discussions budgétaires avancées, nous nous proposons ici d’analyser les effets de quelques mesures sur le pouvoir d’achat des ménages retraités, sujet au cœur de l’actualité.

Les pensions de retraite ne devraient être revalorisées que de 0,3% en 2019 et 2020 (après une hausse de 1,7 point de la CSG en 2018) alors que l’indice des prix à la consommation devrait s’établir autour de 1,6 %. Par ailleurs, certains ménages subiront la moindre revalorisation des aides au logement (après une baisse de 5 euros par mois actée fin 2017). En revanche, les ménages retraités devraient en contrepartie profiter d’une partie de l’exonération de la taxe d’habitation ou encore, pour les plus modestes d’entre eux, de la forte revalorisation du minimum vieillesse (ASPA) ou de l’annulation de la hausse de la CSG promise par le gouvernement ces derniers jours. Qu’en est-il finalement ? Ces mesures génèrent-elles plus de « gagnants » que de « perdants » parmi les retraités ? L’utilisation du modèle de micro simulation Ines, développé conjointement par l’Insee et la Drees, permet de répondre en partie à ces questions.

A l’heure actuelle, l’analyse exhaustive des mesures socio-fiscales est rendue complexe du fait de l’état d’avancement des débats budgétaires pour 2019 (et 2020). Nous nous concentrons donc ici sur les six principales mesures ayant un impact sur le niveau de vie des retraités : la moindre indexation des pensions de retraite pour 2019 et 2020, la revalorisation de l’ASPA (+30€ en avril 2018, +35€ en janvier 2019, +35€ en janvier 2020), la bascule CSG/cotisations salariés en 2018, la sous-indexation des aides au logement en 2019 et 2020, l’exonération de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages à l’horizon 2020 ainsi que la mesure récente de baisse de la CSG pour « 300 000 retraités ».

D’autres mesures non étudiées ici sont à même d’avoir un impact sur le pouvoir d’achat des retraités dans les mois ou années à venir. Le nouveau mode de calcul des aides personnelles au logement, la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital, la transformation de l’ISF en IFI[1], la mise en place du chèque énergie, la hausse de la fiscalité écologique ou celle sur le tabac ne sont ainsi pas traités ici. Cette analyse, non exhaustive, permet tout de même d’éclairer quelques peu le débat. Les résultats laissent apparaître des situations diverses au sein des ménages comptant au moins une personne retraitée.

En 2018, l’impact des mesures analysées serait quasi neutre en moyenne pour les retraités (-20€ par an et par ménage). Néanmoins, au sein de près de 11 millions de ménages comptant au moins une personne retraitée[2], des hétérogénéités importantes existent. Alors que 38 % de ces ménages gagneraient globalement à la mise en place des mesures retenues, pour un gain moyen de l’ordre de 470 euros, 62% soit 6,7 millions perdraient à leur mise en place pour une perte moyenne de l’ordre de 320 euros par an (Tableau 1).

tabe1_post27-09En 2019, du fait de la sous-indexation des pensions de retraite, l’impact des mesures retenues serait globalement négatif sur le revenu disponible des retraités, et ce malgré l’annonce récente d’annulation de la hausse de la CSG pour 300 000 retraités. En moyenne, les ménages comptant au moins une personne retraitée perdraient 200 euros par an du fait de l’entrée en vigueur des mesures. Si la part des ménages perdants est plus forte (73%), des ménages continueraient tout de même à être « bénéficiaires nets » des mesures, notamment sous l’effet de la montée en charge de l’exonération de la taxe d’habitation et des revalorisations de l’ASPA.

En 2020, la poursuite de la sous-indexation impacterait très négativement le revenu disponible des ménages étudiés. Par rapport à 2017, les mesures socio-fiscales étudiées diminueraient en moyenne de 400 euros le revenu disponible des ménages comptant au moins un retraité. Au final, 79 % de ces ménages seraient perdants pour une perte moyenne de l’ordre de 700 euros par an. A l’inverse, l’exonération totale de taxe d’habitation et les revalorisations successives de l’ASPA permettraient à 21 % des ménages étudiés de voir leur revenu disponible s’accroître en moyenne de 700 euros (Tableau 2).

