Compétitivité des territoires et stratégies de localisation des entreprises : les heurts de la mondialisation

par Jean-Luc Gaffard

La France comme d’autres pays développés connaît une dégradation de sa compétitivité qui se traduit par un déficit croissant de ses échanges extérieurs et des délocalisations. Comme d’autres pays développés, elle fait face à un double défi : celui lancé par les pays émergents qui bénéficient de larges avantages de coût et celui lancé par des pays développés au premier rang desquels l’Allemagne dont les entreprises pallient l’atonie de leur demande interne en conquérant des marchés extérieurs.

Dans une note du blog, nous montrons que la théorie du commerce international et la théorie de la localisation, mais aussi l’expérience, nous enseignent que la restauration de la compétitivité française suppose que davantage d’entreprises s’engagent plus intensément dans la R&D et dans l’internationalisation de leurs activités en exportant plus et en investissant et en externalisant davantage à l’extérieur. Le succès de cette stratégie reste toutefois étroitement subordonné à la capacité des pays développés à relancer de manière coordonnée leurs demandes internes respectives, gage de l’obtention de gains mutuels et équitables.




Dispositif Scellier : un bilan contrasté pour un coût élevé

par Sandrine Levasseur

La réaction du « lobby immobilier » à la suite de la suppression du dispositif Scellier au 31 décembre 2012 a été vive. Cette suppression constitue une première – et nécessaire –  étape vers une remise à plat plus générale de toute la politique du logement dont le financement et l’efficacité posent question. Retour sur les aspects positifs et négatifs du « Scellier ». Instauré en 2009, ce dispositif qui succédait à d’autres amortissements du même type (Robien, Borloo, Périssol, etc.) consistait en une réduction d’impôt pour tout acquéreur d’un logement neuf disposé à le mettre en location. Le taux de réduction d’impôt, initialement de 25 % du prix de revient d’un logement (dans la limite d’un investissement de 300 000 euros), a été successivement abaissé à 22 % pour 2011 puis à 14 % pour 2012. Tandis qu’il ne fait pas de doute que le dispositif Scellier a soutenu ces dernières années toute la filière « logement » (de la construction jusqu’à la vente) et a permis d’accroître l’offre de logements (toujours insuffisante), on peut s’interroger sur le coût fiscal d’un tel dispositif.

Rendre à César ce qui est à César : les aspects positifs du dispositif « Scellier »

• L’amortissement Scellier a été un profond adjuvant pour le secteur de la construction et de l’immobilier, notamment au plus fort de la crise. En 2009, selon le Rapport de la Commission des finances, environ 65 000 logements ont bénéficié de l’amortissement Scellier, ce qui a représenté deux-tiers des ventes de logements neufs. En 2010, 77 500 logements ont été concernés, soit plus de 70 % des ventes dans le neuf. A la fin septembre 2011, on estimait à 75 000 le nombre de « Scellier » depuis le début de l’année. Rappelons qu’en 2010 le secteur du bâtiment a généré à lui tout seul 6,3 % du PIB français et employé 7,5 % des effectifs salariés du secteur marchand. C’est sans compter la valeur ajoutée et les emplois dans le secteur des services immobiliers. Il est clair que sans le soutien du « Scellier », la crise économique en France – et ses conséquences sur l’emploi – aurait été plus profonde :

• Dans les zones tendues, là où il y a un manque structurel de logements, les constructions de logements « Scellier » ont clairement permis d’accroître l’offre de logements, en quantité mais aussi en qualité ;

• L’amortissement Scellier a soutenu la construction de logements « verts », puisque la réduction d’impôts était d’autant plus avantageuse que les logements achetés respectaient les normes environnementales (normes BBC) ;

• Il a été ouvert à tous les contribuables alors que le dispositif Robien n’était intéressant que pour les personnes relevant des tranches d’imposition élevées. De ce point de vue, le dispositif Scellier a été plus équitable que les précédents amortissements.

Pour autant, il y a aussi des aspects négatifs associés au dispositif « Scellier ».

Les aspects négatifs du dispositif « Scellier »

Il y a eu, tout d’abord, le problème de la localisation des logements « Scellier », certes aujourd’hui résolu par la mise en place d’une carte des risques locatifs et l’abaissement des plafonds de loyer. Rappelons qu’initialement, le Scellier s’appliquait à tout logement neuf mis en location indépendamment de sa localisation (hors zone C, c’est-à-dire les communes situées dans des agglomérations de moins de 50 000 habitants), le propriétaire-contribuable n’ayant « qu’à louer » en respectant le plafond de loyer fixé par la loi en fonction des zones. Présenté par certains réseaux de commercialisation comme un outil de défiscalisation pur et simple, l’amortissement Scellier s’est traduit dans certains cas par la construction de logements dans des zones où les marchés locatifs étaient inexistants, provoquant gâchis et … dépit des propriétaires n’ayant pas trouvé de locataires ou alors pour un loyer bien inférieur à celui fixé par la loi. En 2011, 170 communes ont alors été classées en risques locatifs par les pouvoirs publics y interdisant ainsi la construction de « Scellier ». En outre, dans certaines zones, les plafonds de loyers ont été abaissés (entre 14 et 26 %) de façon à être davantage en adéquation avec les réalités du marché locatif. Si le problème de la localisation est maintenant résolu, on peut toutefois s’étonner (et déplorer) que la cartographie des investissements locatifs n’ait pas fait l’objet d’un suivi plus tôt et plus régulier. Aujourd’hui, environ 35 % des logements Scellier sont situés dans des zones à risques locatifs et, essentiellement des logements de type F2 ou F3 sont concernés.

L’argument majeur contre le dispositif Scellier (ou tout autre amortissement de ce type) est clairement son coût fiscal, et ce d’autant plus qu’il court sur un certain nombre d’années (par exemple, 9 ans pour le Scellier standard). Ainsi, l’impact budgétaire du dispositif Robien (410 millions d’euros en 2010) ne s’éteindra qu’en 2016 alors qu’il n’est plus en vigueur depuis décembre 2008. Il faudra y ajouter le coût du dispositif Scellier qui, pour une extinction à la fin 2012, continuera malgré tout à peser sur le budget de l’Etat jusqu’en 2021. Selon le Rapport de la Commission des finances, le coût budgétaire du dispositif Scellier a été de 120 millions en 2010 et s’élèvera à 300 millions en 2011. Au total, sur 9 ans, les logements Scellier acquis en 2009 coûteront 3,4 milliards d’euros au budget de l’Etat tandis que ceux acquis en 2010 et 2011 coûteront respectivement 3,9 et 2 milliards d’euros. Notons que le coût de 2 milliards d’euros pour la « génération 2011 » est clairement sous-estimé puisque l’évaluation par la Commission des finances repose sur une anticipation sous-évaluée du nombre de logements Scellier réalisés au regard des dernières données disponibles (47 100 anticipés pour l’ensemble de l’année contre 75 000 réalisés à la fin septembre 2011). A titre de comparaison, la subvention de l’Etat en faveur des organismes de logement social s’est élevée à 1,45 milliard d’euros en 2010, contribuant ainsi au financement de 147 000 logements sociaux. Si logements Scellier et sociaux ne sont pas totalement comparables (et interchangeables), la mise en parallèle du coût budgétaire des uns et des autres interpelle la politique du logement. Et son financement.

