2019–2020 : les retraités mieux traités ?

par Pierre Madec

Dans un billet paru à l’automne 2018, nous étudiions l’impact des mesures des budgets 2018 et 2019 sur les ménages retraités. Depuis, de nouvelles mesures ont été annoncées pour l’année 2019, les prévisions d’inflation ont été revues à la baisse et les mesures issues du Grand Débat pourraient, elles aussi, modifier les résultats mis en lumière il y a quelques mois. Nous nous proposons ici une nouvelle analyse de l’impact des mesures votées dans le cadre des lois de finances pour 2019. Nous discuterons également les éléments à disposition pour 2020.

2019 : des retraités toujours largement mis à contribution

Après avoir accusé une hausse de la CSG de 1,7 point en 2018, les foyers fiscaux composés d’un ou plusieurs retraités et ayant un revenu fiscal de référence annuel inférieur à 22 580 euros[1] ont vu cette hausse annulée en 2019. Cette même année, les retraités verront leurs pensions de retraite revalorisées de 0,3% alors que l’indice des prix à la consommation s’établissait en février 2019 à 1,3% sur un an.

Par ailleurs, les ménages retraités devraient bénéficier d’une partie de l’exonération de la taxe d’habitation ou encore, pour les plus modestes d’entre eux, de la forte revalorisation du minimum vieillesse (ASPA). Au final, quel est l’effet à attendre de l’ensemble de ces mesures ? L’utilisation du modèle de micro simulation Ines, développé conjointement par l’Insee et la Drees, permet de répondre en partie à ces questions[2].

En 2019, la majorité (56%) des ménages comptant au moins un retraité devrait gagner à la mise en place des mesures socio-fiscales par rapport à 2018 (tableau 1). Ces ménages bénéficieront pleinement de l’annulation de la hausse de la CSG (+ 300 euros sur l’année) et la baisse de la taxe d’habitation devrait compenser la désindexation des pensions de retraite qui amputera en moyenne de 200 euros le revenu disponible des ménages gagnants.

A contrario, plus de 4,8 millions de ménages « retraités » devraient perdre à la mise en place des mesures socio-fiscales. Ces derniers sont ceux bénéficiant peu de la baisse de la taxe d’habitation et n’étant pas touchés par l’annulation de la hausse de la CSG. En moyenne, leur perte devrait s’établir à environ 300 euros pour l’année 2019.

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Les ménages perdants sont largement sur-représentés à la fois en bas et en haut de la distribution des niveaux de vie (graphique 1). En effet, les ménages les plus modestes n’ayant pas subi la hausse de la CSG en 2018 et étant pour partie déjà exonérés de taxe d’habitation en 2017 seront uniquement impactés par la désindexation des pensions de retraite. Il en est de même des retraités les plus aisés, non éligibles à l’exonération de la taxe d’habitation et dont le revenu fiscal de référence dépasse le seuil fixé pour bénéficier de l’annulation de la hausse de la CSG.

Au final, plus de la moitié des ménages perdants appartiennent au 40% des retraités les plus modestes. Les 10% de ménages retraités les plus aisés comptent quant à eux 17% des ménages perdants.

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Incertitudes pour 2020

S’il paraît peu probable que de nouvelles mesures en faveur des retraités soient annoncées en 2019, des incertitudes entourent l’année 2020.

En effet, si les lois de finances pour 2019 actent une nouvelle sous-indexation des pensions de retraite (et plus globalement de nombreuses prestations sociales) en 2020, les discussions entourant le Grand Débat laissent planer un doute sur la mise en œuvre de ce nouvel effort demandé aux retraités.

Si cette nouvelle sous-indexation venait à être mise en place, le nombre de ménages perdants croîtrait de près de 700 000 malgré la nouvelle hausse de l’ASPA et la fin de la montée en charge de la baisse de la taxe d’habitation (tableau 2). De façon similaire, la part des perdants par décile croîtrait quel que soit le niveau de vie considéré et plus de 70% des 30% de ménages retraités les plus modestes pourraient perdre à la mise en place des mesures socio-fiscales à la fin de l’année 2020 (graphique 2).

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Graphe2_post27-03Les discussions en cours et les mesures annoncées à la suite du Grand Débat pourraient modifier significativement ces résultats. En effet, parmi les nombreuses propositions émises, la réindexation des pensions pour une partie des retraités semble en bonne place. Dès lors, la question se pose du seuil de revenu en deçà duquel un ménage pourrait être éligible à cette réindexation.

À titre d’illustration, nous avons modélisé les effets d’une réindexation pour l’ensemble des ménages dont le revenu fiscal de référence est inférieur à 22 580 euros (seuil utilisé pour l’annulation de la hausse de la CSG) (graphique 3). Cette mesure amputerait les économies budgétaires de l’ordre de 1,5 milliard d’euros pour les ménages considérés en 2020. Le gain à attendre s’établirait à 50 euros par an pour les 10% de ménages retraités les plus modestes et les plus aisés soit respectivement 0,4% et 0,1% de leur niveau de vie. Ce gain atteindrait 250 euros (0,9%) pour les ménages retraités du 6e décile[3].

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Au final, à l’image des mesures déjà actées, cette mesure ciblerait clairement les « classes moyennes » des retraités et peu le bas de la distribution. Elle permettrait tout de même de réduire de 1,3 million le nombre de ménages retraités perdants à la mise en place des mesures de 2020 et engendrerait un gain moyen de l’ordre de 150 euros pour les ménages retraités.

 

 

[1] Ceux ayant un revenu fiscal de référence inférieur à 14 548 euros par part fiscale n’ont pas subi la hausse de la CSG en 2018.