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Cette diversité des impacts des mesures nouvelles sur le revenu disponible des retraités s’observe également si l’on analyse les effets de ces mesures en fonction du niveau de vie des ménages comptant au moins une personne retraitée. Si, quel que soit le décile de niveau de vie considéré, les perdants sont plus nombreux que les gagnants, ces derniers ne représente que 55% des 10% de ménages retraités les plus modeste et plus de 80% des 10% de ménages retraités les plus aisés. De plus, les 10 % de ménages retraités les plus modestes sont les seuls à percevoir un gain (en moyenne de 230 euros par an) à la mise en place des mesures. Les 10% de ménages les plus aisés comptant au moins une personne retraitée accusent quant à eux une perte moyenne de l’ordre de 1 270 euros. Ces résultats n’intégrant ni les mesures réformant la fiscalité du capital (PFU, ISF) ni celles renforçant la fiscalité indirecte, aux effets anti-redistributifs largement étudiés, ils peuvent être en partie relativisés. Ils éclairent toutefois sur les dynamiques de transferts à l’œuvre au sein même des ménages retraités.

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[1] Les ménages comptant au moins une personne retraitée représentent près de 40% des ménages appartenant aux deux centiles de niveau de vie les plus élevés, principaux bénéficiaires des réformes de la fiscalité du capital. De fait, nos résultats sur-estiment l’impact négatif des mesures socio-fiscales pour ces ménages.

[2] Ces effectifs sont cohérents avec ceux observés du nombre de personnes retraitées en France.




Quel impact direct des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d’achat en 2019 ?

par Mathieu Plane

Une amélioration du pouvoir d’achat global et de multiples transferts

A l’instar de 2018, année durant laquelle la chronique trimestrielle du pouvoir d’achat est marquée par les différentes mesures socio-fiscales, l’année 2019 devrait également se caractériser par des effets importants des mesures prises sur l’évolution infra annuelle du pouvoir d’achat des ménages. Dans le cadre de cette étude, nous nous concentrons uniquement sur les mesures ayant un impact direct sur le pouvoir d’achat[1] en tenant compte du calendrier fiscal de chacune des mesures et nous évaluons leurs effets en moyenne sur l’année. Nous ne tenons donc pas compte des mesures qui pourraient avoir un impact indirect sur le pouvoir d’achat[2], comme par exemple la réduction des contrats aidés ou l’accroissement des formations, ou encore les économies sur certaines dépenses publiques hors prestations (gel de l’indice fonction publique, économies sur les dépenses de fonctionnement dans les collectivités locales, …) ou enfin les mesures fiscales sur les entreprises. Par ailleurs, nous mesurons ici les effets macroéconomiques directs des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d’achat et nous ne rentrons pas dans le détail de leurs effets selon les déciles de revenus comme nous l’avions réalisé pour le budget 2018[3].

Les principales mesures impactant le pouvoir d’achat en 2018 et 2019 sont documentées par la Loi de finances pour 2018 : baisse de la taxe d’habitation, bascule cotisations salariés/CSG, réforme de l’ISF, mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU), hausse de la fiscalité écologique et le tabac, revalorisation de la Prime d’activité, de l’Allocation adulte handicapé (AAH) et du minimum vieillesse (ASPA). Des mesures nouvelles ont été prises dans le Projet de loi de finance 2019 : du côté des prélèvements obligatoires, les principales mesures en direction des ménages sont la « désocialisation »[4] des heures supplémentaires et la baisse de la CSG pour 300 000 retraités ; du côté des prestations sociales, les pensions de retraite du régime général, les prestations familiales et les allocations logement seront désindexées de l’évolution de l’inflation (pensions de retraites, prestations familiales, allocations logement, …) et le calcul des allocations logement se fera dorénavant en fonction du revenu courant et non du revenu deux années précédentes. Contrairement à l’année 2018, en 2019 peu de mesures votées lors de la législature précédente ont un impact sur le revenu des ménages. A cela s’ajoute une mesure spécifique qui aura un impact sur le pouvoir d’achat en 2019 mais qui découle d’une décision des partenaires sociaux concernant la gestion des retraites complémentaires Agirc-Arrco.

