Brexit : au bord de la falaise

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 23 juin 2016, les Britanniques avaient choisi de quitter l’Union européenne (UE). Le vote pour sortir avait recueilli 51,9% des voix contre 48,1% pour rester dans l’UE. Près de trois ans après le référendum, la sortie ne s’est toujours pas faite ; ses modalités restent controversées au Royaume-Uni ; les remainers militent encore pour un second referendum, qui annulerait le premier.

Le Royaume-Uni a choisi de respecter l’article 50 du Traité sur l’Union européenne, qui prévoit une sortie négociée de l’UE dans un délai de deux ans après l’activation de l’article, faite par le gouvernement britannique à la fin mars 2017. La négociation s’annonçait forcément difficile car les instances européennes voulaient éviter un accord avantageux pour le Royaume-Uni. Ainsi, le Conseil européen à 27 (article 50) du 27 avril 2017 [1] écrivait : « Un pays non membre de l’Union, qui n’a pas à respecter les mêmes obligations qu’un État membre, ne peut avoir les mêmes droits et bénéficier des mêmes avantages qu’un État membre ». Pour l’UE27, il s’agissait avant tout de préserver la construction européenne et les intérêts des États membres[2] afin que d’autres pays de l’UE ne soient tentés de suivre le chemin des Britanniques.

La négociation avait abouti en novembre 2018 à un accord de retrait et à une déclaration politique commune sur les relations futures entre le Royaume-Uni et l’UE 27 (voir « Brexit : l’accord du 25 novembre »). La déclaration politique prévoit que de nouvelles négociations s’engageront immédiatement après la sortie pour préciser ces relations futures et que celles-ci mettront en place un « partenariat étroit, spécifique et équilibré ». Par ailleurs, compte-tenu de la nécessité reconnue par les deux parties de ne pas mettre en place de frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, il a été acté qu’un filet de sécurité (le backstop) sera mis en place : le Royaume-Uni restera dans l’Union douanière et le Marché unique tant que n’aura pas été imaginé un dispositif permettant de concilier l’intégrité du Marché unique et l’absence de frontière. Cet accord n’a pas, jusqu’à présent, été ratifié par le Parlement britannique.

Depuis cet accord, les Britanniques sont partagés entre quatre grandes positions, dont la première peut elle-même se diviser en deux sous-groupes : les remainers, qui veulent rester dans l’UE, certains dans une UE libérale, d’autres dans une UE plus sociale ; les hard brexiters, partisans d’une sortie sans accord ; les partisans d’un Brexit négocié, qui acceptent l’accord de novembre 2018 et enfin ceux qui veulent renégocier l’accord. Aucune de ces positions n’a la majorité au Parlement britannique et chacune a une majorité contre elle. La situation est bloquée. Theresa May, qui avait appelé à voter pour rester dans l’UE en juin 2016, essaie de respecter la démocratie, à la fois le résultat du référendum de juin 2016, mais aussi le programme sur lequel le parti conservateur s’est présenté aux élections législatives de juin 2017 : « Brexit means Brexit », la sortie du Royaume-Uni du Marché unique et de l’Union douanière ; le « Take back control », c’est-à-dire la reprise du contrôle des frontières et des lois, que le Royaume-Uni n’ait plus à obéir à des règles définies par les instances européennes et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), qu’il puisse en particulier contrôler son immigration. Mais que peut faire Theresa May entre sa volonté de respecter le vote des Britanniques, la position ferme de l’UE (ainsi Michel Barnier écrivait en décembre 2016 [3]: « Le Marché unique, les quatre libertés forment un tout, le « cherry picking » n’est pas une option », ce qui impliquait que la mise en cause de la liberté d’installation des travailleurs impliquait la sortie du Marché unique) et un parlement britannique divisé ?

Les remainers veulent rester dans l’UE ; ils réclament un second referendum, persuadés que les difficultés des négociations du Brexit feront que cette fois, le « remain » l’emportera. Le problème est qu’il serait peu démocratique que de ne pas respecter le vote pour la sortie du 26 juin 2016, de faire revoter les Britanniques jusqu’à ce qu’ils votent pour rester dans l’UE. Par ailleurs, le libellé de la question posée lors de ce referendum pose problème. Serait-ce « Voulez-vous que le Royaume-Uni reste dans l’UE ou en sorte ? » (ce qui ne permettrait pas de trancher sur les modalités de sortie) ? Serait-ce « Approuvez-vous l’accord de novembre 2018 ? » (ce qui ne permettrait pas de trancher entre rester et partir sans accord).

Pour certains remainers, le Royaume-Uni devrait reprendre sa place spécifique dans l’UE, en luttant pour que celle-ci se limite à un grand marché, en refusant toute harmonisation fiscale et sociale. Mais ce départ manqué laissera des traces ; l’influence britannique serait sans doute affaiblie. Il n’est pas certain que le Royaume-Uni pourra continuer à bénéficier du rabais sur sa contribution à l’UE et que puisse demeurer valable l’accord négocié par David Cameron en février 2016, pour un nouveau statut du Royaume-Uni dans une UE réformée, qui accordait aux Britanniques des garanties en matière de souveraineté nationale, de gouvernance européenne, de réformes libérales pour une compétitivité accrue de l’UE et de restriction temporaire de l’immigration des travailleurs en provenance de l’UE. Très vite, de nouveau, les Britanniques se sentiraient mal dans l’UE.

Pour les travaillistes remainers, rester dans l’UE est une garantie contre les libéraux britanniques. Les travaillistes estiment que l’UE assure que le Royaume-Uni maintienne un certain niveau de droits sociaux, insuffisant mais en tout cas plus élevé que si les partisans libéraux d’un Brexit dur l’emportaient. La gauche britannique pourrait participer au combat des forces progressistes pour changer l’Europe. Il y a pourtant une forte contradiction actuellement entre l’orientation de l’UE et le programme des travaillistes britanniques (relance économique, nationalisations dans les secteurs du rail, de l’eau, de l’énergie et des services postaux, développement de l’actionnariat salarié, hausse des salaires, hausse des dépenses de santé, de la construction de logement sociaux et de l’investissement public, reconstitution des droits sociaux, hausse des impôts sur les firmes multinationales et les plus riches, remontée du taux de l’impôt sur les sociétés).  En fait, les partisans du remain sont eux aussi dans l’ambiguïté.

Les hard Brexiters sont prêts à sortir sans accord ; le Royaume-Uni pourra alors négocier ses futures relations avec l’UE sur une base égalitaire, comme l’ont fait la Canada ou le Japon. À court terme, ce ne serait pas le chaos annoncé ; des accords d’urgence (explicites ou implicites) permettront de maintenir la circulation des personnes, des trains, des avions, des marchandises, la reconnaissance mutuelle des diplômes et qualifications, les droits des britanniques résidant dans l’UE et des citoyens de l’UE résidant au Royaume-Uni. Mais le risque est que cette sortie sans accord n’annonce un Brexit dur, une stratégie de dumping salarial, fiscal, social et réglementaire. Le Royaume-Uni pourrait chercher à « s’ouvrir vers le grand large », à négocier des accords commerciaux avec les pays tiers (les membres du Commonwealth), mais ceux-ci ne pourront compenser les pertes sur le Marché unique. Les entreprises étrangères hésiteront à investir au Royaume-Uni si elles ne sont pas certaines de pouvoir y exporter librement dans l’UE27. Le Royaume-Uni étant déjà l’un des pays où les marchés des biens et du travail sont le moins réglementés, un nouveau choc libéral n’aurait sans doute que peu d’impact. Enfin, cette stratégie ne correspondrait pas aux attentes des classes populaires qui ont voté pour le Brexit. L’impact économique de cette stratégie est difficile à prévoir (voir : Brexit : le jeu de la poule mouillée) : d’une part, la livre pourrait baisser, ce qui réduirait les pertes de compétitivité induites par les barrières tarifaires et non-tarifaires ; d’autre part, le Royaume-Uni choisirait sans doute de réduire les droits de douane pour les pays tiers de façon à ne pas avoir à les augmenter fortement sur les produits en provenance de l’UE, de ne pas introduire de barrières non-tarifaires, de ne pas installer de postes douaniers à la frontière avec la République d’Irlande, de sorte que c’est à l’UE27 qui reviendraient ces décisions. La dévaluation de la livre et la baisse des droits de douane sur les produits des pays tiers pourraient faire que les produits européens deviennent moins compétitifs au Royaume-Uni tandis que les produits britanniques exportés vers l’UE souffriraient certes de droits de douane plus élevés et de barrières non tarifaires, mais bénéficieraient de la dévaluation, de sorte que les coûts de l’absence d’accord, No deal seraient partagés entre l’UE27 et le Royaume-Uni.

Enfin, certains, parmi les travaillistes, souhaitent que le Royaume-Uni sorte de l’UE, mais que l’accord soit renégocié : le Royaume-Uni resterait définitivement dans le Marché unique ; il devrait continuer d’accepter la liberté de circulation des travailleurs et l’autorité de la CJUE ; il devrait appliquer les réglementations européennes et contribuer au budget européen, alors qu’il aurait perdu tout pouvoir à Bruxelles. D’autres proposent que le Royaume-Uni reste dans l’Union douanière, ce serait renoncer à l’ambition de s’ouvrir « vers le grand large ».

L’Accord de novembre 2018 reste ouvert ; à court terme, le Royaume-Uni demeure dans le Marché unique. À moyen terme, il devra choisir entre deux stratégies : soit s’abstraire des réglementations européennes, conclure des accords commerciaux avec des pays tiers et perdre l’accès automatique au Marché unique, soit appliquer les réglementations européennes pour garder cet accès. Cela sera tranché par des négociations ultérieures. On comprend mal dans ces conditions la position des travaillistes, en particulier de Jeremy Corbyn, qui votent contre l’accord, alors même que l’accord laisse la porte ouverte au Royaume-Uni pour rester dans le Marché unique ou l’Union douanière. Les travaillistes prétendent être capables de renégocier avec l’UE un meilleur accord que celui obtenu par Theresa May. Ils prétendent que le Royaume-Uni pourrait rester dans le Marché Unique et retrouver sa souveraineté dans les domaines qu’il souhaite, ce que l’UE a depuis le début des négociations explicitement refusé. Alors que l’UE refuse de rouvrir les négociations, les travaillistes votent contre le plan de soft brexit négocié par Theresa May, pour des motifs de politique intérieure : provoquer et remporter des élections générales. Cela n’est pas à la hauteur des enjeux posés par le Brexit. Au parlement britannique, il y a eu une majorité contre l’accord négocié par Theresa May, mais aussi une majorité contre une sortie sans accord, une majorité contre le Remain et une majorité contre tout autre projet compatible avec la position de l’UE. La sortie de l’UE met la démocratie britannique à rude épreuve.

L’UE est très vigilante contre la concurrence déloyale que pourrait faire le Royaume-Uni. Il est dommage qu’elle ne le soit pas contre le dumping fiscal de l’Irlande ou contre le dumping salarial de l’Allemagne. L’UE-27 a soutenu la République d’Irlande, sans rien lui demander en échange, en particulier en matière de lutte contre l’optimisation et la concurrence fiscales. Aucun pays, aucune force politique et sociale n’ont proposé de favoriser une sortie en douceur, pour ouvrir un autre cercle en Europe, de pays qui veulent bénéficier du marché unique, sans perdre leur souveraineté nationale, sans devoir aller vers « toujours plus d’Europe ».

Le Conseil européen du 21 mars 2019 a placé les Britanniques devant une alternative. Soit, accepter, avant le 29 mars l’accord de novembre 2018. Dans ce cas, le Brexit aurait lieu le 22 mai et s’ouvrirait alors une période de transition jusqu’à fin décembre 2020. C’est la solution de la sagesse puisque s’ouvriraient alors des négociations entre le Royaume-Uni et l’UE27 et que le Royaume-Uni pourrait définir sa position entre rester dans l’Union douanière et le Marché unique, s’engager dans un partenariat étroit avec l’UE27 ou conserver plus de liberté en matière d’accords commerciaux et de réglementation, mais ne plus avoir un plein accès au Marché unique. Soit, faire une autre proposition d’ici le 12 avril, sachant que l’UE27 refuse de rouvrir les négociations sur l’accord de retrait et que le RU devrait alors organiser les élections au Parlement européen des 23-26 mai prochains.

Le 27 mars, les parlementaires britanniques ont pris le contrôle de l’agenda parlementaire et voté sur huit propositions qu’ils avaient eux-mêmes élaborées.[4] Toutes ont été rejetées, très nettement pour la sortie sans accord ou pour rester dans l’UE (mais le total des partisans de ces deux solutions suffit à bloquer la sortie avec accord). Les propositions d’adhérer à l’AELE l’Association européenne de libre-échange (AELE) avec Union douanière (le modèle norvégien, présenté comme ‘common market 2.0’) ou sans Union douanière, ont recueilli peu de voix. La proposition d’une union douanière entière et permanente[5] proche de l’accord de novembre 2018, est celle sur lesquels les votes ont été les plus partagés (265 contre 271, tableau). Une proposition des travaillistes y ajoutait la participation du Royaume-Uni aux négociations commerciales de l’UE et l’alignement réglementaire ; elle n’est pas incompatible avec l’accord de novembre 2018, qui ne fait qu’annoncer l’ouverture de négociations pour un partenariat approfondi. Enfin, 268 parlementaires (contre 295) ont voté pour que tout accord de sortie soit soumis à referendum (avec le risque que l’union des partisans du Remain et du No Deal entraîne le refus).