[2] L’ensemble des mesures socio-fiscales prises en compte dans cette étude sont décrites en détail dans  Pierre Madec, Mathieu Plane, Raul Sampognaro, « Budget 2019 : du pouvoir d’achat mais du déficit », Sciences Po OFCE Working Paper, n°02, 2019. Les mesures touchant les actifs (heures supplémentaires, prime d’activité, …) n’ayant pas d’effet sur les pensions, elles ne sont pas présentées ici. De même, les mesures de 2018 ne sont pas ici considérées (bascule cotisations/CSG, première tranche de taxe d’habitation, ISF, PFU, …).

[3] Le concept de « niveau de vie », ici utilisé pour mesurer les effets redistributifs, diffère du concept de « revenu fiscal de référence » utilisé pour calibrer la mesure. De fait, il peut exister des « gagnants » à la réindexation dans le haut de la distribution des niveaux de vie malgré le ciblage de la mesure sur les revenus fiscaux les plus faibles.




Pouvoir d’achat : les retraités maltraités ?

par Pierre Madec

Les mesures socio-fiscales du budget 2018 ayant des impacts redistributifs furent nombreuses et largement analysées. Celles attendues pour 2019 et 2020 le seront tout autant et les premiers éléments du Projet de loi de finance pour 2019 ont d’ores et déjà fait l’objet de quelques réactions. Dans un billet récent, nous notions que les mesures contenues dans les budgets 2018 et 2019 ayant un impact direct sur le pouvoir d’achat devraient entraîner une « amélioration du pouvoir d’achat global et de multiples transferts ». En plus d’un impact différencié selon la place des ménages dans l’échelle des revenus, l’effet des mesures devrait également être différent selon le statut d’activité des ménages. Si l’analyse exhaustive des impacts à attendre doit faire l’objet d’une publication plus complète une fois les discussions budgétaires avancées, nous nous proposons ici d’analyser les effets de quelques mesures sur le pouvoir d’achat des ménages retraités, sujet au cœur de l’actualité.

Les pensions de retraite ne devraient être revalorisées que de 0,3% en 2019 et 2020 (après une hausse de 1,7 point de la CSG en 2018) alors que l’indice des prix à la consommation devrait s’établir autour de 1,6 %. Par ailleurs, certains ménages subiront la moindre revalorisation des aides au logement (après une baisse de 5 euros par mois actée fin 2017). En revanche, les ménages retraités devraient en contrepartie profiter d’une partie de l’exonération de la taxe d’habitation ou encore, pour les plus modestes d’entre eux, de la forte revalorisation du minimum vieillesse (ASPA) ou de l’annulation de la hausse de la CSG promise par le gouvernement ces derniers jours. Qu’en est-il finalement ? Ces mesures génèrent-elles plus de « gagnants » que de « perdants » parmi les retraités ? L’utilisation du modèle de micro simulation Ines, développé conjointement par l’Insee et la Drees, permet de répondre en partie à ces questions.

A l’heure actuelle, l’analyse exhaustive des mesures socio-fiscales est rendue complexe du fait de l’état d’avancement des débats budgétaires pour 2019 (et 2020). Nous nous concentrons donc ici sur les six principales mesures ayant un impact sur le niveau de vie des retraités : la moindre indexation des pensions de retraite pour 2019 et 2020, la revalorisation de l’ASPA (+30€ en avril 2018, +35€ en janvier 2019, +35€ en janvier 2020), la bascule CSG/cotisations salariés en 2018, la sous-indexation des aides au logement en 2019 et 2020, l’exonération de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages à l’horizon 2020 ainsi que la mesure récente de baisse de la CSG pour « 300 000 retraités ».

D’autres mesures non étudiées ici sont à même d’avoir un impact sur le pouvoir d’achat des retraités dans les mois ou années à venir. Le nouveau mode de calcul des aides personnelles au logement, la mise en place du prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital, la transformation de l’ISF en IFI[1], la mise en place du chèque énergie, la hausse de la fiscalité écologique ou celle sur le tabac ne sont ainsi pas traités ici. Cette analyse, non exhaustive, permet tout de même d’éclairer quelques peu le débat. Les résultats laissent apparaître des situations diverses au sein des ménages comptant au moins une personne retraitée.

En 2018, l’impact des mesures analysées serait quasi neutre en moyenne pour les retraités (-20€ par an et par ménage). Néanmoins, au sein de près de 11 millions de ménages comptant au moins une personne retraitée[2], des hétérogénéités importantes existent. Alors que 38 % de ces ménages gagneraient globalement à la mise en place des mesures retenues, pour un gain moyen de l’ordre de 470 euros, 62% soit 6,7 millions perdraient à leur mise en place pour une perte moyenne de l’ordre de 320 euros par an (Tableau 1).

tabe1_post27-09En 2019, du fait de la sous-indexation des pensions de retraite, l’impact des mesures retenues serait globalement négatif sur le revenu disponible des retraités, et ce malgré l’annonce récente d’annulation de la hausse de la CSG pour 300 000 retraités. En moyenne, les ménages comptant au moins une personne retraitée perdraient 200 euros par an du fait de l’entrée en vigueur des mesures. Si la part des ménages perdants est plus forte (73%), des ménages continueraient tout de même à être « bénéficiaires nets » des mesures, notamment sous l’effet de la montée en charge de l’exonération de la taxe d’habitation et des revalorisations de l’ASPA.

En 2020, la poursuite de la sous-indexation impacterait très négativement le revenu disponible des ménages étudiés. Par rapport à 2017, les mesures socio-fiscales étudiées diminueraient en moyenne de 400 euros le revenu disponible des ménages comptant au moins un retraité. Au final, 79 % de ces ménages seraient perdants pour une perte moyenne de l’ordre de 700 euros par an. A l’inverse, l’exonération totale de taxe d’habitation et les revalorisations successives de l’ASPA permettraient à 21 % des ménages étudiés de voir leur revenu disponible s’accroître en moyenne de 700 euros (Tableau 2).