Que faire ?

Au vu du coût budgétaire du dispositif Scellier, sa suppression nous semble bien fondée, et ce d’autant plus que la politique du logement de ces vingt dernières années a été plutôt favorable aux propriétaires-bailleurs. Soulignons, en effet, que les propriétaires-bailleurs ont aussi bénéficié indirectement des politiques d’allocation logement en faveur des locataires puisque l’on estime que 50 à 80 % du montant des allocations versées aux locataires ont en fait été répercutés dans les loyers, et donc au bénéfice des propriétaires.

La suppression du dispositif Scellier pose toutefois deux problèmes : celui de l’activité de la filière « construction » et celui du manque structurel de logements. De fait, il y a peu d’espoir que le recentrage du PTZ (prêt à taux 0) sur le logement neuf compense à lui tout seul la baisse de construction due à la suppression du Scellier. Alors, comment résoudre simultanément les deux problèmes ? La poursuite de l’effort en faveur du logement social, amorcé depuis quelques années, nous semble être la meilleure solution pour maintenir à la fois un niveau suffisant de construction et répondre (en partie) aux besoins en logements non satisfaits. Le logement social permettrait en outre de réduire la « cherté » du logement pour les classes sociales les plus modestes. Le coût pour le budget de l’Etat de 60 000 logements sociaux supplémentaires (60 000 étant le nombre annuel moyen de logements ayant bénéficié d’amortissement à l’investissement locatif depuis 15 ans) est estimé à 448 millions d’euros, payable « une fois pour toute ». C’est peu comparé au coût pour l’Etat d’une génération de logements Scellier.

Une politique davantage orientée vers le logement social ne permettra pas pour autant de faire l’économie d’une réflexion plus large sur le logement, ne serait-ce que pour le seul financement du logement social : drainage des fonds sur livrets A, accession sociale à la propriété, politique des loyers, « 1 % logement », politique foncière des collectivités locales, gestion du parc locatif …




L’économie allemande n’échappera pas au ralentissement de ses partenaires

par Sabine Le Bayon

Les instituts économiques et le gouvernement allemands partagent le même diagnostic : l’Allemagne ne sortira pas indemne du ralentissement de ses principaux partenaires de la zone euro.

Le gouvernement allemand a révisé à la baisse le 20 octobre dernier sa prévision de croissance pour 2012. La croissance allemande est dorénavant attendue à 1% en 2012 (comme en France), au lieu de 1,8% lors de la prévision d’avril 2011. Cette prévision s’appuie sur celle réalisée par quatre instituts allemands (IWH – Halle, Ifo, IfW – Kiel, RWI – Essen) qui estiment que la croissance devrait être de 0,8% en 2012. Les autres instituts allemands – IMK et DIW- prévoient une croissance du même ordre de grandeur (respectivement 0,7% et 1%).

Les instituts économiques et le gouvernement allemands partagent le même diagnostic : l’Allemagne ne sortira pas indemne du ralentissement de ses principaux partenaires de la zone euro. Alors qu’elle avait fait la course en tête dans un premier temps (avec une croissance de 3,6% en 2010, contre 1,7% dans la zone euro), le rebond du commerce mondial ayant entrainé une reprise des exportations et stimulé l’investissement des entreprises, ce ne serait plus le cas. Certes, la croissance du PIB au troisième trimestre 2011 a été bonne (0,5%), mais essentiellement grâce à la demande intérieure selon les premières informations fournies par l’institut de statistiques allemand. Le PIB devrait d’ailleurs reculer au quatrième trimestre 2011 (-0,2% selon les instituts allemands) et croître faiblement durant les trimestres suivants, dans un contexte européen très difficile.

L’Allemagne va pâtir de l’orientation de ses exportations vers des zones qui mènent des politiques budgétaires restrictives : la zone euro (40% de ses exportations de marchandises en 2010), les PECO (10%) et le Royaume-Uni (6%). Ces pays vont avoir peu de croissance fin 2011 et en 2012 et donc peu importer (en provenance d’Allemagne notamment). Les exportations allemandes vers le Japon (1,5%) et les Etats-Unis (7%) – deux pays qui mettent en place des plans de relance en 2012 – ne seront pas suffisantes pour compenser les pertes en Europe, et le commerce vers les pays émergents va souffrir du ralentissement mondial. Ce coup de frein au commerce est déjà visible dans les commandes industrielles étrangères adressées aux entreprises allemandes qui ont reculé au troisième trimestre 2011 (-3,75% sur un trimestre).

A l’effet négatif de la politique budgétaire allemande sur la croissance en 2012 (impulsion budgétaire de -0,3 point de PIB), il faut donc ajouter l’impact de la restriction dans les autres pays développés qui réduirait la croissance de 0,7 point en Allemagne selon nos calculs (voir “Zone euro : déni de réalité” dans notre dossier de prévision). In fine, l’effet de la restriction quasi-généralisée se traduirait par un point de croissance en moins en Allemagne en 2012.

Le sort de la zone euro – et la politique budgétaire menée par ses principaux partenaires – ne peut laisser l’Allemagne indifférente : le ralentissement de la zone euro va amputer la contribution du commerce extérieur à la croissance allemande. D’après les prévisions de l’OFCE, le commerce extérieur n’apporterait plus que 0,5 point à la croissance du PIB en 2012 (contre 1,4 point en 2010). La demande extérieure adressée à l’Allemagne par les pays de la zone euro ne progresserait que de 1,8% en 2012 (contre 5,1% pour celle en provenance des pays hors zone euro). Le rythme de croissance des exportations passerait ainsi de 8% en 2011 à 4,1% en 2012 et celui du PIB de 2,9% à 1,2%.

Ce texte fait référence à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012, disponible sur le site de l’OFCE.




Des politiques budgétaires restrictives à contretemps

par Sabine Le Bayon

La réduction des déficits publics doit-elle être aujourd’hui la priorité des gouvernements ?