Le 1er avril, quatre de ces propositions ont été de nouveau soumises au vote (tableau). Elles ont de nouveau été rejetées, bien que de justesse (3 voix d’écart) pour la proposition d’union douanière entière et permanente. C’est la proposition qui recueille le plus de suffrages chez les parlementaires, mais elle n’est pas majoritaire face aux remainers et aux partisans d’un Brexit plus tranchés

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Le 29 mars, Theresa May avait annoncé qu’elle démissionnerait si l’accord de novembre était adopté au Parlement, afin d’obtenir le vote à la fois de ceux qui, parmi les conservateurs, souhaite qu’elle démissionne pour la remplacer dans la prochaine phase des négociations, par un hard brexiter et ceux qui peuvent espérer la remplacer par un brexiter plus conciliant. Le vote du 29 mars ne portait que sur l’accord de sortie et non sur la déclaration politique, ce qui aurait pu permettre de rallier aussi des travaillistes favorables à une sortie avec accord mais qui considèrent que la déclaration politique engage trop le Royaume-Uni sur ses relations futures avec l’UE et doit être renégociée. Mais l’accord de retrait a, de nouveau, été rejeté, par 286 voix contre 344. Il n’y a eu que 5 travaillistes pour soutenir l’accord, tandis que 37 conservateurs et les 10 députés du parti unioniste irlandais (DUP) ont voté contre.

Le 2 avril, Theresa May a déclaré qu’un report de la date de sortie au-delà du 12 avril serait nécessaire, mais qu’elle souhaitait que ce report soit de courte durée (avant les élections européennes de mai). Elle a appelé Jeremy Corbyn à discuter pour trouver une solution de compromis d’ici la fin de la semaine et proposer de nouveaux votes au parlement, dont le gouvernement respecterait le résultat. Le Royaume-Uni s’engagerait alors sans doute vers un Brexit doux, le maintien dans l’Union douanière, afin d’éviter une sortie sans accord le 12 avril. Reste à savoir si une majorité se dégagera au Parlement, qui permettrait à Theresa May de faire une proposition lors du Conseil européen exceptionnel du 10 avril. Dans le cas d’une sortie sans accord, tel que prévu dans l’article 50, il faudra organiser les relations entre le Royaume-Uni et l’UE27 par des dispositions unilatérales (pour le statut des résidents, la reconnaissance des normes et qualifications), des accords ponctuels (sur les conséquences financières de la sortie, les transports aériens et ferroviaires), et négocier un accord de libre-échange. L’alternative serait que le Royaume-Uni organise dans l’urgence des élections au Parlement européen et demande un délai pour organiser un referendum (dont nous avons vu les difficultés) ou des élections législatives (dont il n’est pas certain qu’elles dégagent une majorité pour un des projets en présence). Le risque est grand alors que cette situation pénible se prolonge…

 

[1] Voir : https://www.consilium.europa.eu/media/21749/29-euco-art50-guidelines-fr.pdf

[2] « L’avenir de l’Europe est bien plus important que le Brexit », propos de la chancelière allemande Angela Merkel, repris par Michel Barnier dans son discours au Comité économique et social européen le 6 juillet 2017 (http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-17-1922_fr.htm?locale=EN).

[3] Voir : https://ec.europa.eu/info/news/introductory-comments-michel-barnier-2016-dec-06_en

[4] Précisons il s’agit de votes indicatifs, que le gouvernement n’est pas légalement tenu de suivre.

[5] Dans le texte soumis au vote : “A permanent and comprehensive UK-wide customs union with the EU”.




L’investissement des entreprises pénalisé par le Brexit

par Magali Dauvin

À l’heure où les perspectives de commerce mondial demeurent orientées à la baisse[1], la demande intérieure britannique peine à rester dynamique : la consommation des ménages s’est essoufflée en fin d’année tandis que l’investissement chute de 0,2 % en 2018.

Cette dernière baisse est à imputer en quasi-totalité à l’investissement des entreprises non financières[2] (55% de la FBCF en volume) qui a baissé consécutivement durant les quatre trimestres de l’année (graphique 1) : atteignant -2,6 % en 2018.

L’investissement peut être expliqué par un modèle à correction d’erreur[3]. Celui utilisé à l’OFCE pour les prévisions de l’investissement des entreprises non financières au Royaume-Uni bénéficie d’un ajustement pouvant être considéré comme « correct » au regard de son pouvoir explicatif (le coefficient de détermination est de 85%) sur la période pré-referendum (1987T2 – 2016T2). Si nous simulons la trajectoire de l’investissement après le référendum de 2016 (en bleu clair), on remarque que celle-ci dévie des données d’investissement reportées par l’ONS (bleu foncé) de façon systématique[4].

Ce résultat est conforme à ceux que l’on peut trouver dans la littérature récente montrant également que les modèles tendent systématiquement à surévaluer le taux d’investissement des entreprises britanniques depuis 2016[5]. De 0,5 point de PIB en 2017, l’écart n’a cessé de progresser en 2018 pour atteindre un peu plus d’un point de PIB au dernier trimestre.

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Comment expliquer ce décrochage ? Nous interprétons cette déviation comme l’effet de l’incertitude liée au Brexit, en particulier celle sur les modalités commerciales futures entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Près de la moitié des échanges extérieurs britanniques sont en provenance ou à destination du marché unique. Bien que l’inclusion d’un indicateur d’incertitude (EPU, voir Bloom et al., 2007) dans l’équation d’investissement n’ait pas permis de l’identifier clairement, plusieurs études sur des données d’entreprises britanniques vont dans ce sens. Tout d’abord, les périodes d’incertitude accrue se caractérisent par un investissement significativement plus bas depuis la crise de 2008 (Smietbanka, Bloom et Mizen, 2018). Par rapport à un scénario sans référendum (i.e. sans Brexit), le passage à un régime avec des tarifs douaniers renégociés aurait eu pour effet :

– de diminuer le nombre d’entreprises britanniques entrant sur le marché européen et d’en avoir poussé davantage vers la sortie (Crowley, Exton et Han, 2019) ;

– de peser sur l’investissement des entreprises du fait de perspectives de tarifs douaniers similaires à ceux prévalant sous les règles de l’OMC (Gornicka, 2018).

La baisse de l’investissement « a coûté » 0,3 points de PIB en 2018[6] et ce coût pourrait augmenter à mesure que sont pris en compte les effets de second tour (ce n’est pas notre cas ici). Si les incertitudes ne se lèvent pas, le « Brexeternity » – expression employée pour caractériser la longue période de négociation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne – risquerait d’avoir un effet bien plus déprimant sur la croissance future britannique et le niveau de vie de ses citoyens.

 

[1] L’indicateur composite de l’OMC demeure en-dessous (96,3) de sa tendance de long-terme (100) depuis la mi-2018.

[2] Reporté par l’ONS (Office for National Statistics) comme du « Business Investment ». Les entreprises non financières détenues en partie ou en totalité par l’État sont inclues dans ce champ, mais elles représentent moins de 4% du total. Cette mesure de l’investissement ne tient pas compte des dépenses en logement, terrains, bâtiments existants ainsi que les coûts liés au transfert de propriété d’actifs non produits.

[3] Voir l’article de Ducoudré, Plane et Villemot (2015) dans la Revue de l’OFCE, n° 138, pour plus de détails sur la stratégie adoptée.

[4] Un léger décrochage est constaté à partir de 2015, au moment où la loi sur le référendum a été adoptée.

[5] En particulier les travaux de Gornicka (2018).

[6] Il s’agit de la contribution de l’investissement des entreprises non financières au PIB en 2018.

 

Bibliographie

Bloom N., Bond S. et Van Reenen J., 2007, « Uncertainty and investment dynamics », The review of economic studies, vol. 74, n° 2, 391-415.

Crowley M., Exton O. & Han L. (2019). « Renegotiation of Trade Agreements and Firm Exporting Decisions: Evidence from the Impact of Brexit on UK Exports », CEPR Discussion Paper, 13446.

Ducoudré B., Plane M., & Villemot S., 2015, « Équations d’investissement », Revue de l’OFCE, n° 138, 205-221.

Gornicka L., 2018, « Brexit Referendum and Business Investment in the UK », IMF Working Paper 18/247.

Smietanka P., Bloom N., & Mizen P., 2018, « Business investment, cash holding and uncertainty since the Great Financial Crisis », Bank Of England, Staff Working Paper, 753.




Brexit : le jeu de la poule mouillée

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le 29 mars 2019, le Royaume-Uni devrait quitter l’UE. Mais plus de 2 ans et demi après le vote des Britanniques pour une sortie de l’UE, rien n’est réglé. L’accord de retrait et la déclaration politique négociés par l’UE-27 et le gouvernement britannique et approuvés lors du Conseil européen du 25 novembre 2018[1] ont été massivement rejetés par le parlement britannique le 15 janvier 2019 (432 voix contre, 202 voix pour). Le 29 janvier, le parlement britannique a voté deux amendements : l’un refusant une sortie sans accord, l’autre demandant à Theresa May de rouvrir les négociations avec l’UE sur la question de la frontière irlandaise. L’UE-27 a immédiatement répliqué que cela n’était pas envisageable. Face à la menace d’une sortie sans accord, un No Deal, que ni l’UE-27, ni le gouvernement et le Parlement britannique ne souhaitent, qui calera le premier ? L’UE-27, qui accepterait de renoncer à un filet de sécurité irlandais sans date limite de sortie ? Le Royaume-Uni, qui resterait dans l’Union douanière ?

La négociation sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE était obligatoirement difficile puisque l’objectif de l’UE-27 ne pouvait être de trouver un accord avantageux pour le Royaume-Uni, mais, au contraire, de faire un exemple, de montrer que sortir de l’UE a un coût important et ne permet pas de définir une autre stratégie économique. Le Royaume-Uni voulait à la fois pouvoir s’abstraire des réglementations européennes, pouvoir signer des accords commerciaux avec les pays tiers tout en conservant l’accès au Marché unique. Pour l’UE-27, le risque était qu’une fois sorti, le Royaume-Uni devienne un paradis fiscal et réglementaire, qui aurait pu être un cheval de Troie pour les entreprises américaines ou asiatiques.

Mais c’est la question de la frontière irlandaise qui a cristallisé les difficultés du Brexit. L’accord du 25 novembre prévoit en effet que pour éviter le rétablissement d’une frontière physique entre l’Irlande du nord et la République d’Irlande, un filet de sécurité s’appliquera (le backstop) : le Royaume-Uni restera membre de l’Union douanière, si aucun autre accord n’a été conclu avant la fin de la période de transition, et ce, tant qu’un accord n’aura pas été conclu, c’est-à-dire de façon possible pendant une période indéfinie. Le Royaume-Uni n’aura pas le droit d’appliquer une politique commerciale différente de celle de l’Union. Les produits britanniques entreront librement dans le marché unique, mais le Royaume-Uni s’alignera sur les dispositions européennes en matière d’aides publiques, de concurrence, de droit du travail, de protection sociale, d’environnement, de changement climatique et de fiscalité. De plus l’Irlande du Nord continuera de s’aligner sur les règles du marché unique en matière de TVA, droits d’accise, règles sanitaires.

Une majorité de parlementaires britanniques sont opposés à ce backstop, pour deux raisons principales. Tout d’abord, il serait susceptible d’aboutir à un traitement de l’Irlande du Nord différent de celui du reste du Royaume-Uni, ce à quoi s’oppose particulièrement le parti unioniste irlandais (DUP), qui permet au gouvernement conservateur de Theresa May d’avoir la majorité absolue au parlement. De plus, pour les Brexiters, le caractère illimité dans le temps du backstop, qui empêcherait le Royaume-Uni de quitter l’union douanière sans accord de l’UE, pose aussi problème. Car en vertu de l’accord, le Royaume-Uni pourrait rester dans l’union douanière de façon permanente, ce qui interdirait des négociations commerciales avec des pays tiers, de s’éloigner des réglementations européennes, de se lancer dans une politique de dérégulation qui pourrait faire du Royaume-Uni un paradis fiscal et réglementaire. Certains Brexiters, dont Dominic Raab, étaient en faveur de limiter le backstop dans le temps (par exemple jusqu’à la fin de la période de transition). L’intransigeance de l’UE-27 sur le backstop dans le temps avait d’ailleurs conduit Dominic Raab à démissionner de son poste de ministre en charge du Brexit à la mi-novembre.

Le 15 janvier 2019, les parlementaires travaillistes ont voté contre le projet d’accord, même les partisans d’un soft brexit, tel que le Traité l’organise. Les travaillistes espèrent depuis de nombreux mois mettre le gouvernement en minorité et provoquer des élections anticipées qui leur permettraient de revenir au pouvoir. Ils prétendent qu’ils reprendraient ensuite les négociations, se faisant fort de parvenir à un accord meilleur pour le Royaume-Uni, qui lui permette à la fois de bénéficier « des mêmes avantages qu’actuellement en tant que membres de l’union douanière et du marché unique » et de contrôler les flux migratoires, mais l’UE-27 refuse nettement toute reprise des négociations. Rester membre du Marché unique impliquerait d’accepter la souveraineté de la CJUE de renoncer au contrôle des flux migratoires, à la possibilité de conclure des accords commerciaux avec les pays tiers. Le Royaume-Uni devrait se plier aux règles européennes sans avoir la moindre influence à Bruxelles.

Theresa May présentera au parlement britannique les résultats de ses demandes de renégociation du backstop avec l’UE-27 le 13 février prochain. Quatre issues semblent également envisageables aujourd’hui, mais aucune n’est jugée acceptable à la fois par le Royaume-Uni et l’UE-27 :

  • L’UE-27 accepterait de discuter rapidement de nouveaux arrangements pour remplacer le backstop. Il n’y aurait pas de frontière physique, mais des enregistrements des marchandises dans des bureaux de douane en Irlande et Irlande du Nord, des patrouilles de douaniers, des contrôles phytosanitaires à l’arrivée des bateaux dans les ports et aéroports de l’île d’Irlande. Mais le Royaume-Uni n’échappera pas au choix entre libre entrée de ses produits dans le marché unique et libertés douanière et réglementaire.
  • Le Royaume-Uni demanderait un report de la date de sortie de l’UE. L’UE-27 n’y serait pas opposée en principe, mais à condition que les Britanniques envisagent des propositions susceptibles d’être acceptées par l’UE-27, ce qui n’est pas le cas actuellement.
  • Un nouveau référendum pourrait être organisé, susceptible de défaire le premier et de laisser le Royaume-Uni dans l’UE. Jusqu’à présent, le gouvernement britannique reste ferme sur le point qu’un nouveau référendum serait un affaiblissement de la démocratie et ne ferait qu’accroître les divisions entre Britanniques. Il faudrait aussi s’entendre sur la question qui serait soumise aux électeurs entre rester dans l’UE, sortir sans accord, sortir avec l’accord du 25 novembre, renégocier. Par ailleurs, il ne serait guère porteur pour l’UE que le RU y reste finalement de mauvaise grâce.
  • Le No Deal n’est souhaité par personne, mais c’est la solution par défaut. Dans cette situation, les préparations dans la perspective d’une sortie sans accord s’intensifient au Royaume-Uni comme dans l’UE.