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Cette diversité des impacts des mesures nouvelles sur le revenu disponible des retraités s’observe également si l’on analyse les effets de ces mesures en fonction du niveau de vie des ménages comptant au moins une personne retraitée. Si, quel que soit le décile de niveau de vie considéré, les perdants sont plus nombreux que les gagnants, ces derniers ne représente que 55% des 10% de ménages retraités les plus modeste et plus de 80% des 10% de ménages retraités les plus aisés. De plus, les 10 % de ménages retraités les plus modestes sont les seuls à percevoir un gain (en moyenne de 230 euros par an) à la mise en place des mesures. Les 10% de ménages les plus aisés comptant au moins une personne retraitée accusent quant à eux une perte moyenne de l’ordre de 1 270 euros. Ces résultats n’intégrant ni les mesures réformant la fiscalité du capital (PFU, ISF) ni celles renforçant la fiscalité indirecte, aux effets anti-redistributifs largement étudiés, ils peuvent être en partie relativisés. Ils éclairent toutefois sur les dynamiques de transferts à l’œuvre au sein même des ménages retraités.

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[1] Les ménages comptant au moins une personne retraitée représentent près de 40% des ménages appartenant aux deux centiles de niveau de vie les plus élevés, principaux bénéficiaires des réformes de la fiscalité du capital. De fait, nos résultats sur-estiment l’impact négatif des mesures socio-fiscales pour ces ménages.

[2] Ces effectifs sont cohérents avec ceux observés du nombre de personnes retraitées en France.




Retraites 2013 : une (petite) réforme…

par Henri Sterdyniak

Les mesures annoncées par le gouvernement le 27 août ne constituent pas une grande réforme  des retraites. Comme le montre la Note de l’OFCE (n°31 du 4 septembre 2013), ce sont essentiellement des mesures de financement d’ampleur limitée. Les retraités sont plus frappés que les actifs. Les entreprises ont obtenu la promesse de ne pas être mises à contribution.  L’équilibre financier n’est pas vraiment assuré, étant conditionné à une forte reprise économique (à horizon 2020), à une croissance soutenue et à une nette baisse du niveau relatif des retraites d’ici 2040. Les mesures de justice en faveur des femmes et des travailleurs soumis à des travaux pénibles  sont annoncées, mais leur mise en place est reportée ; elles ne sont pas encore à la hauteur des enjeux. Le pire est certes évité (la désindexation des retraites, un recul rapide de l’âge ouvrant le droit à la retraite, une réforme dite structurelle) ; la pérennité du système est proclamée, mais la (petite) réforme de 2013 ne se donne guère les moyens d’assurer sa fiabilité économique et sociale.




Retraites : le mauvais compromis du rapport Moreau

par Henri Sterdyniak

Sous la pression des marchés financiers et des institutions européennes, le gouvernement se croit obligé de présenter en 2013 une nouvelle réforme des retraites. Pourtant, réduire le niveau des retraites ne devrait pas être aujourd’hui la priorité de la politique économique française : retrouver une croissance satisfaisante, réformer la stratégie macroéconomique de la zone euro, donner une nouvelle impulsion à la politique industrielle française dans le cadre de la transition écologique sont des actions autrement plus pressantes. Constituer un comité de hauts fonctionnaires et d’experts est maintenant une pratique courante qui permet de dépolitiser les choix économiques et sociaux pour les écarter du débat démocratique. Ainsi, le rapport Moreau, rendu le 14 juin 2013, apparaît-il comme un mauvais compromis. Certes il ne met pas en cause le système public de retraite, mais il l’affaiblit et ne se donne guère les moyens d’assurer sa fiabilité sociale.

Faut-il redresser les comptes des régimes en situation de dépression ?

Le déficit des régimes de retraites en 2013 provient essentiellement de la profondeur de la récession qui a fait diminuer le niveau d’emploi d’environ 5 %, faisant perdre environ 12 milliards de ressources aux régimes de retraites. L’objectif central de la politique économique en Europe devrait être de récupérer les emplois perdus. Hélas, le rapport Moreau propose de poursuivre la stratégie de spirale vers le bas engagée en Europe et en France : « les régimes de retraites doivent concourir au redressement des comptes publics et à la crédibilité internationale de la France » (page 82). Le rapport oublie que la baisse des pensions de retraite conduit à une baisse de la consommation, donc du PIB, à une baisse des rentrées fiscales et des cotisations sociales, d’autant plus que tous les pays de la zone euro font de même.

Le rapport préconise de réduire à court terme le déficit du système de retraite en augmentant les impôts payés par les retraités. Il reprend sans esprit critique plusieurs projets bien connus. Il faudrait aligner les taux de CSG des retraités sur ceux des actifs. Jadis, contrairement aux actifs,  les retraités ne payaient pas de cotisations maladie. Ils ont souffert de la mise en place puis de la montée en puissance de la CSG. Ils paient déjà une contribution de 1 % supplémentaire sur leurs retraites complémentaires. Ils pâtissent du désengagement de l’assurance-maladie au profit des complémentaires-santé. Augmenter leur taux de CSG de 6,6  à 7,5 % – celui des actifs – rapporterait 1,8 milliard d’euros. Mais, ne faudrait-il pas en contrepartie supprimer la contribution de 1% des retraites complémentaires et rendre déductibles leurs primes de complémentaire-santé (qui ne sont pas payées par les entreprises) ?