Notre analyse évalue l’impact de ces mesures sur le pouvoir d’achat en moyenne sur l’année (et non pas en fin d’année) en tenant compte du calendrier de mise en place et de la montée en charge des différentes mesures. Ainsi, une mesure de hausse ou de baisse de la fiscalité n’a pas le même impact sur le pouvoir d’achat en moyenne sur une année suivant le moment où elle devient effective[5].

Selon nos évaluations, et à partir de l’information disponible sur la base des documents budgétaires et des déclarations des ministres du Gouvernement Philippe, l’ensemble des mesures socio-fiscales engendrerait un gain de pouvoir d’achat de 3,5 milliards en 2019 (0,3 point de revenu disponible brut (RDB)), après 0,1 milliard en 2018 (0,0 point de RDB) (tableau). La hausse des taux d’appel et de cotisation Agirc-Arrco décidée par les partenaires sociaux devrait amputer le pouvoir d’achat en 2019 de 1,8 milliard d’euros, réduisant l’effet total à +1,7 milliard (0,1 point de RDB).

En 2019, le pouvoir d’achat sera augmenté par les mesures de baisse de la fiscalité directe (9,4 milliards, soit 0,7 point de RDB), dont la bascule cotisations salariés / CSG complète en 2019 (4,5 milliards, 0,3 point de RDB) et la seconde tranche de la réduction de taxe d’habitation en novembre 2019 (3,5 milliards, 0,2 point de RDB), après une première tranche effective en novembre 2018. Le prélèvement forfaitaire unique sur les revenus du capital induirait un gain de 0,6 milliard en 2019 du revenu des ménages (concentré sur le dernier décile). Enfin, la mise en place de la « désocialisation » des heures supplémentaires en septembre 2019 dans le cadre de la Loi de finance pour 2019 augmenterait le pouvoir d’achat de 0,7 milliard en 2019 (2 milliards en année pleine) et la baisse de CSG pour 300 000 retraités améliorerait le revenu des ménages de 0,3 milliard.

En revanche, l’augmentation de la fiscalité indirecte[6] amputerait le pouvoir d’achat des ménages de 3,5 milliards en 2019 (-0,3 point de RDB), principalement sous l’effet de la hausse en janvier 2019 de la fiscalité écologique (augmentation de la TICPE et Taxe carbone, ce qui correspond à une hausse de 6,5 centimes par litre de diesel et 2,9 centimes par litre d’essence) pour 2,8 milliards. La hausse de la fiscalité sur le tabac (50 centimes de plus par parquet de cigarettes en avril, puis 50 centimes en novembre 2019) pèserait à hauteur de 0,8 milliard[7] sur le pouvoir d’achat global.

Les mesures concernant les prestations sociales devraient amputer le pouvoir d’achat des ménages de 2,5 milliards sous l’effet principalement de la désindexation des pensions de retraite, des prestations familiales et des allocations logement. Sous l’hypothèse d’une inflation à 1,6 % pour l’année 2019, indexer ces prestations à 0,3 % réduirait le pouvoir d’achat moyen des ménages de 3,2 milliards (-0,2 point de RDB) en 2019, dont près de 90 % provient de la sous-indexation des pensions de retraite. De plus, la réforme du mode de calcul des allocations logement réduirait le pouvoir d’achat de 1 milliard en 2019. En revanche, certaines prestations seront significativement revalorisées et soutiendront le pouvoir d’achat en 2019. C’est le cas de la Prime d’activité pour 1 milliard supplémentaire, de l’Allocation adulte handicapé pour 0,5 milliard et du minimum vieillesse pour 0,2 milliard.