No deal : quels impacts macroéconomiques à court terme ?

La non-ratification entraînerait une sortie sans accord. Nous écartons les scénarios catastrophes où les échanges seraient immédiatement paralysés ; où les accords en matière de transports aériens, maritimes ou ferroviaires seraient rompus ; où des visas seraient établis ; où les diplômes et autres permis de conduire ne seraient plus reconnus. Selon le scénario le plus noir envisagé par la Banque d’Angleterre fin novembre (Banque d’Angleterre, 2018), la chute du PIB britannique pourrait atteindre 10,5 % en un an dans le cas d’une sortie sans accord ni période de transition. Mais l’intérêt des deux parties serait un accord minimal de sorte que des dispositifs provisoires évitent ces ruptures brutales. Et depuis plusieurs mois le Royaume-Uni comme les pays de l’UE-27 mettent en place des plans d’action d’urgence qui éviteront une sortie chaotique.

En cas de sortie sans accord, les deux pays devront respecter les principes de l’OMC. L’UE devra appliquer des droits de douane aux produits britanniques et les britanniques aux produits européens, du moins tant qu’un accord de libre-échange n’est pas signé (sinon, tous les pays tiers pourraient demander le même régime). Ces droits de douane seraient faibles en moyenne, de l’ordre de 3 à 4 %, compte tenu de la structure des échanges, mais importants dans certains secteurs (céréales, viande, …).

Jusqu’à présent, les marchés financiers n’envisagent pas non plus de sortie chaotique : l’indice FTSE-All Share a évolué comme les autres grandes bourses européennes (baisse au second semestre 2018 et légère reprise en janvier 2019) ; le taux de change livre-euro fluctue entre 1,10 et 1,15 depuis la fin novembre ; le taux des obligations publiques à 10 ans britanniques a légèrement baissé, passant de 1,4 % fin novembre à 1,3%, soit un écart restant de l’ordre 1,1 point avec le taux allemand.

Dans sa prévision publiée le 6 février, le NIESR (Hantzsche et al., 2019) retient comme scénario central celui d’un soft Brexit, qui conduirait à une croissance de 1,5 % du PIB britannique en 2019, ce qui est similaire à la prévision de l’OFCE d’octobre 2018, et de 1,7 % en 2020 (soit un peu plus que la prévision de l’OFCE, à 1,5 %). En cas de No deal, le NIESR présente deux simulations réalisées à l’aide du modèle NiGEM : dans la première, en l’absence de réaction de politique économique, la croissance du PIB serait de 0 % en 2019 et en 2020 ; dans la deuxième, la politique monétaire et la politique budgétaire interviendraient pour soutenir l’activité, ce qui porterait la croissance du PIB à 0,3% en 2019 et la ramènerait à 1,7% en 2020, soit un coût à court terme du No deal de l’ordre de 1,2%.

Brexit : quels impacts macroéconomiques à long terme ?

De nombreuses études ont cherché à évaluer l’impact à long terme du Brexit (pour une revue de littérature récente, voir par exemple : Tetlow et Stojanovic, 2018, Mathieu, 2018). La plupart des études estiment que l’impact sera négatif pour l’économie britannique, à l’exception notable de celles des économistes libéraux (Leave Means Leave et al., 2017). Le tableau présente les impacts à long terme sur le PIB selon les études les plus souvent citées, l’impact à long terme allant de quasiment 0, dans le cadre d’un accord de libre-échange (Felbermayr et al., 2017) à -13,3% dans le cas d’un accord de type OMC (Dhingra et al., 2017). Les études considèrent généralement que même un accord de libre-échange, sans droits de douane, mettrait des barrières non tarifaires aux échanges, en particulier aux chaînes de production internationales. Leur analyse se déroule généralement en trois étapes. Dans une première phase, elles utilisent un modèle de gravité pour évaluer la réduction des échanges qu’induirait la sortie du Royaume-Uni du marché unique, en tenant compte des barrières tarifaires, des barrières non tarifaires et des gains potentiels d’accords de libre-échange avec des pays tiers. Dans une deuxième phase, elles utilisent un modèle d’équilibre général calculable (MEGC) pour évaluer les pertes d’efficacité, induites par ces barrières, par la réduction des échanges, par la diminution de la taille de la production (pertes de gain d’économies d’échelle), par la moindre intensité de la concurrence. Ces pertes d’efficacité se traduiraient par des pertes de PIB. Dans une troisième phase, certaines études y ajoutent des effets dynamiques : la moindre ouverture économique (en termes d’échanges commerciaux et d’investissements directs étrangers) réduirait l’incitation à innover, la capacité à importer les innovations technologiques, donc la croissance de la productivité du travail, et par conséquent pas seulement le niveau, mais aussi le taux de croissance du PIB.

En règle générale, les effets statiques obtenus avec un MEGC sont relativement faibles puisque ces modèles font les hypothèses de maintien du plein emploi et d’une forte flexibilité entre les secteurs économiques. Par ailleurs, on peut penser que les études surestiment en général l’impact du Brexit dans la mesure où elles supposent une totale symétrie (les pertes à la sortie du marché unique sont évaluées à partir des gains à l’entrée) en oubliant les effets d’hystérèse ; elles prennent mal en compte la volonté des Britanniques de s’ouvrir sur le « grand large », en particulier vers les États-Unis, la Chine et les pays du Commonwealth. Les effets dynamiques inscrits dans les modèles sont toujours très forts mais ils n’ont guère de base empirique : le ralentissement constaté des gains de productivité dans les pays développés affaiblit la vision d’un fort impact de l’ouverture économique sur les gains de productivité.

Tabe_post07-02-2019_Brexit

Durant les négociations, Theresa May a poursuivi un double objectif : celui de faire sortir le Royaume-Uni de l’UE pour respecter le résultat du référendum de juin 2016, tout en maintenant un partenariat étroit avec l’UE. Mais elle n’est pas parvenue à rassembler une majorité autour d’une stratégie forte et crédible. L’UE27 a pour sa part montré son unité et son intransigeance : sortir de l’UE était pénible et coûteux ; ce n’était pas en fait pas un choix possible. Deux ans et demi après le référendum, la question que pose le Brexit demeure : que faut-il laisser à la souveraineté nationale face à la mondialisation et à la construction européenne ? La réponse n’est pas évidente si l’on considère des questions telles que la concurrence fiscale, la lutte contre le changement climatique, l’immigration, le système social…

Bibliographie

Banque d’Angleterre, 2018, EU withdrawal scenarios and monetary and financial stability – A response to the House of Commons Treasury Committee, novembre.

Dhingra S., H. Huang, G. Ottaviano, J. P. Pessoa, T. Sampson et J. Van Reenen, 2017, « The Costs and Benefits of Leaving the EU: Trade Effects », CEP Discussion Paper, 1478, avril.

Felbermayr G., C. Fuest, J. Gröschl et D. Stöhlker, 2017, « Economic effects of Brexit on the European Economy », Econ Pol Policy Report, 04-2017, novembre.

Felbermayr G., J. Gröschl et M. Steininger, 2018, « Brexit through the Lens of New Quantitative Trade Theory”, mimeo.

FMI, 2018a, Long Term Impact of Brexit on the EU, Euro Area Policies Selected Issues, IMF Country Report 18/224, juillet.

FMI, 2018b, Brexit : Sectoral Impact and policies, United Kingdom Selected Issues, IMF Country Report 18/317, novembre.

Hantzsche A., Kara A. et G. Young, 2019, « Prospects for the UK economy », National Institute Economic Review, février.

Hantzsche A., Kara A. et G. Young, 2018, The economic effects of the government’s proposed deal, NIESR Report, 26 novembre.

HM Treasury, 2016, The long-term economic impact of EU membership and the alternatives, avril.

Kierzenkowski, R., N. Pain, E. Rusticelli, et S. Zwart, 2016, « The Economic Consequences of Brexit: A Taxing Decision» OECD Economic Policy Paper 16.

Leave Means Leave, Labour Leave and Economists for Free Trade, 2017, New Model Economy For A Post-Brexit Britain.

Mathieu C., 2018, Brexit : Le prix de la liberté, Mimeo.

Rojas-Romagosa H., 2016, « Trade effects of Brexit for the Netherlands », CPB Background Paper, juin.

Tetlow G. et A. Stojanovic, 2018, Understanding the economic impact of Brexit, Institute for Government, octobre.

Note

[1] Pour une présentation de l’accord, voir : Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak « Brexit : l’accord du 25 novembre », OFCE Le Blog, 30 novembre 2018 – https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/10652-2/




Brexit : voies sans issue ?

par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le résultat du référendum du 23 juin 2016 en faveur d’une sortie de l’Union européenne a ouvert une période de forte incertitude économique et politique au Royaume-Uni. Il pose aussi des problèmes délicats à l’UE : pour la première fois, un pays choisit de quitter l’UE. Alors que les partis populistes montent en puissance dans plusieurs pays européens, que l’euroscepticisme est de mise dans d’autres (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovénie, Slovaquie), que la crise des migrants divise les États membres, l’UE-27 doit négocier la sortie britannique avec l’objectif d’éviter d’offrir une alternative séduisante aux adversaires de l’intégration européenne. Une négociation satisfaisante pour le RU et l’UE est impossible puisque le but de l’UE ne peut être de trouver un accord avantageux pour le RU, mais, au contraire, de faire un exemple, de montrer que la sortie de l’UE a un coût économique important sans gain financier notable, qu’elle ne permet pas de définir une autre stratégie économique.

Selon le calendrier actuel, le Royaume-Uni quittera l’UE le 29 mars 2019, deux ans après la notification officielle du gouvernement britannique de quitter l’UE, le 29 mars 2017. Les négociations avec l’UE ont officiellement commencé avril 2017.

Jusqu’à présent, sous l’égide de la Commission européenne et de son négociateur en chef, Michel Barnier, l’UE-27 a maintenu une position ferme et unie. Cette position n’a guère donné lieu à des débats démocratiques, ni au niveau national, ni au niveau européen. Ni au Conseil européen, ni au Parlement, les partisans de lignes plus conciliantes ne se sont exprimés, de peur d’être accusés de rompre l’unité européenne.

L’UE-27 refuse de remettre en cause, en quoi que ce soit, le fonctionnement de l’UE pour aboutir à un accord avec le RU ; elle considère que les quatre libertés de circulation (des biens, des services, des capitaux et des personnes) sont indissociables ; elle refuse que le rôle de juge suprême du CJUE puisse être remis en cause ; elle refuse que le RU puisse pratiquer le « cherry picking », choisir les programmes européens auxquels il participe. En même temps, les pays de l’UE-27 saisissent la situation pour mettre en cause le statut de la City, de l’Irlande du Nord (pour la République d’Irlande), de Gibraltar (pour l’Espagne).

Des négociations difficiles

Le 29 avril 2017, le Conseil européen avait adopté ses positions de négociations et nommé Michel Barnier comme négociateur en chef. Les Britanniques souhaitaient négocier en priorité le futur partenariat entre l’UE et le RU, mais l’UE-27 a imposé que les négociations ne portent, en premier lieu, que sur trois points : les droits des citoyens, le règlement financier de la séparation et la frontière entre l’Irlande et l’Irlande du Nord. L’UE-27 a adopté une position dure sur chacun de ses trois points, refusant de discuter du partenariat futur avant que ceux-ci ne soient réglés, interdisant toute discussion bilatérale (entre le RU et un pays membre) et toute pré-négociation entre le RU et un pays tiers sur leurs futures relations commerciales.

Le 8 décembre 2017, un accord a enfin été obtenu entre le Royaume-Uni et la Commission sur les trois points initiaux [1]; cet accord a été ratifié au Conseil européen des 14-15 décembre[2]. Cependant, de fortes ambiguïtés persistent, tout particulièrement sur la question de l’Irlande.

Le Conseil européen accepté la demande britannique d’une période de transition, en fixant sa fin au 31 décembre 2020 (de façon à coïncider avec la fin de la programmation du budget européen actuel). Ainsi, de mars 2019 à fin 2020, le RU devra respecter toutes les obligations du marché unique (dont les quatre libertés et la compétence de la CJUE), sans plus avoir voix au chapitre à Bruxelles.

L’UE-27 a accepté l’ouverture de négociations sur la période de transition et sur le partenariat futur. Ces négociations devaient aboutir lors du sommet européen d’octobre 2018 à un accord fixant les conditions du retrait, les règles de la période de transition et esquissant, par une déclaration politique, le futur traité fixant les relations entre le Royaume-Uni et l’UE-27, de sorte que les instances européennes et britanniques aient le temps de les examiner et de les voter avant le 30 mars 2019.

Cependant, aussi bien l’UE-27 que le RU ont proclamé qu’« il n’y a d’accord sur rien tant qu’il n’y a pas d’accord sur tout », de sorte que les accords sur les trois points comme sur la période de transition sont conditionnés à l’accord sur le partenariat futur.