Les retraités ont droit, comme les salariés, à un abattement de 10 % pour frais professionnels, mais avec un plafond nettement plus bas. Même pour les salariés, cet abattement est nettement plus élevé que les frais professionnels effectifs ; il compense quelque peu les possibilités d’évasion fiscale des non-salariés. La suppression de l’abattement rapporterait 3,2 milliards de hausse de l’impôt sur le revenu à l’Etat et 1,8 milliard de baisse de certaines prestations, liées au montant du revenu imposable. Les retraités perdraient 2% de pouvoir d’achat. Mais, on voit mal comment ces 5 milliards iraient dans les caisses des régimes de retraites.

L’imposition des avantages familiaux de retraite (qui rapporterait 0,9 milliard) est certes plus justifiée, mais, là encore, on voit mal comment et pourquoi le produit de cette imposition irait aux caisses de retraites, d’autant que les avantages familiaux sont à la charge de la Caisse Nationale des Allocations Familiales.

Par contre, en matière de hausse de cotisation, le rapport est très timide proposant au mieux une hausse de 0,1 point par an pendant 4 ans, soit à terme 1,6 milliard de cotisations-salariés et 1,6 milliard de cotisations-entreprises.

Surtout, le rapport envisage de n’augmenter les retraites les plus élevées (celles qui paient le taux plein de CSG) que de l’inflation, – 1,2 point pendant 3 ans, leur infligeant ainsi une baisse de 3,6 % de pouvoir d’achat. Les retraites soumises au taux réduit de CSG ne perdraient que 1,5 %. Les retraites plus faibles seraient épargnées. Certes, cette disparité dans les efforts peut sembler justifiée, mais la fiabilité du système public des retraites serait fortement diminuée. Comment garantir que la désindexation ne durera que trois ans, qu’elle ne deviendra pas un mode plus ou moins permanent de gestion, ce qui frapperait particulièrement les retraités les plus âgés dont le niveau de vie est déjà plus bas. Comme l’ensemble des pensions perçues par un retraité n’est actuellement pas centralisé, il est difficile de faire varier l’indexation des retraites selon leur niveau. La solution préconisée par le rapport – prendre en compte la situation du retraité vis-à-vis de la CSG – est difficilement gérable ; il n’est pas justifiable que l’évolution de la retraite d’une personne dépende de la situation fiscale de sa  famille. Les pensions de retraite sont un droit social, contrepartie des cotisations versées, elles ne sont pas une variable d’ajustement. Comment justifier une baisse de 3,6 % du pouvoir d’achat d’une partie de la population, alors que le PIB par tête est censé continuer d’augmenter ? Faut-il réduire le pouvoir d’achat des retraités alors que celui-ci n’a pas bénéficié de hausse depuis 1983, même en période de croissance des salaires ? Le respect du contrat social implicite que constitue le système des retraites voudrait que les retraités subissent les mêmes efforts que les salariés, ni plus, ni moins.

Par ailleurs, en période de récession économique, le thème de la nécessité d’efforts répartis équitablement est dangereux. Si chacun fait des efforts en acceptant des baisses de revenu, puis en réduisant ses dépenses, le résultat ne peut être que la chute de la consommation globale, qui sera accompagnée d’une baisse de l’investissement compte tenu des capacités de production inutilisées, donc de la chute du PIB.

Garantir la baisse des retraites

A moyen terme, la grande préoccupation du rapport est de garantir la baisse du niveau relatif des retraites. En effet, du fait de la réforme Balladur, depuis 1993, les salaires portés au compte dans le régime général sont revalorisés en fonction des prix et non du salaire moyen. Le taux de remplacement (le rapport entre la première retraite et le dernier salaire) est d’autant plus faible que le salaire moyen a fortement progressé : jadis le taux de remplacement maximum du régime était de 50 %, il baisse à 41,5 % si le salaire réel progresse de 1,5 % par an, mais seulement à 47 % s’il progresse de 0,5 % par an.  Le mécanisme introduit  permet de faire baisser le niveau moyen des retraites de 31 % si le salaire réel progresse de 1,5 % par an, de 12 % s’il progresse de 0,5 % par an, de 0 s’il stagne. Or, dans la période récente, le salaire ne progresse plus que de 0,5 % par an. Le niveau relatif des retraites risque donc de se rétablir. Il faudrait donc augmenter les salaires pour faire baisser le niveau relatif des retraites.

Le comité d’experts réuni autour de Madame Moreau fait donc deux propositions alternatives :

  • – Soit, les salaires portés au compte ne seraient revalorisés que comme : prix + (salaires réels moins 1,5%), ce qui veut dire que, quelle que soit la hausse des salaires, le taux de remplacement maximum du régime général passerait à 41,5%. La baisse relative des retraites serait ainsi définitivement confortée. Sur le plan technique, la revalorisation des salaires portés au compte deviendrait un instrument d’ajustement, alors qu’elle devrait permettre de calculer le salaire moyen de la carrière, de manière objective ; les salaires les plus anciens seraient fortement dévalorisés. Pourtant, le rapport reconnaît (page 107) que le niveau
    actuel des retraites correspond à la parité des niveaux de vie entre actifs et retraités et que l’évolution proposée aboutirait à terme à un niveau de vie des retraités inférieur de 13 %. Pourtant il juge « acceptable cette évolution ». Est-ce une appréciation qui doit être faite par des experts ou par les citoyens ? Il oublie, de plus, que s’ajouterait à cette perte l’effet des réformes fiscales et de la désindexation, préconisées par ailleurs.
  • – Soit, un comité d’experts proposerait, chaque année, de réduire le niveau des retraites à la liquidation par un facteur démographique, qui assurerait l’équilibre du système. Outre que ce serait porter un nouveau coup à la démocratie (n’est-ce pas aux citoyens d’arbitrer entre niveau des pensions et taux de cotisations ?) et à la démocratie sociale (les partenaires sociaux ne seraient que consultés), les salariés n’auraient aucune garantie sur le niveau futur de leur retraite, d’autant que l’on se souvient du précédent fourni par la nomination d’un groupe d’experts pour le SMIC, farouchement opposé à toute hausse.