La contrainte que font peser le Pacte de stabilité et surtout les marchés financiers sur les pays européens ne leur a guère laissé le choix. Or, si la question de la soutenabilité de la dette publique ne peut être éludée, il faut aussi tenir compte de l’impact récessif des politiques d’austérité sur l’activité, particulièrement en période de reprise. Une large majorité d’études concluent en effet à un multiplicateur positif, c’est-à-dire qu’un point de restriction (expansion) budgétaire  se traduit par une baisse (hausse) de l’activité. De plus, des études ont mis en avant l’importance du timing d’une politique budgétaire pour maximiser son efficacité : son impact sur la croissance et sur le solde public (via sa composante conjoncturelle) dépend en effet de l’accompagnement ou non de la politique monétaire, de la politique budgétaire menée dans les autres pays, de la phase du cycle conjoncturel, …

Une consolidation budgétaire a par exemple moins d’impact sur l’activité quand elle s’accompagne d’une détente de la politique monétaire et d’une dépréciation de la monnaie. Mais quand les taux d’intérêt sont déjà proches de zéro (ou dans le cas d’une trappe à liquidité), l’impact de la restriction budgétaire n’est pas amorti par la baisse des taux directeurs. Comme la Banque centrale ne peut pas contrer la désinflation, les taux d’intérêt réels augmentent, ce qui amplifie la chute de l’activité. Par ailleurs, quand la rigueur est généralisée, le taux de change ne peut pas être un mécanisme de soutien à l’activité pour toutes les zones. Ceci est vrai aussi quand une politique restrictive est menée au sein d’une union monétaire où les pays commercent essentiellement entre eux. Ainsi, selon le FMI, l’impact sur la croissance d’une restriction budgétaire de 1 point de PIB varie entre 0,5 et 2 % selon la synchronisation ou non de l’austérité et la réponse de la politique monétaire (tableau 1). In fine, cet impact sur la croissance se répercute sur la situation des finances publiques. Quand la politique monétaire peut contrecarrer les effets récessifs de la politique budgétaire, une restriction isolée de 1 point de PIB réduit l’activité de 0,5 % après deux ans. La dégradation du solde conjoncturel atteint alors 0,25 point de PIB et le solde s’améliore in fine de 0,75 point. Quand les taux d’intérêt sont proches de zéro, un point d’impulsion budgétaire négative dans un pays réduit la croissance d’un point et dégrade le solde conjoncturel de 0,5 point, induisant une amélioration du solde de 0,5 point de PIB seulement. Enfin, quand on cumule trappe à liquidité (ou taux nuls) et restriction généralisée, une impulsion budgétaire de -1 point de PIB réduit la croissance de 2 points, car ni la politique monétaire ni le taux de change ne peuvent atténuer l’impact de la rigueur. Ceci creuse le solde conjoncturel d’un point et il n’y a donc pas d’amélioration du solde public malgré un effort structurel d’un point.

 

Par ailleurs, la position de l’économie dans le cycle économique influe sur les multiplicateurs. Ainsi, ces derniers sont amplifiés en bas de cycle : une politique de rigueur accentue les tendances déflationnistes à l’œuvre, ce qui amplifie la baisse de la demande et donc l’impact sur l’activité. En revanche, en haut de cycle, les effets désinflationnistes de l’austérité contrecarrent la tendance inflationniste usuelle à cette phase, ce qui réduit le multiplicateur. Selon Creel, Heyer et Plane, à l’horizon d’un an, et selon les instruments de politique économique utilisés, le multiplicateur est compris entre 1 et 1,3 point quand l’économie est en bas de cycle (on suppose un écart de production de -2%); il est compris entre 0,8 et 1,2 point en milieu de cycle (l’écart de production nul) et en haut de cycle (pour un écart de production de 2 %). A 5 ans, l’effet est plus fort encore : entre 1 et 1,6 point en bas de cycle, entre 0,6 et 1,3 en milieu de cycle et entre 0 et 1,2 en haut de cycle. Ainsi, lorsque l’écart de production est négatif, les politiques de consolidation budgétaire sont peu efficaces, car elles entraînent une baisse du PIB importante par rapport au scénario sans restriction, ce qui limite les gains budgétaires attendus de l’austérité.

Aujourd’hui tous les éléments sont réunis pour que les politiques de rigueur entraînent un ralentissement important de la croissance et que le déficit se résorbe peu, en particulier dans la zone euro. C’est pourquoi nous avons cherché à évaluer l’impact indirect, pour la France et les grands pays développés, de l’austérité mise en place chez leurs partenaires commerciaux, en plus de l’effet direct lié aux plans nationaux. L’impact d’une restriction budgétaire (dans un pays A) sur la demande adressée de ses partenaires (B) dépend de l’élasticité des importations au PIB du pays A mais aussi du degré d’ouverture et de l’orientation géographique des exportations des pays B. Dans le cas de la France, pour un multiplicateur national de 0,5, le multiplicateur total est de 0,7, une fois la restriction des partenaires prise en compte via le commerce extérieur ; pour un multiplicateur national de 1, le multiplicateur total est de 1,5.

En nous appuyant sur les impulsions budgétaires prévues dans les différents pays, nous obtenons un impact des plans étrangers sur l’activité nationale compris entre -0,1 et -0,7 point en 2012 selon le degré d’ouverture des pays et l’orientation de leur commerce (tableau 2). Pour la France, la restriction de ses partenaires commerciaux amputera la croissance de 0,7 point en 2012, soit presque autant que le plan d’économies mis en place par le gouvernement (1 point). En Allemagne, l’impact des plans de restriction étrangers sur le PIB est proche de celui calculé pour la France : même si le pays est plus ouvert, il commerce moins que la France avec le reste de la zone euro, et bénéficie davantage par exemple du plan de relance des Etats-Unis en 2012. Dans les autres pays de la zone euro, les mesures de restrictions étrangères auront un impact du même ordre (0,6 point). Aux États-Unis, les effets du plan de relance seront affaiblis du fait de l’austérité menée ailleurs : alors que l’effet direct de la relance sur le PIB sera de 0,7 point, la demande adressée amputera la croissance de 0,2 point, limitant l’impact expansionniste de la politique budgétaire. Le ralentissement plus fort qu’attendu de la croissance risque de rendre caducs les objectifs de réduction du déficit public. Avec nos hypothèses de multiplicateurs nationaux compris entre 0,6 et 0,9, une impulsion budgétaire de -1 point de PIB dans l’ensemble des pays de l’Union européenne ne réduit en effet le déficit que de 0,4 à 0,6 point de PIB dans chacun des pays, une fois la restriction des partenaires commerciaux prise en compte.

Ce texte fait référence à l’étude sur la politique budgétaire jointe à l’analyse de la conjoncture et la prévision à l’horizon 2011-2012, disponible sur le site de l’OFCE.




R&D à la dérive : les producteurs d’électricité ont-ils disjoncté ?

par Evens Salies

Les efforts technologiques fournis pour répondre aux exigences des politiques environnementales et la libéralisation des marchés de l’électricité sont-ils antinomiques ? En effet, l’évolution depuis trois décennies des dépenses de R&D des producteurs européens d’électricité peut nous faire douter de la capacité de l’Union européenne à atteindre son objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 80 à 93% d’ici à 2050 (Commission européenne, COM/2010/0639).