Les négociations du côté britannique

Les membres du gouvernement formé par Theresa May en juillet 2016 ont dès le départ été divisés sur les modalités du Brexit : d’un côté, les partisans d’un Brexit dur, dont, Boris Johnson, alors chargé des affaires étrangères et David Davis, alors chargé de négocier la sortie du Royaume-Uni de l’UE ; de l’autre, les membres favorables à un compromis pour limiter l’impact du Brexit sur l’économie britannique, dont Philip Hammond, chancelier de l’Échiquier. Les partisans d’un Brexit dur avaient fait campagne en soutenant que quitter l’UE permettrait d’arrêter de verser une contribution financière à l’UE et de « mieux utiliser » cet argent pour financer le système de santé britannique ; que le Royaume-Uni pourrait signer librement des accords commerciaux avec les pays hors UE et se tourner vers le monde extérieur, ce qui serait porteur pour l’économie britannique ; que sortir du carcan des réglementations européennes permettrait d’impulser l’économie. Pour eux, il ne faut pas céder aux demandes de l’UE-27, quitte à prendre le risque d’une sortie sans accord. L’objectif doit être de s’extraire des contraintes européennes, de « reprendre le contrôle ». Pour les partisans d’un compromis avec l’UE, il faut absolument éviter une sortie sans accord, une « chute de la falaise », qui serait nuisible aux entreprises britanniques et à l’emploi. Au cours des derniers mois, c’est ce camp qui a progressivement fait avancer ses positions au sein du gouvernement, amenant Theresa May à demander à l’UE-27 une période de transition, lors du discours de Florence de septembre 2017, ce qui répondait aussi à la demande des représentants des entreprises britanniques (dont la Confédération des industriels britanniques, CBI). Le 6 juillet 2018, Theresa May a tenu une réunion du gouvernement dans la résidence de Chequers afin de s’accorder sur les propositions britanniques sur la future relation entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. Les concessions faites au fil des mois par le gouvernement britannique et ces propositions ont conduit David Davis puis Boris Johnson à démissionner le 8 juillet 2018.

Le 12 juillet 2018, le gouvernement britannique a publié un livre blanc sur le futur partenariat[3]. Celui-ci propose un « Brexit basé sur des principes et pratique »[4]. Celui-ci doit « respecter le résultat du referendum de 2016 et la décision du Royaume-Uni de reprendre les commandes de ses lois, de ses frontières et de ses finances ». Il s’agit de construire une nouvelle relation entre le RU et l’UE, « plus profonde que la relation actuelle entre l’UE et aucun pays tiers, tenant compte de l’histoire et des liens étroits actuels ».

Le livre blanc comporte quatre chapitres : partenariat économique, partenariat de sécurité, coopérations intersectorielles et relations institutionnelles. En ce qui concerne le partenariat économique, l’accord doit permettre une « relation vaste et approfondie avec le reste de l’UE ». Le Royaume-Uni propose d’établir une zone de libre échange des biens. Cela permettrait aux entreprises britanniques et européennes de maintenir les chaînes de production et éviterait les contrôles douaniers et réglementaires aux frontières. Cette zone de libre-échange permettrait de « tenir la promesse » de maintien de l’absence de frontière entre l’Irlande du Nord et de la république d’Irlande. Le RU s’alignerait sur les règles pertinentes de l’UE pour permettre un commerce sans friction à la frontière ; il participerait aux agences européennes pour les produits chimiques, la sécurité aérienne et les médicaments. Le livre blanc propose d’appliquer les règles douanières de l’UE aux importations de marchandises qui arriveront au RU en étant à destination de l’UE et de percevoir la TVA sur ces marchandises pour le compte de l’UE.

Pour les services, le RU reprendrait sa liberté réglementaire, acceptant de renoncer au passeport européen en matière de services financiers, tout en évoquant des dispositions de reconnaissance mutuelle des réglementations, qui préserveraient les avantages de marchés intégrés. Il souhaite le maintien de la coopération dans les domaines de l’énergie et des transports. En contrepartie, le RU s’engage à maintenir des dispositions coopératives en matière de réglementation de la concurrence, de droit du travail et d’environnement. La liberté de circulation serait maintenue pour les citoyens de l’UE et du RU.

Le partenariat de sécurité comporterait le maintien de la coopération en matières policière et juridique, la participation du Royaume-Uni à Europol et Eurojust, la coordination en matière de politique étrangère, de défense, de lutte contre le terrorisme.

Le livre blanc propose une coopération étroite pour la circulation et la protection des données personnelles, des accords de coopération scientifique dans les domaines de l’innovation, de la culture, de l’éducation, du développement et de l’action internationale, de la R&D dans le secteur de la défense et de l’aérospatiale. Le RU souhaite continuer à participer à des programmes européens de coopération scientifique, en y apportant une contribution financière suffisante. Enfin, le Royaume-Uni ne participera plus à la politique commune de la pêche, mais propose des négociations sur le sujet.

En matière institutionnelle, le Royaume-Uni propose un accord d’association, avec un dialogue régulier entre les ministres de l’UE et du RU, dans un Comité mixte (Joint Committee). Le RU reconnaît la compétence exclusive de la CJUE pour interpréter les règles de l’UE, mais les litiges entre le RU et l’UE seraient tranchés par le Joint Committee ou par un arbitrage indépendant.

Jusqu’à présent, Theresa May tente de ménager les partisans d’un Brexit dur, les hard Brexiters – le Royaume-Uni quittera l’UE – et ceux d’un Brexit souple – le Royaume-Uni souhaite un partenariat profond et spécial avec l’UE. Theresa May répète régulièrement que le Royaume-Uni quitte l’UE mais non l’Europe, mais sa position de compromis ne satisfait pas les partisans d’un Brexit net. En septembre 2018, Boris Johnson accuse Theresa May d’avoir capitulé devant l’UE : « Dans cette négociation, l’UE a jusqu’à présent remporté toutes les manches importantes. Nous avons placé une veste-suicide sur la Constitution britannique – et donné le détonateur à Michel Barnier. Nous lui avons donné un pied-de-biche avec lequel Bruxelles peut choisir – à tout moment – de séparer le Royaume-Uni et l’Irlande du Nord »[5]. Selon lui, le plan de Chequers fait perdre tous les avantages du Brexit. Les remainers, partisans de rester dans l’UE, militent eux pour un nouveau referendum. Celui-ci est cependant peu probable. Theresa May l’écarte absolument, comme une « trahison de la démocratie ».

Le congrès annuel des conservateurs qui se tiendra du 30 septembre au 3 octobre pourrait voir la candidature de Boris Johnson ou de Jacob Rees-Mogg[6] à la tête du parti. Néanmoins, leurs positions ne sont pas majoritaires et les sondages accordent à Theresa May une popularité plus forte que celles de ses challengers. Sauf coup de théâtre, Theresa May continuera à porter les négociations sur le Brexit dans les mois à venir.

Le Parlement britannique avait décidé, le 13 décembre dernier, que l’accord conclu avec l’Union européenne devra être soumis à son vote. Aussi Theresa May doit trouver une majorité parlementaire pour un accord de retrait ordonné du Royaume-Uni, malgré l’opposition des remainers et des hard Brexiters, ce qui demande le soutien de certains députés travaillistes et sera délicat.

Les propositions du livre blanc de juillet n’ont pas été jugées acceptables par Michel Barnier. En août, Jeremy Hunt, le nouveau ministre des affaires étrangères estimait les risques de l’absence d’accord à 60%. Le 23 août 2018, le gouvernement a publié 25 notes techniques (sur 80 prévues) qui précisent les mesures prévues par le gouvernement en cas de sortie sans accord en mars 2019. Leur objectif est de rassurer les entreprises et les ménages sur les risques de pénurie de produits importés, notamment de certains produits alimentaires et de médicaments. Lors de la publication de ces notes, Dominic Raab, le nouveau ministre chargé des négociations sur la sortie de l’UE, a pris soin de rappeler que le gouvernement souhaite qu’un accord soit signé et que les négociateurs sont d’accord sur 80 % des dispositions de l’accord de retrait.

Si l’UE-27 reste inflexible, le gouvernement britannique aura le choix entre sortir sans accord, ce que les Brexiters « durs » sont prêts à faire, ou faire de nouvelles concessions. Philip Hammond a rappelé les risques de l’absence d’accord. Mais Theresa May reste sur sa ligne selon laquelle l’absence d’accord serait préférable à un mauvais accord. Le 28 août, elle reprenait les propos du Directeur général de l’OMC, Roberto Azevedo, selon lequel une sortie sans accord ne « serait pas la fin du monde », mais ne serait pas non plus « une promenade dans un parc ». Dans une tribune du Sunday Telegraph du 1er septembre 2018, elle réaffirme sa volonté de construire, en dehors de l’UE, un Royaume-Uni plus fort, plus audacieux, basé sur la méritocratie, adapté au futur.

Les négociations du côté de l’UE

L’UE-27 refuse que le RU reste dans le marché unique et l’union douanière, en choisissant les règles qu’il veut bien appliquer. Elle ne veut pas que le RU bénéficie de règles plus favorables que les autres pays tiers, en particulier les membres actuels de l’Espace économique européen (EEE, Norvège, Islande, Liechtenstein) ou la Suisse. Les membres de l’EEE doivent actuellement intégrer toute la législation du marché unique (en particulier la libre circulation des personnes) et contribuer au budget européen. Le passeport européen des institutions financières leur est aujourd’hui accordé, mais la Suisse n’en bénéficie pas.

En décembre 2017, Michel Barnier avait affirmé clairement qu’il fallait tirer les leçons du refus du Royaume-Uni de respecter les quatre libertés, de retrouver sa souveraineté commerciale, de ne plus reconnaître l’autorité de la Cour de justice européenne. Ceci écarte toute possibilité de participation au marché unique et à l’union douanière. L’accord avec le Royaume-Uni sera un accord de libre-échange, sur le modèle des accords signés avec le Canada le CETA, la Corée du Sud et plus récemment le Japon. Il ne concernera pas les services financiers.

Durant les négociations de 2018, l’UE-27 a été particulièrement peu conciliante sur l’obligation du RU d’appliquer toutes les règles de l’UE et la garantie de la liberté d’installation des personnes jusqu’à la fin de la période de transition, sur la frontière irlandaise (soutenant que l’absence de frontières physiques n’était pas compatible avec le retrait du RU de l’union douanière, demandant que l’Irlande du Nord reste dans le marché unique tant que le RU ne trouve pas une solution garantissant l’intégrité du marché intérieur sans frontière physique en Irlande), sur le rôle de la CJUE (qui devrait être compétente pour interpréter l’accord de retrait), sur l’autonomie de décision de l’UE (refusant la mise en place d’organes permanents de décisions conjointes avec le RU), et même sur Gibraltar et les bases militaires britanniques à Chypre.

Ainsi, le 2 juillet 2018, Michel Barnier[7] accepte le principe d’un partenariat ambitieux, mais refuse toute frontière terrestre entre les deux parties de l’Irlande, tout en indiquant qu’une frontière terrestre est nécessaire pour protéger l’UE (ce qui voudrait dire que le seul accord acceptable impliquerait que la frontière passe entre l’Irlande du Nord et le reste du RU, solution inacceptable pour le RU). Il refuse que l’UE « perde le contrôle de ses frontières et de ses lois ». Il refuse donc que le RU soit chargé d’appliquer des règles douanières européennes et de percevoir la TVA pour l’UE. Il insiste sur le fait que la future coopération avec le RU ne pourra s’appuyer sur le même degré de confiance qu’entre les pays membres. Il réclame des engagements précis et contrôlables du Royaume-Uni, en particulier sur les normes sanitaires et la protection des indications géographique. Il souhaite que l’accord se limite à un accord de libre-échange, avec des garanties britanniques quant à la réglementation et les aides d’État, avec une coopération en matière de douane et de réglementation.

Ainsi le Royaume-Uni devra renégocier l’ensemble des traités commerciaux, tant avec l’UE qu’avec les pays tiers. Ces accords seront probablement longs à mettre en place, en tout cas nécessiteront plus de deux ans. Le manque de préparation et la désorganisation avec lesquels le Royaume-Uni a abordé les négociations du Brexit augure mal de sa capacité à négocier rapidement de tels accords. La question du rétablissement de contrôles douaniers est cruciale et délicate, que ce soit en Irlande, à Gibraltar ou à Calais. De nombreuses entreprises multinationales relocaliseront en Europe continentale leurs usines et sièges sociaux. La perte du passeport financier est acquise. C’est sur ce point que les Britanniques risquent de plus perdre, vu le poids des activités de la City (7,5% du PIB britannique). Le Royaume-Uni devra choisir entre se plier aux règles européennes pour conserver un certain accès aux marchés européens ou jouer l’affrontement par une politique de libéralisation. L’UE-27 pourrait saisir l’occasion du départ du RU pour revenir à un modèle financier rhénan, basé sur les banques et le crédit, plutôt que sur les marchés ou, au contraire, essayer de supplanter la City pour les activités de marchés par des mesures de libéralisation. C’est la seconde branche de l’alternative qui l’emportera.

Choisir entre trois stratégies

Jusqu’à présent, les pays de l’UE-27 ont adopté une position dure mais facile à tenir : puisque c’est le Royaume-Uni qui choisit de quitter l’Union, c’est à lui de faire des propositions acceptables pour l’UE-27, pour son retrait comme pour les relations ultérieures. C’est ainsi que l’on est arrivé à une situation d’enlisement. L’UE-27 doit aujourd’hui choisir entre trois stratégies :

– Ne pas faire de propositions acceptables par les Britanniques et se résigner à une sortie sans accord : les relations entre le RU et l’UE-27 seraient gérées selon les principes de l’OMC ; les conditions financières du divorce seraient fixées de façon juridique. Le Royaume-Uni retrouverait sa pleine souveraineté. Deux raisons amènent à redouter ce scénario : le commerce serait obligatoirement perturbé par la réinstallation de barrières douanières dans les ports et en Irlande ; ce « Brexit dur » inciterait le Royaume-Uni à devenir un paradis fiscal et réglementaire, de sorte que l’UE serait devant l’alternative, soit de suivre, soit de prendre des mesures de rétorsion, deux solutions néfastes ;

– Prendre la question à bras le corps et instaurer un troisième cercle pour les pays qui veulent participer à une union douanière avec les pays de l’UE soit, à court terme, en outre le Royaume-Uni et les pays de l’EEE. C’est dans ce cadre que seraient négociés les accords concernant les réglementations techniques et les normes des biens et services. Ainsi, l’aspect « liberté des échanges » serait dissocié des questions de souveraineté politique. Cela pose cependant deux problèmes : ces accords devraient être négociés dans des comités techniques où les opinions publiques, les parlements nationaux comme le parlement européen, n’auraient guère voix au chapitre. Les champs de l’union douanière sont problématiques, en particulier, pour les questions fiscales, les réglementations financières, la liberté de circulation des personnes et des services ;

– Choisir la solution du « partenariat spécial et approfondi », qui suppose des concessions réciproques. Et qui obligatoirement pourra servir de modèle aux relations de l’UE avec d’autres pays. Il comporterait une union douanière limitée aux marchandises, des comités d’harmonisation des normes, des accords au coup par coup pour les services, le droit pour le RU à limiter la circulation des personnes, sans doute une cour d’arbitrage (qui limiterait les pouvoirs de la CJUE), un engagement à éviter la concurrence fiscale et réglementaire. On le voit, cela ne pourrait satisfaire ni les partisans d’un brexit dur, ni les partisans d’une Union européenne autonome et intégrée.