Allonger la durée de cotisations

Le rapport Moreau préconise de poursuivre l’allongement de la durée de cotisations requise en suivant les principes de la loi de 2003 (un allongement de 2 ans de la durée de cotisation pour 3 années de hausse d’espérance de vie à 60 ans). La durée requise de cotisation serait alors de 42 ans pour la génération 1962 (en 2024), de 43 ans pour la génération 1975 (en 2037), de 44 ans pour la génération 1989 (en 2051). L’âge moyen  de début d’acquisition des droits étant actuellement de 22 ans, ceci imposerait un âge moyen de départ de 65 ans en 2037, de 66 ans en 2051. Cette annonce a certainement pour but de rassurer la Commission européenne et les marchés financiers, mais elle aboutit surtout à inquiéter les jeunes générations, à conforter leur crainte selon laquelle ils n’auront jamais droit à leur retraite.

Est-il vraiment nécessaire d’annoncer une décision pour les 25 années à venir sans savoir quels seront, en 2037 ou 2051, la situation du marché du travail, les besoins d’emplois, les désirs sociaux, les contraintes écologiques ? A terme, la France, comme tous les pays développés, n’échappera pas à la nécessité de revoir son modèle de croissance. Faudra-t-il tout faire pour augmenter la production et l’emploi marchand, quand les contraintes écologiques devraient nous pousser à la décroissance de la production matérielle ? Maintenir la possibilité d’une période de retraite active, en bonne santé, est une utilisation raisonnable des gains de productivité. Il ne faudrait pas aller au-delà d’un âge de retraite fixé à 62 ans et d’une durée requise de cotisations de 42 années. Ainsi, si le dispositif « carrières longues » est préservé, ceux qui ont commencé à travailler à 18 ans pourront partir à 60 ans ; ceux qui commencent à 23 ans devront rester jusqu’à 65 ans. Mais il faudra repenser dans les entreprises les conditions de travail et le déroulement des carrières pour que tous puissent effectivement être employés jusqu’à ces âges. Ceci suppose aussi que les jeunes à la recherche d’un premier emploi reçoivent une prestation chômage et que les années de « galère » soient validées.

Prendre en compte la pénibilité

La convergence des régimes publics, spéciaux et privés passe par une prise en compte similaire de la pénibilité des emplois, en distinguant les professions difficiles à exercer passé un certain âge, de sorte qu’une reconversion à mi-parcours est nécessaire, et les emplois pénibles, qui peuvent réduire l’espérance de vie, qu’il faut chercher à faire disparaître. Pour ceux qui continuent à devoir exercer ces emplois, les périodes de travaux pénibles devraient donner droit à des bonifications de durée de cotisations et de réduction de l’âge requis. Des critères communs devraient être appliqués dans tous les régimes. Le rapport Moreau ne va pas assez loin, en n’offrant qu’une année de bonification pour 30 années de travaux pénibles. Cela en est presque insultant et ne permet pas d’ouvrir une négociation sur la convergence des régimes.

Que faire ?

Alors que le rapport du COR n’annonçait qu’un déficit limité (1% du PIB en 2040), le rapport Moreau propose d’infliger une triple peine aux futurs retraités : la désindexation, la baisse garantie du taux de remplacement et l’allongement automatique de la durée requise de cotisation. Ce n’est pas de nature à rassurer les jeunes générations, à mettre en évidence les avantages du système social de retraite.

La réforme des retraites n’est pas la priorité de l’année 2013. A court terme, il faut accepter le déséquilibre financier des régimes induit par la crise et se préoccuper essentiellement de sortir de la dépression. Il ne faut pas se lancer dans la stratégie de spirale vers le bas tant économique que sociale qu’induirait la désindexation.

A moyen terme, afin de convaincre les jeunes qu’ils auront bien une retraite satisfaisante, l’objectif doit être de stabiliser le ratio pension/retraite à un niveau proche de son niveau actuel. L’Etat et les syndicats doivent s’engager sur des niveaux cibles de taux de remplacement net pour des carrières normales : 85 % au niveau du SMIC ; 75 % en dessous du plafond de la Sécurité sociale  (3 000 euros par mois) ; 50 % de 1 à 2 plafonds.

Pour garantir les retraites par répartition, le gouvernement et les syndicats doivent annoncer clairement que c’est par la hausse progressive des cotisations que le système sera équilibré, si nécessaire, une fois mise en œuvre, au  niveau des entreprises, une stratégie d’allongement de la durée des carrières, compatible avec la situation du marché du travail et les besoins effectifs en emploi.




Retraites : garantir le système social

par Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak

La Commission européenne recommande à la France de mettre en œuvre une nouvelle réforme des retraites, or cela ne devrait pas être une priorité pour la France à l’heure actuelle. Voici pourquoi.

[Ce texte est initialement paru sur le site Lemonde.fr, rubrique Idées, vendredi 24 mai 2013]

Le système public de retraite doit assurer aux retraités un niveau de vie équivalent à celui des actifs, à partir d’un âge socialement déterminé. Ainsi, les salariés n’ont-ils pas à faire d’effort d’épargne-retraite, à se préoccuper de l’évolution des marchés financiers ou de leur durée de vie. Ce système doit être contributif (la retraite dépend des cotisations versées), mais aussi rétributif (la retraite rémunère la contribution à la production, mais aussi l’élevage d’enfants ; ceux qui ont connu chômage ou maladie ne doivent pas être pénalisés) et redistributif (la société doit assurer un niveau de vie satisfaisant à toutes les personnes âgés). Il doit être socialement géré : l’âge de fin d’activité doit tenir compte de la situation de l’emploi comme du comportement des entreprises. Ses règles doivent être adaptées en permanence à l’évolution économique et sociale.