C’est ce que révèle le graphique ci-dessous, où nous avons isolé les dépenses des 15 principaux producteurs. Ce graphique met en évidence un étonnant retournement de tendance concomitant à la vague de libéralisation du secteur, souhaitée par l’Union européenne. Concomitance ne voulant pas dire causalité, nous nous sommes penchés sur l’éventuelle responsabilité de la libéralisation sur ce retournement.

Les dépenses de R&D des producteurs européens d’électricité ont fondu de 70 % entre 2000 et 2007, passant de 1,9 milliard d’euros à 570 millions d’euros environ (chiffres corrigés de l’inflation). Les géants EDF et E.ON, qui représentent les deux plus gros budgets R&D dans le secteur, sont largement responsables de cette baisse. Les dépenses de R&D de l’électricien français ont chuté de 33 % de 2000 à 2007, passant de 568 à 375 millions d’euros. Sachant que les charges de R&D sont majoritairement des charges de personnel, le lecteur ne s’étonnera pas d’apprendre que, dans le cas d’EDF, le nombre de salariés affectés à la R&D (chercheurs et personnel d’accompagnement technique et administratif) a été réduit d’environ un quart depuis 2007, sans que nous puissions précisément quantifier cette baisse par type d’activité.

Comment les producteurs peuvent-ils relever le défi technique des énergies alternatives avec une dépense de R&D si faible ? Certains pourraient penser que la situation n’est pas aussi dramatique que le laisse supposer le graphique ci-dessus. En effet, les dépenses de R&D des grands groupes de l’électricité ne représentent que la partie congrue du total, autour de 10 %, l’essentiel étant réalisé par des équipementiers et des laboratoires publics. En se penchant sur les chiffres de l’ensemble des dépenses privées, on constate une part relativement croissante depuis l’année 2000 de celles destinées non seulement à accroître l’efficience énergétique, mais aussi de celles destinées à la production d’électricité à partir de sources d’énergies renouvelables. Ceci est la conséquence de nombreuses aides en faveur de l’innovation (mesures de rachat de l’électricité « verte », financement de projets réunissant des partenaires publics/privés, etc.), sans oublier le crédit d’impôt-recherche dont bénéficie d’ailleurs EDF.

Il vaut mieux cependant attendre avant de se réjouir du déplacement susmentionné de l’activité d’innovation environnementale des producteurs vers les équipementiers dans la mesure où la concurrence risque d’avoir pour effet de peser sur la capacité de ces premiers à acheter ces innovations. La question du pourquoi de la chute des dépenses de R&D reste donc pertinente. Etaient-elles anormalement élevées dans le passé, lorsque les producteurs jouissaient du statut de monopole public ? On peut cependant trouver des raisons objectives à leur baisse, en commençant par la libéralisation des marchés dans l’Union européenne qui, comme l’ont montré plusieurs études, est l’événement déclencheur de ce changement radical dans la politique d’innovation des producteurs d’électricité [1].

La thèse défendue dans ces études est que l’accroissement prévisible de la concurrence, à la suite de l’ouverture des marchés, rend la valeur des revenus futurs des producteurs plus incertaine. L’argument avancé pour soutenir cette thèse est que certains projets de recherche orientés vers des objectifs d’intérêt public (ceux qui permettront de réduire les émissions) ne confèrent pas à court terme des réductions de coûts qui seraient profitables aux producteurs. Les producteurs se sont recentrés sur leur cœur de métier et ont abandonné les programmes de recherche pour lesquels ils n’ont pas d’avantages tangibles, notamment en termes de brevets. En Europe, les projets d’innovation environnementale sacrifiés continuent, en revanche, à être développés chez des équipementiers (Vestas pour l’éolien, par exemple). Quand aux recherches dans l’électronucléaire, elles sont accaparées par les prestataires de recherche comme Areva ou Siemens. Les producteurs tendent à leur substituer des programmes autour de la maîtrise de la demande d’énergie ou de l’amélioration d’efficience énergétique qui requièrent des temps de recherche moins longs. Il faut noter que la nature de bien public de l’innovation rend prudents les producteurs qui devraient supporter le coût de projets de recherche dont ils ne seront pas seuls à récolter les bénéfices. Cela favorise le comportement de « passager clandestin » de certains et conduit donc à un sous-investissement en R&D au niveau agrégé dans le secteur.

De manière intéressante, on constate que ce décrochage succède à une accélération des dépenses de R&D avant la période de libéralisation. Ce fait d’abord observé aux Etats-Unis, s’observe clairement en Europe si l’on se penche sur les dépenses de R&D en niveau. Dès 1996, date à laquelle fut votée la directive contenant les règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, la baisse des dépenses suit une hausse plus forte que celle observée, en moyenne entre 1980 et 1995.

Cependant, l’instauration de règles de marché n’explique pas tout. S’est opérée une restructuration/fragmentation du secteur avec ouverture du capital qui n’est pas sans conséquences sur l’innovation. De manière similaire à ce qu’on a pu observer dans d’autres secteurs comme les TIC, le comportement des grands groupes de l’électricité a été de s’endetter – nécessairement au détriment des dépenses de recherche et d’autres investissements – en réalisant des opérations de croissance externe. Les firmes réorganisent leur activité de recherche en les externalisant. L’exemple en France est celui d’EDF Energies Nouvelles, 100 % filiale d’EDF depuis le mois d’août 2011. L’organisation industrielle qui prévaut aujourd’hui dans le secteur de l’énergie électrique est un oligopole avec frange concurrentielle (voir encadré). Bien que soumis à une séparation comptable de leurs activités, les principaux producteurs historiques restent verticalement intégrés de la production à la commercialisation.

Cette fragmentation/restructuration renvoie à une hypothèse de recherche bien connue des économistes sur l’avantage des grandes entreprises en termes d’innovation : l’hypothèse schumpétérienne [2]. Formellement, il s’agit de savoir si l’intensité de R&D, c’est-à-dire le ratio entre les dépenses de R&D et une variable de taille (l’actif du bilan, par exemple), est corrélée positivement à la taille. Nous avons pu montrer ce lien pour un échantillon des 15 principaux producteurs européens d’électricité pour la période 1980-2007 [3] . Or, ce résultat est largement contingent à la période étudiée, durant laquelle la plupart des producteurs étaient protégés de l’entrée et de toute pression concurrentielle sur le territoire où ils exerçaient leur activité en tant qu’entreprises publiques désignées alors « monopoles naturels ».

Cette position leur conférait au moins trois avantages qui ont maintenant disparu. Tout d’abord, une sorte de droit de préemption sur l’utilisation des innovations fournies par les constructeurs d’équipements, ou de leurs propres innovations, craignant moins ainsi d’être imités. Pour chaque entreprise, les possibilités de réplication étaient limitées à une zone d’activité bien précise, généralement le territoire national, permettant de répartir les coûts liés à l’innovation sur tous les consommateurs domestiques. De plus, étant certains de ne pas perdre de clients, les opérateurs historiques pouvaient prendre le risque de lancer des projets de recherche fondamentale. Enfin, la réglementation des tarifs assurait un niveau de recette prévisible.