Les mesures socio-fiscales décidées par le gouvernement Philippe soutiendront le pouvoir d’achat des ménages en 2019 (3,5 milliards si l’on exclut les mesures Agirc-Arrco), surtout au regard de 2018 où l’impact global moyen des mesures était quasiment nul. En revanche, aussi bien en 2018 qu’en 2019, les politiques menées génèrent de multiples transferts qui peuvent être masqués par les agrégats macroéconomiques. L’exemple de 2018 en est une parfaite illustration avec des impacts sociaux-fiscaux nuls en moyenne sur le pouvoir d’achat mais générant des gagnants et des perdants comme nous l’avions montré dans une étude publiée en janvier 2018. Ainsi, pour une meilleure compréhension de la mise en place des mesures socio-fiscales sur le pouvoir d’achat des ménages, l’analyse macroéconomique doit être complétée par une analyse d’impact par décile de revenu qui permet de mieux analyser les enjeux de la politique économique menée. Ce travail devrait prochainement faire l’objet d’une publication.

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[1] Les mesures socio-fiscales sont évaluées sur la base de leur impact budgétaire pour les finances publiques et nous n’évaluons pas l’incidence fiscale finale de ces mesures.

[2] Dans un travail à paraître prochainement, nous élaborons une analyse visant à prendre en compte certains effets indirects sur le pouvoir d’achat qui viennent compléter l’impact des mesures socio-fiscales.

[3] P. Madec, M. Plane et R. Sampognaro, 2018, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief de l’OFCE, n° 30, janvier. Ce travail sera réalisé à nouveau pour le Projet de loi de finance 2019.

[4] Au sens de l’exonération de cotisations sociales salariés des heures supplémentaires.

[5] Pour plus de détails, voir P. Madec, M. Plane et R. Sampognaro, 2018, « Budget 2018 : pas d’austérité mais des inégalités », Policy Brief de l’OFCE, n° 30, janvier.

[6] Nous faisons l’hypothèse que les hausses des taxes indirectes sont intégralement supportées par les ménages.

[7] Nous avons retenu ici une élasticité de la consommation de tabac à son prix de -0,5%.




Budget 2018-2019 : quel impact des mesures socio-fiscales sur le taux d’épargne des ménages ?

Par Pierre Madec et Mathieu Plane

La montée en charge des différentes mesures fiscales prises dans le cadre de la Loi de finances pour 2018 devrait affecter de manière différente les ménages selon qu’ils se situent en bas ou en haut de la distribution des niveaux de vie. Si, globalement, les mesures du budget devraient être quasiment neutres sur le pouvoir d’achat global des ménages en moyenne en 2018, les ménages les plus aisés bénéficieraient dès 2018 des réformes visant à réduire la taxation du capital (suppression de l’ISF et instauration du PFU sur les revenus du capital). Les 17,7 millions de ménages éligibles à l’exonération totale de la taxe d’habitation en 2020 devraient quant à eux voir celle-ci réduite de l’ordre de 30 % dès 2018. Les ménages du bas de la distribution devraient bénéficier des revalorisations de certains minima sociaux et de la Prime d’activité. Les salariés verront leur pouvoir d’achat s’accroître sous l’effet de l’entame de la bascule cotisation/CSG au détriment des retraités et des détenteurs de capital qui verront leur pouvoir d’achat amputé par la hausse de la CSG. Les fumeurs ainsi que les ménages utilisant un véhicule à combustion ou se chauffant au fioul verront leur niveau de vie amputé de l’accroissement de la fiscalité écologique et du tabac. De fait, l’analyse à elle seule de l’évolution du pouvoir d’achat au niveau macroéconomique ne permet pas d’éclairer le débat sur les nombreux transferts s’opérant sous l’effet des nouvelles mesures au sein même des ménages. En 2019, la montée en charge des mesures d’aides aux bas revenus ainsi que le renforcement de la fiscalité indirecte devraient également affecter de manière différente les ménages selon leur position dans la distribution des niveaux de vie.