Le système français est l’un des plus généreux du monde ; les retraités ont le même niveau de vie que les actifs. Le premier objectif doit être de garantir sa pérennité. Les jeunes générations doivent être convaincues que la dette sociale qu’elles acquièrent en fournissant une retraite satisfaisante à leurs parents leur sera remboursée sous la même  forme ; elle est plus solide qu’un placement financier. Ceci est d’autant plus crédible que le ratio entre actifs et retraités restera un des plus favorables du fait d’une fécondité française satisfaisante (2 enfants par femme).

Il n’existe pas de réforme miracle qui assurerait automatiquement l’équilibre du système. Certains préconisent un système par point où la valeur du point (donc, le niveau des retraites) servirait de variable d’ajustement. D’autres, un système de « comptes notionnels » où chacun devrait arbitrer entre le niveau de sa retraite et son âge de départ, sans tenir compte des différences d’espérance de vie et de capacité à se maintenir en emploi après 60 ans, selon la profession, cet arbitrage se dégradant au fil des années.

Il est déplorable que le système de retraite ne soit pas unifié, mais il n’est pas possible d’instaurer brutalement un régime unique, ce qui impliquerait de recalculer les droits acquis dans les actuels régimes disparates ; le nouveau régime devrait remplacer progressivement les anciens, avec le risque d’instaurer en douceur, comme en Italie, un système beaucoup moins généreux pour les jeunes. Dans l’immédiat, le système serait compliqué puisque que le nouveau régime s’ajouterait aux anciens. Faire converger les régimes, les inscrire dans un pilotage commun est la voie la plus réaliste, qui peut, elle, être mise en œuvre rapidement. Il faudrait surtout rouvrir le dossier de la pénibilité pour permettre un départ précoce aux salariés du privé soumis à des conditions de travail difficiles.

L’objectif de stabiliser le ratio pension/retraite à un niveau satisfaisant doit être clairement affiché. L’Etat et les syndicats doivent s’engager sur des niveaux cibles de taux de remplacement net : 85 % au niveau du SMIC ; 75 % pour la part des salaires en dessous du plafond ; 50 % de 1 à 2 plafonds. Ces taux serviraient d’objectif pour la convergence des régimes. Enfin les pensions liquidées doivent être  indexées sur les salaires nets.

A court terme, le déséquilibre des régimes de retraites induit par la crise doit être accepté. Il faut éviter une baisse des retraites par une désindexation progressive, qui  diminuerait la fiabilité du système et enfoncerait dans la crise en pesant sur la consommation. C’est une croissance plus vigoureuse qui doit permettre de réduire les déficits sociaux. La priorité en 2013 n’est pas de réduire les retraites ou les allocations familiales, mais de remettre en cause les politiques suicidaires d’austérité qu’impose l’Europe et de lancer une politique industrielle préparant la transition écologique.

Malgré la crise, le taux d’emploi des seniors a nettement progressé, malheureusement, au détriment de l’emploi des jeunes. Il faut aller jusqu’au bout de la logique de la réforme de 2003, une durée de cotisations requise de 42 ans, qui permettra à ceux qui commencent à travailler à 18 ans de partir à 60 ans et demandera aux cadres, qui commencent à 23 ans, d’aller jusqu’à 65 ans. Quand la France se rapprochera du plein-emploi, il faudra relancer les négociations dans les entreprises pour améliorer les conditions de travail et repenser les carrières pour que chacun puisse aller jusqu’à l’âge requis. Se posera ensuite un choix social : faudra-t-il continuer à allonger la durée des carrières ou ne sera-t-il pas préférable d’utiliser les gains de productivité pour maintenir une retraite précoce ?

Ni l’Europe, ni les marchés financiers ne doivent se préoccuper de l’équilibre futur de notre système de retraite : celui-ci sera géré, compte-tenu de la situation économique, par des choix sociaux qui seront faits en temps voulus. Le gouvernement et les syndicats doivent annoncer clairement que c’est par la hausse des cotisations que le système sera équilibré, si nécessaire, une fois effectués les efforts souhaitables en matière d’emplois des seniors.




Les privilèges fiscaux des retraités ?

par Henri Sterdyniak

Selon le rapport de la Cour des Comptes publié vendredi 14 septembre, les retraités bénéficient d’avantages fiscaux de l’ordre de 12 milliards d’euros, dont la mise en cause permettrait de réduire le déficit de la Sécurité sociale. Dans la Revue de l’OFCE d’octobre 2010,  nous avions déjà montré que les avantages fiscaux dont bénéficient les retraités (12,5 milliards d’euros, soit 1 375 euros par ménage) sont équivalents, ramenés à la population concernée, aux avantages dont bénéficient les actifs  (25,7 milliards, soit 1 600 euros par ménage).

L’État pourrait certes gagner 1,8 milliard d’euros en faisant passer le taux de CSG sur les retraites à 7,5 % et en imposant les avantages familiaux des retraités. Mais, l’équité imposerait de réindexer en même temps les retraites sur les salaires (ce qui coûterait 10,4 milliards d’euros). De même, le remise en cause de l’abattement pour frais professionnels des retraités (gain : 2,7 milliards) devrait s’accompagner d’une baisse de 10 à 3% de l’abattement des salariés (gain : 6,9 milliards) et d’un meilleur contrôle des frais professionnels des non-salariés.




Vers une grande réforme fiscale ?