On peut donc penser que l’effet schumpétérien d’appropriation de la rente a dominé l’effet négatif sur l’incitation à innover dû au manque de concurrence réelle ou potentielle. Une fois le secteur ouvert à la concurrence, certains des avantages susmentionnés ont disparu. La grande majorité des clients reste fidèle à cause de coûts de migration importants, mais une partie croissante de l’électricité produite est vendue sur des marchés de gros peu régulés, aux prix volatils. L’hypothèse schumpétérienne pourrait donc disparaître. La concurrence serait donc en train de nuire à l’innovation induite par les dépenses de R&D.

Oligopole de producteurs avec frange concurrentielle

Dans le secteur européen de l’énergie électrique, il s’agit d’un petit nombre de gros producteurs (l’oligopole) qui détiennent une vaste part de marché, pendant qu’un grand nombre de petites entreprises (la frange concurrentielle) détiennent, chacune, une petite part du marché résiduel. Contrairement à l’idée que l’on se fait de la concurrence, la frange peut avoir une influence sur les prix de gros. En effet, l’électricité ne se stockant pas, un producteur sollicité par le transporteur responsable de l’équilibre production-consommation, peut offrir les MWh d’une centrale dont le coût marginal de génération est faible à un prix supérieur à ce coût. C’est le cas du producteur de la centrale marginale qui, en période où la demande butte sur les capacités de production (la pointe), est sollicité pour assurer l’équilibre global en dernier recours.

[1] L’étude de Kammen, D.M. et R. M. Margolis (Underinvestment: the energy technology and R&D policy challenge, Science, Energy–Viewpoint, n° 285, 1999, pp. 690-692) avait anticipé cette situation pour les Etats-Unis. L’étude de P. Sanyal (The effect of deregulation on environmental research by electric utilities. Journal of Regulatory Economics, Vol. 31, n° 3, 2007,  pp. 335-353) est la première à montrer de manière économétrique le rôle de la libéralisation des marchés de l’électricité sur la baisse des dépenses de R&D.

[2] Le lecteur pourra se référer à http://fr.wikipedia.org/wiki/Destruction_cr%C3%A9atrice.

[3] A test of the Schumpeterian hypothesis in a panel of European electric utilities, Document de Travail de l’OFCE, n° 2009-19, http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/dtravail/WP2009-19.pdf.




A quels nouveaux plans de rigueur européens doit-on s’attendre en 2012 ?

par Eric Heyer

Afin de respecter les engagements français vis-à-vis de Bruxelles d’un déficit des APU de 4,5 % du PIB en 2012, le Premier ministre français, François Fillon, vient d’annoncer un nouveau plan de restriction budgétaire de 7 milliards d’euros. Ce plan, annoncé le 7 novembre, sera-t-il suffisant ? Certainement pas ! Alors à quels nouveaux plans de rigueur doit-on s’attendre dans les mois à venir et quelle incidence auront-ils sur la croissance en 2012 ?

Début octobre 2011, nous indiquions dans notre dossier de prévisions , entre autres choses, qu’à projets de lois de finance connus et votés, aucun grands pays européens ne respecterait ses engagements de réduction de déficit.

Cela sera notamment le cas pour l’Italie et le Royaume-Uni qui pourraient être confrontés à un écart compris entre 1,5 et 2 points entre le déficit public final et leur engagement. Dans le cas de la France et de l’Espagne, l’écart serait respectivement de 0,6 et 0,7 point. Seule l’Allemagne serait très proche de ses engagements (tableau 2).

Contrairement aux années antérieures, le respect de ces engagements apparaît probable : dans un contexte financier incertain, être le seul État à ne pas respecter sa promesse de consolidation budgétaire serait sanctionné immédiatement par un renchérissement de ses conditions financières sur le remboursement de sa dette.

Cela nécessitera alors l’adoption de nouveaux plans d’austérité dans les mois à venir. Mais en tentant de réduire leurs déficits prématurément, trop rapidement et de façon synchrone, les gouvernements des pays européens prennent le risque d’un nouveau ralentissement de l’activité. En effet, comme nous l’avons signalé dans une étude récente , la mise en place dans un contexte de basse conjoncture de politiques de rigueur dans l’ensemble des pays européens et agissant dans une situation de persistance de la « trappe à liquidité » concourt à la formation d’un multiplicateur fort, proche de l’unité.

A combien de milliards d’euros s’élèveront les prochains plans d’économies budgétaires ? Quelles incidences auront-ils sur la croissance économique ? Plusieurs cas de figure ont été étudiés.

Cas n°1 : Chacun des pays respecte seul son engagement
De manière à isoler l’impact sur la croissance du plan d’économies national et de ceux des partenaires, nous avons supposé que chaque pays respecte, seul, son engagement. Sous cette hypothèse, l’effort serait considérable en Italie et au Royaume-Uni qui présenteraient de nouveaux plans de rigueur de respectivement 3,5 et 2,8 points de leur PIB (soit 56 et 48,7 milliards d’euros). La France et l’Espagne devraient mettre en œuvre un plan de rigueur deux à trois fois inférieur, d’environ 1,2 point de PIB, représentant respectivement 27 et 12,1 milliards d’euros. Enfin le plan d’économies allemand serait le plus faible, avec 0,3 point de PIB (7 milliards d’euros) (tableau 1).

Ces différents plans de rigueur nationaux, pris isolément, auraient un impact non négligeable sur la croissance des pays étudiés. A l’exception de l’Allemagne qui continuerait à avoir une croissance positive en 2012 (0,9 %), une telle stratégie plongerait les autres économies dans une nouvelle récession en 2012, avec un recul de leur PIB allant de -0,1 % pour l’Espagne à -2,9 % pour l’Italie. La France connaîtrait une baisse de son activité de -0,5 % et l’économie britannique de -1,9 %( tableau 2).

Cas n°2 : Tous les pays de l’Union européenne respectent leur engagement

Bien entendu, si l’ensemble des grands pays européens venaient à adopter la même stratégie en même temps, alors l’effort d’économie serait supérieur. Il s’élèverait à près de 64 milliards d’euros en Italie et de 55 milliards d’euros au Royaume-Uni, représentant respectivement 4 et 3,2 points de PIB. Cet effort supplémentaire serait d’environ 2,0 points de PIB pour la France et l’Espagne (respectivement 39,8 et 19,6 milliards d’euros) et de 0,9 point de PIB pour l’Allemagne (22,3 milliards d’euros). Au total sur ces 5 pays étudiés, l’effort cumulé d’économie représenterait plus de 200 milliards d’euros en 2012.