Ces effets différenciés auront un impact sur le comportement d’épargne et de consommation au niveau macroéconomique. Comme la propension à épargner s’accroît avec le revenu des ménages[1], le taux d’épargne des 5 % les plus aisés est très élevé. Principaux bénéficiaires des mesures discrétionnaires de 2018, ils sont aussi les plus susceptibles d’augmenter leur épargne. À titre d’illustration, le taux d’épargne des ménages appartenant aux 20% les plus modestes est, selon l’Insee, de 3% alors que celui des 10% les plus aisés s’établit à 65%. La politique fiscale a donc de fortes chances de se traduire par une hausse marquée du taux d’épargne des ménages entre 2017 et 2019, hausse que nous chiffrons à 0,2 point (graphique).

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[1] Voir Céline Antonin, « Les liens entre taux d’épargne, revenu et incertitude. Une illustration sur données françaises », Sciences Po OFCE Working Paper, n° 19 -2018/05/09.




Investissement des ménages : en attendant l’ELAN

par Pierre Madec

Le 4 avril dernier a été présenté en Conseil des ministres le projet de loi « Évolution du logement et aménagement numérique » (ELAN). Depuis l’automne 2017, les thématiques de la construction et du logement sont réapparues dans le débat public lorsque le gouvernement a annoncé sa volonté de faire des économies budgétaires sur les aides à la personne et sur la politique du logement. Alors que l’analyse des déterminants structurels de l’investissement des ménages laissait présager son fort redressement en 2017, il semblerait que les déclarations du gouvernement aient provoqué un certain attentisme sur le marché de la construction.

Associés à des taux d’intérêt bas et des prix immobiliers de nouveau orientés à la hausse, l’amélioration du marché de l’emploi et le dynamisme du pouvoir d’achat ont dynamisé le marché de la construction dès le début de l’année 2016. Au cours de cette année, plus de 460 000 logements ont été autorisés à la construction et 370 000 ont été commencés. Jusqu’à la mi-2017, le mouvement de reprise s’est poursuivi et l’investissement des ménages, à plus de 80% constitué d’investissement en logement, a progressé à des rythmes trimestriels élevés.

A partir de la mi-2017, la reprise du marché de la construction s’est quelque peu tassée. Grâce à un premier semestre dynamique, l’année 2017 a affiché des chiffres de production de logements neufs record. Néanmoins, un ralentissement est observable à partir du troisième trimestre. Si fin 2017 le nombre de logements autorisés sur un an s’établissait à 505 000 et le nombre de logements commencés à 427 000, chiffres inobservés depuis 2012, la tendance s’oriente désormais vers une moindre progression des mises en chantier et des permis de construire (graphique 1).

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Signe de l’attentisme des acteurs du secteur et de leurs inquiétudes, les enquêtes menées auprès de ces derniers, qui étaient revenues à leur moyenne de longue période au premier semestre 2017, ont de nouveau chuté à partir de la mi-2017 (graphique 2).

IMG2_postPiMLes économies demandées aux organismes de logements sociaux, associées à la contraction des enveloppes consacrées aux aides à l’accession à la propriété et à l’investissement locatif privé, laissent planer le risque d’un repli du marché de la construction dans les trimestres à venir, même si celui-ci pourrait être en partie compensé par le dynamisme du pouvoir d’achat et des taux d’emprunt toujours bas. À l’horizon 2019, l’investissement des ménages devrait ralentir. Après 5,3% en 2017, il croîtrait de 2,5% en 2018 et de 1,3% en 2019 (graphique 3).

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Economie française : ralentissement durable ou passager ?

Par l’équipe France de l’OFCE

Ce vendredi 27 avril, l’Insee publiait les comptes nationaux pour le premier trimestre 2018. Avec une croissance de 0,3 %, l’économie française semble marquer le pas alors même qu’après cinq années atones (0,8 % en moyenne sur la période 2012-16), la reprise s’était enfin matérialisée en 2017 avec une hausse du PIB de 2 %.

Si le profil trimestriel de la croissance du PIB de 2018 devrait être marqué par le calendrier des mesures fiscales qui vont affecter le pouvoir d’achat (hausse de la fiscalité indirecte et de la CSG) et donc la trajectoire de la consommation des ménages, cet effet, anticipé dans nos prévisions de printemps (Tableau), ne devrait être que provisoire. Le pouvoir d’achat des ménages devrait s’accroître au cours des trimestres suivants avec une forte accélération en fin d’année sous l’impulsion de la baisse de la taxe d’habitation et de la seconde tranche de baisse de cotisations sociales.