 

[1] Voir : Joint report from the negotiators of the EU and the UK government on progress during phase 1 of negotiations under Article 50 on the UK’s orderly withdrawal from the EU, 8 décembre 2017.

[2] Voir Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak : Brexit, réussir sa sortie, Blog de l’OFCE, 6 décembre 2017.

[3] HM Government : « the future relationship between the United Kingdom and the European Union », juillet 2018.

[4] L’expression étant dans le texte d’origine : « A principled and practical Brexit ». Des traductions de la note de synthèse dans les 25 langues de l’UE sont disponibles sur le site web du Department for Exiting the European Union. La version française utilise le terme de « Brexit vertueux et pratique ».

[5] Tribune de Boris Johnson, Mail on Sunday, 9 septembre 2018.

[6] Favorable à un Brexit dur, mais aussi issu d’Eton-Oxford, catholique traditionaliste, opposé à l’avortement, aux dépenses publiques et à la lutte contre le changement climatique.

[7] Voir : « Un partenariat ambitieux avec le Royaume-Uni après le Brexit », 2 juillet 2018.

 




Salaire minimum : du coût salarial au niveau de vie. Une comparaison France, Allemagne et Royaume-Uni

par Odile Chagny, IRES, Sabine Le Bayon, Catherine Mathieu, Henri Sterdyniak, OFCE

La plupart des pays développés ont aujourd’hui un salaire minimum, en particulier 22 des 28 pays de l’UE. La France a longtemps fait figure d’exception, avec un salaire minimum relativement élevé. Mais, en 1999, le Royaume-Uni a mis en place un salaire minimum, et l’objectif du gouvernement britannique est de porter ce salaire à 60 % du salaire médian d’ici 2020, ce qui le placerait au niveau de la France dans le haut du classement des pays de l’OCDE. Plus récemment, en 2015, l’Allemagne a introduit un salaire minimum.

Toutefois, le salaire brut est une notion juridique. Ce qui importe du point de vue économique est le coût du travail pour l’entreprise, et le revenu disponible (tenant compte des prestations et des impôts) des ménages de salariés payés au salaire minimum.

Nous présentons dans le Policy Brief n° 34 une comparaison des salaires minima en vigueur en 2017 dans ces trois pays, à l’aide de cas-type, du point de vue du coût du travail, puis du niveau de vie des salariés.

Il apparaît que le coût du travail est un peu plus élevé en Allemagne qu’en France et nettement plus qu’au Royaume-Uni, et que les réformes annoncées en France pour 2019 (baisse des cotisations) renforceront l’avantage compétitif de la France vis-à-vis de l’Allemagne. Le coût du travail au salaire minimum n’est donc pas particulièrement élevé en France (tableau).

Tabe_post23-3En ce qui concerne le revenu disponible, la comparaison de différentes configurations de temps de travail et de situations familiales met en évidence des logiques différentes dans les trois pays. En Allemagne, la logique sous-jacente est de protéger les familles de la pauvreté, quelles que soient les modalités de travail des parents. A contrario, en France, une famille avec deux enfants doit cumuler deux temps complets au SMIC pour échapper à la pauvreté, le système socialo-fiscal voulant inciter à l’insertion des femmes dans le marché du travail. La France est ainsi le seul des trois pays où une famille mono-active avec deux enfants dont l’un des parents travaille à temps complet au salaire minimum est en dessous du seuil de pauvreté monétaire (graphique).

Graphe_post23-3Du point de vue de la position relative des salariés au salaire minimum par rapport à l’ensemble de la population, notre étude met en évidence la situation plutôt favorable du Royaume-Uni. Le niveau de vie y est comparativement élevé : toutes les familles considérées dans nos cas types ont un niveau de vie supérieur au seuil de pauvreté, de l’ordre de 30% pour une famille où les deux parents travaillent au salaire minimum à temps complet. Le gain à la reprise d’un emploi y est, comme en France, élevé, alors qu’il est bas en Allemagne dans toutes les configurations.

Enfin, notre analyse contribue au débat sur la mise en place d’un salaire minimum en Europe. Une politique d’harmonisation des salaires minima en Europe telle que celle qui est proposée par la Confédération européenne des syndicats et soutenue par la France, ne peut se concevoir uniquement en termes de revenus salariaux, mais doit aussi tenir compte des objectifs visés en termes de niveaux de vie, tout particulièrement pour les familles.

 




Le référendum britannique du 23 juin 2016 : le saut dans l’inconnu

Par Catherine Mathieu

Le 23 juin 2016, les Britanniques ont décidé (par 52% contre 48%) de sortir de l’Union européenne. Après avoir longtemps critiqué le fonctionnement de l’UE et les contraintes qu’il faisait porter sur le Royaume-Uni, David Cameron avait obtenu, le 19 février 2016, un accord censé permettre le maintien du Royaume-Uni dans l’UE, mais cela n’a pas suffi à convaincre les électeurs. Dans le Policy Brief de l’OFCE (n°1 du 13/07), nous montrons que plus que des arguments économiques, c’est le souci des Britanniques de préserver (ou de retrouver) leur souveraineté politique qui a compté.

La sortie de l’UE est, pour reprendre l’expression de David Cameron, « un saut dans l’inconnu », et l’on ne peut qu’élaborer des scénarios sur la base d’hypothèses quant à l’issue des négociations qui vont s’engager avec l’Union européenne : scénario rose où les deux parties voudront maintenir au maximum les liens existants, scénario noir où l’UE voudrait faire un exemple et le Royaume-Uni deviendrait un paradis fiscal et réglementaire.

Début juillet, force est de constater que le Royaume-Uni n’a pas encore décidé de sortir formellement de l’UE (en activant l’article 50), et ne le fera vraisemblablement pas avant septembre. Les démissions des leaders du camp du Brexit et l’évolution de la situation politique entretiennent un grand flou sur la mise en place de négociations : la livre a chuté de plus de 10 % par rapport à l’euro, et de 12 % par rapport au dollar et risque de ne pas se stabiliser avant la clarification de la position britannique. Il semble que l’on entre dans un scénario gris dont on ne connaît pas à ce jour les nuances.

A court terme, selon les hypothèses retenues, l’impact d’un Brexit pourrait être légèrement négatif pour l’économie britannique de l’ordre, de -0,2 point de PIB en 2016 selon le NIESR (2016a), mais pourrait atteindre plusieurs points de PIB à l’horizon de deux ans selon les scénarios, le Trésor britannique (2016a) ayant envisagé les scénarios les plus noirs (-3,6 % à -6 %).

A long terme, selon les hypothèses retenues, l’impact économique d’une sortie du Royaume-Uni serait franchement négatif, surtout là-aussi selon le Trésor britannique, mais les hypothèses de forte baisse du commerce britannique sont sans doute exagérées.

 




Brexit : quelles leçons pour l’Europe ?

Par Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak

Le vote britannique pour une sortie de l’UE accentue la crise politique tant en Europe que dans beaucoup de pays européens. La sortie de l’Europe devient une alternative possible pour les peuples européens, ce qui peut encourager les partis souverainistes. Mécaniquement, le départ du Royaume-Uni augmente le poids du couple franco-allemand, ce qui peut déstabiliser l’Europe. Si l’Ecosse quitte le Royaume-Uni pour adhérer à l’UE, des mouvements indépendantistes d’autres régions (Catalogne, Corse, ..) pourraient demander une évolution similaire. Mais la fragilité de l’Europe provient aussi de l’échec de la stratégie « discipline budgétaire/réformes structurelles ».

Le départ du Royaume-Uni, farouche partisan du libéralisme économique, hostile à toute augmentation du budget européen comme à tout accroissement des pouvoirs des institutions européennes, comme à l’Europe sociale pourrait modifier la donne dans les débats européens, mais certains pays de l’Est, les Pays-Bas et l’Allemagne ont toujours eu la même position que le Royaume-Uni. Il ne suffira pas, à lui seul, à provoquer un tournant dans les politiques européennes. Par contre, la libéralisation des services et du secteur financier, que le Royaume-Uni impulse aujourd’hui, pourrait être ralentie. Le Commissaire britannique Jonathan Hill, responsable des services financiers et des marchés de capitaux devra être rapidement remplacé. Se posera la question délicate des fonctionnaires européens britanniques qui, en tout état de cause, ne pourront plus occuper de postes de responsabilité.

Il ouvrira aussi une période d’incertitude économique et financière. Mais il ne faut pas donner trop d’importance aux réactions des marchés financiers, qui n’aiment pas l’incertitude et sont de toute façon très  volatils.  La livre a certes rapidement perdu 10%  par rapport à l’euro, mais elle était sans doute  surévaluée, comme en témoigne le déficit courant britannique de l’ordre de 6,5% de son PIB en 2015.

Selon l’article 50 de la Constitution européenne, un pays qui décide de quitter l’Union doit négocier un accord de retrait, qui fixe la date de sortie[1]. Sinon, au bout de deux ans, le pays est automatiquement en dehors de l’Union. La négociation sera délicate ; elle portera obligatoirement sur l’ensemble des dossiers. Durant cette période, le Royaume-Uni restera dans l’UE. Les pays européens devront choisir entre deux attitudes. L’attitude compréhensive serait de signer rapidement un Traité de libre-échange, se donnant comme objectif de maintenir les relations commerciales et financières avec le Royaume-Uni, en tant que partenaire privilégié de l’Europe. Cela minimiserait les conséquences économiques du Brexit pour l’UE comme pour le Royaume-Uni. Toutefois, il paraît difficile que le Royaume-Uni puisse à la fois jouir d’une liberté totale pour son organisation économique et d’une ouverture totale des marchés européens. Le Royaume-Uni ne devrait pas bénéficier de conditions plus favorables que celles des membres actuels de l’AELE (Norvège, Islande, Liechtenstein) ou de la Suisse ; il devrait sans doute comme eux intégrer la législation du marché unique (en particulier pour la libre circulation des personnes) et contribuer au budget européen. Se poseraient très vite la question de normes, celle du passeport européen des institutions financières (ce passeport est aujourd’hui accordé aux pays de l’AELE, mais pas à la Suisse),  etc. Le Royaume-Uni pourrait avoir à choisir entre se plier à des normes européennes sur lesquelles il n’aura pas son mot à dire ou se voir imposer des barrières réglementaires. Certes, la négociation sera ouverte. Le Royaume-Uni pourra plaider pour une Europe plus ouverte aux pays hors-UE. Mais quel sera son poids une fois sorti ?

L’attitude dure, visant à punir Londres pour faire un exemple et décourager les futurs candidats à la sortie, consisterait au contraire à imposer au Royaume-Uni de renégocier l’ensemble des traités commerciaux en partant de zéro (donc des seules règles de l’OMC) à inciter les entreprises multinationales à relocaliser en Europe continentale leurs usines et sièges sociaux, à fermer l’accès du marché européen aux banques britanniques de façon à les inciter à rapatrier à Paris ou à Francfort l’activité bancaire et financière de la zone euro. Mais, il paraît difficile que l’Europe, partisan de la libre-circulation des marchandises, des services, des personnes, des entreprises, se mette à dresser des obstacles contre le Royaume-Uni.  La zone euro a un excédent courant de 130 milliards d’euros avec le Royaume-Uni : voudra-t-elle le remettre en cause ? Les entreprises européennes qui exportent au Royaume-Uni s’y opposeraient. Les accords de coopération industrielle (Airbus, Armement, Energie, ..) pourraient difficilement être remis en question. Il paraît a priori peu probable que Londres dresse des barrières tarifaires contre les produits européens, sauf en représailles. En sens inverse, Londres pourrait jouer la carte du paradis fiscal et réglementaire, en particulier en matière financière. Mais, il ne pourrait guère s’abstraire de contraintes internationales (les accords de la COP21, ceux sur la lutte contre l’optimisation fiscale, ceux sur l’échange international d’informations fiscales et bancaires). Le risque est de rentrer dans un coûteux jeu de représailles réciproques (que l’Europe, divisée entre des pays à intérêts différents, aura du mal à mener).

En cas de sortie de l’UE, le Royaume-Uni, contributeur net à l’UE, économiserait  a priori environ 9 milliards d’euros par an, soit 0,35% de son PIB. Toutefois, les pays de l’AELE et la Suisse contribuent au budget européen dans le cadre du marché unique. Là encore, tout dépendra de la négociation. On peut penser que le gain pour le Royaume-Uni ne sera que de l’ordre de 4,5 milliards d’euros, que les autres pays membres devront prendre en charge (soit un coût de l’ordre de 0,5 milliard d’euros pour la France).

Compte tenu des incertitudes sur la négociation (et sur l’évolution du taux de change),  toutes les évaluations sur l’impact du Brexit sur les autres pays de l’UE ne peuvent être que très problématiques. Par ailleurs, l’effet pour les pays de l’UE est forcément de second ordre : si des barrières tarifaires ou non tarifaires réduisent les exportations de voitures françaises vers le Royaume-Uni et des voitures britanniques vers la France, les producteurs français pourront fournir leur marché national avec moins de concurrence et pourront aussi se tourner vers les pays tiers. Un ordre de grandeur est cependant utile : les exportations de la France (de l’UE) vers le Royaume-Uni représentaient en 2015 1,45% de son PIB (2,2%) ; les exportations du Royaume-Uni vers l’UE représentaient 7,1% de son PIB. A priori, un choc équivalent sur le commerce RU/UE a 3,2 fois moins d’impact sur l’UE que le Royaume-Uni.