Le choc sur l’activité de ces pays serait alors puissant : il provoquerait en 2012 une récession violente pour certains pays avec une baisse du PIB de 3,9 % en Italie (contre -5,1 % en 2009), de 2,6 % au Royaume-Uni (contre -4,9 % en 2009). La récession serait proche en France (-1,7 %) et en Espagne (-1,5 %) alors que le PIB allemand baisserait légèrement (-0,3 %).

Cas n°3 : Seuls les pays de la zone euro respectent leur engagement

Le Royaume-Uni ayant déjà mis en place un plan de rigueur important, et compte tenu du fait que leur contrainte en termes de déficit est plus souple que celle des pays de la zone euro, nous avons supposé que seuls les grands pays de la zone euro respectaient leurs engagements de déficit public. Dans ces conditions, l’effort cumulé d’économie représenterait plus de 130 milliards d’euros en 2012 dont près de la moitié serait du seul fait de l’Italie (61,7 milliards).

Le choc récessif serait alors concentré sur la zone euro avec une récession dans tous les pays étudiés à l’exception de l’Allemagne (0,1 %). L’économie britannique éviterait un nouvel épisode récessif (0,5 %) mais elle ne remplirait pas son objectif de déficit public fixé à 6,5 points de PIB, puisque ce dernier s’établirait à 8,2 points de PIB.




Plus rien ne s’oppose à la nuit

par Xavier Timbeau

Le 7 novembre 2011, le gouvernement a  annoncé un plan de restriction budgétaire qui prend acte d’un « ralentissement de la croissance mondiale ». Il  fait suite à la révision fin octobre 2011 du scénario de croissance utilisé dans le projet de loi de finance 2012, présenté fin septembre aux assemblées. Au lieu d’anticiper 1,75 % de croissance annuelle du PIB en 2012, l’hypothèse retenue aujourd’hui est de 1 %. La logique semble claire : face à des vents mauvais, soumis à un objectif de réduction des déficits publics (4,5 % du PIB en 2012 après 5,2 % en 2011) le gouvernement réagit rapidement en amendant sa stratégie de finances publiques afin d’éviter le scénario catastrophe que l’Italie est en train de vivre. La crise des dettes souveraines européennes impose de conserver la confiance des marchés financiers.

Une combinaison de hausse de l’imposition et de restriction de dépenses devrait réduire ex ante le déficit public de 7 milliards d’euros en 2012 qui s’ajoutent à ceux annoncés en août 2011, 10,4 milliards d’euros en 2012, soit au total 17,4 milliards d’euros (0,9 % du PIB). L’impulsion (i.e. la variation du déficit public primaire structurel) serait en 2012 de -1,5 % du PIB en 2012 après avoir été de -1,4 % en 2011, ce qui constitue un effort sans précédent dans l’histoire budgétaire de la France.

Tout pousse à se résigner à cette logique météorologique et ménagère de la conduite de la politique économique. La croissance nous fait défaut, il faut être moins prodigue et réduire le train de vie de l’Etat et des administrations publiques. Mais, ce faisant on s’enferme dans une spirale récessive particulièrement dangereuse. La réduction de la croissance par rapport aux estimations initiales ne tombe pas du ciel. Elle résulte d’abord de la restriction budgétaire déjà engagée en 2011. C’est le jeu du multiplicateur budgétaire qui impose sa logique, au moins à court terme. Une restriction budgétaire amoindrit la croissance du PIB, dans une proportion égale au multiplicateur budgétaire. C’est pourquoi le scénario de croissance à 1 % était parfaitement prévisible (et aurait dû être intégré dans le projet de loi de finance 2012, voir la prévision de l’OFCE). On retient habituellement un multiplicateur budgétaire à un an de l’ordre de 0,7 (qui varie cependant selon les mesures prises) parce que la France est une « petite » économie ouverte (voir nos analyses ou les travaux du FMI).

Dans une situation de trappe à liquidité et de cycle bas, le multiplicateur budgétaire peut être plus élevé, mais c’est en limitant l’analyse à une petite économie que l’on commet l’erreur la plus grave. Au niveau de la zone euro ou de l’Union européenne, le multiplicateur budgétaire n’est plus celui d’une « petite » économie ouverte (0,7), mais celui d’une grande économie « peu » ouverte (supérieur à 1). Or tous, ou presque tous les pays de l’Union européenne s’engagent dans des plans de restriction budgétaire, suivant la même logique imparable de la rigueur ; ainsi lorsqu’on fait le bilan de ces politiques à l’échelle européenne et non plus nationale, on comprend pourquoi la croissance en Europe sera faible voire négative. En effet, comme empêché par des œillères, chaque pays européen constate que son scénario de croissance ne se réalisera pas et rajoute de la restriction à la restriction. Mais, lorsque le multiplicateur est élevé, la réduction du déficit public est très inférieure à sa baisse ex ante, du fait d’une croissance économique moins forte : en Europe, pour un multiplicateur budgétaire de 1,3, un point de réduction des déficits ex ante induit une réduction ex post de 1/3 point du déficit public. Une autre manière de le dire : pour tenir un objectif donné de déficit, il faut  faire un effort trois fois plus important que ce que l’arithmétique simple indique.

Après le plan de rigueur supplémentaire de novembre  2011, on peut s’attendre à ce qu’il y en ait d’autres. Pour tenir les engagements des gouvernements européens annoncés aujourd’hui, il faudra une récession en Europe en 2012. Tant que l’on fixera comme objectif des réductions de déficit public, tant que l’on « oubliera » les effets sur la croissance et donc sur les déficits publics de ces restrictions, on ira de mauvaises nouvelles en mauvaises nouvelles. En continuant de se référer aux rares exemples de restrictions qui ont fonctionné – le Canada ou  les pays scandinaves des années 1990 –, on se trompe radicalement de diagnostic : l’Union européenne est une grande économie peu ouverte ; une dévaluation compétitive ne viendra pas compenser les restrictions budgétaires ; la politique monétaire ne stimulera pas suffisamment l’économie pour éviter le pire. La politique macroéconomique ne se conduit pas régionalement, mais globalement.

Sans croissance, les dettes publiques paraîtront insoutenables à des marchés financiers qui sont à la fois juges et victimes de l’insécurité des dettes publiques. Pourtant, les pays européens s’engagent dans une phase sans précédent de contrôle de ses finances publiques (avec succès, comme l’attestent les impulsions négatives en 2011, réalisées et celles annoncées pour 2012). De plus, l’Europe est dans une situation budgétaire globale préférable à celle des autres pays développés, ce qui donne à cette crise des dettes souveraines un parfum de renoncement catastrophique. L’alternative est de relâcher la pression des marchés sur le financement des Etats européens en  franchissant le pas de la solidarité européenne sur les dettes publiques. Cette solidarité pourrait être garantie par la Banque centrale européenne ou n’importe quelle institution ad hoc. Au final, il faudrait « monétiser » les obligations souveraines lorsque cela est nécessaire, sans limite, afin que chacun soit sûr que jamais un titre public ne fera défaut. Alors, la stratégie budgétaire de retour à l’équilibre pourrait être conduite avec un objectif de moyen terme, et non plus de court terme et on pourrait espérer sortir d’une récession, dont pour l’instant on ne voit pas la fin.