Ainsi, la dynamique de consommation, faible au premier semestre et forte au second, conduira à une accélération de la croissance tout au long de l’année, de 0,3 % au premier trimestre à 0,7 % en fin d’année. En 2019, sous l’effet de la montée en charge des mesures fiscales de soutien au pouvoir d’achat des ménages, ce dernier augmenterait de 2,4 % (après 1,6 % en 2018) dynamisant la consommation sur l’ensemble de l’année (2,2 % en 2019 après 1,5 % en 2018), et ce malgré une nouvelle hausse de la fiscalité indirecte.

La croissance de l’investissement des entreprises devrait rester robuste en 2018 et en 2019, soutenue par l’amélioration continue du taux de profit, un coût du capital toujours bas et une demande dynamique qui maintient le taux d’utilisation à un niveau élevé. Après plusieurs années de contraction, l’investissement des administrations publiques repartirait à la hausse en 2018 et 2019, avec le déploiement progressif du Grand Plan d’Investissement et l’objectif de préserver l’investissement des collectivités locales. L’investissement des ménages ralentirait comme l’indique le retournement des enquêtes de demande de logement et des perspectives de mises en chantier, en lien probablement avec la réduction des moyens budgétaires alloués au logement et avec l’attentisme sur le marché de la construction à la suite des discussions à attendre autour du projet de loi ELAN.

Le regain des exportations, confirmé par l’orientation favorable des enquêtes, les niveaux records des taux de marges des exportateurs et la vigueur de l’investissement productif se traduiraient par une hausse des parts de marché à l’exportation. Au sein d’un environnement économique porteur en zone euro, le commerce extérieur ne serait plus un frein à la croissance de la France en 2018 et 2019.

Avec une croissance robuste en 2018 et en 2019, les créations d’emplois, portées par le secteur marchand, resteraient dynamiques (194 000 en 2018 et 254 000 en 2019), ce qui permettrait de réduire le taux de chômage à 8,4 % fin 2018 et terminer l’année 2019 à 7,9 % (contre 8,6 % au quatrième trimestre 2017). En revanche, la forte baisse des nouveaux contrats aidés en 2018 pèserait sur la vitesse de réduction du chômage malgré la montée en charge du Plan Formation et de la Garantie jeunes.

La réduction du déficit public sera lente (2,4 % du PIB en 2018 et 2,5 % en 2019 après 2,6 % en 2017), mais ceci masque la forte amélioration du solde public, qui atteindrait 1,6 % en 2019 hors mesure ponctuelle liée à la transformation du CICE en baisses de cotisations sociales. Toutefois, la réduction du déficit serait suffisante pour assurer la sortie du bras correctif du Pacte de stabilité et entamer une décrue de la dette publique (de 97 % du PIB en 2017 à 95,4 % en 2019).

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Vers un lent rétablissement du pouvoir d’achat en France

par Pierre Madec et Mathieu Plane

Le portrait social de la France livré par l’INSEE il y a quelques jours indique que le niveau de vie moyen, par unité de consommation, a baissé de près de 400 euros entre 2012 et 2013 soit la baisse la plus importante mesurée depuis 2008. La reprise annoncée de l’économie française dans les prochains trimestres sera-t-elle à même de redresser le niveau de vie et le pouvoir d’achat des ménages ?

Nous étudions ici l’évolution du pouvoir d’achat par ménage[1] au sens de la comptabilité nationale depuis 1999, avec un focus particulier sur la période  de la crise (2008-2016)[2]. A partir du compte des ménages, nous analysons les composantes du revenu des ménages de façon à identifier à la fois l’impact direct des politiques budgétaires sur le pouvoir d’achat (prestations sociales et prélèvements obligatoires) mais aussi la dynamique des revenus du  travail et du capital. Pour les années 2015 et 2016, nous avons repris la prévision contenue dans le Rapport Economique Social et Financier du Projet loi de finances pour 2016.