Ainsi, selon l’OCDE[2], la baisse du PIB de l’UE serait à terme, en 2023, de 0,8% (contre 2,5% pour le Royaume-Uni), tandis que rester dans l’UE, participer à l’approfondissement du marché unique et signer des accords de libre-échange avec le reste du monde permettrait une hausse du PIB pour tous les pays de l’UE. Mais quelle est la crédibilité de cette dernière affirmation, compte tenu des mauvaises performances actuelles de la zone euro et du coût de l’ouverture des frontières pour la cohésion économique et sociale des pays européens ? Beaucoup des canaux évoqués par l’OCDE sont contestables : le Brexit affaiblirait la croissance en augmentant l’incertitude économique et en affaiblissant les perspectives économiques. Mais si l’Europe fonctionne mal, la quitter devrait améliorer les perspectives des marchés. Le Royaume-Uni subirait une contraction de son commerce extérieur, qui nuirait durablement à sa productivité, mais, malgré l’ouverture de son économie, la productivité de l’économie britannique est déjà faible. L’OCDE ne pose pas la question de principe : un pays doit-il abandonner sa souveraineté politique pour bénéficier des éventuels effets positifs de la libéralisation commerciale ?

Selon la fondation Bertelsmann[3], la baisse du PIB de l’UE (hors RU) en 2030 irait de 0,10% dans le cas d’une sortie douce (le Royaume-Uni ayant un statut similaire à celui de la Norvège)  à 0,36% dans le cas défavorable (le Royaume-Uni devant renégocier tous ses traités commerciaux), la France étant peu touchée (-0,06 % et -0,27%), l’Irlande, la Belgique et le Luxembourg beaucoup plus. Puis l’étude multiplie ces chiffres par cinq pour intégrer des effets dynamiques de moyen terme, la baisse du commerce extérieur étant censée avoir des effets défavorables sur la productivité.

Euler-Hermès aboutit aussi à des chiffres très faibles pour les pays de l’UE : une baisse de 0,4% du PIB avec un accord de libre-échange ; de 0,6 % sans accord. L’impact est plus important pour les Pays-Bas, l’Irlande et la Belgique.

Un rebond de l’Europe, avec ou sans le Royaume-Uni…

L’Europe devra tirer les leçons de la crise britannique, qui vient après la crise des dettes des pays du Sud, la crise grecque, les politiques d’austérité, en même temps que celle des migrants. Ce ne sera pas une tâche aisée. Il faudra à la fois repenser le contenu des politiques et leur cadre institutionnel. L’UE en aura-t-elle la capacité ?

Les déséquilibres entre pays membres se sont accrus de 1999 à 2007. Depuis 2010, la zone euro n’a pas été capable de mettre en place une stratégie coordonnée permettant le retour vers un niveau satisfaisant d’emploi et la résorption des déséquilibres entre Etats membres. Les performances économiques sont médiocres pour de nombreux pays de la zone euro et catastrophiques pour les pays du Sud.  La stratégie mise en œuvre  dans la zone euro depuis 1999, renforcée depuis 2010 : « discipline budgétaire/réformes structurelles » n’a guère donné des résultats satisfaisants sur les plans économiques et sociaux. Par contre, elle donne aux peuples l’impression d’être dépossédés de tout pouvoir démocratique. C’est encore plus vrai pour les pays qui ont bénéficié de l’assistance de la troïka (Grèce, Portugal, Irlande) ou de la BCE (Italie, Espagne). Depuis 2015, le plan Juncker destiné à relancer l’investissement en Europe a marqué un certain tournant, mais celui-ci demeure timide et mal assumé : il ne s’accompagne pas d’une réflexion sur la stratégie macroéconomique et structurelle. Les désaccords sont importants en Europe tant entre les nations qu’entre les forces politiques et sociales. Dans la situation actuelle, l’Europe a besoin d’une stratégie économique forte, mais celle-ci ne peut pas être aujourd’hui décidée collectivement en Europe.

Ce marasme a selon nous deux causes fondamentales. La première concerne l’ensemble des pays développés. Il apparaît de plus en plus que la mondialisation creuse un fossé  profond entre ceux qui y gagnent et ceux qui y perdent[4]. Les inégalités de revenus et de statuts se creusent. Les emplois stables, correctement rémunérés disparaissent. Les classes populaires sont les victimes directes de la concurrence des pays à bas salaires (que ce soient les pays asiatiques ou les anciennes démocraties populaires). On leur demande d’accepter des baisses de salaires, de prestations sociales, de droits du travail. Dans cette situation, les élites et les classes dirigeantes peuvent être ouvertes, mondialistes et pro-européennes tandis que le peuple est protectionniste et nationaliste. C’est le même phénomène qui explique la poussée du Front National de l’AfD, de l’UKIP, et aussi aux Etats-Unis de Donald Trump chez les Républicains.

L’Europe est actuellement gérée par un fédéralisme libéral et technocratique, qui veut imposer aux peuples des politiques ou des réformes, que ceux-ci refusent, pour des raisons parfois légitimes, parfois discutables, parfois contradictoires. Le fait est que l’Europe, telle qu’elle est actuellement, affaiblit les solidarités et cohésions nationales, ne permet pas aux pays de choisir une stratégie spécifique.  Le retour à la souveraineté nationale est une tentation générale.

Par ailleurs l’Europe n’est pas un pays. Il existe entre les peuples des divergences importantes d’intérêt, de situations, d’institutions, d’idéologies qui rendent tout progrès difficile. En raison de la disparité des situations nationales, de nombreux dispositifs (que ce soit la politique monétaire unique, la liberté de circulation des capitaux et des personnes), posent problème. Des règles sans fondement économique ont été introduites dans le Pacte de Stabilité ou le Traité Budgétaire : elles n’ont pas été remises en cause après la crise financière.  Dans nombre de pays, les classes dirigeantes, les responsables politiques, les hauts-fonctionnaires ont choisi de minimiser ces problèmes, pour ne pas contrarier la construction européenne. Des questions cruciales d’harmonisation fiscale, sociale, salariale, réglementaire ont été volontairement oubliées. Comment faire converger vers une Europe sociale ou une Europe fiscale des pays dont les peuples sont attachés à des systèmes structurellement différents ? Après les difficultés de l’Europe monétaire, qui peut souhaiter une Europe budgétaire, qui éloignera encore l’Europe de la démocratie ?

Dans l’accord du 19 février, le Royaume-Uni a fait rappeler les principes de subsidiarité. Il est compréhensible que des pays, soucieux de souveraineté nationale, soient agacés (pour ne pas dire plus) par les intrusions incessantes de l’UE dans des domaines qui relèvent de la compétence nationale, où les interventions européennes n’apportent guère de valeur ajoutée. Il est compréhensible que ces pays refusent de devoir en permanence se justifier à Bruxelles sur leurs politiques économiques ou sur leurs règles économiques, sociales ou juridiques même quand celles-ci n’ont aucune conséquence sur les autres Etats membres. Le Royaume-Uni a fait noter que les questions de justice, de sécurité, de libertés restaient de compétence nationale. L’Europe devra tenir compte de ce sentiment d’exaspération. Après le départ britannique, il faudra arbitrer entre deux stratégies : renforcer l’Europe au risque d’accroître encore le sentiment de dépossession des peuples ou réduire l’ambition de la construction européenne.

Le départ du Royaume-Uni, l’éloignement de fait de certains pays d’Europe centrale  (Pologne, Hongrie), les réticences du Danemark et de la Suède pourraient pousser à passer explicitement à une Union à deux vitesses. Beaucoup d’intellectuels et de personnalités politiques, nationaux ou européens, pensent que la présente crise pourrait en être l’occasion. L’Europe serait explicitement partagée en trois cercles. Le premier regrouperait les pays de la zone euro qui, tous, accepteraient de nouveaux transferts de souveraineté et bâtiraient une union budgétaire, fiscale, sociale et politique poussée. Un deuxième regrouperait les pays européens qui ne souhaiteraient pas participer à cette union. Enfin, le dernier cercle regrouperait les pays liés à l’Europe par un accord de libre-échange (Norvège, Islande, Liechtenstein, Suisse aujourd’hui, d’autres pays et le Royaume-Uni demain)

Ce projet pose cependant de nombreux problèmes. Les institutions européennes devraient être dédoublées entre des institutions zone euro fonctionnant sur le mode fédéral (qu’il faudrait rendre plus démocratique) et des institutions de l’UE continuant à fonctionner sur le mode Union des Etats membres. Beaucoup de pays actuellement en dehors de la zone euro sont hostiles à cette évolution qui, selon eux, les marginaliserait en membre de ‘seconde zone’. Elle compliquerait encore le fonctionnement de l’Europe s’il y a un Parlement européen et un Parlement de la zone euro, des commissaires zone euro, des transferts financiers zone euro et des transferts UE, etc. C’est déjà le cas, par exemple, avec l’Agence bancaire européenne et la BCE. De nombreuses questions devraient être tranchées deux ou trois  fois (une fois au niveau de la zone euro, une fois au niveau de l’UE, une fois au niveau de la zone de libre-échange).

Selon la question, le pays membre pourrait choisir son cercle, on irait vite vers une union à la carte. Cela est difficilement compatible avec une démocratisation de l’Europe puisqu’il faudrait vite un Parlement par question.

Les membres du troisième cercle seraient eux dans une situation encore plus difficile, obligés de se plier à des réglementations sur lesquels ils n’auront aucun pouvoir. Faut-il placer nos pays partenaires devant le dilemme : accepter  de lourdes pertes de souveraineté (en matière politique et sociale) ou se voir priver des avantages du libre-échange ?

Il n’y a sans doute pas d’accord des peuples européens, même au sein de la zone euro, pour aller vers une Europe fédérale, avec toutes les convergences que cela supposerait. Dans la période récente, les cinq présidents et la Commission ont proposé de nouveaux pas vers le fédéralisme européen : création d’un Comité budgétaire européen, création de Conseils indépendants de compétitivité, conditionnement de l’octroi des fonds structurels au respect de la discipline budgétaire et à la réalisation des réformes structurelles, création d’un Trésor européen et d’un ministre des finances de la zone euro, évolution vers une Union financière, unification partielle des systèmes d’assurance chômage. Cette évolution renforcerait le pouvoir d’organismes technocratiques au détriment des gouvernements démocratiquement élus. Il serait déplaisant qu’elle soit mise en œuvre, comme c’est déjà le cas en partie, sans que les peuples soient consultés.

Par ailleurs, nul ne sait comment se ferait la convergence en matières fiscale ou sociale. Vers le haut ou vers le bas ? Certains proposent une union politique où les décisions seraient prises démocratiquement par un gouvernement et un parlement de la zone euro. Mais peut-on imaginer un pouvoir fédéral, même démocratique, capable de prendre en compte les spécificités nationales dans une Europe composée de pays hétérogènes ? Peut-on imaginer les décisions concernant le système de retraite français prises par un Parlement européen ? Ou un ministre des finances de la zone imposant des baisses de dépenses sociales aux pays membres (comme la troïka le fait pour la Grèce) ? ou des normes automatiques de déficit public ? Selon nous, compte tenu de la disparité actuelle en Europe, les politiques économiques doivent être coordonnées entre pays et non décidées par une autorité centrale.

L’Europe devra engager une réflexion sur son avenir. Utiliser la crise actuelle pour progresser sans réflexion vers « une union toujours plus étroite » serait dangereux. L’Europe doit vivre avec une contradiction : les souverainetés nationales auxquelles les peuples sont attachés doivent être respectées tant que faire se peut ; l’Europe doit mettre en œuvre une stratégie macroéconomique et sociale, forte et cohérente. L’Europe n’a pas de sens en elle-même, elle n’en a que si elle met en œuvre en projet, défendre un modèle spécifique de société, la faire évoluer pour intégrer la transition écologique, éradiquer  le chômage de masse, résoudre les déséquilibres européens de façon concertée et solidaire. Mais il n’y a pas d’accord en Europe sur la stratégie à mener pour atteindre ces objectifs. L’Europe, incapable de sortir globalement les pays membres de la récession, de mettre en œuvre une stratégie cohérente face à la mondialisation, est devenue impopulaire. Ce n’est qu’après un changement réussi de politiques qu’elle pourra retrouver l’appui des peuples et que des progrès institutionnels pourraient être mis en œuvre.

[1] Voir, en particulier le rapport du Sénat ; Albéric de Montgolfier : Les conséquences économiques et budgétaires d’une éventuelle sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne,  juin 2016.

[2] OCDE, 2016, The Economic Consequences of Brexit: A Taxing Decision, avril. Notons qu’assimiler la sortie de l’Euro à une hausse des impôts est n’a pas de sens économique et est une communication peu digne de l’OCDE.

[3] Brexit –potential economic consequences if the EU exit the EU,, Policy Brief, 2015/05.

[4] Voir par exemple, Joseph E. Stiglitz, 2014,  « Le prix de l’inégalité », Les Liens qui libèrent, Paris.