Le Sommet du G20 de Cannes : chronique d’une déception annoncée ?

par Jérôme Creel et Francesco Saraceno

(une première version de ce point de vue est parue sur le site lemonde.fr, ici)

Trop longue, trop technique, la déclaration finale d’action collective du Sommet du G20 à Cannes montre qu’aucune vision claire et partagée des turbulences économiques et financières qui secouent l’économie mondiale ne s’est dégagée lors du Sommet. Et Sénèque de nous rappeler que la déception aurait été moins pénible si l’on ne s’était pas d’avance promis le succès.

Après les annonces officielles, la déception était palpable à l’issue d’un sommet du G20 au cours duquel aucune avancée significative n’a été réalisée pour les dossiers les plus importants du moment, la relance de la croissance notamment. Les questions agricoles et financières, cruciales elles aussi, n’ont donné lieu qu’à des déclarations d’intention, avec le rappel pour ces dernières des engagements pris… en 2008 ! Cette déception doit être cependant relativisée car le G20 est principalement une instance de discussion plutôt que de décision. Que reste-t-il en effet des engagements pris par le G20 de Londres d’avril 2009 en pleine récession mondiale ? Les politiques budgétaires expansionnistes ? Oubliées, sous l’effet de l’endettement public qu’elles ont produit, endettement qui, soit dit en passant, était parfaitement prévisible. La régulation financière renforcée ? Ressassée, mais point encore mise en œuvre, malgré la détermination affichée à Paris les 14 et 15 octobre 2011. La volonté d’échapper au protectionnisme ? A peine mentionnée, elle n’aura d’ailleurs pas empêché la constitution de 36 cas de différends commerciaux portés auprès de l’OMC, dont 14 impliquant la Chine, l’UE et/ou les Etats-Unis. Il ne reste plus que les politiques monétaires, « expansionnistes aussi longtemps que nécessaire » dans les déclarations préalables au Sommet. Le sort du système monétaire international ne dépend-il que du bon vouloir des banquiers centraux, indépendants de surcroît ?

La réunion a en outre été perturbée par la crise qui secoue la zone euro, qui a quasiment effacé de l’agenda des dossiers importants comme cette réapparition du protectionnisme, reléguée aux paragraphes 65 à 68 d’un document en comportant 95. A Cannes les pays émergents et les Etats-Unis ont été spectateurs d’un drame qui se déroulait entre Paris, Berlin, Rome et Athènes.

Cette crise qui secoue la zone euro découle de l’hétérogénéité des pays qui la constituent, comme la crise financière déclenchée en 2007 fut causée, outre l’absence de réglementation financière, par l’hétérogénéité croissante entre pays mercantiles et pays supposés être les eldorados de l’investissement, d’un côté la Chine et l’Allemagne, de l’autre, les Etats-Unis et l’Irlande. L’hétérogénéité européenne, l’une des quatre déficiences de la zone euro, a conduit les pays disposant d’un excédent de leur balance des comptes courants à financer les pays en situation de déficit. Seule et avec la priorité donnée à la lutte contre l’inflation que le Traité de l’UE lui a imposée, la BCE est impuissante à renforcer la convergence au sein de la zone euro. Cependant, à court terme elle peut mettre fin à la crise de l’euro en acceptant d’apporter une garantie intégrale sur les dettes publiques de la zone euro (voir [1], [2] ou [3]), et en augmentant sensiblement ses acquisitions de titres de dette publique européenne. Ceci préserverait la stabilité financière européenne et engendrerait peut-être des anticipations inflationnistes, contribuant ainsi à sortir l’économie européenne de la trappe à liquidité dans laquelle elle se trouve depuis le début de la crise financière. Notons que malgré son activisme, la Réserve fédérale américaine n’a pas jusque-là réussi à engendrer de telles anticipations et reste engluée dans une même trappe à liquidités.

A plus longue échéance, il convient de revoir la gouvernance économique européenne. L’usage actif des politiques économiques aux Etats-Unis et en Chine contraste avec la prudence affichée par la BCE et avec les réticences européennes à mener des politiques budgétaires expansionnistes, et plus généralement avec le choix de bâtir la gouvernance économique européenne sur le refus des politiques discrétionnaires. Ainsi serait-il souhaitable que, tout en préservant son indépendance, la BCE puisse poursuivre un double mandat d’inflation et de croissance, et que les règles qui disciplinent la politique budgétaire soient plus « intelligentes » et flexibles.

Donner aux autorités de politique économique la possibilité de mener des politiques discrétionnaires ne doit pas faire oublier le risque de manque de concertation, qui peut amener le Congrès américain à menacer unilatéralement de taxes compensatoires les marchandises importées de pays dont la monnaie serait sous-évaluée. Une telle volonté fait resurgir le spectre du protectionnisme, et les pays du G20 devraient envisager un mécanisme pour coordonner les politiques, et éviter ainsi des guerres commerciales plus ou moins explicitement déclarées.

En outre, une guerre des monnaies ne semble pas une façon efficace de protéger nos économies : la sous- ou surévaluation d’une monnaie est un concept complexe à appliquer, et l’incidence de la valeur d’une devise sur les exportations et importations est rendue très incertaine par la fragmentation internationale de la production de marchandises et de services. A une politique défensive, il vaut donc sans aucun doute mieux substituer une politique industrielle active, permettant de tirer profit de nouvelles niches technologiques créatrices d’activités et d’emplois.

Au final, pour que les mots aient un sens concret – pour « engendrer la confiance et la croissance » dans les économies avancées et « soutenir la croissance en contenant les pressions inflationnistes » dans les économies émergentes (Communiqué du G20, Paris, 14-15 octobre 2011) -, il faut remettre en cause la « contagion des contractions budgétaires » qui secoue aujourd’hui la zone euro et, plutôt qu’une phase supplémentaire de rigueur, mettre à l’ordre du jour des plans de relance dans les économies avancées pendant que les taux d’intérêt sont encore bas. Ces plans doivent être ciblés pour engendrer de la croissance et ne pas mettre en péril la solvabilité des finances publiques : il faut donc favoriser les investissements publics. Ils doivent être coordonnés entre eux pour en maximiser l’impact global, mais aussi avec l’action des banques centrales, afin que celles-ci les accompagnent par le maintien de taux d’intérêt bas. Le Sommet de novembre 2011 arrivait à point nommé pour qu’une telle concertation émerge. Il n’en fut malheureusement rien.