Si la période d’avant crise (1999-2007) a clairement été une période faste pour le pouvoir d’achat des ménages (+540 euros par ménage en moyenne annuelle), tirée par le dynamisme des revenus du travail et du capital, ce dernier a été fortement amputé depuis le début de la crise. Sur la période 2008-2014, le pouvoir d’achat par ménage s’est ainsi réduit de plus de 1200 euros. Si le pouvoir d’achat par ménage s’est relativement bien maintenu lors de la première partie de la crise, c’est-à-dire de 2008 à 2010, sous l’effet notamment du plan de relance et des prestations sociales qui ont joué leur rôle contra-cyclique en amortissant le revenu (+ 1020 euros par ménage sur la période), la consolidation budgétaire entamée en 2011 a considérablement impacté le pouvoir d’achat. La forte augmentation des prélèvements obligatoires sur les ménages de 2011 à 2014  a réduit le pouvoir d’achat par ménage de 1120 euros en quatre ans. Cela tend à montrer que les politiques fiscales sont pro-cycliques depuis 1999 : la hausse des impôts sur le revenu et le patrimoine a été maximale lorsque les ressources des ménages se sont le plus contractées (-50 euros en moyenne par an sur la période 2011-14). A l’inverse,  les charges liées à ces deux types d’impôt ont très faiblement augmenté  au cours de la période précédant la crise (+48 euros par ménage par an en moyenne sur la période 1999-2007) alors que les ressources des ménages ont connu une très forte croissance sur cette période (+690 euros en moyenne par an par ménage). La baisse du nombre d’emplois par ménage et la quasi-stagnation des rémunérations réelles ont quant à elles contribué à réduire les revenus réels du travail par ménage de 350 euros par an sur la période 2001-14. Et la baisse des revenus réels du capital a conduit à diminuer le pouvoir d’achat de 320 euros par ménage. Seules les prestations sociales ont contribué positivement au pouvoir d’achat (650 euros par ménage sur quatre ans). Au final, le pouvoir d’achat par ménage s’est contracté de 1330 euros sur la période 2011-14, et ce malgré une année 2014 marqué par le début du redressement du pouvoir d’achat (+200 euros par ménage) tirée par la hausse des revenus du travail en raison de salaires réels dynamiques, dans un contexte d‘inflation nulle, et d’une légère amélioration de l’emploi total (+ 81 000).

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Selon les prévisions contenues dans le PLF 2016 présenté par le gouvernement, le pouvoir d’achat par ménage croitrait en 2015 et 2016 de 335 euros en moyenne par an, soit une légère accélération par rapport à 2014. La contribution annuelle des revenus du travail au pouvoir d’achat (240 euros) serait proche de celle observée en 2014  grâce à une masse salariale relativement dynamique. En revanche, les revenus réels du capital connaitraient une forte augmentation, contribuant à accroitre le pouvoir d’achat par ménage de 160 euros par an, soit un rythme légèrement supérieur à la moyenne d’avant crise (140 euros par an sur la période 1999-2007). Toutefois, malgré la baisse votée de l’IR, la pression fiscale continuerait à peser sur le pouvoir d’achat (-115 euros en moyenne par an et par ménage)  en raison de l’augmentation des autres types de prélèvements. Enfin, sous l’impulsion des 50 milliards d’économies prévues sur la période 2015-17, dont 11 proviennent d’économies sur les prestations sociales, ces dernières ne contribueraient à augmenter le pouvoir d’achat par ménage que de 60 euros par an, soit près de trois fois moins que la hausse annuelle de la période précédant la crise (1999-2007), période qui a pourtant été marquée par une baisse  du chômage.

La politique budgétaire, bien que moins restrictive que par le passé, continuera donc à peser sur la dynamique du revenu des ménages. Ces derniers ne récupéreraient en 2016 qu’environ 50 % de la perte de revenu encaissée sur la période 2011-13. Au final, malgré un redressement du revenu sur la période 2015-16, le pouvoir d’achat par ménage resterait en 2016  proche de celui observé dix ans auparavant.