Sous la direction de Guillaume Allègre et Mathieu Plane

Plus que jamais la fiscalité est au centre de la campagne électorale et du débat public. La crise économique et financière, couplée à l’objectif de réduction rapide des déficits, bousculent nécessairement les discours électoraux et nous obligent à nous confronter à la complexité des mécanismes fiscaux. Comment les impôts interagissent-ils entre eux ? Avec quels effets ? Selon quelles mesures ? Quel consentement et quelles contraintes pour la fiscalité ? Comment répartir la charge fiscale entre les acteurs économiques ? Comment financer notre protection sociale ? Doit-on défendre une  « révolution fiscale » ou des réformes incrémentales ?. « Réforme fiscale », le nouvel ouvrage de la série Débats et politiques de la Revue de l’OFCE, publié sous la direction de Guillaume Allègre et Mathieu Plane, entend éclairer et approfondir le débat sur la fiscalité.

La première partie de l’ouvrage traite des contraintes et des principes de la fiscalité. Dans un article introductif, Jacques Le Cacheux définit du point de vue de la théorie économique, les grands principes qui devraient inspirer une nécessaire réforme fiscale. Nicolas Delalande, dans une analyse historique, souligne le rôle des ressources politiques, des contraintes institutionnelles et des compromis sociaux dans l’élaboration des politiques fiscales. Dans un cadrage budgétaire, Mathieu Plane revient sur les évolutions passées de la fiscalité et analyse la contrainte qui pèse aujourd’hui sur les finances publiques. Eloi Laurent et Jacques Le Cacheux proposent la mise en place d’une taxe sur le carbone ajouté qui permettrait d’apporter une réponse fiscale face aux émissions de carbone importées.

Dans une deuxième partie, la question du partage de la charge fiscale entre ménages est posée. Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez répondent à l’article critique d’Henri Sterdyniak concernant la « révolution fiscale » qu’ils préconisent. Clément Schaff et Mahdi Ben Jelloul proposent une réforme globale de la politique familiale. Guillaume Allègre tente d’éclairer le débat sur le quotient familial. Enfin, Guillaume Allègre, Mathieu Plane et Xavier Timbeau proposent de réformer la fiscalité pesant sur le patrimoine.

La troisième partie concerne la question du financement de la protection sociale. Dans une vaste revue de littérature, Mireille Elbaum revient sur l’évolution du financement de la protection sociale depuis le début des années 1980 et examine les alternatives en débat et leurs limites. Eric Heyer, Mathieu Plane et Xavier Timbeau analysent plus spécifiquement l’impact de la mise en place de la « quasi-TVA sociale » votée par le Parlement. Frédéric Gannon et Vincent Touzé présentent une estimation du taux de prélèvement marginal implicite du système de retraite français.

 




Financement de la protection sociale : à la recherche d’une réforme miracle…

par Henri Sterdyniak et Vincent Touzé

(une première version de ce point de vue est parue sur le site lemonde.fr, ici)

Peut-on réformer le financement de la protection sociale pour renforcer la compétitivité des entreprises, sans nuire au pouvoir d’achat des ménages et des retraités ? La réponse est non, et nous expliquons ici pourquoi.

La France est le pays du monde où les cotisations sociales sont les plus fortes. Ceci s’explique par la générosité de son système de protection sociale. Le salarié français n’a pas à épargner pour sa retraite et sa santé. Il reçoit des prestations famille et chômage relativement généreuses. A revenu disponible donné, son salaire net peut ainsi être plus faible que dans les pays où il doit financer sa santé et sa retraite (ce qui compense la hausse  du coût salarial induit par les cotisations sociales employeurs). Depuis 1984, la part des cotisations sociales employeurs dans la valeur ajoutée a assez nettement diminué de sorte qu’on ne peut guère les accuser d’être responsables des pertes récentes de compétitivité de l’économie française.

Depuis 40 ans, le financement de la Sécurité sociale a donné lieu à de nombreuses études. Des réformes importantes ont été engagées : déplafonnement des cotisations ;  allègements des cotisations employeurs sur les bas salaires ; suppression des cotisations maladie des salariés et création de la CSG ; mise en place de prélèvements sociaux sur les revenus du capital et du forfait social sur les rémunérations extra-salariales. En  2006-2007, le débat a rebondi : le remplacement de points de cotisations employeurs par une Contribution sur la Valeur Ajoutée (CVA), par une TVA sociale ou par une hausse de la CSG a été envisagé puis écarté, à la suite de plusieurs rapports administratifs.

Pour l’avenir, on peut rendre totalement indépendantes les questions de protection sociale et de compétitivité des entreprises en décidant que les éventuelles futures hausses de ressources porteront sur les cotisations sociales salariés (retraites) ou la CSG (maladie, famille) [1].

Les prestations d’assurances sociales (chômage, retraite, allocation maladie de remplacement) reposent sur une logique contributive : les droits et les montants dépendent des cotisations versées. Ils doivent donc obligatoirement être financés par les revenus d’activité des personnes couvertes. Comment justifier que les personnes ayant eu de plus forts revenus reçoivent plus de prestations, sinon que par le fait qu’elles ont acquis ce droit par leurs cotisations ? Les cotisations salariés ne financent aujourd’hui que de telles prestations, ce qui rend impossible leur remplacement par des impôts (comme la CSG). Il ne serait, en effet, pas légitime de faire payer des cotisations chômage ou retraite aux retraités ou aux revenus du capital des ménages, puisque ces cotisations n’ouvriraient pas de droit.

Par contre, les prestations universelles (famille, maladie) devraient être financées par l’impôt. Pour des raisons historiques, ce principe n’est pas respecté en France où elles restent, en partie, financées par des cotisations employeurs. En novembre 2011, le Medef a relancé le débat. Son objectif récurrent est de faire diminuer les cotisations employeurs, famille et maladie, pour augmenter le profit et la compétitivité des entreprises françaises. Mais, ceci suppose de faire payer les ménages, ce que le Medef cherche à masquer.