Le salaire national de subsistance : un nouveau dispositif de revalorisation des bas salaires au Royaume-Uni

par Catherine Mathieu

Le 1er avril 2016 est entré en vigueur un salaire national de subsistance au Royaume-Uni. Cela pourrait surprendre en France, où le marché du travail britannique est considéré comme le modèle même du marché dérégulé. Ce nouveau salaire minimum (National Living Wage, NLW) consiste en fait à ajouter un complément de 50 pences au taux horaire du salaire minimum (National Minimum Wage, NMW) des plus de 25 ans, porté ainsi de 6,7 £ à 7,2 £, soit une hausse de 7,5 %. Ceci fait suite à une augmentation de 3,1 % du salaire minimum des plus de 25 ans, en octobre 2015 (de 6,5 £ à 6,7 £), soit au total une hausse de 10,8 % en un an. Cette forte revalorisation du salaire minimum ne constitue pas un changement de cap soudain du gouvernement. Le programme électoral des Conservateurs pour les élections législatives de 2015 comprenait déjà la revalorisation du salaire minimum et souhaitait l’instauration d’un salaire de subsistance. L’annonce de la mise en place du NLW a été faite en juillet 2015, lors de la présentation du budget, par George Osborne, redevenu chancelier de l’Echiquier après la victoire des Conservateurs aux élections. Ce n’est d’ailleurs qu’une première étape de la revalorisation des bas salaires, le gouvernement ayant l’objectif de porter le NLW à 60 % du salaire médian en avril 2020 (contre 55% actuellement), soit environ 9 £.[1]

La revalorisation des bas salaires s’intègre dans une stratégie plus globale du gouvernement britannique : d’une part le gouvernement dit souhaiter « récompenser » le travail ; non seulement le salaire minimum est augmenté, mais, à terme, les salariés rémunérés au salaire minimum ne paieront plus d’impôt sur le revenu (c’était l’un des  engagements de campagne des Conservateurs en 2015). Par ailleurs, le gouvernement prend des mesures de réduction de la fiscalité des entreprises, dont l’emblématique baisse du taux de l’imposition sur les sociétés, qui ne sera plus que de 17 % en 2020 (au lieu de 20 % seulement actuellement), ce qui compensera la hausse des salaires, du moins pour certaines entreprises (les plus profitables). Enfin, le gouvernement s’est fixé un objectif ambitieux de réduction du déficit public, souhaitant le ramener de 5 % du PIB en 2015 à l’équilibre en 2020, ceci  en partie par la baisse des dépenses publiques, et en particulier des prestations sociales. La revalorisation du salaire minimum apparaît ainsi comme une compensation, au moins partielle, de la baisse future des prestations.

Le processus de fixation du salaire minimum au Royaume-Uni est bien codifié. Le gouvernement revalorise chaque année le salaire minimum au premier octobre, sur la base des recommandations de la Commission sur les bas salaires (Low Pay Commission, LPC), organisme indépendant, composé d’universitaires, de représentants des organisations syndicales de salariés et d’employeurs. Le salaire minimum n’existe au Royaume-Uni que depuis 1999. Sa mise en place s’est faite selon les recommandations de la Low Pay Commission, à des niveaux qui correspondaient aux bas salaires pratiqués à l’époque, après une large consultation des entreprises des secteurs concernés. La mise en place du salaire minimum n’a pas suscité de vagues de protestation du côté des employeurs et n’aurait pas eu d’impact significatif sur l’emploi, selon les différentes évaluations réalisées par la LPC au cours du temps. Le niveau du salaire minimum était initialement faible ;  dès le départ un taux adulte et des taux jeunes ont été fixés. La LPC a pour mandat de réaliser un rapport annuel sur les bas salaires et de faire des recommandations au gouvernement en matière de revalorisation du salaire minimum, pour éviter que celles-ci n’aient des impacts négatifs importants sur l’emploi des salariés concernés. Le gouvernement a dorénavant chargé la LPC de suivre aussi la mise en place du NLW et d’en proposer les prochaines revalorisations, qui auront lieu chaque année en avril.

Le NLW ne concerne que les plus de 25 ans. Les salaires minima des jeunes restent au niveau fixé en octobre dernier. Ainsi, aujourd’hui il existe cinq salaires minimums : pour les apprentis (3,30 £ de l’heure) ; les 16-17 ans (3,87 £ de l’heure) ; les 18-20 ans (5,3 £) ; les 21-25 ans (6,7 £) ; et les plus de 25 ans (7,2 £). L’écart est important ; les analyses de la LPC, dès 1998, plaidaient pour des taux de salaires réduits pour les jeunes, l’argument étant d’éviter que ceux-ci soient évincés du marché du travail à cause de salaires trop élevés. Contrairement à la situation française, cet écart a été accepté ; il favorise le développement de petits boulots pour les jeunes. Le taux d’emploi des jeunes britanniques (15-24 ans) est très élevé (51,4 % fin 2015, contre 27 % en France et 31 % dans la zone euro) ; il est en hausse sensible (il était de 46,8 % fin 2010).

Dans son rapport de mars 2016,[2] la LPC fait un premier point sur les impacts possibles du NLW. En avril 2016, environ 1,8 million de salariés (sur 29 millions d’emplois salariés)  pourraient bénéficier du NLW, alors qu’un million d’adultes de plus de 25 ans touchaient le salaire minimum en 2015. Le NLW représenterait une hausse de salaire annuelle de 680 livres (pour la durée de travail moyenne des personnes concernées, 1 360 heures par an, 26h15 par semaine). Les impacts seront très différents selon les secteurs. C’est dans les secteurs des services que les bas salaires sont les plus nombreux (40 % des emplois sont rémunérés au salaire minimum dans les entreprises de nettoyage, 30 % dans le secteur des hôtels-cafés-restaurants, 34 % dans la coiffure). Selon la LPC, la mise en place du NLW aura un impact sur la masse salariale de l’ordre de 0,7 milliard de livres en année pleine cette année, soit 0,1 % [3]; sa hausse jusqu’à 60% du salaire médian coûterait 2,4 milliards de livres supplémentaires, soit 0,4 % de la masse salariale en année pleine en avril 2020. Ces chiffres prennent en compte un effet de diffusion sur les 25 premiers centiles des salaires. L’impact de l’introduction du NLW sur les salaires versés serait proche de 4 %, dans le secteur du nettoyage,  de 3 % dans les secteurs des hôtels-cafés-restaurants et de la coiffure. En tenant compte d’un effet de diffusion similaire, les services de la Banque d’Angleterre[4] estimaient eux-aussi que le NLW conduirait à une hausse graduelle de la masse salariale de moins de 0,5 % d’ici cinq ans. Environ 3 millions de salariés percevraient le NLW à l’horizon 2020.

L’Office for Budget Responsibility avait estimé, en juillet 2015, qu’à l’horizon 2020, la mise en place du NMW pourrait entraîner 60 000 suppressions d’emplois ; selon des hypothèses moyennes d’élasticité de l’emploi à son coût de – 0,4[5], tout en prévoyant que, sur la même période, l’économie britannique créerait 1,1 million d’emplois. La mise en place du salaire national de subsistance intervient après plusieurs années de croissance et de créations d’emplois qui ont ramené le taux de chômage (au sens du BIT) à son niveau d’avant-crise (5,2 %), de sorte que les éventuelles pertes d’emplois dans certains secteurs sont tout à fait supportables.

Aujourd’hui, les critiques vis-à-vis du NLW viennent de deux camps : d’un côté, les syndicats de salariés reprochent à la mesure de creuser plus encore l’écart entre les salaires des jeunes et ceux des adultes ; de l’autre, les employeurs, notamment dans les secteurs à bas salaires,  alertent sur le risque de développement de l’économie informelle, si le NMW est effectivement augmenté à 9 livres par heure d’ici 2020, mais le niveau actuel du NLW est de façon générale considéré acceptable.

Progressivement, les revalorisations du salaire minimum britannique ont amené le Royaume-Uni à faire partie des pays de l’OCDE où le salaire horaire minimum est le plus élevé mais il reste derrière la France, par exemple (graphique 1). Aujourd’hui, le salaire national de subsistance laisse encore le salaire minimum britannique inférieur au salaire minimum français (qui représente 60 % du salaire médian). A 7,2 £, soit 9 euros, le taux horaire du salaire national de subsistance britannique est actuellement inférieur de près de 7 % au SMIC français. Compte tenu des cotisations sociales employeurs, le coût horaire du NLW est aussi inférieur à celui du SMIC horaire, car, bien que la France ait mis en place d’importantes exonérations de cotisations sociales employeurs  (exonération Fillon, Pacte de responsabilité, CICE, prime zéro charge) sur les bas salaires, les cotisations sociales sont aussi très basses au Royaume-Uni. Prenons le cas d’un adulte de plus de 25 ans, célibataire et sans enfant travaillant 35h par semaine (tableau).  Le coût horaire pour l’employeur est de 9,48 euros au Royaume-Uni contre 10,43 euros en France ; le coût horaire pour l’employeur baisse à 9,21 euros au Royaume-Uni si le salarié travaille 26h15 par semaine, ce qui représente le temps de travail moyen des salariés au salaire minimum outre-Manche. Si l’on considère maintenant le salaire perçu par le salarié, net des cotisations sociales salariés et de l’imposition sur le revenu, le NLW est plus élevé que le SMIC, surtout dans le cas où le salarié travaille plus de 30 heures par semaine, ce qui le rend éligible au crédit d’impôt (Working tax credit) qui est plus important que la prime d’activité. En contrepartie, le salarié français bénéficie d’un système public de prestations retraite et chômage nettement plus généreux.

Il faut donc voir dans la mise en place du salaire national de subsistance au Royaume-Uni, un rattrapage des salaires dans les secteurs où  bas salaires, temps partiel et précarité sont les plus répandus. Cette hausse de salaire, telle qu’elle est aujourd’hui mise en place, n’aura qu’un impact macroéconomique marginal sur l’économie britannique.

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[1] L’objectif étant d’atteindre 60 % du salaire médian, ce chiffre de 9 £ n’est donné qu’à titre indicatif, sur la base des projections des hausses de salaires réalisées en mars dernier par l’Office for Budget responsibility (OBR). L’OBR est l’organisme indépendant chargé depuis 2010 de réaliser les prévisions macro-économiques de moyen terme qui seront utilisées pour l’élaboration du budget britannique et d’analyser les finances publiques britanniques.

[2] Voir : National minimum wage, Low Pay Commission Report Spring 2016, mars 2016.

[3] Compte tenu de la faible durée du travail et du bas niveau du salaire horaire, les salariés au salaire minimum ne touchaient que le quart du salaire moyen fin 2015. Le salaire horaire minimum représentait 42,8 % seulement du salaire horaire moyen (6,7 £ contre 15,7 £).

[4] Voir : Inflation report, Bank of England, août 2015.

[5] Cette élasticité correspond à l’estimation médiane des estimations empiriques réalisées sur données britanniques.  Les pertes d’emplois passent à 110 000 si l’on retient l’hypothèse d’une élasticité à -0,75 et ne sont que de 20 000 pour une élasticité de -0,15.




Un nouvel arrangement pour le Royaume-Uni dans l’UE : les leçons européennes de l’accord du 19 février

par Catherine Mathieu  et Henri Sterdyniak

A la suite des demandes d’un nouvel arrangement pour le Royaume-Uni dans l’UE formulées par David Cameron le 10 novembre 2015, le Conseil européen des 18 et 19 février a abouti à un accord. Compte-tenu de ce texte, le peuple britannique sera appelé aux urnes le 23 juin pour décider de rester ou non dans l’UE. Cet épisode soulève de nombreuses questions quant au fonctionnement de l’UE.