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[1] Le pouvoir d’achat par ménage correspond au revenu disponible brut,  en euros constants, divisés par le nombre de ménages.

[2] De façon à équilibrer l’analyse, nous avons séparé 2 périodes avec des durées équivalentes, celle de l’avant crise qui s’étale sur les 9 ans précédant la crise (1999-2007) et celle après la crise qui dure également 9 ans (2008-16)




Où est passée la manne pétrolière ?

par Mathieu Plane

La baisse spectaculaire des prix du pétrole depuis la mi-2014, passant d’un baril de brent à 112 dollars en juin 2014 (soit 82 euros) à 55 dollars (49 euros) en moyenne depuis le début de l’année 2015, a conduit à redéployer une partie de la manne pétrolière des pays producteurs de pétrole vers les pays consommateurs. Si cette réduction de 50 % des prix du pétrole en dollars (40 % en euros) améliore mécaniquement notre balance courante, en allégeant notre facture énergétique d’environ 20 milliards d’euros par an, il est instructif d’évaluer les gains pour les ménages et les entreprises issus de cette manne pétrolière.

Pour les ménages, il y a deux sources directes d’économies : la première est liée à la baisse des prix à la pompe, dont la partie non taxée diminue avec la baisse des prix du pétrole, aux marges des raffineurs près. La seconde est liée à la baisse des prix hors taxes du fioul domestique. Selon les données fournies par le ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie sur les prix à la pompe et le fioul domestique, nous avons évalué que la baisse des prix du pétrole engendrerait un gain direct de pouvoir d’achat pour les ménages de 2,7 milliards en 2014 et 5,8 milliards en 2015[1] (graphique 1), soit 8,5 milliards sur deux ans, ce qui représente 0,6 % du revenu disponible brut annuel des ménages (0,4 point de PIB).

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Pour les entreprises,  la baisse des prix du pétrole conduit à diminuer leur coût d’approvisionnement en énergie. Plus l’intensité en pétrole dans la production est élevée, plus cela représente une économie substantielle pour le secteur concerné. Selon nos calculs, à partir du tableau des entrées intermédiaires par branche, nous avons évalué le gain direct pour les entreprises : la baisse des prix du pétrole conduirait à réduire le coût de production des entreprises de 3,2 milliards d’euros en 2014 et 6,3 milliards en 2015 (graphique 2), soit 9,5 milliards en deux ans, ce qui représente 0,45 point de PIB. Les secteurs qui bénéficient le plus de la baisse des prix du pétrole sont logiquement le transport, l’industrie et l’agriculture qui récupèrent deux tiers des gains liés à la baisse des prix du pétrole alors qu’ils ne représentent que 20 % de la valeur ajoutée totale.

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Face à cette baisse des coûts, les entreprises ont la possibilité soit de redresser leur marge en ne répercutant pas la baisse des prix du pétrole dans leur prix de vente, ce que laisse suggérer l’évolution récente des taux de marge et les différences de dynamique entre les prix de valeur ajoutée et ceux de consommation, soit de réduire leur prix au prorata des économies générées par la baisse des prix du pétrole. Cette deuxième option conduirait à redéployer le gain final des entreprises vers les ménages, augmentant ainsi leur pouvoir d’achat via la baisse des prix à la consommation. Mais aussi, par un effet de second tour, cela réduirait le coût de production des entreprises utilisant des consommations intermédiaires de branche dont la production est intense en pétrole, comme le transport.

En fonction de l’utilisation de cette manne pétrolière par les entreprises, les effets sur l’économie seront différents. Dans le cas du redressement des marges, les effets d’offre l’emporteront avec un impact faible à court terme sur la croissance mais élevé à moyen-long terme par le biais de l’augmentation de l’investissement. Dans le cas inverse, les effets de demande domineront avec un impact sur la croissance élevé à court terme en raison de la forte augmentation de la consommation des ménages, mais avec des effets potentiellement plus faibles à long terme.

 

 


[1] Les simulations pour 2015 supposent un prix du baril maintenu à 50 dollars jusqu’à la fin de l’année.