La France et la zone euro suspendues au-dessus de la récession

par Hervé Péléraux

L’actualisation des indicateurs avancés pour la France et la zone euro à la fin octobre révèle l’extrême fragilité de ces économies, en surplomb au-dessus de la récession. La stagnation du PIB attendue en France au troisième trimestre, suivie d’un possible recul de 0,2 % au quatrième, peut préfigurer la survenue d’une récession au tournant de 2011-2012, alors même que l’optimisme était encore de mise avant l’été. La situation n’est guère meilleure pour l’ensemble de la zone euro, avec une stagnation anticipée du PIB dans la seconde moitié de 2011. La crise des dettes souveraines, démarrée en mai 2010 avec la révélation de la crise grecque, aura finalement eu raison de la résistance, un peu surprenante, des économies dans la seconde moitié de 2010 et au premier trimestre 2011.

L’indicateur avancé pour la France :

http://www.ofce.sciences-po.fr/indic&prev/indicateurfr.htm?current=five&sub=c

L’indicateur avancé pour la zone euro :

http://www.ofce.sciences-po.fr/indic&prev/indicateureuro.htm?current=five&sub=c




Les banques centrales peuvent-elles influencer les anticipations des agents privés ?

par Paul Hubert

Comment les prévisions d’une banque centrale peuvent-elles influencer les anticipations des agents privés et quelles en sont les raisons ? A quelques heures des conférences de presse de Ben Bernanke et de Mario Draghi, voici quelques éléments d’explication. 

L’attribution du Prix Nobel d’Economie 2011 à Thomas Sargent et Chris Sims pour « leurs recherches empiriques sur les effets causaux en macroéconomie » met en lumière le rôle primordial des anticipations des agents privés dans les décisions de politique économique. Parce que les anticipations d’inflation et de croissance des entreprises et des ménages affectent leurs décisions d’investissements, de consommation, d’épargne, et les revendications salariales, elles sont au cœur de l’interaction entre les politiques économiques et leurs effets.

Depuis les années 1980, l’instrument principal de la politique monétaire est le taux d’intérêt directeur de la banque centrale. Les variations de celui-ci affectent l’économie et permettent à la banque centrale d’arbitrer entre croissance économique et inflation via différents canaux : le canal du taux d’intérêt, le canal du crédit, le canal du prix des actifs, le canal du taux de change et enfin le canal des anticipations. En effet, dans le cadre de leurs décisions quotidiennes, les entreprises et les ménages intègrent de nombreuses anticipations sur la consommation, l’investissement, les capacités de production futures, ainsi que les salaires et prix futurs, etc. Ces anticipations jouent ensuite un rôle central dans la détermination des variables économiques. Les variations du taux directeur envoient donc des signaux sur l’état futur de l’économie ainsi que la politique monétaire future, et modifient les anticipations que forment les agents privés.

Cependant, le canal des anticipations est incertain et les variations de taux directeur peuvent être comprises de différentes manières : les agents privés peuvent réagir à une baisse du taux directeur en consommant et investissant plus, ce qui peut signaler que la croissance sera plus forte dans le futur et ce qui accroît leur confiance et leur volonté de consommer et investir. A l’opposé, les mêmes agents peuvent interpréter que la croissance présente est plus faible que prévue, poussant la banque centrale à intervenir, ce qui réduit leur confiance, donc leur volonté de consommer et d’investir… Depuis les années 1990, les banques centrales utilisent donc en complément du taux d’intérêt des effets d’annonce pour clarifier leurs intentions futures. La communication semble ainsi être devenue un outil de la politique monétaire et deux types peuvent être distingués. La communication qualitative comprend les discours et interviews, tandis que la communication quantitative correspond à la publication des prévisions d’inflation et de croissance de la banque centrale.

Dans un récent document de travail, nous analysons l’effet des prévisions d’inflation et de croissance publiées trimestriellement par les banques centrales du Canada, de Suède, du Royaume-Uni, du Japon et de Suisse. A l’aide d’enquêtes réalisées par Consensus Forecasts auprès de prévisionnistes professionnels des secteurs financiers et non-financiers, nous montrons que les prévisions d’inflation des banques centrales de Suède, du Royaume-Uni et du Japon sont un déterminant significatif des prévisions d’inflation des agents privés. Autrement dit, la publication des prévisions d’inflation de ces banques centrales entraîne une révision des prévisions des agents privés. Il s’avère en outre que le contraire n’est pas vrai : les prévisions de la banque centrale ne réagissent pas aux prévisions des agents privés.

Deux raisons peuvent expliquer cette influence de la banque centrale : premièrement, les prévisions d’inflation de la banque centrale pourraient être de meilleure qualité et il est rationnel pour les agents privés d’être influencés par celles-ci afin d’améliorer leurs propres prévisions des variables macroéconomiques. Deuxièmement, les prévisions d’inflation de la banque centrale peuvent influencer les agents privés parce qu’elles transmettent des signaux, soit sur les futures décisions de politique monétaire, soit sur l’information privée dont dispose la banque centrale. Ce type d’influence est indépendant de la performance de prévision de la banque centrale.

Afin de déterminer les sources de cette influence, nous évaluons la performance de prévision relative des banques centrales et des agents privés et testons si l’influence des anticipations privées par la banque centrale dépend de la qualité de ses prévisions. Les estimations montrent que seule la banque centrale de Suède, au sein de notre échantillon de banques centrales, produit de façon significative, régulière et robuste des prévisions d’inflation de meilleure qualité que celles des agents privés. Nous trouvons en outre que le degré d’influence dépend de la qualité des prévisions d’inflation. Autrement dit, les prévisions d’inflation à un horizon court (1 ou 2 trimestres), dont une analyse historique des performances de prévisions nous apprend qu’elles sont de faible qualité, n’influencent pas les agents privés tandis que celles de meilleure qualité les influencent. De plus, les prévisions d’inflation à plus long terme de la banque centrale de Suède réussissent à influencer les anticipations privées même lorsque leur qualité est faible et les influence d’autant plus que leur qualité est meilleure.

Alors que les banques centrales du Royaume-Uni, du Japon  et de Suède réussissent toutes les trois à influencer les anticipations privées via la publication de leurs prévisions macroéconomiques, il apparaît que les raisons de cette influence sont différentes. Les deux premières utilisent la transmission de signaux, tandis que la banque centrale de Suède utilise les deux sources possibles pour influencer les anticipations privées : à la fois sa meilleure capacité de prévisions et l’envoi de signaux. La conséquence de ces résultats est que la publication par la banque centrale de ses prévisions macroéconomiques pourrait faciliter et rendre plus efficace la mise en place de la politique monétaire désirée en guidant les anticipations privées. Ce canal de transmission, plus rapide car il ne repose que sur la diffusion de prévisions, pourrait permettre ainsi à la banque centrale d’affecter l’économie sans modification de son taux d’intérêt directeur et peut effectivement constituer un instrument supplémentaire.