  • Le Royaume-Uni a mis en question les politiques européennes sur des points qu’il jugeait cruciaux pour lui-même et a obtenu, en grande partie, gain de cause. Sa fermeté a payé. Cela soulève des regrets de ce côté-ci de la Manche. Pourquoi la France (et l’Italie) n’ont-elles pas eu une attitude similaire en 2012, par exemple, quand l’Europe imposait la signature du traité budgétaire et la poursuite de politiques d’austérité ? Cela soulève des inquiétudes : ce qui a été autorisé à un grand pays sera-t-il toléré pour un plus petit ? La menace de départ du Royaume-Uni est crédible car l’UE est devenue très impopulaire parmi les peuples (particulièrement en Angleterre) et parce que le Royaume-Uni est autonome financièrement (il s’endette sans peine sur les marchés financiers) et économiquement (c’est un contributeur net au budget de l’UE). Un pays dépendant davantage de l’Europe n’aurait guère de choix. Cela soulève des craintes : ne verra-t-on pas d’autres pays suivre cet exemple à l’avenir ? L’Europe pourra-t-elle échapper au modèle d’Europe de club à la carte (chacun participe aux activités qui l’intéresse) ? Mais un modèle de participation forcée est-il préférable ? L’Europe doit permettre à un pays de s’abstraire de politiques qu’il juge néfaste.
  • Le Royaume-Uni organisera donc un référendum, ce qui est satisfaisant du point de vue démocratique. Les derniers référendums n’ont guère donné des résultats favorables à la construction européenne (en France et aux Pays-Bas en 2005, en Grèce en juillet 2015, au Danemark en décembre 2015). En même temps, les Britanniques n’auront le choix qu’entre quitter l’UE (la possibilité d’une nouvelle renégociation si le référendum donnait la majorité pour une sortie de l’UE étant clairement écartée par l’accord de février) ou y rester avec un statut allégé ; la voie selon laquelle le Royaume-Uni resterait dans l’Union et chercherait à la rendre plus sociale, celle préconisée par une partie des travaillistes et par les nationalistes écossais, ne sera pas proposée. C’est dommage.
  • Le Royaume-Uni s’exonère explicitement de la nécessité de l’approfondissement de l’UEM, d’une « union sans cesse plus étroite », d’une « intégration plus poussée », toutes formules qui figurent dans les traités. Le projet d’arrangement précise que ces notions ne constituent pas une base légale pour élargir les compétences de l’Union. Les Etats non membres de la zone euro conservent le droit d’évoluer, ou non, vers une intégration plus poussée. Cette précision est, selon nous, la bienvenue. Il ne serait pas légitime que les compétences de l’Union soient en permanence élargies sans l’accord des peuples. Dans la période récente, les cinq présidents et la Commission ont proposé de nouveaux pas vers le fédéralisme européen : création d’un Comité budgétaire européen, création de Conseils indépendants de compétitivité, conditionnement de l’octroi des fonds structurels au respect de la discipline budgétaire, à la réalisation des réformes structurelles, création d’un Trésor européen, évolution vers une Union financière, unification partielle des systèmes d’assurance chômage. Cette évolution renforcerait le pouvoir d’organismes technocratiques au détriment des gouvernements démocratiquement élus. Ne serait-il pas nécessaire que l’accord des peuples soit explicitement demandé et obtenu avant de s’engager dans cette voie ?
  • La sortie du Royaume-Uni, un certain éloignement de fait de certains pays d’Europe centrale et orientale (Pologne, Hongrie), les réticences du Danemark et de la Suède pourraient pousser à passer explicitement à une Union à deux vitesses, voire, pour reprendre une formulation de David Cameron d’une Union où les pays vont vers des destinations différentes. Les pays de la zone euro accepteraient, eux, de nouveaux transferts de souveraineté et bâtiraient une union budgétaire et politique poussée. Selon nous, ce projet devrait être soumis aux peuples.
  • En même temps, le projet d’accord stipule que l’Eurogroupe n’a pas de pouvoir législatif, celui-ci reste entre les mains de l’ensemble du Conseil. Le Royaume-Uni a fait préciser qu’un Etat non membre de la zone euro pourra demander au Conseil européen de se saisir d’une décision concernant la zone euro ou l’Union bancaire, dont il estime qu’elle nuit à ses intérêts. Le principe de l’autonomie de la zone euro n’a donc pas été proclamé.
  • Le Royaume-Uni a fait préciser qu’il n’est pas tenu de contribuer financièrement à la sauvegarde de la zone euro ou des établissements financiers de l’Union bancaire. Ce qui peut être jugé déplaisant vis-à-vis du principe de solidarité européenne, mais peut se comprendre. C’est parce que la mise en place de la zone euro a aboli le principe : « Chaque pays souverain bénéficie de l’appui total d’une banque centrale, prêteuse en dernier ressort » que le problème de sauvegarde se pose. Le Royaume-Uni (et ses banques) peut, lui, être soutenu par la Banque d’Angleterre.
  • Le Royaume-Uni a fait rappeler les principes de subsidiarité. Une nouvelle disposition prévoit que les parlements représentant 55% des Etats membres peuvent remettre en cause un texte législatif qui ne respecterait pas ce principe. Le Royaume-Uni a fait noter que les questions de justice, de sécurité, de liberté restaient de compétence nationale. Il est dommage que les pays attachés à la spécificité de leurs systèmes sociaux, de leurs systèmes de négociation salariale, n’aient pas fait de même.
  • Il est compréhensible que des pays, soucieux de souveraineté nationale, soient agacés (pour ne pas dire plus) par les intrusions incessantes de l’UE dans des domaines qui relèvent de la compétence nationale, où les interventions européennes n’apportent guère de valeur ajoutée. Il est compréhensible que ces pays refusent de devoir en permanence se justifier à Bruxelles sur leurs politiques économiques ou sur leurs règles économiques, sociales ou juridiques quand celles-ci n’ont aucune conséquence sur les autres Etats membres. L’Europe devra sans doute tenir compte de ce sentiment d’exaspération.
  • En ce qui concerne l’Union bancaire, le projet de texte est volontairement confus. Il est rappelé que le règlement uniforme, géré par l’Agence bancaire européenne (ABE), s’applique à toutes les banques de l’Union ; que la stabilité financière et des conditions égales de concurrence doivent être garanties. Mais, en même temps, il est écrit que les Etats membres qui ne participent pas à l’Union bancaire conservent la responsabilité de leurs systèmes bancaires et peuvent appliquer des dispositions particulières. Par ailleurs, les pays non-membres de la zone euro ont un droit de véto à l’ABE. Cela repose la question du contenu même de l’Union bancaire. Celle-ci permet-elle de prendre les mesures nécessaires pour réduire le poids de l’activité financière spéculative en Europe et d’orienter les banques vers le financement de l’économie réelle ? Ou son objectif est-il de libéraliser les marchés pour permettre le développement de l’activité financière en Europe, pour concurrencer Londres et les places financières extra-européennes ? Dans le premier cas, il aurait fallu mettre clairement le marché en main à Londres, lui dire que l’appartenance à l’UE suppose un contrôle étroit des activités financières. Lui dire que son départ autoriserait l’UE à prendre des mesures de contrôle des capitaux pour limiter les activités spéculatives et inciter les banques de la zone euro à y rapatrier leurs activités.
  • De même, il aurait fallu dire clairement à la Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas et à l’Irlande que l’appartenance à l’UE suppose la fin des dispositifs permettant l’optimisation fiscale des firmes multinationales.
  • Le Royaume-Uni a fait adopter une déclaration affirmant à la fois la nécessité d’améliorer la règlementation et d’abroger les dispositions inutiles pour renforcer la compétitivité tout en maintenant des normes élevées de protection des consommateurs, des travailleurs, de la santé et de l’environnement. Cette compatibilité relève sans doute du vœu pieux.
  • Le texte reconnaît que la disparité des niveaux de salaires et de protection sociale dans les pays européens est difficilement compatible avec le principe de libre circulation des personnes en Europe. C’est un des non-dits de toujours de la construction européenne. Le Royaume-Uni, qui avait été l’un des seuls pays à ne pas prendre de mesures transitoires pour limiter l’entrée de travailleurs étrangers lors de l’adhésion des PECO en 2004, demande aujourd’hui que de telles mesures soient prévues en cas de futures adhésions. Le projet d’accord rappelle que le séjour d’un Européen dans un pays autre que le sien suppose qu’il ne soit pas à la charge du pays d’accueil, donc qu’il ait des ressources suffisantes ou qu’il y travaille.
  • La question du droit aux allocations familiales quand les enfants ne vivent pas dans le même pays qu’un de leur parent est inextricable. Dans la plupart des pays, les allocations familiales sont universelles (ne dépendent pas des cotisations des parents). On ne peut pas respecter en même temps les deux principes : tous les enfants vivant dans un pays donné ont droit à la même allocation ; tous les salariés travaillant dans un pays donné ont droit aux mêmes prestations. Le Royaume-Uni a obtenu le droit de pouvoir réduire les allocations en fonction du niveau de vie et des allocations familiales du pays de résidence des enfants. Mais ce droit ne pourra heureusement pas être étendu aux prestations retraites.
  • La plupart des pays européens ont aujourd’hui des mécanismes favorisant l’emploi des travailleurs non qualifiés. Grâce à des exonérations de cotisations sociales, à des crédits d’impôts et à des prestations spécifiques (comme la prime d’activité ou les allocations-logement en France), le revenu qu’ils perçoivent est fortement déconnecté de leur coût salarial. L’exemple britannique montre que ces dispositifs peuvent devenir problématiques en cas de libre circulation des actifs. Comment faire pour inciter les citoyens d’un pays à travailler sans trop attirer les travailleurs étrangers ? Là encore, c’est un non-dit de l’ouverture des frontières. Le point paradoxal est que c’est le Royaume-Uni qui soulève la question alors qu’il est proche du plein-emploi et qu’il prétendait que la flexibilité de son marché du travail lui permettait d’intégrer facilement les travailleurs étrangers. Ainsi, le Royaume-Uni a obtenu qu’un pays faisant face à un afflux exceptionnel de travailleurs en provenance d’autres Etats membres de l’UE puisse obtenir du Conseil le droit, pendant 7 ans, de n’accorder que progressivement les aides non-contributives aux nouveaux travailleurs des autres pays membres, ceci pendant un laps de temps pouvant aller jusqu’à 4 ans. Le Royaume-Uni a aussi fait préciser qu’il pourra utiliser ce droit immédiatement. Il s’agit d’une remise en cause de la citoyenneté européenne, mais ce concept était déjà bien écorné pour les inactifs et les chômeurs.

 

L’Union européenne, telle qu’elle se construit actuellement, soulève de nombreux problèmes. Les pays membres ont des intérêts et des points de vue divergents. En raison de la disparité des situations nationales (que ce soit la politique monétaire unique, la liberté de circulation des capitaux et des personnes), de nombreux dispositifs posent problème. Des règles sans fondement économique ont été introduites en matière de politique budgétaire. Dans nombre de pays, les classes dirigeantes, les responsables politiques, les hauts-fonctionnaires ont choisi de minimiser ces problèmes, pour ne pas contrarier la construction européenne. Des questions cruciales d’harmonisation fiscale, sociale, salariale, réglementaire ont été volontairement oubliées.

Le Royaume-Uni a toujours choisi de rester à l’écart de l’intégration européenne, en sauvegardant sa souveraineté. Aujourd’hui, il met le doigt sur les points sensibles. Se réjouir de son départ ne serait pas pertinent. L’utiliser pour progresser sans réflexion vers « une union toujours plus étroite » serait dangereux. L’Europe devrait se saisir de cette crise pour reconnaître qu’elle doit vivre avec une contradiction : les souverainetés nationales doivent être respectées tant que faire se peut ; l’Europe n’a pas de sens en elle-même, elle n’en a que si elle met en œuvre en projet, défendre un modèle spécifique de société, la faire évoluer pour intégrer la transition écologique, éradiquer la pauvreté et le chômage de masse, résoudre les déséquilibres européens de façon concertée et solidaire. Si l’accord négocié par les Britanniques pouvait y contribuer, ce serait une bonne chose, mais les pays européens auront-ils ce courage ?

 




Marché du travail : le taux de chômage est-il un bon indicateur ?

par Bruno Ducoudré et Pierre Madec

Entre la zone euro d’une part et les Etats-Unis et le Royaume-Uni d’autre part, les évolutions des taux de chômage sont à l’image des divergences de croissance mises en évidence au sein de notre dernier exercice de prévision. Alors qu’entre 2008 et la fin 2010, les dynamiques des taux de chômage étaient proches en zone euro, au Royaume-Uni et aux États-Unis et reflétaient la forte dégradation de la croissance, des différences apparaissent à partir de 2011. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, le chômage diminue depuis 2011 tandis qu’il amorce une seconde phase de hausse dans la plupart des pays de la zone euro (tableau 1), après un très bref repli. Ce n’est que plus récemment que la décrue s’est réellement engagée en Europe (fin 2013 en Espagne et début 2015 en France et en Italie). Au final, sur la période 2011-2015, le taux de chômage a continué de croître (+2,7 points) en Espagne. En Italie, cette dégradation du marché du travail s’est même accentuée (+4,5 points, contre 2,2 points entre début 2007 et fin 2010). Dans une moindre mesure, la France n’est pas épargnée.

Malgré tout, l’analyse des taux de chômage ne dit pas tout des dynamiques à l’œuvre sur les marchés de l’emploi (tableaux 2 et 3), et notamment sur le sous-emploi. Ainsi la plupart des pays européens ont, au cours de la crise, réduit plus ou moins fortement la durée effective de travail[1], via des politiques de chômage partiel, la réduction des heures supplémentaires ou le recours aux comptes épargne-temps, mais aussi via le développement du temps partiel (particulièrement en Italie et en Espagne), notamment le temps partiel subi. A contrario, l’évolution favorable du marché du travail américain s’explique en partie par une baisse importante du taux d’activité. Ce dernier s’établissait au premier trimestre 2015 à 62,8 %, soit 3,3 points de moins que 8 ans auparavant.

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Afin de mesurer l’impact de ces ajustements (durée du travail et taux d’activité) sur le chômage, il est possible, sous un certain nombre d’hypothèses[2], de calculer le taux de chômage à emploi constant et contrôlé de ces ajustements. Excepté aux Etats-Unis, où le taux d’activité s’est fortement réduit depuis 2007, l’ensemble des pays étudiés ont connu une augmentation de leur population active (actifs occupés + chômeurs) plus importante que celle observée dans la population générale, du fait des réformes des retraites dans plusieurs pays. Mécaniquement, sans création d’emploi, ce dynamisme démographique a pour effet d’accroître le taux de chômage des pays concernés. Ainsi, si le taux d’activité s’était maintenu à son niveau de 2007, le taux de chômage serait inférieur de 1,6 point en France et de 1,1 point en Italie (tableau 4). A contrario, sans la contraction importante de la population active américaine, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3 points à celui observé en 2015. Il apparaît également que l’Allemagne a connu depuis la crise une baisse importante de son chômage (-4,2 points) alors même que son taux d’activité croissait de 2,2 points. A taux d’activité inchangé, le taux de chômage allemand serait de 3,1% (graphique 1).

Concernant la durée du travail, les enseignements semblent bien différents. Il apparaît ainsi que si la durée du travail avait été maintenue dans l’ensemble des pays à son niveau d’avant-crise, le taux de chômage aurait été supérieur de plus de 3 points en Allemagne et en Italie et d’environ 1 point en France et en Espagne, pays dans lequel la durée du travail ne s’est réduite fortement qu’à partir de 2011. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le constat est tout autre : le temps de travail n’a que très peu évolué depuis la crise. En contrôlant le temps de travail, le taux de chômage évolue donc comme celui observé dans ces deux pays.

Il faut rappeler que les dynamiques de baisse de la durée du travail sont anciennes. En effet, depuis la fin des années 1990, l’ensemble des pays étudiés ont fortement réduit leur temps de travail. En Allemagne, entre 1998 et 2008, cette baisse a été en moyenne de 0,6 % par trimestre. En France, le passage aux 35 heures a entraîné une baisse similaire sur la période. En Italie, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, ces ajustements à la baisse de la durée moyenne du travail ont été respectivement de -0,3 %, -0,4 % et -0,3 % par trimestre. Au total, entre 1998 et 2008, la durée du travail a été réduite de 6 % en Allemagne et en France, de 4 % en Italie, de 3 % au Royaume-Uni et aux Etats-Unis et de 2 % en Espagne, de facto seul pays à avoir intensifié, durant la crise, la baisse du temps de travail entamée à la fin des années 1990.

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[1] La durée du travail est ici entendue comme le nombre d’heures travaillées totales par les salariés et les non-salariés (i.e. l’emploi total).

[2] Il est supposé qu’une hausse d’un point du taux d’activité entraîne, à emploi constant, une hausse du taux de chômage. L’emploi et la durée du travail ne sont ici pas considérés en équivalent temps plein. Enfin, ne sont pas pris en compte ni les possibles « effets de flexion » ni le « halo du chômage »