Quatre projets sont sur la table. Les deux premiers, que le Medef récuse, n’amélioreraient pas la compétitivité globale des entreprises, mais pourraient favoriser l’emploi. Les deux autres supposent une baisse des revenus des ménages.

Instaurer une CVA consisterait à changer l’assiette des cotisations sociales de façon à taxer l’ensemble de la valeur ajoutée, donc aussi les machines au lieu de taxer seulement l’emploi. Les entreprises seraient incitées à ralentir la substitution du capital au travail ; les entreprises de main d’œuvre ne seraient plus défavorisées par rapport aux entreprises plus capitalistiques. Cette mesure a été rejetée en 2006 ; on lui a reproché de surtaxer l’industrie, de nuire à l’innovation. Mais les innovations qui consistent à remplacer des emplois par des machines sont-elles justifiées en situation de chômage de masse ?

La taxe carbone pourrait être utilisée pour réduire les cotisations employeurs. Ainsi, les entreprises seraient-elles incitées à utiliser moins d’énergie et plus de travail. Ceci ferait courir le risque de provoquer la délocalisation d’industries fortement émettrices de carbone. C’est une mesure nécessaire à terme, mais il faudra l’instaurer dans le cadre de l’UE et de l’OMC. Cette substitution suppose d’utiliser les ressources dégagées par l’instauration d’une taxe carbone pour réduire le coût du travail et non pour indemniser les ménages et les entreprises les plus frappés par la taxe ou pour financer les investissements en économies d’énergie en France ou dans les pays émergents (comme il est envisagé dans les négociations internationales).

Augmenter les taux de TVA et baisser les cotisations sociales employeurs (la TVA sociale) se traduiraient par une hausse des prix à la consommation. Même si les prix des produits français vendus en France restaient fixes (la hausse de la TVA compensant la baisse des cotisations que les entreprises répercuteraient en totalité), les prix des produits importés augmenteraient pour les consommateurs (en raison de la hausse de la TVA). La réforme ne serait pas payée par nos fournisseurs étrangers, mais bien par les ménages français qui devraient payer plus cher les produits importés. Au final, soit les salaires et les prestations augmenteraient à la suite de ces hausses de prix, ce qui ferait progressivement disparaître les gains immédiats de compétitivité ; soit, il faudrait bloquer salaires et prestations et imposer aux salariés et aux retraités d’accepter une baisse de pouvoir d’achat au nom de la compétitivité. Dans ce deuxième cas, les gains de compétitivité seraient durables, mais ils seraient obtenus au prix de pertes de pouvoir d’achat des ménages.

La mesure la plus transparente serait de baisser les cotisations employeurs et d’augmenter simultanément la CSG du même montant en disant clairement aux Français : « Acceptez des pertes de pouvoir d’achat pour améliorer la compétitivité des entreprises françaises ». La hausse de la CSG devrait porter sur tous les revenus. On ne peut frapper spécifiquement les revenus du capital (qui viennent déjà d’être touchés par la hausse du prélèvement libératoire de 19 à 24%) ou les retraités (qui ne bénéficient pas de hausses de pouvoir d’achat). Mais comment garantir que les entreprises augmenteraient bien l’investissement et l’emploi en France ? La hausse de l’investissement et le gain en commerce extérieur compenseraient-ils la baisse inéluctable de la consommation ? Si elle était généralisée, cette politique de dévaluation déguisée, à l’allemande, nuirait à la demande et donc à la production, de la zone Euro. Chaque pays doit-il se lancer dans une stratégie d’exportation de son chômage ?

Le Medef[2] propose deux mesures. Une baisse de 4,5 points des cotisations salariés (en négligeant que ces cotisations financent des prestations contributives) serait compensée par une hausse de la CSG (qui devrait être de 3 points). La hausse de 2 % des salaires nets serait payée par une baisse de 5% des revenus du capital des ménages et de 3,3% des retraites (qui supporteraient les 2/3 du coût de la mesure)[3]. Une baisse de 7,5 points des cotisations employeurs serait compensée par une hausse de 5 points de la TVA ; la Medef précise que les entreprises seraient libres d’utiliser cette baisse pour réduire leurs prix, améliorer leurs marges ou augmenter les salaires. Par contre, il oublie que cette mesure sera fortement inflationniste, en tout état de cause du fait de la hausse du prix des importations et d’autant plus que les entreprises françaises augmenteraient leurs marges ou les salaires. Cette inflation diminuera le pouvoir d’achat des ménages, ce qu’il faudra compenser par des hausses de salaires et de retraites qui annuleront les gains de compétitivité.

On l’aura compris, il n’existe pas de réforme miracle du financement qui améliorerait la compétitivité des entreprises françaises sans dégrader le pouvoir d’achat des ménages.


 [1]Il serait aussi souhaitable de supprimer les niches sociales : faire passer de 8 à 30% le forfait social, qui frappe les éléments extra-salariaux des rémunérations, comme la participation, l’intéressement (ce qui rapporterait 4 milliards d’euros), taxer à la CSG les loyers implicites (8 milliards), mettre fin aux exonérations des heures supplémentaires (6 milliards) fourniraient 18 milliards de recettes à la Sécurité sociale.

[2] Nous discutons ici le troisième scénario  du « nouveau pacte fiscal et social pour la compétitivité de la France » proposé par le MEDEF le 15 novembre 2011 (http://www.medef.com/nc/medef-tv/actualites/detail/article/le-nouveau-pacte-fiscal-et-social-pour-la-competitivite-de-la-france.html).

[3] Cette première mesure n’a aucun effet sur la compétitivité des entreprises ; son objectif est de compenser la baisse du pouvoir d’achat des salariés qu’induirait la seconde, mais ceci se ferait au détriment des retraités qui subiraient une double peine : hausse de la CSG et inflation.